Louis de Boissy
Édition critique établie par Jinhan Tan dans le cadre d'un mémoire de master sous la direction de Bénédicte Louvat, Faculté des Lettres de Sorbonne Université, 2023-2024
Le travestissement dans La Fête d’Auteuil,
entre mascarade et liberté
individuelle §
Louis de Boissy est un dramaturge français aujourd’hui méconnu. Pourtant, il fait partie des auteurs qui ont marqué son temps en s’inscrivant dans un moment particulier de l’histoire théâtrale et en cristallisant les réflexions autour d’un art de la scène en pleine métamorphose. Il est, avec ses contemporains tels que Destouches, Gresset, Marivaux, un représentant et un témoin majeur d’une crise de la comédie post-moliéresque, entre les partisans, dont fait partie Boissy, d’un théâtre plaisant qui ne mêle pas le rire aux larmes, et un théâtre plus moral et vertueux. Le théâtre de Boissy, s’il prend théoriquement le parti des Anciens, est une œuvre particulièrement intéressante dans le traitement des caractères comiques. Boissy propose une nouvelle approche de ceux-ci, et ne se limite jamais à la simple reprise des stéréotypes qui entourent les types de personnage. Il apparaît comme un explorateur des caractères types du théâtre comique, et se plaît à les nuancer et les complexifier, parfois aux dépens de l’action. Sa pièce La Fête d’Auteuil, jouée pour la première fois au Théâtre Français en 1742, n’est pas l’une de ses plus célèbres. Elle cristallise pourtant l’image d’une société mondaine dans laquelle la ruse apparaît comme le seul moyen possible pour sonder le cœur des hommes et aller au-delà des apparences trompeuses dans une société où le langage ne permet plus aux individus de s’entendre. La pièce interroge la nécessité de la ruse dans une société mondaine dans laquelle chacun prend un rôle et s’évertue de correspondre au personnage qui lui a été attribué par sa condition sociale, tout en luttant pour sa propre individualité dans une époque en transition. La pièce de Boissy aborde ainsi le jeu que doit faire l’individu pour trouver sa place, entre le rôle que la société lui donner, protection du masque, et ses revendications personnelles. Tout d’abord, nous explorerons la vie de l’auteur et sa place sur la scène française dans la première moitié du dix-huitième siècle. Ensuite, nous étudierons plus en profondeur La Fête d’Auteuil, sa place dans l’œuvre de Boissy et sa dramaturgie. Enfin, nous verrons comment la pièce met en valeur le travestissement comme un moyen d’échapper aux conventions sociales dans une société qui apparaît comme artificielle.
L’auteur et son contexte : une époque en transition §
Un dramaturge reconnu au cœur des débats de son temps §
Biographie de l’auteur §
Louis de Boissy, né à Vic-sur-Cère en Auvergne le 26 novembre 1694, s’engage d’abord dans une carrière ecclésiastique, avant de venir à Paris en 1714, où il abandonne rapidement les études de droit pour se consacrer à l’écriture. Le théâtre n’apparaît pas initialement pour lui comme une évidence, puisqu’il commence plus tardivement sa carrière de dramaturge. Il débute en tant que satire d’auteurs et de pièces qui lui sont contemporaines. Cela lui vaudra une certaine reconnaissance, mais aussi de nombreux détracteurs, tels que Destouches dont nous parlerons plus tard. D’Alembert dresse de lui un portrait d’homme timide, fuyant les sociétés nombreuses1. Son talent de versificateur est déjà reconnu et lui permet de versifier de nombreuses pièces. Il aurait ainsi versifié Zénéide de Wathelet2. Il est dit avoir épousé sa blanchisseuse, dans ce qui aurait été davantage un mariage d’inclination que de convenance.
Ce n’est que plus tard, en 1721, avec sa première pièce L’Amant de sa femme ou la Rivale d’elle-même, qui ne connaît pas un franc succès au Théâtre Français avec huit représentations, qu’il se tourne vers l’écriture dramatique, essentiellement pour le théâtre comique qui lui permet de garder son rôle de satire en faisant le portrait des ridicules de son temps, mais sans connaître la foudre de ses victimes : « Ce travail, en lui interdisant la censure offensante et personnelle, lui permettait la censure générale et piquante de nos ridicules et de nos travers3 ». Il écrit 45 pièces de 1720 à 1752, dont seulement une tragédie, Admète et Alceste, ou la Mort d’Alceste en 1727. Il est donc un auteur particulièrement actif. En comparaison, le dramaturge, et rival de Boissy, Néricault Destouches n’en a écrit que vingt-deux et Marivaux, en a écrit une quarantaine. Sa pièce Le Français à Londres qu’il fait jouer à la Comédie-Française en 1727, lui assure son premier succès avec 19 représentations la même année.
Jusqu’en 1729, Boissy écrit presque exclusivement pour le Théâtre Français, mais après avoir essuyé un échec, et une accusation de plagiat de la part de Destouches, pour sa pièce L’Impertinent malgré lui, il se dirige vers le Théâtre-Italien pour qui il écrira pendant une dizaine d’années des pièces telles que Le Triomphe de l’intérêt en 1730 ou La Vie est un songe en 1732. Cette période lui permet d’adopter un ton beaucoup plus satirique dans ses pièces, ce qui est bien plus apprécié chez les Italiens, que d’Alembert appelle des « vaudevilles faits pour le moment et destinés à passer avec lui4 ».
Ce n’est qu’en 1740 qu’il va connaître son plus grand succès chez les Français avec sa pièce Les Dehors Trompeurs, ou l’Homme du jour, qui connaît un triomphe avec vingt-trois représentations la même année. Il est alors au sommet de sa carrière de dramaturge et reçoit la reconnaissance qu’il a poursuivie toute sa vie.
Il rentre à la Gazette en 1751, ce qui lui assure un revenu stable et confortable et lui permet de sortir de la misère dans lequel il est dit avoir vécu toute sa vie5. La Gazette est un périodique qui avait pour rôle d’informer ses lecteurs des nouvelles provenant de l’étranger. Il s’agit davantage d’informations politiques et diplomatiques, et ce travail l’écarte ainsi du monde artistique. Il n’y reste pas longtemps puisqu’en 1754, il obtient la faveur de la Marquise de Pompadour, grâce à l’influence de Marmontel6, pour reprendre la direction du Mercure. C’est alors pour lui la concrétisation de sa carrière, et il abandonne totalement son métier de dramaturge pour se consacrer au journalisme. À la même époque, il est admis à l’Académie française où il reprend le siège de Destouches7. Il n’y siégera que peu puisqu’il meurt de maladie le 19 avril 1758.
Boissy est un des auteurs dramatiques majeurs de son époque, même si sa carrière a été marquée par peu de grands succès. Ses pièces sont jouées sans presque aucune interruption à la Comédie Française de 1721 jusqu’en 1827, puis ce n’est plus que son plus grand succès, Les Dehors trompeurs, qui est joué jusqu’en 18418. Il est donc un auteur dramatique qui a marqué son temps et qui a su cristalliser dans son œuvre une époque en transition, tant au niveau artistique que politique.
Boissy et ses contemporains : Destouches et Marivaux §
Destouches est un auteur dramatique contemporain de Boissy. Il revendique un théâtre moral, dont la finalité n’est plus uniquement de faire rire le spectateur, mais de l’éduquer en condamnant le vice par la représentation du triomphe de la vertu, tout en conservant la dimension comique de la pièce. Le but n’est pas de faire une pièce à caractère moralisant. Boissy et Destouches partagent en somme la même vision du théâtre, qui est celle d’un théâtre léger et amusant dans lequel la vertu finit par triompher. Malgré le fait que Destouches reste largement plus joué que Boissy (918 représentations à la Comédie-Française de 1710 à 1790 pour Destouches contre 216 pour la même période9), celui-ci verra en Boissy un véritable rival qu’il accusera même de plagiat. Lors de la saison précédente à la Comédie-Française, les pièces de Destouches L’Amour usé et La Belle orgueilleuse sont des échecs, avec respectivement une et six représentations.
Louis de Boissy est un contemporain de Marivaux. Son théâtre en est singulièrement inspiré, comme nous le verrons pour notre pièce. Le théâtre de Marivaux s’intéresse particulièrement à la naissance du sentiment et aux obstacles que les individus se créent eux-mêmes face à la présence déstabilisante de l’amour. Boissy décrypte lui aussi les différentes étapes qui mènent les individus à une clairvoyance sur eux-mêmes et sur la situation dans laquelle ils se trouvent. Sa pièce L’Épreuve est représentée pour la première fois en novembre 1740 et est l’une de ses plus célèbres aujourd’hui. On retrouve dans la pièce ce thème du déguisement, dans le but de sonder le cœur de l’autre.
Le théâtre de Boissy est représentatif des transitions que vit le monde dramatique de son époque : entre l’héritage de Molière dont l’ombre plane encore sur les auteurs et la volonté d’un théâtre qui éveille la vertu chez son spectateur.
Une comédie entre rire et moralité §
Boissy apparaît sur la scène de l’écriture dramatique en plein dans un contexte de remise en question dramatique, où l’on se cherche de nouveaux modèles, entre les partisans d’un art classique et les partisans d’une vision moderne de l’art. Il se positionne de manière virulente en faveur des Anciens dans la querelle qui les oppose aux Modernes dans son texte L’Élève de Terpsicore 10. Il revendique dans ses textes critiques, notamment dans ceux qu’il publie dans le Mercure de France, un théâtre dans la lignée de celui de Molière, qui permet de « rire avec la bonne fois d’un bourgeois ingénu, ou la grosse franchise d’un bon paysan » plutôt « qu’avec la circonspection d’un homme du monde qui craint d’éclater, et qui règle tous ses mouvements sur les lois exactes de la froide décence11 ». Cependant, le théâtre de Boissy n’est pas un théâtre de geste, de situation. Il s’intéresse au traitement de caractères, de rôles caractéristiques, mais il aime à les déjouer et à complexifier ses personnages. Si son théâtre s’inscrit bien dans le registre de la comédie de caractère, puisqu’il privilégie le discours et l’analyse psychologie au détriment de l’action en mettant en lumière les vices et les vertus, c’est un théâtre qui ne vise cependant pas uniquement le rire comme le préconise Molière, mais qui vise à une forme de moralisation : « Comme Destouches, Boissy est le partisan d’un théâtre moral, éducatif sans être pesant, respectueux de l’héritage du Grand Siècle et de ses principes du bon goût12 ». Il revendique avant tout un théâtre plaisant, puisqu’il considère que c’est au travers du plaisir, que le public peut sortir de la pièce une forme d’enseignement.
Louis de Boissy est un grand admirateur de Voltaire, dont il est le contemporain, et s’inscrit dans la réflexion de son temps sur les Lumières et la perfectibilité de l’homme. La tragédie Mahomet sort le même mois, août 1742, que La Fête d’Auteuil à la Comédie-Française, mais est rapidement censurée. Boissy s’inspire du poème Le Bourbier de Voltaire dans son œuvre satirique L’Élève de Terpsicore. Si l’influence que Voltaire peut avoir sur Boissy n’apparaît pas évidente, celle-ci peut s’exprimer dans la façon dont Boissy aborde le théâtre et la comédie en particulier. Il ne s’agit pas pour Boissy de mettre en scène des caractères figés qui ne sont que des caricatures. Dans ses comédies de caractères, tel qu’Un Français à Londres ou Les Dehors trompeurs, Boissy met en scène des personnages comiques qui représentent un type, mais il aime à les complexifier sans jamais les humilier. Il s’agit pour les personnages de parvenir à s’extirper de toutes les conventions pour s’affirmer davantage. La finalité des pièces de Boissy ne conduit pas ses personnages à une remise en question d’eux-mêmes ni à une forme de punition. Si la vertu triomphe souvent, ce n’est pas nécessairement au détriment des autres caractères. Dans Le Français à Londres, son personnage Marquis, Français prétentieux, n’est pas choisi comme époux pour Éliante, jeune veuve anglaise, mais il n’évolue pas pour autant, et n’est jamais placé dans une position particulièrement humiliante.
Boissy apparaît ainsi sur la scène dramatique française dans un moment de remise en question des conventions théâtrales. La société française est également parcourue par de nouvelles idées philosophiques, sur l’homme et les codes sociaux, alors que la France, qui est dans une période de relative prospérité économique, est secouée par un retour de la guerre sur le sol européen.
Le contexte politique et artistique autour de la pièce §
La France dans les années 1740 §
Dans les années 1740, Louis XV est au pouvoir depuis 1715 et est parvenu à stabiliser la dette colossale, 2,1 milliards de livres, que lui a laissée son grand-père, Louis XIV. Le système de l’Écossais John Law a permis de renflouer les caisses de l’État et de redonner à celui-ci son pouvoir économique d’antan. L’activité économique est n pleine croissance. Depuis 1726, le Premier ministre de Louis XV, le cardinal de Fleury, gère les affaires du royaume avec prudence et modération. Il est soucieux de maintenir la paix et la prospérité de l’état. C’est une période d’oisiveté et d’aisance pour la noblesse française. Dans ce contexte prospère, le courant des Lumières, tant dans le domaine philosophie qu’économique, vient petit à petit modifier le paysage royal. L’Angleterre, avec qui la France est en conflit d’intérêts dans ses colonies américaines, a le soutien de la bourgeoisie commerciale et industrielle des grands ports dans sa volonté d’hégémonie.
La guerre de succession d’Autriche vient cependant ébranler une nouvelle fois l’économie du pays. En 1742, la Guerre de succession d’Autriche est engagée depuis décembre 1740 et elle oppose la Prusse, dirigée alors par l’empereur Frédéric II, et l’héritière de l’empereur Charles VI du Saint-Empire, Marie-Thérèse d’Autriche. Deux coalitions s’opposent dans ce conflit : la Prusse, la Bavière et la France, d’une part ; l’Autriche, la Grande-Bretagne, les Provinces Unies et la Russie, d’autre part. La France ne s’engage réellement dans le conflit qu’en 1 744. La France, dont les intérêts sont en conflit avec l’Angleterre depuis le xviie siècle sur mer et aux colonies, se range du côté de Marie-Thérèse. Malgré sa victoire en 1748, ces évènements précipiteront la France dans la Guerre des Sept Ans en 1756, qui laissera la France lourdement endettée.
La période de relative prospérité dans laquelle se situe notre pièce est également un moment de bouleversement artistique. Le théâtre est en pleine transition. La noblesse française, alors au sommet de sa puissance de représentation, est avide de légèreté.
Le théâtre post-moliéresque : un moment de conflit §
À l’époque de Boissy le théâtre est considéré comme la forme parfaite de la théâtralité sociale, comme la réflexion du monde et des échanges entre les hommes. C’est un espace symbolique où la société dirigeante se donne en spectacle à elle-même, tout en jouissant de son pouvoir en se contemplant dans sa représentation. Boissy arrive à un moment de conflit dans la comédie, entre les partisans des comédies de caractères, dans la continuité du Théâtre de Molière, qui vise à provoquer un rire franc comme ultime finalité, et les partisans d’un théâtre de mœurs, tel que le propose Destouches, qui servirait davantage à éveiller la vertu et à condamner le vice. « La gaieté n’est guère en faveur du siècle des Lumières, et le ton de la comédie est désormais à l’attendrissement ou à une mélancolie à peine souriante13 ». Des critiques s’élèvent à cette période contre Molière et lui reprochent un théâtre amoral et corrupteur, tant par ses thèmes que son langage. C’est la comédie tout entière qui est remise en question et attaquée, au nom d’une vision du rire comme un acte satanique visant à remettre en question les repères moraux de la société.
Boissy, témoin de la mondanité de son siècle §
Un théâtre plaisant et vertueux §
Boissy occupe une place paradoxale dans cette querelle puisqu’il est à la fois le rival de Destouches ou de Marivaux, tout en se revendiquant comme héritier de Molière et des Anciens. Il refuse un théâtre qui ne provoque plus le rire franc et continue de mettre en scène des caractères qu’il s’applique à ridiculiser. Il s’oppose au « tragique bourgeois » qui vise davantage à faire naître une pluralité d’émotions chez les spectateurs : « S’il n’a pas toujours fait rire sur la scène comique, il se félicitait au moins de n’y avoir jamais fait pleurer, tant il était convaincu que la comédie doit être la peinture gaie et non pas affligeante de la nature et de la vie humaine14 ». On observe là une des contradictions du théâtre de Boissy. Les pièces de Boissy étudient davantage les différents types de caractère : « Ainsi trouve-t-on dans ses pièces plus de détails que de grands effets, plus de tirades que de scènes et plus de portraits que de caractères15 ». Il s’agit davantage pour Boissy d’une volonté de représenter les différents types de caractères que d’en faire la critique.
Il n’en reste pas moins que, comme on le verra, il sait plutôt nommer et décrire des sentiments, que les mettre en action. Les scènes les plus mémorables de Boissy reposent sur des tirades ou des joutes oratoires, et s’avèrent des conversations piquantes mais sans véritable enjeu pour les personnages qu’elles engagent, et qui ne modifient pas substantiellement leur situation.16
L’action que met en place Boissy n’est pas une action qui évolue beaucoup au cours de la pièce. Un cadre est souvent mis en place dans les premières scènes, et celui-ci n’évolue que peu jusqu’à la résolution de la pièce. Dans La Fête d’Auteuil, l’action mise en place dans l’acte I, qui est celle de la double ruse, n’évolue pas au cours de la pièce. Il n’y a pas de remise en question de cette action. S’il cherche à plaire et à amuser son public, Boissy se montre surtout comme un fin observateur de son temps et des mœurs mondains. Il s’applique à dévoiler les ridicules de la noblesse contemporaine, en digne héritier de Molière.
S’il s’agit de délivrer un théâtre moral qui tend à éduquer le spectateur, Boissy revendique aussi un théâtre gai et plaisant. Il faut amuser son spectateur qui voit devant lui la vertu se déployer, parfois indépendamment de ses personnages qui agissent en fonction des circonstances. L’effet recherché n’est pas toujours, comme chez Destouches, une leçon pour le personnage principal. Il cherche à mettre en exergue la valeur de la mesure et de la raison au détriment du vice et de l’excès.
Il essaye d’éveiller le rire chez son spectateur, un rire franc qui ne serait pas un rire d’esprit ou de convention, mais un rire sincère et spontané. Il s’agit d’éveiller chez le spectateur une certaine spontanéité du rire qui permettrait, dans son accès direct à l’âme du spectateur, de le toucher davantage avec la critique des ridicules et des vices. Boissy récuse ainsi un rire qui proviendrait de l’esprit et qui manquerait ainsi son objectif, à la fois d’amuser le spectateur, mais aussi de dénoncer les ridicules. Le rire jaillissant offre un accès direct à l’intériorité de l’âme à l’inverse d’un rire qui ne resterait qu’en surface, qui ne toucherait que la raison, et empêcherait ainsi d’éveiller chez le spectateur la conscience de la vertu mise en œuvre dans la pièce.
Cette caractéristique d’un théâtre émouvant n’est pas sans rappeler le drame bourgeois que théorisera Diderot dans les Entretiens du Fils naturel en 1757. Il s’agit d’un théâtre qui ferait naître la vertu dans un effet de ricochet : la vue de la vertu mise en œuvre par les personnages de la pièce fait naître chez les spectateurs une envie de vertu :
[…] l’objectif n’est plus, comme chez les post-moliéresques, tels que Baron, Dancourt, Dufresny, Legrand ou de façon plus ambiguë le premier Regnard, de faire rire le spectateur par l’exhibition du vice triomphant, mais au contraire de le faire pleurer au spectacle « édifiant de la vertu mise à l’épreuve et parfois même sacrifiée dans une action aussi pathétique que sublime. Autrement dit, il ne suffit plus au théâtre de « faire rire les honnêtes gens », comme le préconisait Molière, mais de réformer les mœurs et bientôt, d’éduquer le peuple.17
La volonté de Boissy de faire un théâtre moral n’empêche pas de laisser libre cours à sa verve satirique. Il s’intéresse dans beaucoup de ses pièces aux manières et aux airs de la société et les tourne fréquemment en ridicule.
Il se plaît davantage à densifier ses caractères qu’à travailler les ressorts de l’action, qui apparaît ainsi comme un moyen pour révéler les caractères, davantage que comme l’aspect principal de ses pièces. La trame de l’intrigue passe ainsi souvent au second plan par rapport aux personnages et à leur identité. Les personnages finissent par éclipser l’action. L’attention aux personnages est plus importante que celle apportée à l’action.
Une comédie de caractère modernisée §
Boissy travaille davantage dans ses pièces, non pas l’intrigue, mais le caractère des différents personnages et la façon dont ceux-ci agissent par rapport aux évènements qui se présentent à eux. Les personnages de Boissy ne sont pas transformés par l’action, qui apparaît davantage comme un vecteur permettant à l’auteur de dresser le portrait et l’analyse des caractères. Il n’y a pas d’évolution réelle de ses personnages, ni par l’action, ni par le dialogue. La fin de ses pièces ne conduit pas à une leçon de morale sur un personnage dont l’essence serait remise en question. Les personnages ne sont pas confrontés à leurs erreurs. Il semble utiliser le théâtre comme un espace où explorer les différents caractères qu’il présente. Tout en reprenant des caractères de comédie « types », il les nuance sans jamais les tourner pleinement en ridicule. Dans Le Français à Londres 18, son personnage du Français prétentieux est le caractère comique de la pièce puisqu’il est présenté comme une caricature, mais il ne s’agit pas non plus d’en faire un portrait ridicule. Il respecte toujours les conventions de la comédie — fin heureuse, mariage, respect des unités — mais ce sont souvent ses caractères types qui sont les plus intéressants parce qu’il leur apporte des caractéristiques nouvelles et singulières. L’intrigue importe souvent peu, elle n’est qu’un support à l’exploration des différents caractères comiques. Le cadre théâtral apparaît comme secondaire, l’action qui se déroule ne semble être qu’un prétexte pour développer certains caractères qui font tout l’intérêt de ses pièces.
Boissy s’intéresse dans beaucoup de ses pièces aux manières et aux airs de la société, et il les tourne fréquemment en ridicule. Les apparences sont souvent trompeuses (Les Dehors trompeurs, Un Français à Londres, …). Il tourne en ridicule ce maniérisme :
Si son personnage principal se corrige, c’est par la force des évènements et non pas suite à ses réflexions. Plus que la transformation du personnage, c’est assez classiquement, l’illustration d’un travers qui l’intéresse, entreprise d’autant plus délicate que le défaut est exactement de ceux qui peuvent repousser le spectateur par l’excès.19
Les personnages de Boissy ne se corrigent pas et sont rarement remis en doute dans leur être à la fin de la pièce. Boissy savait exploiter les ridicules de son temps dans ses comédies. En ce sens, il se place en héritier de Molière puisqu’il se moque des salons mondains et des personnages qui s’y trouvent. Il fait le portrait dans ses pièces de la vie sous le règne de Louis XV :
Boissy se montre ici écrivain satirique et peintre de la société contemporaine. Il mêle des réflexions morales et des portraits au dialogue vif et spirituel. Les relations de la vie sociale, comme nous l’avons déjà remarqué, sont une des grandes préoccupations du xviiie siècle ; tandis que les joies du foyer domestique semblent peu goûtées alors. Boissy nous peint l’agitation stérile d’une société où les riens se substituent aux choses sérieuses et les liaisons passagères aux affections durables.20
Boissy ne vise pas à la correction du vice de ses caractères les plus stéréotypés. Son théâtre s’applique davantage à les analyser, à les nuancer et à en montrer l’opposition dans des caractères vertueux qui finissent par être récompensés à la fin de la pièce. Boissy s’attarde à peindre les différents visages que peut prendre le ridicule au travers du discours davantage que de l’action. La pièce La Fête d’Auteuil apparaît comme significative de cette volonté puisqu’elle ne met jamais sur les planches le type de caractère, l’aimable, dont elle se veut faire la critique. Ce sont les personnages de la comtesse et de Laure qui en dressent le portrait.
Boissy refuse l’idée de proposer des personnages caricaturaux qui n’ont aucune nuance, aucun libre arbitre sur leur vie. En ce sens, il s’inscrit dans la pensée des Lumières. Ce ne sont pas des personnages à condamner que présentent Boissy. Il ne montre pas aux spectateurs ce qu’il faut ou ne faut pas être. Le théâtre de Boissy est un théâtre moral, il s’agit davantage d’éveiller le libre arbitre des spectateurs au travers des personnages, à la vue du déploiement de la vertu et de la raison.
La Fête d’Auteuil : entre ruse et métathéâtralité §
La réception de la pièce §
La Fête d’Auteuil ou la Fausse Méprise est jouée pour la première fois le 23 août 1742 à la Comédie-Française. Elle est jouée le même jour que L’Avocat patelin, pièce de David-Agustin de Brueys, jouée pour la première fois en juin 1706. On fait jouer la pièce de Boissy avec une comédie qui est sûre de remporter le succès du public. La pièce de Boissy remporte un certain succès puisqu’elle est jouée 12 fois de suite, et une fois à Versailles en décembre de la même année. Elle n’est plus rejouée par la suite. Le Mercure de France parle peu de la pièce, et ne fait que relever sa présence21.
La pièce met en scène le personnage de la comtesse, jeune veuve que son oncle le Commandeur veut remarier avec le fils d’un de ses proches amis, le Marquis. Celui-ci est présenté d’emblée comme étant très beau, ce qui effraye la comtesse. Elle élabore alors un stratagème avec son frère Damon afin que celui-ci, revenant travesti du bal parisien de la veille, se fasse passer pour elle auprès du Marquis. Ainsi, la comtesse pourra observer le marquis sous le rôle d’une amie de la comtesse, Hortense, et juger de son caractère sans être trompée par ses charmes. Ils ignorent néanmoins que le marquis qui se présente à eux n’est autre que Laure, jeune fille abandonnée par le marquis qui lui a préféré le parti plus riche de la comtesse. Elle aussi a assisté au bal de la veille, et c’est là qu’elle a imaginé sa ruse. Elle se présente à eux en étant travestie en Marquis afin de tourner en ridicule le marquis et de séduire la comtesse, pour mieux l’abandonner ensuite. Elle est accompagnée de Finette, sa suivante elle aussi travestie en hussard.
La pièce met donc en place un double stratagème de tromperie et de travestissement qui va permettre à Boissy de mettre en œuvre sa critique du caractère du beau jeune homme, satirisé puisque c’est une femme qui le joue, mais aussi de mettre en avant l’importance des sens et du sentiment, puisque les personnages, qui sont trompés par la vue, sont véritablement charmés l’un par l’autre.
La pièce dans l’œuvre de Boissy §
La Fête d’Auteuil est jouée deux ans après le plus grand succès de Boissy, Les Dehors trompeurs, une des pièces les plus connues de Boissy. On retrouve le même thème de la tromperie de l’apparence, du masque dans le cadre du jeu amoureux. En 1741, deux nouvelles comédies de Boissy L’Embarras du choix et L’Homme indépendant ne rencontrent que très peu de succès à la Comédie-Française avec respectivement cinq et une représentation. Louis de Boissy est alors un auteur reconnu et apprécié, dont les pièces sont fréquemment reprises à la Comédie-Française. La Fête d’Auteuil semble être une forme de consécration des thèmes qu’affectionne Boissy, c’est-à-dire le portrait ambigu d’un caractère de théâtre, ici le marquis fat et aimable, ainsi que le thème du déguisement, et de la société masquée. Pamela, la pièce qui succède à La Fête d’Auteuil, reprend ce thème du travestissement. Il n’est cependant pas évident de situer l’œuvre de Boissy puisque c’est un auteur dont les textes ont été à la fois représentés chez les Italiens et chez les Français.
La dramaturgie de la pièce §
La pièce est composée d’une double action : à la fois la volonté de la comtesse de faire tomber le masque du marquis, et la volonté de Laure de se venger de celui-ci et de ridiculiser la comtesse. Ces deux intrigues se font en simultanée, sans que les personnages soient au courant. Tous essayent ainsi de tromper l’autre. La structure de la pièce est une structure classique composée de cinq parties.
Tout d’abord, la pièce s’ouvre sur la comtesse, jeune veuve promise par son oncle au marquis. Elle redoute ce mariage en raison de la façon dont il lui est présenté, c’est-à-dire comme un bellâtre. Le marquis est annoncé le soir même. Cela déclenche la ruse de la comtesse, qui fomente donc le plan du travestissement avec Damon, son frère. La rencontre a ensuite lieu entre le marquis et Damon, déguisé en comtesse. Finette, servante de Laure déguisée en hussard, rencontre Crispin, un vieil amant à elle. La situation se dramatise au moment où le commandeur revient et il annonce vouloir marier le soir même à la fois la comtesse, mais aussi Damon avec une baronne. Il dit aussi vouloir voir le marquis qu’il connaît. La situation se résout finalement lorsque Damon et Laure se démasquent. La comtesse annonce alors s’en tenir au veuvage.
La seconde intrigue de la pièce — celle de Laure et de sa ruse — suit elle aussi un schéma similaire, sauf que l’intrigue est racontée par le personnage au lieu d’être mise en scène. La présence de ce personnage permet au schéma classique de la comédie de se réaliser. Alors que le début de la pièce laisse entendre que le mariage qui aura lieu à la fin sera celui de la comtesse, l’auteur entraîne un retournement de situation avec le personnage de Laure.
L’exposition du caractère de Laure se fait à la scène 9 de l’acte I au travers d’une discussion avec Finette, sa confidente. Elle lui relate les évènements de la nuit passée qui l’ont conduit à prendre la place du marquis auprès de la comtesse. Laure discute avec Finette du bal de la veille, et évoque son abandon par le marquis au profit de la comtesse, après que celui-ci a fait des promesses de mariage. Son intrigue s’est mise en place lorsqu’elle l’a rencontré au bal et elle imagine un plan pour se faire passer pour lui auprès de la comtesse, tout en le mettant hors d’état de nuire en le faisant enfermer. Elle rencontre alors Damon, en pensant qu’il est la comtesse, et tente de le séduire. Le retour du commandeur précipite les évènements. Se trouvant dans une impasse, elle se prépare à fuir, mais avoue tout à Damon, dont elle s’est prise d’amitié. Ils annoncent leur mariage à tout le monde.
La deuxième intrigue, celle de Laure prend le pas sur celle de la comtesse à l’acte II, avant que les deux ne se rencontrent à l’acte III. La résolution de l’intrigue du mariage de la comtesse est un résultat de celle de Laure. La situation de la comtesse se résout d’ailleurs assez rapidement, puisqu’elle annonce simplement renoncer au veuvage. Cette double action, qui est à l’origine de l’aspect comique de la pièce, permet aussi de respecter les conventions de la comédie, c’est-à-dire la nécessité d’une fin heureuse et d’un mariage, tout en permettant à son personnage de comtesse de prendre un choix différent de celui qui serait attendu d’un caractère de jeune veuve.
Laure et la comtesse sont les personnages les plus présents sur scène et qui disposent du plus grand temps de parole22. Ce sont les personnages qui rythment l’action de la pièce. Il est intéressant de voir de tels personnages comme personnages principaux étant donné que ce sont souvent des rôles secondaires que celui de la veuve et de la jeune fille abandonnée. Elles font l’action en élaborant chacune une ruse. Par leur double ruse, ces personnages amènent le comique dans la pièce qui découle de la méprise de tous les personnages et du savoir que possède le spectateur par rapport à ceux-ci. Il y a un aspect métathéâtral à cette façon de mettre en action la pièce. Les personnages prennent le rôle de metteuses en scène et le spectateur peut ainsi voir comment l’action se crée. Ces personnages mettent en scène leur vie en s’en distançant par la ruse. Laure et la comtesse agissent comme des metteuses en scène : elles ne subissent pas les évènements et se distancient toutes deux de leur être. Boissy se plaît dans ses pièces à mettre en scène la fonction du dramaturge, position de toute puissance créatrice.
Boissy est un grand amateur de ce que l’on pourrait appeler « la syllepse dramatique », discours à double entente dont les propos peuvent se lire par rapport à la situation dramatique des personnages, mais aussi avec le regard en surplomb du spectateur, ou — encore mieux — du créateur des êtres de papier. Notre dramaturge se regarde en train d’écrire, et multiplie les clins d’œil à sa position de démiurge.23
Toute l’action de la pièce est rythmée par la double ruse. Le caractère comique de la pièce découle de là. Par leurs masques, elles se distancient de l’action directe et observent à distance la ruse qu’elles ont mise en place se déployer devant elles.
L’intrigue de la pièce est largement inspirée de la pièce de Marivaux La Fausse suivante représentée pour la première fois en juillet 1724. La pièce met en scène le personnage d’une riche demoiselle de Paris travestie en chevalier, qui est convoitée par Lélio. Lors d’un bal, alors qu’elle est sous le masque du chevalier, elle rencontre Lélio et la comtesse, auprès de qui il est engagé, mais dont il veut se débarrasser pour le parti plus riche qu’elle constitue Cette dernière est invitée, comme chevalier, auprès de lui et de la comtesse et celle-ci profite de l’occasion pour sonder le cœur de Lélio, qui apparaît comme un homme volage, et pour finalement sortir la comtesse, qui est une femme frivole, de la situation d’un mariage malheureux. On retrouve les mêmes thèmes du travestissement, de la séduction et de la ruse. Dans la pièce de Boissy, tous les personnages sont les dupes des autres. Il modifie l’intrigue en faisant de Laure la femme abandonnée, qui est ainsi proche de la comtesse dans la pièce de Marivaux, et il fait de la comtesse le riche parti pour lequel Laure a été abandonnée. L’intrigue commence elle aussi lors d’un bal lors duquel Laure croise le marquis occupé à évoquer son prochain mariage. Le personnage du marquis est cependant absent de la pièce.
Aucun des personnages féminins n’est passif dans la pièce de Boissy. Si Laure veut se moquer de sa rivale, elle ne se doute pas que celle-ci est aussi rusée qu’elle et qu’elle va à son tour se retrouver dupée. Laure ne vient pas pour prévenir la comtesse du caractère du marquis, mais elle vient pour s’en moquer, comme elle le clame au vers 414-417 à la scène 8 de l’acte I : « J’espère, que par mon art, par mes airs séducteurs, / D’abuser ses esprits crédules, / Et je lui dirai des douceurs, / Pour mieux trouver ses ridicules. ». Il y a vraiment une volonté de vengeance dans son action, ce qui rompt avec l’image de la jeune fille douce et pure qui est véhiculée à cette époque. Elle est finalement touchée par la personne de la « comtesse » et lui avoue être sa rivale lors de la scène 8 de l’acte III. Le thème du triangle amoureux est ici repris et complexifié par Boissy, pour en faire un véritable ressort comique puisqu’aucun personnage ne connaît l’entièreté des enjeux de la situation. L’absence du marquis dans la pièce, qui semble être, selon la description du commandeur et de Laure, identique au caractère de Lélio, montre la volonté de Boissy de développer davantage d’autres types de personnages et de les complexifier.
Les femmes de la pièce sont les instigatrices de la ruse. Laure, qui entre en scène à la fin de l’acte I possède davantage de temps de parole que la comtesse. Elle apparaît ainsi comme le personnage majeur de la pièce. La comtesse est davantage en retrait dans l’acte II et laisse place à l’histoire de Laure et de Damon. La comtesse paraît ainsi déployer le cadre pour que l’action comique de la double ruse puisse prendre place. Ainsi au début de l’acte I, la comtesse présente la situation initiale et élabore son plan avec Damon, afin que Laure puisse entrer en scène et complexifier l’action, et la rendre comique. La comtesse est le seul personnage avec Crispin qui possède des monologues.
L’action de la pièce est ainsi rythmée par la double ruse de Laure et de la comtesse, et par les quiproquos qui découlent des différents travestissements. Ceux-ci apparaissent comme un outil comique majeur, permettant la confusion des différents personnages. Cependant, le travestissement des différents personnages semble aussi remplir un autre rôle, puisqu’il permet de mettre en valeur les différents codes qui régulent les relations entre les individus. Il permet aussi de les dépasser, et de permettre aux individus d’expérimenter davantage de liberté, en sortant de leur rôle.
Le masque et le langage amoureux §
Une société mondaine en recherche de vérité §
Le travestissement à l’époque classique §
Du xvie au xviiie siècle prend place une forme de fascination pour la figure de l’hermaphrodite. L’hermaphrodite, individu qui possède à la fois les caractéristiques physiques du sexe féminin et du sexe masculin, questionne la définition que l’on a de l’homme et de la femme. Cette fascination représente aussi toute la réflexion autour de l’homme et de l’influence de la société sur ses caractéristiques innées ou acquises. Comment définir le « genre » d’un individu qui possède les attributs des deux sexes ? L’hermaphrodite se place ainsi en plein cœur de la question de l’état de nature24, avant la mise en place des sociétés humaines. Certains penseurs voient même dans l’hermaphrodisme l’état originel de l’homme pré-adamique, l’état de nature. Il expose par sa présence l’artificialité des caractéristiques que l’on prête à un « genre » ou à un autre. Si l’hermaphrodite fascine à cette époque-là, c’est bien parce qu’il révèle les constructions sociales qui entourent l’individu. Il apparaît comme une sorte d’allégorie : il est l’homme à l’état de nature, qui n’a pas encore été classé, modelé, perverti par la société. C’est un individu entier, en dehors des normes sociales. Il représente l’idée selon laquelle c’est la société qui pervertit l’individu en le modelant selon une certaine conception du « genre ».
Le travesti, au même titre que l’hermaphrodite révèle cette artificialité en endossant un déguisement, en se faisant passer pour un autre sexe, et avec succès. Si son corps possède un sexe unique, il représente dans son apparence l’artificialité des conventions liées au sexe. Le sexe ne se définit ainsi pas tant par des caractéristiques physiques, mais par des façons, des comportements. Se travestir se définit à l’époque comme le fait de « déguiser en faisant prendre l’habit d’un autre sexe ou d’une autre condition », mais aussi figurément de « déguiser son caractère25 ». Dans la scène 6 de l’acte I au vers 254, Crispin dit ainsi à Damon, déjà vêtu comme la Comtesse : « Madame, et vous, de grâce, ayez plus de douceur. ». C’est par ses actions que le personnage travesti parvient ou non à se masquer aux autres.
Il y a trois travestissements dans la pièce : celui de Laure, celui de Damon et celui de Finette. Les personnages, en endossant un certain vêtement attribué à un sexe différent du leur, prennent, consciemment ou non, les caractéristiques que l’on prête au sexe masculin ou au sexe féminin. Leur travestissement les entraîne parfois dans des scènes de quiproquo très comiques. Dans la scène 4 de l’acte II, dans laquelle Laure cherche à tout prix à sortir un aveu d’amour de la bouche de Damon, dans une insistance tout à fait masculine. La réserve et la pudeur dont fait preuve Damon sont également tout à fait significatives de son travestissement, ce qui renforce l’aspect comique. Le spectateur est le seul à avoir une vision complète du tableau qui se joue devant lui et savoure le quiproquo de la scène. L’action de se travestir permet d’exagérer les traits des caractères, tout en mettant en valeur l’artificialité des vêtements et de l’apparence. Le travestissement, qui consiste uniquement en un changement de vêtements montre l’importance que celui-ci prend dans la caractérisation d’un individu. Laure, qui ne sort jamais de son costume masculin, agit avec une grande liberté tout au long de la pièce, liberté que lui permet son apparence masculine. Le travestissement au théâtre permet alors de révéler le vêtement comme un costume, définit dans l’édition de 1740 du dictionnaire de l’Académie française comme une règle sociale, et pas du tout comme un accoutrement.
Le travestissement féminin de Laure, tout autant que le travestissement de Damon, révèle la plus grande liberté du sexe masculin. En devenant un homme aux yeux de la société, elle n’est plus assujettie aux mêmes contraintes de convenances. Son vêtement la libère.
Le rêve de transvestisme, qu’il soit ou non le produit d’imaginaires masculins, qu’il fasse rire ou qu’il fascine, qu’il vise une modification vestimentaire de détail ou une réforme complète, est une manière de reconnaître une supériorité : la liberté que donnent des habits allégés, solidaires du corps et aptes aux activités de plein air.26
Le théâtre est le lieu où l’on prend un rôle au travers d’un vêtement, d’un costume. L’apparence est toujours le résultat d’usages sociaux. La scène permet de mettre en valeur l’écart qu’il y a entre l’être et le paraître. Dans la scène 2 de l’acte II, scène de première rencontre entre Finette, déguisée en hussard, et Crispin, qui pense reconnaître Finette derrière son costume et veut la mettre à l’épreuve, Finette tente d’écarter les doutes de Crispin en jouant son rôle de hussard comme elle le montre aux vers 643-647. C’est une scène particulièrement savoureuse puisque le spectateur peut avoir un accès direct à la pensée du personnage de Finette qui se métamorphose en hussard :
Ne perdons point la tête, & défendons la placeEn cette rude extrémité ;Pour mieux combattre l’effronté,Il faut payer d’un plus grande audace,Et nous armer le front d’un mâle fierté.
Finette, se sachant reconnue, va adopter le comportement d’un hussard. Elle décrit alors les différents stratagèmes qu’elle met en œuvre pour tromper son adversaire. Elle rentre dans son personnage sur scène, en prenant les manières du rôle qu’elle doit jouer. Pour être crédible dans son déguisement auprès de Crispin, elle s’approprie les stéréotypes du hussard : la témérité, la provocation, la fierté… Se faisant, elle expose l’artificialité de son personnage et de la façon dont un individu est perçu dans la société. Les rapports humains apparaissent comme absolument codifiés, les individus rentrent dans le rôle qui est attendu d’eux. C’est une forme de contrat social qui est mis en valeur ici : chaque homme correspond à un type de personne et il se doit d’incarner les caractéristiques que l’on prête à ce type au nom du bon fonctionnement de la société.
Le travestissement peut être vu comme un jeu sur les convenances sociales. Ces convenances apparaissent comme étant artificielles parce qu’elles dépendent d’un genre, de la conception que la société se fait d’un certain individu. Finette, pour éloigner Crispin, ne s’appuie pas tant sur son aspect physique, qu’elle sait reconnaissable, mais sur la façon dont elle se meut dans l’espace. En aparté, elle décrypte les comportements qui sont attendus de son personnage, et de fait les ridiculise en montrant leur superficialité. Boissy utilise ici un moyen détourné pour faire la satire des hommes militaires et de leur fierté déplacée, comme aux vers 727-732 :
Je sais qu’il est poltron, feignons d’avoir du cœur,Pour soutenir mon rôle, et pour lui faire peur.A Crispin, mettant le sabre à la main.Dans ma fuite toujours, malheur à qui m’arrête ;Gardes toi d’approcher, ne retiens plus mes pas,Ou, par la mort, avec ce coutelas ;Je te ferai l’honneur de te trancher la tête.
Le travestissement au théâtre est un ressort comique immense qui trouve son origine dans l’ironie dramatique de la scène, puisque le spectateur en sait toujours plus que certains personnages, mais le travestissement permet aussi de moquer les ridicules de certains caractères en les exagérant et en les grossissant. Dans le théâtre comique, le travestissement masculin — vers le féminin — est généralement utilisé de manière burlesque, pour amplifier des traits féminins de personnages souvent marginaux (vieilles femmes, …). Ici, le travestissement se fait plus en défaveur de certains ridicules masculins, comme la témérité du hussard, représenté par le personnage de Finette dans la scène 2 de l’acte II. Le personnage de Laure, au travers de son travestissement, caricature le personnage du petit marquis, aimable et séducteur. Le travestissement de Damon, en comtesse, ne ridiculise pas le sexe féminin, même s’il prend les manières d’une coquette, ce qui le ridiculise davantage lui. Il faut noter que Damon ne sort jamais de son costume et reste tout au long de la pièce travesti en femme, ce qui n’était pas courant à l’époque.
Le travestissement permet aux personnages d’affirmer davantage leur individualité, et de sortir de leur rôle habituel, tout en respectant les convenances de la société et sans en perturber l’ordre : « Arracher les masques, c’est détruire la sociabilité ; sait-on ce qu’on risque, et si on parviendrait ainsi à une quelconque vérité27 ? ». Chaque personnage joue le rôle qui est attendu de lui et malgré la volonté des personnages de ne pas se plier aux exigences d’autrui, il y a toujours un respect des conventions. Le travestissement permet à Laure de sortir de la réserve et de la prudence qui est attendue d’une jeune fille à cette époque, comme elle le dit à la scène 9 de l’acte I aux vers 432-434 :
FINETTE.[…]Mais vous vous écartez un peuDe cette prudence parfaiteDont vous avez toujours si bien suivi les lois.
LAURE.Tout est permis un jour de bal, Finette,Et pour venger d’ailleurs, l’injure qui m’est faire,On doit me pardonner d’y manquer une fois.
La comtesse, malgré ses doutes, n’ose pas dire à son oncle qu’elle ne veut pas se marier, comme elle n’ose pas affronter le marquis en lui disant qu’elle ne veut pas de lui. Damon, dans la scène 1 de l’acte III, préfère fuir un mariage qu’il ne désire pas plutôt que de se placer contre son oncle. Le déguisement permet de jouer avec les conventions sans les briser, afin de ne pas rompre l’harmonie de la société. Il ne s’agit pas dans la pièce d’une révolte contre la société, puisque les personnages se plient aux règles du jeu. La ruse employée paraît ainsi nécessaire aux personnages pour atteindre ce qu’ils désirent.
C’est dire que l’individu se façonne plus ou moins consciemment en fonction de l’idée qu’il croit qu’on a de lui, cette idée n’étant alors qu’un écran à l’usage du public, médiatrice interposée entre le moi et le monde. Et puisque ce masque n’est au fond que le résultat d’un accord tacite entre celui qui le porte et ceux qui le regardent, celui-là est obligé de le maintenir intact : condition — sans quoi le spectacle risque de s’écrouler — de leur consentement, à eux, à ne pas le révoquer en doute.28
Ce n’est qu’au moment où les masques tombent, que la comtesse révèle qu’elle s’en tient au veuvage. Les personnages sont tous bien conscients du masque qu’ils portent et jouent avec celui-ci, sans jamais rompre ouvertement les attentes autour de leur rôle. Cela amplifie aussi le fait que la pièce se déroule dans une sphère privée — sphère privilégiée de la comédie — puisque ce n’est que là que les personnages peuvent ruser et se dévoiler auprès de leurs proches.
Le personnage de Laure ne peut être pleinement elle-même que sous les habits masculins. Le masque révèle le personnage, qui se laisse à être lui-même, se sentant protégé par son rôle. Il n’est plus soumis au regard constant d’autrui sur sa propre personne, et peut donc laisser celle-ci filtrer sous son déguisement. Il s’agit ainsi de prendre un rôle pour se défaire d’un autre.
Le travestissement permet aussi aux personnages de se connaître davantage eux-mêmes, en dehors des conventions liées à leur genre. Le travestissement est un thème souvent repris dans les comédies de l’époque, en témoigne notamment les pièces de Marivaux L’Épreuve, représentée pour la première fois en 1740, ou encore La Fausse suivante précédemment évoquée. Le déguisement dans les comédies de mœurs apparaît comme un moyen pour les personnages de cerner l’être qu’ils ont en face d’eux, sans se dévoiler eux-mêmes. Il ne s’agit plus tant de piéger ou de ridiculiser un caractère en faisant ressortir ses pires travers, comme cela advient souvent dans les pièces de Molière telles que Le Bourgeois Gentilhomme, mais de parvenir à sonder le cœur d’un individu, chose qui paraît comme impossible sans le déguisement.
La ruse et le travestissement permettent aux personnages d’agir plus librement, sans ressentir le poids des conventions sociales. Tous les personnages sont bien conscients de leur situation dans la société et des conventions qui en découlent. La comtesse, en tant que femme noble, ne peut s’exprimer en toute sincérité face à son oncle ou face au marquis. Les personnages sont enfermés dans le rôle qui leur a été attribué par la naissance et la condition sociale, et seul le déguisement permet de s’exprimer pleinement. Le déguisement apparaît ainsi comme un moyen pour les personnages de se défaire du poids des conventions qui pèsent sur eux, sans subir les conséquences de leurs actions directement. Le masque agit ainsi comme une véritable protection face au monde. Il faut se masquer pour pouvoir exister sans tomber dans les illusions. Ce que met en valeur la pièce de Boissy, c’est le masque permanent que tout le monde porte. Il n’y a que deux personnages dans la pièce qui ne sont pas masqués, Crispin et le commandeur. La pièce de Boissy n’est pas une pièce à caractère moral puisque le masque n’est jamais réellement dénoncé dans la pièce. Il apparaît ainsi comme une nécessité dans un monde où tout le monde est masqué en permanence. L’authenticité des rapports n’est pas vue comme un fait existant. Le masque finit par être percé, mais il n’y a pas réellement de leçon à tirer de cela. Il a permis à la comtesse de s’affirmer, à Laure et à Damon de se découvrir sans céder aux artifices.
Les conventions liées au sexe §
En prenant un rôle différent du leur, les personnages mettent en lumière les codes sociaux. Le genre masculin apparaît comme étant plus audacieux et insistant, tandis que le rôle féminin est de résister, de montrer une réserve face aux séductions masculines. Damon et Laure rentrent pleinement dans ces rôles dans la scène 4 de l’acte II. Laure tente alors d’obtenir des aveux de la part de Damon, alors que celui-ci essaye à tout prix de la ménager. Si Damon agit ainsi parce qu’il se sait homme et qu’il est mal à l’aise de se retrouver dans la position inverse à celle dont il a coutume, sa réaction a toutes les caractéristiques que l’on prête à la femme : la pudeur, la réserve.
Comment ! pour vous le goût n’est pas assez ;Vous voulez qu’on vous aime encore !Mais je vois que de l’air dont vous enchérissez,Vous prétendrez bientôt qu’on vous adore ?Voilà, Messieurs, comme vous êtes tous :Qu’on vous accorde une demande,C’est un droit, un titre chez vous,Pour presser aussitôt, pour exiger de nousUne faveur encore plus grande.
La femme, à l’inverse de l’homme est considérée au xviiie siècle comme étant gouvernée par ses passions et incapable de raisonner face à une situation, d’autant plus face à une situation à caractère amoureux. Cette vision de la femme se perçoit d’ailleurs à la scène 8 de l’acte II, lorsque le commandeur interagit avec la comtesse et que celle-ci tente de lui exprimer ses doutes sur le marquis. Il interprète ses balbutiements comme de la pudeur et de l’émotivité : « Il suffit, va ton trouble / M’en dit plus que tous les discours. ». La façon dont ce dernier met en avant la beauté du marquis avant toute autre caractéristique dans la première scène de l’acte I, montre aussi une certaine conception de la femme comme un être superficiel, incapable de voir au-delà des apparences et dont seuls les sens sont en éveil :
Tu fais en vain la résolue,Ma Nièce, il est fait de façonQu’il te subjuguera dès la première vue.A l’aspect d’un si beau garçon,Tu voudras qu’au plus tôt l’affaire soit conclue.
Rousseau, dans le chapitre sept de L’Émile ou de l’éducation, parle de l’« extrême sensibilité29 » des femmes. Elles sont incapables de rationaliser ce qu’elles ressentent. Soumises à leurs sens, elles se laissent facilement charmer par les charmes masculins, n’étant pas capables de se détacher de leur sens pour appréhender le réel.
Les femmes n’en sont pas pour autant avantagées, car l’excès de leur sensibilité bloque ce développement : trop de sensations empêchent la maturation des idées, le passage du sensible au conceptuel. Elles s’arrêtent donc au premier stade, celui de l’imagination, et d’une imagination négative, peuplée de « fantômes de toute espèce », une imagination enfantine (« O femmes ! Vous êtes des enfants bien extraordinaires » : Diderot), incontrôlable et dangereuse si elle n’est pas réprimée. À cause de cet excès de sensibilité, concentration et réflexion approfondie leur sont impossibles. Incapable de conceptualisation poussée, leur raison est une « raison pratique » (Rousseau) qui doit se tourner vers le concret.30
Aux hommes on attribue ainsi la réflexion et la recherche de principes, tandis que l’apanage de la femme est l’observation des détails : « La femme a plus d’esprit mais moins de génie. Elle observe, l’homme raisonne31 ». Les xviie et xviiie siècles voient cependant émerger de plus en plus une pensée critique par rapport à cette infantilisation de la femme. Dans la réflexion qui occupe le siècle sur le statut de l’homme dans la société, les attributs prêtés au sexe féminin sont remis en question comme étant eux aussi des conséquences de la vie sociale. Si l’on est encore loin des théories du genre qui se développeront dans la deuxième moitié du xxe siècle, le xviie et le xviiie sont des siècles où l’on réfléchit beaucoup à la manière dont les individus sont transformés par la société. La femme, au même titre que l’homme, devient un être façonné par la société et par ses règles sociales.
Tant la comtesse que Laure proclament l’envie d’agir par la raison. La comtesse veut observer de loin son prétendant, pour ne pas se laisser tromper par ses émotions et percevoir le marquis tel qu’il est. Elle veut d’un mariage qui soit sous le signe de la raison et non plus de l’illusion amoureuse.
Je tremble, dans le fond de l’âme,Que ce Marquis charmant, qui va se présenter,Ne soit un fat, plus propre à coqueterQu’à faire dans le fonds le bonheur d’une femme.C’est un point capital, dont je veux m’éclaircir :
Les personnages féminins de Boissy se présentent en accord avec cette théorie, même si les attentes propres à leur sexe semblent intégrées dans la vision que les personnages masculins portent sur elles, et qu’elles portent parfois sur elles-mêmes. La comtesse et Laure sont des personnages très conscients des enjeux de la séduction masculine, ayant toutes deux expérimenté de mauvaises relations. Le jeu amoureux est pour elles un véritable duel, dans lequel la ruse est une arme nécessaire face aux séductions masculines. Le déguisement semble leur permettre d’occuper un espace différent et de les rendre ainsi plus libres de leurs mouvements. Dans l’action de se déguiser, et encore plus de se travestir, il y a une volonté de rompre avec les exigences qui pèsent sur elles, et de s’affirmer comme des individus.
Le déguisement dans la pensée des Lumières §
L’usage du déguisement permet aux personnages de se révéler davantage. Ils se montrent à l’autre plus pleinement, une fois libéré du poids des conventions qui pèsent sur eux. Il les libère du regard de l’autre sur leur extériorité, ils se sentent ainsi protégés. La comtesse se place comme une « metteuse en scène » de sa propre vie. Elle choisit le rôle qu’elle veut avoir et se retire elle-même de l’action de la pièce. La société impose la contrainte du rôle et il faut ruser pour voir au-delà de celui-ci. La comtesse ne se travestit pas, mais masque son identité. Elle met un voile pour se dissimuler en observatrice de la scène. Il y a un dédoublement dans le déguisement.
Le déguisement apparaît comme nécessaire pour que les personnages puissent se révéler à eux-mêmes. Il est permanent dans la société, tous les personnages jouent un rôle. Revêtir un nouveau vêtement, c’est se donner plus d’espace de jeu, d’expérimentation. L’amour est un jeu dangereux dans lequel il faut parvenir à déceler la vérité. Chaque personnage est conscient que l’autre en face de lui joue aussi un rôle, même s’il ne sait pas toujours précisément lequel.
Le titre apparaît ainsi dans sa lumière : il n’y a pas de véritable méprise, ou du moins pas vraiment, puisqu’au cœur de la méprise il y a toujours une vérité qui s’exprime. La méprise est nécessaire pour pouvoir voir l’autre et pour pouvoir se faire voir de l’autre.
Il y a évidemment aussi une vision métathéâtrale qui se déploie dans l’usage du masque. Le personnage qui se masque est en vérité un acteur qui joue le rôle d’un homme qui prend un rôle. Boissy met ainsi en exergue le rôle de miroir de la société que prend le théâtre et souligne l’importance de ce qu’un masque révèle. Le théâtre, bien que représentation et fiction, n’en est pas moins un miroir. Ce n’est pas parce que ce que l’on voit est imaginé, masqué que ce n’est pas un reflet véritable du monde. Le double masque des personnages permet de souligner le rôle du théâtre. Il s’agit ainsi de titrer des leçons de ce que l’on voit, même si tout est voilé.
Boissy développe une réflexion sur la place du rôle qu’on occupe, de la situation dans laquelle on vit. Laure se plaît dans le rôle du Marquis, à séduire ardemment la comtesse. Forme de contingence qui s’exprime ici. À l’inverse de la pièce de Marivaux, la pièce de Boissy ne veut pas ridiculiser un certain type de personnage. Elle appelle à une forme d’indulgence qui s’inscrit dans la pensée des Lumières. Tout le monde joue en permanence un rôle duquel il est difficile de sortir. Les personnages de la pièce se retrouvent dans la peau d’un autre, et endossent ainsi ce rôle. Le théâtre met en lumière cet aspect de la société et montre chez Boissy la nécessité d’une forme d’indulgence. Si Boissy critique certains ridicules de la société, il n’en fait pas le procès. Il s’agit pour lui d’exprimer que tous, autant les caractères les plus ridicules que les âmes nobles, sont pris dans le jeu de la société et des apparences. La ruse et le masque sont des moyens de survie, qui sont utilisés par tout le monde.
Pièce éminemment métathéâtrale, puisque Boissy montre comment les caractères sur la scène sont toujours le résultat d’attendus et de stéréotypes, destinés à plaire au spectateur. Il appelle ainsi à une forme d’indulgence envers ces caractères, de marquis et de coquette qui sont souvent plus que ce qu’ils sont. Tout est un rôle, ce que l’on voit au théâtre ce sont des personnages qui jouent des rôles de manière consciente ou non. Tout le monde rentre dans les codes qui sont attendus de lui par la société, mais un caractère n’est pas un autre et il est facile d’être berné par les apparences. La pièce apparaît comme une réponse à la pièce de Marivaux. Chaque personnage est perçu comme un stéréotype comique par les autres, mais aucun personnage n’est-ce que l’autre pense qu’il est. Laure est vue comme un marquis fat et aimable, Damon comme une coquette, la comtesse comme une personne hautaine, finette comme un hussard va-en-guerre. Il n’y a que Crispin qui est ce qu’il est, mais il est aussi emporté dans le jeu des illusions.
Les caractères de la pièce : une critique de la mondanité §
Des personnages masculins en arrière-plan §
Les personnages masculins de la pièce, Damon, le Commandeur, Crispin sont des personnages secondaires. Le marquis, absent physiquement de la pièce, représente un type d’hommes aimables et intéressés, pour qui le mariage n’est qu’une affaire d’intérêts, et qui tire sa gloire de ses conquêtes. Il représente le type de l’aimable, du libertin. S’il n’est pas présent dans la pièce, c’est Laure qui le représente auprès de Damon et de la comtesse. La représentation qu’elle en fait est celle d’un flatteur, qui cherche la conquête davantage que l’amour et se prépare à fuir dès que vient la première difficulté. Il est aisé d’imaginer que le marquis est un personnage similaire à celui de Lélio dans La Fausse suivante. Le commandeur représente le personnage de l’autorité paternelle. Il est complètement sourd aux volontés de la comtesse et de Damon, et planifie pour eux des mariages qu’ils ne désirent pas. C’est lui cependant qui est l’élément déclencheur de l’action lorsqu’il annonce le mariage du marquis avec la comtesse lors de la première scène de l’acte I, et il précipite les évènements à la scène 8 de l’acte II, en revenant à Auteuil et en annonçant le mariage de Damon avec la baronne, une amie du commandeur. Le statut de Crispin un peu différent : il connaît Finette, semble la reconnaître, mais se laisse pourtant berner par son jeu. Il soupçonne cependant qu’il y a ruse. Damon, quant à lui, est une marionnette dans le plan de la comtesse, et sans le savoir dans le plan de Laure. Il ne perçoit pas du tout la ruse qui se passe et rentre pleinement dans son jeu.
La comtesse accuse Damon d’agir comme une coquette parce qu’il se laisse séduire par la flatterie que Laure lui fait dans la scène 6 de l’acte II.
Mon frère, ce jargon ne plaît qu’à des coquettes,Telle que vous seriez de l’humeur dont vous êtes,Si vous étiez vraiment du sexe dont je suis ;
La grande coquette au théâtre est l’équivalent féminin du marquis, c’est-à-dire un personnage qui cherche à séduire sans aimer réellement. Elle se laisse séduire par les stratagèmes que met en place son prétendant, sans chercher à voir plus loin que les beaux discours. L’amour est pour ce personnage un simple jeu, dans lequel aucun sentiment n’est réellement impliqué. Ce sont en soi les personnages qui représentent le mieux cette société d’apparence et de séduction. Damon se laisse pleinement tromper par les mots de Laure et peine à comprendre pourquoi la comtesse ne veut pas se résoudre à l’épouser. Boissy se moque des caractères de coquettes, mais critique aussi ceux qui s’en moquent trop facilement puisque Damon se comporte comme une coquette lorsqu’il est travesti en femme.
Le jeu de miroirs qui se joue entre Laure et Damon, entre marquis et coquette, est significatif des emplois au théâtre. La coquette est l’emploi féminin équivalent à celui du marquis. Boissy ridiculise ces deux rôles en en faisant des travestis. Il insinue par-là que le personnage du marquis, qui est un fat et un aimable, est l’équivalent d’une femme déguisée en homme, tandis que le personnage de la coquette, est un homme déguisé en femme, c’est-à-dire une constante caricature de lui-même. Ce sont des personnages qui ne sont jamais vrais, et qui jouent en permanence un rôle.
La critique de la beauté masculine §
Au début du xviiie siècle, on voit l’émergence d’une critique des « jolis hommes ». Ceux-ci sont des hommes qui cultivent leur beauté et leur aspect juvénile en ne cherchant pas à muscler leur corps. Ils mettent ainsi en valeur des critères qui sont davantage associés au sexe féminin : la finesse des traits, l’absence de muscles… La comtesse craint la beauté du Marquis, que son oncle lui vend essentiellement pour son apparence. Elle se méfie de ce genre d’homme qui met son apparence en avant et prétend que c’est une qualité qui appartient aux femmes. Tous ses doutes viennent de là : « […] espèce amphibie / Qui vole notre sexe et masque le sien. ». Damon, lors de la scène 11 de l’acte I, se montre très réservé lorsque Laure lui fait des compliments sur sa beauté. Il réagit en tant qu’homme, et ne veut pas du tout être associé aux « jolis hommes ».
Pour les femmes, la beauté est naturelle, pour les hommes c’est un masque. Ce qui compte davantage chez un homme est son caractère. Un homme qui met en avant sa beauté est un homme qui veut masquer son caractère et tromper l’autre. En utilisant la ruse du travestissement, c’est un moyen pour la comtesse de percer à jour le caractère de son prétendant sans risquer de tomber dans ses pièges. De cette nécessité pour la comtesse de passer par la ruse pour évaluer le caractère du Marquis, découle une conception de la femme comme un être soumis à ses émotions, qui ne parvient pas à les masquer aussi aisément que l’homme.
La beauté masculine est elle-même vue comme un travestissement, comme si les hommes se déguisaient en femme. La beauté comme un masque, et comme quelque chose de naturel à la femme, souligne une idée assez archétypale de la femme : soit comme un être naïf, mais donc pur, soit un être corrompu et séducteur. On retrouve cette conception dans la pièce de Molière de 1662 L’École des femmes, où le personnage d’Agnès est tenu à l’écart de la société pour rester un être pur, naïf… et soumis. Cette représentation de la femme est souvent présente dans la comédie, et particulièrement dans le personnage de la veuve. Ce n’est cependant pas le cas de la comtesse dans la pièce, qui bien qu’elle ruse n’apparaît pas comme un personnage machiavélique ou séducteur, mais comme un être raisonné, conscient des séductions du monde.
La beauté masculine est un thème important au xviiie siècle puisque la société voit l’émergence d’hommes qui reprennent les habitudes et marques féminines. En dressant le portrait des « aimables » que redoute la comtesse, Boissy fait le critique d’une société superficielle qui se cache entièrement derrière des masques. Si la beauté féminine est dite naturelle, celle des hommes est jugée artificielle.
L’assignation de la beauté à la femme est un lieu commun de l’époque moderne qu’on trouve aussi bien dans les dictionnaires les plus ordinaires que dans les traités consacrés à la beauté. S’interrogeant sur « ce plaisir si bizarre » qui le pousse à se travestir en femme, l’abbé de Choisy explique que la beauté est l’apanage des femmes : « Le propre de Dieu est d’être aimé, adoré ; l’homme autant que sa faiblesse le permet, ambitionne la même chose ; Or comme c’est la beauté qui fait naître l’amour, et qu’elle est ordinairement le partage des femmes, quand il arrive que des hommes aient ou croient avoir quelques traits de beauté qui peut les faire aimer, ils tâchent de les augmenter par les ajustements de femmes qui sont fort avantageux.32
L’homme dans la conception classique est celui qui protège les siens et se bat à la guerre. Il doit impressionner plus que séduire :
Les hommes ont le corps robuste fait de puissance, le menton et la grande partie des joues garnis de poils, la peau rude est épaisse parce que les mœurs et conditions de l’homme sont accompagnées de gravité, de sévérité, audace et maturité.33
L’émergence de la beauté masculine provient aussi d’une certaine image de la noblesse de cour. Louis XIV en obligeant la noblesse à se montrer à la cour de Versailles la force à se placer dans une position de séduction par rapport à lui, ce qui lui permet de raffermir son pouvoir sur celle-ci. Le rôle de la noblesse de cour n’est plus de défendre un territoire et de partir en guerre, mais de séduire le roi, d’être en permanence un courtisan redoutable et spirituel. Le lieu de la pièce, Auteuil, montre aussi une certaine distance par rapport à la cour de Paris, même si l’oncle de la comtesse veut faire « concurrence » à Paris. Il y a une vision de la cour de Paris assez corrompue, se distanciant d’une image glorifiée de la noblesse. La nouvelle arme de la noblesse, c’est le langage et l’apparence.
À la cour, faire couler le sang est exclu, mais la violence s’exprime par des mots, qui peuvent être autant de flèches et de traits d’esprit pouvant ruiner l’adversaire. La vie aulique implique de bannir de son comportement toute trace de spontanéité ; elle impose une compétition intellectuelle et oratoire permanente. Le langage est une arme redoutable et le ridicule peut tuer comme le montre la caricature que fait Molière de son bourgeois gentilhomme, qui ne connaît justement pas les usages du monde.34
Les attributs guerriers n’ont plus une influence aussi importante sur la position par rapport au roi et ne sont plus les signes de pouvoir qu’il faut mettre en avant, même si la vertu et l’honneur restent des attributs largement célébrés. Les nobles se retrouvent dans une position beaucoup plus passive et doivent mettre en avant d’autres attributs pour se faire bien voir et obtenir du pouvoir. Il s’agit d’un instrument de contrôle de la part du roi, puisque la noblesse se retrouve plus occupée à vouloir le séduire plutôt qu’à tenter de le renverser. Le but est de plaire.
La séduction devient ainsi une arme, une manière d’acquérir plus de pouvoir. Il faut savoir se masquer, charmer pour conserver sa position et acquérir davantage de pouvoir au sein de la cour.
La ruse féminine : entre nécessité et vengeance §
Laure et la comtesse sont les deux personnages principaux. Elles mettent toutes les deux en place une ruse, même si c’est pour des raisons bien différentes. Elles ont pourtant toutes deux conscience d’une forme de malhonnêteté masculine qu’elles veulent déjouer. Elles ne veulent plus être victimes des apparences trompeuses et s’approprient la situation. Elles sont les moteurs de l’action, même si elles vont être elles aussi dupées l’une par l’autre. On sent tout de même une certaine clarté des sentiments puisque toutes deux perçoivent indirectement le jeu de l’autre dès la première rencontre.
La ruse que met en place le personnage de Laure n’est pas identique à celle de la comtesse. La démarche de Laure de venir se venger du marquis, et ridiculiser sa rivale par la même occasion s’inscrit dans la volonté de ne pas être enfermée dans son statut de femme trompée et abandonnée : elle refuse de correspondre à l’idée de la femme qui se morfond d’amour pour son prétendant et désire se moquer de lui. Il s’agit pour elle de ne pas laisser son action impunie, mais avant tout de s’amuser et de profiter de la situation pour ridiculiser un amant volage.
Le personnage de Laure est très proche du personnage du chevalier dans La Fausse suivante de Marivaux que nous avons évoqué plus tôt. Si elle est celle qui a été abandonnée par le marquis au profit du parti plus avantageux de la comtesse, elle veut se moquer du marquis et de sa rivale, sans le faire au nom de l’amour.
La vengeance n’est pas une caractéristique attribuée au genre féminin, d’autant qu’ici Laure présente son action comme étant non pas guidée par la passion ou la jalousie, mais par la raison. La vengeance est généralement un acte attribué au genre masculin parce qu’elle traite de la question de l’honneur et de l’action. Pour suivre ce raisonnement, elle doit donc nécessairement se travestir en homme : ironie des conventions de genres, tout cela n’est qu’une question de rôle qu’on prend — et qu’on donne. Si elle se vengeait en tant que femme, dans ses habits de femme, son action ne serait prise que pour de la jalousie féminine et de la tristesse, et serait réduite à de la passion amoureuse. Laure ne prétend jamais être amoureuse du marquis. La ruse du travestissement lui permet de mettre en avant d’autres motifs que ceux de l’amour. Il y a véritablement chez Laure la volonté de ridiculiser le Marquis. Elle insiste d’ailleurs à ne pas le faire parce qu’elle était amoureuse du marquis.
J’en veux avoir raison d’une façon plus sage.Comme l’amour pour lui me touche faiblement,Il n’entre point dans mon ressentiment,Ni désespoir, ni fureur, ni tristesse.Je n’en veux point aux jours de mon Amant,Je ne viens point percer le cœur de la Comtesse.Non, le mouvement qui me presseN’est qu’un désir malin de me venger gaiement.
La ruse est nécessaire pour le personnage féminin puisqu’elle lui permet de sortir des conventions liées à son genre et d’agir librement. On peut ici voir la conception antique de la société et de l’action, qui considérait le domaine de l’action comme étant propre aux hommes, puisque ceux-ci n’étaient pas soumis à des contraintes naturelles — pour les femmes, la passion et l’instabilité, la naïveté… Pour pouvoir agir, une femme doit user de ruse, sinon son action sera dévalorisée et rapproché d’une soumission à la passion. La ruse du personnage de Lucidor dans L’Épreuve de Marivaux, qui essaye de sonder le cœur d’Angélique afin de savoir si celle-ci est une amoureuse intéressée ou non, n’est jamais interprétée comme un acte soumis à la passion amoureuse. Il s’agit pour les personnages féminins de rompre avec la passivité qu’on attend d’elles.
Le personnage de la veuve : spectatrice libre de la société §
Le personnage de la veuve est un caractère intéressant pour la comédie de mœurs puisqu’elle se situe hors des enjeux matrimoniaux traditionnels et qu’elle a acquis dans la société une position particulière. La veuve est considérée à l’époque comme une figure dangereuse, figure libérée des tentations de la chair et donc personnage qui n’est plus assujettie à ses passions, et donc aux hommes : « Les veuves qui ne se remarient pas ont su dompter leurs passions et assujettir leurs corps à la loi de l’esprit35. ». Auparavant, le personnage de la veuve était plus généralement un personnage de second rôle. Mais la comédie du xviiie siècle tend à s’intéresser à des personnages plus singuliers, qui sortent des modèles traditionnels et qui sont des individualités plus marquées. C’est un courant nouveau qui consiste à mettre au cœur de l’intrigue des personnages occupant une situation marginale. Les veuves deviennent en ce sens à partir du xviiie siècle des personnages clés parce qu’elles dérangent l’ordre établi et sont hors normes.
Peu à peu les personnages de veuves ont acquis une cohérence interne, avec des traits et des attributs propres, tels que le discernement et la rationalité de la femme qui agit, l’indépendance d’esprit et de mouvement, la maîtrise du comportement.36
La veuve s’approprie le domaine de l’action, traditionnellement réservé aux hommes puisque ceux-ci sont plus aptes à la réflexion, n’étant pas assujettis aux passions. L’idée que l’action serait réservée aux hommes découle d’une conception de l’Antiquité selon laquelle seuls les citoyens, et donc les hommes (nobles) étaient à même de diriger l’état parce qu’ils étaient les seuls à ne pas être assujetti à leurs besoins, les femmes étant dominées par leur sensibilité et les plus pauvres esclaves de leurs besoins primaires.
Si le théâtre du xviiie siècle met en scène des personnages au statut particulier, c’est en vue d’interroger les valeurs qui régissent le siècle sans pour autant proposer un système radicalement nouveau, puisque les personnages de veuves finissent la plupart du temps par rentrer dans les rangs préétablis de la société et à se marier. Dans la pièce, cependant, la comtesse choisit finalement de rester veuve et parvient à s’affirmer face à son oncle. Elle se rapproche par-là du chevalier de La Fausse suivante, qui renonce à son tour au mariage à la fin de la pièce et proclame son indépendance. La déclaration de la comtesse s’en tient à une réplique qui n’est plus commentée par la suite, puisqu’elle est éclipsée par le mariage de Damon et Laure : « Je n’ai pas cette vanité ; / Je renonce à l’hymen*, et m’en tiens au veuvage. ». Il s’agit pour la comtesse de parvenir à exprimer son avis, mais aussi de faire confiance à son intuition à propos du marquis.
Boissy respecte bien les codes de la comédie qui exigent un dénouement heureux et un mariage, tout en laissant son personnage de veuve libre. Il respecte les conventions pour éviter la critique, mais ouvre une brèche à son personnage de veuve qui ne rentre pas dans les rangs. Ainsi, tout en exploitant des caractères types de la comédie, il les présente différemment :
L’intérêt des pièces de Boissy vient cependant du fait que, tout en exploitant ces images convenues, le dramaturge essaie d’en prendre le contre-pied, ou à tout le moins de les nuancer. […] L’œuvre de Boissy n’a ainsi de cesse d’explorer et de miner les stéréotypes, d’illustrer puis de contredire ce que la doxa véhicule à propos de telle ou telle catégorie d’individus, à propos de tel ou tel groupe social.37
La ruse est pour la comtesse le seul moyen d’arriver à connaître son prétendant. En tant que veuve, elle connaît les stratagèmes de séduction et le danger qu’ils représentent. Au début de la pièce, son oncle évoque un mariage malheureux. On peut donc supposer que la comtesse s’est sans doute fait tromper une première fois par des promesses séductrices et charmantes, pour ensuite se retrouver dans une situation de « fâcheux esclavage ». Elle connaît les rouages de la parole et se méfie des apparences, d’autant plus d’un homme dont la réputation n’est entièrement bâtie que sur celles-ci. Elle doit donc à son tour revêtir un masque pour tromper son adversaire — parce qu’il s’agit bien de cela, la séduction est une arène, d’autant plus pour la femme. L’objectif n’est pas pour elle de mettre son prétendant à l’épreuve, mais davantage de sonder l’âme de celui-ci, et de confirmer ou démentir ses craintes, puisque son avis à propos du marquis n’évolue pas au cours de la pièce, même après la révélation de Laure. La ruse n’est pas, comme dans L’Épreuve de Marivaux, un moyen de confirmer son choix de mariage, mais un moyen d’être entendue et écoutée. Parce qu’elle est une femme, ce qu’elle pense n’est pas pris en compte, elle doit donc prouver la vérité de son intuition pour être légitime. La ruse lui est nécessaire, c’est un impératif plus qu’un badinage, ce dont l’accuse son frère Damon quand elle lui présente sa stratégie lors de la scène 5 de l’acte I. Il lui faut contrer les attaques de charmes de son prétendant, c’est pour elle une nécessité et non pas un amusement de l’esprit ou un jeu badin.
La ruse apparaît comme nécessaire pour la comtesse, puisqu’elle ne parvient pas à être entendue par son oncle le commandeur lorsque celui-ci lui parle de son prétendant. L’impossibilité pour la comtesse d’exprimer ses doutes et ses envies apparaît clairement dans la répartition de la parole dans les scènes avec le commandeur et la comtesse38. La comtesse est le second personnage, après Laure, dans la répartition des vers. Cependant, dans les scènes qu’elle partage avec le commandeur, sa parole est sans cesse interrompue et elle ne parvient pas à s’exprimer. Elle n’est pas entendue, son avis n’est pas considéré. Elle tente à plusieurs reprises d’exprimer ses doutes, mais le commandeur interprète sa parole avant de l’entendre : « Vous vous trompez, mon oncle, et la chose mérite… / C’est me dire tout bas que je la précipite. / Vous ne daignez pas m’écouter. ». La comtesse se trouve enfermée dans la conception de la femme que se fait son oncle, c’est-à-dire une vision de la femme naïve et superficielle, uniquement intéressée par la beauté.
La première scène montre ainsi le thème de la pièce qui est celui de la tromperie des mots et de l’apparence. La communication entre les êtres apparaît alors comme impossible parce qu’entravée par les préjugés qui entourent les différents genres et les conventions autour du mariage. Ce n’est pas la parole qui permettra à la comtesse de saisir le caractère du marquis, mais bien l’intuition et la ruse. La ruse apparaît ainsi pour la comtesse le seul moyen pour saisir le caractère de l’être qu’elle a en face. La voie directe, qui est celle de la confrontation et de la conversation, est pervertie par les préjugés et les conventions. Le commandeur interprète les doutes et les balbutiements de la comtesse comme étant de la pudeur féminine. Boissy révèle ainsi comme le langage est rempli de sous-entendu. Le langage est présenté dans tout son implicite sociétal. Boissy satirise l’art de la conversation, qui apparaît comme trompeuse et incapable de remplir son objectif premier : permettre la communication entre deux individus.
Sous contrôle masculin, ici l’influence de son oncle, la comtesse n’a pas le choix que de ruser, étant donné l’importance des enjeux. Elle ne peut pas agir trop frontalement envers le Marquis, pour ne pas rompre avec les conventions. Sa position de veuve la rend à la fois plus libre, mais elle reste dépendante du regard que la société pose sur elle et sait que son statut est en sursis. La liberté de la veuve est une liberté intérieure.
La ruse employée par les personnages féminins révèle tout le poids des apparences et des conventions sociales sur les rapports hommes/femmes. Dans une rencontre galante, tous les personnages sont masqués, tout le monde joue un rôle. Le langage est trompeur et ne permet pas aux êtres de se connaître.
Le langage amoureux : entre manipulation et dévoilement §
Le duel amoureux §
Les ruses et les travestissements mis en place par les personnages mettent en valeur la difficulté de la séduction amoureuse, jeu subtil dans lequel il s’agit de percer à jour les intentions de l’autre sans trahir ses émotions. La comtesse à ce titre est particulièrement consciente que la rencontre avec son prétendant est un véritable duel, dans lequel la prétendue beauté du marquis est une arme redoutable. La volonté de la comtesse de se voiler pour ne pas être illusionnée par les charmes du marquis s’inscrit aussi dans une autre conception de l’amour qui commence à voir le jour au xviiie siècle. L’amour passionnel n’est pas valorisé, mais c’est un amour sage qui réside sur le respect et la raison entre les deux partenaires.
Dans les procès en rupture de promesses de mariage portés devant l’officialité de Troyes durant la seconde moitié du xviie siècle, on invoquait presque toujours le manque d’inclination ou le refroidissement de « l’amitié », pour rompre des engagements devenus importuns, et cet argument était toujours entendu par le tribunal.39
En théorie, le mariage n’apparaît plus comme un simple calcul d’intérêt ni comme le fruit d’une passion amoureuse. Si les personnages exigent d’autres conditions que la beauté et l’apparence dans leur futur époux ou épouse, ils sont tous soumis à la difficulté des rapports amoureux. Ceux-ci apparaissent comme un véritable duel dans lequel les deux acteurs doivent jouer le jeu subtil de la séduction amoureuse. La comtesse est bien consciente des stratagèmes de l’amour qui sont utilisés, et particulièrement par des hommes tels que le marquis, c’est-à-dire la séduction et la flatterie. La ruse apparaît pour elle comme une nécessité, comme une arme légitime pour se défendre face à son prétendant :
Mon sexe me prescrit toute une autre conduite,Je ne dois pas aller si vite ;Il me convient d’agir plus sagement.
La comtesse, en tant que veuve sait ce que le mariage signifiera pour elle et éprouve donc la nécessité de cerner son prétendant avant de s’engager davantage. En tant que femme, elle sera sous l’autorité de son mari. Boissy pose ainsi la question au travers de sa pièce de comment l’amour véritable est-il possible dans une société qui se déguise en permanence.
Le langage comme arme sociale §
Boissy inscrit sa pièce, et son théâtre en général, dans le débat de son temps sur la place que prennent la société et ses usages dans la formation de l’homme. La pensée des Lumières fait la distinction entre un homme originel, à l’état de nature, et l’influence que la société a eue sur lui. Certains philosophes font la critique d’une société qui pervertit l’homme et le corrompt. Le langage, outil de communication à la fois vecteur et créateur de sens, est au cœur du monde social et de ses codes. Durant l’Ancien Régime, tout particulièrement au moment du règne de Louis XV où la noblesse est réunie à Versailles, le langage est un véritable moyen de pouvoir. Il s’agit de dire une chose en semblant en dire une autre, et de maintenir en toutes circonstances une forme d’équivoque.
« Détourner le sens » est une façon de dire : prétendre que ce n’est pas cela qu’on suggérait. Convention sûre qui permet d’effacer un état de fait. Lorsqu’il y a refus, tous deux s’accorderont pour ne pas tenir compte du propos avancé : cela ne s’est jamais passé. Comme on n’a rien appelé strictement par son nom, et comme le langage dont on se sert effectivement dans la quête de la satiété est un langage symbolique adapté à cet emploi, on peut tenter des liaisons, nouer presque l’accord, sans s’être en rien exposé. Le balancement fondamental de ce langage promet un système intrinsèque d’autodéfense. Il garantit la retraite et le désaveu ; la responsabilité peut toujours être esquivée.40
Le langage doit toujours permettre l’équivoque : voilà la règle fondamentale qui sous-tend toute communication dans la société mondaine de l’Ancien Régime. On peut et doit toujours cacher ses sentiments. Boissy aborde dans sa pièce la difficulté des rapports entre les individus dans une société où le langage est toujours double et est un outil de pouvoir plus qu’un moyen de communication :
Le mot, dans ce contexte, est vidé de son contenu, Ou plutôt de son contenu littéral, car il en prend souvent un autre : divorce entre signifiant et signifié, ou le signifié normal n’a plus de valeur communicative et même peut-être plus d’existence réelle. Pas un mot ne garde ce rapport intact pour garantir le lecteur d’un texte que dans telle ou telle situation il s’agit en fait d’un « véritable » amour plutôt que d’une liaison de passage.41
La pièce illustre bien cette fonctionnalité du langage, puisque l’enjeu de la pièce se trouve bien dans la séduction et la ruse qui vise à humilier l’autre en lui extirpant, presque de force, sa vérité.
Mais si les hommes nés pour vivre en société trouvèrent à la fin l’art de se communiquer leurs pensées avec précision, avec finesse, avec énergie, ils ne surent pas moins les cacher ou les déguiser par de fausses expressions, ils abusèrent du langage.42
Le langage est une arme, comme en témoigne la volonté marquée de Laure d’obtenir des aveux de la comtesse, afin de l’humilier davantage au moment de sa fuite. Dans son insistance pour obtenir un aveu d’amour, elle montre l’écart qu’il y a entre le moi privé et le moi public. Une fois qu’une parole est prononcée, surtout une parole d’amour, il devient difficile de s’en décharger. La sincérité et le dévoilement de soi apparaissent ainsi comme une faiblesse dans un jeu amoureux où l’essentiel est de ne pas se dévoiler à son adversaire.
Une pensée ne prend de valeur qu’une fois qu’elle est prononcée, et que l’équivoque n’est plus possible. C’est là tout le jeu subtil de la séduction amoureuse : il faut parvenir à être dans une position de force, sans jamais se dévoiler soi-même. Le mariage est ainsi présenté comme un véritable duel, bien loin d’une conception élevée de l’amour. Le mariage est un jeu d’intérêt, d’autant plus chez une noblesse arrêtée et immobilisée, où les alliances sont essentielles pour parvenir au pouvoir. L’intérêt du marquis pour la comtesse réside d’ailleurs dans son argent, il n’a que faire de sa personne. Cette nécessité de l’équivoque apparaît plus importante chez les femmes, en raison de leur manque de liberté. Dire c’est se dévoiler, précisément ce qu’il ne faut pas faire en société.
Sous le masque, la percée du naturel §
Les personnages de la pièce tentent à tout prix de ne jamais se révéler à l’autre, et le langage doit toujours garder cette ouverture vers un double sens. Ils se méprennent tous sur l’identité de l’autre, et pourtant ils éprouvent et expriment des sentiments, des intuitions véritables. Laure, lorsqu’elle décrit à Finette celle qu’elle prend pour la comtesse en fait un éloge, qui est tout à fait significatif pour le spectateur, qui pressent déjà la suite des évènements :
LAUREOn voit qu’en tout ses sentiments sont vrais ;Sa franchise a crû tels ceux que je lui montrais ;Mais la plus incrédule en aurait fait de même,Tant dans la vérité, je les représentais :Dans l’instant que je la trompais,J’étais moi-même en secret pénétrée,Et dans la passion, je suis si bien entrée,Que je croyais sentir tout ce que je feignais,Mon âme jusque-là s’était même égarée,Que son air me touchait quand je l’attendrissais.
C’est là la fausse méprise. Dans le discours des personnages, on peut percevoir ce qu’ils éprouvent et le spectateur, qui connaît la supercherie, trouve plaisir à voir les personnages se berner les uns les autres, mais, sans le savoir, exprimer une vérité dans leur discours. Dans chaque caractère, dans chaque intuition, il y a toujours quelque chose de vrai, mais cela ne fait pas l’entièreté du tableau. Il y a un décalage profond entre la manière dont un personnage se meut dans l’espace et la façon dont il se pense. Les personnages ne semblent plus s’entendre eux-mêmes. La comtesse, la première fois qu’elle aperçoit Laure, la trouve « gelée » sans savoir réellement pourquoi. Laure, à son tour, trouve la comtesse inintéressante et préfère Damon, qu’elle est censée haïr. Damon trouve Laure très plaisante et ne comprend pas pourquoi la comtesse ne veut pas l’épouser. Les personnages ont des intuitions, des expressions qui sont bonnes. Le dehors est trompeur, mais l’intuition ne ment pas. C’est une « fausse méprise », parce qu’il y a bien une méprise, mais l’intuition et les sentiments ne sont pas trompés. Les yeux sont trompés, mais pas le cœur. Aucun personnage ne se méprend réellement sur l’autre. L’amour permet aux individus de voir au-delà des apparences et d’approcher la vérité des êtres, et le masque permet de se libérer des contraintes de la société, comme le dit le divertissement à la fin du manuscrit de 1742 : « Sous le masque, on est moins timide »43. Lors de la scène 3 de l’acte II, Finette ne comprend pas pourquoi Laure défend davantage la comtesse, qui est sa rivale, qu’Hortense. Laure se montre sensible à celui qui est en réalité Damon :
Au point, qu’elle a déjà le don de me déplaire,Autant que ma rivale, et peut-être un peu plus.La chose dans mon cœur n’est pas encore bien claire.Je ne sais qui des deux l’emporte là-dessus.
Boissy développe la même idée dans sa tragédie de 1727 Admète et Alceste, dans laquelle le personnage d’Admète est devenu un roi vertueux et sage après avoir été choisi par Alceste, même s’il n’y était pas destiné initialement. L’amour révèle les cœurs et met en lumière la vertu des individus :
Les personnages déchiffrent à tâtons un message dont ils ont instinctivement compris l’essence. Cette découverte de l’âme est la seule vraie, quoiqu’elle ne soit pas encore confirmée par le langage ; c’est Marivaux qui affirme que « l’âme qui parle ne prend jamais un mot l’un pour l’autre ». […] La vérité fait respirer ; ces personnages n’étaient à aucun moment très confortables sous leurs masques, qu’ils avaient regardés comme une nécessité, jamais comme un plaisir. On jouait un personnage qui n’aimait pas : or c’était faux, on aimait ; en saisissant et en nommant cet amour on est réuni avec soi.44
Dans l’usage du déguisement, il y a aussi une certaine vision de l’amour qui se déploie. L’amour véritable ne semble pas possible si l’on respecte simplement les règles et les conventions établies. Il faut passer par d’autres chemins pour trouver l’amour. C’est comme si l’amour véritable entre deux individus était dénoncé comme impossible dans la société, et que le seul moyen d’y accéder est par la ruse du masque. Tout comme les personnages se masquent, l’amour lui aussi se voile « L’amour, comme ses désirs, déguise son langage45 ». Par l’usage du travestissement, Boissy fait la critique d’une société écrasée par le poids des conventions, dont le langage a perdu sa fonction première qui est de permettre la communication entre les hommes. Les mots ont perdu leur sens et les personnages ne les entendent même plus. Les personnages semblent tellement habitués à interpréter les paroles qu’ils entendent qu’ils n’écoutent plus ce que l’autre dit. Les rapports humains sont tellement codifiés qu’il n’apparaît même plus nécessaire aux personnages de s’écouter. La comtesse est comme piégée dans l’image qu’elle projette volontairement ou involontairement dans la société, image qui provient de son statut social de jeune veuve, soumise à l’autorité masculine de son oncle, mais aussi image sociale de la femme, qui doit en toutes circonstances se comporter avec mesure et préserver son honneur.
L’individu est astreint, en fonction des conventions dont on a déjà parlé, au maintien d’un personnage composé et uni ; il doit dissimuler en lui tout ce qui va à l’encontre de cet homme parfaitement sociable. Il y a aussi à l’intérieur de ce jeu général des subdivisions, des rôles relatifs au sexe ou aux ambitions de chacun.46
La conscience qu’ont les personnages de jouer un rôle et de la nécessité de le maintenir cette projection d’eux-mêmes dans la société, est un thème que reprend Boissy dans sa pièce de 1743 Pamela en France ou la vertu mieux éprouvée. Le personnage de Pamela y parle de ce rôle de femme honorable qu’elle doit maintenir et décrit même la manière d’agir d’un tel personnage :
Oui pour rester tous deux dans notre caractère,[…] Le sien est d’être fier, trompeur, malhonnête homme,Il n’en doit pas sortir en m’épousant.Le mien est d’être sage, honnête et censéeJe ne dois pas le démentir47, […].
Damon, une fois la rusée révélée dans la scène 8 de l’acte III, exprime la tromperie des yeux, mais pas celle du cœur :
Nos yeux étaient déçus par l’erreur des habits,Mais nos cœurs étaient mieux instruits,Par le secret indistinct qui les savait conduire,Sans nous tromper, nous nous sommes mépris.
Aucun personnage de la pièce ne se doute réellement de la situation. Même Crispin, qui reconnaît Finette, ne parvient pas à démêler l’entièreté de la situation. Il n’y a que le spectateur qui voit l’entièreté du tableau et aperçoit avec plaisir comment les personnages ont tous les bonnes intuitions sur ceux qu’ils ont face d’eux, mais ne parviennent pas à apercevoir la vérité derrière les apparences. Les apparences sont trop codées, trop artificielles pour que l’on puisse repérer la vérité derrière tous les déguisements. Le déguisement des différents personnages n’est pas ce qui les masque, contrairement à ce qui serait attendu. Le costume, le masque est déjà présent. Derrière ce déguisement, le naturel se montre pourtant : Laure ne peut pas ignorer sa préférence pour la « comtesse » pour qui elle se prend d’amitié malgré la situation. Le vêtement est toujours un déguisement, puisque tous les personnages sont constamment en train de se représenter au monde. Dans la pensée des Lumières, le vêtement apparaît comme un voile et il empêche la vérité et la simplicité de la communication entre les êtres, puisqu’il est porteur de signes et de conventions sociales.
Les signes naturels, selon l’Encyclopédie, sont les « cris que la nature à établis pour les sentiments de joie, de crainte, de douleur ». […] Quant aux signes d’institution, Rousseau explique qu’il masque les sentiments et les émotions spontanés que la nature fait jaillir chez l’individu, et qu’ils servent aussi à souligner des différences artificielles et sociales entre les hommes. Lui-même en appelle à la transparence des apparences, seul gage de l’amitié entre les hommes est condition nécessaire à leur égalité. Cette transparence, véritable obsession de Rousseau, est une nécessité ressentie par l’ensemble des philosophes des lumières, qui dénonce le caractère artificiel de leur société dont le vêtement en est une illustration.48
La pièce aborde en somme le thème du naturel, qui malgré le fait qu’il soit entièrement voilé derrière les déguisements, mais surtout derrière les conventions et les règles sociales, est toujours perçu d’une manière ou d’une autre par les personnages.
Non seulement, dans l’ordonnance de la pièce, chaque personnage surprend tous les autres, mais surtout se surprend généralement lui-même et, lorsqu’il se surprend lui-même sur le fait, ou qu’il est surpris à tricher ou à laisser filtrer ce que confusément, il souhaitait cacher, ce même personnage a bien du mal à se comprendre.49
Comme Marivaux dans sa pièce La Seconde Surprise de l’amour, représentée en décembre 1727, Boissy montre l’éclosion du sentiment amoureux entre les deux personnages, qui ne se connaissent pas au début, qui ne se destinent pas l’un à l’autre et se méprennent.
Aucun personnage de la pièce ne se doute réellement de la situation. Même Crispin, qui reconnaît Finette, ne parvient pas à démêler l’entièreté de la situation. Il n’y a que le spectateur qui voit l’entièreté du tableau et aperçoit avec plaisir comment les personnages ont tous les bonnes intuitions sur ceux qu’ils ont face d’eux, mais ne parviennent pas à apercevoir la vérité derrière les apparences. Les apparences sont trop codées, trop artificielles pour que l’on puisse repérer la vérité derrière tous les déguisements.
Il s’agit de deux personnes qui s’aiment pendant toute la pièce mais qui n’en savent rien eux-mêmes et qui n’ouvrent les yeux qu’à la dernière scène. Ils ignorent l’état de leur cœur et sont le jouet du sentiment qu’ils ne soupçonnent rien en eux.50
La pièce aborde en somme le thème du naturel, qui malgré le fait qu’il soit entièrement voilé derrière les déguisements, mais surtout derrière les conventions et les règles sociales, est toujours perçu d’une manière ou d’une autre par les personnages. C’est cela que dénonce aussi Boissy dans sa pièce : l’artificialité des rapports qui fait que chacun doit constamment se voiler pour atteindre ce qu’il veut. Boissy ne fait pas tant la critique des personnages qui se masquent, mais de l’artificialité des rapports entre les hommes qui sont corrompus par la société. Il s’agit d’une vision de la noblesse « féminisée », c’est-à-dire devenue passive, séductrice, corrompue.
Ainsi, Boissy présente cette société, qui veut comme un théâtre dans lequel chacun occupe le rôle qui lui a été assigné par la naissance et la condition sociale, mais dans une société en transition qui met de plus en plus en avant l’idée d’une liberté humaine et d’une perfectibilité de l’individu, capable d’évoluer au nom de la vertu et de la raison humaine. Les personnages de Boissy apparaissent ainsi dans cet entre-deux. Ils ne s’affirment pas encore pleinement en dehors des conventions sociales, mais revendique, par la ruse, le travestissement, une individualité propre qui sort des attentes et des règles établies par la société. Les personnages de Boissy, même les plus stéréotypés d’entre eux, sont plus libres qu’ils n’y paraissent. Le théâtre de Boissy incarne bien son époque en transition, nourrie de nouvelles réflexions et de philosophies émancipatrices de l’homme, sans que les choses soient fondamentalement bouleversées.
Note sur l’établissement du texte §
Éditions §
1° ŒUVRES / DE MONSIEUR / DE BOISSY, / CONTENANT / Son Théâtre François & Italien. / NOUVELLE ÉDITION, / Revuë, corrigée, & augmentée plusieurs / Pièces nouvelles. / TOME SEPTIÈME. / Fleuron / A AMSTERDAM ET A BERLIN, / Chez JEAN NEAULME, Libraire, / M. DCC. LVIII.
2° [Ms]
3° LA FESTE D’AUTEUIL, / ou / LA FAUSSE MÉPRISE, / COMEDIE / En Vers, & en trois Actes. / De Monsieur DE BOISSY. / Représentée pour la premiere fois, par les Comédiens François, au mois d’Août / 1743. / Le prix est de trente sols. / Fleuron ? / A PARIS, / Chez JACQUES CLOUSIER, rue Saint Jacques, / à l’Ecu de France. / M. DCC. XLV. / Avec Approbation & Privilege du Roi.
4° Œuvres / de théâtre / de / MR. de Boissy. / THEATRE FRANÇOIS. / A PARIS, / Chez PRAULT Père, Quay de Gêvres, au Paradis, / M. DCC. LI / avec Privilege du roi. / TOME VIII.
5° ŒUVRES / DE THEATRE / DE / MR. DE BOISSY, / DE L’ACADÉMIE FRANÇOISE. / NOUVELLE ÉDITION, / Augmentée de trois Pieces. / A PARIS, / Chez N. B. DUCHESNE, Libraire, rue S. Jacques, / au-dessous de la Fontaine saint Benoît, / au Temple du Goût. / M. DCC. LVIII / Avec Approbation et Privilège du Roi.
Nous utilisons l’édition de 1758 par l’éditeur Jean Neaulme comme édition de référence. C’est la dernière édition parue du vivant de l’auteur. L’édition de 1745 ne diffère pas du tout de l’édition de 1758, nous faisons le choix de la dernière parue. L’édition N. B. Duchesne n’est pas une édition à proprement parler. Duchesne regroupe des impressions séparées des pièces, chacune avec sa pagination et sa page de titre. L’édition regroupe les pièces de la même manière qu’elles sont présentées dans l’édition de Prault de 1751. L’édition de 1758 de Neaulme est une édition corrigée et adaptée de la pièce, avec une classification moins marquée entre les pièces montées au Théâtre français et les pièces jouées par les Italiens. La Fête d’Auteuil figure dans le tome VII de l’édition des œuvres complètes, ce qui laisse entendre que Boissy ait pu avoir une participation à l’édition de la pièce, même si l’année de publication est la même que celle de sa mort. L’édition de 1758 possède un fleuron sur sa page de garde, ainsi qu’à la première page de La Fête d’Auteuil et chaque fin d’acte dans la pièce.
Établissement du texte §
Les éditions publiées au xviiie siècle possèdent un certain nombre de particularités linguistiques qui ont été adaptées aux règles d’écritures et de lectures de cette époque. Nous modernisons et nous uniformisons l’orthographe de ces termes, à moins que ceux-ci ne se trouvent à la rime, auquel cas nous les conservons tel qu’ils sont dans l’édition de 1758. Cette modernisation s’est faite dans le respect du texte originel, en vue de facilité l’accès au texte. Nous reprenons ci-dessous les ajustements qui ont été faits.
Ainsi, « tems » a été corrigé en « temps ». Cette modification s’est aussi faite sur l’adverbe « long-tems » corrigé en « longtemps » : v. 3 : « tems » : temps | v. 26 : « long-tems » : longtemps | v. 534 « tems » : temps | v. 855 : « tems » : temps.
Le pluriel des noms en -ant ou -ent, qui se présente dans le texte en -ans/-ens, a été corrigé. Au lieu de « amant/amans », on retrouvera « amant/amants » : v. 77 « agrémens » : agréments | v. 288 « parens » : parents | v. 407 « innocens » : innocents | v. 449 « amans » : amants | v. 517 « parens » : parents | v. 552 « amans » : amants | v. 881 « sentimens » : sentiments | v. 979 « charmans » : charmants.
La conjugaison des verbes à l’imparfait et au conditionnel s’écrit encore « oi » dans le texte de 1758, alors même que la prononciation a déjà évolué. Nous adaptons les terminaisons en -oi en -ai, à moins que le verbe ne se trouve à la rime, auquel cas nous conservons alors l’écriture originelle. Cette orthographe se retrouve aussi pour les noms de peuple ainsi que dans certains autres mots, que nous avons aussi remplacé : v. 827 « paroît » : paraît | v. 40 « foiblement » : faiblement | v. 92 » attiroit » : attirait | v. 103 « allois » : allais | v. 141 « connoît » : connaît | v. 159 « foible » : faible | v. 248 « connoissance » : connaissance.
De même, la terminaison de certains verbes à la deuxième personne du pluriel se terminant en « és » a été corrigée pour son équivalence moderne « ez » : v. 493 « épargnés-moi » : épargnez-moi | v. 509 « pardonnés » : pardonnez | v. 539 « blâmés » : blâmez | v. 1015 « convenés » : convenez | v. 1112 « daignés » : daignez.
Le verbe « sçavoir » et ses formes conjuguées ont été remplacés par la forme « savoir » : v. 831 « sçaurois » : saurais | v. 842 : « sçai » : sais | v. 109 « sçachez » : sachez. | v. 119 « sçaurez » : saurez | v. 185 « sçavoir » : savoir | v. 191 « sçait » : sait | v. 200 « sçavez » : savez.
Les verbes savoir et voir à la première personne du singulier sont parfois orthographiés sans -s, nous corrigeons ces occurrences : v. 764 « voi » : vois | v. 1126 « sçai » : sais.
Nous avons délié l’esperluette « & » en « et » : v. 58 « & » : et | v. 76 « & » : et | v. 96 « & » : et | v. 108 « & » : et | v. 111 « & » : et.
Nous avons aussi corrigé les accents circonflexes sur l’adverbe « plutôt », écrit dans le texte « plûtôt » : v. 399 « plûtôt » : plutôt | v. 573 « plûtôt » : plutôt | v. 932 « plûtôt » : plutôt.
Certains mots possèdent un accent, parfois pour des raisons de prononciation classique, que nous corrigeons selon l’orthographe moderne : v. 133 « païra » : paiera | v. 400 « flâteuse » : flatteuse | v. 597 « vûe » : vue | v. 620 « flâtez » : flattez | v. 686 « vûs » : vus | v. 690 « pû » : pu | v. 917 « flâmes » : flammes.
Les adverbes écrits comme des mots composés dans le texte ont été corrigés dans leur forme moderne : « plus-tôt » ; « par-tout » ; « long-tems » : v. 482 « par-tout » : partout | v. 506 « si-tôt » : sitôt | v. 507 « long-tems » : longtemps | v. 654 « aussi-tôt » : aussitôt | v. 675 « bien-tôt » : bientôt.
Parfois, deux mots sont reliés ensemble par un tiret. Nous avons également supprimé ceux-ci afin de correspondre davantage avec l’écriture moderne : v. 146 « très-sage » : très sage | v. 365 « même-temps » : même temps | v. 369 « vrai-semblable » : vraisemblable | v. 962 « très-nouvelle » : très nouvelle | v. 831 « sur-tout » : sur tout.
Boissy n’utilise pas les majuscules uniquement en début de phrase ou pour les noms propres de personnes ou de lieux. En vue de faciliter la lisibilité, nous avons réhabilité l’usage moderne en laissant les majuscules uniquement pour les noms propres. Les majuscules ont aussi été conservées pour les termes au vocatif, ainsi que pour le titre des personnages « Comtesse » « Marquis » « Commandeur », qui font office de nom pour les personnages.
Nous modernisons aussi les « -y » en « -i » : v. 10 « joye » : joie | v. 212 « gayment » : gaiement | v. 218 « gayté » : gaieté | v. 308 « gayment » : gaiement | v. 402 « joïeuse » : joyeuse | v. 521 « joye » : joie| v. 976 « aye » : aie.
Nous modernisons aussi l’orthographe du mot « fête », qui est orthographié dans le titre comme « feste ».
Les s longs ont aussi été modernisés pour faciliter la lecture, étant donné que cela peut parfois faire obstacle à la compréhension.
Nous avons uniformisé l’orthographe du mot « hussard », qui est différemment orthographie tout au long du texte : v. 222 « housard » : hussard | v. 260 « housard » : hussard | v. 300 « housard » : hussard.
Les consonnes de certains noms sont doublées dans le texte, nous adaptons l’orthographe aux usages modernes : v. 155 « allarme » : alarme | v. 428 « indiscrette » : indiscrète | v. 998 « fidelle » : fidèle | v. 992 « secrettes » : secrètes.
Nous doublons aussi les consonnes de certains mots : v. 684 : « aprenez » : apprenez | v. 138 « aprendre » : apprendre | v. 243 « apeller » : appeler | v. 246 « s’apellera » : s’appellera | v. 342 « frapé » : frappé | v. 352 « s’aprête » : s’apprête | v. 467 « aparemment » : apparemment | v. 98 « apelle » : appelle | v. 36 : « s’enflâmer » : s’enflammer | v. 396 « apui » : appui | v. 820 : « frape » : frappe | v. 838 « oposé » : opposé | v. 873 « aprouve » : approuve | v. 875 « raporte » : rapporte.
Les verbes du deuxième groupe en -re ne sont souvent pas orthographiés avec un -d en terminaison, nous corrigeons cette orthographe : v. 260 « attens » : attends | v. 244 « prens » : prends | v. 126 « attens » : attends | v. 96 « entens » : entends | v. 411 « prétens » : prétends | v. 713 « prens » : prends.
Nous adaptons aussi certains noms qui prennent la terminaison -x au pluriel à l’orthographe moderne : v. 431 « loix » : lois | v. 707 « loix » : lois.
Nous corrigeons aussi l’orthographe de certains mots qui s’écrivent différemment aujourd’hui : v. 318 « œconomie » : économie.
Nous remplaçons au vers 352 « vieux » par « vieil ».
Le texte possède aussi des coquilles dont nous corrigeons l’orthographe : v. 65 « porrrait » : portrait | V. 324 « mistère » : mystère | v. 1251 « mour » : moi | v. 1265 « mort » : morte.
La ponctuation a été reproduite à l’identique, à moins de faire directement obstacle à la lecture. Elle a un rôle d’emphase sur certaines tournures de phrases, et pouvait servir comme indication pour les acteurs. C’est le cas pour les nombreux points de suspension, allant parfois jusqu’à six. Nous avons supprimé la virgule qui est présente dans l’édition de 1758 au vers 1192 « Voyons, mon frère, […]. » car l’interjection « mon frère » n’est pas un vocatif, mais un complément direct du verbe. Nous faisons de même au vers 454 « Ma rivale, est long-tems » : ma rivale est longtemps.
LA FÊTE D’AUTEIL, OU LA FAUSSE MÉPRISE.
COMÉDIE. §
ACTEURS §
LA FÊTE D’AUTEUIL §
COMÉDIE
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE. {p. 198}
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
SCENE II. §
LA COMTESSE
SCENE III. §
LA COMTESSE.
CRISPIN.
SCENE IV.57 §
DAMON
CRISPIN.
CRISPIN.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
SCENE V. §
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
SCENE VI. §
CRISPIN.
DAMON.
CRISPIN.
LA COMTESSE.
LA COMTESSE
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON
CRISPIN
LA COMTESSE.
CRISPIN.
DAMON.
CRISPIN.
DAMON.
CRISPIN.
SCENE VII. §
SCENE VIII. §
CRISPIN
LAURE.
CRISPIN
SCENE IX. §
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
Pour le coup, tu parles enFINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
SCENE X. §
LA COMTESSE
LAURE
LA COMTESSE
LAURE.
LA COMTESSE
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE
LAURE.
LA COMTESSE
LAURE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE
LAURE
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
SCENE XI. §
LAURE
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LA COMTESSE.
LAURE.
DAMON.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LA COMTESSE.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON
LA COMTESSE
DAMON
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LA COMTESSE
FIN [de l’Acte I].
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
CRISPIN
SCENE II. §
FINETTE
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
FINETTE
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
CRISPIN.
SCENE III. §
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
Quelle idée !LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
SCENE IV. §
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
LAURE.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE
SCENE V. §
LA COMTESSE
DAMON.
LA COMTESSE.
LAURE.
LA COMTESSE.
LAURE.
SCENE VI. §
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
SCENE VII. §
CRISPIN.
LA COMTESSE.
CRISPIN.
DAMON.
SCENE VIII. §
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE.
LE COMMANDEUR.
SCENE IV. §
LA COMTESSE
Fin du Second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
Eh si,LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
LA COMTESSE.
DAMON.
SCENE II. §
LA COMTESSE
SCENE III. §
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
SCENE IV. §
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
SCENE V. §
LAFLEUR.
LAURE
LAFLEUR.
LAURE
SCENE VI. §
FINETTE.
LAURE.
FINETTE.
LAURE
SCENE VII. §
DAMON
CRISPIN
FINETTE
CRISPIN.
SCENE VIII. §
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
Je la suis à regret.DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE
DAMON.
LAURE.
DAMON.
LAURE.
DAMON.
SCENE IX. §
LE COMMANDEUR.
DAMON
LE COMMANDEUR.
DAMON.
LE COMMANDEUR.
LE COMMANDEUR.
DAMON.
LE COMMANDEUR.
LA COMTESSE
DAMON.
LAURE
LE COMMANDEUR.
DAMON.
LE COMMANDEUR.
DAMON.
LA COMTESSE.
LAURE
LA COMTESSE.
LAURE.
DAMON.
LE COMMANDEUR.
SCENE DERNIERE. §
CRISPIN
LAURE
FINETTE
CRISPIN.
FINETTE.
CRISPIN.
Fin du Tome VII.
Glossaire §
Variantes §
[Ms] : Modification du vers 57 dans le manuscrit : « Pour danser avec moi la sarabande ici » (1742) : « Et je veux avec elle ouvrir le bal ici » (1758).
[Ms] : Les vers 79-83 sont raturés dans le manuscrit.
[Ms] : Modification du vers 188 : « Je me déguise moy » (1742) : « Je vais me déguiser » (1758).
[Ms] : Les vers 221-222 sont raturés dans le manuscrit, où se trouve à la place le vers : « Il est par sa beauté digne de ma louange ».
[Ms] : Les vers 224-233 sont raturés. Le vers 233 est partiellement conservé.
[Ms] : Les vers 389-419 sont raturés.
[Ms] : Les vers 676-677 sont raturés.
[Ms] : Les vers 685-698 sont raturés. Quelques vers sont ajoutés : « Qui êtes-vous s’il vous plaît ? / Je suis un soldat, un guerrier plus craint que le tonnerre. »
[Ms] : Les vers 759-761 sont raturés.
[Ms] : Les vers 768-780 sont raturés.
[Ms] : Les vers 813-835 sont raturés.
[Ms] : Les vers 832-839 sont raturés.
[Ms] : Les vers 849-856 sont raturés.
[Ms] : Le vers 1019 est raturé dans le manuscrit. Le vers 1021 est placé avant le vers 1020.
[Ms] : Les vers 1104-1114 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1124-1128 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1133-1136 sont raturés.
[Ms] : Ajout du vers « C’est ma divine et charmante baronne » après le vers 1138.
[Ms] : Les vers 1145-1154 sont raturés. Le vers 1152 est conservé.
[Ms] : Les vers 1163-1166 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1208-1212 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1217-1225 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1235-1238 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1303-1312 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1368-1371 sont raturés. Les vers 1372-1373 ne sont pas dans le manuscrit. Dans le manuscrit les vers 1386-1387 sont placés à la suite du passage supprimé, et sont également supprimés, tandis que dans l’édition de 1758, ils se retrouvent plus bas.
[Ms] : Les vers 1400-1403 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1443-1446 sont raturés.
[Ms] : Les vers 1464-1470 sont raturés.
[Ms] Les vers 1491-1497 sont raturés. Le vers 1493 est conservé.
[Ms] : Les vers 1517-1537 sont raturés. Le vers 1518 est conservé.
Annexe 1 — Tableau de présence des personnages §
Scène | La comtesse | Laure | Damon | Crispin | Finette | Le commandeur | La fleur |
I 1 | 12 | 47 | |||||
I 2 | 30 | ||||||
I 3 | 1 | 8 | |||||
I 4 | 14 | 18 | 5 | ||||
I 5 | 56 | 44 | |||||
I 6 | 17 | 11 | 11 | ||||
I 7 | 2 | ||||||
I 8 | 1 | 7 | |||||
I 9 | 143 | 58 | |||||
I 10 | 46 | 17 | 0 | ||||
I 11 | 26 | 51 | 24 | ||||
II 1 | 28 | ||||||
II 2 | 70 | 56 | |||||
II 3 | 79 | 34 | |||||
II 4 | 87 | 50 | |||||
II 5 | 14 | 3 | 4 | ||||
II 6 | 37 | 44 | |||||
II 7 | 2 | 2 | 2 | ||||
II 8 | 20 | 76 | |||||
II 9 | 12 | ||||||
III 1 | 55 | N | 81 | ||||
III 2 | 8 | N | |||||
III 3 | N | 15 | 2 | ||||
III 4 | 43 | 18 | |||||
III 5 | 5 | 0 | 5 | ||||
III 6 | 28 | 5 | |||||
III 7 | 0 | 4 | 5 | 1 | |||
III 8 | 73 | 68 | |||||
III 9 | 5 | 8 | 13 | 12 | |||
III 10 | 4 | N | 7 | 2 | |||
Scènes | 16 / 30 | 14 / 30 | 12 / 30 | 11 / 30 | 10 / 30 | 3 / 30 | 1 / 30 |
Vers | 355 | 542 | 363 | 160 | 176 | 135 | 5 |
Annexe 2 — Divertissement135 §