F. de Cheffault
M. DC. LXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Jinhan Tan dans le cadre d'un mémoire de master sous la direction de Bénédicte Louvat, Faculté des Lettres de Sorbonne Université, 2023-2024
Remerciements §
Je dédie cette section à toutes les personnes qui m’ont aidé pendant ces années de mes études en France.
Tout d’abord, je remercie Madame Bénédicte Louvat qui a accepté avec bienveillance de diriger mes deux mémoires, me fournissant toutes sortes d’informations, d’instructions, de conseils et de méthodes, sans lesquels mes deux éditions n’auraient pas pu être achevées. Je remercie également Monsieur Pierre Pasquier qui nous a fourni une bibliographie sur le théâtre de dévotion et les résultats de ses recherches.
Je remercie le CISED (Centre d’initiatives et de services aux étudiants à Saint-Denis), organisation de bénévoles qui soutient les étudiants étrangers dans leur apprentissage du français et le suivi de leurs études. Je remercie tous les bénévoles que j’ai connus au cours de ces années, je ne peux les nommer tous, mais plus particulièrement Mr Christian Mellon, le directeur de l’association, Mme Ikram Selami, et Mr Henri Périer, Mr Jean-Claude Sauzet, Mme Françoise et Mr Jean-Lin Dalle, Mme Danielle Carrey et Mme Chantal de Labrusse, Mme Annie Dalage, Mme Claude et Mr Bruno Sterlin, Mme Silvie Barrachette, Mme Martine Gueguen, Mr Alain Hautdidier, Mr. Laurent Keplin, Mr Urbain Malonda, Mme Françoise Viénot, qui relisent mes écrits et me proposent des corrections. Je remercie Mr Alain Goy, le président de l’association, et Mr Jean-Bernard Clouet qui m’aident à résoudre tous les problèmes bureautiques (du niveau « ceinture noire », comme dit Mr Goy).
Je voudrais remercier Mme Léonore Zylberberg, professeure de français langue étrangère (FLE) et de méthodologie à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, et son père, le docteur Paul Vaillant Zylberberg. Je remercie Mr Thomas Chauveau, responsable de la bibliothèque Ernest-Lavisse à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui m’a appris à examiner l’état matériel des livres anciens. Finalement, je remercie mon camarade Mr L. V. qui a traduit en français les poèmes liminaires précédant Le Martyre de saint Gervais.
Présentation §
Le Martyre de Saint-Gervais, « poème dramatique » en cinq actes et en alexandrins, est publié à Paris chez Gaspard Meturas le 18 juin 1670. D’après la page de titre et la signature qui se trouve à la fin de l’épître dédicatoire, l’auteur s’appelle F. de Cheffault, prêtre et probablement chanoine à l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais à Paris.
La pièce traitant d’un sujet hagiographique est fondée sur l’histoire de deux saints, Gervais et Protais, frères jumeaux martyrisés au premier siècle, sous le règne de l’empereur Néron. Cette pièce a-t-elle été représentée sur scène ? Dans un théâtre professionnel, dans un établissement scolaire ou dans un lieu de culte ? Comment a-t-elle été reçue ? Pourquoi cette pièce nous est-elle inconnue alors qu’elle a fait au moins deux fois l’objet de rééditions ?
Dans le cadre d’un mémoire de Master Lettres, nous proposons une édition critique de cette œuvre théâtrale tombée dans l’oubli. Le Martyre de Saint-Gervais présente plusieurs particularités qui méritent d’être étudiées de près.
Premièrement, les pièces religieuses sont rares pendant cette période dite de « déclin » du genre. Après l’échec de Théodore de Pierre Corneille en 1646, la production du théâtre religieux se réduit sensiblement. À Paris, les théâtres professionnels ne proposent plus de pièces à sujet religieux. Pendant ce temps, les pièces romanesques et galantes règnent sur les scènes professionnelles. Il faut attendre jusqu’aux années 1680, ou précisément jusqu’à la création d’Esther de Jean Racine en 1689, pour constater un regain d’intérêt pour le théâtre religieux. Bien qu’il y ait une production continuelle de pièces religieuses, la plupart d’entre elles ne paraissent qu’en province. Donc, notre objet d’étude est une de ces rares pièces religieuses publiées à Paris pendant cette vaste période qui s’étend sur plus de quatre décennies1. Pourquoi un prêtre d’une église parisienne compose-t-il cette pièce de théâtre ? Qui est F. de Cheffault ? Pourquoi s’adresse-t-il dans l’épître au « Roy de Pologne et de Suède » ?
Deuxièmement, notre pièce a-t-elle été représentée sur scène ? Elle est écrite en français et non pas, comme la plupart des pièces religieuses « scolaires » du XVIIe siècle, en latin. En outre, nous pouvons identifier tout au long de la pièce des procédés dramatiques et dramaturgiques propres aux théâtres professionnels : écrite en français, en cinq actes et en alexandrins, notre pièce présente aussi une scène de « déguisement », une scène de monologue en stances — procédé cornélien abondamment imité par les dramaturges du siècle — , et même quelques vers portant un accent racinien. Par ailleurs, F. de Cheffault déclare dans la « Préface » qu’il respecte rigoureusement les règles du théâtre français : les trois unités — de temps, de lieu et d’action — , le principe de la vraisemblance, les énoncés propres à chaque personnage en fonction de son statut social et même la règle de la liaison des scènes. Si F. de Cheffault manifeste tant de soucis concernant les règles dramatiques, la pièce n’aurait-elle pas été représentée dans un théâtre professionnel ? Sinon, serait-ce dans un couvent ou un collège ? Pourquoi donne-t-il à sa pièce le titre générique de « poème dramatique » et non pas de « tragédie » ou « tragédie chrétienne » ? De plus, pourquoi justifie-t-il par une longue préface que sa pièce respecte bien ces règles ? À qui s’adressent ces justifications ? Aux lecteurs ou aux spectateurs ?
Troisièmement, comme nous l’avons mentionné plus haut, la pièce publiée en 1670 a été rééditée au moins deux fois. D’après les recherches d’Alain Riffaud2, nous trouvons une deuxième édition de la pièce publiée en 1685, quinze ans après la première publication, également à Paris, chez A. Rifflé. Puis, quatre décennies plus tard, en 1728, une troisième édition, sous forme de recueil factice, paraît à Caen, chez Jacques Godes. Qui dit réédition dit aussi une bonne réception. Si Le Martyre de saint Gervais attirait et avait un public (demande) depuis sa première publication en 1670 jusqu’à au moins un demi-siècle plus tard, et que les libraires ont répondu à ces demandes par les rééditions (offre), pourquoi cette pièce est-elle depuis longtemps considérée comme négligeable ?
Notre présentation est composée de trois sections principales. Dans la première section « Auteur et contexte historique de la composition de notre pièce », nous mènerons une enquête sur l’identité de l’auteur F. de Cheffault et sur la genèse de cette pièce. Nous tenterons de rechercher et de proposer quelques hypothèses sur les éléments mystérieux tels son rapport avec l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais et les œuvres picturales qui y sont présentes, le dédicataire « le Roy de Pologne et de Suède », une représentation possible et une probable fonction pratique de notre pièce imprimée.
Dans la deuxième section « Étude de la pièce », nous proposerons d’abord un rappel de la trame de l’histoire, puis nous proposerons ses sources possibles. Nous étudierons aussi sa conception dans son aspect dramatique et celle des personnages, ainsi que les influences possibles d’autres dramaturges.
La troisième section « Note sur la présente édition » est constituée de deux sous-sections : la première contient les descriptions des trois éditions de notre pièce et celles des différents exemplaires. La seconde contient une liste des coquilles (de l’édition originale) relevées et corrigées, une liste de corrections concernant la ponctuation, une liste de corrections concernant les fautes d’impression qui se trouvent dans les paratextes ainsi qu’un glossaire.
Auteur et contexte historique de la composition de notre pièce §
L’auteur §
Nous n’avons que peu d’informations sur notre auteur. D’après la page de titre de notre pièce et la signature qui se trouve à la fin de l’épître dédicatoire, nous savons qu’il s’appelle F. de Cheffault, prêtre et « C3 » de l’église de Saint-Gervais-et-Saint-Protais à Paris, au moins en 1670, l’année de la publication de son (probablement la seule) œuvre théâtrale.
Lancaster propose une hypothèse sur le « C. » comme la fonction « chanoine4 ». Kosta Loukovitch, s’appuyant sur une note de Lacroix, considère la lettre « F » dans « F. de Cheffault » comme un prénom, François5.
Dans son étude Saint-Gervais. Histoire de la paroisse d’après de nombreux documents inédits, Louis Brochard a trouvé et décrit un document officiel : « la répartition, fixée par l’Assemblée du Clergé, de la subvention volontaire6 », qui « désigne nommément chacun de ces ecclésiastiques et le montant de leur cotisation, proportionnée assurément à leurs revenus ou à leurs ressources7. »
D’après la description de Louis Brochard, il y a une liste de noms avec pour chacun un ou plusieurs titres suivis d’un chiffre qui est la somme de la taxation de chacun. Sur cette longue liste qui contient plus d’une centaine de noms, trente-sept sont désignés comme « prêtres habitués » dont le chiffre de la taxation se situe entre sept et dix-huit livres. Un « François de Cheffault » y apparaît, avec la taxation de douze livres cinq sols8.
Néanmoins, n’ayant pas la liste entière et davantage de chiffres pour faire un calcul, nous n’avons pas pu comparer et identifier où se situe ce chiffre exactement par rapport aux autres. Douze livres cinq sols nous semblent être une rémunération relativement faible à l’époque, ce qui refléterait la condition matérielle de ce François de Cheffault.
Dans un autre passage sur la « Condition sociale du clergé », Louis Brochard a pu, avec d’autres documents des archives, identifier davantage cette personne.
François de Cheffault n’était que prêtre habitué sans autre emploi à la paroisse, mais il se parait du titre d’aumônier de son Altesse royale la duchesse d’Orléans. C’est du moins ce que nous apprend l’inventaire de ses biens dressé après décès. Ce même inventaire nous fait connaître une parenté nombreuse mais modeste : des tailleurs d’habits, des tabletiers. Son intérieur est confortable, cependant il ne s’y trouve pas trace de bibliothèque dans l’appartement qu’il habitait rue des Barres (au n° 15 actuel). Par son testament olographe qui fut rédigé le 26 janvier 1704, dix ans avant sa mort, avec un pressant souci d’équité il distribue à ses nombreux parents des legs de 500 à 600 livres. L’exécuteur testamentaire sera cette fois encore son « très digne pasteur » François II Feu, qu’il prie de faire toute diligence dans la délivrance de ses libéralités9.
Si tous ces éléments factuels qu’a trouvés Louis Brochard sur François de Cheffault concernent bien notre auteur, nous pourrions tirer de ce passage au moins deux informations. Premièrement, nous pouvons déduire un élément de la date de son décès : 1714, quarante-quatre ans après la publication de son œuvre Le Martyre de saint Gervais. Aurait-il eu une vingtaine ou une trentaine d’années lorsqu’il composa et publia sa pièce de théâtre ? Si nous tenons compte d’un autre élément qu’a apporté Louis Brochard dans son article « Propos de méthode sur une liste paroissiale de curés », prétendant que François de Cheffault aurait vécu jusqu’à l’âge avancé10, nous pourrions même imaginer que notre auteur aurait eu une quarantaine ou une cinquantaine d’années en 1670. Deuxièmement, comme le reflète ce testament, François de Cheffault aurait vécu dans une condition aisée. Par ailleurs, si ce que relate Louis Brochard concerne bien notre auteur, François de Cheffault aurait entretenu de bonnes relations avec des personnes illustres, dont François II Feu, le curé de l’église Saint-Gervais, ou encore « son Altesse royale la duchesse d’Orléans11 ».
A part ces études de Louis Brochard, qui est lui-même chanoine de l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais, nous n’avons pas trouvé d’autre ouvrage ni article qui étudie de près la vie paroissiale de l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais de cette époque en particulier. Nous n’avons pas trouvé non plus d’autre étude qui mentionne le nom de François de Cheffault. Qui était exactement notre auteur François de Cheffault ? Avait-il composé d’autres œuvres poétiques ou théâtrales ? Si oui, serait-ce avant ou après Le Martyre de saint Gervais ? Finalement, nous connaissons toujours très peu notre auteur.
La genèse du Martyre de saint Gervais et le contexte historique §
a. L’église Saint-Gervais : une église prestigieuse et l’apparition des œuvres iconographiques représentant saint Gervais et saint Protais dans les années 1650-1660 §
Rappelons-nous que l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais était l’une des églises parisiennes les plus prestigieuses. Germain Brice dans son ouvrage Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris la décrit ainsi :
L’Église de St. Gervais […] est une des plus anciennes Paroisses de Paris, comme il se voit dans l’Histoire de saint Germain Evéque de cette Ville, qui vivoit en 578. en faveur duquel il s’y fit un miracle, à ce que rapporte Fortunatus Evéque de Poitiers, dans son Histoire. Le corps de cette Eglise est fort bien bâti selon le goût gotique, avec des Voutes tout-à-fait élevées, & des Chapelles tout autour. Dans une qui est sous la croisée à main gauche, on pourra voir quelques peintures, de la maniere de le Sueur, qui êtoit un des plus excellens Peintres de ce siecle après le fameus Poussin, & duquel on aura sujet de parler plus amplement. Les grissailles de vitres qui representent le Martyre de saint Gervais & le Tableau de l’Autel sont de lui. Les Tapisseries que l’on expose les grandes Fêtes, sont très-bien travaillées : les Originaux sont dans la Nef, qui ont êté peints par le même le Sueur, & par Champagne. Elles representent l’Histoire de St. Gervais & de St. Protais, & la maniere dont leurs Corps Sts. Furent trouvez à Milan, par les prieres de saint Ambroise, qui en fait mention dans ses Epitres12.
Ce passage décrit l’église non seulement de l’extérieur, par sa structure architecturale, mais aussi de l’intérieur. Nous remarquons la mention de quelques œuvres d’arts qui ornent l’intérieur de l’église. Ces œuvres représentant saint Gervais et saint Protais sont commandées aux célèbres peintres dont deux noms illustres sont cités : Eustache Le Sueur et Philippe de Champaigne (ou son neveu Jean-Baptiste de Champaigne). Ils sont par ailleurs membres de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture.
Dans son article : « Le Martyre et le triomphe des saints Gervais et Protais à l’église Saint-Gervais de Paris13 », Charles Bouvet précise, en reprenant un élément rapporté par Clément de Ris :
[…] ce serait en 1645 que « la Fabrique de la paroisse de Saint-Gervais, à Paris, voulant avoir six tapisseries à exposer le jour de la fête patronale de l’église (19 juin), s’adressa, pour en faire les cartons, aux trois artistes dont la réputation garantissait le mieux le talent14. »
C. Bouvet recense et étudie dans ce même article les six œuvres concernées, qui sont :
- - Eustache Le Sueur, Saint Gervais et saint Protais amenés devant Astasius, vers 1652
- - Eustache Le Sueur et Thomas Goussé, La Flagellation de saint Gervais, 1654-1655
- - Sébastien Bourdon, La Décollation de saint Protais, 1655
- - Philippe de Champaigne, Saint Gervais et saint Protais apparaissant à saint Ambroise, 1656-1660
- - Jean-Baptiste de Champaigne, L’Invention des reliques de saint Gervais et de saint Protais, 1656-1660
- - Jean-Baptiste de Champaigne, Translation des corps de saint Gervais et saint Protais15, 1661
André Félibien, l’historiographe de Louis XIV a noté et loué dans ses Entretiens l’œuvre de Le Sueur qui se trouve dans l’église, en mentionnant une autre œuvre inachevée :
En 1651, il [Le Sueur] peignit pour les Religieux de Marmoustier deux Tableaux de l’histoire de Saint Martin. Il fit aussi dans le mesme temps quelques ouvrages dans une Chapelle de l’Église de Saint Gervais à Paris, aux Carmelites du Convent, & en plusieurs autres lieux. Mais ce qu’il a peint de plus considerable sur la fin de sa vie sont les bains de M. le Présedent de Torigny dans sa maison de l’Isle Nostre Dame, & un grand Tableau pour servir de Patron à une tenture de tapisserie que la Paroisse de Saint Gervais vouloit faire faire pour representer l’histoire & le martyre de Saint Gervais & de Saint Protais. Il avoit mesme commencé un second Tableau du mesme sujet : mais n’ayant pu l’achever, il a esté fini par Thomas Gousse son éleve & son beaufrere16.
Ces œuvres représentant différents moments de la vie et de la légende des deux saints sont destinées à être exposées dans l’église. Selon Les couleurs du ciel : Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle17, les œuvres picturales (ici, les tapisseries) exposées dans l’église lors des jours de fêtes sont plus qu’un simple décor :
L’usage de tapisseries, tendues dans la nef ou à la croisée du transept lors des grandes fêtes est certes un reliquat du cérémonial de la Renaissance ; mais ce dernier est à présent strictement réglementé par l’assemblée des marguilliers, supervisée par le curé. Les tentures tissées ne sont plus un décor, destiné à rehausser le faste de l’église : en étant déroulées de manière symbolique à dates fixes, elle deviennent le support d’un enseignement pour tous les fidèles. Elles permettent aussi de mieux encadrer le culte des saints18.
Il prend ensuite le cas de l’église Saint-Gervais comme exemple, en précisant les dates des commandes et les trois peintres concernés :
C’est le cas à Saint-Gervais, où la fabrique commande en 1653 à Eustache Le Sueur, puis à Sébastien Bourdon en 1655 et à Philippe de Champaigne en 1657 des cartons de tapisserie peints, représentant l’histoire des saints dédicataires de l’église : Gervais et Protais19.
Plus loin, en se fondant sur les documents d’Alain Mérot20, il souligne aussi que ces commandes ont été faites par des personnes intéressées telles que des curés, des donateurs, ou des marguilliers des paroisses. Kazerouni parvient à reconstituer le contexte des six commandes : « Ainsi, en 1651, ce sont les marguilliers de la paroisse de Saint-Gervais qui initièrent le projet de tissage d’une luxueuse tapisserie sur l’histoire de Saint-Gervais et de Saint-Protais21, […] » Puis, dans la section où il étudie ces œuvres picturales consacrées à saint Gervais et à saint Protais, il précise les dates exactes et les personnes concernées :
C’est en novembre 1651 que les marguilliers de Saint-Gervais — Saint-Protais décident de commander, pour « parfaire l’ornement » de l’église, une tenture de six pièces illustrant l’histoire de leurs saints patrons. Le chœur de l’édifice avait fait l’objet de travaux d’embellissement dont les précieuses tapisseries allaient marquer l’achèvement et le point d’orgue. Pour réaliser les cartons, la paroisse fait appel à l’un des peintres les plus renommés du temps, Eustache Le Sueur. […] Deux marchés concernant les peintures et les tapisseries sont passés les 21 et 24 mars 1652. Ces documents soulignent l’ampleur exceptionnelle de cette commande en des temps rendus difficiles par la Fronde. L’exécution en est confiée, pour l’importante somme de 18 000 livres, au célèbre lissier Girard Laurant, tapissier du roi et dont la manufacture était installée au Louvre. Les sujets sont choisis par le curé de la paroisse, Charles-François Talon, et évoquent des épisodes du martyre et de la découverte des reliques de Gervais et de Protais. Ces deux frères jumeaux avaient été martyrisés et mis à mort à Milan au Ie siècle après avoir refusé de sacrifier aux idoles22.
Ces documents historiques concernant l’église Saint-Gervais et les projets artistiques révèlent que l’église et la paroisse avait des ressources importantes. Ils ont pu commander des œuvres aux célèbres peintres de l’Académie avec des sommes astronomiques pour « parer » l’église. Par ailleurs, nous avons vu que le curé de l’église Charles-François Talon a pu choisir les sujets à représenter dans les œuvres. Toutes ces informations nous incitent à penser qu’il y aurait pu avoir un mouvement artistique lancé par l’église pour promouvoir un culte de certains saints. Si c’était le cas, notre pièce parue quelques années plus tard que ces œuvres picturales avait-elle un lien avec ce mouvement ?
b. Une œuvre commandée à l’exemple de saint Eustache dans les années 1630 ? §
Notre pièce publiée en 1670, légèrement postérieure à ces œuvres picturales, est-elle aussi le fruit d’une commande ?
L’article de Pierre Pasquier « Baro et la comédie de dévotion : de l’innovation à la tradition23 ? » montre un évènement particulier qui a eu lieu à Paris dans les années 1630 : il y a eu une série de commandes d’œuvres d’art autour du sujet de saint Eustasche, visant à promouvoir le culte du saint patron saint Eustache. Citons le passage :
Il faut se reporter ici au contexte ecclésial parisien et à un évènement marquant de la fin des années 1630 : l’achèvement de la reconstruction de l’église Saint-Eustache. […] Entreprise en 1532, les travaux durèrent plus d’un siècle et ne se terminèrent qu’en 1640. La nouvelle église fut consacrée avant l’achèvement de l’entreprise, le 26 avril 1637, par l’archevêque de Paris, Jean François de Gondi. […] Des bienfaiteurs de la paroisse, et peut-être même des membres de son clergé, commandèrent à des artistes des œuvres susceptibles de promouvoir le culte de son saint patron. Ainsi Bullion, alors surintendant des finances, commanda en 1634 à Simon Vouet un diptyque destiné à orner le maître-autel de la nouvelle église. D’autres commanditaires invitèrent Nicolas de Rye à écrire un roman hagiographique, incitèrent un certain Saint-Michel à traduire la Vita de Manzini en 1647 et La vie admirable de saint Eustache en 163724. […]
Ainsi il pose son hypothèse : la reine Anne d’Autriche aurait pu commander, elle aussi, une œuvre théâtrale au dramaturge Balthasar Baro :
Dans un tel contexte, on imagine aisément que la Reine ait pu, pour sa part, commander à Baro une pièce sur saint Eustache. Ainsi reconsidéré, le Saint Eustache martyr n’apparaît plus comme une pièce de dévotion parmi d’autres, comparable à Polyeucte ou au Martyre de sainte Catherine. La pièce de Baro devient l’une des très rares pièces parisiennes qui aient été commandées et conçues pour s’inscrire dans un projet dévotionnel précis : la promotion du culte d’un saint local dans l’église qui lui est dédiée25.
Bien que Le Martyre de saint Gervais, publié en 1670, présente un écart temporel avec les œuvres picturales commandées dans les années 1650-1660, cet exemple d’un « cycle » consacré à saint Eustache nous incite à penser que notre pièce serait peut-être née dans une circonstance similaire. Sans doute selon cette même logique, Charles Bouvet cite une hypothèse d’une commande royale :
« Si l’on en croit Diderot, dit M. Lenfant, ces tapisseries auraient été données à l’église Saint-Gervais par Marie de Médicis, mais il se trompe probablement puisque cette reine est morte en 1642 et qu’il est établi qu’à cette époque, un des tableaux d’après lesquels elles ont été tissées n’était pas commencé. D’autre part, les fabriciens de l’église croient qu’elles lui ont été données par Madame de Maintenon. Pour concilier ces deux versions, il faudrait admettre que pour exécuter un vœu de sa mère, Louis XIII les a commandées, qu’elles ont été tissées de 1645 à 1650, que leur destination a été perdue de vue pendant les premières années du règne de Louis XIV qui ne s’en est souvenu que lorsqu’elle lui a été rappelée par sa dernière et superstitieuse maîtresse. Mais nous ne possédons aucun document de nature à démontrer le bien fondé de cette hypothèse26. »
Ainsi nous pourrions croire que notre pièce serait une commande royale. Or, aucun élément ne vient soutenir cette hypothèse séduisante.
c. « Roy de Pologne et de Suède » ? Un dédicataire mystérieux. §
Si l’hypothèse d’une œuvre commandée visant à promouvoir le culte d’un saint est plutôt fragile, le dédicataire indiquerait-il quelque motivation de notre auteur à composer cette pièce ? D’après l’épître dédicatoire, nous savons que F. de Cheffault compose cette pièce et l’offre au « Roi de Pologne et de Suède ». Intéressons-nous à ce dédicataire.
Une première difficulté nous apparaît immédiatement : en 1670, la Suède et la Pologne ont chacune leur propre roi, un « roi de Pologne et de Suède » existait-il vraiment ? Ou s’agissait-il l’un de ces deux rois ?
Pendant les années 1660-1697, la Suède était sous le règne du roi Charles XI27. Lancaster le considère comme le dédicataire de notre auteur. En étudiant l’ensemble des pièces religieuses (des années 1652-1672), il remarque que quelques unes sont dédiées à des personnes illustres dont « the King of Sweden, the Duchess of Croy, one of Mazarin’s nieces28 […] » Plus loin, dans la section consacrée à une étude cette pièce, Lancaster note que le dédicataire « the King of Poland and Sweden, which must mean Charles XI29, ».
Rappelons brièvement le contexte : Charles X Gustave, le père de Charles XI, était mort subitement en 1660. Dès lors, la Suède était sous la régence de la veuve de Charles X, la mère de Charles XI. Il faut attendre jusqu’à la majorité du roi en 1672 pour que commence effectivement le règne personnel du jeune roi. Ce dernier étant né en 1655, n’avait que quinze ans lors de la publication de notre pièce qui lui est dédiée. Lisait-il le français ? Appréciait-il le théâtre français ? Nous n’en avons aucune idée.
Pourquoi notre auteur s’adressait-il à ce roi ? Nous n’avons trouvé aucun lien direct ou indirect entre le théâtre, un prêtre d’une église parisienne et la famille royale suédoise. Un élément pourrait tisser un lien possible entre eux : la Suède était l’alliée de la France dans la Guerre de Hollande en 167230. Nous pourrions imaginer que F. de Cheffault, probablement sous l’ordre de quelque personnage politique, composa et offrit sa pièce à ce roi en signe d’amitié entre la France et la Suède. Mais nous n’avons aucune preuve pour justifier cette hypothèse. De plus, il nous semble étrange qu’un prêtre français compose une pièce de dévotion et l’offre à un jeune roi suédois, très probablement protestant, et qui ne lisait probablement pas français.
Une autre question se pose : pourquoi le destinataire de F. de Cheffault n’était pas simplement « Roi de Suède » ou « Roi de Pologne » mais « Roy de Pologne et de Suède », alors que la Pologne n’était pas le territoire de la Suède, et qu’elle avait son propre roi venant d’être élu en 1669, Michel Wisniowiecki31. S’il s’adressait non pas au roi de Suède Charles XI mais plutôt à ce roi de Pologne, pourquoi n’écrivait-il pas simplement « Roi de Pologne » ?
L’identité de ces deux rois, nous semble-t-il, ne correspond pas au destinataire de F. de Cheffault : « Roy de Pologne et de Suède ». Ils ne seraient très probablement pas la personne à qui est dédiée Le Martyre de saint Gervais. Cette impasse nous incite à chercher une autre personne possible qui correspond à ce titre.
En remontant le fil de l’Histoire, nous avons trouvé une personne qui pourrait être le dédicataire « Roi de Pologne et de Suède ». Il s’agit de Jean Casimir Vasa, le prédécesseur du roi de Pologne Michel Wisniowiecki.
Jean Casimir Vasa était le roi de Pologne pendant les années 1648-166832. Descendant de la famille royale suédoise, la maison de Vasa, il conservait effectivement son titre de « Roi de Suède » pendant les années 1650. C’est seulement après 1660, suite à la mort de Charles X Gustave et la signature de la paix à Oliva le 23 avril 1660 que Jean Casimir Vasa « renonce à ses prétentions au trône de Suède et reconnaît la souveraineté suédoise sur l’Estonie et la Livonie33. ». Rappelons-nous aussi que Jean Casimir Vasa a épousé Marie de Gonzague, issue de l’illustre famille Gonzague, sœur de la fameuse « Princesse palatine » Anne de Gonzague de Clèves34 dont Bossuet a prononcé l’oraison funèbre35. Si nous prenons en compte l’ouvrage de Raoul Toscan La Merveilleuse Histoire des Ducs de Nevers. Marie de Gonzague, princesse nivernaise et reine de Pologne36, Jean Casimir Vasa, pieux, aurait été cardinal avant d’être élu comme roi de Pologne. Puis, il a renoncé à son statut de cardinal pour épouser Marie de Gonzague et devint roi de Pologne. D’après la relation de Toscan, Marie de Gonzague est morte en 1667, il semble que Jean Casimir Vasa fut affecté par sa mort : « D’un naturel mobile et sensitif, l’affliction de Jean Casimir à la mort de sa femme se manifesta bruyamment. » Il abdique l’année suivante en 1668. Toscan rappelle aussi que cet évènement semble avoir quelque lien avec la politique diplomatique de Louis XIV37.
Nous savons également que, après son abdication, il est parti pour la France. Ses brefs séjours en France — brefs car il est décédé trois ans plus tard, en 1672 — sont étayés par quelques documents officiels et des récits. Nous avons trouvé deux sources principales du XVIIIe siècle : Histoire de l’Abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés, de Jacques Bouillart38 et un court passage relaté par Voltaire dans son grand ouvrage, Le Siècle de Louis XIV.
Dans Le Siècle de Louis XIV, Voltaire a relaté ce passage :
La France reçut bientôt après un roi qui descendait du trône d’une autre manière. (1668) Jean-Casimir, roi de Pologne, renouvela l’exemple de la reine Christine. Fatigué des embarras du gouvernement, et voulant vivre heureux, il choisit sa retraite à Paris dans l’abbaye de Saint-Germain dont il fut abbé. Paris, devenu depuis quelques années le séjour de tous les arts, était une demeure délicieuse pour un roi qui cherchait les douceurs de la société, et qui aimait les lettres. Il avait été jésuite et cardinal avant d’être roi ; et dégoûté également de la royauté et de l’Église, il ne cherchait qu’à vivre en particulier et en sage, et ne voulut jamais souffrir qu’on lui donnât à Paris le titre de majesté39
Nous pouvons en tirer plusieurs informations : premièrement, Jean Casimir Vasa, bien que descendant suédois et roi de Pologne, était probablement catholique et non pas protestant. C’est probablement pour cette raison que Voltaire fait référence à la Reine Christine de Suède (« renouvelant l’exemple de la Reine Christine ») qui, pour devenir catholique, a quitté son royaume la Suède pour Rome dans les années 1650. Deuxièmement, nous avons appris plus haut que Jean Casimir Vasa quitta la Pologne et partit pour la France après son abdication en 1668 ; ce passage de Voltaire précise encore que le roi s’est installé à Paris « dans l’abbaye de Saint-Germain ». Troisièmement, Voltaire relève aussi deux facteurs importants qui ont attiré le roi à Paris : les lettres et les arts. Quatrièmement, selon cette relation de Voltaire, il paraît que Jean Casimir Vasa cherchait une « retraite paisible » et voulait se débarrasser désormais des affaires politiques et ecclésiastiques40.
Une autre relation beaucoup plus récente de Toscan que nous avons déjà évoqué plus haut, propose une description un peu plus détaillée et légèrement différente à propos de cette « retraite possible » qu’a apportée Voltaire. Or, comme Toscan a déclaré dans son ouvrage qu’il appuie principalement sur les récits et les correspondances notamment sur l’Histoire de l’Abbaye royale de Saint-Germain-des-Prés de Jacques Bouillart, en tant que lecteur, nous devrions le distinguer prudemment des documents historiques.
Considérons à présent la relation de Toscan : il tente de reconstitue le trajet de Jean Casimir Vasa de Pologne en France. Il raconte que, après l’abdication « Jean Casimir respira l’air du [probable faute de l’impression pour « de la »] steppe avec allégresse. Durant une année, il voyagea dans son royaume et, en 1669, il prit le chemin de France41. » En s’appuyant sur l’écrit de l’historien polonais Waliszewski42, il poursuit la reconstitution du trajet du roi :
Le 10 octobre, il était à Metz et s’y faisait recevoir solennellement ; service à la cathédrale avec discours de l’archevêque d’Embrun, grand gala de l’archevêché, où, au témoignage de la Gazette de France, « les dames parurent en état des plus lestes43 ».
Puis, arrivé à Meaux, Jean Casimir Vasa « trouva Condé et d’Enghien et se laissa mener à Chantilly où il passa quatre jours et où de Lionne vint le complimenter de la part du roi44. » La description suivante de Toscan nous intéresse en particulier : « Le château regorgeait de monde, tous les jours il y eut souper somptueux, comédie à l’italienne, partie de chasse et de pêche. » Si cette description était fiable, ne pouvons-nous pas penser que Jean Casimir Vasa était aussi un amateur du théâtre, ou en général, un amateur des fêtes, ou bien qu’il avait probablement pris goût pour le théâtre pendant ces séjours et ces fêtes en France ?
Reprenons le trajet, « Le 17, il s’en fut à Evreux prendre possession de l’abbaye de Saint-Taurin, désignée avec six autres pour son apanage45. » Puis, « Un mois plus tard seulement », date importante, c’est-à-dire en novembre 1669, « on le vit à Saint-Germain, et, le même jour, après avoir salué le roi, il arrivait à Paris et descendait à Saint-Germais-des-Prés, le fief le plus important de son nouveau domaine46 ».
Enfin, un dernier élément est rapporté : le terminus du trajet de Jean Casimir Vasa (Paris) et l’activité à laquelle il allait se consacrer.
Il prit possession de l’abbaye le 23 mai 1669 et il entra solennellement pour la première fois dans l’église Saint-Germain-des-Prés le 24 novembre de la même année. Pour cette circonstance, l’église abbatiale avait été tendue de ses plus belles tapisseries. Le roi de Pologne vint vers les dix heures du matin ˜revêtu de ses habits ordinaires et avec son collier de la Toison d’or. Il était suivi de plusieurs seigneurs polonais et de tous ses officiers. Toute la communauté, en chapes, le reçut à la porte de l’église au son des cloches, le grand prieur des anciens lui fit une harangue, puis on chanta un Te Deum47.˝
Outre ces deux relations, l’arrivée de Jean Casimir Vasa à Paris est également attestée et commentée par Charles Robinet dans l’une de ses Lettres en vers, celle du 30 novembre 1669 :
Le merveilleux Jean Cazimir,Lequel sçait si bien s’affermir,Dans le mépris des Grandeurs vainesQui charment les Ames mondaines,Et qui, de puissant Potentat,Qui gouvernoit un grand Etat,Se contante, dans une ViePrivée, & comme ensevelie,D’étre un bon Abbé Commandant,Et de Moines, Sur-Intendant,A fait, Dimanche, son EntréeEn son Eglise48, bien parée,Aux Fanfares de maints Clairons,Remplissans l’Air des environs,Au son des Haut-bois, des Muzettes,Au bruit des Cloches, é des Boëtes,Les Moines, avec le Prieur,Dans un modeste extérieur,Le reçeurent, complimentérent,Et grand Respect lui témoignérent,Ravis de se voir sous la Loy,Ainsi, d’un Abbé fait d’un Roy49.
Dans la même lettre, Robinet relate aussi que ce nouveau « Abbé-Sire » appréciait le spectacle :
Comme les Abbez de la sorte,Aux Plaisirs, n’ont pas l’Ame morte,Il fut le jour du lendemain,Au grand Château de Saint Germain,A la Comédie Espagnole,Fort grave, dessus ma parole,Où la Reyne avoit invitéObligeamment, sa Majesté.Mercredy, ledit Abbé-Sire,A qui tout bon-heur je désire,Vinst à celle des Italiens,Bien aimez de nos Citoyens ;Et veid leur beau Festin de PierreLequel feroit rire une pierre,Où, comme des Originaux,Tous les Acteurs sont sans égaux,Et font, sans doute, des merveillesQui n’ont point, ailleurs, de pareilles50.
D’après toutes ces relations, nous pouvons affirmer maintenant que le profil de Jean Casimir Vasa — ancien roi de Suède, ancien roi de Pologne, très probablement catholique, qui aimait les lettres, les arts et le théâtre, qui avait une épouse française d’une célèbre famille et qui, après avoir abdiqué son trône, décida de s’installer désormais à Paris en 1668-1669 — correspond mieux au dédicataire de F. de Cheffault que les deux autres rois cités (le roi de Suède Charles XI et le roi de Pologne Michel Wisniowiecki.) Cela expliquerait aussi la note étrange de Lancaster concernant le roi Charles XI « although he had already renounced his claim to the Polish throne51 » : il a sans doute confondu Charles XI, le roi suédois au pouvoir en 1670 et Jean Casimir Vasa, descendant suédois, le roi de Pologne au pouvoir pendant deux décennies, 1648-1668. Par ailleurs, nous comprendrons mieux la première phrase obscure de notre auteur dans son épître : « Les noms de Prince et de Roy, sont de glorieux titres qui ornent si bien le frontispice d’un Ouvrage, que j’ay fermé les yeux à toutes les considerations qui pouvoient m’empescher de mettre le mien au jour, et de l’offrir à Vostre Majesté ». Il est flatté par ces deux titres à qui il dédie son œuvre. Le « Prince » signifierait le prince suédois, et le « Roy », le roi de Pologne, deux titres désignant et appartenant à une même personne : Jean Casimir Vasa.
S’il s’agit bien de Jean Casimir Vasa, nous pouvons poser deux autres hypothèses.
La première est que notre pièce aurait été créée beaucoup plus tôt que la date de la publication, 1670. Car il faudrait qu’elle soit créée avant 1660 pour que le titre « Roi de Pologne et de Suède » soit justifié. Si c’était le cas, nous pourrions imaginer aussi que la composition de cette pièce aurait pu s’inscrire dans la série de commandes artistiques, visant à promouvoir le culte de saint Gervais et saint Protais. Mais nous n’avons trouvé aucune trace qui indique que Jean Casimir Vasa était en France vers 1660 ; d’où venait alors le contact entre notre auteur et son dédicataire ? De plus, si les marguilliers avaient d’abondantes ressources et avaient pu commander des œuvres picturales aux célèbres Académiciens avec des sommes exceptionnelles52, ils auraient sans doute pu commander une ou plusieurs œuvres théâtrales aux grands dramaturges de ce temps tels Pierre Corneille, poète et dramaturge professionnel qui avait déjà l’expérience de mettre les saints sur scène avec son Polyeucte et son Théodore, ou Jean Magnon dramaturge aussi important dans les années 1640-1650, qui a déjà composé une pièce de dévotion Josaphat, et qui était encore actif en 1659-1660, fait attesté par sa pièce nouvelle Zénobie, reine de Palmyre, créée par la troupe de Molière au théâtre de Petit-Bourbon en décembre 165953. Les marguilliers n’avaient aucune raison de commander une œuvre théâtrale au prêtre inconnu qu’est notre auteur François de Cheffault.
La deuxième hypothèse est que la pièce aurait été créée vers 1668-1669. F. de Cheffault compose une pièce de dévotion et dédie son œuvre à cet « ancien » roi de Pologne Jean Casimir Vasa qui venait d’abdiquer en 1668 et qui décida de s’installer désormais à Paris en 1669. Cette œuvre théâtrale serait le signe de l’amitié ou de la bienveillance de la communauté chrétienne parisienne qui l’accueille en son sein. Quant au titre « Roi de Pologne et de Suède », il est probable soit que F. de Cheffault ignorait les actualités politiques (le fait que Jean Casimir Vasa a renoncé le titre du Roi de Suède en 1660), soit qu’il emploie ce titre de manière élogieuse54.
Il nous semble que la deuxième hypothèse — que la pièce aurait été créée en 1668-1669 — est plus probable. Si François de Cheffault savait que le roi de Pologne, descendant de la famille royale suédoise Vasa, ancien cardinal, qui aimait tant les arts et les lettres et sans doute le théâtre, avait décidé de s’installer désormais à Paris en devenant curé à l’église Saint-Germain-des-Prés, notre auteur pouvait lui offrir une œuvre théâtrale portant sur un sujet saint en espérant en retour une simple reconnaissance ou une protection sociale, ou plus concrètement un soutien financier.
Comme nous avons vu dans le document qu’a trouvé L. Brochard que, François de Cheffault « se parait du titre de l’aumônier de l’Altesse Royale la duchesse d’Orléans55 », cette hypothèse d’une quête de protection ne nous semble pas impossible.
De plus, étant l’un des « prêtres habitués » de l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais, notre auteur connaissait certainement les tapisseries et les œuvres d’art des grands peintres réalisées pendant les années 1650-1660 et qui étaient exposées dans l’église. Les noms de Philippe de Champaigne, Sébastien Bourdon, Eustache Le Sueur intéressaient assurément Jean Casimir Vasa. Si le roi de Pologne est effectivement arrivé à Paris le 24 novembre 1669 comme le relatent les passages cité plus haut, ne pouvons-nous pas imaginer que François de Cheffault l’aurait invité, prétextant une visite de l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais au nom des œuvres de célèbres peintres exposées, et y aurait préparé une représentation de son poème dramatique Le Martyre de saint Gervais à l’intérieur de l’église ?
De plus, si Jean Casimir Vasa avait déjà assisté, à l’invitation de la reine, à un spectacle de la troupe des Espagnols à Saint Germain et à un spectacle de celle des Italiens à Paris (d’après Robinet, il s’agit d’une représentation d’un Festin de Pierre), notre auteur aurait pu lui proposer comme divertissement, cette fois-ci, une pièce à la française. Ceci expliquerait aussi la longue préface du Martyre de saint Gervais où François de Cheffault justifie la valeur de son œuvre en insistant sur le fait que, pour la composer, il a respecté rigoureusement les « reigles de la Scène Françoise56 ».
Poussons plus loin notre hypothèse : si la représentation avait eu lieu et si l’« Abbé-Sire » (Jean Casimir Vasa, l’ancien roi devenu abbé) y avait assisté, elle aurait été très appréciée par ce roi. Une phrase dans l’épître renforcerait cette hypothèse. Voici ce que déclare notre auteur :
Si mon Livre est assez heureux pour plaire à Vostre Majesté ; je me pourray vanter qu’une Reyne Estrangere, Fille d’un Roy des Marcomans, Peuples de Mauravie, a trouvé son azile chez un Roy comme elle Estranger
Nous pourrions tout à fait entendre cette phrase comme un remerciement reposant sur la comparaison habituelle dans les dédicaces : un ou plusieurs personnages de la pièce, représentant l’auteur et son œuvre (ici, c’est la « Reine Estrangere » Fritigile), qui trouvent une protection ou un accueil bienveillant (un « azile ») chez le dédicataire (« le Roy Estranger », le dédicataire Jean Casimir Vasa). Ce serait ainsi que notre auteur aurait pu imprimer et publier son œuvre, avec le privilège du roi obtenu le 24 mai 1670, environ six mois après la création, durée conventionnelle à l’époque entre la création d’une pièce nouvelle et son impression et publication en livre. Enfin, l’appréciation ou la « protection » de ce roi étranger expliquerait aussi des ornements exceptionnels — des bandeaux larges de différentes figures séparent chaque acte et des bandeaux fins séparent les scènes, aussi bien que la première lettre de chaque acte est ornée — pour une pièce du format in-12° par demi-feuille d’un auteur inconnu.
d. Le Martyre de saint Gervais imprimé, un livret de chants pour la fête des saints Gervais et Protais. §
Notre hypothèse considérant la pièce comme une « offrande » à une personne illustre donne au contexte de la genèse de notre pièce une couleur plus politique que religieuse. Nous nous éloignons en effet de l’hypothèse selon laquelle notre pièce serait une œuvre conçue ou commandée pour un évènement religieux, ou plus précisément pour promouvoir le culte d’un certain saint. Néanmoins, nous pouvons toujours et facilement constater un motif religieux qui est mis en avant par le statut social de notre auteur (prêtre), le lieu où il sert (l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais) et le sujet de notre pièce (le martyre des deux saints). L’hypothèse d’un « mouvement visant à promouvoir un culte » semble encore valable.
Nous avons trouvé par ailleurs un autre élément qui pourrait y jouer un rôle important : la date d’achèvement d’impression. La page du « privilège » indique que l’impression est achevée « le dix-huictiéme Juin 1670. » Il est intéressant de souligner que, le lendemain, 19 juin, était le jour anniversaire de la fête des saints Gervais et Protais. Il semble que notre auteur a pu avoir l’intention d’imprimer son œuvre Le Martyre de saint Gervais pour une fonction pratique : il s’agit d’utiliser la pièce imprimée comme un livret de chants.
Alain Riffaud a recensé treize exemplaires de l’édition originale du Martyre de saint Gervais, un nombre exceptionnel pour une pièce considérée comme « tombée dans l’oubli ». À part les quatre exemplaires conservés à l’étranger, nous avons pu consulter les neuf qui sont en France57. Après avoir examiné ces exemplaires, nous constatons une différence importante entre eux : trois exemplaires comprennent des pages supplémentaires (précisément quatorze pages, p. 95-10858), contenant un recueil de chants en latin. Nous supposons qu’il y a eu probablement au moins deux tirages de l’édition originale de notre pièce : les uns avec le recueil de chants et les autres sans. Ces chants qui sont présents à la fin de la pièce ont pour sujet l’éloge des deux saints, Gervais et Protais. Bien que les hymnes soient écrits en latin, nous pouvons constater dans ces pages, au début ou à la fin de ces hymnes, les indications en français : par exemple, un « titre » sur la page 97 : « HYMNES / VERSETS, PROSES / ET ORAISONS, » suivi d’une explication qui renforcerait notre hypothèse : « Qui se chantent en la Parroisse des St. Gervais et Prothais, les jours de leur Feste, Translation et durant les Octaves. ». Trois hymnes, une oraison et une prose en latin, sont présentées dans les pages suivantes, séparés par des bandeaux fins de vignettes, jusqu’à la page 102. Il y a par ailleurs, en entête de chaque hymne, quelques mots en français indiquant les moments auxquels ces hymnes doivent être chantés : « aux premieres et secondes vespres. » ; « A MATINES. » ; « A LAUDE. » et « A LA MESSE ». Une nouvelle section est présentée à la page suivante : « POUR LE JOUR DE LA TRANSLATION ». On y trouve comme précédemment trois hymnes, une oraison et une prose qui doivent être chantés aux différents moments du jour.
Ces éléments suggèrent que notre pièce imprimée (ou au moins certains de ces exemplaires) pourrait avoir une fonction concrète : un livret de chants que les religieux utilisent pendant la fête.
Si François de Cheffault avait l’intention d’imprimer et d’utiliser ces livres pendant la fête, nous pouvons imaginer que, avec le titre de son protecteur l’« Abbé-Sire » Jean Casimir, notre auteur aurait pu influencer le processus de l’impression. Cela expliquerait le très grand nombre de coquilles qui se présentent dans la seconde moitié de la pièce, en particulier à l’acte V59. On peut imaginer que les imprimeurs (ou l’imprimeur) qui ont pris en charge l’impression de la pièce ont accéléré leurs travaux pour que les livres soient prêts à être utilisés lors de la fête anniversaire. En le faisant précipitamment, n’ayant plus de temps, ils auraient dû renoncer à la distinction entre la préposition « à » et l’« a », verbe « avoir » conjugué au présent à la troisième personne du singulier ; aussi bien que la conjonction « ou » et le pronom relatif « où » (qui est aussi un adverbe interrogatif).
Étude de la pièce §
Le Martyre de saint Gervais, « poème dramatique », est une pièce de théâtre en cinq actes, écrits en vers alexandrins — à part une courte lettre à l’acte II, scène 4 et un monologue en stances « de Vers libres » à l’acte V, scène 1, qui présentent des vers de différents rythmes (vers en octosyllabe) — forme conventionnelle d’une tragédie de cette époque. Notre pièce contient au total 2034 vers, ce qui en fait une pièce relativement longue. Le nombre de vers par acte est : 384 vers dans le premier acte en quatre scènes, 425 vers dans le deuxième acte en cinq scènes, 341 vers dans le troisième acte également en cinq scènes, 355 vers dans le quatrième acte en sept scènes, et 525 vers dans le dernier acte en sept scènes.
Le rythme des deux premiers actes — qui en général illustrent le contexte de l’histoire (exposition) avec de longues narrations et qui préparent le nœud — est relativement lent : environ cent vers par scène. Une accélération se produit ensuite, que l’on constate par l’augmentation du nombre de scènes au troisième acte : une scène de plus par rapport aux deux premiers, et trois scènes de plus au quatrième acte, tandis que le nombre de vers de ces deux actes restent à environ 350 vers. Ceci montre la multiplication des mouvements et des actions des personnages dans l’acte III et dans l’acte IV, avec environ 50 vers par scène. Cette accélération est conforme aussi à la tragédie classique : en général, le nœud se complique et l’intrigue se pousse, en accélérant, vers la « catastrophe » au quatrième acte, après lequel nous attendons impatiemment un dénouement.
Or, nous constatons ici un étrange ralentissement au cinquième acte — qui en général présente le dénouement et devrait être bref — , 525 vers pour sept scènes, une moyenne de 75 vers par scène. Cette étrangeté pourrait être expliquée par le fait que notre auteur n’était pas un dramaturge professionnel et que Le Martyre de saint Gervais était probablement sa première, voire son unique œuvre théâtrale. Néanmoins, le choix du titre générique « poème dramatique », le nombre réduit de personnages, la conception d’une histoire mêlée d’un épisode amoureux, l’utilisation de stances, ou encore l’introduction du déguisement, tous ces éléments nous incitent à penser que notre auteur, n’étant pas professionnel, n’était pas non plus complètement étranger du théâtre professionnel de son temps. Nous étudierons dans cette deuxième section de notre présentation les sources historiques de notre pièce, les procédés dramatiques et dramaturgiques que notre auteur a utilisés ainsi que les influences possibles qui ont pu l’inspirer pour composer cette pièce.
La trame principale de la pièce et un bref résumé §
Acte I §
La pièce est inaugurée par Astase, comte et préfet de l’Empereur, suivi de son confident Tyridate. N’entendant plus la voix des dieux romains (l’Oracle des dieux) depuis quelques temps, Astase, pieux, est inquiet et s’en plaint car il ne peut pas prendre une décision sans l’approbation des dieux. Il lui faut décider de mener ou non une guerre contre les Marcomans. Tyridate lui conseille de la lancer sans l’approbation divine. Mais Astase n’est pas rassuré : « Tant que le Ciel s’obstine à garder le silence, Si je n’ay son aveu, je n’ay point d’assurance » (I, 1, v. 57-58). Le confident insiste, en employant d’autres arguments, dont le suivant, pendant ce temps, les ennemies se fortifient et autre argument, particulièrement efficace, celui d’une « récompense » : s’ils gagnent cette guerre, un « Prince More » lui proposerait un mariage avec la reine des Marcomans, Fritigile (« Ne differez-donc plus, Seigneur, songez encore / Qu’on parle d’alliance avec un Prince More, / Que Fritigile en âge est preste à demander / Et que le Roy son pere, enfin peut l’accorder ; / Pour soustenir son Trosne il a besoin d’un Gendre, / Qui dans l’occasion s’arme pour le deffendre ; », I, 2, v. 89-94) Tenté, Astase demande à son confident d’aller une dernière fois au temple pour vérifier la situation : si les dieux ne répondent toujours pas, il va se lancer dans la bataille. Le confident l’ayant quitté, Astase dévoile dans un monologue ses sentiments d’amour envers cette reine et le souci de son statut social : n’étant pas né de sang royal, il se sent illégitime d’épouser une reine. Pour ce faire, il faut d’abord conquérir son royaume afin d’obtenir un statut légitime de vainqueur. En songeant à tout cela, le capitaine Thrasée arrive. Il apporte des nouvelles dans une longue narration concernant une bataille qui a eu lieu la nuit précédente et dont le résultat est favorable : six espions marcomans ont été pris et emprisonnés. Pendant qu’ils parlent de continuer la guerre, le confident revient, apportant lui aussi des nouvelles, mais mauvaises celles-ci : le temple et les dieux romains ont été blasphémés par deux chrétiens travestis en romains. Tyridate raconte qu’à la fin de la cérémonie, « chacun s’estoit levé ; Ces ennemis des Dieux par un excés de rage, / Montant sur leurs Autels briserent leur Image, / Prophanerent le Temple, et les Vases de prix, /Furent foulez aux pieds avec tant de mépris… » (I, 4, v.344-348). Il incite donc Astase à venger les dieux en punissant les deux chrétiens, tandis que Thrasée lui conseille plutôt de convertir les deux frères à leur propre religion païenne. Mais Astase décide de les condamner publiquement ; Tyridate part pour retrouver ces deux chrétiens et Thrasée tente d’identifier le but des espions emprisonnés.
Acte II §
En dehors du temple romain, les frères Gervais et Protais sont en train de discuter s’il faut fuir ou non après leur blasphème survenu au temple. Protais reproche à Gervais de vouloir fuir mais Gervais expose son autre projet : se faire punir publiquement et, en souffrant, émouvoir les « païens » et ainsi de les amener au christianisme. Ils décident donc retourner au temple et de renverser une seconde fois les Idoles païennes.
Astase et Thrasée reviennent sur scène. Ce dernier fait un rapport, expliquant qu’il n’a pas pu « arracher des secrets » aux espions emprisonnés. Or, il a reçu une lettre de l’un d’eux qui sollicite le comte Astase pour une rencontre. Ayant lu cette lettre mystérieuse, Astase est déstabilisé par ce prisonnier anonyme qui être de rang souverain (« car malgré le pouvoir de vox loix qui me brave, / Dans le rang que je tiens je ne suis point esclave, Non plus que vostre prisonnier. » II, 2, v.544-546) Il demande donc à Thrasée d’amener cette personne. En attendant, Tyridate revient et relate que les deux chrétiens ont été capturés et qu’ils appartiennent au groupe des espions emprisonnés. Thrasée revient avec le « prisonnier-prince » qu’Astase reçoit et questionne. Ce « prince » tente de négocier la paix avec Astase, puis il dévoile sa véritable identité : il est en réalité Fritigile, la reine des Marcomans. Surpris, Astase la reçoit avec la politesse requise, demandant à sa sœur Doritille de l’accueillir dans leur demeure.
Acte III §
Astase et Thrasée sont dans le camp. Le comte est étonné de voir que ses soldats sont découragés. Le capitaine explique que cet état est dû à l’arrêt de la guerre, en reprochant à Astase ce retard incompréhensible. Astase n’explique pas cette trêve qu’il a accordée à Fritigile sans avoir l’approbation de l’empereur, tout en espérant un mariage avec elle. À l’arrivée de sa sœur Doritille, Astase demande à Thrasée de se retirer. Doritille vient faire un rapport à son frère concernant l’accueil de Fritigile, déclarant qu’elle entend bien son souhait d’épouser la reine, mais que cela ne lui semble pas sage sur le plan politique. Toutefois, Astase ne pensant qu’à plaire à Fritigile, n’écoute rien de sa sœur. Doritille se sent offensée et quitte son frère au moment où Thrasée ramène Gervais et Protais. Le comte demande aux deux frères de satisfaire les dieux romains offensés en abandonnant la religion chrétienne. (« Nos Dieux sont offencez il faut les satisfaire, / Et pour les satisfaire il n’est qu’un seul moyen, / Renoncer à la vie, ou n’estre plus Chrestien. » III, 3, v.960-962) Les deux frères déclarent clairement qu’ils ne veulent pas cette « grâce » et resteront chrétiens même sous la menace de mort. Astase décide donc de les condamner. Pendant ce temps, en entendant l’arrivée de Fritigile, Astase demande aux gardes de ramener les deux frères en prison. La reine, annonçant le projet qu’ils entretiennent d’allier sa troupe et celle d’Astase, remarque que le comte est troublé par quelque affaire. Astase explique que, s’il est attristé, c’est parce qu’il trouve les deux frères courageux ; or il est obligé de les punir par dépit. La reine lui propose alors de punir l’un pour apaiser les dieux et de sauver l’autre pour l’utiliser comme brave soldat. Ainsi, elle se donne la tâche d’aller négocier avec ces deux criminels. Astase lui donne son accord en demandant à Doritille de l’accompagner jusqu’à la prison.
Acte IV §
Doritille, voulant sauver son frère du courroux des dieux et s’avouant jalouse de Fritigile, déclare à Thrasée son projet de vengeance. Elle tente de s’allier avec le confident d’Astase, Tyridate. Ce dernier raconte ce qui s’est passé : Fritigile s’est convertie au christianisme et a décidé de sauver les deux frères de la condamnation. Mais Tyridate craint d’être disgracié s’il trahit la reine tant aimée par Astase, tandis que Thrasée, bien que prudent et sachant que ce projet de vengeance est dangereux, décide d’obéir à Doritille, espérant en retour son amour. Astase vient et avertit sa sœur et Thrasée de ne rien entreprendre contre Fritigile qui est sous sa protection. La sœur ennuyée s’en va. Pendant ce temps, Gervais, après avoir discuté avec Fritigile, revient pour négocier avec Astase : les deux frères obéiront à son ordre (probablement concernant l’affaire militaire) à condition que le comte se convertisse au christianisme avec la reine. Astase, courroucé, fait donner l’ordre de punir Gervais (« Gardes ; si tout est prest, qu’on le conduise au Temple, / Aux coups de foüets plombez nous l’avons condamné, / Suivez exactement l’ordre que j’ay donné. », IV, 4, v.1374-1376). Fritigile accompagnée de Protais, vient implorer la clémence d’Astase qui demande à Thrasée et Tyridate de conduire Protais à son frère. Alors que Fritigile supplie en vain Astase de retirer l’ordre de les condamner, le comte, ne changeant pas d’avis, tente de consoler la reine, également en vain. Pour participer à la condamnation, il laisse sa sœur à côté de Fritigile pour lui tenir compagne et pour la consoler. Mais Doritille ne fait rien d’autre qu’irriter Fritigile et celle-ci, ne craignant pas la menace de la sœur jalouse, décide de ne pas cacher son cœur désormais chrétien, en s’en allant vers la prison.
Acte V §
Dans la prison, Fritigile toute seule dévoile sa foi chrétienne en manifestant sa reconnaissance de cet unique dieu chrétien. Bien qu’elle se trouve dans une situation difficile — perdant son royaume, ne trouvant pas un accord avec Astase, menacée par la sœur jalouse de ce dernier — elle montre sa détermination. Tyridate arrive et lui relate la mort de Gervais dans une longue narration. Émue par la mort de Gervais, elle va chercher Protais. Astase, qui arrive juste après sa sortie, craint que l’accord entre lui et la reine — d’une trêve et d’un mariage — soit rejeté, et demande à son confident de dévoiler tout ce qu’il en sait. Tyridate commençant, Fritigile revient, disant qu’elle n’a pas trouvé Protais, soupçonnant une trahison d’Astase ou de Doritille. Le comte est perturbé par ce soupçon et par le changement de Fritigile qui déclare encore sa foi chrétienne. Voyant Protais arriver, Astase se propose de faire un dernier effort pour l’épargner, surtout pour sauver un dernier espoir de réaliser le mariage avec Fritigile. Or, Protais ne vient que pour mourir en chrétien avec son frère. Ainsi Astase le condamne à mort. Doritille revient et conseille à son frère de renoncer à ce rêve d’un mariage qui est d’ailleurs dangereux. Mais Astase, profondément amoureux, aime toujours Fritigile et est prêt à lui pardonner malgré tout : « Ouy, je songe ma sœur, qu’elle devient coupable / Mais avoüez aussi qu’elle est toujours aymable, / Et que dés qu’une fois on se laisse charmer, / Il est bien mal-aisé de s’empescher d’aymer, / Je ne m’esblouis pas de l’esclat de son trosne, / Je n’en veux qu’à son cœur, et non à sa Couronne » (V, 6, v.1875-1880). Thrasée revient et relate la mort de Protais dans une autre longue narration et raconte aussi le départ de Fritigile.
Pour simplifier l’histoire de notre pièce et clarifier les relations entre les personnages, nous allons les récapituler en quelques mots :
Astase, le comte de l’Empereur doit exécuter les deux frères, Gervais et Protais (qui ont blasphémé la religion païenne romaine), afin d’apaiser les dieux indignés et d’obtenir leur faveur dans une guerre en cours contre les Marcomans. Entre-temps, la reine des Marcomans Fritigile apparaît et interrompt à la fois la guerre (une trêve est accordée par Astase en échange d’un mariage) et l’exécution des deux frères (car elle aussi est touchée par la grâce chrétienne après sa rencontre avec Gervais et Protais.)
Doritille, la sœur d’Astase, conseille à ce dernier de suivre l’ordre des dieux au lieu d’être aveuglé par son amour pour la reine. En séduisant et en menaçant le confident de son frère, Tyridate, elle découvre la conversion secrète de Fritigile et son intelligence avec les deux frères « criminels ». Jalouse de Fritigile qui est accablée de l’amour d’Astase, Doritille décide de s’allier avec le capitaine Thrasée qui travaille pour son frère et à qui elle est promise, pour dévoiler le « crime » de cette reine et pour se venger.
Finalement, Astase exécute les deux frères, martyrisés comme ils le souhaitaient. La reine Fritigile qui n’a pas pu les sauver de l’exécution, est attristée par leur mort. Elle décide donc de se faire baptiser et de devenir chrétienne. Pour ce faire, elle quitte le pays en laissant son armée à Astase. Le mariage prévu est alors annulé. Ayant pourtant atteint son objectif principal, Astase reste seul et désespéré.
Mais une question apparaît : d’où vient cette histoire dont l’intrigue est si complexe ?
Sources §
Dans la « Préface », François de Cheffault avertit ses lecteurs que le sujet qu’il traite : « […] est un sujet si connu des personnes d’erudition et de pieté que tout le monde l’a pû lire ». Certes, en tant que prêtre à l’église de saint Gervais à Paris, il connaissait bien sans doute l’histoire des deux frères martyrs. Mais il est probable que cette histoire hagiographique, avant notre auteur, n’avait pas été traitée par le théâtre. Ses sources d’inspiration devaient être, comme il l’indique dans la préface, des écrits historiques ou religieux, en particulier la Vie des Saints60 et les Annales ecclésiastiques de Baronius61. Nous pouvons aussi supposer que la Légende dorée de Jacques de Voragine62, ouvrage hagiographique très important qui présente une compilation des vies des saints, pourrait être l’une de ses sources.
a. Le martyre des saints Gervais et Protais dans la Vie des Saints et dans La Légende dorée §
Dans La Légende dorée de Jacques de Voragine63, un court texte raconte l’histoire des deux jumeaux Gervais et Protais : ceux-ci auraient vécu au premier siècle sous l’Empire Romain dirigé par Néron. Ayant décidé de devenir chrétien, ils se débarrassèrent de leurs biens et suivirent saint Nazaire. Après avoir irrité des soldats romains en témoignant de leur foi, saint Nazaire fut frappé et jeté dans la mer, tandis que les deux frères jumeaux furent conduits manu militari vers Milan.
Dans le même temps, Astasius, comte de l’Empereur Néron, préparait une guerre contre le royaume des Marcomans. Les religieux (les adorateurs des dieux) exigèrent de lui que ces deux frères aillent sacrifier dans leur temple romain afin de recevoir la réponse et la faveur des dieux. Restant fidèle à la religion chrétienne, Gervais refusa en disant que les statues (les divinités païennes) étaient sourdes et muettes et qu’il n’y avait qu’un seul Dieu véritable et tout puissant. Courroucé, Astasius ordonna à son sbire de fouetter Gervais « avec des lanières garnies de plomb jusqu’à ce qu’il ait rendu l’âme ». Puis, le comte appela le frère cadet, lui conseilla — en exhibant le cadavre de Gervais martyrisé — d’obéir à son ordre pour éviter la cruelle punition subie par son frère. Protais refusa à son tour et fut exécuté.
Le chapitre se poursuit avec quelques épisodes qui ont eu lieu postérieurement concernant la redécouverte de leurs corps trois siècles plus tard par saint Ambroise à Milan. Ce dernier décida alors de construire une cathédrale pour leur rendre hommage, et des miracles se produisirent lors de la translation des corps de nos deux saints.
Dans la Vie des Saints, l’histoire de Gervais et Protais est racontée à partir d’une lettre de saint Ambroise qui relate la découverte de leurs corps. Cette lettre est sans doute celle à laquelle notre auteur a fait référence dans la préface : il s’agit d’une lettre de saint Ambroise dans laquelle il note une révélation divine qui lui arrive un jour de carême. Le Dieu chrétien et saint Paul lui indiquent l’endroit où sont enterrés les deux saints. Ayant découvert leurs corps, conservés miraculeusement dans un bon état et qui émettent par ailleurs un parfum admirable, saint Ambroise trouve un morceau de papier relatant l’histoire des deux frères64. Cette histoire présente une structure similaire au texte de Jacques de Voragine : le comte Astase passait par Milan pour aller à la guerre contre les Marcomans, les religieux lui donnent le conseil d’exiger que les deux frères se rendent au temple pour un sacrifice païen ; les deux frères refusent et le comte les condamne à mort. Puis, la Vie des Saints cite une deuxième lettre de saint Ambroise, adressée à sa sœur Marcelline, qui raconte des miracles qui se sont produits lors de la translation des corps des saints Gervais et Protais65. Enfin, un passage recense les églises et les cathédrales en France consacrées à ces deux saints ; un dernier court paragraphe propose une date de leur martyre : « Leur martyre arriva le 19 juin de l’an 170 ou 171, selon le cardinal Baronius, et sous l’empire de Marc-Aurèle et de Lucius Vérus66. »
La seule différence importante entre les deux versions (La Légende dorée et Vie des Saints) est la date. Nous ne savons pas quelle est la période exacte où les deux frères auraient vécu. Tous les textes qui rapportent l’histoire des nos deux saints s’accordent sur l’identité de leurs parents : saint Vital et sainte Valérie. Or, à quel siècle ont-ils vécu ? Cette question aussi donne lieu à contestation. Toujours selon la Vie des Saints, dans la section de saint Vital et sainte Valérie (28 avril) : « Quelques auteurs ont écrit que saint Vital souffrit la mort dans la cruelle persécution de Néron ; mais le cardinal Baronius dit que ce fut sous les empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus67, […] » Il nous semble que l’an 171 serait plus probable car Marc-Aurèle a en effet mené une guerre contre les Marcomans, mais nous n’avons pas d’autre preuve convaincante. Ces deux différentes dates ne posent pourtant aucun problème pour notre pièce, car aucun Empereur n’y est présent.
Concernant les personnes (et les personnages), dans La Légende dorée comme dans la Vie des Saints, il y a bien un préfet nommé Astasius (ou Astase) qui préparait une guerre contre le royaume des Marcomans et qui mit a mort les deux frères Gervais et Protais. Nous retrouvons donc jusqu’ici trois personnages présents dans notre pièce. Cependant, Fritigile, la reine des Marcomans en est absente.
Considérons à nouveau la préface de notre pièce. Notre auteur signale qu’il l’a composée avec une histoire principale mêlée d’un épisode amoureux, comme le font les grands dramaturges professionnels français de son temps, afin de respecter « les reigles de la Scene Françoise ». Il insiste aussi sur l’importance de cet épisode :
que toute la beauté d’un Poëme Epique ou Dramatique, ne consiste que dans l’Episode, qui n’est autre chose qu’une Histoire si artistement inventée, que si vraye-semblance, et le rapport qu’elle a avec le veritable sujet qu’on traite, ne choquent jamais le bon sens68.
L’histoire principale concerne le martyre des deux frères Gervais et Protais ; tandis que l’épisode concerne une intrigue amoureuse entre le comte Astase et un personnage féminin, Fritigile, reine des Marcomans. Notre auteur rappelle aussi qu’il ne s’agit pas d’un personnage inventé mais que cette reine a véritablement existé et que quelques-unes de ces actions sont étayées par des livres historiques, notamment dans les écrits de saint Ambroise. Nous avons donc suivi les avis de notre auteur et avons trouvé l’histoire de cette reine dans la Vie de Saint Ambroise, biographie de saint Ambroise rédigé par son disciple Paulin de Milan.
b. Fritigil69, la reine des Marcomans dans la Vie de saint Ambroise et la fusion des deux sources §
Concernant les traces historiques de cette reine des Marcomans, nous n’avons trouvé qu’une seule source. Dans la Vie de Saint-Ambroise70, Paulin de Milan, disciple de Saint Ambroise qui aurait vécu au quatrième siècle, a écrit plusieurs épisodes de la vie de son maître. Il mentionne une reine des Marcomans, Fritigil, qui, après avoir connu le christianisme (grâce probablement à saint Ambroise), souhaitait fortement s’y convertir. Elle fit des dons à l’église, et notre saint lui indiqua par lettre quelques pratiques chrétiennes et lui conseilla de cesser la guerre contre les Romains. Plus tard, venue à Milan pour rencontrer son maître qu’elle admirait tant, elle fut attristée car ce dernier était mort71.
Ayant retrouvé les quatre personnages principaux de notre pièce, Gervais, Protais, Astase et Fritigile, nous savons maintenant que notre auteur a su et a pu utiliser trois éléments communs des deux histoires pour les forger en une seule : le premier élément est une bataille entre les Romains et les Marcomans ; le deuxième élément est le lieu où elle se déroula : Milan ; et le troisième est le désir de Fritigile de se convertir au christianisme, provoqué par sa rencontre avec l’évêque de la ville.
Notre auteur a utilisé la bataille pour créer une rencontre entre Astase et Fritigile, deux personnages historiques mais ayant appartenu à deux siècles différents. Dans notre pièce, Fritigile s’est déguisée et s’est insinuée dans le camp des Romains à Milan où se trouve Astase afin de lui demander la paix ou une trêve, en échange d’un mariage. Notre auteur déclare aussi qu’il a fait en sorte qu’Astase tombe amoureux de la reine ; leur rencontre permettant ainsi la mise en place d’une intrigue amoureuse dans sa pièce.
Par ailleurs, concernant la reine qui souhaite se convertir au christianisme, le récit est aussi légèrement transformé : au lieu d’une rencontre avec saint Ambroise, Fritigile, transplantée au premier siècle, est allée voir Gervais et Protais emprisonnés par Astase. C’est à travers cette rencontre qu’elle se convertit au christianisme et c’est ainsi que naît sa reconnaissance envers le Dieu chrétien. Finalement, après la mort des deux jumeaux, le chagrin de Fritigile la pousse à annuler le mariage promis à Astase et à quitter désormais et ce pays et son trône royal afin de se consacrer à Dieu.
Quant aux trois autres personnages secondaires de notre pièce, Doritille, Tyridate, Thrasée, ils sont tous des inventions de notre auteur. Tyridate, confident d’Astase, est aussi le seul confident de toute la pièce ; tandis que Doritille, la sœur d’Astase, jalouse de la reine Fritigle, se présente comme s’oppose énergiquement au mariage de son frère, tandis qu’elle entretient elle-même une relation amoureuse avec le capitaine Thrasée, ce qui crée un deuxième épisode amoureux.
c. Les œuvres picturales exposées dans l’église comme l’une des sources d’inspiration ? §
Outre les deux sources citées et des inventions de notre auteur, ce dernier pourrait s’être aussi inspiré des œuvres picturales exposées dans l’église, réalisées par des grands peintres de l’Académie royale de peinture et de sculpture dont Eustache Le Sueur, Sébastien Bourdon et Philippe de Champaigne72.
Dans la longue narration de Tyridate à l’acte V, scène 2, relatant la mort de Gervais, le confident d’Astase mentionne la présence d’un « grand Prêtre » dans le temple romain qui n’est pas présent dans le texte-source de La Légende dorée. En revanche, nous pouvons facilement trouver un tel personnage dans les deux œuvres de Le Sueur : Saint Gervais et saint Protais amenés devant Astasius et La Flagellation de saint Gervais achevée par Thomas Goussé.
Considérons d’abord la figure de ce prêtre dans notre pièce : il est mentionné pour la première fois par Tyridate au vers 1600 « J’estois pres du grand Prestre au costé de l’Autel » puis ce prêtre « parle », avec colère, dans les vers 1620-1625 :
Quand le Prestre irrité de ce qu’il avoit dit ;Peuple, s’escria-t-il, cessez d’estre interdit,S’il n’adore à l’instant nos Majestés suprêmes,Et son sang, et sa vie, expieront ses blasphemesPuis il dit au coupable, il n’est point de milieu,Choisis la mort ; impie, ou renonce à ton Dieu.
Regardons à présent la description des deux œuvres de Le Sueur, d’abord, celle de Saint Gervais et saint Protais amenés devant Astasius :
« Vers la droite, sous le riche portique d’un temple, saint-Gervais et saint-Protais les mains liées sont conduits par des soldats devant la statue de Jupiter, élevée sur un piédestal, à gauche, et près de laquelle un sacrificateur agenouillé tient un bélier. Un prêtre, suivi d’un acolyte, apporte un vase sur l’autel, le général Astasius montre la statue du dieu aux deux martyres. A droite, une foule nombreuse et les édifices de la ville de Milan. »73
Et voici la description de la Flagellation de saint Gervais :
Saint Gervais est étendu sur un chevalet, les jambes pendantes et les bras relevés au-dessus de la tête. Deux bourreaux le flagellent avec violence tandis qu’un troisième, accroupi, tire sur une corde qui lui lie les poignets. A côté du martyr, saint Protais attend le supplice et adresse au ciel une fervente prière. A gauche, le général Astasius, à cheval, ayant dans la main droite le bâton de commandement, regarde le spectacle que lui désigne du doigt un de ses capitaines, aussi à cheval. Des soldats et un jeune homme, à pied, tenant par la bride le cheval d’Astasius complètent ce groupe devant lequel, au premier plan, est un fou maintenant un chien. A droite, deux gardes à cheval. Dans le fond, au pied de la statue de Jupiter, le grand prêtre et, devant lui, deux sacrificateurs tenant une génisse. Auprès d’eux d’autres gardes et la foule des païens assistent à ce spectacle. Au travers des arcades de l’architecture du fond on aperçoit des monuments de Milan74.
Grace à ces deux descriptions, nous avons pu identifier le prêtre représenté sous la figure d’un vieil homme. Même si dans notre pièce il n’est pas un personnage qui parle et agit effectivement (ce personnage n’est pas joué par un comédien, il est simplement mentionné dans un récit), sa « présence » dans la longue narration n’est pas complètement négligeable, car il s’agit du dénouement de l’action principale : le martyre des deux frères.
Par ailleurs, notre auteur aurait pu aussi s’inspirer de la figure d’Astasius, du type d’un jeune commandeur-roi, représenté dans ces deux œuvres picturales, car son âge est son apparence physique n’ont pas été précisés non plus dans La Légende dorée. Nous remarquons aussi que l’utilisation d’un « chevalet », l’outil de punition, que nous trouvons à plusieurs reprises dans notre pièce (vers 1628, 1659, 1935, 1974), est absente dans La Légende dorée mais est mise au premier plan dans la Flagellation de saint Gervais.
Personnages et leur présence scénique §
Nous représentons la présence scénique des personnages dans le tableau ci-dessous :
Présence scénique des personnages dans Le Martyre de saint Gervais
ACTE I | ACTE II | ACTE III | ACTE IV | ACTE V | ||||||||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | |
Gv | x | x | x | |||||||||||||||||||||||||
Pt | x | x | x | x | ||||||||||||||||||||||||
Ast | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | ||||||
Frg | x | x | x | x | x | x | x | x | x | |||||||||||||||||||
Drt | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | ||||||||||||||||||
Tyr | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | |||||||||||||||||
Trs | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x | x |
Les noms abrégés dans le colonne à gauche représentent respectivement, considérant du haut vers le bas, les sept personnages de notre pièce : Gervais, Prothais, Astase, Fritigile, Doritille, Tyridate, Thrasée.
Nous pouvons en tirer plusieurs informations :
Premièrement, le nombre de personnages est assez réduit : si nous excluons la « troupe de soldats » indiquée dans la liste de personnages, seulement sept sont présents sur scène. Ceci est dû au fait qu’aucun de ces personnages n’est suivi de confident sauf Astase qui est servi par Tyridate. Même la reine Fritigile n’a pas de confidente : bien qu’elle soit reine et qu’en général les dramaturges en insèrent une à côté des reines pour faire en sorte que leur sentiments intimes soient dévoilés, mais la ruse de Fritigile dans cette pièce — d’abord déguisée en romain, puis en « prince marcoman », pour s’insinuer dans un pays étranger et pour solliciter la paix — permet l’absence de confidente.
Deuxièmement, le personnage le plus souvent présent sur scène est Astase et non pas Gervais et Protais. Dans l’ensemble des 28 scènes, Astase est présent dans 22. Cependant, les deux frères Gervais et Protais, censés être les deux personnages principaux, ont la présence scénique la plus faible : Gervais apparaît seulement dans trois scènes et Protais dans quatre. Si nous excluons le premier acte dans lequel ces deux frères sont complètement absents, ils n’apparaissent qu’une seule fois par acte, à l’acte II scène 1 ; à l’acte III, scène 3 ; Gervais seul à l’acte IV, scène 4, Protais seul à la scène suivante (IV, 5), et enfin à l’acte V scène 5, également Protais, seul. Ils sont présents ensemble à l’acte II et à l’acte III, puis séparés lors de l’acte IV par ordre d’Astase ; enfin Protais est seul à l’acte V car Gervais a été martyrisé. Notons aussi que, outre leur première apparition à l’acte II, scène 1, ils sont toujours avec Astase, ce qui est conforme à l’action principale de la pièce : Gervais et Protais persécutés par Astase.
Quant à la reine Fritigile, le personnage féminin important à la fois pour l’intrigue amoureuse avec Astase et pour sa relation avec les deux frères dans l’action principale, sa présence scénique est aussi étrangement faible : elle apparaît seulement dans 9 scènes sur 28. Si l’on exclut celle des deux frères, la présence de Fritigile est en-dessous de tous les autres personnages. Elle n’est introduite sur scène qu’assez tardivement, à la dernière scène du deuxième acte (II, 5). Dans les neuf scènes où elle est présente, elle est aussi presque toujours avec Astase, ce qui est conforme à nouveau avec son rôle dans l’épisode amoureux, sauf dans les trois occasions suivantes : la dernière scène du quatrième acte (IV, 7), où est représentée une confrontation entre elle et la sœur Doritille ; la première scène du cinquième acte (V, 1) où Fritigile exprime toute seule sa reconnaissance au Dieu chrétien et sa détermination dans un monologue en stance ; et la scène suivante (V, 2) où Tyridate revient et relate la mort de Gervais.
La présence scénique des trois autres personnages secondaires est à peu près équivalente : la sœur Doritille est présente dans dix scènes, Tyridate le confident dans onze scènes et Thrasée le capitaine dans douze. Tout comme Fritigile, Doritille est aussi introduite tardivement sur scène. Elle apparaît pour la première fois dans la deuxième scène du troisième acte (III, 2), avec Astase, où elle fait un rapport à son frère à propos de l’accueil de la reine étrangère dans le palais. Nous constatons aussi que la présence de Doritille dans deux scènes parmi les dix où elle est présente — la dernière scène du troisième acte (III, 5) et la dernière scène du quatrième acte (IV, 7) où elle s’affronte directement à Fritigile — donne à la pièce un rythme particulier. Ces deux apparitions laissent un « suspens » à la fin de l’acte III et de l’acte IV, mettant en évidence sa méchanceté et l’importance de son rôle d’opposante.
La présence de Thrasée et de Tyridate met en avant aussi leur rôle secondaire. Le capitaine Thrasée est introduit à la troisième scène du premier acte pour raconter un évènement qui a eu lieu pendant la nuit précédente ; il est présent aussi à la dernière scène de la pièce, également pour raconter le départ de la reine. Il a donc pour fonction d’apporter des nouvelles et notre auteur utilise ce personnage pour introduire des narrations. Outre cela, Thrasée est souvent présent avec des « prisonniers ». À l’acte II, scène 5, il conduit le « prince marcoman » auprès d’Astase ; à l’acte III, scène 3, il amène les deux frères à Astase, ce qui souligne sa fonction d’introduire ou de faire sortir les autres personnages. Quant à Tyridate, sa présence dans les deux premiers actes est conforme à son rôle de confident d’Astase. Cependant, dans les trois derniers actes, notamment à partir de l’acte IV, son rôle devient un peu plus étrange. À l’acte IV, scène 2 et scène 3, il est considéré par Doritille comme un proche de Fritigile. C’est ainsi que la sœur par douceur ou par menace veut l’acheter ou se l’allier à son camp. Il semble que Tyridate est devenu plus le confident de Fritigile que d’Astase, et à l’acte V, après le monologue de la reine, il vient lui relater la mort de Gervais.
Résumons brièvement : nous avons vu la façon dont notre auteur compose sa pièce en fusionnant de différentes sources, les ajouts de ses propres inventions, ainsi que le rôle des personnages par leur présence scénique. Dans ces trois éléments, nous relevons une étrangeté : notre pièce, Le Martyre de saint Gervais, une pièce qui se voudrait religieuse, portant sur un sujet hagiographique, au lieu de mettre en scène les deux saints Gervais et Protais, met plutôt l’accent sur le « persécuteur » Astase et son histoire d’amour avec Fritigile. L’introduction des deux intrigues amoureuses, le couple Astase-Fritigile et le couple Doritille-Thrasée, éclipsent en partie l’action principale, le martyre des deux frères. Cette présence scénique déséquilibrée par rapport au sujet principal qui relève de la dévotion serait, à notre avis, le choix particulier de notre auteur et s’expliquerait par deux raisons. D’une part, en tant qu’auteur d’une pièce de dévotion, Cheffault tente de se situer dans la polémique très sensible entre le théâtre et l’église dans les années 1660-1670. D’autre part, cette complication dramatique avec un sujet principal et deux épisodes, pourrait être un écho de la tendance racinienne, ou plus précisément une influence de la tragédie Andromaque. Nous élaborerons ces deux hypothèses dans les sections suivantes.
Un « poème dramatique » ? Un sous-titre générique particulier §
Le sous-titre générique que donne notre auteur à sa pièce introduit une ambiguïté. L’expression « poème dramatique », qui signifiait simplement « pièce de théâtre », fut rarement employée tout au long du XVIIe siècle. Seul Balthasar Baro, dramaturge actif pendant la première moitié du siècle, a donné ce sous-titre de « poème dramatique » à quatre de ses œuvres : Saint Eustache martyre (1639), Le Prince fugitif (1641), Cariste (1651) et L’Amante vindicative (1652). Le cas de Saint Eustache martyre nous incite à penser que ce serait un problème fréquent des pièces de dévotion : bien que la plupart soient sous-titrées « tragédie » ou « tragédie chrétienne », le martyre peut-il être considéré comme une fin tragique75 ? Cependant, les trois autres pièces de Baro ne sont pas des pièces de dévotion ; un souci d’éviter la nomination « tragique » pour un sujet de martyre semble donc peu probable.
Bénédicte Louvat-Molozay a étudié ce phénomène particulier dans son article « Les ‘poèmes dramatiques’ de Baro : dénomination et pratiques génériques76 ». Elle a proposé plusieurs hypothèses sur l’utilisation de ce titre : ou bien elle signifie un refus de trancher le genre, ou bien elle signifie un genre spécifique. Les pièces de Baro appartiendraient à cette dernière catégorie car, explique Bénédicte Louvat-Molozay en soulignant que le titre générique qu’utilise Baro ne peut pas être considéré comme un simple synonyme de « tragi-comédie », un « poème dramatique » pour Baro signifierait plutôt :
[…] une pièce de théâtre, fondée comme telle sur des procédés spectaculaires et des scènes à faire, et qui se donne la liberté d’éprouver tour à tour ou simultanément des ressorts empruntés à différents genres dramatiques avant d’offrir au spectateur le dénouement qu’il appelle toujours de ses vœux, un dénouement qui est moins tragi-comique, pastoral ou comique que simplement heureux, et où les amoureux et les vertueux finissent par triompher.
Notre auteur fait-il référence à Baro lorsqu’il compose sa pièce deux décennies plus tard ? Il n’en dit rien. Néanmoins, nous pouvons constater que dans la préface, il déclare clairement qu’il respecte rigoureusement — bien que ce ne soit pas tout à fait vrai — les règles de la composition d’une tragédie : le choix de son sujet, les trois unités, la conception d’un épisode amoureux mêlé à l’action principale. Cette déclaration manifeste bien son intention de composer une tragédie (se distinguant donc des autres genres canoniques de cette période : d’une « tragi-comédie », souvent une adaptation romanesque, d’une « pastorale » ou d’une « comédie »). Aussi, il est peu probable que notre auteur fasse référence à Baro car, contrairement aux pièces de celui-ci, Le Martyre de saint Gervais ne présente pas beaucoup de scènes à faire ni d’effet spectaculaire.
Par ailleurs, nous pouvons constater un effort pour composer une tragédie « régulière ». L’unité d’action est respectée : Gervais et Protais blasphèment, Astase leur donne une occasion de se sauver des condamnations, la négociation échoue, les deux frères sont mis à mort.
L’unité de temps est moins évidente : aucun élément ne précise le moment où un évènement a lieu. Nous pouvons imaginer que le début de la pièce se déroule dans un matin par le récit de Thrasée à propos d’une bataille qui a eu lieu la nuit précédente. De l’acte I à l’acte II, quelques heures se sont probablement écoulées, Thrasée a essayé d’obtenir des informations des espions emprisonnés et a reçu la lettre de Fritigile. De l’acte II à l’acte III, la temporalité est un peu plus ambiguë, nous avons d’un côté Doritille qui vient annoncer le bon accueil de Fritigile depuis la révélation de son identité à la fin de l’acte II, on peut imaginer donc un écart de quelques heures entre ces deux actes. Or, de l’autre côté, nous avons Astase qui se plaint du manque de moral de ses soldats et Thrasée qui lui reproche une trêve sans raison, ce qui suggère un écart temporel beaucoup plus long entre l’acte II et l’acte III. À la fin du troisième acte, une réplique de Fritigile indique un marquer temporel important : « Avant la fin du jour souffrez que je les voye, » (III, 4, v. 1072). Entre l’acte III et l’acte IV a lieu la rencontre entre Fritigile et les deux frères, nous savons donc qu’il s’agit du même jour. Entre l’acte IV et l’acte V a lieu la mort de Gervais et à l’acte V, la mort de Protais. D’après une réplique de Doritille : « Quand on veut qu’aujourd’huy tous deux servent d’exemple, / Et que de leur trépas l’Arrest soit prononcé, » (IV, 5, v. 1088-1089) et le récit de Thrasée : « Si tost qu’il entre au temple, il void de toutes parts / Que le peuple assemblé ne fixoit ses regards, / Que sur le chevalet, où le corps de son frere, / Estalloit un objet d’horreur et de misere, » (V, 7, v. 1933-1936), nous pouvons supposer qu’il n’y a pas d’écart temporel entre la mort de Gervais et celle de son frère, elles ont eu lieu presque successivement. Tous ces évènements semblent se dérouler en un jour grâce à l’effort de notre auteur qui rappelle plusieurs fois par la bouche des personnages qu’il s’agit d’« aujourd’hui77 ». Mais le manque de précision entre la fin du deuxième acte (l’arrivée de Fritigile) et le début du troisième acte (l’accord de trêve, les soldats découragés) nous permet aussi d’imaginer un écart de plusieurs jours.
Quant à l’unité de lieu, elle n’est pas plus précise que celle de temps. Notre auteur indique un endroit dans la liste des personnages : « La scène est prés de Milan, dans le Camp d’Astase ». Nous pouvons imaginer une tente ou un bâtiment simple et que l’ensemble de l’action s’y déroule. Il y a un « appartement » de Doritille, « en ce Palais », mentionné par Astase (v. 793) où Fritigile est invitée à s’installer, mais nous ne le voyons pas. Un temple romain (païen) est aussi mentionné, où les deux frères ont blasphémé et où Gervais est flagellé et meurt, mais cet endroit est seulement indiqué dans les narrations. Finalement, une « prison » est mentionnée par Fritigile à la fin de l’acte IV (« Je vais sans l’arrester l’attendre en la prison », v. 1508). Il est probable qu’elle y aille et y soit à l’acte V, scène 1, où elle exprime ses sentiments dans un monologue en stances. Nous pouvons donc imaginer un réseau de plusieurs lieux voisins, camp-temple-prison. Le lieu principal est un camp militaire, il est entouré d’autres lieux secondaires dont un temple où en général les chefs de l’armée et des soldats demandent la faveur divine avant de se lancer dans une bataille. Par ailleurs, une prison est aussi très vraisemblablement représentée, où un personnage « dévôt » emprisonné déclame un monologue en stances. L’introduction de cette scène lyrique, souvent à la première scène du quatrième ou du cinquième acte, est conforme à l’usage courant des pièces de dévotion du XVIIe siècle.
Cependant, la mention de l’appartement de Doritille (ou d’Astase) nous semble étrange : le palais d’un chef ou d’un roi est en général loin du camp militaire. Le fait que Astase invite Fritigile à s’y reposer nous incite à penser que l’appartement (ou le palais) ne se situe pas très loin, ce qui n’est pas vraisemblable. S’il s’agissait d’un lieu « hors scène » (ou hors dudit réseau principal de « camp-temple-prison »), le trajet de Fritigile et les nombreux « aller-retour » de Doritille remettent alors en cause l’unité de temps.
Nous pourrions imaginer que notre auteur a d’abord eu l’intention de composer une « tragédie régulière ». N’ayant qu’un sujet mince (Astase persécute Gervais et Protais) et se rappelant son but de plaire à son dédicataire — un « roi-abbé » qui avait assisté à différents types de spectacles — il aurait fallu à notre auteur concevoir et ajouter quelques éléments plus divertissants à sa pièce.
Par exemple, l’introduction du capitaine Thrasée à l’acte I, scène 3 est constituée par une longue narration de ce dernier. Il raconte l’évènement de la nuit précédente : des espions qui ont pu s’insinuer et se cacher dans leur camp. Pour découvrir ces espions, le capitaine s’avance tout seul : « J’examine, je cherche et tasche à reconnoistre / D’où venoit ce murmure, et qui ce pouvoit estre, » (v. 233-234). Il raconte ensuite qu’il a pu, à l’aide de l’obscurité et du silence, se dissimuler au milieu de ses ennemis. L’un d’eux par erreur le prend comme camarade et lui raconte le projet : « Donc pour les decouvrir, et sçavoir le mystere, / Un espace de temps je m’obstine à me taire, / Ils se parlent ; J’escoute, et dans tous leurs propos / Un qui parloit moins bas me fit oüir ces mots : […] » (v. 253-256). Bien qu’il s’agisse d’une narration et non pas d’une scène à faire, ce récit de « la nuit précédente » constitue une « fausse » scène de nuit : les actions de Thrasée et des espions « se déroulent » sur une scène obscure créant un véritable quiproquo, procédé très souvent utilisé dans les comédies telle la fameuse utilisation de Molière dans l’acte III de sa comédie Georges Dandin, représentée au Palais-Royal en novembre 166878, un peu avant la publication de notre pièce.
Un autre exemple : l’introduction de la reine Fritigile dans l’acte II scène 5. Arrivée d’un pays étranger, déguisée en Romain, Fritigile qui se fait capturer et est emprisonnée, envoie une lettre énigmatique à Astase avec le ton d’un prince. Le déguisement se poursuit même jusqu’à leur rencontre et leur conversation, voilà une scène incontestablement tragi-comique79. Si notre auteur connaissait vraiment les théories dramatiques et dramaturgiques comme il le déclare dans la préface, il aurait remarqué aussi que le nom de « tragédie » était inadéquat pour sa pièce de dévotion, mêlée d’éléments comiques et d’éléments tragi-comiques.
Ainsi, nous pourrions imaginer que notre auteur aurait donné à sa pièce ce titre générique ambigu pour ne pas la classer dans un genre spécifique, comme le remarque Charles Mazouer : « Le plus sage fut sans doute le chanoine de Cheffault qui, pressentant que son Martyre de saint Gervait serait mal à l’aise dans la classification reconnue, l’intitule tout simplement « poème dramatique80 ». »
Une pièce de dévotion en 1670 d’un auteur non-professionnel ? §
Outre les connaissances de la théorie dramatique qu’expose notre auteur dans la préface et cette probable stratégie de nommer sa pièce « poème dramatique », la conception des personnages et la manière dont il compose cette pièce révèlent aussi que notre auteur connaissait assez bien le théâtre professionnel et les polémiques contemporaines autour du théâtre et de l’église.
a. L’influence de Pierre Corneille §
Comme beaucoup d’autres pièces de dévotion, Le Martyre de saint Gervais manifeste des influences de Polyeucte et de son auteur Pierre Corneille. Ces influences se révèlent aussi bien dans la pièce que dans le paratexte.
Dans la pièce, Lancaster a repéré un vers qui semble un souvenir du Cid. Il s’agit d’une réplique de Gervais au vers 1007 « Qui ne craint point la mort n’en craint point les menaces » fait un écho aux répliques du Comte de Gormas, père de Chimène « Qui ne craint point la mort, ne craint point les menaces, / J’ai le cœur au-dessus des plus fières disgrâces. » (v. 395-396, dans l’édition 166081) En outre, comme l’a remarqué Anne Teulade dans son article « Métamorphoses théâtrales de l’hagiographie : usages esthétique et politique de la fictionnalisation des légendes82 », la scène du « bris des Idoles » dans Le Martyre de saint Gervais (II, 1) serait aussi une influence de Polyeucte de Corneille (II, 6). En effet, nous n’avons pas vu une telle scène ni dans La Légende dorée, ni dans les autres sources, ni dans les œuvres picturales. En outre, quelques répliques de Protais ressemblent beaucoup à celles de Polyeucte :
Quittons ces vestemens qui nous couvrent de honte,Et ne permettons plus que la peur nous surmonte,Si nous voulons souffrir cherchons-en les moyens,Declarons hautement que nous sommes Chrestiens, (II, 1, v. 477-480)
En s’adressant à son ami Néarque, Polyeucte montre aussi cette détermination : « Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes / Braver l’Idolâtrie, et montrer qui nous sommes83 ; » (Polyeucte, II, 6).
De même, une courte relation de Tyridate manifeste également une ressemblance avec le récit de Stratonice, confidente de Pauline qui est épouse de Polyeucte :
Le Martyre de saint Gervais | Polyeucte |
J’ay veu sur leurs Autels les Vases renversez, Le Temple prophané, leurs Images brulées, Le Sacrificateur et ses Loix méprisées, Et pour vous épargner de plus long entretiens, J’ay veu l’impiété de deux freres Chrestiens. (I, 4, v. 328-332) |
C’est une impiété qui n’eut jamais d’exemple : Je ne puis y penser sans frémir à l’instant, Et crains de faire un crime en vous la racontant. Apprenez en deux mots leur brutale insolence. (III, 2, v. 822-825)
Se jetant à ces mots sur le vin, et l’encens, Après avoir mis les saints vases par terre, Sans crainte de Félix, sans crainte de tonnerre, D’une fureur pareille ils courent à l’Autel. […] Du plus puissant des Dieux nous voyons la statue Par une main impie à leurs pieds abattue, Les mystères troublés, le Temple profanés84, […] (III, 2, v. 852-859) |
Par ailleurs, le fait que notre auteur nomme ses stances : « Monologue en Stances de Vers libres rimez. » serait aussi une référence à une pièce récente de Pierre Corneille, Agésilas, créée en février 1666, dont le dramaturge déclare sur la page de titre la forme particulière : « Tragédie en vers libres rimés85 ». Bien que ces deux indications « vers libres rimés » ne désignent pas la même notion — comme le souligne Marie-France Hilgar dans son ouvrage La Mode des stances dans le théâtre tragique français 1610-168786, que la mesure des vers libres rimés de Corneille varient d’un groupe à l’autre et « ne sont à proprement parler ni des stances, ni des strophes87 », tandis que les stances de notre auteur sont plutôt conventionnelles et ne comportent pas cette caractéristique dite « libre » — l’influence de Corneille, d’ailleurs d’un Corneille « récent », est indéniable.
Quant au paratexte, Anne Teulade remarque trois ressemblances entre la préface de notre pièce et l’« Abrégé » de Polyeucte : la première ressemblance se manifeste dans la structure d’un passage où notre auteur énumère des emprunts historiques et ses propres inventions ; la deuxième consiste dans leurs sources communes, l’ouvrage de Surius la Vie des Saints ; et la troisième consiste dans le souci esthétique et pédagogique du théâtre exprimé par notre auteur à propos de l’adage selon lequel il faut « mêler l’utile et l’agréable ». Pour rendre plus visibles ces ressemblances, nous reproduisons les passages concernés en les mettant en vis-à-vis dans les tableaux ci-dessous.
D’abord, la première ressemblance à propos des éléments qu’ils ont conservés en respectant les sources et leurs propres inventions :
La préface du Martyre de saint Gervais | L’« Abrégé » de Polyeucte |
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Ensuite, concernant les sujets traités et leurs sources, la démarche de notre auteur est presque identique à celle de P. Corneille : un rappel de son sujet « déjà très connu » et une énumération de sources historiques.
La préface du Martyre de saint Gervais | L’« Abrégé » de Polyeucte |
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Enfin, la troisième ressemblance à propos d’un souci esthétique et d’un souci pédagogique du théâtre :
La préface du Martyre de saint Gervais | L’« Abrégé » de Polyeucte |
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Outre ces trois ressemblances entre la préface de notre pièce et l’« Abrégé » de Polyeucte qu’a relevées Anne Teulade, nous avons trouvé également un « écho » qu’a fait notre auteur à l’« Examen » de Polyeucte. Il s’agit d’une justification de l’« amour profane » que notre auteur et Pierre Corneille ont introduite dans leur pièce et les personnages masculins qui y sont impliqués ; d’un côté, Astase, de l’autre, Sévère et Polyeucte :
La préface du Martyre de saint Gervais | L’« Examen » de Polyeucte |
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Il est intéressant de souligner que, dans l’« Examen » de Polyeucte, Corneille justifie deux éléments de sa pièce à propos de trois personnages, Félix, Sévère et Polyeucte. En ce qui concerne Félix, le beau-père de Polyeucte (donc le père de Pauline, épouse de Polyeucte), Corneille explique qu’il a modifié le statut de ce personnage en le transformant en « gouverneur d’Arménie » qui prépare une fête religieuse (un sacrifice), afin de créer ainsi une occasion de faire venir Sévère, chevalier romain et ancien amoureux de Pauline. Corneille défend ensuite le droit d’aimer de Polyeucte : bien qu’il soit un personnage saint, il ne devrait pas être limité non plus dans « une médiocre bonté », disant que s’il a osé concevoir Polyeucte comme un personnage saint et qui peut aussi aimer, c’est parce que la vertu de ce héros « va jusqu’à la sainteté et n’a aucun mélange de faiblesse ».
Certes, François de Cheffault reprend la structure de ce passage. Nous constatons néanmoins une différence nette entre son passage et celui de Corneille : notre auteur n’a mentionné qu’un seul personnage de sa pièce, Astase, tandis que Corneille en a mentionné trois. Cette défense de notre auteur nous semble étrange pour deux raisons : premièrement, il n’a nul besoin de justifier l’amour profane d’Astase, car de toute façon il est païen ; deuxièmement, il n’a nul besoin de justifier non plus cet amour profane qu’« il a mêlé à un sujet aussi pieux », car les deux frères Gervais et Protais ne sont impliqués dans aucune histoire d’amour.
Cette « sur-justification » de notre auteur à propos de son épisode amoureux nous incite à penser à la polémique très sensible entre le théâtre et l’église dans les années 1660-1670. Le passage de la préface de notre pièce aurait été sa prise de position dans cette polémique.
b. Théâtre vs. Église. Les enjeux de la composition d’une pièce de dévotion en 1670. §
Rappelons brièvement le contexte : le théâtre qui tente de s’allier avec le christianisme depuis quelque temps (à l’exemple de Polyeucte, de Théodore ou du Véritable saint Genest) est fortement critiqué par certains hommes d’église. Parmi eux, Pierre Nicole, janséniste, est particulièrement représentatif. Son Traité de la Comédie93, publié en 1667, déclare l’impossibilité d’une alliance car la Comédie (le théâtre en général) est par nature incompatible avec l’Église (ou le christianisme).
Selon Nicole, la Comédie est condamnable pour trois raisons principales. Premièrement, par sa nature, la Comédie « est un métier qui a pour but le divertissement des autres94 ; », le théâtre est alors un endroit « où des hommes et des femmes paraissent sur un Théâtre pour y représenter des passions de haine, de colère, d’ambition, de vengeance, et principalement d’amour95. ». Notons aussi que la passion de l’amour est ici la cible qui subit la condamnation la plus forte parmi les autres passions vicieuses. Aussi, cette condamnation de Nicole de la passion de l’amour n’était pas nouvelle, nous trouvons dans le Traité des théâtres96 de Philippe Vincent, publié en 1647, deux décennies plus tôt que celui de Nicole :
De vrai la matière qui s’y traite le plus ordinairement, ce sont des amours. Tantôt on y représentera une fille, qui transportée de sa passion, et perdant toute honte, s’opiniâtrera à vouloir un mari contre la volonté de ses Père et Mère. Tantôt on y introduira quelque homme perdu qui y usera de mille ruses pour séduire une femme, et triompher à la fin de sa chasteté. Bref, c’est le Vrai et propre thème de ces lieux. Or voilà une belle école aux filles et aux femmes pour y apprendre à être honnêtes97 ?
Deuxièmement, la Comédie est condamnable car, pour représenter « naturellement » sur scène ces passions qui divertissent, c’est-à-dire de manière convaincante, les comédiens et les comédiennes sont obligés d’assimiler ces expériences et éventuellement d’apprendre réellement ces vices ; d’où vient la fameuse condamnation de l’« école des vices ».
Troisièmement, au lieu de créer quelque sentiment d’horreur pour avertir les spectateurs de la dangerosité de la passion de l’amour, la Comédie, au contraire, l’« excite » et la « nourrit » en la représentant sur scène.
Par ailleurs, Pierre Nicole a remarqué et a discuté aussi le fait que quelques dramaturges, notamment Pierre Corneille, ont tenté de mettre les personnages saints sur scène. Mais selon lui, ces dramaturges ont tort car les caractéristiques vertueuses des saints — le silence, la patience, la modération etc. — ne sont pas aptes pour le théâtre qui pour divertir doit plutôt représenter des personnages « vifs » et « animés » :
Il est si vrai que la Comédie est presque toujours une représentation de passions vicieuses que la plupart des vertus chrétiennes sont incapables de paraître sur le Théâtre. Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir des spectateurs, et surtout on n’y entend jamais parler de l’humilité ni de la souffrance des injures. Ce serait un étrange personnage de Comédie qu’un Religieux modeste et silencieux. Il faut quelque chose de grand et d’élevé selon les hommes, et au moins quelque chose de vif et d’animé, ce qui ne se rencontre point dans la gravité et la sagesse chrétienne98.
Ainsi nous comprenons mieux la nécessité pour Corneille et pour notre auteur de justifier leur procédé théâtral de mêler à un sujet saint un épisode amoureux (un amour profane). Nous comprenons mieux aussi la nécessité pour P. Corneille de justifier le sentiment d’amoureux profane qu’il a donné à Polyeucte qui, avant d’être saint, est aussi un être humain doté de sentiments. C’est justement le conflit entre sa détermination d’être dévot et ses sentiments humains qui donne à ce personnage à la fois la profondeur humaine et la grandeur chrétienne.
Cependant, à propos de cette « défense », notre auteur a pris une position beaucoup plus prudente (peut-être trop) que celle de Corneille. Il n’a pas vraiment mêlé l’amour profane à la sainteté comme l’a fait Pierre Corneille dans Polyeucte. Bien au contraire, les deux saints de notre pièce, Gervais et Protais, sont complètement préservés de l’amour, le vice le plus répréhensible. En outre, sans doute pour isoler les deux saints du moindre contact suspicieux, notre auteur n’a même pas représenté sur scène les rencontres entre Fritigile et les deux frères dans la prison, ce qui fait que la conversion de Fritigile, entre la fin de l’acte III et le début de l’acte IV, est devenue étrange car personne n’en est informé. De même, à la fin de l’acte V scène 2, s’étant rendu compte de la mort de Gervais, Fritigile part chercher Protais mais elle ne le trouve pas, ce qui suscite en elle un soupçon contre Doritille et Astase. Deux scènes plus tard (fin de l’acte V, scène 4, début de l’acte V, scène 5), lorsque Astase, voyant arriver Protais, propose une dernière négociation avec le frère cadet, Fritigile, au lieu de rester, s’en va, disant qu’elle attend la nouvelle au temple (v. 1779). Ce « chassé-croisé » renforcerait notre hypothèse d’un « isolement » au nom d’une pure sainteté.
Par ailleurs, la « défense » de notre auteur va encore plus loin : il justifie même l’amour d’Astase, personnage païen, persécuteur des deux frères chrétiens. Il prône que, bien qu’il ait donné à Astase « les plus violens transports » de l’amour, ceci n’a rien de condamnable car ses comportements, son amour et sa déclaration sont sous contrôle et n’excèdent pas la limite à laquelle doit se borner une pièce de dévotion (« ne se declare qu’avec autant de modestie que la sainteté de cet Ouvrage le permet. »)
Notons que notre auteur a ajouté un paragraphe justifiant cet épisode amoureux avec un deuxième argument :
Le Lecteur en pourroit apprendre, que depuis qu’un homme en est aveuglé s’il n’en pert au plûtost les occasions ; il est capable comme ce Tyran, non seulement de manquer de fidelité pour son Prince, mais aussi d’oublier les devoirs les plus saints de sa Religion99.
La passion de l’amour est toujours vicieuse et condamnable. Si notre auteur montre ce personnage Astase et cet épisode amoureux, c’est justement pour donner un mauvais exemple, visant à un effet pédagogique.
Finalement, cette crainte de la contamination des personnages saints par la passion de l’amour empêche notre auteur de développer davantage les personnages de Gervais et Protais. Certes, il a pu rester fidèle à ses sources hagiographiques tout en évitant les reproches de l’Église, mais n’ayant pas créé de conflit direct entre la foi chrétienne et le sentiment humain, il n’a pas pu créer un personnage comme Polyeucte, vivant, sensible et aimable. De plus, le sujet de martyre étant mince, il lui a fallu développer davantage l’épisode amoureux pour ralentir l’action principale (l’exécution des deux frères), ce qui entraîne un rapport déséquilibré entre l’action principale et l’épisode, comme le reflète notre tableau de la présence scénique des personnages.
c. Les influences des autres célèbres dramaturges. §
Nous avons vu l’influence importante de Pierre Corneille sur notre auteur, tant sur la théorie dramatique que sur la composition de la pièce. À part cela, nous pouvons encore constater des influences d’autres dramaturges.
Nous reconnaissons d’abord un motif régulièrement utilisé dans les tragédies du XVIIe siècle, celui d’une rupture entre un chef religieux-politique avec sa ou ses divinités. Prenons l’exemple de la tragédie biblique Saül de Du Ryer ; la pièce est inaugurée par le personnage principal Saül, troublé et désespéré, car il est « abandonné » par Dieu (I, 1, v. 77-90, ) :
SaülCe n’est pas leur fureur qui trouble mon attente,C’est le Ciel ennemi, c’est Dieu qui m’épouvante,Hélas ! j’ai consulté ce Juge SouverainPour savoir le succès d’un trouble si soudain.Mais je n’ai rien appris, ni par la voix des songes,Qui nous venant du Ciel sont exempts de mensonges,Ni par la sainte voix des Prêtres révérés,Et pour moi du futur mille fois éclairés.J’ai depuis en tremblant consulté les Prophètes,Mais ces bouches du Ciel sont encore muettes,Leur silence effroyable étonne mes esprits,D’une secrète horreur je m’en trouve surpris,Et sens bien que ce Dieu, qui daigna me défendre,Abandonne celui qu’il refuse d’entendre100.
Le personnage principal de notre pièce Astase souffre de ce même silence : « Puisqu’aussi-bien les Dieux ont fait taire l’Oracle / Je vois dans leur silence un invincible obstacle » (I, 1, v. 9-10). Il le dit encore un peu plus tard, « Tant que le Ciel s’obstine à garder le silence, Si je n’ay son aveu, je n’ay point d’assurance » (v. 57-58).
En plus de cet argument d’une colère divine qui se traduit par un silence effrayant, nous remarquons l’influence importante d’une autre tragédie, La Marianne de Tristan L’Hermite, l’une des pièces les plus importantes du XVIIe siècle, rééditée de nombreuses fois et jouée longtemps après sa création en 1636. Nous constatons d’abord une ressemblance entre Astase et Hérode, deux personnages masculins, protagonistes, l’un de notre pièce, l’autre de La Marianne. Une tirade délibérative d’Astase (II, 3, v. 607-618) rappelle celle d’Hérode (La Marianne, I, 3, v. 212-218), nous reproduisons ces deux tirades dans le tableau ci-dessous en les mettant en vis-à-vis pour rendre plus visible la ressemblance :
Hérode dans La Marianne | Astase dans Le Martyre de saint Gervais |
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Ces deux personnages partagent aussi une expérience amoureuse similaire : même si leurs amantes (Marianne et Fritigile) leur désobéissent, profondément amoureux, ils sont toujours prêts à leur pardonner.
Hérode dans La Marianne | Astase dans Le Martyre de saint Gervais |
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L’influence de La Marianne est beaucoup plus évidente dans le personnage de Doritille. Tout comme Salomé pour Hérode, Astase a aussi une sœur qui est capable et qui tente d’influencer les décisions politiques et personnelles de son frère, notamment en s’opposant à sa bien-aimée Fritigile. Après avoir reçu l’ordre de son frère d’accueillir Fritigile, elle montre un caractère jaloux dès sa première apparition, en prononçant ces paroles :
Et bien, mon Frere,Je viens d’entretenir vostre belle Estrangere,Tout charme en sa personne, elle a de la beauté,De l’esprit, du courage et beaucoup de fierté,C’est ce qu’elle a de trop pour une prisonniere, (III, 2, v. 871-875)
Vocabulaire insistant sur la belle apparence de Fritigile (belle, charme, beauté) et énumération de qualités avec des adverbes superlatifs (« Tout charme », « beaucoup de fierté ») : cette exagération manifeste un manque de sincérité. Elle-même ne le cache pas entièrement : toute cette préparation laudative n’a pour but que de dénoncer violemment la cible de sa jalousie. Le dernier vers « ce qu’elle a de trop », rappelle à son frère le crime de Fritigile : une disproportion entre le très grand nombre de vertus qu’elle possède et son statut illégitime, celui d’« une prisonnière ». Elle continue de dénoncer Fritigile, faisant attention à ne pas trop faire de reproches à son frère : « Vous luy donnez aussi beaucoup d’authorité, / Elle en a bien sur vous, du moins elle s’en vante. » (III, 2, v. 878-879).
Salomé, la sœur d’Hérode, dénonce Marianne d’une façon similaire, mais plus offensive. Elle s’adresse à Hérode ainsi à sa première apparition en ces termes :
Depuis qu’en votre lit Marianne est entrée,Et que par tant de soins elle est idolâtrée :Votre maison sans cesse est ouverte aux douleursOn n’observe en vous deux que plaintes et que pleurs103.
Nous reconnaissons l’emploi de l’exagération : elle passe beaucoup plus rapidement, du « tant de soins » directement vers l’excessif « idolâtrée », cause qui entraîne le malheur actuel d’Hérode, les douleurs « sans cesse », « que plaintes et que pleurs ».
Par ailleurs, ces deux personnages partagent aussi un côté « hypocrite ». Lorsque Doritille est confrontée à Fritigile à la dernière scène du quatrième acte (IV, 7), elle se montre humble et bienveillante et lui offre un service :
[…] Vous que l’on Idolastre et que chacun revere,Vous qui faites icy le bon-heur de mon frere,Puisque pour vostre main il vous preste son brasVous ne trouverez point icy de cœurs ingrats,Moy mesme à vous servir je seray la premiere. (IV, 7, v. 1473-1477)[…]C’est moy mesme qui m’offre, ordonnés, commandés,Ne vous puis-je accorder ce que vous pretendés,Parlés moy librement de ce qui vous afflige,Peut-estre je pourray… (IV, 7, v. 1479-1482)
Attitude qui ressemble fortement à celle de Salomé, lorsqu’elle offre aussi ses services à Marianne (II, 2) :
Si vous aviez pourtant quelque division,Je m’offrirais à vous en cette occasion,Et vous présenterais mes très-humbles services. (v. 513-515)[…]L’honneur de vous servir m’est trop de récompense104. (v. 519)
Par ailleurs, les personnages de Doritille et Salomé jouent toutes deux un rôle de « manipulatrice ».
Salomé le montre dans La Marianne dans un monologue à la fin de la deuxième scène du premier acte (I, 2, v. 537-538) : « J’ai gagné depuis peu le premier échanson, / Qui doit lancer contre elle [Marianne] un trait de ma façon, » et « Cet homme en est capable, il est ma créature, / Et veut mettre pour moi sa vie à l’aventure. » (v. 543-544). Elle maîtrise parfaitement la situation en instrumentalisant l’Échanson. Dans la scène suivante (I, 3), elle lui indique et montre les stratagèmes pour nuire à Marianne.
Doritille dans notre pièce joue un rôle similaire : elle instrumentalise Tyridate (confident d’Astase) et Thrasée (capitaine, à qui elle est promise sur l’ordre de son frère). Néanmoins, le personnage de Doritille se distingue de celui de Salomé : elle est non seulement la sœur d’Astase qui s’oppose à l’amour de son frère, mais elle est aussi impliquée dans un deuxième épisode amoureux (celui d’Astase et de Fritigile étant le premier).
La première scène du quatrième acte (IV, 1) de notre pièce, inaugurée par Doritille et Thrasée, expose leur relation : Thrasée manifeste son amour pour Doritille, celle-ci prépare un stratagème pour nuire à Fritigile en le lui annonçant. Cette scène présente une ressemblance importante avec celle de Salomé et l’Échanson dans La Marianne (II, 3) bien qu’elle est relativement moins longue (51 vers dans Le Martyre de saint Gervais, IV, 1, v. 1153-1204, contre 82 dans La Marianne, II, 3, v. 552-638). Mais la relation entre Doritille et Thrasée ne s’arrête pas à la phase d’une simple instrumentalisation. Doritille se distingue de Salomé pour une première fois par ces « légers reproches » s’adressant à Thrasée :
Tu sçays qu’en me vengeant mon cœur sera ton prix.Et cependant tu parts, sans que je sois vengée,Tu sers l’Indigne objet dont je suis outragée (IV, 1, v. 1168-1170)
À la scène suivante (IV, 2), Doritille tente de séduire le confident d’Astase, qui offre aussi ses services à Fritigile sur l’ordre de son maître. Or, Tyridate et Thrasée refusent tour à tour la proposition de Doritille. Le confident dévoile aussi que, si le capitaine ne veut pas dénoncer Fritigile, c’est parce qu’il avait bénéficié d’une « promotion » grâce à cette dernière « Madame, à vous servir s’il a peu de ferveur, / Il en dit la raison, c’est qu’il est en faveur ; / Fritigile en a fait son General d’armée, / Du bruit de sa valeur elle est toute charmée, » (IV, 2, v. 1263-1266). Déçue, irritée et courroucée, Doritille lui reproche :
Ainsi de ton secours je n’ay rien à pretendre,Tu me vas nuire, ingrat, au lieu de me deffendre,Tu dois faire du bien à celle qui t’en fait,Mais tremble si je change et si mon cœur te hait,Tu sçauras ce que c’est qu’une Amante irritée,Si tu sers une impie apres m’avoir quittée. (IV, 2, v. 1269-1274)
La réaction de Doritille, typique d’une « amante furieuse », nous mène à l’hypothèse d’une dernière influence : celle de Racine et notamment du personnage d’Hermione dans Andromaque, tragédie créée à la Cour puis à l’Hôtel de Bourgogne en novembre 1667105, environ deux ans avant la création de notre pièce. Ces répliques de Doritille ressemblent particulièrement à celles d’Hermione s’adressant à Pyrrhus (Andromaque, IV, 5, v. 1394) : « Va, cours. Mais crains encor d’y trouver Hermione106 », une véritable menace qui trouve son origine dans celle de Didon dans L’Énéide : « Je ne daigne pas te confondre et je ne te retiens plus. Que les vents te conduisent dans ton Italie : va chercher à travers les ondes cette terre où tu dois régner. […] Alors tu regretteras Didon, et tu l’appelleras vainement à ton secours : absente, je te poursuivrai la flamme à la main107 ; […] » Par ailleurs, au début du troisième acte, lorsque Astase est allé voir ses troupes de soldats qui sont tous lachés, nous reconnaissons la scène où Porus, roi indien, s’adressant à son alliance Taxile, dans Alexandre le Grand :
Porus dans Alexandre le Grand | Astase dans Le Martyre de saint Gervais |
Seigneur, ou je me trompe, ou nos fiers Ennemis Feront moins de progrès qu’ils ne s’étaient promis. Nos Chefs et nos Soldats brûlant d’impatience, Font lire sur leur front une mâle assurence, |
Quoy cette noble ardeur, cette masle asseurance, Ces courages enflez d’une belle esperance, Ces cœurs qui pour la guerre estoient tout de fureur, Déja ne font plus voir qu’une morne langueur |
Conclusion §
Le Martyre de saint Gervais, ce « poème dramatique » au sujet de dévotion, étant né dans la période dite du « déclin » du théâtre religieux du XVIIe siècle en France, se singularise tant par le contexte de sa création que par sa composition dramatique.
Comme nous l’avons proposé dans la première partie de ce dossier, la pièce aurait été très probablement une offrande d’un prêtre de l’Église Saint-Gervais-et-Saint-Protais, François de Cheffault, à Jean Casimir Vasa, ancien « roi de Pologne et de Suède » qui vint s’installer au sein de la communauté chrétienne parisienne après son abdication. Avec les dates que nous avons retrouvées du trajet de Jean Casimir Vasa de Pologne en France, la pièce aurait été créée à la fin de l’année 1669 pour une occasion particulière, ayant pour but d’accueillir cette personne illustre « roi devenu abbé ».
Quelques exemplaires de la pièce qui présentent des chants en latin révèlent un rapport possible entre la représentation de cette pièce et les offices religieux. Si la pièce avait été représentée dans l’église saint Gervais, d’où vient à Cheffault cette idée d’une représentation dans un cadre non-professionnel ? S’est-il inspiré de quelques représentations antérieures qui avaient eu lieu dans d’autres églises parisiennes ou en province ? Si cette représentation n’était pas la seule, ne peut-on pas imaginer aussi qu’il existait d’autres cas semblables antérieurs ou postérieurs au Martyre de saint Gervais ?
Quant à la pièce dans son aspect dramatique et dramaturgique, elle est plutôt conventionnelle par rapport au développement du théâtre de son temps : un nombre de personnages réduit, une histoire en cinq actes et en vers, qui représente une action principale ornée d’épisodes amoureux. Notre auteur emploie également des procédés dramatiques connus, tels le déguisement et l’insertion d’une scène lyrique de monologue en stances. De plus, notre auteur expose dans la préface ses connaissances dramatiques approfondies (notamment de la « tragédie » classique). Il compose sa pièce en respectant les règles du théâtre classique : les trois unités sont respectées ; il est particulièrement attentif à la liaison entre les scènes. Sa justification de la conception d’un épisode amoureux montre aussi qu’il est sensible à la tension entre l’Église et le théâtre dans les années 1660-1670. Notre auteur évite de transgresser les dogmes de l’Église, c’est-à-dire qu’il évite de représenter et d’exciter ce « vice » qu’est l’amour. S’il introduit un épisode amoureux, ce n’est que pour montrer un mauvais exemple et viser à un effet pédagogique (en montrant la fin tragique d’Astase). Néanmoins, l’importance de l’épisode dans cette pièce et de nombreuses influences d’autres dramaturges remettent en cause sa « fidélité » à l’égard de l’Église.
Faisant partie des pièces de dévotion jugées « médiocres » ou « indignes », Le Martyre de saint Gervais révèle pourtant un aspect socio-historique très riche de la vie théâtrale hors du cadre professionnel et scolaire.
Note sur la présente édition §
L’édition originale de notre pièce est parue pour la première fois, au format in-12° par demi-feuille, à Paris chez Gaspar Meturas en 1670. Le privilège a été donné le 24 mai 1670, l’achevé d’impression le 18 juin 1670. Nous n’avons pas pu identifier l’identité de l’imprimeur.
L’édition, bien qu’elle soit présentée dans un format minuscule (in-12° par demi-feuille) comme la plupart des pièces à l’époque, manifeste un soin esthétique exceptionnel. Le frontispice présente une gravure au cuivre, illustrant Jésus-Christ sur la Croix dans les bras de Dieu le Père. Par ailleurs, le livre est orné de bandeaux larges très raffinés qui séparent les actes. Chaque bandeau illustre différentes figures : par exemple, une « Toison d’or » tenue par deux anges en entête de la première page. On y trouve aussi les bandeaux fins de vignettes qui séparent les scènes. La première lettre de chaque acte est ornée de motif floraux, encadrée dans un carré, typiquement de la seconde moitié du siècle. Il nous semble étrange qu’une pièce qui est probablement la première d’un auteur peu connu du théâtre professionnel, soit imprimée avec ce soin dès la première édition / impression108.
L’édition originale de notre pièce présente encore une particularité : en introduction de la pièce, on trouve un recueil de poèmes qui félicitent la publication de l’œuvre de notre auteur et en louent la qualité. De plus, nous constatons que dans trois exemplaires parmi les neuf de l’édition originale restant en France, il existe un recueil de chants présenté à la fin de la pièce109. Nous les détaillerons dans la section suivante « Description de l’édition originale et ses exemplaires ».
Quinze ans plus tard, en 1685, une deuxième édition est parue également à Paris chez A. Rafflé (selon A. Riffaud, il s’agit d’Antoine de Rafflé). On y trouve des différences considérables dont la suppression des paratextes, celle des objets ornementaux (bandeaux, lettres ornées, etc), le changement de graphie (par exemple, l’utilisation de l’accent circonflexe remplace la graphie ancienne ; on utilise « goûter » au lieu de « gouster »), ainsi que la correction des fautes d’impression de l’édition originale.
La pièce fut éditée une troisième fois en 1728 chez J. Jacques Godes, imprimeur et marchand libraire à Caen. Comme cette édition est postérieure à 1700, elle n’est donc pas indiquée dans le catalogue d’Alain Riffaud. Tout comme l’édition de 1685, cette troisième édition n’a pas non plus d’ornement. Les lignes sont beaucoup plus serrées et les caractères plus petits.
L’édition originale (1670) et ses exemplaires §
Description de l’édition originale (1670) §
Le Martyre de Saint-Gervais
1 vol., [XXIV], 94 pages, in-12° par demi-feuille
[I] LE MARTYRE / DE SAINT / GERVAIS. / POEME DRAMATIQUE. / Par Mr F. DE CHEFFAVLT. / Prestre, C. de S. Gervais. / [frontispice-fleuron] / A PARIS, / Chez GASPAR METVRAS, ruë S. Jacques. / à la Trinité, prés les Mathurins. / [gravure liminaire] / M. DC. LXX. / Avec Privilege du Roy.
[II] bl.
[III-X] AU SERENISSIME … (épître)
[XI-XVI] PREFACE
[XVII-XXII] (recueil de poèmes et de chants)
[XXIII] Extrait du Privilege du Roy.
[XXIV] ACTEURS
p. 1-94 : texte de la pièce
Description des exemplaires §
Alain Riffaud a recensé treize exemplaires de l’édition originale ; quatre parmi eux étant à l’étranger, nous n’avons pas pu les consulter. Parmi les neuf qui restent en France, un seul,
(1) L’exemplaire 8344/44
se situe hors de la région parisienne. Il est conservé à la Bibliothèque Carré d’art, à Nîmes. Néanmoins, on peut consulter sa version numérique (sous la cote : NUMM-1090177) sur le site Gallica de la BNF. Quelques pages ne sont pas bien encadrées lors de la numérisation, les ponctuations de ces pages concernées sont donc illisibles. Pour retrouver et pour identifier des ponctuations et des mots coupés, nous consultons les autres exemplaires, principalement deux : l’exemplaire 8-RF-5799 à la Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu, et l’exemplaire XI-F-079 au château de Chantilly que nous allons décrire dans les paragraphes suivants.
Trois sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France, site Tolbiac :
(2) L’exemplaire RES-YF-3717
Il s’agit d’un recueil factice contenant une dizaine de pièces de théâtre de différents genres (tragédie, comédie, tragi-comédie, …) et de divers sujets (profane ou religieux), sans ordre chronologique ni thématique. Sur le dos du livre est écrit : « PIECES/DE/ THEATRE ». La couverture de couleur verte et les pages de garde sans motif fournissent peu d’information sur le livre110.
Le texte de notre pièce recueilli dans le livre est bien l’édition originale. On y trouve le même frontispice, les mêmes ornements, la dédicace et la préface. Les fautes d’impression paraissent aux mêmes endroits que sur les autres exemplaires de l’édition originale (en particulier, la coquille PROTAIS à l’acte II est exactement la même avec sur l’exemplaire 8344/44).
(3) L’exemplaire 8-Z LE SENNE-7968
Cet exemplaire est une édition séparée. La couverture (en veau fauve) est ornée de triples filets d’or. Sur le dos est affiché le titre de la pièce : « LE MARTIRE DE S. GERVAIS », encadré par deux illustrations figurant chacune un lys. Les pages de garde sont présentées en « motif spiral ». Les ornements (frontispice, bandeaux, lettres ornées, etc) s’y trouvent exactement comme nous les avons décrits au début de cette section « Note sur la présente édition ».
(4) L’exemplaire YF-6437 ; cet exemplaire n’est pas communicable. Néanmoins, il existe une reproduction sous forme de microfiche, sous la cote de MFICHE YF-6437.
Deux autres exemplaires se trouvent à la BNF, site Richelieu :
(5) L’exemplaire 8-RF-5799 et
(6) L’exemplaire 8-RF-5798(1)
Commençons par l’exemplaire 8-RF-5799. Ceci est également une édition séparée, très bien conservé. Sur le dos, on voit gravé très nettement le titre de la pièce : « LE MARTYRE DE SAINT GERVAIS », encadré par deux illustrations figurant chacune un lys comme l’exemplaire 8-Z LE SENNE-7968, de même pour les ornements. En revanche, les pages de garde sont présentées en « motif cailloux », ce qui suggère que le livre a probablement été relié à nouveau au XVIIIe siècle.
Cet exemplaire présente encore une autre particularité : le texte de la pièce se termine en effet à la page 94 ; cependant, on trouve quatorze pages supplémentaires.
Les pages 95 et 96 sont des pages blanches, le numéro de page n’y est pas non plus affiché. À partir de la page 97 jusqu’à la page 108, on trouve un recueil de chants en latin se présentant en deux sections clairement séparées (la première, pages 97-102 ; la seconde, pages 103-108).
Sur la page 97, on voit de nouveau un bandeau large figurant une oie ; en dessous du bandeau, un titre : « HYMNES / VERSETS, PROSES / ET ORAISONS, » suivi d’une explication : « Qui se chantent en la Parroisse des St. Gervais et Prothais, les jours de leur Feste, Translation et durant les Octaves. ». Trois hymnes, une oraison et une prose en latin, sont présentés dans les pages suivantes, séparés par des bandeaux fins de vignettes, jusqu’à la page 102. Il y a par ailleurs, en entête de chaque hymne, quelques mots en français indiquant les moments auxquels ces hymnes doivent être chantés : « aux premieres et secondes vespres. » ; « A MATINES. » ; « A LAUDE. » et « A LA MESSE ».
Sur la page 103, on voit un autre bandeau large figurant un coq, en dessous est présentée une nouvelle section : « POUR LE JOUR DE LA TRANSLATION ». On y trouve comme précédemment trois hymnes, une oraison et une prose qui doivent être chantés aux différents moments du jour.
L’exemplaire 8-RF-5798 (1) présente quelques différences et un point de commun avec l’exemplaire 8-RF-5799. D’abord, l’exemplaire 8-RF-5798 (1) n’est pas une édition séparée. Il est un peu plus épais car il contient deux pièces de théâtre, dont Le Martyre de saint Gervais suivi de L’Amour fantasque ou le Juge de soy-mesme, comédie en trois actes, d’un certain A. H. Fiot, qui elle-même présente une petite comédie en un acte à l’acte II, scène 4, intitulée La Supposition veritable.
Sur le dos de l’exemplaire, nous constatons quatre carrés dont le premier (comptant du haut en bas) affiche : « [MARTYR ?] DE S / GERV / AMOUR / FANTA ». Il s’agit des titres des deux pièces recueillies. Les pages de gardes sont présentées en « motif spiral », ce qui suggère que le livre de notre pièce serait probablement relié à nouveau au XVIIIe siècle, fusionné étrangement avec une comédie. En outre, nous constatons aussi que la numérotation recommence lorsqu’on passe du Martyre de saint Gervais à L’Amour fantasque. La page de titre de L’Amour fantasque est conservée dans l’exemplaire111. En voici la description :
L’AMOUR / FANTASQUE / OU / LE JUGE DE / SOY MESME, / COMEDIE / en trois Actes. / Par A. H. FIOT. / [fleuron] / A ROUEN, / Chez JEAN-BAPTISTE BESONGNE, / ruë Ecuyere, vis-à-vis à la petite ruë Saint-Jean, / au Soleil Royal. / [gravure liminaire] / M. DC. LXXXII.
À la page de titre, nous constatons une trace de crayons notant « (2) ». Nous supposons que cela a pour but de distinguer cette comédie de notre pièce avec deux cotes différentes. 8-RF-5798 (1) est Le Martyre de saint Gervais ; tandis que 8-RF-5798 (2) est L’Amour fantasque112.
Concernant notre pièce, le texte et les ornements sont identiques à ceux de l’exemplaire de Nîmes et l’exemplaire 8-RF-5799. Nous y trouvons les poèmes liminaires qui précèdent notre pièce, ainsi que les chants et les hymnes en latins qui la suivent.
(7) L’exemplaire 8-BL-15398
se situe à la BNF, site Arsenal. Cet exemplaire est une édition séparée. Sa couverture est abîmée, nous ne pouvons pas identifier le matériel dont il est fabriqué. Néanmoins, nous trouvons sur le dos du livre le titre de notre pièce : « [M]artyre De St G[ervais]113 ». Contrairement à l’état défectueux de sa couverture, l’intérieur du livre est bien conservé. Nous remarquons aussi qu’une faute d’impression (PROTAIS à l’acte II, 1) que l’on voit dans les autres exemplaire 8344/44 et RES-YF-3717 n’apparaît pas ici. Par ailleurs, il n’y a pas un recueil de chants à la fin de la pièce.
(8) L’exemplaire XI-F-079
est conservé dans la bibliothèque du château de Chantilly. Il s’agit d’une édition séparée. La couverture en veau fauve n’est pas ornée, en revanche, le bord des pages est doré. Les pages de garde sont représentées en motif « peigne ». Nous trouvons deux blasons affichés, juxtaposés verticalement sur le contre-plat de l’exemplaire, l’un, du haut, figurant une cigogne, fait référence au patronyme du propriétaire Armand Cigogne, collectionneur du XIXe siècle ; l’autre, du bas, figurant deux lettres en majuscules « M.C. » séparées et ornées par deux lyses qui font référence au Musée Condé.
Cet exemplaire est très bien conservé. Il est relié par cinq nerfs, ce qui donne six espace carreaux (les « entre-nerfs ») sur le dos sur lequel nous constatons le titre de notre pièce gravé dans le deuxième carré (comptant du haut en bas) « MARTYRE / DE / SAINT / GERVAIS » ; puis la ville et l’année de la première publication dans le troisième carré « PARIS / 1670 ».
Concernant le texte, nous y trouvons quelques différences avec l’exemplaire de Nîmes dont une variante dans un des poèmes liminaires ; quelques fautes d’impressions dans la « Préface » n’apparaissent pas dans cet exemplaire. À part ces quelques différences, le texte de la pièce est presque identique avec l’exemplaire de Nîmes.
(9) L’exemplaire ▲(DELTA)51435
est conservé dans la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Cet exemplaire est aussi une édition séparée. La couverture en veau fauve est ornée de triples filets d’or ; les pages de garde sont présentées en motif « cailloux ». Sur le dos est gravé le titre de la pièce « MARTYRE DE S. GERVAIS ». Nous trouvons dans cet exemplaire les mêmes poèmes liminaires en latin et en français et les mêmes ornements (bandeaux, lettres ornées). Cependant, nous n’y trouvons pas de chants en latin qui suivent la pièce. Par ailleurs, le « frontispice-fleuron » qui illustre Jésus montant vers les Cieux est absent sur la page de titre. L’adresse de l’imprimeur-libraire, l’année de publication, la mention « Avec privilege du Roy », et la façon dont le titre et le nom de l’auteur sont présentés restent pourtant le même. C’est le seul exemplaire (parmi ceux qui sont consultables) qui ne contient pas cette illustration. La coquille de PROTAIS à l’acte II n’y est pas. Cet exemplaire ressemble plus à l’exemplaire d’Arsenal, 8-BL-15398.
Ajoutons un dixième exemplaire de l’édition originale qui échappe au répertoire d’Alain Riffaud.
(10) L’exemplaire 66015
se situe dans la bibliothèque de l’Institut Catholique de Paris (site FELS). Alain Riffaud le catégorise dans son répertoire comme un exemplaire de la deuxième édition de l’ouvrage. Or, l’ayant consulté, il nous semble qu’il s’agit plutôt de l’édition originale.
Il s’agit également d’une édition séparée. À part les quelques pages légèrement déchirées, le livre est assez bien conservé. Nous y trouvons la même page de titre avec la figure de Jésus, les mêmes ornements qui jalonnent les actes et les scènes, les poèmes liminaires en latin et en français qui précèdent la pièce ainsi que les pages supplémentaires qui se présentent à la fin de l’ouvrage contenant les chants en latin. Avec les deux exemplaire de Richelieu, 8-RF-5799 et 8-RF-5798(1), ces trois exemplaires se distinguent des autres par la présence des chants en latin. Nous y trouvons également la même variante du premier poème liminaire en latin comme celle qui se trouve dans l’exemplaire de Chantilly.
Cet exemplaire est relié par quatre nerfs, ce qui donne cinq espace carreaux sur le dos. Sur le deuxième carré (comptant du haut en bas), le seul carré dont le fond est en couleur rouge bourgogne, est gravé le titre de notre pièce ainsi que le nom de l’auteur : « DE / CHEFFAULT / MARTYRE / DE / S. GERVAIS ». Il est le seul exemplaire, parmi ceux qui sont consultables, qui mentionne le nom de notre auteur.
Par ailleurs, la reliure de cet exemplaire nous semble plus ancienne que celui de Chantilly. Le bord des pages n’est pas doré, le contre-plat n’est pas orné, les pages de garde ne sont que des feuilles blanches sans ornement. Deux auto-collants se trouvent sur le contre-plat, celui au milieu affiche : « Bibliothèque / de M. E. F. / 1893 », fait sans doute référence à l’un de ses anciens propriétaires ; celui d’en bas affiche : « INSTITUT / CATHOLIQUE / DE PARIS », à qui l’exemplaire appartient actuellement.
Enfin, nous remarquons deux particularités importantes concernant cet exemplaire. Premièrement, l’épître dédicatoire y est absent. Deuxièmement, la page de titre, sensiblement un peu plus épaisse que les autres pages, nous semble très étrange. Il est évident qu’il s’agit de deux feuilles collées ensemble, mais qu’y a-t-il sur la page recouverte ? Est-il possible que cette page de titre n’appartient pas originellement à cet exemplaire ? Ont-ils enlevé l’épître et y collé la page de titre ? Pourquoi ? Nous n’en avons aucune idée.
La deuxième édition (1685) et ses exemplaires §
Description de l’édition 1685 §
1 vol., [II], p. 3-83, in-12°
[I] LE / MARTYRE / DE SAINT / GERVAIS. / POEME DRAMATIQUE. / Par Mr. F. DE CHEFFAULT, / Prestre, C. de S. Gervais. / [fleuron] / A PARIS, / Chez A. RAFFLE’, ruë de Petit-Pont / à l’Image Saint-Antoine. / [gravure liminaire] / M. DC. LXXXV. / Avec Permissions.
[II] ACTEURS
texte de la pièce : p. 3-83
Description des exemplaires §
Alain Riffaud a recensé sept exemplaires de cette deuxième édition en France ; trois sont conservés dans la Bibliothèque Nationale de France,
(1) L’exemplaire 8-YTH-11324 se situe dans le site Tolbiac (numérisé, accessible sur Gallica).
(2) L’exemplaire 8-RF-5800 se trouve dans le site Richelieu.
(3) L’exemplaire 8-BL-13929 se situe dans le site Arsenal.
Dans cet exemplaire, on trouve une note manuscrite anonyme sur le verso du deuxième feuillet : « Ce n’est ici que la seconde édition de cette tragédie, pour la première, en 1670. On peut bien croire que cette pièce est médiocre et qu’elle n’a été jouée que dans quelques couvents pour qui probable elle a été faite114. » Nous n’avons pas pu identifier la personne qui a laissé cette trace, (probablement un des bibliothécaires de la collection du Marquis de Paulmy). Nous ne savons pas si cette note était crédible. Mais il semble que, si la pièce a été composée pour Jean Casimir Vasa, ancien roi de Pologne, comme nous l’avons proposé dans la première partie de notre présentation, cette hypothèse de représentations « dans quelques couvents » paraît moins solide.
(4) L’exemplaire ▲(DELTA) 51435 se situe à la Bibliothèque Sainte-Geneviève
Alain Riffaud a signalé dans son répertoire en ligne la cote de cette exemplaire deux fois, sous le rubrique de l’édition originale (1670) et sous celui de la deuxième édition (1685). Il s’agit probablement d’une erreur. Nous ne trouvons qu’un seul exemplaire conservé sous cette cote à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, que nous avons déjà décrit dans la section précédente.
(5) L’exemplaire 66015 se situe à l’Institut Catholique de Paris.
Il s’agit sans doute d’une erreur de signalement. Nous avons trouvé l’exemplaire 66015 à l’Institut Catholique de Paris que nous avons déjà décrit dans la section précédente. Bien qu’il présente quelques différences avec les autres exemplaires de l’édition originale (notamment l’absence de l’épître), il s’agit pourtant, très probablement, de l’édition originale et non pas d’une deuxième édition.
(6) et (7) : A. Riffaud indique qu’un exemplaire « Pératé A124 » se situe à Versailles ; et un exemplaire sans cote se situe dans la Bibliothèque de l’Université de Tours115. Nous n’avons pas pu les consulter.
La troisième édition (1728) §
Description de l’édition 1728 §
1 vol., [I], 72 pages, in-12°
[I] LE / MARTYRE / DE SAINT / GERVAIS. / Tragédie Chrétienne. / Mr F. DE CHEFFAULT.
Prêtre. C. de Saint Gervais. / [fleuron] / A CAEN / Chez J. JACQUES GODES, Imprimeur & / Marchand Libraire, proche le College des / R R P. P Jesuites. / [gravure liminaire] / M. DCC. XXVIII
[II] ACTEURS
texte de la pièce : p. 1-72
Nous n’avons trouvé qu’un seul exemplaire de cette édition : l’exemplaire RES-YF-3722. Cet exemplaire se situe dans le site Tolbiac de la BNF. Il s’agit aussi d’un recueil factice contenant divers pièces de théâtre. Sur le dos du livre est écrit : « RECUEIL / DE / COMEDIE ». Comme l’exemplaire RES-YF-3717, on y trouve des pièces de divers sujets et de différents genres. Sa couverture verte, même matériel que RES-YF-3717 nous incite à penser que ces deux exemplaires sont reliés par la BNF, nous n’avons pourtant pas de date exacte de sa reliure. Les pages de garde sont de « motif spiral116 ».
Établissement du texte §
Pour l’établissement du texte, nous avons suivi principalement deux exemplaires :
L’exemplaire 8344/44, édition originale, qui se trouve à la Bibliothèque du Carré d’art à Nîmes, grâce à sa version numérique accessible à tous sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.
Or, certaines pages de l’exemplaire n’ont pas été bien cadrées lors de la numérisation, de sorte qu’il est difficile d’identifier parfois la ponctuation et la fin de quelques vers. Nous utilisons donc un deuxième exemplaire pour compléter la lecture :
L’exemplaire 8-BL-15398 qui se situe dans le site Arsenal de la BNF.
La graphie de l’édition originale a été globalement conservée, de même pour la ponctuation117. Néanmoins, pour faciliter la lecture, nous en avons modifié quatre aspects : premièrement, nous avons remplacé systématiquement les apostrophes anciennes [a-t’il] par les traits d’union [a-t-il] ; deuxièmement, les esperluettes [&] par [et] ; troisièmement, nous distinguons les « i », « v » des « j », « u ». ; et enfin, les nasales représentés par « ~ » sur les lettres tels « ĩ », « õ », « ã », nous les transformons en « in », « on », « an », « en ».
Fautes d’impression corrigées §
« Dédicace », p. 3 §
Estrange-gere / Estrangere (ligne 8)
p rmy / parmy (ligne 13)
p. 4 §
aubord / au bord (ligne 3)
prècipice / précipice (ligne 3)
non / mon (ligne 8)
« Préface », p. 5 §
inventèe / inventée (ligne 14)
p. 6 §
Amant / amant (ligne 13)
autant de modestie que de la sainteté / autant de modestie que la sainteté (ligne 4) [Chantilly]
cet passion / cette passion (ligne 16)
ses / les (ligne 20)
p. 7 §
ny celle du Paganisme / ny de celle du Paganisme (ligne 1) [Chantilly]
cinquiéme me/ cinquiéme (ligne 11)
leurs / leur (ligne 13)
à / a (ligne 14)
ny / n’y (ligne 19)
« Extrait du Privilege du Roy » §
à cede / a cédé (ligne 8)
Nous avons également remarqué et corrigé plusieurs fautes d’impression dans les poèmes liminaires, dont :
« Contre les libertins »
fonde / fondes (v. 12)
Sains / Saints (v. 31)
Ou / On (v. 34)
« L’auteur aux vers precedens »
doits / doigts (v. 3)
Acte I §
Leurs / Leur (v. 21)
authoité / authorité (v. 55)
ptetends / pretends (v. 60)
Maistre / Maistres (v. 71)
animèe / animée (v. 102)
tout / toute (v. 113)
regars / regards (v. 132)
quoy que / quoyque (v. 139)
N’en n’a / N’en a (v. 147)
digue / digne (v. 149)
recontrer / rencontrer (v. 167)
l’a / la (v. 186)
à.t’on sceu / a-t-on sceu (v. 205)
Comment les a-ton pris / Comment les a-t-on pris(v. 215)
méveiller / m’éveiller (v. 220)
se / ce (v. 234)
approchet / approcher (v. 236)
veillent / Veuillent (v. 248)
à droict / adroit (v. 252)
ou / où (v. 262)
n’estre / naistre (v. 280)
l’ordra / l’ordre (v. 291)
arrestes / arrestés (v. 295)
saisisons / saisissons (v. 298)
La / Là (v. 303)
prophane / prophané (v. 329)
neveulent / ne veulent (v. 357)
est / et (v. 384)
Acte II §
fotce / force (v. 391)
jettez / jetté (v. 392)
Nouss / Nous (v.408)
l’eussions / eussions (v. 414)
de de l’horreur / de l’horreur (v. 419)
pourvivre / pour vivre (v. 428)
qu’elle / quelle (v. 442)
Ou / Où (v. 447)
n’aufrage / naufrage (v. 448)
On enperd / On en perd (v. 469)
l’a / la (v. 495)
m’édite / médite (v. 518)
Envain / En vain (v. 525)
Envain / En vain (v. 526)
ou / où (v. 549)
le de desespoir / le desespoit (v. 556)
à droit / a droit (v. 578)
Envain / En vain (v. 579)
tout a fait / tout à fait (v. 591)
plûtost / plus tôt (v. 602)
plûtost / plus tôt (v. 604)
tienne / tiennent (v. 608)
Elle à beau / Elle a beau (v.619)
à l’armée / alarmée (v. 652)
deslors / dès lors (v. 662)
Qu’il / Qu’ils (v. 674)
qu’a / qu’à (v. 674)
a regret / à regret (v. 690)
m’audirois / maudirois (v. 691)
respets / respects (v. 703)
qu’a / qu’à (v. 711)
Faite / Faites (v. 712)
esloignervos / esloigner vos (v. 712)
gents / gens (v. 712)
toû jour / toûjour (v. 727)
vu / un (v. 759)
ensorte / en sorte (v. 763)
ou j’estois / où j’estois (v. 786)
Acte III §
cett / cette (v. 811)
Dèja / Déja (v. 814)
tout / tous (v. 817)
Envain / En vain (v. 819)
tout / tous (v. 868)
comis / commis (v. 905)
sont / font (v. 941)
Seigñr / Seigneur (v. 943)
Qu.un / Qu’un (v. 951)
à la la vie / à la vie (v. 962)
aucontraire / au contraire (v. 968)
ne mébranleront pas / ne m’ébranleront pas (v. 970)
n’obstient / n’obtient (v. 971)
tout / tous (v. 1022)
n’aistre / naistre (v. 1036)
vòtre / vôtre (v. 1047)
quelle / qu’elle (v. 1048)
qu’il sont Chrêtiens / qu’ils sont Chrêtiens (v. 1055)
leurs / leur (v. 1066)
Enseriez-vous / En seriez-vous (v. 1083)
qu’aujourd’uy / qu’aujourd’huy (v. 1088)
sagrileges / sacrileges (v. 1122)
a mon endroit / à mon endroit (v. 1140)
Acte IV §
ou / où (v. 1154)
ou tragée / outragée (v. 1170)
a consentir / à consentir (v. 1171)
Jusques a / Jusques à (v. 1177)
a bout / à bout (v. 1180)
îe / je (v. 1183)
ve sé / versé (v. 1185)
monfrere / mon frere (v. 1197)
La / L’a (v. 1196)
ou / où (v. 1206)
jusques a / jusques à (v. 1210)
tout / toute (v. 1223)
satis-fait / satisfait (v. 1368)
Ou / Où (v. 1377)
à grossi / a grossi (v. 1405)
Faut-’il / Faut-il (v. 1433)
Acte V §
un autre Loy / une autre Loy (v. 1561)
ou / où (v. 1579)
Aussibien / Aussi bien (v. 1579)
fut / fust (v. 1589)
mal heur / malheur (v. 1591)
Ou / Où (v. 1600)
a / à (v. 1606)
commeinterditte / comme interditte (v.1618)
Croy t’on / Croy-t-on (v. 1637)
croi-t’on / croit-on (v. 1641)
blombez / plombez (v. 1654)
romp / rompt (v. 1658)
de rechef / derechef (v. 1663)
trouvé / trouve (v. 1668)
je m’encache / je m’en cache (v. 1678)
rombre / rompre (v. 1694)
disctetion / discretion (v. 1701)
a me taire / à me taire (v. 1701)
avostre frere / à vostre frere (v. 1702)
ty / t’y (v. 1706)
ou / où (v. 1708)
revtent / revient (v. 1711)
apropos / à propos (v. 1711)
à t.il / a-t-il (v. 1712)
paemier / premier (v. 1715)
ny / n’y (v. 1720)
qu’elle / quelle (v. 1724)
Qu’elle / Quel (v. 1729)
u’en / n’en (v. 1734)
quelle / qu’elle (v. 1739)
de mettre / demettre (v. 1758)
meurt / meure (v. 1820)
To t / Tout (v. 1839)
qu’elle / quel (v. 1840)
Faite / Faites (v. 1842)
àppuy / appuy (v. 1853)
c’est a vous a ne rien pardonner / c’est à vous à ne rien pardonner (v. 1874)
A quoyque / A quoy que (v. 1903)
jusqu’a moy / jusqu’à moy (v. 1905)
înjuste / injuste (v. 1910)
rien a craindre / rien à craindre (v. 1915)
qu’a / qu’à (v. 1917)
Quelque / Quel que (v. 1923)
d’un mort / d’une mort (v. 1928)
t’ost / tost (v. 1933)
voidde / void de (v. 1933)
ou / où (v. 1935)
envain / en vain (v. 1939)
ou / où (v. 1942)
jusqu’ou la reduit / jusqu’où l’a reduit (v. 1944)
ennie / envie (v. 1953)
ou / où (v. 1954)
a ta misere / à ta misere (v. 1955)
a choisir / à choisir (v. 1957)
a son devoir / à son devoir (v. 1969)
a peine / à peine (v. 1973)
qu’auplustost / qu’au plus tost (v. 1988)
a deux genoux / à deux genoux (v. 1994)
a bas / à bas (v. 2002)
descheus / deceus (v. 2003)
apresent / à present (v. 2007)
apris / a pris (v. 2009)
la / l’a (v. 2011)
uy / luy (v. 2024)
vain cœur / vainqueur (v. 2025)
Modifications et corrections concernant la ponctuation §
Nous avons uniformisé les points de suspension sous forme de trois points « … » en conformité avec l’usage moderne.
« Préface », p. 5 §
ligne 2, un point virgule rétabli. [Chantilly]
ligne 11 : « […] de nos deux Saints. Je répons {…] » / « […] de nos deux Saints, je répons […] »
p. 6 §
ligne 4-10 : « La prise des Espions Marcomans par les Soldats du Comte Astase ; les Idoles deux fois renversez par les deux Heros de cette Piece. La suspension d’armes entre les Romains et les Marcomans. L’amour et l’ambition d’Astase au sujet de Fritigile, qu’il espere d’épouder apres avoir userpé ses Estats, et la haine jointe à la jalousie de la sœur du Tyran qui veut conspirer contre sa Rivale, ne sont que des embelissemens […] » / « La prise des Espions Marcomans par les Soldats du Comte Astase ; les Idoles deux fois renversez par les deux Heros de cette Piece ; la suspension d’armes entre les Romains et les Marcomans ; l’amour et l’ambition d’Astase au sujet de Fritigile, qu’il espere d’épouser apres avoir userpé ses Estats, et la haine jointe à la jalousie de la sœur du Tyran qui veut conspirer contre sa Rivale, ne sont que des embellessmens […] »
ligne 26 : « […] freres Martyres. J’ay mélé […] » / « […] freres Martyres j’ay mélé […] »
p. 7 §
ligne 17 : « convenable, ce n’est pas […] » / « convenable. Ce n’est pas […] »
Poème liminaire « Contre les libertins », p. 13 §
à la fin du premier strophe : « […] abbatu, » / « […]abbatu. »
Actes I-V §
v. 11 ; / ,
v. 118 , / .
v. 211 suppression de deux points « : »
v. 325 . / ?
v. 361 . / ,
v. 381 suppression d’une virgule
v. 383 ajout d’un point
v. 396 suppression d’une apostrophe « nostre’ » / « nostre »
v. 460 ajout d’un point
v. 505 ajout d’une virgule : « Avoir quitté nos biens laissé nostre heritage » / « Avoir quitté nos biens, laissé nostre heritage »
v. 526 ajout d’une virgule : « la douceur la menace » / « la douceur, la menace »
v. 554 . / ?
v. 822 , / .
v. 873 ajout d’une virgule : « Tout charme en sa personne elle a de la beauté » / « Tout charme en sa personne, elle a de la beauté »
v. 1025 ? / .
v. 1058 , / .
v. 1081 . / ?
v. 1119 suppression d’une virgule : « Astase, est, dites-vous… » / « Astase est, dites-vous »
v. 1122 suppression d’une virgule : « Leurs sacrileges, mains… » / « Leurs sacrilege mains »
v. 1142 suppression d’un point d’exclamation : « Sauver ! deux scelerats » / « Sauver deux scelerats »
v. 1147 , / .
v. 1163 . / ,
v. 1172 suppression d’une virgule : « L’honneur malgré l’amour, » / « L’honneur malgré l’amour »
v. 1193 suppression d’une virgule : « Et si je luy promets, » / « Et si je luy promets »
v. 1200 suppression d’une virgule : « Elle a presque tousjours, de secrets entretiens, » /
« Elle a presque tousjours de secrets entretiens, »
v. 1215 suppression d’une virgule : « S’ils disent que leur mort, » / « S’il disent que leur mort »
v. 1229 ; / ,
v. 1286 ? / .
v. 1342 suppression d’une virgule « Et qu’ainsi, que » / « Et qu’ainsi que »
v. 1415 . / ,
v. 1628 suppression d’une apostrophe : « chevalet’ » / « chevalet »
v. 1676 suppression d’un point : . ? / ?
v. 1684 . / ?
v. 1720 . / … Il s’agit d’une réplique interrompue.
v. 1725 ? / .
v. 1727 . / ,
v. 1734 suppression d’une virgule : « J’ignore quel motif, l’obstine » / « J’ignore quel motif l’obstine »
v. 1744 suppression d’une virgule : « Puisque vostre interest, » / « Puisque vostre interest »
v. 1745 suppression d’une virgule : « Oubliez-vous des-ja, » / « Oubliez-vous des-ja »
v. 1746 ajout d’un point d’interrogation
v. 1833 suppression d’une virgule : « Un si prompt changement, » / « Un si prompt changement »
v. 1841 suppression d’une virgule : « s’il faut aujourd’huy, qu’elle » / « s’il faut aujourd’huy qu’elle »
v. 1852 . / ,
v. 1862 suppression d’un point virgule.
v. 1903 ? / ,
v. 1905 . / ,
v. 1953 . / ,
v. 1994 suppression d’une virgule : « Qui tout foible, qu’il est » / « Qui tout foible qu’il est »
v. 2006 ajout d’un point.
v. 2007 . / ?
v. 2026 ajout d’un point.
Modifications et corrections dans le paratexte §
Le nom du personnage « Thrasée » est écrit dans les rubriques parfois comme « THRASEE » et parfois, notamment à partir de l’Acte IV, « THRASE’E ». Dans le texte, on voit bien qu’il y a un accent aigu sur l’avent-dernier « e » [Thrasée]. Par ailleurs, les deux éditions postérieures utilisent systématiquement [THRASE’E], graphie qui s’explique par l’impossibilité pour l’imprimerie de l’époque d’accentuer les capitales. Nous avons donc uniformisé la graphie en [THRASÉE], y compris le nom affiché sur la liste des acteurs.
A part cette modification, nous avons corrigé plusieurs fautes d’impression dans le paratexte :
- La liste des acteurs : DORITILE / DORITILLE
- Personnage dans l’Acte I, scène 4 : le personnage qui parle (« Seigneur, … », v. 326) doit être Tyridate et non pas Thrasée. Nous l’avons donc corrigé ainsi : THRASE’E / TYRIDATE
- Rubrique dans l’Acte II, scène 1 : nous avons ajouté une virgule entre les deux noms : GERVAIS, PROTHAIS
- Personnage dans l’Acte II, scène 1 : Protais / Prothais (cette faute d’impression n’apparaît que dans l’exemplaire de Nîmes)
- Personnage dans l’Acte II, scène 4 : THRASEE / ASTASE. Le personnage qui parle doit être Astase et non pas Thrasée
- Acte III, scène 4 : ajout de ASTASE. Le vers 1074 et 1075 doivent être une réplique d’Astase. Nous avons donc ajouté son nom en-dessous du vers 1073
- Entête de l’Acte IV, scène 3 DOTIRILLE / DORITILLE
- Entre le vers 1190-91, le nom de personnage est suivi de deux points : « THRASEE.. » Nous en avons supprimé un : « THRASEE. »
- Acte V, scène 2 (entre les vers 1677-1678) : VYRIDATE / TYRIDATE
- Entête de l’Acte V, scène 4 : DORITILE / DORITILLE
- Entête de l’Acte V, scène 6 : DOTIRILLE / DORITILLE
- Acte V, scène 7, en dessous du vers 2026 : THRASE’E.. / THRASÉE
La pagination en lettre (de l’imprimeur) « Giij » qui se trouve à la page 89 doit être « Hiij »
Le Martyre de saint Gervais §
AU SERENISSIME ET TRES-PUISSANT ROY DE POLOGNE ET DE SUEDE1. §
SIRE,
Les noms de Prince et de Roy, sont de glorieux titres qui ornent si bien le frontispice d’un Ouvrage, que j’ay fermé les yeux à toutes les considerations qui pouvoient m’empescher de mettre le mien au jour2, et de l’offrir à Vostre Majesté : C’est un hommage si peu considerable, que je devrois rougir d’avoir choisi une offrande trop basse pour un autel si élevé. Mais lorsque j’ay consideré que pour faire un present qui ne fut pas tout à fait indigne d’un grand Monarque, il faudroit que j’y travaillasse toute ma vie, et que celle-cy seroit plustost finie, que l’autre ne seroit commancé ; J’ay crû qu’il estoit raisonnable que mon Zele devançast ma capacité. Si mon Livre est assez heureux pour plaire à Vostre Majesté ; je me pourray vanter qu’une Reyne Estrangere3, Fille d’un Roy des Marcomans4, Peuples de Mauravie5, a trouvé son azile chez un Roy comme elle Estranger. Fritigile est une Reyne volontairement fugitive, que le desir d’estre Chrestienne et baptisée, a fait descendre de son Trône pour s’élever aux plus hauts degrez du Christianisme. Elle fait moins d’état d’un Sceptre que d’une Houlette6, s’il n’est accompagné des vertus Royalles dont brille Vostre Majesté. J’ay dit, Sire, que cette Heroïne est volontairement fugitive, parce que ce n’est pas la persecution d’un Empereur qui l’a fait changer de Climats, elle y auroit vécu parmy les tenebres du Paganisme, si le sang de deux freres Martyrs, n’eust dessillé ses yeux pour luy faire voir l’existence du premier Estre : l’ayant connu, elle pouvoit l’adorer sans craindre la rigueur des Loix Payennes, parce que sa Couronne et ses charmes avoient ébloüy le Tyran7qui persecutoit nos genereux* attlettes8 ; mais la grace avec les discours de ces deux freres deffenseurs de nôtre Foy cimentée de leur sang, avoit si bien instruit cette Amazone des veritez de nostre Religion, qu’ayant connu qu’il était impossible de voir bien clair parmy l’obscurité de l’ignorance, de s’approcher du feu sans en estre échauffé, et d’estre au bord d’un précipice sans estre en danger d’y tomber : elle n’a plus recherché d’autre Couronne que celle de l’immortalité, de plus grande conqueste que celle du Paradis, ny de meilleure compagnie que la societé des Saints ; elle n’a demandé le Baptesme d’eau, que pour avoir la force de recevoir celuy du sang. Voilà, Sire, les principaux motifs qui ont obligé Fritigile de renoncer au Sceptre Marcoman. Une si belle Histoire jointe au Martyre de S. Gervais, est une des raisons qui m’ont encouragé d’en faire la Dedicace à Vostre Majesté. Si mon Epistre Liminaire ne contient pas les Eloges qui luy sont dûs, je croy que mon respectueux silence luy sera plus agreable que la rudesse de mes expressions ; il suffit que dans l’abregé de l’Histoire de Fritigile, on y remarque des qualitez qui approchent des perfections de Vostre Majesté, une plume plus delicate et mieux taillée que la mienne se mélera de les écrire ; j’en laisse le soin à la renommée, à qui je devray beaucoup, si elle fait sçavoir que vous me permetez d’estre,
SIRE,
De Vostre Majesté,
Le tres-soûmis, tres-zelé, et tres-obligé serviteur,
F. DE CHEFFAULT, Pr. Ch. De S. G.
Préface §
Si les Ouvrages qui sont mis sous la presse n’étoient leûs, ou plûtost censurez que des Sçavans, il seroit presque superflu que les Escrivains fissent des espistres au Lecteur ; tant que l’on n’est point attaqué il est inutile de se deffendre ; et comme on sçait qu’il est plus difficile de composer un Livre que de le Critiquer ; on trouve bien moins de sçavans Autheurs que d’ignorans Critiques, ce qui oblige les premiers de prevenir126 les autres par une longue Preface qui ne sert que d’Apologie.
Le Martyre de S. Gervais dont j’ay fait une Tragedie, est un sujet si connu des personnes d’erudition et de pieté que tout le monde l’a pû lire ; et dans Baronius127 et dans la Vie des Saints128, où tout ce que nous en sçavons est tiré d’une Lettre de S. Ambroise129.
Si quelqu’un s’estonne* pourquoy j’introduis une Reyne des Marcomans, dont pas un de ces deux grands Personnages n’a fait mention dans l’Histoire de nos deux Saints, je répons à ceux qui ignorent les reigles de la Scene Françoise, que toute la beauté d’un Poëme Epique ou Dramatique, ne consiste que dans l’Episode, qui n’est autre chose qu’une Histoire si artistement inventée, que sa vraye-semblance, et le rapport qu’elle a avec le veritable sujet qu’on traite, ne choquent jamais le bon sens130.
La conversion de Fritigile, qui ne semble qu’une fiction, parce qu’elle n’est pas connuë à tout le monde, a neantmoins quelques fondement dans l’Histoire ; et l’on peut voir dans les Annales de l’Eglise131 aussi bien que chez Surius132, que cette Heroïne estoit Reyne des Marcomans, Peuples de Mauravie ; et qu’apres un grand nombre de beaux exploits elle abandonna sa Couronne, se fit Baptiser, et devint Chrestienne par la constance des Chrestiens qu’on persecutoit de son temps133. La prise des Espions Marcomans par les Soldats du Comte Astase ; les Idoles deux fois renversez par les deux Heros de cette Piece ; la suspension d’armes entre les Romains et les Marcomans ; l’amour et l’ambition d’Astase au sujet de Fritigile, qu’il espere d’épouser apres avoir usurpé ses Estats, et la haine jointe à la jalousie de la sœur du Tyran qui veut conspirer contre sa Rivale, ne sont que des embelissemens de l’art necessaires dans ces sortes d’ouvrages, et tout cela forme des intrigues et des incidens qui sont les ornemens d’un Poëme Dramatique134.
Peut-estre s’estonnera*-t-on de ce que dans un sujet aussi pieux que la mort de deux freres Martyres j’ay mélé de l’amour prophane135 ; mais l’on cessera d’en estre surpris, si le judicieux Lecteur considere que la fin principale de l’Historien ou du Poëte, doit estre de méler l’utile au delectable136 ; et que l’objet de la Poësie Chrestienne est une belle morale jointe au divertissement. Il faut qu’un Escrivain instruise un Lecteur en le delectant, et c’est ce que j’ay pretendu faire dans mon Poëme, où j’ay fait Astase amant de Fritigile sous l’espoir d’un prochain Hymenée ; mais il ne se declare qu’avec autant de modestie que la sainteté de cet Ouvrage le permet, quand mesme je luy aurois donné les plus violens transports de cette passion137.
Le Lecteur en pourroit apprendre, que depuis qu’un homme en est aveuglé s’il n’en pert au plûtost les occasions ; il est capable comme ce Tyran, non seulement de manquer de fidelité pour son Prince, mais aussi d’oublier les devoirs les plus saints de sa Religion138.
Pour la conduite de cette Piece, je la crois dans les reigles autant que j’ay pû les apprendre de la poëtique d’Aristote, et des plus celebres Autheurs en ce genre d’écrire139. Mon sujet qui n’est tiré ny de l’Histoire Sainte, ny de celle du Paganisme, peut estre le sujet d’une Tragédie. L’action principale qui est la mort de S. Gervais, se passe dans les 24. heures. La Scene est toûjours dans un mesme lieu ; les Acteurs n’y entrent point sans y estre attendus, ou sans dire le sujet qui les y fait venir140 ; ainsi l’on y peut voir les unitez necessaires, et de l’action et du lieu et du temps.
A l’égard du stile, comme il en est de trois especes pour s’en servir selon les differens caracteres qu’on donne à ceux qu’on introduit141, j’ay tasché de m’en servir le plus judicieusement que j’ay pû. Astase ne parle qu’en Tyran, un peu Religieux pour ses fausses Divinitez ; aveuglé d’ambition et d’amour, et soûmis à toutes ses passions. Nos deux Heros ne répondent qu’avec une douceur Chrestienne ; il est bien vray que Fritigile sort de son caractere au quatriéme et cinquiéme Acte, mais il faut necessairement qu’elle change de stile en changeant de Religion, et qu’estant nouvellement convertie elle ne parle plus en Payenne. J’ay donné aux autres Acteurs142 le stile que je leur ay jugé le plus convenable. Ce n’est pas qu’apres cette longue Preface, je conclue que mon Livre a sa derniere perfection. Je veux bien croire que tout autre que moy auroit traité cette matiere en termes un peu mieux choisis. Tout ce qui me peut satisfaire, c’est qu’il y a des Astrologues qui ont trouvé des tasches dans le Soleil143, et qu’il est vray qu’on le void eclipser144 aussi bien que les autres Astres. Les Ouvrages les plus achevez ne sont pas à couvert de la censure, et je serois trop vain, de croire qu’il n’y eut rien à reprendre en mon Poëme, bien qu’il soit l’Ouvrage d’un temps assez considerable145. Enfin, si ma Preface a suffisamment fait voir que je n’ay pas dû faillir par l’ignorance des reigles ; on connoistra par l’Ouvrage entier, qu’il est bien plus aisé d’apprendre une science que de la reduire en pratique146.
Hoc opus, hic labor est147.
IN LAVDEM AVTHORIS.148.
EPIGRAMMA. §
Laudibus ut quid [l]egent nostris quos Christus honorat,Inde nec illorum gloria maior erit,Attamen officiis leuibus persaepe mouentur149,Obsequiisque solent munera larga dare,Praemia Cheffalte idcirco sperare licebit,Versibus extollens lumina sancta duo.
JOANNIS BESNARD, Sacerd. Coen.
AD EVMDEM.150
EXASTICON. §
Qvem pietas et amor Christi sincerior urgent,Promouet illius quâ valet arte decus.Versibus hinc sanctos celebras & laudibus ornasEximiis, per te iam viget auctus honos :Nunc clamant meritum extolli te laudibus omnesEt mea te dignum Carmine musa canit.
L. de F.N.P.D151.
IN LAVDEM AVTHORIS.152. §
Sunt quos ficta gravi iuvat exaltare cothurno,Et laudare metro quae meminisse pudet,Conditor Iliados foelix Æneidos Author,Quid nisi fictitios insonuere Deos ?At tua Melpomene non te Cheffalte profanisOccapat, ut tragico Carmine sensa canis,Eia age digna cedro et sanctorum ut pangis agones,Irritat flammas aemulus intus amor.
R. BOESME, Presbyt, Cœnom.
IN HONOREM SS. GERVASII ET PROTHASII.
TETRADECASTICHON.153. §
Qvis flatus te caelestis prosapia ducit,Tot tormenta pati mentibus impauidis ?Quid liquor ? ô mirum ! Dum cuncta hinc inde minantur,Firmam non possunt ulla mouere fidem.Quin etiam ardentes pro Christo occumbere morti,Attollunt animos verbera CarnificumGervasi, tu Martyrum honos, nec non decus omne,Prothasi, haec vobis inclyta facta manent.Haec foelix sors vestra fuit laudisque perennis,Certa via effuso tincta cruore patet.Ast tot vulneribus satis est moriendo resurgiCernere & aeternos ex pereunte dies ?Mortales habitus, sic immortalibus ante,Fortiter Heroum ponere laudis erat.
STEPHANVS BOVTIN. C. Tur.
AVTHOR AD PIVM LECTOREM. GERVASIVS ET PROTASIVS.154. §
Post triumphum coronatiMutuo coniubilant.Et prostrati pugnas hostisIam securi numerant.Omni labe defecatiCarnis belle nesciunt.Caro facta spiritalisEt mens unum sentiunt. Pace multà perfr uentesScandala non perferant.Mutabilibus exutiRepetunt OriginemEt praesentum veritatisContemplantur speciem,Hinc vitalem vivi fontisHauriunt dulcedinem.
Ex. Auct. MED. C. 28.
A L’AUTHEUR. §
D’un genereux dessein la fin est genereuse,Mais quand il est conduit au point qu’il est conçû,La suite quelquefois en est si glorieuse,Que jamais son Autheur ne s’en fust apperçû.Ton Ouvrage aujourd’huy fait paroistre à nos yeux,Ce succez que produit ton heureuse entreprise,Ton amour vers nos Saints et tes devoirs pieux,Font qu’en les honorant ton Nom s’immortalise.
E. BOUTIN C. de Tours.
QUATRAIN. §
Que le sujet est beau, l’on y voit deux vainqueursEmporter et la palme et toute la victoire,Ce sont deux Conquerants et deux Heros de gloire,Qui bravent un impie confondant155 ses erreurs.
M. PINSON, Prestre de S. Gervais.
CONTRE LES LIBERTINS.
STANCES. §
Libertin dont l’esprit enflé de vanitéCombat nos plus saintes maximes,Sans te donner le temps d’en voir la veritéPar des sentimens legitimes.Voicy de deux Martyrs l’invincible vertu,Ton esprit s’y pourra pleinement satisfaire,Et par l’esclat brillant d’une forte lumiere,Se peut mettre à leurs pieds saintement abbatu.
Tu pretends que nos vœux ne sont fondez qu’en l’airQue ce qu’on dit de l’autre monde,Se dissipe aussi-tost que l’on voit un éclairSur les raisons où tu te fondes,Arreste icy tes pas : et voy de nos grands SaintsDans la lyce du Ciel l’infatigable course,Delà tu passeras à la premiere source,Qui peut de tes desirs arrester les desseins.
Croys-tu que nos Martyrs combattoient pour l’erreur,Et qu’un bonheur imaginaireLeur faisoit ressentir les pointes du malheurDans la suitte de leur carriere.Mais qui les a portez à quitter tous leurs biens ?A renoncer aux droits d’une illustre naissance,Pour suivre d’un bonheur une foible apparenceQui composoit le sort de nos premiers Chrêtiens.
Deux lustres156 accomplis dans la peine et l’amourN’ont pû courber leurs palmes,La fureur de l’Enfer survenant à son tourA veu leurs esprits calmes.Il faut donc que d’un Dieu, la force et le secoursAit soûtenu nos Saints dans le champ de la gloire,Afin qu’establissant de ses Saints la victoire,Il pûst à nôtre Loy donner un heureux cours,
Deux Siecles expirez on deterra leurs corps,On les trouva sans pourriture,On tira du tombeau ces precieux thresorsComme vainqueurs de la Nature.Milan fût estonné du Miracle fameux,A cela ton esprit sera-t-il insensible ?Apprend dans cet Autheur ton jugement terrible,Si tu veux condamner injustement nos vœux.
A. POULLIN.
L’AUTHEUR AUX VERS precedens. §
S’il est des Virgiles FrançoisOn ne parle que d’un, c’est le fameux Corneille,Un Poëme que sa Muse enfante par ses doigts157Surprend autant qu’une merveille ;Mais il est beaucoup plus certain,Puisque tant de Poëtes habilesOnt fait ces beaux Vers en Latin ;Qu’on voit en cette Langue encor bien des Virgiles.Lecteur, en lisant leurs écrits,Sçache, qu’un de ces beaux esprits,Que son humilité fait taire,Possede de si beaux talensQu’il eust passé pour un HomereS’il avoit esté de son temps.
Extrait du Privilege du Roy. §
Par grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 24. May 1670. Il est permis à nôtre cher et bien-Amé le Sieur de Cheffault, Prestre, Ch. De S. Gervais, de faire imprimer, vendre et debiter un Livre de sa Composition, intitulé Le Martyre de S. Gervais. Poëme Dramatique pendant le temps de cinq ans, avec deffences à tous Libraires, Imprimeurs et autres personnes, d’imprimer, vendre, ny debiter ledit Livre durant ledit temps, sans le consentement de l’exposant, a peine de deux mil livres d’amandes, de confiscation les Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par ledit Privilege. Signé, Par le ROY en son Conseil. MEY avec Paraphe.
Et ledit Sieur de Cheffault, a cédé son Privilege à Gaspar Methuras, suivant l’accord fait entre’eux.
Registré sur le Livre de la Communauté le 7. Juin 1670. Signé, Soubron, Syndic.
Achevé d’imprimer le dix-huictiéme Juin 1670.
Les Exemplaires ont esté fourny.
ACTEURS §
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
SCENE II. §
{p. 6}ASTASE.
SCENE III. §
{p. 8}THRASÉE.
ASTASE
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE, voyant revenir Tyridate.
THRASÉE.
Il me sembleSCENE IV. §
{p. 14}ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
TYRIDATE.
On n’a pû lesASTASE.
THRASÉE.
TYRIDATE.
THRASÉE.
TYRIDATE.
THRASÉE.
ASTASE
THRASÉE
TYRIDATE.
THRASÉE.
TYRIDATE.
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
[Biij, 17]SCENE PREMIERE. §
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
PROTHAIS.
GERVAIS.
SCENE II. §
ASTASE.
THRASÉE.
{p. 23}ASTASE.
LETTRE qu’Astase lit
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
SCENE III. §
{p. Cij, 27}ASTASE
SCENE IV. §
[ASTASE.]
TYRIDATE.
{p. Ciij, 29}ASTASE.
TYRITADE.
SCENE V. §
ASTASE
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
{p. 34}FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
{p. 36}SCENE PREMIERE. §
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
SCENE II. §
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
{p. 40}DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
SCENE III. §
ASTASE
GERVAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
GERVAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
GERVAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
SCENE IV. §
{p. 45}FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
{p. 46}FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
{p. 47}FRITIGILE.
[ASTASE.]
SCENE V. §
DORITILLE.
ASTASE
DORITILLE.
FRITIGILE.
{p. 48}DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
[E, 49]DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
Fin du troisiesme Acte.
ACTE IV. §
[Eij, 51]SCENE PREMIERE. §
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
THRASÉE.
{p. 53}DORITILLE.
THRASÉE.
THRASÉE.
SCENE II. §
DORITILLE.
TYRIDATE.
{p. 54}THRASÉE.
TYRIDATE.
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
TYRIDATE.
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
{p. 56}THRASÉE.
TYRIDATE.
DORITILLE.
THRASÉE.
DORITILLE.
TYRIDATE
DORITILLE.
{p. 57}SCENE III. §
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
THRASÉE.
DORITILLE.
THRASÉE.
ASTASE.
DORITILLE
SCENE IV. §
{p. 59}TYRIDATE à Astase.
ASTASE
GERVAIS.
ASTASE.
GERVAIS.
ASTASE.
GERVAIS.
ASTASE.
THRASÉE
SCENE V. §
{p. 61}PROTHAIS.
FRITIGILE.
PROTHAIS.
FRITIGILE
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE à Thrasée et à Tyridate.
SCENE VI. §
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
SCENE VII. §
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
Fin du quatriesme Acte.
ACTE V. §
{p. 70}SCENE PREMIERE §
FRITIGILE.
SCENE II. §
FRITIGILE.
TYRIDATE.
FRITIGILE.
TYRIDATE.
FRITIGILE.
TYRIDATE.
FRITIGILE.
TYRIDATE.
FRITIGILE.
FRITIGILE.
TYRIDATE.
FRITIGILE.
TYRIDATE.
SCENE III. §
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
DORITILLE.
TYRIDATE.
ASTASE.
DORITILLE.
SCENE IV. §
FRITIGILE.
DORITILLE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
TYRIDATE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
FRITIGILE.
ASTASE.
SCENE V. §
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
PROTHAIS.
ASTASE.
SCENE VI. §
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
Le traistre laDORITILLE.
ASTASE.
{p. 86}DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
SCENE VII. §
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
THRASÉE.
DORITILLE.
{p. 93}ASTASE.
DORITILLE.
ASTASE.
THRASÉE.
ASTASE.
FIN
[Illustration et inscription affichant SACRUM / PINGVE / DABO / NEC / MACRUM / SACRIFICABO223]
HYMNES, VERSETS, PROSES ET ORAISONS224 §
Qui se chantent en la Parroisse desSt. Gervais et Prothais, les joursde leur Feste, Translation et du-rant les Octaves.[gravure liminaire]
Aux premiers et secondes Vespres.HYMNE225.Quisquis in coelo tibi cumque ChristoA Deo partem modò pollicérisDisce quo tantae prétio menténdaSint bona fortis.Disce ; nam praebet documénta biniFratris exémplum : juvat amplitudoPraemij te par ? Patis aemulareFacta laboris. {p. 98}Vis opes foenus referant beâtum,Cumque thesauro bene cor tuum sit ?In signum Christi manibus recondePâuperis utens.Principes terrae métuis minaces,Carceres, flammas, gladios, catastas ?Arma divinae cape charitatis,Nulla timébis.Illa Vitalis via conjugisque,Illa Gervasi fuit & Protasi,Qua Dei ductu tenuere sanctaeTempla Sionis.Sic rapit caelos violenta virtus,Sic pugil Christi récipit branium,Sic bibit sactum câlicem, DeiqueSic sit amicus.Compati Christo decet, illa lex est,Regna caelorum patiàntur ut vim,Ut revelétur Domini futuraGloria nobis.Christe dux & vis pugilum, ferentesDa tuae partem crucis, intonemus,Hic & in caelis pia TrinitatiCantica laudis. Amen.Laetamini in Domino & exaltate justi.Et gloriamini omnes recti corde.A MATINES.{p. 99}HYMNE226.O Tuta Christi militumArx atque propugnaculum !Quam non ab hoste vinciturQui charitate nititur !Gentilitatis FlaminesQuititiumque principesGervasium nefarioFrattémque tentant praelio.Duo tot hostes pérferunt,Duo tot hostes proterunt :Quibus Deus commilitat,Quis contra quicquam polleat ?Bello sed hoc quid quaeritur ?Uterque velle cogiturUt thura ponens âdicetChristum, Iouémque praeudicet.Expers metus constântia,Fides remitti nésciaTam turpiter non déficit,Non sic ad hostes transfugitQuin erogatis omnibus,Tyrannicis furoribus,Quae sola restant corpora {p. 100}In laeta tradunt funera.Sic expediti pondereVilique carnis puluere,In civitatem démigrantQuam pax quiésque témperant.Iesu tibi certantiumIn hac palaestra praemium,Fac nos ab hoc luctamineTuo potiri numine.Virtus, honor, lauv, gloriaDeo Patri cum Filio,Sancto simul paraclitoIn saeculorum saecula. Amen.A LAUDES.HYMNE227O Filiae IerusalemVenite, pompam nobilemVidete, dignis MartyresCinctos cotonis verticesSolemnis hic GervastiTriumphus & Protasii ;In militum victoriaHaec est Sionis gloria.Fulgent in armis purpuraePalmis virescunt dexterae {p. 101}Illucet autum frontibus,Sancti favent victoribus.Summi Patris benignitasEt non auara largitasSic munerat pro filio,Qui vicerint in praelio.Tum justa post stipendiaSuis adaugens praemiaRegnare dat perenniterChristi sodales desuper.Coelestis aulae municepsDivinitatis particeps,Sic sancte fratrum binioNobis faue suffragioEt quas tuo iam numiniTrinoque laudes nominiHic personamus parciusCoelo canamus largius.Amen.ORAISON228.Sanctorum Martyrum tuotum, Ger-vasii & Protasii, quaesumus Domine,votiva solemnitas Ecclesiam tuam laeti-ficet, ut quos idem ortus & passio fecitesse germanos, eorum pia interventio noscoelestis gloriae faciat esse participes. PerDominum nostrum, &c.A LA MESSE.{p. 102}PROSE229.Ad honorem tuum Christe, psallat ti-bi chorus iste, Martyrum praeconia.Duo fratres hi fuerunt ; in se pro tepertulerunt diversa supplicia.Vnus dies est natalis, quorum paterest Vitalis, & mater Valeria.Clari per progenitores, sed moribusclariores fecit Christi gratia.Protasius hic vocatus, Gervasius alterdictus, ambo clari meritis.Sancti simul hi nutriti, sunt in sideeruditi, summi dono numinis.Sic in fide roborati, sunt in fine coro-nati felici martyrio.Cum plumbatis est prostratus unus al-ter decollatus, sub duce Astasio.Vetus homo cruciatur, nouus verò re-nouatur, crescente supplicio.Nam requies lassis datur, morte vitacomparatur, dolor cedit gaudio.Ex Aegypto transtulisti isto, arque per-fecisti, palmites in patria.Sie in Christo vera vite plantati, caele-stis vitae consequ mur gaudia. {p. 103}POUR LE JOUR DE LA TRANSLATION.Aux premieres & secondes Vespres.HYMNE230.O Vices rerum ! quasi nauseandumSortis horrendae peripsema, tellusQuandiu celas pretiosa biniFunera sancti.Scilicet spreti meritum lapilliEthnicis dignè suibus latebat ;Scilicet nundum retributionisVenerat hora.Venit, hos tander Deus ut receptosEsle cum sanctis, simul ac amicis,Quin adoptinos sibi filiosqueEsse probaret.Venit, & si fas foret, inuidendumAmbrosi munus tibi : sed triumphumNemo quam sanctus, celebrare sanctiAptior usquam.Actior nemo : pura visioniVix sidem Paulus dedit, ut repenteSedulus tetram ruis, & repertumPignus adoras.Halitus, ô quos ! ô odore quantoSpirat afflatus loculi salubreBalsamum, verax specimen beataeConditionis !Unitas fratrum rutillans, odoreNos tuo post te trage, parsque praeudauVel tuae facti, vel amica pompamTurba sequamur.Gloria Patri genitaeque Proli,Et tibi compart utriusque semperSpiritus alme Deus unus omniTempore saecli. Amen.Laetamini in Domino & exultate justi.Et gloriamini omnes recti corde.A MATINES.HYMNE231.Gervasi radians Empyrei jubar,Martyr Martyribus nate parentibusDivinae soboles incluta gratiae,Coeli nobilis indiges :Protasi meriti tu quoque comparisConsors & generis, quos dedit ut diesEs foetura duos unica saeculo,Sic mors reddidit & Deo : {p. 105}Nam te permolitum fustibus, in sidePerstantem gladius sustulit, hostiaeGermanae socium, grandine plumbeaTotis attubus obrutae.Huius Christicolae vos vigiles gregisCustodes ouium simplicitas luposQuos afficta tegit, pellite longiusUt nil exitii ferant.Quae patrocinio jura clientiumVestro credita sunt, plena tuéminiUt de parte nihil depereat sibiCoelestis Patrimonii.Qui cauci régimen, lumine redditoIllustrastis, eo nunc animi viasIllustrate, meri perpetuus boniDum nos induitur beet :Te summa deitas unaque poscimusUt culpas abluas noxia subtrahasDes pacem famulis, nos quoque gloriamPercuncta tibi saeucula. Amen.A LAUDESHYMNE232.Gentilis ars mendaciiEcquid minas Astasii.Accendis in par nobile {p. 106}Ut sit neci damnabile.Cur innocens fraternitasEt Christiana sanctitasIndigna perfert verberaUt cruda fustis vulnera ?Aexcors satelles daemonisHostisque veri numinisInsta, perurge saeviterMinae cadunt inaniter.Nil saeva vis GervasiumNil atterit ProtasiumVires labant dum corporisVitus resurgit pectoris.Dum membra moerent verbereMens gauder intus, carcereTandem refracto, copiamDari videndi patriam.En dire, si fas, suspiceEn quos tenebas, aspiceUt evolant ad caelitesPoenis suis superstites !Illustre nobis MartyrumHoc Obtine consortiumTuas saecuris semitasAeterna sit faelicitas.Virtus, honor, laus, gloriaDeo Patri cum FilioSancto simul Paraclito {p. 107}In saeculorum saecula. Amen.Exultabunt sancti in gloria.Laetabuntur in cubilibus suis.ORAISON233.Omnipotens sempiterne Deux, quiper gloriosi bella certaminis, ad im-mortales triumphos, Gervasium & Pro-tasium extulisti : da cordibis nostris di-gnam pro eorum sacra Translatione lae-titiam : ut, quorum corpora pio amoreamplectimur, eorum precibus adiuue-mur. Per Domieum, &e.A LA MESSE.PROSE234.Haec est dies expectata, & orbe totodicata, gaudiis solemnibus.Lux optata, qua sanctorum decus po-tens Rex coelorum latere non patitur.O ter foelix, & amplius, urbis praesulAmbrosius tanti repertor pignoris :Iam sacrae Quadragesimae, se domansabstinentia, confecerat spatia.Ecce verba suppliciter profundentemprecantia, lenis somnus occupat.In vestibus coruscantes, niue candi- {p. 108}dioribus, offerunt se juvenes.Bis species apparuit, bis species evanuit eludens Antistitem.Cum vir, Paulo par beato, majestatevenetanda, tertius se praebuit.Juvenibus comitatus, Ambrosium ob-stupentem compellat his vocibus :Quos hic vides, isti semper Christisunt salutifera sequuri vestigia.Fratres simul convixere pares annis &virtute, pietate nobiles.Quinquennio bis exacto, aeternanmMartyrii mervere lauream.Divorum quaete corpora, locum, quosunt sine mora alte ferro saucia.Genus, ortum, nomen, vitam te libel-lus edocebit, ad caput reconditus.Sic duce Praesul numine, inventa tol-lens pignora, templi fert in adyta.Ibi germani Martyres, miraculis il-lustribus, exerunt potentiam.Cuncti morbis conflictati, domummorbis recreati, gestientes revolant.Fac regnator mundi Deus, Gervasius,Protasius adjuvent nos precibus. Amen.FIN.
Annexes §
Documents §
Document 1 : Philippe de Champaigne, Saint Gervais et saint Protais apparaissant à saint Ambroise, 1656-1660. Laine et soie, 490 x 757 cm, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, inv. PPO03778. L’œuvre représente la révélation divine, l’épisode précédant celui de la redécouverte des corps et celui des miracles lors de la translation.

Document 2 : Jean-Baptiste de Champaigne, Translation des corps de saint Gervais et saint Protais, 1661. Huile sur toile, 363 x 681 cm. Paris, musée du Louvre, inv. 1131.

document 3 : Eustache Le Sueur, Saint Gervais et saint Protais amenés devant Astasius, vers 1652. Huile sur toile, 357 x 684 cm, Paris, musée du Louvre, inv. 8019.

document 4 : Eustache Le Sueur et Thomas Goussé, La Flagellation de saint Gervais, 1654-1655. Huile sur toile, 362 x 685 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts, inv. A. 193.
