L’AMANT
QUI
NE FLATE POINT,
COMEDIE

DU S ͬ DE HAUTE-ROCHE,

A PARIS,
Chez CHARLES DE SERCY, au Sixiéme Pilier
de la Grand’Salle du Palais, vis à vis la Montée de
la Cour des Aydes, à la Bonne-Foy couronnée.
M. DC. LXIX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Maé Touitou dans le cadre d’un mémoire
de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2017-2018)

Commentaire critique §

Introduction §

C’est en juillet 1668 sur la scène du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne que débute la carrière d’auteur dramatique de Noël le Breton dit Sieur Hauteroche. Il est jusqu’alors surtout connu comme acteur, L’Amant qui ne flatte point marque le début d’une importante production théâtrale. Quelques années plus tard, le coup d’essai se transforme en véritable coup de maître avec Crispin médecin en 1670 et Crispin musicien en 1674.

La pièce pique d’emblée la curiosité du spectateur avec son titre oxymorique qui désigne Geraste, ce gentilhomme nantais venu à Paris pour épouser Lucrece, la fille d’Anselme. Avec ce titre, Hauteroche semble promettre aux spectateurs une comédie faite de situations insolites et cocasses.

Noël Le Breton, sieur de Hauteroche : éléments biographiques §

La légende §

Les études sur la vie de Hauteroche relèvent à la fois de l’analyse de source et du récit romanesque. En effet, les informations biographiques dont nous disposons sur lui sont fragmentaires. Il en va de même pour les documents qui attestent son existence, ils ne remontent pas en amont de l’année 1654. Ces lacunes ont ainsi été comblées par des développements qu’il convient de mettre en doute. La version de la jeunesse du comédien-poète qui s’est transmise jusqu’au début du XXe siècle, est invérifiable et quasi légendaire.

Hauteroche, de son véritable nom Noël Le Breton, serait né selon les biographes du XVIIIe siècle vers 1617 et mort le 14 juillet 1707 « à l’âge de quatre-vingt-dix ans »1. Toutes les biographies de l’auteur mettent en scène une même version de sa jeunesse, la légende apparaissant pour la première fois dans les Œuvres de M. de Hauteroche publiées en 1772. Les libraires affirment dans leur Avis liminaire que le Chevalier de Mouhy2 a bien voulu leur transmettre ces informations restées jusqu’alors inconnues. Le caractère légendaire et romanesque du récit de cette jeunesse transparait dans les comparaisons explicitement littéraires3 des éditions ultérieures. Les biographes dressent le portrait d’un jeune homme issu d’une famille aisée qui voit ses aspirations militaires et sa soif d’aventure contrariée par la volonté d’une mère possessive et autoritaire. Il se retrouve ainsi promis à l’achat d’une charge de conseiller au Châtelet et à un mariage arrangé avec la fille d’une amie de sa mère. Pour échapper à ce destin, Noël Le Breton fugue en Espagne avec l’espoir de se faire engager comme soldat dans les troupes du pays. Toutefois ses rêves de grandeur militaire sont vite déçus et après avoir dilapidé au jeu, dans les environs de Valladolid, la fortune qu’il avait dérobée de la maison paternelle, il s’engage à Valence au sein d’une troupe de comédiens français qui jouait auprès du gouverneur de cette province. Il aurait ensuite été choisi pour être le responsable d’une troupe ambulante allemande. La date de son retour à Paris, ainsi que les détails des événements qui précèdent, nous sont totalement inconnus. C’est lors de ce retour à Paris que Noël Le Breton aurait adopté le pseudonyme de Hauteroche pour nom de scène.

Les documents §

Les premiers éléments fiables concernant la vie de Hauteroche datent du 1er avril 1654 : il s’agit d’un contrat d’association d’acteurs, pour la formation d’une troupe de comédiens de campagne sous la direction de Hauteroche lui-même. Le contrat, valable un an, est signé « en la maison du Sr de Surlis rue d’orléans Maretz du Temple », et laisse supposer qu’il existe une certaine relation entre le comédien et cette famille. Il répertorie parmi les membres de la troupe Madeleine et Estiennette, deux des filles Desurlis, et mentionne la promesse de recevoir la troisième fille, Catherine, quand celle-ci le demandera. Selon S. W. Deierkauf-Holsboer, Hauteroche aurait probablement auparavant formé les filles Desurlis dans sa troupe de comédiens de campagne, troupe qui aurait pu ainsi exister bien avant 1654. On sait par ailleurs que Madeleine et Estiennette ont été formées dans une troupe de province, qu’elles intègrent respectivement en 1652 et 1653 : il est plausible qu’il s’agisse de la troupe de Hauteroche. Quant à la troisième sœur Catherine, on sait qu’elle a intégré une troupe de ce type après la faillite de L’Illustre-Théâtre en 1645 et on pense qu’elle aurait déjà travaillé avec Hauteroche, ce qui expliquerait la promesse faite de l’engager sans condition. Ainsi, cette troupe aurait pu être déjà formée dans la seconde moitié des années 1640. En 1654, Hauteroche a joué à Fontenay-le-Comte : sur l’acte de baptême du fils de Madeleine Desurlis et de Claude Jannequin datant du 29 septembre figurent les noms de l’ensemble des membres de la troupe. On apprend aussi grâce à cet acte qu’Hauteroche était le parrain du petit garçon.

À l’expiration du contrat de société, Hauteroche et les membres de sa troupe sont retournés brièvement à Paris, et se sont joints à Laroque pour former la nouvelle troupe du Marais. Mais là-bas les contraintes matérielles les poussèrent à repartir en province à la fin de la saison 1656-1657, les propriétaires ayant refusé de baisser le loyer. Nous avons peu d’éléments concernant cette période, mais on a la trace d’un passage de Hauteroche dans le nord-ouest de la France, à Rouen en août 16574. On pense également qu’à l’instar de la Des Œillets, il a quitté Le Marais en 1662, à Pacques. Il est en effet mentionné comme comédien dans le texte de l’Impromptu de Versailles joué à l’Hôtel de bourgogne. On ignore cependant la date exacte de son retour à Paris et de son entrée à l’Hôtel de Bourgogne. Le premier élément attestant de sa présence au sein de cette nouvelle troupe date de 1660. Il s’agit d’une signature apposée sur un bail. Hauteroche semble avoir été engagé en remplacement de Pierre Hazard, dont la date de décès est incertaine5. De plus, en mars 1664, son nom apparait sur un contrat d’acteur du théâtre de Bourgogne et Raymond Poisson le fait apparaitre parmi les autres comédiens de la troupe de l’hôtel dans le Poète Basque. Ainsi, au moment de l’arrivée de Molière à Paris pour la saison 1658-1659, Hauteroche avait dû déjà rejoindre la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, qu’il a surement intégrée en même temps que Raymond Poisson.

Il y cumula plusieurs fonctions : celle d’acteur, puis d’auteur, et enfin d’orateur à partir de 1671, lors de la retraite de Floridor. Avec ses camarades, il participe à la formation de la Comédie- Française en 1680.

Ses premiers essais d’auteur, toutefois, n’appartiennent pas au domaine théâtral : il compose quinze poèmes lyriques, publiés en 1664 par Ribou dans Les Délices de la poësie galante des plus célèbres auteurs du temps. On peut rattacher ces poèmes au salon de Madame Le Camus, qui fera, ainsi que son mari, l’objet d’une des rares dédicace de l’auteur6. Hauteroche a, semble-t-il, fréquenté ce cercle, auquel appartenaient aussi Boisrobert, Pinchesne, Perrault, Nanteuil et Chapelain. Il est surtout l’auteur de douze comédies entre 1668 et 1690.

Sa carrière d’acteur est diamétralement opposée, dans la mesure où il a joué essentiellement des rôles tragiques. Msoroins talentueux que Floridor et Montfleury, il reste cantonné dans les personnages de confidents, ceux de Racine notamment, endossant ainsi les rôles d’Héphestion dans Alexandre le Grand, de Phœnix dans Andromaque ou de Narcisse dans Britannicus.

Hauteroche se retire au printemps 1684, date à laquelle il cède sa part à Raisin l’Aîné et à Mlle Raisin contre un paiement de 300 louis d’or7. Il touche alors en tant qu’ancien acteur une pension de 1000 livres, à laquelle s’ajoutent d’autres revenus liés à ses activités de spéculateur immobilier et de créancier : la rente annuelle qui lui venait de ses débiteurs dépassait celle reçue pour sa carrière8. L’année d’après, en 1685, il se maria à Jacqueline Le Sueur.

Après son retrait, Hauteroche écrivit encore quelquefois pour le théâtre jusqu’en 1690. À partir de 1694 c’est sa femme, Jaqueline Le Sueur, qui signe pour lui les documents avec cette précision : « […] a cause de l’infirmité & perte de veüe du Sieur dautroche mon éspoux »9.

Les Œuvres de M. de Hauteroche sont publiées de façon posthume en 1736, en trois volumes imprimés par Pierre Jean Ribou à Paris. Il sera réédité en 1742, puis en 1772.

Lieu de la représentation, distribution et réception de la pièce : §

L’hôtel de Bourgogne §

L’Amant qui ne flate point a été créé le vendredi 17 juillet à l’hôtel de Bourgogne. En 1668, l’Hôtel de Bourgogne, situé rue Mauconseil10, était la principale scène parisienne. La compagnie est surtout appréciée pour ses tragédies, la comédie étant devenue la spécialité du théâtre du Palais-Royal, c’est-à-dire de la troupe de Molière. Le théâtre du Marais quant à lui, est en déclin au début des années 1660, il tire alors sa réputation des pièces à machines. Cette spécialisation croissante des différents théâtres dans les années 1660 n’empêche pas les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne de continuer à donner des comédies afin de concurrencer les succès de Molière au Palais-Royal. Ainsi, l’Hôtel multiplia la représentation de petites comédies en un acte fournies par Villiers, Montfleury, Boursault, Poisson qui devinrent très à la mode dans ces années 1660. Ainsi Hauteroche créa en 1669, un an après L’amant qui ne flate point, une comédie en vers et en un acte Le Souper mal appresté.

En 1668, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne étaient sous la direction de Floridor et on estime que la troupe devait avoir un peu plus d’une dizaine de membres.En 1668, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne se composait des membres suivants : Mlle Des Œillets, Mlle Beauchâteau, Villiers, Mlle De Villliers, Floridor, Mlle Floridor, Belleroche (Raymond Poisson), Mlle Poisson, La Fleur, Brécourt, Mlle Desurlis, Mlle d’Ennebaut, et Hauteroche.

Nous connaissons deux des acteurs de l’Amant qui ne flate point : Villiers qui jouait le rôle du valet Philipin et la Dennebaut ou d’Ennebaut, fille de Montfleury, qui incarnait Lucrece. Ces deux comédiens étaient très célèbres à l’époque. Villiers d’abord, de son vrai nom Claude Deschamps, entré dans la troupe en 1642 après quelques années au Marais, s’était depuis longtemps spécialisé dans le rôle de Philipin (ou Filipin) créé pour concurrencer Jodelet qui, dans les années 1640 et 1650 régnait sur le Marais. En 1668, lorsqu’il joue le valet d’Ariste dans L’Amant qui ne flate point, Villiers approche de la fin de sa carrière, qu’il interrompt deux ans plus tard en 1670. Quant à Mlle d’Ennebaut, elle était alors une des actrices vedettes de l’Hôtel, avec Mlle Beauchâteau, et Mlle Des Œillets mais celle-ci jouait surtout dans la Tragédie.

Le reste de la distribution de L’Amant qui ne flate point nous est inconnu, nous ne pouvons nous livrer qu’à des hypothèses :

Un autre acteur s’était fait remarquer depuis plusieurs années dans les rôles de valets fourbes. Il s’agit de Raymond Poisson (1630-1690), étoile montante de la comédie. Arrivé à Paris en 1660 et entré à l’Hôtel de Bourgogne la même année, il s’illustra d’abord dans les petites comédies qui suivaient en général la représentation d’une tragédie. Il a également écrit des comédies en un acte : par exemple Le Baron de la Crasse en 1662, où il se moque d’un noble de province. Enfin, Poisson est surtout celui qui a incarné le rôle de Crispin dans ses propres comédies, dans celles de Montfleury- fils, mais surtout dans celles de Hauteroche au début des années 1670. On pense en particulier à Crispin médecin en 1670 et Crispin musicien en 1674. On remarquera que ce personnage type du valet fourbe, est absent de notre pièce. En effet, Philipin est prudent, peureux voire couard. Quant à Licaste, le valet de Geraste, c’est le valet rusé, gentillet, balourd, porté sur la boisson. Philipin et Licaste héritent chacun d’une partie des attributs du valet traditionnel de comédie.

Étant donné l’âge de Floridor, né en 1608, il a soixante ans, il est possible qu’il assumait le rôle d’Anselme. Cette hypothèse est d’autant plus probable que le rôle d’Anselme se révèle être au cours de la pièce, un rôle central, ce qui convenait à un acteur de la réputation de Floridor dont le talent pouvait être mis en lumière par les monologues prévus pour le rôle. À l’inverse, Ariste devait être interprété par un jeune acteur à belle allure : par exemple Brécourt, qui avait alors trente-deux ans.

L’action se déroulant devant l’entrée de la demeure d’Anselme, la scène représentait sans doute une rue et la devanture d’une maison bourgeoise. C’est ce qu’on appelle le « carrefour comique ». Cet espace central est un lieu ouvert, public, il permet de se faire rencontrer fortuitement des personnages qui n’en avaient pas l’intention (voir la scène du baiser à laquelle assiste Geraste), voire qui ne se connaissait pas. Il répond à une nécessité dramatique : la pièce a besoin s’un tel lieu pour que l’intrigue puisse progresser. Le carrefour comique est particulièrement intéressant quand l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur est exploitée par l’action. Anselme souhaite marier sa fille et veut savoir donc qui est son gendre. Il s’agit pour lui d’accueillir, de faire entrer dans son foyer le vrai Geraste. Il n’est donc pas anodin que la pièce se joue devant sa porte. L’entrée ou la sortie de scène, qui constitue (entrée ou sortie de la maison) a des enjeux dramatiques forts. A plusieurs reprises, il est fait mention de la rue et de la maison d’Anselme. Ainsi au vers 101 Geraste dit en s’adressant à Anselme « Vous marchez dans la Ruë ainsi que fait un Fou » ; Lucrece déclare au vers 1488 pour justifier sa fuite « Il n’estoit pas raison de rester dans la Ruë » ; Florence s’exclame vers 1643 « Dans la Ruë ! » quand Philipin lui réclame un baiser. Enfin au vers 1646, Anselme qui cherche à démasquer l’imposteur dit à Philipin « Que fais-tu dans la Ruë ? as-tu quelque secret… ». La didascalie qui précède le vers 1645 montre bien que la scène se joue juste devant chez Anselme, on lit ainsi « Anselme sortant de sa Maison ».

Quand la pièce s’achève tous les personnages s’apprêtent à rentrer chez Anselme, « Entrez avec nous, on vous dira l’histoire. » vers 1808.

Réception critique §

La critique contemporaine de la création de la pièce se réduit à la Lettre en vers à Madame de Robinet11 qui rapporte les nouvelles mondaines. Dans sa livraison du samedi 14 juillet 1668, il recommande à ses lecteurs cette pièce « rempli[e] de morale et d’esprit » qu’il qualifie de fort divertissante.

Notre AMANT QUI NE FLATTE POINT
Se présente ici tout à point,
Car il est juste que je die
Un mot de cette Comédie.
C’est un Sujet très bien écrit,
Rempli de morale et d’esprit,
Où, d’ailleurs, l’Intrigue est plaisante
Et tout à fait divertissante.
De HAUTEROCHE en est l’Auteur,
Et chaque Actrice et chaque Acteur
De la SEULE TROUPE ROYALE
En cette Pièce se signale,
Surtout la belle DENNEBAUT,
Où je ne trouve aucun Défaut
Que, pour moi, son peu de tendresse.
Lecteurs, allez voir cette Pièce,
Et, dessus moi, vous assurez
Que bien contents vous en serez.

Toutefois, cette critique élogieuse ne nous éclaire pas sur la réception de la pièce, on ignore si L’Amant qui ne flate point a remporté ou non un franc succès.

Au XVIIIe siècle ce sont les frères François et Claude Parfaict qui contribuèrent à 0fixer la critique d’un grand nombre de pièces du siècle précédent dans leur impressionnante Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu’à présent, parue entre 1739 et 1745. Dans le paragraphe consacré à L’Amant qui ne flate point, les frères Parfaict déclarent qu’il ne faut pas juger Hauteroche sur ce premier ouvrage. La pièce est à leur yeux un coup d’essai : ils rappellent que l’auteur lui-même dans son Avis au lecteur l’avait condamnée à rester dans son cabinet pour s’en divertir avec ses amis et que s’il avait entrepris l’écriture de cette comédie ce n’était que pour « se taster sur ce genre de Poësie ». En effet, Hauteroche n’avait pas pour projet de faire représenter sa pièce, ce n’est que sur les vives instances de ses amis comédiens de l’Hôtel de Bourgogne qu’il le fait ou plutôt se déclare forcé de le faire. Le jugement qu’ils portent sur la pièce est loin d’être élogieux :

« Ajoutez à ces raisons, que la pièce est froide d’un bout à l’autre, et n’offre pas une scène qui soit un peu plaisante, que l’intrigue est des plus communes, les personnages vicieux et inutiles, et le dénouement ridicule. (…) A l’égard de la versification, elle est assez passable. »12

Résumé de l’intrigue §

Acte I. §

Philipin se plaint auprès de Florence de la bizarrerie de la conduite de son maître Ariste, qui est l’amant de Lucrece, la maitresse de Florence. Il apprend par celle-ci l’origine du mal de son maître : un gentilhomme de Nantes, neveu d’un ami de jeunesse d’Anselme est arrivé à Paris pour épouser Lucrece. Par ailleurs, ce rival aux manières singulières possède 7000 écus de rente tandis qu’Ariste, dans l’attente du gain du procès de son père, n’a pas de bien. Anselme accompagne Geraste à son logis et sur le chemin les deux hommes font connaissance. Geraste, fidèle au portrait dressé plus tôt par Florence, fait preuve d’une franchise* déconcertante, qui aux yeux d’Anselme frôle l’incivilité. Anselme revendique une nécessaire complaisance dans les rapports humains tandis que pour Geraste la sincérité passe avant toute chose. Chacun corrigerait autrui comme son propre frère et lui permettrait ainsi de se défaire de ses défauts. L’entretien est interrompu par l’apparition au loin de Lucrece. Lors des présentations d’usage, Geraste se distingue par son attitude peu commune. Loin de flatter sa promise, il bannit tout discours galant et se lance dans un développement enflammé sur sa haine du cocuage. Il remet à Anselme une lettre de son oncle Sbroct. Anselme resté seul lit la lettre que lui a adressée Sbroct. Ce dernier le prévient des manières brusques de son neveu tout en lui assurant qu’il a un bon fond d’âme. Il s’excuse également de ne pas pouvoir être présent au mariage en raison de sa goutte.

Acte II §

Tandis qu’Ariste s’excuse de son comportement, Philpin lui annonce que Geraste est arrivé en ville et qu’il est reçu en ce moment même par Anselme. Florence arrive et lui remet une lettre de Lucrece dans laquelle elle lui propose de tendre un piège à son père en se faisant passer pour Geraste. Anselme qui n’a jamais vu le vrai Geraste ne pourra démasquer l’imposteur d’autant plus qu’elle lui envoie la lettre remise par Geraste à son père pour qu’il la recopie. Ariste retrouve alors espoir. Philipin craint les conséquences de cette supercherie et en fait part à Florence qui ne le prend guère au sérieux et met alors en doute l’amour qu’il lui porte. Elle lui annonce aussi que Geraste a un valet nommé Licaste. Après avoir contrefait les lettres, Ariste rejoint Philipin et Florence, il lui rend les lettres. Geraste apparait au loin, le groupe se disperse. Anselme reconduit Geraste à la porte qui affirme une fois encore qu’un véritable ami ne doit point dissimuler sa pensée mais au contraire dire franchement les choses. Ils sont interrompus par l’arrivée de Licaste. Ce dernier leur apprend qu’un homme est venu dans leur hôtellerie et qu’il cherche Geraste et monsieur son beau-père. Geraste part alors à la recherche de cet inconnu. Anselme resté seul, prend la décision de ne plus contester son gendre qui est à son goût trop critique. Il interpelle sa fille pour connaitre son avis sur Geraste. Lucrece lui dit qu’elle fera son devoir, si Geraste plait à son père alors il lui plait. Florence vante les mérites de Geraste pour endormir tout soupçon. Anselme les quitte pour aller voir son beau-frère, Florame. Florence, fière de leur prestation, se réjouit mais Lucrece, inquiète, supporte mal de trahir son père.

Acte III §

Geraste est de retour, il ordonne à son valet d’attendre l’inconnu et de le conduire chez Anselme. Il annonce à Anselme qu’il n’a pas trouvé l’homme lorsque Licaste revient. Après avoir posé plusieurs questions sans importance à son maître, il retourne à l’auberge. Ariste qui se fait passer pour Geraste se présente à Anselme et lui remet la lettre qu’il a contrefaite. Anselme est pris au dépourvu, il décide de confronter les deux Geraste. Tous deux crient à l’imposture devant un Anselme plus désorienté que jamais. Anselme interpelle sa fille et lui demande son avis sur la situation. Sur ces faits, Licaste revient avec Kerlonte qui annonce qu’il recherche Geraste qui a trompé sa sœur et a eu des enfants avec elle. Les deux Geraste restent interdits et dénoncent un stratagème. Geraste et Ariste assurent être le vrai et l’unique Geraste et ne pas être impliqués dans cette histoire. Dans un périlleux échange où les menaces de coups fusent, Licaste et Philipin revendiquent tous deux être le valet de Geraste, gentilhomme de Nantes.

Acte IV §

Anselme demande à « Geraste » de ne pas se trouver chez lui en même temps que l’autre Geraste. Dans un long monologue, Anselme s’étonne de la réaction des Geraste face à Kerlonte et s’inquiète de la véracité de cette accusation. Par ailleurs, il soupçonne un très court instant sa fille d’être impliquée dans ce mystère avant de rejeter cette idée. Il se décide à consulter son beau-frère sur le sujet, bien qu’il ne soit pas toujours d’accord avec son raisonnement. Anselme fait part de la situation à Florame qui laisse entendre que Lucrece pourrait ne pas être aussi ingénue que son père le pense. S’ensuit alors une vive discussion sur la façon d’éduquer son enfant dans laquelle les deux hommes n’ont de cesse de s’opposer. Anselme rentre chez lui et rapporte à sa fille les accusations portées par son oncle à son encontre. Florence critique alors avec force Florame. Anselme demande à sa fille lequel de deux Geraste est, selon elle, le vrai. Restées seules, Florence réconforte sa maitresse lorsque Philipin arrive. Il annonce qu’Ariste brûle d’envie de la voir. Les deux amants se retrouvent, Ariste baise la main de Lucrece mais Florence aperçoit Geraste qui, de loin, a assisté à la scène. Lucrece congédie alors Ariste et rentre chez elle sous les yeux de Geraste. Ce dernier s’interroge sur ce qu’il vient de voir. Licaste incite son maître à révéler à Anselme la vérité sur les accusations de Kerlonte. Geraste rapporte à Anselme la scène du baiser dont il a été le témoin et Anselme désire alors confronter sa fille à Geraste pour qu’elle s’explique sur son attitude. Lucrece dénonce une méprise et réfute cette accusation sans preuve. L’explication qu’elle donne ne convainc guère Geraste qui se moque de la naïveté d’Anselme. Geraste avoue par la suite à un Anselme incrédule et ironique qu’il est effectivement coupable de ce que lui reproche Kerlonte. Ils se rejoignent cependant sur la nécessité de passer un accord avec lui pour régler cette affaire.

Acte V §

Florame rencontre Lisidan qui vient de gagner son procès au bout de quatorze années de tourments. Celui-ci lui raconte qu’il doit beaucoup à un gentilhomme de Nantes nommé Sbroct. Florame lui demande alors son aide pour démasquer l’imposteur qui se joue de son beau-frère. Philipin souhait que son maître se montre plus prudent, en particulier après la scène du baiser. Florence arrive, et invite Ariste à rejoindre Lucrece qui se trouve seule. Philipin resté seul dans la rue avec Florence tente d’obtenir d’elle une preuve d’amour. Anselme qui sort à ce moment de chez lui aperçoit Philipin qu’il pense être le valet de Geraste et l’interroge sur son ami de jeunesse Sbroct. Philipin, mal à l’aise, esquive les questions ou tente tant bien que mal d’y répondre mais Florence vient le sauver. Seul, Anselme décide de questionner individuellement les valets des deux Geraste dans l’espoir de découvrir la vérité. Florame présente à Anselme Lisidan qui lui propose de l’aider à confondre le fourbe. Il reconnaît alors Geraste qui apparaît au loin. Tandis que les deux hommes s’embrassent, Anselme interpelle « Geraste » pour achever de le démasquer. Quand il paraît, Lisidan reconnaît son fils. Ariste avoue alors son amour pour Lucrece et raconte leur subterfuge pour qu’elle puisse échapper à Geraste. Ce dernier, piqué dans son orgueil, déclare pour se venger, être résolu à l’épouser. Face à la duperie de sa fille, Anselme désire écouter ce qu’elle a à dire. Lucrece fait ainsi l’aveu de son amour pour Ariste mais pour satisfaire son père, consent à épouser Geraste. Ce dernier, vexé, refuse. Anselme accepte alors la demande d’Ariste et lui accorde sa fille. Anselme annonce à Kerlonte que Geraste consent de bon cœur à retourner à Nantes épouser sa sœur. Geraste déclare alors son amour pour Irénée devant Kerlonte qui est au comble de la joie. Anselme et Lisidan donnent leur accord pour le mariage de Florence et de Philipin.

Les thèmes de la pièce §

Si L’amant qui ne flate point est une création originale d’Hauteroche, on peut cependant remarquer d’emblée des similitudes avec certaines pièces contemporaines. En effet, Hauteroche est inspiré par ce qui fait le succès des pièces de son temps, en particulier ici par Le Misanthrope de Molière. Alceste est sans aucun doute le modèle de Geraste. Hauteroche met en scène un personnage éminemment comique, en décalage constant avec la société dans laquelle il vit. Comme Alceste, Geraste prône la sincérité. Il fait fi des convenances et de la bienséance, ce qui prime pour lui, c’est de dire la vérité : « Et malheur sur le chef de qui s’en choquera. », comme il le déclare au vers 162. Alceste donne à la sincérité et ce, dans tous les types de relations, la plus haute valeur. Il dit ainsi aux vers 35- 36 :

« Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur

On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur »

On reconnait son influence quand on entend Geraste s’exclamer aux vers 145-146 :

« Pourquoy sans aucun fruit cacher la verité ?

Pour moy, j’agis toûjours avec sincérité »

Tout comme Alceste qui condamne l’attitude de Philinte qui relève pour lui de l’hypocrisie, Geraste dénonce l’attitude de ceux qui n’assument pas leur âge aux vers 147,148,149,150 :

« Et si j’avois cent ans, je le dirois de mesme ;
Car enfin n’est-ce pas une folie extréme,
D’affecter à toute heure un soin mysterieux ,
Ou pour paroistre jeune, ou pour paroistre vieux. »

Hauteroche fait de Geraste le digne descendant d’Alceste, comme lui13, il s’en prend aux complaisants :

« Car comme enfin j’abhorre un Esprit Médisant,
Aussi je n’aime point celuy d’un Complaisant. »
(Vers 157-158)

Toutefois Alceste est un quasi marginal, un idéaliste, un absolutiste, ce qui n’est pas le cas de Geraste. Hauteroche s’inspire fortement de la pièce de Molière mais s’en éloigne aussi et ce à plusieurs titres. Geraste n’est pas un misanthrope, son point commun avec Alceste c’est le refus de la complaisance. Il n’exècre pas les hommes. On ne l’entend jamais dire comme Alceste :

"[…] je hais tous les hommes :
Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants
Et les autres, pour être aux méchants complaisants."

Il n’a pas la même aversion pour le genre humain. Il ne supporte pas l’hypocrisie des hommes, ni les convenances qui sont à ses yeux vaines. La politesse, la bienséance encombrent les relations humaines pour lui. Mais, il n’ira pas comme Alceste se retirer du monde, loin s’en faut. Il retourne, à la fin, auprès d’Irénée dont il a déjà un enfant. De plus, sa misanthropie est pour ainsi dire uniquement verbale, elle ne se traduit pas par ses actions. Geraste vient à Paris pour épouser Lucrece, se conformer aux souhaits de son oncle Sbroct et ainsi pouvoir hériter de la fortune de celui-ci. A l’inverse d’Alceste qui vit en adéquation avec ses idéaux, Geraste est un menteur, un « franc suborneur »14 selon l’expression de Kerlonte. Son exigence de sincérité ne semble s’appliquer qu’aux autres.

Par ailleurs, Hauteroche innove véritablement avec le personnage de Geraste : son personnage prône la vérité et la sincérité car il espère qu’ainsi les hommes se corrigent et se perfectionnent. C’est-à-dire que l’origine de son excès de sincérité réside dans ce désir d’une entraide mutuelle des hommes :

« Voila comme chacun, à mon sens, devroit faire,
Nous nous corrigerions comme de Freres à Frere ;
Et possible, apres tout, qu’un pareil entretien
Pourroit contribuer à nous porter au bien »

On peut aussi voir une reprise d’un thème à la mode depuis l’unique représentation de L’Imposteur en aout 1667, et de l’Amphitryon en janvier 1668. La scène 5 de l’acte III dans laquelle « Geraste » est présenté à Geraste fait écho à ces pièces. En effet, comme dans la pièce de Molière, un personnage se joue de l’autre et se fait passer pour lui. Mais ici, la duperie n’entraine nul questionnement métaphysique chez le personnage dupé. Dans Amphitryon, Sosie se faisait la remarque suivante :

« Pourtant, quand je me tâte, et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi »
(I. 2, v.488-489)

La confrontation de Geraste avec « Geraste » ne donne lieu à aucune réflexion sur l’identité et le moi. Geraste se rebelle mais ne doute jamais de lui-même, voir les vers 833-843.

L’amant qui ne flate point est bien une pièce aux influences moliéresques, Hauteroche reconnait en Molière un maître de la comédie avec lequel il tente de rivaliser.

Le déguisement dans la pièce §

Dans L’Amant qui ne flate point, seul un déguisement est véritablement essentiel : celui d’Ariste en Geraste pour gagner du temps jusqu’au retour de son père victorieux de son procès. Selon la classification proposée par Georges Forestier dans Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680) : Le déguisement et ses avatars, le déguisement d’Ariste a diverses caractéristiques :

Son déguisement en gentilhomme nantais lui permet de retarder l’union de Geraste et de Lucrece. Ce déguisement est fondamental car c’est sur lui que « repose toute action ». Celui de son serviteur Philipin est et un déguisement accessoire, ornemental. Il accompagne le déguisement d’Ariste.

Le but de ce travestissement est double : Il s’agit pour Ariste de jouer un tour à Anselme et à Geraste mais il lui permet aussi d’approcher Lucrece. Georges Forestier relève que le but le plus fréquent des déguisements dans le théâtre pour les rôles masculins (35%) est l’approche. Ici ce n’est pas l’objectif principal de notre personnage mais cela lui permet aussi d’être avec Lucrece. Ainsi dès qu’Anselme l’invite chez lui, on lit au vers 1034 :

Ariste prenant Lucrece
« Je le veux ».

La didascalie n’est pas anodine, il se permet de toucher Lucrece, de la tenir ce que Geraste, tout grossier qu’il est, n’a pas fait. De plus, grâce à cette nouvelle identité, il renouvelle sa flamme auprès de Lucrece et lui baise la main à la scène VII de l’Acte IV.

Ces deux déguisements d’Ariste et de Philipin sont des déguisements conscients et ordinaires, où les personnages ne perdent pas leur identité, mais ils jouent d’autres rôles, imposés par les situations. Ces rôles sont rajoutés aux rôles initiaux des personnages :

« Quelle que soit la manière dont il est déguisé, le personnage concerné se voit pourvu d’un rôle qui se surajoute à son rôle de base. Tout personnage déguisé joue donc, volontairement ou non, consciemment ou non, un rôle devant un autre personnage, au moins, qui se trouve ainsi dans une position de spectateur, et qui est amené à réagir devant le jeu du comédien. Il peut être pris par le jeu et se trouver ainsi victime de l’illusion ; il peut être mis dans la confidence et devenir complice de l’illusion dont sont victimes les autres personnages »

« Une Dramaturgie de l’oxymore et de l’imposture » §

Dans les années 1640-1650, l’engouement pour la comédie à l’espagnole favorise une mode : celle des pièces à titres paradoxaux car, comme le remarque Georges Forestier, « même si les titres des pièces espagnoles de l’époque ne sont pas particulièrement paradoxaux, les paradoxes figurent au premier rang des jeux de " conceptisme " dont sont remplies les comedias »15. On retrouve ce phénomène dans notre pièce, Hauteroche privilégie une utilisation particulière du paradoxe : l’oxymore, c’est-à-dire une « contradiction dont les deux membres s’excluent l’un l’autre de manière absolue »16. On ne peut pas en effet être à la fois amant et non galant. L’amant qui ne flate point est une comédie de l’ambiguïté, de l’illusion. Pour cela, il est intéressant d’étudier de plus près le personnage de Geraste.

Un amant paradoxal §

L’amant qui ne flate point est pas une pièce galante inversée. Le titre est à cet égard assez évocateur. La périphrase oxymorique indique que le comportement du personnage principal est déroutant. Geraste n’a de cesse par son attitude ou par ses discours de discréditer la galanterie. Celle-ci serait un leurre, une façon de corrompre les jeunes filles, en d’autres termes elle mènerait tout droit au cocuage.

Hauteroche ménage l’entrée en scène de son amant singulier. Dès la première scène, à travers le discours de Florence, l’auteur prépare son lecteur à voir surgir un homme au caractère particulier, qui parle franchement quelles que soit les circonstances et qui ne s’embarrasse guère de la civilité. Lorsqu’il parait, à la scène II, Geraste se montre à la hauteur des attentes des spectateurs. Il s’agit de la première rencontre avec son futur beau-père en vue de son mariage. Or, il ne semble pas chercher à faire bonne impression. Loin s’en faut. Ses premiers mots se font sur le ton du reproche, de la désapprobation, voire de l’attaque.

Geraste ouvre la discussion par un constat réprobateur : « Vostre logis est loin »17. D’emblée, il se donne à voir comme un être brusque et inconvenant. Anselme marche vite, ce qui est pour lui insuportable18. Il le compare de manière peu flatteuse à un Diable, à un fou et à un cerf. Ainsi dès les premiers échanges, le ton est donné et Geraste fait rire le spectateur (vers 986-104)

Les termes dont il qualifie son futur beau-père vont dans le sens d’une dégradation, d’une animalisation. De plus, le polyptote courez/coureur introduit dans le discours un thème cher à Geraste, celui des galants. Ce jeu sur le double sens du terme coureur, annonce l’accusation19 de Geraste selon laquelle Anselme entretiendrait une relation avec Florence, la servante de sa fille. Par ailleurs, il ne cesse de rappeler à Anselme son âge, que cela soit en le qualifiant de vieillard ou en ayant recours à des images fortes telle que « quand on a plus de dents »20 ou des périphrases méprisantes comme « aux gens de vostre sorte »21. Son discours est saturé par des termes renvoyant à la vieillesse. Geraste ne montre aucun respect pour Anselme. Il l’interrompt à plusieurs reprises et sa logorrhée semble être sans fin. Le spectateur a en face de lui, un obsessionnel, un homme qui pense peu et qui plaque sur chaque situation un schéma de pensées Anselme incarne aux yeux de Geraste, la vieillesse, il lui reproche ainsi un comportement qu’il associe aux personnes d’un certain âge. Geraste surprend par son attitude qui va à l’encontre de celle traditionnellement attendue du jeune amant. Quand il voit Lucrece pour la première fois, il est surpris de sa beauté mais loin de lui en faire compliment, il dénonce les femmes qui se fardent pour plaire. D’emblée, il lui pose des questions inconvenantes auxquelles elle ne peut pas répondre (voir vers 290 : « Aurez-vous des Enfans en grande quantité ? »), et s’adresse à elle avec un ton autoritaire et brusque qui ne convient pas à celui d’un futur époux. Il lui intime ainsi l’ordre de parler au vers 286 « Dites » et 291 « Parlez ». De plus, il se montre irrespectueux en parlant d’elle à la troisième personne (« La fille ») et en laissant entendre qu’elle n’est plus toute jeune (voir vers 288). Il ne correspond donc pas au type du futur marié flatteur, poli, charmeur. C’est un personnage entêté, ridicule, en inadéquation avec la vie sociale parisienne.

Si les discours galants sont bannis, la jalousie est, elle, bien présente dans les discours de Geraste. Elle nourrit sa peur et ainsi sa haine du cocuage. L’amant qui ne flatte point met en jeu les rapports entre l’amour et le mariage, question qui, avec son corollaire obligé, la jalousie, faisait l’objet de conversations et de questions galantes dans les salons comme dans les grands romans contemporains tels que Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653) et Clélie, histoire romaine (1654-1660) des Scudéry. On remarque que Geraste nomme les galants, les blondins. Le terme fait son apparition dans le théâtre de Molière, et avait déjà été utilisé auparavant en 1661 dans La Femme industrieuse 22de Dorimond. A l’acte III, scène 1 de L’Ecole des femmes, on lit :

"Confondu de tout point le [blondin] séducteur" (v. 645)

Geraste tient un discours similaire sur les dangers de la séduction diabolique exercée par ces "blondins". Mais il n’est pas le seul à rejeter la galanterie. Celle-ci est mise à mal par de nombreux personnages dans la pièce. Ainsi, à la scène VII de l’acte IV, Lucrece interrompt brusquement Ariste qui lui déclare sa flamme :

Ariste.
                    Ah ! quel bonheur pour moy !
Souffrez* que de nouveau je vous donne ma foy,
Que je vous jure encor que mon ardeur extréme…1375
Lucrece.
Laissons tous ces discours, vous m’aimez, je vous aime :
Il suffit, mais songeons…

Lucrece aussi rejette les ornements du discours galant, le temps n’est plus à ce genre de propos. Il leur faut agir vite et avec stratégie pour garder secrète leur supercherie.

A la scène I de l’Acte I, Philipin est si préoccupé par l’attitude de son maître Ariste, qu’il en oublie de badiner. Il n’est pas d’humeur galante ce qui lui vaut les reproches de Florence. Mais cela ne dure pas. Hauteroche insère ainsi, dans la pièce, une scène de séduction entre valets, dans laquelle le "lutinage" joue un rôle important :

La galanterie a une place particulière dans L’Amant qui ne flatte point : elle est soit jugée superflu par certains, soit tournée en dérision par le personnage principal qui l’associe au cocuage. Si la galanterie est présente sur scène, c’est en partie, à travers les discours haineux de Geraste. Le discours galant n’est véritablement porté que par les domestiques. Ce qui n’exclut pas une pointe de raillerie de leur part, comme en témoigne la dernière réplique de la pièce. Philipin a obtenu d’Anselme et de Lisidan leur accord pour épouser Florence, ce dernier dans sa bonté leur offre cinq cent ecus. Philipin déclare alors : « C’est bien peu, pour me mettre au nombre des Cocus ». Cette pique finale clôt la pièce et adresse aux spectateurs un dernier clin d’œil.

Si la plupart des personnages passent maître dans l’art de l’illusion, Geraste est bien celui qui est le plus paradoxal de tous. Il ne supporte pas les galants qui corrompent la vertu des jeunes filles, mais n’est-il pas lui-même une émanation de ce qu’il déteste le plus au monde ? En effet, d’après Kerlonte23, Geraste est déjà engagé auprès d’une femme, Irénée :

Précédemment dans la pièce24, il dénonce ceux qui :

« … causent du desordre dans toutes les familles,
Et font tort à l’honneur des plus honnetes Filles »

Or, il s’est lui-même comporté avec Irénée comme un vulgaire amant. Certes, Geraste n’est pas un séducteur, il ne l’a pas quittée pour une autre, mais pour pouvoir hériter de la fortune de son oncle Sbroct qui s’opposait à cette union. Cependant, c’est bien lui qui déclare aux vers 270-272 :

« Je ne sçay point flater, et suis Homme sincere,
Trahir ses sentimens, est une lâcheté,
Je ne puis rien souffrir contre la vérité »

Geraste, l’homme sincère, qui ne supporte pas les mensonges des galants n’est finalement pas si différent d’eux. Lui aussi ment, mais son inconstance est à imputer à sa cupidité.

Une pièce à type ? §

L’Amant qui ne flate point met en scène des personnages types, que cela soit les domestiques, le père aveuglé par son amour pour sa fille et pour l’argent, le jeune amant contrarié ou l’amant obsédé par le cocuage.

En plus de cela, Hauteroche reprend le système traditionnel des couples de personnages, dont l’un est le négatif de l’autre. Cette façon de procéder accuse l’aspect typique des personnages, en même temps qu’il donne un échantillon des différents moyens dont le genre comique dispose.

La fragmentation des traits conventionnels du valet entre trois personnages (Philipin, Licaste, Florence) permet de multiplier les scènes avec domestiques tout en évitant la répétition de mêmes traits de caractère. Les domestiques, servantes et valets, sont présentés selon un principe de contraste. Florence représente le pendant féminin du valet d’intrigue, comme Dorine dans Le Tartuffe de Molière, et c’est à elle que reviennent la plupart des initiatives de la pièce : elle est avec Lucrece à l’origine de la supercherie. C’est elle qui remet à Ariste la lettre de sa maitresse et veille à ce qu’il la copie, c’est aussi elle qui approuve son idée de se déguiser en gentilhomme de province. Elle aide Philipin à endosser le rôle de Licaste, le valet de Geraste. C’est elle qui le sauve d’une dangereuse conversation avec Anselme, en prétendant que son maître le cherche. Elle organise aussi la rencontre entre Ariste et Lucrece. Par ailleurs, pour endormir toute méfiance, elle ment effrontément à Anselme en vantant les mérites de Geraste. Enfin, outres ses actes, elle soutient sa maitresse par ses encouragements et sa bienveillance. Florence a donc un rôle d’instigatrice, ce qui la distingue des deux autres valets, et en particulier de Philipin qui participe lui aussi à la supercherie.

On retrouve le même principe d’opposition du côté des valets masculins : si Philipin est un rusé, rappelant à cet égard les valets des intrigues à l’italienne, il n’en reste pas moins que sa couardise le rapproche du type du gracioso. Quant à Licaste, par son ivrognerie il emprunte aussi au type bouffon du gracioso, mais à la différence de Philipin c’est un simple d’esprit.

Le couple de personnage Philipin/Ariste est aussi marqué par le contraste. Outre le fait qu’il s’agisse d’un valet et de son maître, ils s’opposent par leur caractère. Ariste est courageux et brave. A l’inverse de son valet, il n’écoute pas sa peur.

Hauteroche fait évidemment s’opposer les deux prétendants de Lucrece : tandis que l’un discrédite tout discours amoureux, l’autre se comporte en véritable galant et lui déclare sa flamme.

Enfin, un dernier couple de personnage s’oppose : Anselme et Florame. Les deux beaux-frères se distinguent par leur opinion sur l’éducation, ce qui accentue le potentiel comique d’Anselme. Leur conversation sur l’éducation à donner aux jeunes filles fait écho au début de L’Ecole des Maris de Molière (1661).

Anselme partage le trait répandu parmi les vieillards de comédie d’être un personnage aveuglé. Son amour pour sa fille est tel qu’il en devient naïf : il ne parvient pas à imaginer que sa propre fille pourrait le trahir en participant à la supercherie, et encore moins à concevoir le fait qu’elle en est à l’origine. Il a entièrement confiance en elle, elle est son unique descendante. En effet, des vingt-deux enfants qu’il a eu avec sa défunte femme, il ne lui reste que Lucrece. Il s’agit là aussi d’un trait comique, sa fille porte un nom significatif qui évoque Lucrece la femme de Tarquin. Lucrece est devenue le symbole de la femme chaste et vertueuse, or ici la conduite de la fille d’Anselme est loin d’être en adéquation avec son prénom. Il pense à tort la connaitre. Ainsi, il est persuadé qu’elle n’aima jamais comme il le dit à Geraste au vers 318. Son aveuglement est à la mesure de l’amour qu’il a pour sa fille, c’est-à-dire infini. Nombreux sont ceux qui le mettent en garde contre sa crédulité, mais en vain. Geraste, le premier semble percevoir que quelque chose ne va pas avec Lucrece, qu’un je ne sçay-quoy luy broüille la cervelle25. Il dit aux vers 314-315 :

Je voy qu’elle est chagrine, et resve incessamment :
J’ay lieu de présumer que c’est pour quelque Amant

Cependant Anselme n’entrevoit nullement la vérité, et fidèle à lui-même, il ne peut que répondre je connois ma Fille, et sa sincerité, au vers 1477. Son beau-frère également met en avant le caractère rusé de Lucrece et tente de le convaincre qu’il est possible qu’elle joue un rôle dans cette supercherie mais là encore c’est un échec. Il y a donc chez Anselme une attitude singulière vis-à-vis de sa fille. Il a pour elle un amour véritable et une bienveillance émouvante. Cependant, s’il tombe aussi facilement dans le piège tendu par sa fille, c’est également en raison de sa cupidité. Il pense avant tout, à la rente promise par Sbroct. L’argent contribue à son aveuglement, selon lui Lucrece à tout intérêt à se marier avec Geraste. Si Anselme excuse l’attitude peu galante de Geraste c’est parce qu’il voit en lui l’héritier de la fortune de Sbroct.

Avec Geraste, Hauteroche joue sur le caractère comique du bourgeois de province rustre et simple. Il n’est pas adapté à la vie parisienne. Anselme ou Florence qui n’ont cependant pas la même sympathie pour Geraste soulignent ce décalage :

Anselme dit aux vers 683-684 à propos de l’attitude peu civilisée de Geraste :

En province ils ont tous cette maudite mode,
Mais chacun à Paris veut suivre sa methode

Quant à Florence aux vers 743-748, elle dit franchement sa pensée :

Car épouser Geraste est, puis qu’il faut tout dire,
Epouser un fantasque, un jaloux, un Satyre,
Un Critique, un Fâcheux, enfin un Campagnard, 745
Pres de qui vos beaux jours courent bien du hazard.
Il vous enfermera dedans quelque Chaumiere,
Car de ces Campagnards c’est assez la manière.

Geraste, comme Anselem, est un personnage aveuglé. En effet, il est obnubilé par son avarice et sa peur du cocuage. Il revient sans cesse sur ce sujet ce qui le rend extrêmement comique. Sa première rencontre avec Lucrece tourne presque entièrement autour de ce sujet et c’est d’ailleurs la seule chose qui lui vient à l’esprit quand Anselme le questionne sur sa fille au vers 312 :

Anselme.
Mais, Monsieur, dites-moy, ma Fille vous plaist-elle ?
Geraste.
Oüy, mais je ne sçay-quoy luy broüille la cervelle,
Je voy qu’elle est chagrine, et resve incessamment :
J’ay lieu de présumer que c’est pour quelque Amant.

Son avarice est telle qu’il presse son mariage avec Lucrece alors qu’il aime Irénée et qu’il sent qu’il a de fortes chances d’être cocu.

La Lettre §

Dans la pièce, le courrier tient une place importante puisque c’est le seul moyen de communication de l’époque. En examinant les différentes lettres dont il est question au cours du texte, on remarque qu’elles transmettent des messages essentiels pour l’intrigue.

Tout d’abord, Lucrece utilise une lettre pour communiquer avec son amant Ariste et lui proposer un stratagème pour tromper son père. Elle l’incite à se faire passer pour son futur époux Geraste, ce qui sèmerait le trouble dans l’esprit de son père qui serait alors contraint de différer l’hymen. Par ailleurs, Ariste utilise principalement la lettre, outre son déguisement de gentilhomme de province, pour tromper Anselme. En effet, Ariste copie la lettre que Geraste a remis à Anselme de la part de Sbroct. Cette fausse lettre qui est en tout point identique à l’originale, est un élément clé du déguisement d’identité : c’est elle qui achève de désorienter Anselme. Ainsi au vers 820, il s’exclame « Rien n’y manque, et j’y voy jusques à l’apostille ». De plus, les informations personnelles sur Geraste contenues dans les lettres que lui remet Florence, permettent à Ariste de répondre à l’interrogatoire auquel Anselme et Geraste le soumettent. Anselme se trouve dans l’impossibilité de reconnaitre le véritable Geraste :

« Vous dites justement tous deux la mesme chose.
Les Lettres, et le lieu, les noms, et les Parens,
Causent mon embaras, et sont vos diferens. »26

Les lettres jouent donc ici un rôle déterminant puisque c’est sur elles que se fondent principalement l’usurpation d’identité. Elles permettent de créer sur scène un monde parallèle dans lequel les personnages peuvent communiquer entre eux par d’autres moyens que la voix. Cela offre une autre dimension à la pièce, et ajoute des éléments pour le jeu théâtral des acteurs. Dans l’Amant qui ne flatte point, les lettres participent à l’effet comique, et offrent aux acteurs l’occasion de jouer de leurs mimiques, de leurs gestes pour faire rire le spectateur. C’est ainsi le cas, lorsqu’au vers 871 Geraste découvre que « Geraste » a également remis une lettre à Anselme et que celle-ci se trouve être identique à la sienne.

Les lettres participent donc au comique de la pièce et ce à plusieurs titres : elles permettent en effet, de développer des jeux de scène particuliers et relèvent ainsi du comique de geste. Mais avant tout, elles sont à l’origine du piège tendu à Anselme par sa fille et sa servante Florence.

Etude du Comique §

C’est pour ses aptitudes à l’écriture comique que Hauteroche a été loué, tant par Robinet au XVIIe siècle qu’au XVIIIe siècle par les frères Parfaict, et plus récemment, par Gustave Attinger dans son étude sur la commedia dell’arte. Hauteroche fait souvent l’objet de critiques pour la construction de ses pièces. Mais celles-ci se voient en quelque sorte rattrapées, bonifiées par l’insertion de scènes à effet. Attinger y trouve la véritable unité de l’œuvre de Hauteroche : « son œuvre retrouve une certaine unité que n’ont pas fait ressortir ses biographes : c’est l’unité du comique. À défaut de génie, il est comédien, il sent en comédien et n’oublie pas de faire rire27. » Il voit en notre auteur « un imitateur de Molière (le meilleur avant Regnard), mais du Molière farceur, du Molière italien ».

Le comique de Hauteroche frôle voire parfois tombe dans la pure farce. C’est le cas pour de nombreuses scènes de notre pièce. On pense d’emblée à la scène IX de l’Acte IV entre Licaste et Philipin où les menaces et les injures fusent. Les deux valets sont sur le point d’en venir aux mains, on échappe de peu à une bagarre :

Le premier acte, à travers le récit et les plaintes28 de Philipin, puis le dialogue entre ce dernier et son maître29, fait référence à la traditionnelle bastonnade. Le troisième acte s’achève sur une bagarre à moitié évitée qui n’est pas sans rappeler la fin conventionnelle des farces, qui s’achèvent sur une indication du type « et tous se battent ». Il ne s’agit là que d’une menace, la véritable bagarre ne peut pas avoir lieu en raison des règles de bienséance. Philipin déclare ainsi au vers 1076 : « Tout va bien pour nous, ne troublons point la Feste. »

De même la scène III de l’acte IV, relève du comique farcesque : Licaste qui vient de partir pour chercher Kerlonte revient voir son maître et ne cesse de trouver une objection ou une difficulté pour le faire venir chez Anselme.

Licaste.
Si ce Monsieur ne me vouloit rien dire,
Ny venir en ce lieu ?
Geraste.
Dy luy qu’il peut m’écrire.
Licaste.
Mais s’il n’écrivoit point ? Cela peut arriver.
Geraste.
Tu diras qu’il m’attende, et je l’iray trouver790
Licaste.
S’il ne veut point attendre ?
Geraste.
Et bien, qu’il aille au Diable.

Le déguisement, un effet comique.

Le déguisement est un procédé comique. Ainsi, le travestissement d’Ariste crée des situations tels que des quiproquos qui engendrent de l’ironie et du comique.

Selon Georges Forestier, il y a ironie lorsque le spectateur est mis dans la confidence du déguisement, et qu’il peut suivre en pleine connaissance de cause l’évolution du jeu du personnage déguisé. Il est ainsi complice des supercheries, complications, et autres situations particulières permises par le déguisement.

Dans notre pièce, il y a bien de l’ironie puisque le public est au courant du déguisement d’Ariste. Il attend même avec impatience l’entrée en scène de « Geraste », et peut jouir des divers effets provoqués par le déguisement. Seuls les personnages qui n’ont pas part à la supercherie sont surpris du déguisement. Il s’agit en premier lieu d’Anselme et de Geraste, puis du valet de celui- ci, de Kerlonte le frère d’Irénee et enfin de Lisidan, le père d’Ariste, qui est celui qui met un terme à la mascarade en reconnaissant Geraste et son fils.

Le déguisement produit avant tout un effet ironique qui contribue ensuite à l’effet comique. Il existe divers effets comiques et nous retrouvons ici ce que Georges Forestier nomme le comique de la victime. Le spectateur rit du tour joué au personnage piégé. La victime ne reconnaît pas le personnage qui est déguisé. En effet, quand Anselme voit Ariste déguisé en Geraste, il est désorienté et se voit obligé de l’accueillir et de le considérer comme Geraste, son futur gendre :

Messieurs, en attendant que le tout s’éclaircisse,
Et que nous connoissions d’où provient l’artifice,
Vous pouvez au Logis venir avec douceur, 1005
C’est au Neveu de Sbroct que je fais cet honneur ;
C’est à Geraste enfin ; mais ne pouvant comprendre
Qui de vous est le fourbe, et vient pour me surprendre,
Je vous donne à tous deux la mesme liberté,
Pourveu qu’on ne s’emporte à nulle extremité. 1010

Anselme ne sait pas lequel des deux Geraste est son gendre et ne parvient pas à distinguer le fourbe du futur époux de sa fille. Ce qui est comique pour le public c’est que ce dernier sait qu’Anselme est victime d’un déguisement et, qui plus est, imaginé par sa propre fille. La méprise est rendue possible du fait qu’Anselme n’a jamais vu Geraste, il ne sait de lui que ce que Sbroct en dit dans sa lettre. Cette ruse s’avère payante car elle oblige effectivement Anselme à retarder le mariage de Lucrece et de Geraste. Autre victime du déguisement d’Ariste, le véritable Geraste dont l’identité est mise en doute. Comme le dit Ariste à Philipin et à Florence aux vers 470-472 :

« Par ce moyen Geraste est pris comme un Oyson :
Car Sbroct n’écrivant point, ainsi son caractere
N’aidera pas Anselme à percer le mystere. »

Tous ces effets comiques destinés au plaisir du spectateur sont accompagnés d’une écriture du second degré et de la parodie :

Selon Guichemerre30, « le style comique »31 réunit les divers procédés qu’utilisent les dramaturges pour engendrer un effet comique. Ainsi, pour sa comédie Hauteroche fait appel à certains de ces procédés.

Le comique de la stichomythie §

La stichomythie est un échange de courtes répliques entre deux personnes et permet de rendre le dialogue plus animé et plus vif. Ce procédé est utilisé par Hauteroche dans notre pièce pour engendrer des effets comiques. C’est ainsi le cas dans la scène entre Licaste et Philipin à l’Acte III, ou encore lors de la scène de rencontre entre Geraste et « Geraste ». Geraste se rend compte qu’il n’a pas seulement affaire à un homme qui se nomme comme lui mais qui se fait aussi passer pour lui. Il le soumet alors à un vif interrogatoire. Anselme aussi prend part à cet enchaînement de répliques courtes où s’entremêle questions et réponses :

Geraste.
Mais encor, comme quoy cela se peut-il faire ?
Vostre Pere vit-il ?
Ariste.
Pourquoy ? Non, il est mort.
Philipin bas à Ariste.
Que diable sçavez-vous ? Vous vous hazardez fort.
Ariste.
Oüy, mais il faut répondre.855
Anselme.
Hé, pour nous satisfaire,
Apprenez-nous encor le nom de vostre Mere.
Ariste.
Et croyez-vous par là me des-orienter ?
Anselme.
Ho, non.
Philipin à part.
Non.
Ariste.
Sur ce poinct, je veux vous contenter.
Son surnom est la Roche, et son nom propre, Hortense.
Philipin bas à Ariste.
De qui le tenez-vous ?860
Ariste bas.
Des Lettres de Florence…
Philipin bas.
J’entens, suffit.[55]
Anselme à Geraste.
Hé bien ?
Geraste à Ariste, apres avoir un peu resvé.
Quel est vostre Parrain ?
Ariste.
Il en faudroit ainsi nommer jusqu’à demain. 
Anselme.
Il a raison. 
Philipin bas.
Bon, bon 
Geraste.
Vous arrivez de Nantes32 ? 
Ariste.
Oüy.

L’usage de la stichomythie donne à voir l’énervement réel de Geraste et la colère feinte d’Ariste. Le rôle d’arbitre qu’endosse alors Anselme ne fait que surligner le comique de la scène. Le public se moque des personnages de Geraste et d’Anselme car ces derniers ne comprennent plus rien.

Une pièce expérimentale §

Insertion de sujets sérieux : clin d’œil à l’auditoire. §

Hauteroche aborde de façon secondaire certains sujets d’actualité, comme celui de la réforme du système judiciaire ou celui de l’éducation des jeunes gens.

C’est à travers le personnage de Lisidan que Hauteroche traite de la question de la justice. Il fait ainsi référence au Code Louis, appelé ainsi en l’honneur de Louis XIV, qui est le nom donné aux « ordonnances sur la réformation de la justice civile et criminelle » de 1667 et 1670.Il s’agit d’harmoniser et de mettre en ordre les lois et les juridictions du royaume puisque le Sud relevait du droit romano-canonique, dit « droit écrit », et le nord du droit coutumier. C’est Colbert qui à partir de 1661, est chargé de réformer le système judiciaire. En 1667, l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye codifie la justice civile. Elle est promulguée un an avant la représentation de la pièce, ce qui explique l’exclamation de Florame au vers 1532 : « Qu’on a bien eu raison de faire un nouveau Code. » Hauteroche fait ainsi allusion à ces trente-cinq articles qui traitent des procédures, du travail des magistrats, et de la hiérarchisation des différents tribunaux.

Par ailleurs, il dénonce un système corrompu où pour gagner un procès la maitrise du droit ne suffit plus. L’argent, les relations et les présents semblent plus utiles. Il fait ainsi dire à Lisidan aux vers 1553-1556 :

« Si vous voulez d’un Juge obtenir la faveur,
Gaignez celle sur tout qui regne dans son cœur
 A nous favoriser, c’est par là qu’on l’engage,
Et c’est un seur moyen de gaigner son suffrage »

Les juges sont ainsi décrits comme des personnes sensibles à la flatterie, influencés par leur maitresse. Peu importe la justice, les femmes font le destin des affaires (v.1551).

La question de l’éducation, et en particulier celle de la réclusion des jeunes filles va devenir un leitmotiv chez Hauteroche. Ainsi dans Les Apparences Trompeuses il fait la critique des couvents, qu’il reprend dans Crispin Musicien avec le personnage du vieillard Dorame. Dans l’Amant qui ne flatte point, la scène entre les deux beaux-frères confronte deux visions antagonistes de l’éducation qu’il faut donner aux enfants. Le premier point d’accroche réside dans la façon dont Anselme éduque sa fille. Florame critique la libéralité d’Anselme, il lui reproche de laisser sa fille fréquenter les jeunes gens de la cour « Qui pour corrompre un cœur ont les plus beaux talens » (vers 1182), de ne manquer aucun événement mondain ce qui selon lui ne sied pas à une jeune fille vertueuse car c’est au contact des galants :

[…] que l’on apprend le tour et le détour
Que l’on sçait employer les fourbes et les ruses
(Vers 1158-1159)

En réponse à ses accusations, Anselme raille l’attitude de son beau-frère qui pense que les devoirs paternels se résument à donner la vie à un enfant :

Qu’est-ce pour les Enfans, de les avoir fait naistre,
Sans l’éducation qu’on ajoûte à leur estre ?
C’est par là qu’un vray Pere exprime au naturel
Les tendres sentimens de l’amour paternel.

Anselme défend l’idée qu’éduquer son enfant, c’est le chérir, veiller à son bien-être, à sa prospérité. Il provoque ainsi son beau-frère en avançant qu’il est fort probable que son fils souhaite sa mort pour se voir en libre possession de sa fortune. Le souhait de la mort des pères est un lieu commun de la comédie des années 1660, elle met en question les devoirs de parenté.

L’idée selon laquelle les enfants comptent les jours des pères et déplorent leur longévité est exprimée dans plusieurs textes au XVIIe siècle33.

•dans le discours "Des pères et des enfants" du philosophe La Mothe le Vayer

•dans une épigramme de Gombauld

•chez Charles Sorel34, dans la "Loterie nouvelle", contenue dans le recueil Sercy de 1658

•dans le "Ballet de l’Impatience" de Isaac de Benserade, (1613-1691) en 1661

•dans la quatrième partie (1658) de la Clélie, p. 92-93.

On retrouve également ces thèmes chez Molière dans le Festin de Pierre et dans la pièce de Quinault La Mère coquette (1665) :

« Nous savons ce que c’est que la perte d’un père,
Jamais de ce malheur fils ne se désespère ;
Et l’on trouve toujours aux douceurs d’héritier
Des consolations qu’on ne peut rejeter.
Quelque honnête grimace enfin qu’on puisse faire,
Tout père qui vit trop court danger de déplaire. »
(éd des Oeuvres de 1715, t. III, p. 158-159)

Hauteroche transmet là un message ambigu, le public ne peut s’empêcher de blâmer l’attitude de Florame vis-à-vis de son fils mais d’autre part l’éducation libérale d’Anselme a bien eu les effets dénoncés par Florame. Lucrece a mis en place une supercherie pour tromper son père : elle lui ment, feint la naïveté et la colère et s’il lui arrive d’avoir mauvaise conscience, elle ne met pas, pour autant, fin à cette duperie.

La pièce compte peu de réelle satire : là n’est pas le propos de Hauteroche, qui considère ce registre comme un « hors-d’œuvre », allant à l’encontre de son projet dramaturgique comme il le laisse entendre dans ses préfaces35. La question de la morale laisse place à l’exigence du genre comique : les questions d’actualités sont abordées pour faire rire, indépendamment d’une quelconque censure. Hauteroche met en place une esthétique de l’agrément où le spectacle comique prime sur toutes autres considérations. Il cherche à plaire et à divertir, on lit ainsi dans l’Avis au Lecteur : « On trouvera icy plus de cent Vers de Satyre et de Morale, qui n’ont point esté recitez, à cause qu’ils y sont un peu hors d’œuvre ; mais que j’ay jugez assez beaux, pour ne pas déplaire à la lecture. »

Ces vers de morale sont nombreux dans la pièce « Il y en a pour le moins soixante dans la Scene des deux Beaux-Freres au quatriéme Acte, et les autres sont dispersez en divers endroits. » Ces passages n’ont été supprimés que pour les représentations et Hauteroche semble espérer que leur beauté rattrape ce qu’ils pourraient avoir de décalé par rapport au propos de la pièce. Cependant même à la lecture, il se dégage de ces vers une certaine lourdeur : si le développement sur la justice est intéressant parce qu’il nous éclaire sur le fonctionnement de cette institution, la satire est traitée de façon secondaire. Cela donne l’impression qu’elle n’a été ajoutée qu’à la seule fin d’aborder un sujet sérieux. Hauteroche est un acteur reconnu de tragédie, il n’a pas l’expérience de l’écriture comique quand il compose l’Amant qui ne flatte point. Il le dit lui-même, il a écrit la pièce pour s’essayer à ce genre de poésie. Ces passages qui troublent la cohérence de la pièce peuvent donc être imputés au fait qu’il s’agit d’une première

Une première pièce §

Dans son Avis au Lecteur, Hauteroche dénonce les critiques qui ont pu être faites sur Geraste : Quelques-uns ont voulu dire que le principal Personnage ne soustient point son Caractere dans toute la Piece, comme il fait au premier et second Acte : A cela je répons seulement, qu’ils ne l’ont pas bien examiné, et que par tout il a le mesme genie. Il est vray que les affaires de la Scene s’y trouvant differentes, et que les occurrences n’y estant pas si favorables, cette maniere de ne point flatter n’y regne pas si puissamment que dans les deux premiers ; mais il ne se dément point pour cela, au contraire on y voit toûjours paroistre son humeur brusque et franche ; et quoy qu’il agisse suivant les occasions qui se presentent, c’est toûjours dans le mesme esprit, c’est à dire en Amant libre, et qui ne flatte point. On peut effectivement, à la lecture de la pièce, avoir l’impression que l’auteur a progressivement dévié de sujet, qu’il a abandonné le personnage de Geraste. Le titre resonnait aux oreilles du lecteur comme la promesse d’une comédie centrée sur le caractère singulier et paradoxal du personnage principal. Or passés les deux premiers actes, le personnage de Geraste est en retrait et s’il apparait, c’est avec moins d’éclat. En effet, Geraste semble s’être assagi, il ne s’exprime plus avec la même irrévérence, ne fait plus de longs discours passionnés. On peine à croire qu’un personnage aussi brusque qui prône la sincérité accepte aussi facilement qu’on usurpe son identité. Il est certes désorienté quand Anselme lui présente « Geraste », se rebelle même quand il lui demande de décliner son identité mais ne s’offusque pas outre mesure. D’ailleurs, ses échanges avec Ariste sont cordiaux. Geraste perd ce qui faisait sa singularité, à savoir son caractère impulsif et misanthrope. Ainsi, quand il avoue qu’il est bien coupable de ce dont l’accuse Kerlonte, il ne réagit presque pas aux piques d’Anselme, ce qui s’avère encore une fois étonnant pour un personnage de son tempérament :

Hauteroche semble délaisser Geraste au profit de l’intrigue amoureuse. Geraste n’est alors plus l’amant qui ne flatte point mais le rival d’Ariste. A la scène X de l’Acte IV quand il rapporte le baiser dont il a été témoin, c’est un jaloux qui parle.

Le personnage de Geraste est dans les premiers actes l’élément clé du comique. Le titre de la pièce et son caractère le consacraient comme le personnage central or progressivement ce qui faisait sa particularité et son succès s’efface. Le spectateur est dérouté car Geraste n’est plus tout à fait Geraste. S’il ne maintient pas son caractère tout au long de la pièce, c’est aussi parce que des éléments nouveaux surgissent et impactent l’éthos du personnage. Ses grands discours sur la sincérité, sur la haine des mensonges se trouvent mis à mal par les accusations de Kerlonte. Ce coup de théâtre révèle une autre facette du personnage.

Par ailleurs, on peut avoir l’impression que Hauteroche réécrit le Misanthrope de Molière dans les premiers actes puis qu’ayant fait le tour de ce personnage, il altère son caractère. Il lui crée un passé avec une femme et un enfant. Il en fait un homme dont l’obsession n’est plus la sincérité mais l’argent. Soumis à un oncle intraitable, Geraste ne peut toucher son héritage qu’en se conformant aux choix matrimoniaux de celui-ci.

Son attitude est donc étonnante. Progressivement Geraste apparait comme un bourgeois de province qui ne cherche qu’à percevoir son héritage. La scène IX de l’Acte IV montre bien cette mutation : Geraste adoucit son discours sur le cocuage et se montre moins intransigeant. Ce mariage n’est qu’une transaction.

On peut peut-être expliquer la sévérité des critiques par la déception de certains spectateurs qui attendaient sûrement plus de ce personnage au fort potentiel comique. Geraste n’est finalement pas si marginal que cela, sa misanthropie d’un genre nouveau lui conférait une certaine aura qu’il perd petit à petit. Hauteroche police sa pièce, et fait de l’irrévérencieux un bourgeois prêt à faire des compromis avec ses idéaux pour de l’argent.

Liste des pièces de Hauteroche : §

1668 — L’Amant qui ne flatte point (5 actes, vers).

1669 — Le Souper mal appresté (1 acte, vers).

1670 — Crispin médecin (3 actes, prose).

1672 — Le Deuil (1 acte, prose).

1672 — Les Apparences trompeuses (3 actes, vers).

1674 — Crispin musicien (5 actes, vers).

1675 — Les Nobles de province (5 actes, vers).

1678 — Les Nouvellistes (non publiée).

1680 — La Bassette (non publiée).

1684 — L’Esprit follet, ou la dame invisible (5 actes, vers).

1684 — Le Cocher supposé (1 acte, prose).

1686 — Le Feint Polonois, ou la veuve impertinente (3 actes, prose).

1690 — Les Bourgeoises de qualité (5 actes, vers).

Note sur la présente édition §

L’édition originale de L’Amant qui ne flate point fut exécutée en Février 1669 par le Marchand Libraire Charles de Sercy à Paris. Il s’agit d’un format in 12°. En voici la description :

[I] : L’AMANT/ QUI/ NE FLATE POINT / COMEDIE / Du Sieur de HAUTEROCHE, / Representée sur le Theatre Royal/ de l’Hostel de Bourgogne. / [fleuron du libraire : couronne de fleurs] / A PARIS, / Chez CHARLES DE SERCY, au Sixième Pilier / de la grand’Salle du Palais, vis-à-vis la Montée de/ la Cour des Aydes, à la Bonne-Foy couronnée. / [filet] / M. DC. LXIX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[II] : verso blanc.

[III-VIII] : AU LECTEUR.

[IX] : Extrait du Privilege du Roy.

[X] : Acteurs.

[1-120] : Texte de la pièce précédé d’un rappel du titre en haut de la première page, en dessous d’un bandeau.

Nous avons consulté les quatre exemplaires parisiens de l’édition de 1668. Deux d’entre eux sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac, l’un en Haut de jardin-communication de banque de salle sous la cote P88/481, un autre en Rez-de-jardin sous la cote YF-6958. Un troisième exemplaire se trouve au Département des Arts du Spectacle (BnF, site Richelieu, catalogue Rondel, 8-RF-6240), et le dernier à la Bibliothèque de l’Arsenal (dans un recueil comportant cinq autres pièces de Hauteroche sous la cote 8-BL-12941).

La pièce a fait l’objet d’une autre édition du vivant de l’auteur, en 1682, à La Haye, chez Adrian Moetjens. Elle apparaît également dans deux recueils factices chez la Veuve Gontier en 1691 et chez Thomas Gillain en 1696.

La première édition des œuvres « complètes » de Hauteroche a eu lieu de son vivant en 1683, à La Haye, chez Adrian Moetjens, et contient toutes les pièces écrites jusque-là par l’auteur. Il s’agit d’un recueil factice qui sous un titre général rassemble les pièces publiées isolément chez le même éditeur en 1682 : L’Amant qui ne flate point ; Le soupé mal apresté ; Crispin medecin ; Le Deuil, Les Apparences trompeuses ; Crispin musicien ; Les nobles de province. Il semble que cette édition ait été établie sans l’aval de Hauteroche. Elle est précédée d’une épître à Messire Philipe Doublet, par laquelle le libraire tente de se mettre sous la protection du dédicataire. L’édition française des Œuvres de M. Hauteroche est, quant à elle, posthume, elle est publiée par Pierre Jean Ribou en 1736. Les Œuvres de Hauteroche sont ensuite rééditées en 1742 puis en 1772, aux dépens de la Compagnie des libraires associés. C’est dans l’Avis des libraires de cette dernière édition que la première version de la légende concernant notre comédien-poète apparaît.

Établissement du texte. §

Lors de l’établissement de la présente édition, nous avons procédé aux corrections d’usage. Nous avons supprimé le tilde employé tout au long du texte pour indiquer la nasalisation des voyelles e, o ou a, et avons harmonisé les points de suspension, il n’y avait pas de règle, il pouvait en avoir 3, 4, 5 ou même 6. En ce qui concerne les accents, la pièce ne respecte pas toujours l’usage des accents diacritiques permettant de distinguer entre ou conjonction et relatif, et entre à préposition et a auxiliaire. Nous avons donc effectué des corrections lorsque cela était nécessaire. Par ailleurs, nous avons délié les esperluettes et nous avons changé les « β » en « ss », les « S » en « s » de façon systématique Nous avons également fait la distinction entre « v » et « u » et entre « i » et « j ». Par ailleurs, au XVIIe siècle, la graphie des mots n’étant pas encore fixée, certains mots sont ainsi présents sous deux ou plusieurs orthographes différentes, ce que nous avons décidé de conserver. L’édition originale comportait une lettrine au début de chaque acte, que nous n’avons pas retranscrite dans notre édition.

Liste des erreurs corrigées : coquilles §

Vers 73 : A-t il au lieu de A-t’il

Vers 79 ; 272 ;1268 : a au lieu de à

Vers 195 ; 1038 : la au lieu de

Vers 254 : Aimez vous au lieu de Aimez-vous

Vers 533 ; lettre de Sbroct : deja au lieu de déjà

Vers 579 : déja au lieu de déjà

Vers 823 ;1369 ;1371 ; 1493 : voila au lieu de voilà

Vers 1217 : il au lieu de ils

Vers 1236 : « N’econter » au lieu de « N’ecoutez »

Vers 1274 : éagle au lieu d’égale

Vers 1276 : Ou au lieu de

Vers 1474 : Baupere au lieu de Beaupere

Acte V, Scène III : deuxième réplique Florence au lieu de Ariste

Vers 1513 : courrous au lieu de courroux

Vers 1569 : tient au lieu de tiens

Vers 1723 : m’apelle au lieu de m’appelle

Variabilité orthographique §

Vers 1645 et 1647 goutte est écrit avec un seul t or il prend deux t dans tout le reste de la pièce.

Aujourd’hui s’écrit ainsi soit avec i comme au vers 444 ou un y comme aux vers 625, 655, 917, 1357 ,1760.

Liste des erreurs corrigées : ponctuation §

Nous avons respecté la ponctuation de l’édition originale en corrigeant les erreurs manifestes :

Vers 568 : .Je au lieu de , je On attend à cet endroit-là une rupture forte.

Vers 578 : Et celuy qui reprend ; n’est pas le plus aimé. Le point-virgule marque une rupture forte qui n’a pas lieu d’être ici. On attend à la rigueur une virgule. On a choisi de supprimer le ; pour plus de cohérence.

Vers 921 : honneur. On attend plutôt honneur,

Vers 1230 : Et de plus bien placé : On attend plutôt Et de plus, bien placé :

Vers 1407 : Irénée. La phrase se poursuit sur le vers suivant, il n’y a donc aucune raison de mettre un point. Irénée φ

Vers 1528 : il a duré longtemps. C’est une question, on attend donc un point d’interrogation : Il a duré longtemps ?

AU LECTEUR. §

Je n’aurois jamais fait representer cette Comedie, sans la sollicitation de mes Camarades. Les raisons que je leur alleguois pour m’en dispenser, estoient que je ne la trouvois pas fort divertissante ; que d’ailleurs je n’y trouvois pas ces agrémens, qui d’ordinaire attirent l’aprobation de ceux qui aiment les Ouvrages de Theatre. J’adjoustois encore qu’il y avoit quelque Acte où je ne voyois pas beaucoup de chaleur, et que l’action y languissoit, par la necessité d’instruire le Spectateur de quelque circonstance. Bien qu’ils y reconnussent tous ces deffauts, ils ne laisserent pas de témoigner de l’empressement pour sa representation, et de me la demander avec instance. J’avouë que je me laissay facilement persuader, et que je crûs estre obligé de répondre aux bontez36 qu’ils montroient avoir pour moy. Je l’avois condamnée dés sa naissance à demeurer dans mon Cabinet, pour m’en divertir avec mes Amis ; car à dire le vray j’avois plutost fait cette Piece pour me taster sur ce genre de Poësie, que pour la faire representer. On trouvera icy plus de cent Vers de Satyre et de Morale, qui n’ont point esté recitez, à cause qu’ils y sont un peu hors d’œuvre ; mais que j’ay jugez assez beaux, pour ne pas déplaire à la lecture. Il y en a pour le moins soixante dans la Scene des deux Beaux-Freres au quatriéme Acte, et les autres sont dispersez en divers endroits. J’aurois pû les faire paroistre sur le Theatre aussi bien que dans l’Impression ; mais je n’ay pas voulu m’y hazarder, quoy qu’Horace nous dise, 

Interdum speciosa locis, morataque recte,
Fabula, nullius veneris, fine pondere, et arte,
Valdius oblectat populum, meliusque moratur
Quam verfus inopes rerum, nugaeq ue canorae. 37

Quelques-uns ont voulu dire que le principal Personnage ne soustient point son Caractere dans toute la Piece, comme il fait au premier et second Acte : A cela je répons seulement, qu’ils ne l’ont pas bien examiné, et que par tout il a le mesme genie. Il est vray que les affaires de la Scene s’y trouvant differentes, et que les occurrences n’y estant pas si favorables, cette maniere de ne point flatter n’y regne pas si puissamment que dans les deux premiers ; mais il ne se dément point pour cela, au contraire on y voit toûjours paroistre son humeur brusque et franche ; et quoy qu’il agisse suivant les occasions qui se presentent, c’est toûjours dans le mesme esprit, c’est à dire en Amant libre, et qui ne flatte point.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, Donné à Paris le 5. jour de Decembre 1668. Signé, Par le Roy en son Conseil, MARGERET. Il est permis à Charles Sercy, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et debiter une Piece de Theatre, intitulée, l’Amant qui ne flate point, et ce pendant le temps et espace de cinq années entieres et accomplies, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la première fois : Et defenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre, ny debiter ladite Piece, sans son consentement, à peine de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests, ainsi que plus au long il est porté ausdites Lettres. 

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant

l’Arrest de la Cour du 8. Avril 1653. Le 15. Decembre

1668. Signé, A.SOVBRON, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la première fois

le 14. Février 1669.

ACTEURS §

  • Anselme, Pere de Lucrece.
  • Lucrece, sa Fille.
  • Florence, Servante de Lucrece.
  • Geraste, promis en Mariage à Lucrece.
  • Ariste, Amant de Lucrece.
  • Kerlonte.
  • Florame, Oncle de Lucrece.
  • Lisidan.
  • Licaste, Valet de Geraste.
  • Philipin, Valet d’Ariste.
La Scene est à Paris.
[A,1]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

Florence, Philipin.
Philipin frape à la porte d’Anselme.

Florence ouvrant la porte.

Est-ce toy, Philipin ?hé ! qui t’ameine icy ?

PHILIPIN

J’y viens pour apporter le Billet* que voicy.

Florence.

A qui s’adresse-t’il ?

PHILIPIN

On l’envoye à Lucrece.{p. 2}

FLORENCE.

D’où vient-il ?

PHILIPIN

De mon Maistre.

FLORENCE.

Et c’est ?

PHILIPIN

Pour ta Maistresse.

FLORENCE.

5 Je croyois que ce fut un Billet* de ta part
Pour moy.

PHILIPIN

Je ferois donc comme Monsieur Gaulard38,
Qui luy mesme porta sa Lettre au Sieur Alphonse,
Puis fut à son Logis attendre la réponse.
A ton conte39, il faudroit que j’en usasse ainsy.
10 Mais fay moy donc parler…

FLORENCE.

Elle n’est pas icy.

PHILIPIN

Tout de bon ?

FLORENCE.

Tout de bon.

PHILIPIN

Tien, rend luy donc toy mesme,
Je reviendray tantost*.

FLORENCE.

Est-ce là comme on aime ?

PHILIPIN

Va, je t’aime toûjours, Adieu.

FLORENCE.

Quoy, Philipin !
Tu me quittes ainsy ?

Philipin.{p. 3}

C’est que je suis chagrin*.
15 Depuis un temps, mon Maistre est si peu suportable,
Qu’enfin dans tout Paris, il n’a point son semblable ;
Il me fait enrager et la nuit, et le jour.
Ma foy, j’ay grand dessein de luy joüer d’un tour.

FLORENCE.

Et quel tour ?

PHILIPIN

Le quitter.

FLORENCE.

Le quitter ?

PHILIPIN

Et qu’importe ?
20 On quitte sans regret un Maistre de la sorte,
Un Bourru qui toûjours veut assommer les Gens,
Qui murmure*, grimasse*, et parle entre ses dens,
Qui prône qu’à son mal il n’est point de remede,
Qui fait croire, à l’ouïr, qu’un Diable le possede,
25 Qui m’ordonne, en jurant, cent choses à la fois,
Qui veut, et ne veut point, qui se ronge les doigts,
Qui toûjours trouve en moy quelque chose à redire,
Qui peut, dans sa fureur*, m’écharper* ou m’occire*,
Ou bien, par un transport*, quand je n’y songe pas,
30 Me casser, sans raison, les jambes, et les bras.
L’autre jour, le voyant dedans sa frenaisie*,
J’osay luy demander si c’estoit jalousie ;
Mais il me répondit d’un si grand coup de pié,
Que je croyois, parbleu*, qu’il m’eut estropié.
35 Belle façon d’agir ! Patience40, j’espere
Que dans peu nous verrons son bon homme de Pere.
Du gain de son Procés, il revient tout joyeux,
Nous verrons s’il sera toûjours si furieux41. {p. 4}

FLORENCE.

Il faut, si tu dis vray, que ce soit quelque chose.

PHILIPIN

40 D’accord, mais jusqu’icy j’en ignore la cause.

FLORENCE.

Je devine, à peu pres, d’où peut venir son mal.

PHILIPIN

N’est-ce point que Lucrece aime quelque Rival ?

FLORENCE.

Non pas tout à fait, mais…

PHILIPIN

Ah ! dy-moy, je te prie,
Ce qui peut de mon Maistre exciter la furie42.
45 Mignonne*

FLORENCE.

Une autre fois, car je n’ay pas le temps.

PHILIPIN

Tu me refuses43 ?

FLORENCE.

Non.

PHILIPIN

Parle donc, je t’entens.

Florence.

Apprens qu’un nommé Sbroct, riche Bourgeois de Nante,
Qui possede du moins sept mille escus de rente44,
Fut de tout temps d’Anselme un des meilleurs amis :
50 Si bien que se voyant et sans Fille, et sans Fils,
Il a depuis un mois fait écrire une Lettre, 
Qu’entre les mains d’Anselme on a pris soin de mettre. 
Apres un long discours sur leur vieille amitié*,
Qui contient de la Lettre à peu pres la moitié, 
55 Pour un de ses Neveux il demande Lucrece,
Souhaite avec ardeur cet Hymen*, et le presse ;
Et pour les voir unis d’un conjugal lien45,[5]
Il donne à ce Neveu les deux tiers de son bien.
Anselme satisfait d’un si grand avantage,
60 Sans trop nous consulter, conclut ce Mariage.

Philipin.

Lucrece, pour mon Maistre, à cela ne dit rien ?

Florence.

Comment parler pour luy, puis qu’il n’a point de bien ?

Philipin.

Point de bien ? Et le gain du Procez46 de son Pere ? 

FLORENCE.

Avant qu’il fut vuidé47, Sbroct a parlé d’affaire,
65 Que pouvoit-elle dire ?

PHILIPIN

A d’autres : Franchement,
Ce n’est que le bien seul qu’elle cherche en aimant.

FLORENCE.

Son cœur a pour ton Maistre une tendresse* extréme,
Mais elle craint son Pere.

PHILIPIN

Et craint-on quand on aime ?
Mon Maistre est-il instruit de tout ?

FLORENCE.

En doutes-tu ?

PHILIPIN

70 Je ne m’étonne plus pourquoy je suis battu.
Mais dy-moy ; ce Neveu charme-t’il ta Maistresse ?

FLORENCE.

Je ne voy point pour luy qu’aucun soin* l’interesse.

PHILIPIN.

A-t’il quelque merite ? est-ce un Homme d’esprit ?

FLORENCE.

On ne sçait quel il est : Mais quelques-uns m’ont dit,
75 Que sa façon d’agir est assez singuliere,{p. 6}
Que bien souvent aux Gens il vient rompre envisiere*,
Qu’il leur dit brusquement tous les defauts qu’ils ont,
Sans trop s’inquieter*48 de ce qu’ils en diront,
Et si quelque Sujet à ses yeux se presente
80 Qu’il daube* également et Parent, et Parente :
Il suit le premier feu* de son fantasque* esprit,
Selon l’occasion49, il blâme, il applaudit.
D’une brusque façon qui n’a point de seconde,
Il dit franc sa pensée en presence du monde,
85 Il passe bien souvent sur la formalité,
Et ne s’arreste guere à la civilité,
En habits, comme en tout, ne suit que sa methode.

PHILIPIN

Et d’un Gendre pareil ton Vieillards’accommode ?
Il te fera damner,à ce que je puis voir.

FLORENCE.

90 Nostre Maistre est allé pour le bien recevoir,
Car il vient d’arriver, à ce qu’il a fait dire,
Mais je les voy là-bas ; Adieu, je me retire.

SCENE II. §

Anselme, Geraste.

Geraste.

Vostre Logis est loin.

Anselme.

Quittez vostre soucy* ;
Il n’est pas maintenant à deux cens pas d’icy.
95 Allons.

Geraste.

Souffrez* au moins que je reprenne haleine.

Anselme.

Le chemin, quoy que long, ne m’a point fait de peine* ; {p. 7}
Quant à moy, chaque jour, j’en fais six fois autant :
Mais venez.

Geraste.

Hé, du moins, attendez un instant :
Je suis tout essoufflé, vous courez comme un Diable.
100 Ah ! qu’un Vieillard coureur50 me semble insuportable !
Vous marchez dans la Ruë ainsi que fait un Fou ;
Ou du moins, comme on doit s’enfuir du Loup-garou.
Si je vous fuy jamais, je veux bien qu’on m’assomme,
Vous allez comme un Cerf, et non pas comme un Homme.

Anselme.

105 Je me sens la vigueur que j’avois à quinze ans.

Geraste.

Ah ! treve de vigueur, quand on a plus de dents.
Un tel discours sied mal aux Gens de vostre sorte ;
Si vous m’y retenez, que Belzebuth m’emporte,
Ou j’auray le Cheval de defunt Pacolet51;
110 Car pour vous suivre à pié, je suis vostre Valet52,
Je ne me pique* point d’une telle vitesse.

Anselme.

À mon âge, on n’est pas si chargé vieillesse,
Que…

Geraste.

Vous avez l’humeur* de ses plaisans Vieillards,
Qui pour cacher leurs ans, font les Escarbillards*,
115 Et qui pour déguiser une vieillesse extréme,
Ont recours chaque jour à quelque stratageme.

Anselme.

Les Vieillards comme nous, à parler franchement,
Valent peut-estre encor53 les jeunes d’à-present.

Geraste.

Peste ! si la vigueur répondoit au courage… {p. 8}

Anselme.

120 Ne raillons point, Monsieur, et laissons-là mon âge,
Je suis ce que je suis, et je me porte bien.

Geraste.

Mais soixante et quinze ans, bon, hé cela n’est rien.

Anselme.

Vous pourriez en laisser quelques-uns en arriere.

Geraste.

Si vous ne les avez, il ne s’en faut donc guere.

Anselme.

125 Je pourrois en conter plus de seize au dessous.

Geraste.

Parbleu*, si54 la pluspart des Vieillards ne sont fous.
L’un, qui pour jeune encor veut passer dans le Monde,
Couvre ses cheveux gris d’une Perruque blonde,
Se fait raser de pres, et remettre des dents,
130 Fuis toûjours ses pareils, et suit les jeunes Gens,
Et prenant un grand soin d’imiter leur grimace*,
Fein d’estre tout de feu, quand il est tout de glace,
Bois, saute, danse, rit, fait l’Amant* goguenard,
Et cela pour montrer qu’il n’a rien du Vieillard.
135 L’autre, qui sans raison veut passer pour agile,
Dit qu’il fait chaque jour tout le tour de la Ville,
Qu’à soixante et cinq ans il se trouve encor vert,
Et c’est pour mettre enfin la dizaine à couvert.
Celuy qui ne veut plus se piquer* de jeunesse,
140 Nous assure qu’il touche à l’extréme vieillesse,
Il ajoûte à ses jours au moins douze ou quinze ans,
A veu ce qui jamais n’arriva de son temps,
Et faisant des recits qu’il tient de feu* son Pere ,
Croit par de tels discours que chacun le revere.
145 Pourquoy sans aucun fruit cacher la verité ?
Pour moy, j’agis toûjours avec sincérité,
Et si j’avois cent ans, je le dirois de mesme ; {p. 9}
Car enfin n’est-ce pas une folie extréme,
D’affecter à toute heure un soin mysterieux55,
150 Ou pour paroistre jeune, ou pour paroistre vieux.
Sans doute, vous direz, mon pretendu Beaupere,
Que ma façon d’agir n’est pas fort ordinaire,
Que sans considerer je parle librement :
Pour moy, je dis toûjours les choses franchement,
155 Et suis persuadé qu’une telle franchise*
Peut tirer quelquefois les Gens de leur sottise ;
Car comme enfin j’abhorre un Esprit Médisant,
Aussi je n’aime point celuy d’un Complaisant.
Toûjours avec douceur, sans médisance aucune, 
160 Je dis mon sentiment à chacun, et chacune.
C’est ainsi que j’agis, s’en choque qui voudra,
Et malheur sur le chef* de qui s’en choquera.

Anselme.

Mais, Monsieur, quelquefois un peu de complaisance
Oblige plus…

Geraste.

Ma foy, c’est pure extravagance*,
165 De croire, quand les Gens nous celent nos defauts,
Que nous en ayions moins, que nous soyons moins sots.
Si l’on en trouve en moy, loin qu’on me desoblige,
Quand on m’en avertit, d’abord je m’en corrige,
Et sans vouloir du mal à qui m’en fait leçon,
170 Je reçoy ses avis de la bonne façon.
Voila comme chacun, à mon sens, devroit faire,
Nous nous corrigerions comme de Freres à Frere ;
Et possible, apres tout, qu’un pareil entretien
Pourroit contribuer à nous porter au bien.

Anselme.

175 Oüy, j’approuverois fort cette belle maxime,
Si tous pour la Vertu nous avions mesme estime ;
Mais chacun déferant à ses opinions56, {p. 10}
On preste peu l’oreille à des corrections.
À parler franchement, nous souffrons* avec peine*
180 Qu’on cite nos defauts, et que l’on nous reprenne.
Si quelqu’un prend plaisir de les peindre avec soin,
Nous ne manquons jamais de riposte au besoin* ;
L’ardeur de nous vanger aussi-tost nous éveille,
D’un esprit plein d’aigreur on luy rend la pareille,
185 Nous censurons en luy toutes ses actions,
Nous cherchons avec soin ses imperfections,
Nous chargeons ses defauts, et sans trop de scrupule
Nous le faisons passer pour un vray ridicule,
Et dans ce contretemps, le plus souvent je voy
190 Blâmer en son prochain, ce qu’on approuve en soy.

Geraste.

Tant-pis, car c’est montrer une folie extréme,
De blâmer en autruy, ce qu’on souffre* en soy-mesme : 
Ce trait ne peut sortir que d’un Esprit mal fait.

Anselme.

Mais des corrections c’est l’ordinaire effet :
195 Sur ce Chapitre là, l’Homme le plus tranquille
A peine bien souvent à retenir sa bile* :
Quoy qu’il semble approuver les choses qu’on luy dit, 
Il en ressent dans l’ame un chagrinant dépit ;
Il feint d’estre obligé de telles remontrances, 
200 Et couvre ce dépit de fausses apparences ;
Mais il n’est rien si vray que dés ce mesme instant
Il cherche les moyens de nous en faire autant. 
S’accommoder à tout, est un trait de prudence ; 
Ne censurer aucun, est de la bienseance.
205 Pour dire sa pensée un peu trop librement,
Quelquefois on s’attire un fâcheux compliment* :
Souvent, sans y songer, on se fait une affaire,
Et l’on peut d’un Brutal ressentir la colere. 

Geraste.

J’en demeure d’accord ; mais vous pensez, je croy, {p. 11}
210 Que j’aille corriger tous les Fous que je voy.
C’est pour certaines Gens qu’un tel penchant m’entraîne,
Que les autres soient sots, je n’en suis pas en peine.
Quand un Fat* à mes yeux vient prôner sa vertu,
Et que sur ce chapitre il n’est point combattu,
215 Que ses meilleurs Amis, bien loin de le reprendre,
Témoignent recevoir du plaisir à l’entendre,
Alors d’eux, et de luy, je ris de tout mon cœur,
Et me raille du Fat*, et de l’Adulateur.
Mais à tous mes Amis je dis ce que je pense,
220 Je n’ay pour leur folie aucune complaisance,
Je ne puis aupres d’eux faire le Pathelin57,
Et mes intentions58 ont une bonne fin.
S’ils s’en fâchent, tant-pis, je n’en suis point blâmable,
Envers moy leur colere est toûjours condamnable ;
225 Lors que j’agis ainsi, ce n’est que pour leur bien,
Et qui fait ce qu’il doit, ne se reproche rien.
Mais quittons ce discours, peut-estre il vous chagrine*,
Et voyons, s’il vous plaist, celle qu’on me destine.

Anselme.

Je l’apperçoy qui sort, et qui vient droit à nous.

SCENE III. §

Lucrece, Florence, Anselme, Geraste.

>ANSELME.

allant au devant de Lucrece.
230 Ma Fille, saluez Geraste, vostre Epous,
C’est en luy que je mets l’espoir de ma Famille.
Monsieur, vous la voyez.

GERASTE

Quoy ! c’est là vostre Fille ?{p. 12}

ANSELME

Oüy, c’est elle, Monsieur.

GERASTE

Où Diable a-t’elle pris
Ces yeux doux et brillans qui d’abord m’ont surpris ?

ANSELME

235 En elle vous voyez le portrait de sa Mere.

GERASTE

On ne diroit jamais que vous fussiez son Père ;
Car à n’en point mentir,je voy peu que ses traits
Approchent de vostre air, ny de loin, ny de pres.

ANSELME

Elle est pourtant ma Fille, et je puis en répondre.

GERASTE

240 On doit parler ainsi, de peur de se confondre,
Et croire que sa Femme a toûjours bien vescu ;
On peut en cherchant trop, se trouver convaincu,
Et souvent quand on veut penetrer ce mystère,
On se voit des Enfans dont on n’est pas le Pere.
245 Mais ce que je dis là, ne fait rien contre vous,
La These est generale, et nous regarde tous.

ANSELME

Je ne m’en fâche point.

GERASTE

C’est bien prendre les choses.
Que son teint a d’éclat ! ce n’est que lyset roses :
N’est-elle point fardée ?

ANSELME

Ah ! c’est luy faire tort,
250 Elle est sans aucun fard.

GERASTE

Je suis comme la mort
Ces Femmes qui voulant avoir un teint d’albâtre,{p. 13}
Masquent le naturel d’un visage de plâtre :
Ha le meschant* ragoust ! Aimez vous cela ?

ANSELME

Non.

GERASTE

Je m’en vay luy parler, si vous le trouvez bon.

ANSELME

255 Vous pouvez tout icy. Là… ma Fille…

GERASTE

Madame,
Puis que dans peu l’Hymen* vous doit rendre ma Femme,
Je veux donc entre nous bannir le serieux59.
Je ne devrois icy parler que de vos yeux,
De soûpirs, et d’ardeur, d’amour, et de tendresse* ;
260 Mais de ces sots Amans, c’est la commune adresse :
Comme j’agis beaucoup, je parle aussi fort peu,
Et sçay d’autres moyens de vous prouver mon feu*.

FLORENCE.

Ce début me plaist fort.

LUCRÈCE.

Il est incomparable.

ANSELME

Il est assez nouveau.

LUCRÈCE.

Je le trouve admirable ;
265 Monsieur a l’humeur* franche, il est sans compliment,
Et sans rien déguiser, il dit son sentiment.

GERASTE

Mon humeur*, je l’avoue, est tres-particuliere.
Je ne sçay point flater, et suis Homme sincere ;
Trahir ses sentimens, est une lâcheté,
270 Je ne puis rien souffrir contre la verité ;
À ceux dont je fais cas, je leur dis ma pensée,{p. 14}
La complaisance vient d’une Ame intéressée,
D’un Flateur qui toûjours adoucit nos defauts,
Qui trouve sur le champ un remede à nos maux,
275 Et qui de mots fardez nous dorant la Pilule,
Fait croire qu’il dit vray, quand il nous dissimule,
Je hay plus que la mort cette sorte de Gens,
Et vous ?

LUCRÈCE.

Moy ? Je les fuy.

GERASTE

C’est agir de bon sens.
Ne vous étonnez pas de me voir de la sorte ;
280 Je ne suis point un Fou qui de Rubans s’escorte,
Qui charge de Galants la manche du Pourpoint :
Pour moy, j’aime un Habit qui ne me gesne* point.

LUCRÈCE.

En Habit, en Amour, chacun a sa methode.

GERASTE

Vous avez de l’esprit, et vous estes commode.
285 Dites-moy, s’il vous plaist, quel âge avez-vous bien ?
Dites.

LUCRÈCE.

En verité, Monsieur, je n’en sçay rien.

ANSELME

Elle eut vingt et trois ans à la Saint Jean derniere.

GERASTE

La Fille, à mon avis, n’est pas fort printaniere.
N’importe, elle me plaist, j’y voy de la santé.
290 Aurez-vous des Enfans en grande quantité ?
Parlez.

ANSELME

Sur ce sujet, quelle réponse faire ?

GERASTE

Elle peut se regler sur sa defunte Mere.{p. 15}

ANSELME

Le Ciel, en dix-huit ans, m’en donna vingt et deux.

GERASTE

Morbleu, je n’aime point un tel present des Cieux.
295 La quantité d’Enfans met l’esprit à la gesne* :
C’est un rare Trésor, qu’une femme brehaine60 ;
Et quand par un bonheur on la rencontre ainsy,
Que celuy qui l’épouse, est exempt de soucy* !
Mais alors qu’on a pris Femme un peu trop féconde,
300 On doit, comme un Reclus, se retirer du Monde,
Vivre en Homme reglé, retrancher ses plaisirs,
Ménager sa dépense, et borner ses desirs :
Et c’est ce que je crains beaucoup plus que la Peste.

ANSELME

Mais d’un nombre si grand, elle seule me reste :
305 Pourquoy se chagriner*, etse mettre en couroux* ?
Le Ciel pourra répandre un tel bonheur sur vous.

GERASTE

S’il faut s’en rapporter à Madame Nature,
Je puis bien me flater d’une telle avanture ;
Car tous vos Enfans morts n’estoient pas des plus sains,
310 Et l’on tient fort souvent de Messieurs ses Germains.

ANSELME

Mais, Monsieur, dites-moy, ma Fille vous plaist-elle ?

GERASTE

Oüy, mais je ne sçay-quoy luy broüille la cervelle,
Je voy qu’elle est chagrine, et resve* incessamment :
J’ay lieu de présumer que c’est pour quelque Amant*.

ANSELME

315 Monsieur, sur ce sujet n’ayez aucun caprice,
Car ma Fille en amour est tout à fait Novice
Elle n’aima jamais.

GERASTE

Hé bien donc, dés demain {p. 16}
Il faut que sans façon nous nous donnions la main.
Je suis impatient de la voir mon Epouse :
320 Mais, à vous dire vray, j’ay l’ame un peu jalouse.
Lucrece, au moins sçachez que je hay l’entretien
De Messieurs les Blondins*, ces grands diseurs de rien,
Ces Muguets61 à Perruque, aiguillons de Coquettes*,
Conteurs de sots discours que l’on nomme Fleurettes*,
325 En un mot, je pretens estre maistre du cœur,
Et mesme aussi du corps unique possesseur.

ANSELME

Mettez-vous en repos, car ma Fille est fort sage.

GERASTE

Je le croy, mais sur tout je hay le Cocuage,
L’entretien de ces Gens est toûjours dangereux,
330 Et souvent la Vertu se corrompt avec eux.
Telle qui de tout temps fit gloire* d’estre prude,
En perd, à les oüir, aisément l’habitude ;
Le plaisir qu’elle prend d’entendre une douceur,
Est un charme* secret qui luy gagne le cœur ;
335 Et si des soûpirans elle écoute la plainte,
A l’honneur du Mary c’est, sans doute, une atteinte :
Bien qu’en un tel projet elle n’ait point de part,
Sa reputation court toûjours grand hazard ;
Puis on dit de l’Epoux, par un commun Proverbe,
340 Que s’il n’est pas Cocu, du moins il l’est en herbe.
Je ne veux point chez moy voir aucun Soûpirant,
Et de son procedé je veux estre garant :
Ces Messieurs du bel air, ces blondines Figures,
Font naistre chez les Gens d’étranges avantures :
345 Je craindrois d’avoir lieu de douter de sa foy,
Et que tous mes Enfans ne fussent pas à moy.

LUCRÈCE.

Mais ces sortes de Gens ne sont pas tant à craindre. {p. 17}

GERASTE

Ils n’obligent que trop les Marys à se plaindre,
Ce sont Filoux d’honneur, des Fourbes en un mot,
350 Qui ne songent jamais qu’à faire un Homme sot,
Qu’à surprendre* la Blonde, et corrompre la Brune,
Puis se vanter apres de leur bonne fortune*,
Conter tout le détail des secrets Rendez-vous,
Et de la Belle enfin montrer les Billets* doux.
355 Sont-ils las de la Dame, ils en disent la peste,
De tout ce qu’elle cache ils font un Manifeste,
Voila le procédé de ces Godelureaux62.
Non, non, point de commerce avec ces Jouvenceaux63,
Ils causent du desordre dans toutes les Familles,
360 Et font tort à l’honneur des plus honnestes* Filles.

LUCRÈCE.

Je crains peu ces Messieurs.

GERASTE

Et pour moy, je les crains,
Ils pourraient me causer mille et mille chagrins.
Hé quoi ! Vous en riez ?
Florence rit.

ANSELME

C’est une impertinente,
Excusez- la, Monsieur.

GERASTE

Est-ce vostre servante ?

ANSELME

365 Oüy.

GERASTE

Si je ne me trompe, elle a le minois fin,
Et porte la façon d’un esprit fort malin.
Donc sur ces beaux Messieurs vous blâmez mon scrupule,
Et selon vostre avis je suis un ridicule ?
Là, dites en riant ce que vous en pensez.{p. 18}

FLORENCE.

370 Si je ris…

GERASTE

Hé bien ?

FLORENCE.

C’est…

GERASTE

Quoy ?

ANSELME

Vous l’embarassez,

GERASTE

Elle a bien l’encolûre*, en faisant la rieuse,
De conduire à sa fin une intrigue* amoureuse,
Et la mine, sur tout, de glisser le Poulet64,
Et de faire un bon tour avec quelque Valet.

ANSELME

375 Monsieur, je la connoy par dix ans de service,
Et puis vous assurer qu’elle est sans artifice.

GERASTE

Quoy donc ! sans hesiter, vous prenez son party,
Tout prest à me donner pour elle un démenty ?
Si j’en sçay bien juger, entre nous deux, je gage
380 Que vous la mitonnez* depuis vostre veuvage.

ANSELME

en soûriant.
Ah point.

GERASTE

Cela vous plaist, et je m’en réjoüis.

ANSELME

Ne croyez pas que…

GERASTE

Non, mais… Entrons au Logis.

ANSELME

Je le veux.

GERASTE

A propos, j’oubliois une Lettre{p. 19}
Que mon Oncle en vos mains m’a chargé de remettre.

ANSELME

385 Voyons ce qu’il m’écrit.

GERASTE

Faites donc promptement.

ANSELME

Entrez, je l’auray leuë en un petit moment.

SCENE IV. §

Anselme seul, lisant la Lettre.
Anselme, mon tres-cher amy,
Je vous envoye Geraste mon Neveu pour épouser Lucrece vostre Fille. Vous sçavez assez pour ce sujet les avantages que je luy fais, sans qu’il soit besoin* de vous les reïterer. Mais comme vous ne le connoissez point, je vous en diray deux mots en passant. Il a de l’esprit, de la franchise, et dit trop librement sa pensée. Il est un peu bizarre, mais il a un bon fonds d’ame. Voila en peu de paroles son veritable portrait. Je ne puis assez vous exprimer la joye que j’ay de cette alliance. Il y a deux raisons qui m’y obligent ;la première, nostre ancienne amitié*, et la seconde est que mon Neveu avoit icy quelques engagemens dont je n’estois pas fort content. Si je n’estois accablé de gouttes aux pieds et aux mains, je n’aurois pas manqué de me rendre à Paris pour estre aux nopces de ma Niece, vostre Fille, car je l’appelle déjà ainsi. Je vous prie de l’assurer de mes civilitez, et de croire que je suis tout à vous.               SBROCT.[20]
L’Ecrivain de la Lettre, qui est Compere
de Geraste vostre Gendre, vous saluë
humblement, sans oublier vostre Fille,
ma Commere future.
Anselme poursuit.
Cet amy peut-il mieux témoigner sa tendresse* ?
J’en vay, sans diferer, faire part à Lucrece ;
Il nous dit cependant l’humeur* de son Neveu,
390 Et je luy sçay bon gré d’un si loyal aveu.
Mais entrons au Logis sans tarder davantage,
Et sur tout achevons dans peu ce mariage :
J’y trouve pour Lucrece un bonheur assuré,
Cinq mille escus65 par an seront fort à son gré.
395 Si dans ce Gendre on voit quelque defaut bizarre,
Un revenu si bon aisément le repare :
Le bien fait excuser quantité de defauts,
Et nous fait distinguer toûjours d’avec les Sots ;
La vertu d’à-present consiste en la richesse.
400 Mais allons faire voir cette Lettre à Lucrece.

Fin du Premier Acte.

{p. 21}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

Ariste paroist resvant dans sa Chambre.
Ariste, Philipin

Ariste.

Tu réves, Philipin, et tu ne me dis mot ?

Philipin.

De vous parler, Monsieur, je ne suis pas si sot.
Je sçay comme il m’en cuit ; cent coups sur mes épaules,
De pincettes, de pieds, et de poings, et de gaules*,
405 M’avertissent assez que je ne parle pas.
Il ne vous restoit plus qu’à me casser les bras,
Et puis apres cela m’envoyer en Galere. 
Vous verrez ce que c’est que d’estre si colere.

Ariste.

Pardonne, Philipin, aux transports* d’un Amant*,
410 Qui depuis quelques jours souffre* un cruel tourment*.
Si tu sçavois mon mal…

Philipin.

Hé, je le sçay de reste ; {p. 22}
Dans l’ame, comme vous, j’en murmure*, j’en peste,
Mais mon sort pour cela n’en devient pas plus doux.
Si vous perdez, Monsieur, je perds autant que vous. 
415 Et c’est là ce qui fait toute ma resverie.

Ariste.

Tu railles, Philipin.

Philipin.

Ce n’est point raillerie,
J’ay sçeu tout ce détail.

Ariste.

Qui te l’auroit appris,
Puis que Lucrece enfin n’estoit point au Logis ? 

Philipin.

Sa Suivante, qui m’a…

Ariste.

Sa Suivante ? 

Philipin.

Oüy, Florence
420 M’a conté le sujet de vostre extravagance*.
Que Lucrece à l’Hymen* songe à se disposer,
Et qu’un certain Nantois venoit pour l’épouser.
Mais comme sur ce poinct j’écoutois la Suivante,
J’ay veu paroistre Anselme, et ce Monsieur de Nante.

Ariste.

425 Il est en cette Ville ! Hé, comment l’as-tu sçeu ?

Philipin.

Et ne vous dis-je pas, Monsieur, que je l’ay veu,
Que le Beaupere estoit avec son futur Gendre.

Ariste.

Anselme ?

Philipin.

Oüy.

Ariste.

Quel malheur ! {p. 23}

Philipin.

Sa fureur* le va prendre 
Fuyons viste. 

Ariste.

Où vas-tu ?

Philipin.

Moy ? Je ne bouge pas.

Ariste.

430 Ce malheur est pour moy, pire que le trépas.
Quoy ! tu sors ? 

Philipin.

Non, Monsieur.

Ariste.

Pourquoy gagner la porte ?

Philipin.

Je crains qu’à m’assommer, ce malheur ne vous porte,
Car pour bien moins cent fois j’ay ressenty vos coups.

Ariste.

Va, mon cher Philipin, ne crains plus mon courroux*,
435 Et pense bien plutost à quelque prompt remede
Pour tâcher à guerir le mal qui me possede.

Philipin.

Ma foy66, vous abusez de mon trop de bonté.

Ariste.

Je suis au desespoir, de t’avoir mal traitté.

Philipin.

Pourquoy m’avoir caché vostre douleur extréme ?

Ariste.

440 Sçait- on bien ce qu’on fait, quand on pert ce qu’on aime ?
Ah ! l’on n’est guere à foy67 dans un tel desespoir,
 Et la Raison alors a bien peu de pouvoir.

Philipin.

Mais pourtant aujourd’hui je vous trouvois moins triste, {p. 24}
Et je croyois en vous revoir un autre Ariste.

Ariste.

445 Le retour de mon Pere, et le gain d’un Procés,
Sembloient flater mes feux* de quelque heureux succés,
Cependant tu le vois, je perds toute esperance.
Geraste est arrivé.

Philipin.

Monsieur, voicy Florence.

SCENE II. §

Florence, Ariste, Philipin.
Ariste.
Hé bien, viens-tu, Florence, augmenter mon ennuy*,
450 Me dire que Geraste est avec Anselme ?

Florence.

Oüy.

Ariste.

Que Lucrece aussy …

Florence.

Non, mais lisez cette Lettre.
Vous verrez quel espoir, elle peut vous permettre.

Ariste lit. {p. 25,B}

Vous me mandez que vostre Pere doit arriver dans peu ; et moy, je vous avertis que Geraste est arrivé, qu’il presse fort nostre mariage, et veut, dit-il, qu’il se fasse demain. C’est à vous à chercher quelque obstacle pour le reculer. En voicy un que Florence et moy avons imaginé, et dont vous pouriez aisément vous servir. Vous sçavez que mon Pere n’a nulle connoissance de vostre amour, et qu’il ne vous a jamais veu : Ainsi je vous conseille de venir au Logis sous le nom de Geraste, et de soutenir que c’est un imposteur qui prend vostre nom pour nous abuser. Comme mon Pere ne l’a veu de sa vie qu’aujourd’huy, il me semble qu’il vous sera facile de reüssir ; et par là vous aurez aisément les huit jours que vous me demandez encore. Je vous envoye la Lettre que Geraste a apportée à mon Pere, avec trois autres de Sbroct, afin que si vous vous resolvez de passer pour luy, vous preniez plus seurement vos mesures et que vous ayiez quelque connoissance de sa Famille. 
Lucrece.

Florence.

Vostre esprit à present est-il un peu remis ? 
Ce conseil vous plaist-il ?

Ariste.

Ah Dieu ! l’heureux avis !
455 Que je suis redevable à ta belle Maistresse !

Florence.

Auriez-vous pû trouver une meilleure adresse ?

Ariste.

Je n’eusse jamais pû : Va, dy- luy de ma part, 
Que je seray chez vous dans une heure au plus tard,
Que quand Anselme aussi devroit me reconnoistre,
460 Sous le nom de Geraste il me verra paroistre ;
Que j’espere par là si bien l’embarasser,
Qu’à presser son Hymen* il n’osera penser.
Montre-moy cette Lettre, elle pourra m’instruire.
Il faut bien concerter tout ce que je doy dire.

Florence.

465 Je doy la reporter ; Copiez68-la.

Ariste.

D’accord, {p. 26}
Je l’auray fait dans peu.

Florence.

Rien ne presse si fort.

Ariste.

Les autres…

Florence.

Gardez les.

Ariste à Philipin, apres avoir lu bas la Lettre de Sbroct à Anselme.

La fin de cette Lettre,
Dans ce que j’entreprens, semble tout me promettre.
Si je n’estois accablé de gouttes aux pieds et aux mains, je n’aurois pas manqué de me rendre à Paris pour estre aux nopces de ma Niece, vostre Fille. 
L’Écrivain de la Lettre, qui est Compere de Geraste vostre Gendre, vous saluë humblement, sans oublier vostre Fille, ma Commere future.

Ariste continuë.

Qu’en dis-tu, Philipin ?

Philipin.

Que vous avez raison.

Ariste.

470 Par ce moyen Geraste est pris comment un Oyson :
Car Sbroct n’écrivant point, ainsi son caractere
N’aidera pas Anselme à percer le mystere.

Philipin.

Mais s’il en a plusieurs de cette mesme main,
Comment vous en parer ?

Florence.

Tu t’alarmes en vain,
475 Depuis qu’il est gouteux, ses Lettres, je vous jure, {p. 27}
Se trouvent rarement de la mesme écriture.

Ariste.

Je vay prendre le soin d’imiter celle-cy.

Florence.

C’est en vain là-dessus vous donner du soucy*.

Ariste en allant dans son Cabinet

La chose en ira mieux. 

SCENE III. §

Florence, Philipin.

Philipin.

Et sera plus plus faisable.
480 Pour contrefaire un seing*, il est adroit en Diable.
Cent fois pour son plaisir, il a fait de tels tours,
Et par là bien souvent a servy ses amours.
Mais raisonnons ensemble. Or-ça, dy-moy Florence,
De pouvoir reüssir, vois-tu quelque apparence ?
485 Crois-tu qu’Anselme ainsi donne dans le panneau ?
Qu’il se laisse attraper comme un jeune Etourneau69 ?

Florence.

Il ne connoist pas plus Geraste que ton Maistre.

Philipin.

Mais s’il découvroit tout, et nous envoyoit paistre,
Que ferions-nous alors ?

Florence.

Ah ! tu raisonnes trop.

Philipin.

490 L’Homme sage en amour, ne va point le galop,
Car il doit en tout temps prévoir la fin des choses, {p. 28}
Y raisonner* à fonds, en connoistre les causes,
Consulter son esprit sur ce qu’il entreprend,
Avoir en ce qu’il fait la raison pour garant, 
495 Se défier de tout, craindre que la Fortune*
Ne nous fasse beau jeu, pour nous en donner d’une.

Florence.

Et qui diantre, dy-moy, t’en a tant inspiré ? 

Philipin.

A raisonner* pourtant je suis peu preparé ; 
Mais lors qu’en raisonnant, un esprit raisonnable…

Florence en riant.

500 Ta raison est fort bonne.

Philipin.

Et mesme profitable ;
Crains que nous ne perdions nostre temps et nos pas.

Florence.

Il arrive souvent ce qu’on ne pense pas ;
Quand on aime, l’on doit braver tous les obstacles,
Et croire que l’Amour est prodigue en miracles.

Philipin

505 Mais s’il nous prodiguoit quelques coups de baston ?
Hem !

Florence

Tu n’as rien à craindre.

Philipin

morbleu*, que sçait-on ?
Si ce Monsieur Geraste a l’humeur* un peu fiere,
Et nous frotte d’abord d’une brusque maniere,
Plaist-il ?

Florence.

Et quoy ! toûjours dans le raisonnement !
510 En cette occasion est-ce agir en Amant* ?
Je voy trop qu’à present Philipin m’abandonne ; {p. 29}
Loin de me cajoler*, je l’entens qui raisonne ;
Patience, à mon tour je sçauray raisonner :
Nous verrons…

Philipin.

Mais dequoy te vas-tu chagriner* ?

Florence.

515 De rien.

Philipin.

Tu n’as pas lieu de douter de ma flame*.

Florence.

Non.

Philipin la voulant caresser

Tu me fais tort, car…

Florence.

Ah ! tu fais la bonne ame.
Pourquoy tant de raisons qu’on ne demande pas ?

Philipin.

C’est que je veux sur tout éviter l’embaras*,
Et rendre par mes soins la chose plus croyable,
520 Car je t’aime toûjours, ou je me donne au Diable.

Florence.

Sans mentir ?

Philipin.

Sans mentir.

Florence.

Le dis-tu de bon cœur ?

Philipin.

En veux-tu quelque preuve ?

Florence.

Oüy. 

Philipin. Il la prend par la main, elle le repousse

Vien. Te fay-je peur ? 

Florence.

Que veux-tu ? {p. 30}

Philipin.

Te baiser.

Florence.

La preuve est un peu forte.

Philipin.

Dans les 70occasions71, ventre bleu, je m’emporte.

Florence.

525 Tréve d’emportemens, il suffit, je te croy.

Philipin.

Mais dans tout cet intrigue*, hé, que feray-je, moy ?
Car j’y doy, ce me semble, avoir un personnage.

Florence.

Le valet de Geraste.

Philipin.

Est-ce là mon partage72 ?

Florence.

Oüy.

Philipin.

Mais en a-t’il un ?

Florence.

Oüy, vrayment.

Philipin.

L’as-tu veu ?

Florence.

530 Non.

Philipin.

Tu ments. 

Florence.

Point du tout.

Philipin.

Comment donc le sçais-tu ?

Florence.

En parlant d’autre chose, il l’a dit à Lucrece. {p. 31}

Philipin.

En parlant il l’a dit ! Ah tu m’en fais finesse !
Déjà je ne sçay-quoy me broüille le cerveau ;
Et je pourrois frotter ce Monsieur l’Aubereau73.

Florence le caressant.

535 Que rien, cher Philipin, ne trouble ta cervelle,
Croy que jusqu’au tombeau je te seray fidelle,
Que d’estre ta moitié je fais tous mes souhais.

Philipin.

Dois-je bien me fier à ce que tu promets ?
Quand ton sexe avec soin nous baise, nous caresse,
540 C’est pour mieux preparer quelque tour de souplesse,
Et prévenir alors par de fausses douceurs
Le soupçon qui pourroit s’emparer de nos cœurs.
Vois-tu bien ? Entre nous, je sçay beaucoup de Femmes
Qui sur certains sujets sont de meschantes* lames*,
545 Elles donnent toûjours le dehors au Mary,
Et le dedans, bon soir, c’est pour le Favory.
Celle qui veut tromper a toûjours sa défaite.

SCENE IV. §

Ariste, Florence, Philipin.

Ariste revenant.

Florence.

Florence.

Monsieur.

Ariste.

Tien, voy, ma copie est faite.
Que t’en semble ? Dy moy.

Florence.

Rien ne ressemble mieux ; {p. 32}
550 Et pour les distinguer, il faudroit de bons yeux.

Philipin regardant aussi la Lettre.

Le Maistre qui cet Art sçeut si bien vous apprendre,
Vous appris le secret…

Ariste.

Quel ? 

Philipin.

De vous faire pendre.

Florence.

N’oubliez rien d’ailleurs*.

Ariste.

Va, j’y sçauray pourvoir ;
Prepare ta Maistresse à nous bien recevoir ;
555 Il faut pour estre au mieux ce Monsieur de Bretagne,
Me vestir, ce me semble, en habit de campagne.

Florence.

C’est fort bien aviser.

Ariste.

Vien, suy-moy, Philipin.

Philipin.

Ciel ! à ce grand projet donne une heureuse fin. 
Ils s’en vont

Florence.

Va, ne crains rien, et croy qu’il nous sera propice :
560 Mais pourtant si quelqu’un découvroit l’artifice*,
Cela nous causeroit un étrange embaras* :
Geraste… Il vient, fuyons, qu’il ne nous voye pas.

SCENE V.[33] §

Anselme reconduisant Geraste, et luy faisant des civilitez.

Geraste.

Demeurez.

Anselme.

Je sçay trop…

Geraste.

Eh sans ceremonie,
Morbleu que la contrainte entre nous soit bannie,
565 Laissons les complimens.

Anselme.

Mais la civilité…

Geraste.

De ces sottes façons estre encore infecté
A vostre âge, et les ans….

Anselme.

Quoy donc, toûjours mon âge ?

Geraste.

Mais aussi là-dessus vous devriez74 estre sage, 
Quittez tous ces discours. Je ne vous quitte point75,
570 Je sçay trop mon devoir, pour manquer à ce poinct ;
J’auray perdu le sens, avant que je renonce : 
A ces beaux complimens on veut faire réponse, 
Puis de ces grands propos se forme un entretien 
Qui fatigue les gens, et qui ne sert à rien.

Anselme.

575 J’approuve vos raisons ; mais au Siecle où nous sommes,
On doit faire, je croy, comme les autres Hommes ;
Pour estre trop sincere, on est souvent blâmé, {p. 34}
Et celuy qui reprend n’est pas le plus aimé.

Geraste.

Je vous ay déjà dit que les censures nostres76,
580 Sont pour tous mes Amis, et non pas pour les autres :
Que je me ris de ceux qui s’estiment au poinct,
Que les plus beaux Esprits ne les égalent point ;
Que loin de leur oster cette fole croyance,
Je les laisse croupir dans leur impertinence ;
585 Que je me divertis de tous ces beaux Messieurs,
Et qu’enfin je me mets du costé des railleurs.
Mais souffrir* ses Amis dans leurs extravagances*,
C’est les rendre achevez par trop de complaisances ;
Et pour les applaudir toûjours dans leurs defauts,
590 Ils deviennent souvent ridicules et sots :
Les loüer faussement jusqu’en la moindre chose,
Des sottises qu’ils font n’est-ce pas estre cause ?
Et n’est-ce pas en nous peu de sincerité,
Que d’agir en loüant contre la verité ?

Anselme.

595 La verité souvent nous attire leur haine.

Geraste.

De leur inimitiez je ne suis guere en peine* :
Quand on fait ce qu’on doit en veritable Amy,
L’on ne reprend jamais leurs defauts à demy, 
Je les voy se fâcher sans que je m’en soucie,
600 Apres il vient un temps où l’on me justifie,
Et loin d’avoir pour moy l’esprit envenimé,
On se blâme à la fin de m’avoir trop blâmé.
Mais laissons tout cela, parlons de nos affaires,
Songez à donner ordre aux choses necessaires,
605 Et je prendray le soin d’y travailler aussy.

Anselme.

Je me charge de tout, n’ayez aucun soucy*.

Geraste.

Mais je doy, ce me semble… {p. 35}

Anselme.

Ah ! que rien ne vous gesne*,
Je feray ce qu’il faut, n’en soyez pas en peine*.
Mais que veut ce Garçon ?

SCENE VI. §

Licaste, Anselme, Geraste.

Licaste.

Je vous cherche, Monsieur.

Geraste.

610 Pourquoy, dy donc ?

Licaste.

Ma foy, je suis tout en sueur ; 
Un Homme un peu fantasque*, et de taille assez grande,
Dans nostre Hostellerie, avec soin* vous demande.

Geraste.

Qui dis-tu ?

Licaste.

C’est un Homme.

Geraste.

Et comment a-t’il nom ?

Licaste.

Quand j’ay voulu l’apprendre, il a changé de ton,
615 Et m’a dit brusquement d’un air un peu colere,
Qu’il vouloit voir Geraste, et Monsieur son Beaupere.

Geraste.

Ne le connois-tu point ?

Licaste.

Non. {p. 36}

Geraste.

Non ?

Licaste.

Non, par ma foy.

Geraste.

Te connoist-il ?

Licaste.

Non plus.

Geraste.

Pour s’adresser à toy,
Comment a-t’il donc fait ?

Licaste.

J’estois dans la Cuisine,
620 Où déja je vuidois la cinquiéme chopine
Quand il a demandé d’un ton fort peu courtois, 
Si l’on connoissoit bien un Geraste Nantois.
Le Maistre a dit que non : Aussi-tost la Servante 
A dit que je servois un brave Homme de Nante
625 Arrivé d’aujourd’huy. Voilà comment il a sçeu
Ce que vous demandez.

Geraste.

Comment est-il vestu ?

Licaste.

Il est vestu, je pense, en habit de campagne 

Geraste.

Est-il seul ? 

Licaste.

Je ne sçay si quelqu’un l’accompagne ;
Mais je n’ay veu que luy. 

Geraste.

Mais comment est-il fait ? {p. 37}

Licaste.

630 Il est grand, assez gresle, et mesme un peu maigre.

Geraste.

Il loge ?

Licaste.

Au mesme lieu.

Geraste.

Bon, il m’est plus facile
De le trouver, allons. 

Licaste.

Monsieur, il est en Ville. 

Anselme.

Puis qu’il nous demandoit, tu devois l’amener.

Licaste.

Je n’avois pas encor achevé de disner.

Geraste.

635 Tu n’avois pas mal bû.

Licaste.

Ma foy, tout d’une haleine,
J’ay passé sans chagrin à la demy-douzaine77.

Anselme.

Trois pintes à disner ! Il ne boit pas trop mal.

Licaste.

Pour boire sans tricher, on voit peu mon égal ;
Quand je seray chez vous, je veux trinquer sans cesse :
640 Vous verrez si quelqu’un…

Anselme.

Halte à cette proüesse, 
Car boire incessamment78 peut troubler la raison, 
Et causer du malheur dedans une Maison.

Licaste.

Monsieur, sur ce sujet, que rien ne vous étonne ; 
Pour mon Maistre, il sçait boire aussi bien qu’il raisonne. {p. 38}

Geraste.

645 Il est plus raisonnable, estant de sens rassis ;
Mais il faut excuser le vice du Païs.
D’ailleurs* il sert fort bien.

Anselme.

Il est drôle*, ou je meure ;
Son visage me plaist.

Geraste.

Je vais à ma demeure,
Pour attendre celuy qui veut parler à moy. 

Anselme.

650 C’est un de vos Amis, sans doute.

Geraste.

Je le croy. 

Licaste.

S’il n’est pas revenu, Monsieur ? 

Geraste.

Il ne m’importe ;
Il reviendra possible avant que l’on en sorte.
Sans adieu.

Anselme.

Mais au moins tenez vous assuré
Que vostre appartement chez nous est preparé.

Geraste.

655 Je vous suis obligé ; mais souffrez*, je vous prie,
Qu’aujourd’huy je demeure en mon Hostellerie. 

Anselme.

Mais vous ne songez pas que c’est me faire tort.

Geraste.

Ce n’est que cette nuit. 

Anselme.

Pour cette nuit, d’accord ;
Sur tout, gardez-vous bien d’y rester davantage. {p. 39}

Geraste.

660 Non, demain je prens jour pour nostre mariage.
Adieu.

Licaste.

Que ce jour là je boiray comme il faut !

Anselme.

Veux-tu boire à present ?

Licaste.

Remettons à tantost*.

SCENE VII. §

Anselme seul.

Mon Gendre a de l’esprit, mais il est trop critique,
Et croit que ce qu’il dit doit estre sans replique ;
665 A le combattre aussi je doy un peu m’arrester,
Et le meilleur sera de ne point constester.
Son Oncle, en son jeune âge, avoit tant de franchise,
Qu’en son Pere il n’eut pû souffrir une sottise ;
Mais il crût mes conseils, et je voy qu’il pretend
670 Que pour son cher Neveu nous en fassions autant :
Sçachons adroitement ce que Lucrece en pense.
Ho, ma Fille. {p. 40}

SCENE VIII. §

Lucrece, Florence, Anselme.

Lucrece.

Mon Pere.

Anselme.

Approchez, et Florence.

Florence.

Que vous plaist-il, Monsieur ?

Anselme.

Çà, parlons entre nous.
Quant à moy, franchement, j’aime assez vostre Epous,
675 Il est un peu censeur, et sçait peu se contraindre ;
Mais ce sont des chaleurs qui se pourront éteindre,
Le temps appaisera cette démangeaison,
Et pourra doucement le mettre à la raison.
Quand vous serez sa Femme, il vous croira peut-estre,
680 Il le faut jusques là laisser agir en Maistre ;
Combattre son humeur*, c’est mal prendre son temps :
Outre que sa critique est assez de bon sens,
En province ils ont tous cette maudite mode,
Mais chacun à Paris veut suivre sa methode :
685 Le meilleur est, je croy, de ne point critiquer,
Et c’est ce que toûjours, on m’a veu pratiquer.
A ce poinct il faudra tâcher de le reduire.
Or sus, qu’en dites-vous ?

Lucrece.

Moy ? Je n’ay rien à dire,
Il vous plaist, il me plaist.

{p. 41} 

Anselme.

Mais me dites-vous vray ?

Lucrece.

690 Sans doute.

Anselme.

L’aimez-vous ?

Lucrece.

Je ne l’aime, ny hay.

Anselme.

Mais vous pourrez l’aimer ?

Lucrece.

Soyez en assurance ;
Je feray mon devoir.

Anselme.

Toy, qu’en dis-tu, Florence ?

Florence.

Ma foy, Monsieur Geraste est un Homme d’esprit : 
Quand il parle, pour moy j’admire ce qu’il dit, 
695 Je ne hay pas en luy cette grande franchise ;
Mais encor à l’aimer, ce qui plus authorise, 
C’est ce grand revenu de quinze mille francs 
Dont Lucrece sera maistresse tous les ans.

Anselme.

Elle a le goût fort bon, et la raison est forte ; 
700 Et j’aime beaucoup mieux un Homme de sa sorte,
Que tous ces Fanfarons qui font les yeux mourans,
Qui pres de chaque Objet* sont toûjours soûpirans,
Qui montrent dans leur mœurs beaucoup d’extravagance*,
Qui plus haut que leur bien font monter la dépense,
705 Et qui pour une Iris, ou dans quelque Berlan79,
Dissipent en huit jours le revenu d’un an.
Ma Fille, celuy-cy n’en fera pas de mesme,
En luy l’on voit regner une candeur extréme ;
Il n’affecte en ses mœurs aucun déguisement, {p. 42}
710 Et dans tout ce qu’il fait, il agit franchement !

Florence.

Avec un tel Epoux que vous serez heureuse !
Vous pourrez bien jurer de n’estre jamais gueuse.

Anselme.

Je m’en vay voir ton Oncle, afin de l’avertir
Que Geraste est icy ; Toy, va te divertir.

Scène IX. §

Lucrece, Florence.

Florence.

715 Hé bien ! Qu’en dites-vous ? N’estes vous pas contente ?
Tout semble apparemment répondre à nostre attente,
Anselme est fort content de nostre procedé,
De vostre obeïssance il est persuadé ;
Il croit que cet Epoux, par sa grande richesse,
720 Pourra facilement gaigner vostre tendresse* :
Mais je l’ay satisfait encor bien mieux que vous, 
Par le soin que j’ay pris de vanter cet Epoux ;
A loüer ce Magot80, je me suis surpassée :
Ainsi, peut-il jamais concevoir la pensée
725 Que nous soyons d’accord avecque vostre Amant*,
Et que nous ayions part à son déguisement ?

Lucrece.

Non pas ; mais cependant je suis peu satisfaite,
Je tremble, je frémis, et je suis tout inquiete,
J’ay peur de me jetter dans un grand embaras*
730 Et crains qu’Ariste enfin ne reüssisse pas.

Florence.

Madame, sur de poinct que rien ne vous chagrine* ; {p. 43}
Songez à vous ostez l’Epoux qu’on vous destine ;
Et pour vous épargner un eternel ennuy*,
Faites tous vos efforts pour n’estre point à luy.

Lucrece.

735 Cet avis à mon mal peut estre salutaire,
Mais j’aime mon devoir, et j’honore mon Pere.
A les trahir enfin, rien ne peut m’émouvoir.

Florence.

Je prétens en rien choquer vostre devoir ;
Quand je parle d’efforts, ce sont efforts d’adresse,
740 Où le devoir s’accorde avec quelque finesse.
Il est plusieurs moyens sans blesser la raison,
D’éviter un Hymen* plus dur qu’une prison ;
Car épouser Geraste est, puis qu’il faut tout dire, 
Epouser un fantasque*, un jaloux, un Satyre, 
745 Un Critique, un Fâcheux*, enfin un Campagnard*,
Pres de qui vos beaux jours courent bien du hazard.
Il vous enfermera dedans quelque Chaumiere,
Car de ces Campagnards* c’est assez la maniere :
Souvent quand ils ont pris une Femme à Paris,
750 Mille soupçons jaloux occupent leurs esprits ;
Ils pensent qu’en ce lieu tout est plein d’artifice,
Que les Femmes y sont fecondes en malice,
Qu’elles ont cent détours pour tromper un Mary,
Et que Monsieur l’Epoux n’est pas le plus chery.

Lucrece.

755 Laissons tous ces discours, voyons comment Ariste…

Florence.

L’Amour, sans qu’on y pense, au besoin* nous assiste ;
Il fait naistre souvent ce qu’on ne prévoit pas, 
Et tire quelquefois les Amans d’embaras*.

Lucrece.

Mais si Geraste aussi presse nostre Hymenée*, {p. 44}
760 Et qu’Ariste…

Florence.

Esperons une autre destinée,
Le Ciel peut vous donner un sort moins rigoureux ;
Mais rentrons pour réver* aux moyens…

Lucrece.

Je le veux.

Fin du Second Acte.

{p. 45}

ACTE III.. §

SCENE PREMIERE. §

Geraste, Licaste.

Geraste.

Va, retourne à l’Auberge, et sur tout qu’on attende
Cet Homme qui, dis-tu, me cherche et me demande :
765 Mais dy luy de ma part, avec civilité,
Qu’exprés là, pour le voir, je m’estois transporté ;
Que ne le trouvant point, et que las de l’attendre,
Il peut te dire un mot de ce qu’il veut m’apprendre ;
Ou si de me parler il a démangeaison,
770 Tu pourras l’amener dedans cette Maison.
C’est où demeure Anselme.

Licaste.

Ah ! j’aime ce Beaupere ;
Il a bien la façon de n’estre point severe,
D’estre un Vieillard aisé, de boire un petit coup,
Et de ne point chez luy faire le Loup-garou81.

Geraste.

775 C’est assez son humeur*.

Licaste.

La meilleure methode {p. 46}
Est de laisser, ma foy, chacun vivre à sa mode :
Je veux boire avec luy, m’en dût-il couster pot82,
Et trinquer teste à teste en Tire-larigot83.

Geraste.

On ne fait pas icy comme en nostre Province.

Licaste.

780 En Bretagne, un Valet boiroit avec un Prince,
Et cela, bien souvent, sans se faire prier.

Geraste.

Il est vray, mais icy l’on est moins familier :
Va donc viste au Logis, j’apperçoy mon Beaupere,
Mais n’en sors point sur tout.

Licaste.

Monsieur, laissez-moy faire.

SCENE II. §

Anselme, Geraste.

Anselme.

785 Hé bien ! avez-vous veu cet Homme ?

Geraste.

Non.

Anselme.

D’où vient ?

Geraste.

Il n’est point revenu : Mais Licaste revient ;
Qu’est-ce ? {p. 47}

SCENE III. §

Licaste, Anselme, Geraste.

Licaste.

Si ce Monsieur ne me vouloit rien dire, 
Ny venir en ce lieu ?

Geraste.

Dy luy qu’il peut m’écrire.

Licaste.

Mais s’il n’écrivoit point ? Cela peut arriver.

Geraste.

790 Tu diras qu’il m’attende, et je l’iray trouver

Licaste.

S’il ne veut point attendre ? 

Geraste.

Et bien, qu’il aille au Diable. 

Licaste.

Bon, c’est assez, j’y cours. 

Anselme.

Il sera plus traittable ;
Licaste, pren le soin de l’amener icy.

Licaste.

J’y feray mon pouvoir, n’ayez aucun soucy*
795 Je vay par mes raisons l’obliger à s’y rendre.

Anselme.

En attendant qu’il vienne, allez chez moy l’attendre.

Geraste.

J’y vay. {p. 48}

SCENE IV. §

Ariste, Philipin, Anselme.

Ariste bas.

Vois-tu bien l’Homme ?

Philipin.

Oüy, Monsieur, je le voy.

Ariste haut.

Cherche Anselme en ce lieu.

Anselme à Philipin.

Que luy veut-on ? C’est moy.

Philipin.

Bon ; on veut luy parler.

Anselme.

Et qui ?

Philipin.

Ce Gentilhomme.

Ariste saluant Anselme.

800 Monsieur…

Anselme.

Que vous plaist-il ?

Ariste.

Sçachez que l’on me nomme
Geraste.

Anselme.

Vostre nom est ? 

Ariste.

Geraste.

Anselme.

Comment ? {p. 49,C}

Ariste.

Geraste.

Anselme.

Geraste ! 

Ariste.

Oüy, Geraste.

 Anselme.

Assurément ?

Ariste.

Assurément.

Anselme.

Vostre oncle est ?

Ariste.

Sbroct.

Anselme.

Et d’où ?

Ariste.

De Nante,
D’où j’arrive à present.

Anselme.

La chose est surprenante !
805 Quoy ! vostre nom seroit…

Ariste.

Geraste.

Anselme.

Est-il bien seur ?

Ariste.

Oüy, Geraste est mon nom, vostre Gendre futur.

Anselme.

Plaist-il ?

Philipin.

Criez bien fort, Monsieur est sourd sans doute.

Anselme.

Hé, je ne suis pas sourd, puis que je vous écoute.

Philipin.

Oüy-da, vous écoutez, mais vous n’entendez pas. {p. 50}

Anselme.

810 Hem.

Ariste.

Tay-toy. 

Philipin.

Mais aussi pourquoy tous ces debats ?
Faut-il tant repeter, pour luy faire comprendre
Que vous estes Geraste, ainsi son futur Gendre ? 
Et que vostre Oncle est Sbroct ?

Ariste donne une Lettre à Anselme.

Monsieur, il vous écrit ;
Tenez.

Anselme.

Voicy dequoy m’embarasser l’esprit.

Ariste.

815 Lisez.

Anselme apres avoir leu bas.

Cette Lettre est toute semblable à l’autre. 
L’un de ces deux Messieurs est un malin Apostre ; 
Il est fourbe, trompeur, et me veut affronter. 
Oh, Florence. 

Florence.

Monsieur.

Anselme.

Qu’on me fasse apporter
La Lettre que tantost* j’ay donnée à ma Fille ; 
820 À part. Rien n’y manque, et j’y voy jusques à l’apostille84.

Philipin bas à Ariste.

Nous avons, ce me semble, assez bien commencé.

Ariste.

Oüy, fort bien. 

Philipin.

Le bon Homme est fort embarassé. {p. 51}

Florence.

La voilà. 

Anselme.

Çà, voyons. Ah ! rien n’est si semblable. 
Il faut pour cette fourbe85, estre faussaire en Diable. 
825 Monsieur, pour m’expliquer avec vous sans façon,
Un autre en mon Logis prend vostre mesme nom, 
Ou vous prenez le sien. 

Ariste.

Vous me faites injure. 

Anselme.

L’autre en peut en dire autant.

Ariste.

Oüy, mais fausseté pure.
C’est un fourbe.

Anselme.

Je vay l’amener devant vous,
830 Mettez-vous à l’écart.

Philipin.

Monsieur, point de courroux*
Car…

Ariste.

Non, tay-toy ; Les voicy.
{p. 52}

SCENE V. §

Anselme, Geraste, Ariste, Philipin.

Geraste.

Qu’est-ce ?

Anselme.

Estes-vous Geraste ?

Geraste.

Oüy.

Anselme.

Le Neveu ?

Geraste.

De Sbroct.

Anselme.

Et le Fils ?

Geraste.

De Kerguaste.

Anselme.

Un autre, comme vous, se dit Geraste aussy.

Geraste.

Qu’il le dise, s’il veut, j’en prens peu de soucy*.

Anselme.

835 Cependant, un des deux fait une fourberie.

Geraste.

Est-ce à dessein, bon Homme, ou bien par raillerie,
Que vous me demandez, et ma race, et mon nom ?

Anselme.

Non, ce n’est pas un jeu, je parle tout de bon. 

Geraste.

Vous voulez me donner icy d’un stratagéme86. {p. 53}

Anselme.

840 Je dis ce qu’il m’a dit, et le voicy luy-mesme.

Geraste à Ariste.

Quoy ! vous estes Geraste ? 

Ariste.

Oüy, Monsieur, je le suis.

Geraste.

Et moy, qui suis-je donc, Monsieur, à vostre avis ? 
Hé ?

Ariste.

Je ne sçay. 

Geraste.

Non ? 

Ariste

Non. 

Geraste

Hé bien, allez l’apprendre. 

Ariste.

Cela m’importe peu. 

Anselme.

Qui de vous deux est mon Gendre ?
845 Est-ce vous ? est-ce vous ?

Geraste

C’est Geraste.

Ariste

Oüy. 

Anselme.

Fort bien : 
Mais qui de vous deux l’est ? Pour moy, je n’en sçay rien. 

Geraste.

Vous ne le sçavez pas ?

Anselme.

Je l’ignore, ou je meure. {p. 54}

Geraste.

He bien, il vous en faut éclaircir tout à l’heure :
Monsieur, expliquons-nous, et parlons tout de bon :
850 Vous nomme-t’on Geraste ?

Ariste.

Oüy, Geraste est mon nom,
Je suis Neveu de Sbroct, et Kerquaste87 est mon Pere.

Geraste.

Mais encor, comme quoy cela se peut-il faire ?
Vostre Pere vit-il ?

Ariste.

Pourquoy ? Non, il est mort.

Philipin bas à Ariste.

Que diable sçavez-vous ? Vous vous hazardez* fort.

Ariste.

855 Oüy, mais il faut répondre.

Anselme.

Hé, pour nous satisfaire,
Apprenez-nous encor le nom de vostre Mere.

Ariste.

Et croyez-vous par là me des-orienter ?

Anselme.

Ho, non.

Philipin à part.

Non.

Ariste.

Sur ce poinct, je veux vous contenter.
Son surnom est la Roche, et son nom propre, Hortense.

Philipin bas à Ariste.

860 De qui le tenez-vous ?

Ariste bas.

Des Lettres de Florence…

Philipin bas.

J’entens, suffit. {p. 55}

Anselme à Geraste.

Hé bien ?

Geraste à Ariste, apres avoir un peu resvé.

Quel est vostre Parrain ?

Ariste.

Il en faudroit ainsi nommer jusqu’à demain. 

Anselme.

Il a raison. 

Philipin bas.

Bon, bon 

Geraste.

Vous arrivez de Nantes88 ? 

Ariste.

Oüy.

Anselme.

Ses réponses sont tout à fait convaincantes.

Geraste.

865 Quoy ! bon Homme, déja vous prenez son party ?

Anselme.

Non pas, mais je voy bien qu’un de vous a menty.

Geraste.

Ce n’est point moy. 

Ariste.

Ny moy. 

Anselme.

Soit ; mais dans cette cause
Vous ditesjustement tous deux la mesme chose.
Les Lettres, et le lieu, les noms, et les Parens,
870 Causent mon embaras, et sont vos diferens.

Geraste.

Comment, les Lettres ?

{p. 56} 

Anselme luy donnant les deux Lettres.
Oüy, tenez.

Geraste ouvrant celle d’Ariste.

Voicy la mienne.

Anselme regardant la Lettre.

La vostre ?

Geraste.

Assurément.

Anselme.

Point du tout, c’est la sienne.

Geraste.

La sienne ?

Anselme.

Oüy, la sienne, oüy, j’en suis fort assuré, 
Et je la reconnois par le papier doré. 
875 Mais voyez l’autre. Hé bien ?

Geraste.

Je n’y puis rien comprendre.

Anselme.

Si vous vous méprenez, je puis bien me méprendre : 
Jugez si j’ay sujet d’estre dans l’embaras. 
Entendez-vous cecy ?

Geraste considerant les deux lettres.

Non, je ne l’entens pas,
Je ne me vis jamais surpris de telle sorte.

Ariste.

880 Mais à prendre mon nom, quel interest vous porte ?
Vous estes quelque Fourbe, ou bien de ces Filoux,
Qui pour tromper les Gens…

Geraste.

Monsieur, allons tout doux ;
Car…

Ariste.

Plaist-il ?

Geraste

Rien ; le temps… {p. 57}

Ariste.

Quoy ?

Anselme.

Messieurs, sans colere,
Un peu de temps pourra débroüiller ce mystere,
885 Et rendre aux yeux de tous, l’un des deux confondu.

Geraste.

Oüy, mais pour l’imposteur, il faut qu’il soit pendu.

Ariste.

J’en demeure d’accord.

Philipin.

Ah ! treve de potence,
Monsieur, au moins, car…

Ariste.

Paix.

Anselme appelant sa Fille et sa Servante.

Ho, Lucrece, et Florence,
Venez.

SCENE VI. §

Lucrece, Florence, Anselme, Ariste, Geraste, Philipin.

Lucrece.

Que vous plaist-il ? 

Anselme.

Ma Fille, croirez-vous
890 Que j’aye trop d’un Gendre, et vous trop d’un Epous.
Vous les donner tous deux j’y voy peu d’apparence.
Anselme parle bas à Lucrece.

Philipin à part.

Elle en pourroit par là faire la difference, {p. 58}
Et sçavoir qui des deux seroit mieux à son poinct.

Lucrece riottant.

Vous vous raillez de nous.

Anselme.

Non, je ne raille point,
895 Ce Monsieur que tu vois, se dit aussi Geraste.

Lucrece.

Ah ! c’en est trop de deux ; encore pour un, baste89.

Anselme.

Lequel, à ton avis, choisirois-tu des deux ?

Lucrece.

Celuy que vous voudrez, est celuy que je veux.
Je n’ay point à choisir où vous estes, mon Pere,
900 Celuy qui vous plaira, sera seur de me plaire.

Anselme.

Mais de ces deux Messieurs, Geraste seul me plaist.

Lucrece.

Et moy, pour l’autre aussi je prens peu d’interest.

Anselme.

Messieurs, vous voyez bien que je n’ay qu’une Fille, 
Que je ne puis donner qu’un Gendre à ma Famille : 
905 Ostez-moy de soucy, car tous vos differens
Pourront estre éclaircis avant qu’il soit longtemps. 

Geraste.

Je suis Geraste.

Ariste.

Et moy, c’est ainsi qu’on me nomme.

Anselme.

Moy je croy qu’un de vous est un tres-méchant Homme, 
Car il n’est qu’un Geraste. 

Ariste.

Oüy, c’est la verité. {p. 59}

Geraste.

910 Il est vray.

Anselme.

Maugrébleu de la duplicité.

SCENE VII. §

Kerlonte, Licaste, Anselme, Geraste, Ariste, Lucrece, Florence, Philipin.

Licaste à Kerlonte.

Monsieur, voicy mon Maistre, et Monsieur son Beaupere.

Kerlonte, apres avoir salué negligemment, dit à Anselme

Monsieur, en peu de mots, une importante affaire
Me fait venir icy.

Anselme.

Pour l’apprendre de vous,
Dois-je dans ce moment les faire éloigner tous ? 

Kerlonte.

915 Il n’en est pas besoin*. Pour vous oster de peine*,
Sçachez auparavant que Geraste m’ameine,
Que j’arrive de Nante, et qu’enfin aujourd’huy
Je pretens me couper la gorge avecque* luy.

Anselme.

Et par quelle raison ?

Kerlonte.

Je m’en vay vous l’apprendre ;
920 Car exprés en ce lieu j’ay pris soin de me rendre,
Pour vous parler, Monsieur, comme un Homme d’honneur, {p. 60}
Apprenez que Geraste est un franc suborneur*

Philipin bas à Ariste.

Tout est perdu, Monsieur.

Anselme

Hé, Monsieur, sans offense,
Car…

Kerlonte.

Je veux devant tous le dire en sa presence ;
925 Oüy, je le dis encor, c’est un franc suborneur*.

Anselme.

Mais la raison ?

Kerlonte.

Sçachez qu’il a trompé ma Sœur ;
Que sous l’apppas trompeur d’un flatteur mariage, 
Il en a des Enfans ; En faut-il davantage, 
Pour montrer qu’il est fourbe ?

Anselme.

Ah ! non, cela suffit,
930 Au moins si l’on en veut croire vostre recit.
Mais, Monsieur, là-dessus, c’est à luy de répondre. 

Kerlonte.

Sur ce chapitre là, j’ay dequoy le confondre ;
Qu’il parle.

Anselme à tous deux

Là, parlez.

Kerlonte.

Que peut-il m’objecter ?

Philipin bas à Ariste.

Répondez donc, Monsieur.

Ariste bas.

Non, je veux écouter.

Anselme.

935 Quoy ! sans rien repliquer, souffrir* qu’on vous opprime ?

Kerlonte.

Vous voyez, son silence est l’aveu de son crime, {p. 61}
Il ne répondra point, il est trop interdit,
Et ce silence enfin prouve ce que j’ay dit.

Anselme.

Ce que vous nous contez est une étrange affaire.
940 Mais, Monsieur, aidez-nous à percer un mystere.
Vous estes de Nante ?

Kerlonte.

Oüy.

Anselme.

Sbroct vous est-il connu ?

Kerlonte.

Oüy.

Anselme.

Geraste aussy ?

Kerlonte.

Non je ne l’ay jamais veu 
Qu’à present.

Anselme.

Cependant vous faites une histoire
Qui le regarde fort ; Et comment donc la croire ?

Kerlonte.

945 Ne prenez pas cecy pour un conte resvé :
Sçachez depuis six jours qu’à Nante j’arrivay
D’un voyage sur Mer de plus de vingt années.
Apres avoir bravé diverses destinées,
Couru bien des perils, et souffert bien des maux,
950 Je revenois chez moy pour prendre du repos :
En arrivant, je sçeus cette triste nouvelle :
Ce qui me la rendit encore plus cruelle,
Et qui fit tout mon mal, ce fut lors que j’appris
Que Geraste pouvoit estre pres de Paris,
955 Qu’il y venoit exprés épouser vostre Fille ; {p. 62}
Lors ne pouvant souffrir* ce tort à ma Famille,
Je pris la Poste* apres m’estre informé de tout,
Et je suis icy venu pour le pousser à bout.

Anselme.

Ce que vous nous contez est assez vray-semblable,
960 Soit qu’il soit faux, ou vray.

Kerlonte.

Ce n’est point une fable.

Anselme à tous deux l’un apres l’autre.

Or-sus, Monsieur Geraste, et vous Geraste aussy,
Vous pouvez là-dessus nous oster de soucy ;
Il nous faut maintenant expliquer face à face.

Kerlonte.

Quoy ! deux Gerastes ? 

Anselme.

Oüy, c’est ce qui m’embarasse.
965 Vous cherchez un Geraste, et vous en trouvez deux.
Pour moy, ce que j’y trouve encor de plus fâcheux,
Est que tous leurs discours ont tant de vray-semblance,
Que je ne sçay pour qui montrer plus de croyance.

Kerlonte.

Il faut s’en éclaircir.

Anselme parlant à eux

Quoy ! vous estes muets ? 
970 Soûtenez* pour le moins icy vos interests,
Répondez à Monsieur.

Geraste.

C’est un pur stratagéme 
Que tout ce qu’il vous conte.

Anselme.

Et vous ?

Ariste.

J’en dis de mesme, 
Tout ce qu’a dit Monsieur, n’est qu’un conte inventé. {p. 63}

Kerlonte.

Et moy, je vous soûtiens que c’est la verité. 
975 Lors que je connoistray le traistre qui m’ameine,
Nous verrons s’il voudra mettre fin à ma peine*.
Ou s’il veut soûtenir sa noire trahison, 
Je sçauray le forcer à m’en faire raison.

Anselme.

Vous aurez comme nous un peu de patience.

Kerlonte.

980 Je ne doy point en l’air hazarder* ma vengeance ;
Je veux apprendre au vray lequel est l’imposteur,
Afin qu’en seureté je vange mon honneur. 
J’en veux au vray Geraste.

Anselme.

Et moy, j’en veux à l’autre.

Philipin bas.

Monsieur, songez à vous, cette affaire est la vostre.

Kerlonte apres avoir parlé bas à Anselme.

985 Adieu, pour le connoistre, appliquez tous vos soins ;
Et moy, de mon costé, je n’en feray pas moins.

Anselme à Kerlonte qui s’en va.

Le temps nous en pourra donner quelque lumiere. {p. 64}

SCENE VIII. §

Anselme, Lucrece, Florence, Geraste, Ariste, Licaste, Philipin.

Philipin bas à Ariste.

Je vous vois engagé dans une étrange affaire.

Ariste.

J’en sçauray bien sortir. 

Anselme à tous deux.

çà, parlons franchement. 
990 Ce que cet Homme a dit, a bien du fondement ;
Par vos Lettres j’y voy beaucoup de certitude. Il lit
Je ne puis assez vous exprimer la joye que je ressens de cette alliance : il y a deux raisons qui m’y obligent ; la première est nostre ancienne amitié ; et la seconde est, que mon Neveu avoit icy quelques engagemens dont je n’estois pas fort content.

Anselme continüe.

Hé ?

Geraste.

Cela ne me cause aucune inquietude.

Ariste.

Pour moy, je ne crains rien, le temps vous l’apprendra.

Anselme

Nous verrons à la fin comment la chose ira ;
995 Cependant l’un de vous me fait une imposture*.

Geraste.

Pour moy, je suis Geraste, et je vous en assure. {p. 65}
Il suffit.

Ariste.

Je soûtiens que ce nom est à moy,
Et que rien n’est plus vray. 

Licaste à Geraste.

Qu’est-ce donc que je voy,
Monsieur ?

Geraste.

N’entens-tu pas ? Monsieur se dit Geraste.

Licaste.

1000 Et Monsieur son Valet ?

Geraste.

Il faut qu’il soit Licaste. 

Licaste.

Il a morbleu* menty, Licaste c’est mon nom, 
Et qui me le prendroit, seroit un franc Larron*.

Anselme.

Messieurs, en attendant que le tout s’éclaircisse,
Et que nous connoissions d’où provient l’artifice,
1005 Vous pouvez au Logis venir avec douceur,
C’est au Neveu de Sbroct que je fais cet honneur ;
C’est à Geraste enfin ; mais ne pouvant comprendre
Qui de vous est le fourbe, et vient pour me surprendre,
Je vous donne à tous deux la mesme liberté, 
1010 Pourveu qu’on ne s’emporte à nulle extremité.

Geraste.

Par là je me ferois un trop grand prejudice,
Et le temps seul, Monsieur, doit me rendre justice.

Ariste.

Et le temps seul aussi fera voir clairement,
Qui de nous deux encor merite un chastiment.

Anselme. {p. 66}

1015 Vous pourrez donc venir chez moy l’un apres l’autre :
Je recherche en cela mon repos et le vostre ;
Je devrois du Logis vous éloigner tous deux,
Mais Geraste merite un destin moins fâcheux,
Il est Neveu de Sbroct, et doit estre mon Gendre ;
1020 Je vous reçoy tous deux, de peur de me méprendre.
En faveur de Geraste et de Sbroct mon amy,
Je devrois pour ces noms ne rien faire à demy ;
Mais j’agis autrement, faute de le connoistre ;
Je n’en demande qu’un, vous voulez tous deux l’estre. 
1025 Ainsi donc trouvez bon en cette extremité,
Que j’observe du moins quelque formalité.

Ariste.

Vostre façon d’agir n’est pas trop raisonnable.

Geraste.

Pour ne pas l’approuver, je suis trop équitable

Anselme.

Mais sur tout, entre vous aucun emportement,
1030 Sinon…

Geraste.

De mon costé, n’en craignez nullement.

Ariste.

Moy, je feray toûjours ce que Monsieur m’impose.

Anselme.

Fort bien ; Pour faire aussi par ordre chaque chose,
À Ariste. Venez vous reposer quelque moment chez nous.

Ariste prenant Lucrece.

Je le veux

Anselme à Geraste luy touchant dans la main.

Serviteur*, une autre fois pour vous
1035 J’en sçauray bien user.
{p. 67}

SCENE IX. §

Licaste, Philipin.

Licaste tirant Philipin qui veut entrer chez Anselme.

Quoy ! ton Maistre est Geraste ?

Philipin.

Oüy.

Licaste.

Ton nom ?

Philipin.

Et pourquoy ?

Licaste.

C’est que je suis Licaste.

Philipin.

Hé bien, Licaste soit, j’en demeure d’accord ;
Laisse mon Maistre là, sans t’emporter si fort. 

Licaste.

Je ne sçaurois souffrir* qu’on le nomme Geraste.

Philipin.

1040 Et moy, je souffre* bien qu’on te nomme Licaste.

Licaste.

Oüy, mais c’est malgré toy.

Philipin.

Malgré moy, je t’en pons90.

Licaste.

Et je t’en pons aussy.

Philipin.

Je souffre* peu d’affrons, {p. 68}
Sans me vanger. Tay-toy.

Licaste.

Peste ! Il a l’humeur* promte.
Moy, je ne puis souffrir qu’ainsi l’on nous affronte.

Philipin.

1045 Et qui t’affronte ? Dis.

Licaste.

Voyez ! Ton Maistre, et toy.
Vois-tu, ce procedé n’est pas fort bon, ma foy ; 
Et l’on peut à la fin, par cette manigance, 
S’attirer mille coups, ou bien une potence.

Philipin.

Aux fourbes comme toy, cela ne peut manquer.

Licaste.

1050 Moy, fourbe ?

Philipin.

Oüy.

Licaste.

Là-dessus, pour nous mieux expliquer,
Qui connois-tu dans Nante ?

Philipin.

Hé… j’y connoy du monde.

Licaste.

Et quel monde ? Voyons, il faut que je le sonde.
Là, nomme donc les gens.

Philipin.

Mais toy, qu’y connois-tu ?

Licaste.

De le dire avant toy, je ne suis pas tenu.

Philipin.

1055 Ny moy.

Licaste.

Ny moy, morbleu. {p. 69}

Philipin.

Bien donc, disons-le ensemble,

Licaste.

Tu te railles de moy.

Philipin.

Point du tout.

Licaste.

Il me semble
Que de parler ainsi, c’est vouloir me railler.

Philipin.

Les gens faits comme toy, ne font que babiller,
Possible que jamais tu n’as entré dans Nante.

Licaste.

1060 Moy ?

Philipin.

Toy.

Licaste.

Mon Pere…

Philipin.

Bon.

Licaste.

Ma Mere…

Philipin.

Zeft.

Licaste.

Ma Tante,
Mon Oncle Jean, ma Sœur, mon Parrain…

Philipin.

Que de noms !

Licaste.

Mon Frere…

Philipin.

Encor ? {p. 70}

Licaste.

Morbleu*, si plus tu m’interromps,
Je pourrois à la fin te donner sur la mouffle91.

Philipin.

A moy ?

Licaste.

Pourquoy non ? hem.

Philipin.

Ah ! tu me…

Licaste.

Quoy ?

Philipin.

Marouffle92,
1065 Tu te feras frotter, tu fais trop l’entendu93.

Licaste.

Morbleu*, si le Duel n’estoit point defendu,
Tu verrois de quel air…

Philipin.

Que verrois-je ? Ah ! jarnie* !
Je t’en coulerois94 là, mais sans ceremonie.
Il porte une botte à Licaste.

Licaste.

Ouf, la peste de toy ! Tu m’as estropié.

Philipin.

1070 Allons viste, qu’on gile95 et que l’on gaigne au pié96.

Licaste.

Si je pouvois un jour te tenir en* Bretagne,
Ou bien hors de Paris97

Philipin.

Je tiendray la campagne,
Si tu veux en taster.

Licaste.

Tu n’es qu’un Fanfaron. {p. 71}

Philipin.

Va-t’en.

Licaste.

Je ne veux pas. 

Philipin.

C’en est trop : un baston.

Licaste fuyant.

1075 Un baston !

Philipin.

Vien.

Licaste menaçant de loin.

Vien, toy.

Philipin allant à luy.

Je te rompray la teste.

Licaste s’en allant.

Hé…

Philipin.

Tout va bien pour nous, ne troublons point la Feste.

Fin du Troisiéme Acte.

{p. 72}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

Anselme, Ariste, Philipin.

Anselme.

Monsieur, vous sçavez bien ce que j’ay tantost* dit,
Pour fuir l’occasion de s’alterer l’esprit : 
Ne vous trouvez donc point chez moy tous deux ensemble.

Ariste.

1080 Je vous obéïray.

Anselme.

C’est trop, mais il me semble,
Qu’en cecy mon avis n’est pas à mépriser.

Ariste.

Il est juste, et pour moy j’en sçauray bien user ;
Et puis la verité fera voir le faussaire.
Sans adieu.

Anselme.

Soit, le temps nous tirera d’affaire.
{p. 73, D}

SCENE II. §

Anselme seul.

1085 Je suis seul à present ; çà, raisonnons icy,
Et cherchons ce qui peut me tirer de soucy*.
Un de ces deux Messieurs me croyant Hape-lourde98,
Me vient impunément debiter une bourde,
Me dit qu’il est Geraste, et le prouve à tel poinct, 
1090 Qu’on ne voit pas par où douter qu’il ne l’est point.
D’ailleurs* un Homme vient me conter une Histoire
Qui paroist veritable, et que j’ay peine à croire,
Me jure que Geraste est un franc suborneur*
Qu’il a, sans contredit, des Enfans de sa Sœur ;
1095 Et cependant, tous deux, sans avoir nulle honte*,
Soûtiennent devant luy que cela n’est qu’un conte.
Cet Homme toutesfois répond en effronté,
Que tout ce qu’il a dit est une verité ;
Que quand il connoistra celuy qui l’inquiete,
1100 Il luy fera bien voir de quel air il se traitte.
Que diable présumer en ce fâcheux estat ?
Dans ce fait ambigu, mon jugement* s’abbat :
Si cet Homme a dit vray, Geraste est un perfide ;
L’autre est un fourbe, ainsi pour nous rien n’est solide :
1105 Mais si cet Homme estoit par le fourbe porté,
Pour nous dire du vray ce qui n’a point esté ?
    Quel est ce faux Geraste, et que pretend-il faire, 
Si ma Fille avoit part dans tout ce beau mystere ? 
Non, son cœur est trop bon, pour s’estre démenty, 
1110 Et puis d’ailleurs* Geraste est un trop bon party.
Si je le connoissois, sans tarder davantage,
Je pourrois sourdement faire ce mariage,
Et l’Hymen* achevé, je laisserois au temps {p. 74}
A remettre l’esprit de tous les mécontens.
1115 Il me faut là-dessus consulter mon Beaufrere ;
Mais son raisonnement ne me satisfait guere,
Son esprit turbulent est mal propre au conseil,
Et pour en bien parler, on voit peu son pareil.
Mais que voy-je ? C’est luy que le hasard m’ameine.
1120 De vous aller chercher, vous m’épargnez la peine*.

SCENE III. §

Florame, Anselme.

Florame.

Que voulez-vous de moy ?

Anselme.

J’ay bien à vous conter :
Au moins preparez-vous à me bien écouter,
Car la chose…

Florame.

Ah ! j’ay haste, une affaire me presse.

Anselme.

Ce que je vous diray, regarde vostre Niéce.

Florame grondant.

1125 Son honneur…

Anselme.

Son honneur s’est fort bien conservé.
Je vous ay tantost* dit que Geraste arrivé,
Pretendoit dés demain l’épouser sans remise.

Florame.

Hé bien, à vos desirs est-elle pas soûmise ?

Anselme.

Oüy, mais un autre aussi qui prend le mesme nom,
1130 Est venu s’opposer à nostre intention99.

Florame.

Un second Geraste ? {p. 75}

Anselme.

Oüy.

Florame.

Mais d’où vient-il ?

Anselme.

De Nante,
A ce qu’il dit.

Florame.

Parbleu*, la chose est étonnante !

Anselme.

Un autre Homme, d’ailleurs*, cause un autre embarras100,
Il vient chercher Geraste, et ne le connoist pas ;
1135 Nous dit que ce Geraste est un perfide, un traistre,
Et qu’au mesme moment qu’il le pourra connaistre,
Il sçaura le forcer à luy rendre l’honneur :
Bref, il dit hautement qu’il a trompé sa Sœur.

Florame.

Il vient ?

Anselme.

De Nante aussy.

Florame.

Bon, j’entens ; autre piece :
1140 Mais que dit là-dessus Madame nostre Niéce ?

Anselme.

Rien ; elle voit cela d’un œil indifferent.

Florame.

Tant-pis.

Anselme.

Pourquoy ?

Florame.

Pour rien. Seriez-vous bien garant
Qu’elle n’eut point de part à cette fourberie ?

Anselme.

Ah ! vous luy faites tort, et… {p. 76}

Florame.

Tout doux, je vous prie :
1145 Vostre Fille pourtant est un esprit malin,
Qui sans trop s’émouvoir, tend toûjours à sa fin.

Anselme.

Ma Fille, assurément, n’est pas une stupide ;
Mais dans son procedé je la trouve candide, 
Et jamais son esprit n’a panché vers le mal.

Florame.

1150 Pour gaster un Enfant, vous n’avez point d’égal,
Car si l’on vous en croit, elle est toute accomplie :
Ne peut-on là-dessus guerir vostre folie,
Et remettre en son poinct vostre esprit déreglé ?
Avoüez que le sang vous a trop aveuglé. 

Anselme.

1155 Mais quel aveuglement ay-je tant pour ma Fille ?

Florame.

Vous luy prônez qu’elle est l’honneur de sa Famille,
Vous souffrez* qu’elle jaze avec les Gens de Cour :
C’est là que l’on apprend le tour et le détour,
Que l’on sçait employer les fourbes et les ruses,
1160 Que l’on trouve au besoin* sur le champ des excuses,
Que l’Homme le plus fin est quelquefois duppé,
Et que qui trompe mieux, se voit souvent trompé.
C’est possible de là que, sans aucun scrupule,
Un soûpirant vous fait avaler la pillule,
1165 Que vostre bonne Fille aide à vous abuser.

Anselme.

Là, n’avez-vous plus rien contre elle à dégoiser ?

Florame.

Vous l’avez élevée en Fille non commune ;
Et sans considerer quelle estoit sa fortune*,
Elle a pris le grand air, et le porte fort haut. {p. 77}

Anselme.

1170 Tant-mieux, j’en suis ravy, ce n’est pas un defaut
Qu’une Fille ait le cœur placé de bonne sorte.

Florame.

Non ; mais la vanité quelquefois nous emporte,
L’ambition101 apres cause un étrange effort.

Anselme.

Ma Fille est raisonnable, et sçait ce qu’elle fait.

Florame.

1175 De vous guerir l’esprit, il est fort difficile ;
Mais cependant tâchez d’estre un peu moins facile*.
Je veux croire avec vous qu’elle a de la raison,
Mais tout ce qu’elle fait n’est pas trop de saison102.
Ne manquer en Esté ny Cours, ny Promenade,
1180 Durant tout un Hyver courir* la Mascarade*,
Passer la nuit au Bal avec mille Galants
Qui pour corrompre un cœur ont les plus beaux talens,
Voilà le bel employ qui sans cesse l’occupe,
Et vous durant ce temps vous en estes la duppe :
1185 L’un admire en raillant vostre trop de bonté,
Et l’autre blâme aussi vostre facilité103.
Sont-ce là les effets d’une sage conduite ?

Anselme.

Quant à moy, je n’en crains nulle fâcheuse suite ;
Je laisse là-dessus dire et faire les Gens.

Florame.

1190 Mais un tel procedé choque un peu le bon sens.

Anselme.

Si ma façon d’agir vous semble fort blâmable,
La vostre, mon Beaufrere, est bien plus condamnable,
Comment en usez-vous avecque vostre Fils ?

Florame.

J’en use prudemment.

Anselme.

Non pas à mon avis. {p. 78}

Florame.

1195 Voyons donc là-dessus quelle est vostre pensée.

Anselme.

Non, non, vous avez haste.

Florame.

Hé point, l’heure est passée.

Anselme.

Vostre Fils à vos soins n’est pas trop obligé,
Car enfin de tout temps vous l’avez negligé,
Vous l’avez élevé comme un vray miserable ;
1200 Un Enfant à son Pere est bien plus redevable104,
Quand il l’a pû laisser sans éducation105.

Florame.

Je n’attens pas icy vostre approbation ;
Mais puis qu’à ce reproche il faut que je réponde,
Ne contez-vous pour rien de l’avoir mis au monde ?
1205 À vostre avis, mon Frere, est-il un plus grand bien ?

Anselme.

Pour un Pere, à mon sens, cela n’est presque rien.
Qu’est-ce pour les Enfans, de les avoir fait naistre,
Sans l’éducation qu’on ajoûte à leur estre ?
C’est par là qu’un vray Pere exprime au naturel
1210 Les tendres sentimens de l’amour paternel.
Qu’avons-nous donc tant fait en leur donnant la vie ?
En avions-nous alors le dessein, ou l’enuie ?
Vouloir le soûtenir, c’est se vanter en vain,
C’est un coup du hazard qui se fait sans dessein.
1215 Nostre seul interest au plaisir nous excite,
Sans en considerer les effets, ny la suite ;
Et les Enfans ainsi, lors qu’ils viennent au jour,
Doivent plus au hazard, qu’aux soins de nostre amour.
Mais l’éducation qu’on joint à leur naissance,
1220 Les oblige sans cesse à la reconnoissance ;
Beaucoup mieux que le sang elle sçait émouvoir,
Et forcer la Nature à faire son devoir.

Florame.

La Nature et le sang, selon vostre maxime,
Ne meritent de tous qu’une legere estime ?

Anselme.

1225 Point, j’ay beaucoup pour eux de veneration,
Mais j’en ay plus encor pour l’éducation, {p. 79}
Et je tiens pour certain que bonne nourriture,
Souvent, comme l’on dit, surpasse la Nature.

Florame.

Un Proverbe au besoin*

Anselme.

Et de plus, bien placé :
1230 Mais parlons du present, et laissons le passé.
    Peut-on avec raison faire ce que vous faites ?
Laisser un Fils sans Charge, estant ce que vous estes ?
Posseder de grands biens, et n’avoir qu’un Enfant,
Et le voir tous les jours croupir dans le neant ?
1235 Empescher qu’il ne voye aucune compagnie,
N’éconter là-dessus rien que vostre manie ?
Pensez-vous qu’en secret il ne murmure* pas ?
Qu’il n’ait point souhaité cent fois vostre trépas ?

Florame.

Pourquoy le souhaiter ?

Anselme.

Pour se voir en puissance
1240 De faire dans le Monde une honneste* dépense,
D’imiter ses pareils.

Florame.

Qu’il attende, s’il veut.

Anselme.

On doit pour ses Enfans faire ce que l’on peut. {p. 80}
Fuyons l’occasion106 de forcer la jeunesse
A pester chaque jour contre nostre vieillesse,
1245 A demander au Ciel la fin de nostre sort,
Et luy faire des vœux pour haster nostre mort :
Prevenons de bonne heure une chose si dure,
Ostons à nos Enfans ce sujet de murmure*,
Faisons sans trop tarder, leur joye et leur bonheur,
1250 Et par là forçons les à nous porter honneur.
Des biens que nous avons heritez de nos Peres,
Nous n’en sommes quasi que les dépositaires,
Nous devons les transmettre à nos posteritez.
Et travailler encor pour leurs prosperitez.
1255 C’est ainsi que l’on est un veritable Pere,
C’est par là qu’un Enfant nous aime, et nous revere ;
Ce sont les sentimens que l’Homme doit avoir,
Et qui ne les a pas, ne fait pas son devoir.
Possible qu’on verra vostre Fils dans un âge
1260 Devenir libertin* lors qu’on doit estre sage,
Et faire…

Florame.

Pour trancher vos propos superflus,
Il aura tout mon bien, quand je ne seray plus ;
Qu’il le gouverne alors, et qu’il s’en divertisse.

Anselme.

Quoy ! vous pourrez souffrir* qu’alors il en joüisse ?
1265 Point, il faut enterrer vostre bien avec vous.

Florame se mettant en colère.

C’est donc pour me railler…

Anselme.

Vous entrez en courroux,
Et vostre ame pour rien est de fureur saisie.

Florame.

Gouvernez vostre Fille à vostre fantaisie*, {p. 81}
J’agis comme il me plaist, et je le veux ainsy ;
1270 Du reste, serviteur*, j’en prens peu de soucy*.

Anselme.

Adieu donc.

Florame s’en allant.

Adieu donc.

Anselme seul.

Qu’il a l’humeur* étrange !
Si vous ne l’approuvez, quand vous seriez un Ange,
Vous estes à son sens un Homme sans esprit,
Et rien n’égale enfin ce qu’il fait, ce qu’il dit.
1275 Mais rentrons.

SCENE IV. §

Anselme, Lucrece, Florence.

Anselme rencontrant Lucrèce.

Où vas-tu ?

Lucrece.

Je vay rendre visite
A mon Oncle.

Anselme.

A quoy bon ? tout à l’heure107 il me quitte.

Lucrece.

A present?

Anselme.

A present.

Lucrece.

Je ne le sçavois pas.

Anselme.

Je voulois son avis dessus nostre embarras ; {p. 82}
J’en ay fait le recit, mais d’un ton plein de bile*
1280 Il m’a dit brusquement que j’estois trop facile*,
Que c’en estoit l’effet, et que ma Fille enfin
Avoit pour me duper, l’esprit assez malin ;
Que sans doute elle avoit quelque part au mystere.

Lucrece.

Quoy ! mon Oncle me croit…

Anselme.

Tout doux, et sans colere.

Florence.

1285 Vostre Oncle, de malice ose vous soupçonner ?
Ah ! que n’estois-je là pour l’ouïr raisonner* !
Je l’aurois entrepris*.

Anselme.

Il n’est pas raisonnable.

Florence.

Quand on est ce qu’il est, on n’est pas suportable ;
Il a l’esprit méchant, mal fait, capricieux108,
1290 Et le temperament chagrin* et bilieux.
Il est peu de momens qu’il ne soit en furie,
Il gronde sans sujet, et sans raison il crie ;
C’est un Homme en un mot qui fatigue les gens,
Qui souvent fait divorce avecque* le bon sens ;
1295 Un bourru qui ne veut jamais qu’on le reprime,
Qui de ses sentimens veut faire une maxime ;
Un fâcheux* qui toûjours trouve à redire à tout,
Et qui met de chacun la patience à bout.
Ses inégalitez109 vont jusques à l’extréme,
1300 Jamais on ne le voit d’accord avec luy-mesme ;
Il veut, et ne veut pas, enfin incessamment
Il est persecuté de son temperament.

Anselme.

C’est assez son portrait. {p. 83}

Florence.

De plus, il est avare…

Lucrece.

Tay-toy, l’on sçait qu’en tout il est assez bizarre ; 
1305 Mais c’est toûjours mon Oncle, il le faut excuser,
Et nous ne devons point nous en formaliser.

Florence.

Quoy ! vouloir l’épargner alors qu’il vous offense ?

Florence.

Tu sçais qu’à tort souvent l’on blâme l’innocence.

Anselme.

Ne t’inquiete110 point, laisse agir son esprit,
1310 Je te connois à fond, et cela me suffit.

Lucrece.

Il est pourtant fâcheux de voir qu’on me soupçonne
À tort, et sans raison.

Anselme.

Va que rien ne t’étonne,
J’ay sçeu prendre le soin de te justifier.

Lucrece.

Qui me connoistroit moins, pourroit s’en défier.

Anselme.

1315 Il le faut laisser là.

Florence.

C’est bien dit, qu’il se gratte111 ;
À mal parler des gens il s’ébaudit la rate112 :
Sur sa vieille Servante il falloit le bourer113,
Et sur Monsieur son Fils chapitrer, déchirer ;
Pour se vanger de luy, c’est un champ assez vaste.

Anselme.

1320 Dis-moy, lequel des deux crois-tu le vray Geraste ?

Lucrece.

Je ne sçay. {p. 84}

Anselme.

Mais encor, dy-nous ton sentiment.

Lucrece.

Je ne puis sur aucun porter mon jugement* ;
Plus ma raison le cherche, et plus elle s’offusque.

Florence.

Pour moy, sans balancer*, je serois pour le brusque,
1325 Car la Lettre, en un mot, le peind de cette humeur* ;
Et l’autre, à mon avis, montre trop de douceur.

Anselme.

Il est vray ; mais d’abord on peut bien se contraindre,
Nous cacher ses defauts, et pour quelque temps feindre.
Le vray ne peut-il pas se déguiser un peu ?
1330 Le faux prendre un autre air pour mieux couvrir son jeu ?
Rien ne m’a tant surpris dans cette conjoncture,
Que ces Lettres qui sont d’une mesme écriture,
Et qui d’ailleurs* aussi se ressemblent en tout.

Florence.

Il faut bien de l’esprit pour en venir à bout.
1335 Mais ne seroient-ils point tous deux d’intelligence* ?
De ces Lettres, ma foy, la grande ressemblance,
Entre ces beaux Messieurs marque un jeu concerté.

Lucrece.

Ces Lettres nous font voir un soin trop affecté. 

Florence.

Aucun d’eux n’est Geraste, ou je suis fort trompée,
1340 Ce sont gens qui voudroient nous prendre à la pipée114,
Qui pour quelque dessein ont inventé ce jeu.
Non, Sbroct n’y trempe en rien, ny Monsieur son Neveu ;
Je le croy tout de bon.

Lucrece.

Je le croirois de mesme.

Florence.

Je voudrois de bon cœur qu’il en vint un troisiéme {p. 85}
1345 Qui fut le vray Geraste.

Anselme.

Ah qu’il n’en vienne plus.

Florence.

Que ces Messieurs alors se trouveroient camus115 !

Anselme.

Cela nous causeroit une nouvelle peine*.

Florence.

Plût à Dieu qu’il en vint jusques à la douzaine,
Nous nous divertirions…

Anselme.

Nous en avons assez,
1350 Nous ne sommes de deux que trop embarassez ;
Mais il faut avant peu que nostre embaras cesse.
Je veux de mes Amis solliciter l’adresse,
Pour trouver quelque jour en cette obscurité.
Je reviendray dans peu.

SCENE V. §

Lucrece, Florence.

Lucrece.

Florence, en verité,
1355 Je me trouve à ce coup assez embarassée.

Florence.

L’Amour vous fournira quelque bonne pensée,
Il doit seul aujourd’huy regler vostre destin ;
La chose est commencée, il en faut voir la fin.

Lucrece.

Vrayment, il le faut bien : mais que dira mon Pere ? {p. 86}

Florence.

1360 Hé bien, que dira-t’il ? Voyez, le grand mystere,
Pour aimer un brave Homme, et montrer quelque soin !
Si vous aviez poussé les affaires plus loin,
À ce qu’il en viendroit il faudroit se resoudre.

Lucrece.

Ah ! plutost que du Ciel je sois reduite en poudre,
1365 Que contre mon honneur rien me puisse émouvoir :
J’aime Ariste, il est vray, mais j’aime mon devoir.

Florence.

Vrayment, je le sçay bien, je n’en suis pas en doute, 
Et toûjours… Mais voyez, Philipin nous écoute.

SCENE VI. §

Philipin, Lucrece, Florence.

Philipin.

Mon Maistre est pres d’icy, qui brûle de vous voir,
1370 Et m’envoyoit exprés…

Florence.

Il en a le pouvoir,
Qu’il vienne promptement.

Philipin.

Le voilà qui s’avance.
{p. 87}

SCENE VII. §

Ariste, Lucrece, Florence, Philipin.

Lucrece.

Nous pouvons nous parler avec toute assurance,
Car mon Pere est en Ville.

Ariste.

Ah ! quel bonheur pour moy !
Souffrez* que de nouveau je vous donne ma foy,
1375 Que je vous jure encor que mon ardeur extréme…

Lucrece.

Laissons tous ces discours, vous m’aimez, je vous aime :
Il suffit, mais songeons…

Ariste.

Ah Ciel ! q’un tel aveu
Augmente ma tendresse*, et redouble mon feu* !
Permettez qu’un moment je me livre à la joye,
1380 Que sur ces belles mains mon amour se déploye,
Il luy baise la main.

Florence tirant Lucrece, et luy montrant Geraste.

Ah Madame !

SCENE VIII. {p. 88}

Geraste, Lucrece, Ariste, Florence, Philipin.

Geraste.

A Vostre aise.

Lucrece bas à Ariste.

Allez-vous-en, Adieu.
Lucrece rentre, et Ariste s’en va d’un autre costé.

SCENE IX. §

Geraste, Licaste.

Geraste.

Pourquoy si promptement s’en aller de ce lieu,
Et nous quitter ainsi ? 

Licaste.

Bon, ce trait me fait rire.

Geraste.

Licaste, qu’en dis-tu ?

Licaste.

Moy ! qu’en pourrois-je dire ?
1385 Monsieur, le Cocuage est frequent dans ces lieux,
Et qui peut s’en sauver*, est bien chery des Cieux.
Laisser baiser sa main, écouter la fleurette*,
C’est tout le procedé d’une franche Coquette*,
Qui souffre* à soûtenir un reste de vertu,
1390 Et qui veut un Mary pour le faire Cocu.
Monsieur, quittons Lucrece, et retournons à Nante {p. 89}
Épouser…

Geraste.

Je perdrois cinq mille écus de rente,
Si je ne l’épousois.

Licaste.

Si bien que les écus
Vous feront enrôler au nombre des Cocus ?
1395 Par eux, vous n’avez point horreur du Cocuage ?

Geraste.

Chacun court ce hazard dedans le Mariage ;
Païsan, grand Seigneur, Campagnard, Citoyen ;
Mais un Homme d’honneur n’y doit tremper en rien,
Il faut qu’il fasse tout, pour s’empescher de l’estre,
1400 Ou qu’il feigne du moins de ne pas le connestre.

Licaste.

Il vaut mieux toûjours l’estre avec beaucoup d’argent,
Que de l’estre à credit, et se voir indigent.
Mais parlons, s’il vous plaist, de ce diable de Frere,
Qui pretend avec vous exercer sa rapiere :
1405 Comment esperez-vous vous tirer de ses mains ?
Ce Frere, ou je me trompe, est des plus inhumains :
D’ailleurs*, il a raison, car sa Sœur Irénée
Qui par vous a souffert les trois quarts d’une année,
C’est à dire neuf mois, et … Vous m’entendez ?

Geraste.

Oüy.

Licaste.

1410 Quel secret avez-vous pour sortir d’avec luy ?

Geraste.

L’argent à de tels maux est un puissant remede.

Licaste.

Quand on a de l’argent, à bien tout nous succede.
Avec un tel metal, fussiez-vous un voleur, {p. 90}
Le crime le plus grand n’est qu’un petit malheur.
1415 On adoucit par là tout ce qu’il a d’énorme,
Et du reste, bon soir, attendez-moy sous l’Orme116.
Ayez pour Irénée un peu plus de bonté.
Où diable avez-vous mis cette moralité
Dont chez nous pour chacun vous vous servez sans cesse ?
1420 Quoy ! l’argent vous fait faire…

Geraste.

Acheve.

Licaste.

Une bassesse.
Pour moy, j’aime toûjours sa Servante Fanchon, 
Bien que je n’aye pû luy baiser le téton.
Si j’avois comme vous touché la grosse corde, 
On verroit si…

Geraste.

Mon Oncle est sans misericorde
1425 Là-dessus.

Licaste.

Il est vray ; que diable n’est-il mort ?

Geraste.

Est-ce ma Faute ? dis.

Licaste.

Ah ! non, mais il a tort, 
Car il devroit mourir pour nous tirer d’affaire ;
Lucrece, apres cela…

Geraste.

Va-t’en, voicy son Pere.

Licaste haut.

Monsieur, contez-luy tout.

Geraste.

J’y suis bien preparé.

Licaste.

1430 A force de parler, je me suis alteré ; {p. 91}
Je vay me rafraischir un peu la gargamele117.

SCENE X. §

Anselme, Geraste.

Anselme.

Qu’est-il donc arrivé ?

Geraste.

C’est une bagatelle ;
Je venois avec vous m’expliquer tout de bon,
Quand j’ay surpris icy celuy qui prend mon nom,
1435 Parlant à vostre Fille.

Anselme.

Et quel mal ?…

Geraste.

Patience118,
Il estoit avec elle en bonne intelligence* ;
Car voulant m’approcher pour sçavoir leur dessein,
J’ay veu qu’avec transport* il luy baisoit la main.
Elle, voyant qu’ainsi je l’avois rencontrée,
1440 Sans me dire aucun mot, est aussi-tost rentrée ;
Puis Monsieur l’Imposteur a pris l’autre costé.
Qu’en dites-vous ?

Anselme.

J’en veux sçavoir la verité ;
Sur un cas si malin119, il faut qu’elle s’explique.

Geraste.

A quoy bon ?

Anselme.

Pour sçavoir…

Geraste.

La chose est sans replique. {p. 92}

Anselme en appelant Lucrece

1445 Lucrece. Devant vous je la veux confronter.

Geraste.

Ne me croyez-vous pas ?

Anselme.

Il la faut écouter.

SCENE XI. §

Lucrece, Anselme, Geraste.

Anselme.

Ma Fille, à ce qu’on dit dois-je donner creance120 ?
Monsieur t’accuse icy de grande intelligence*
Avec l’autre Geraste.

Lucrece.

Ah ! Monsieur se méprend :
1450 Cette accusation121 sans doute me surprend ;
A me traitter* ainsi, je ne sçay qui le porte ;
Quelle preuve en a-t’il pour parler de la sorte ?

Geraste.

Ce que je viens de voir.

Lucrece.

Et qu’avez-vous donc veu ?

Geraste.

Vous baiser une main sans vous avoir déplû ;
1455 Ainsi…

Anselme en colère.

Quoy ! dit-il vray ?

Geraste.

Pensez-vous que j’impose* ? {p. 93}

Lucrece.

Si l’on veut m’écouter, je vay dire la chose.

Anselme.

Volontiers.

Lucrece.

Vous sortiez d’icy, voyez un peu,
Quand cet autre Geraste est venu dans ce lieu :
D’abord il m’a parlé de soûpir et de flame*
1460 M’a juré que j’estois Maistresse de son ame,
Et qu’enfin il estoit mon Mary pretendu.
Mais à tous ces discours je n’ay point répondu,
Sinon qu’au vray Geraste à qui j’estois promise,
Je conservois toûjours mon cœur et ma franchise*.
1465 Lors il m’a repliqué, Ciel, que je suis heureux !
Ce Geraste est, Madame, au comble de ses vœux.
Souffrez* qu’en ce moment il exprime sa joye,
Que sur ces belles mains son amour se déploye.
II a baisé mon gand, le grand mal que voilà !
1470 J’ay crû ne devoir point me fâcher pour cela.
À Geraste. Dites s’il n’est pas vray ? c’est ce que je demande.

Anselme.

Si la chose est ainsi, la faute n’est pas grande.

Geraste.

Non ; mais vous la croyez un peu facilement :
Ah ! Beaupere, avoüez qu’on vous trompe aisément.

Anselme.

1475 Moy ?

Geraste.

Vous : Sans regarder si l’excuse est bien vraye,
D’un le mal n’est pas si grand, le bon Homme nous paye.

Anselme.

Mais je connois ma Fille, et sa sincerité.

Geraste.

Elle connoist aussi vostre credulité ; {p. 94}
Et si je ne me trompe, elle n’est pas niaise122.

Anselme.

1480 Je ne suis pas un Homme à souffrir* la fadaise*.

Geraste.

Non ; mais vous n’estes pas de ces Peres fâcheux,
Qui ne veulent jamais qu’un Homme entre chez eux ;
Vous estes bon, humain, facile*, et debonnaire.

Anselme.

Oüy, mais…

Geraste.

Mais achevons d’éclaircir cette affaire :
1485 La Belle, répondez ; pourquoy donc me quitter ?

Lucrece.

J’ay jugé que d’abord vous alliez éclater ;
Et j’ay crû que de vous la chose estant connuë,
Il n’estoit pas raison de rester dans la Ruë ;
Que si j’entrois chez nous, vous suivriez tous deux,
1490 Et là qu’en liberté je m’expliquerois mieux ;
Que d’un tel entretien je devois rendre conte,
Et vous montrer que rien ne tournoit à ma honte*.
Voilà ce qui m’a fait rentrer si brusquement.

Anselme.

Estes-vous satisfait ? parlez-nous nettement.

Geraste.

1495 Oüy, mais ce faux Geraste a causé tout le crime.

Lucrece.

J’ay pour l’un et pour l’autre une pareille estime,
Je regarde en cela Geraste, et rien de plus.

Anselme.

Avoüez maintenant que vous estes confus,
Que ma Fille, en un mot, n’a pas peu de conduite.

Geraste. {p. 95}

1500 D’accord, laissons cela, faites qu’elle nous quitte,
Pour pouvoir en secret vous dire quatre mots.

Anselme.

Rentre, pour un moment laisse nous en repos.

SCENE XII. §

Anselme, Geraste.

Geraste.

Comme j’agis toûjours avec grande franchise*,
Ou pour, ou contre moy, jamais je ne déguise.
1505 Oüy, j’avouë entre nous avec sincerité,
Que cet Homme tantost* a dit la verité, 
Touchant sa Sœur et moy.

Anselme.

Quoy tout est veritable ?

Geraste.

Oüy, mais Sbroct sur ce poinct ne fut jamais traitable,
Et je viens vous prier de faire quelque effort
1510 Pour appaiser cet Homme, et luy parler d’accord.

Anselme.

Hé bien, quand on aura découvert qui vous estes,
Nous trouverons alors cent honnestes* défaites.

Geraste se mettant en colere.

C’est moy qui suis Geraste.

Anselme.

Eh, Monsieur, sans courroux*,
L’autre viendra peut-estre en dire autant que vous.
1515 Quand nous sçaurons au vray d’où vient la fourberie,
Nous pourrons de cet Homme appaiser la furie,
Pourveu que ce Monsieur ne soit point trop brutal.

Geraste.

L’argent pourra servir de remede à ce mal. {p. 96}

Anselme.

C’est par où nous pourrons en tirer quelque chose.
1520 C’est tout ?

Geraste.

Oüy.

Anselme s’en allant.

Serviteur*.

Geraste.

Sur vous je me repose.

Fin du Quatrième Acte.

{p. 97, E}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

Florame, Lisidan.

FLORAME

sortant d’un costé du Theatre.
Que voy-je ? Lisidan !

LISIDAN

sortant de l’autre costé.
Ah, Florame ! c’est vous ?

FLORAME

Ma foy, je suis ravy d’un rencontre* si doux :
Depuis quand arrivé ?

LISIDAN

Je descens de Carosse.

FLORAME

On diroit, à vous voir, que vous venez de Nopce,
1525 Tant vous avez le teint rougeaut, et l’œil serain 123 .

LISIDAN

Le gain d’un grand Procés ne rend jamais chagrin*.
J’en ay trouvé la fin, apres bien des menées.

FLORAME

Il a duré longtemps.

LISIDAN

Plus de quatorze années.

FLORAME

Quatorze ans ? {p. 98}

LISIDAN

Quatorze ans.

FLORAME

O Ciel ! quelle longueur !

LISIDAN

1530 Un Plaideur cependant ne doit point perdre cœur,
Bien qu’un terme si long soit souvent incommode.

FLORAME

Qu’on a bien eu raison de faire un nouveau Code 124 ,
Pour abreger le temps !

LISIDAN

Oüy, bien assurément,
Les Plaideurs sont par là tirez d’un grand tourment :
1535 Les maudits Chicaneurs* perdant leur Tramontane* 125 ,
Ne trouvent plus leur conte à suivre la chicane*.

FLORAME.

Il est vray qu’on les as reduits au petit-pié,
Ils voloient diablement.

LISIDAN

Que trop de la moitié.
Je le sçay par ma bource, et combien il m’en coute.

FLORAME

1540 Mais vous avez gagné pleinement ?

LISIDAN

Oh, sans doute,
Graces à mon bon droict, mon argent, et mon soin,
Sur tout à mes Amis.

FLORAME

C’est dont on a besoin*,
Et des Femmes aussy.

LISIDAN

Diable 126  ! c’est le Mobile {p. 99}
Il fait tout remuer, et qui rend tout facile.
1545 Peste ! une Femme aimée a de puissans appas*,
Et cause en un Procés un horrible fracas*.
Soit à droit, soit à tort, on écoute la Belle,
Et sans reflexion on fait le tout pour elle.
Enfin sur une affaire on est fort en repos,
1550 Quand la Dame prend soin d’en dire quatre mots.

FLORAME

Ainsi les Femmes font le destin des affaires.

LISIDAN

Ma foy, par ce chemin on n’en échape gueres.
Si vous voulez d’un Juge obtenir la faveur,
Gaignez celle sur tout qui regne dans son cœur ;
1555 A nous favoriser, c’est par là qu’on l’engage,
Et c’est un seur moyen de gaigner son suffrage.

FLORAME

Cela n’est pas trop bien, et s’il lisoit Pybrac 127 ,
Il sçauroit qu’en Justice on doit fuir tout micmac,
Il verroit un Quatrain qui le pourroit instruire,
1560 Comment le Juge doit, en jugeant, se conduire,
Comme il doit mépriser les presens, la faveur,
Et comme il doit en tout montrer de la candeur.

LISIDAN

Oüy, vous avez raison, mais au temps où nous sommes,
On est forcé d’agir comme les autres Hommes.

FLORAME

1565 Oh, sans doute. On vous a causé bien des tourmens,
Car vous avez plaidé dans plusieurs Parlemens ?

LISIDAN

Ma foy, jamais Procés n’a donné plus de peines*,
De Grenoble à Paris, et de Paris à Rennes :
Mais ç’en est fait.

FLORAME

Oüy, mais je vous tiens fort heureux {p. 100}
1570 D’avoir pû rencontrer* des Amis en ces lieux.

LISIDAN

J’en dois une partie aux soins d’un galant Homme
De Nante.

FLORAME

De Nante ?

LISIDAN

Oüy, de Nante.

FLORAME

Et l’on le nomme ?

LISIDAN

Sbroct.

FLORAME

Sbroct ?

LISIDAN

Oüy, pourquoy donc ?

FLORAME

Est-il de vos Amis ?

LISIDAN

Au moins, de m’en flater, je croy qu’il m’est permis,
1575 Il me l’a témoigné de toutes les manieres ;
Sa bource, sa faveur, ses Amis, ses prieres,
Ne m’ont jamais manqué quand j’en ay…

FLORAME

C’est assez.
Est-ce depuis longtemps que vous le connoissez ?

LISIDAN

Depuis cinq ou six mois, un Frere d’alliance
1580 Que j’ay dans ce Païs, m’en donna connoissance.

FLORAME

Connoissez-vous Geraste ?

LISIDAN

Oüy, c’est son Neveu. {p. 101}

FLORAME

Bon.

LISIDAN

Mais pourquoy ?

FLORAME

Sçavez-vous qu’il se marië ?

LISIDAN

Non.

FLORAME

Sçachez que ce Geraste épouse enfin ma Niéce.

LISIDAN

En quel lieu ?

FLORAME

Dans Paris.

LISIDAN

Quelle est-elle ?

FLORAME

Lucrece.

LISIDAN

1585 Je ne la connoy point ; mais est-il à Paris,
Ce Geraste ?

FLORAME

Oüy.

LISIDAN

Ma foy, vous me rendez surpris ;
S’il est vray, faites donc qu’au plutost je le voye.

FLORAME

Vrayment, je pretens bien vous donner cette joye,
Et que vous nous tiriez d’un trouble assez fâcheux,
1590 Car au lieu d’un Geraste, il s’en presente deux.
Jugez quel embarras*

LISIDAN

C’est quelque fourberie. {p. 102}
Je sçauray démesler cette supercherie,
Et je veux devant vous pousser le Fourbe à bout.
Sçachons…

FLORAME

Allons chez moy, là je vous diray tout.

LISIDAN

1595 Allons, car en ce lieu l’on est mal à son aise.

FLORAME

J’entens des gens, allons.

SCENE II. §

Ariste, Philipin

PHILIPIN

Mais qu’il ne vous déplaise ;
Monsieur…

ARISTE

A mon dessein cesse de resister.

PHILIPIN

Par vostre empressement vous allez tout gaster.
Quoy ! courir chez Lucrece ? en avoir la pensée,
1600 Sans sçavoir de quel biais la chose s’est passée,
C’est estre, à mon avis, un Homme peu sensé :
Possible en ce moment, que tout est renversé,
Ou bien que ce Geraste ayant tout dit au Pere,
Lucrece a sçeu d’abord raccommoder l’affaire,
1605 Vous devez estre instruit de cet évenement,
Ou vous passeriez là pour un franc Allemand 128 ,
Ou pour un Homme fou, qui sortant de débauche, {p. 103}
Quand on luy parle à droit, répond souvent à gauche.

ARISTE

Il est vray.

PHILIPIN

Sans doute.

Ariste.

Oüy.

PHILIPIN.

Car…

Ariste

Fort bien.

PHILIPIN

Plaist-il ?

ARISTE

Quoy ?

Philipin .

1610 Donc en vous conseillant, vous vous raillez de moy ?
Quand Geraste parlant sur la mort de son Pere,
Vous a presque tantost* obligé de vous taire,
Vous estiez pour le moins à demy confondu.
Je sçay qu’effrontément vous avez répondu,
1615 Que pour vous le hazard s’est rencontré propice :
Il n’est pas toûjours seur qu’ainsi l’on réussisse.
Laissez, laissez, morbleu*, naistre l’occasion 129 ,
Et ne vous jettez point dans la confusion.
Autrement…

ARISTE

Tu dis vray.

PHILIPIN

Quoy ! me railler encore ?
1620 Morbleu* ! je suis, Monsieur, une bonne pécore*,
De tant me fatiguer à donner des avis
Qu’on écoute si mal, qui sont si peu suivis !
A me taire à present je sçauray me contraindre. {p. 104}

ARISTE

Pourquoy ?

PHILIPIN

Pour rien.

ARISTE

Dy-moy, dequoy peux-tu te plaindre ?
1625 Je fais ce que tu veux.

PHILIPIN

Tout de bon ?

ARISTE

Tout de bon.

PHILIPIN

A vos bontez, Monsieur, je demande pardon,
Je ne le croyois pas.

ARISTE

Tu vois comme on s’abuse :
Mais va-t’en chez Lucrece, invente quelque ruse,
Pour parler à Florence, ou bien…

PHILIPIN

Je vous entens,
1630 C’est à dire, en deux mots, de prendre bien mon temps.
Mais la voicy qui vient pour vous oster de peine*.

SCENE III. §

Florence, Ariste, Philipin.

FLORENCE.

J’allois chez vous, Monsieur.

ARISTE

Quelle affaire t’y meine ?

FLORENCE.

Pour vous faire sçavoir comme tout s’est passé. {p. 105}

ARISTE

Dy-moy donc promptement.

FLORENCE.

Que vous estes pressé !
1635 Entrez, vous le pourrez apprendre de Lucrece,
Elle est seule.

ARISTE

Ma chere.

FLORENCE.

Ah ! tréve de caresse* !
Entrez.

ARISTE

Anselme…

FLORENCE.

Anselme est dans son Cabinet,
Qui dort, ou qui travaille apres quelque Sonnet.

ARISTE

Quoy donc, il fait des Vers ?

Florence.

Oüy, c’est là sa marotte*,
1640 Comme beaucoup de gens, là-dessus il radotte.
Entrez.

SCENE IV. §

Philipin, Florence.

Philipin arrestant Florence, et la caressant.

Tu m’aimes ?

FLORENCE.

Oüy.

PHILIPIN

Comment ? {p. 106}

FLORENCE.

De tout mon cœur.

PHILIPIN

Par quelque chose au moins prouve moy ton ardeur.

FLORENCE.

Par où ? dy.

PHILIPIN

Baise-moy.

FLORENCE.

Tu ris.

PHILIPIN

Point.

FLORENCE.

Dans la Ruë !
Voudrois-tu que je fisse une telle béveuë ?

Scène V. §

Anselme, Philipin, Florence.

Anselme sortant de sa Maison.

1645 Prenons l’occasion de sonder ce Valet :
Que fais-tu dans la Ruë ? as-tu quelque secret…

FLORENCE.

Non, Monsieur.

ANSELME

Rentre donc, ta Maistresse t’appelle.

FLORENCE.

J’y cours.

Anselme à Philipin qui suit Florence.

Toy, viens icy ; Dy-moy quelque nouvelle {p. 107}
De Sbroct.

Philipin à part le premier mot.

Peste ! Monsieur, il est assez gaillard* ;
1650 Sans sa goute, il seroit un jeune escarbillard*.

ANSELME

Est-il de bonne humeur* ?

PHILIPIN

Il est toûjours luy-mesme,
Hors sa goute, s’entend. Ah ! Monsieur ! qu’il vous aime !

ANSELME

Je le sçais. Est-il gras ?

PHILIPIN

Il est assez joufflu.

ANSELME

Est-il bien gros ?

PHILIPIN

Il est… comme vous l’avez veu.

ANSELME

1655 Il peut estre changé depuis vingt ans.

PHILIPIN

Sans doute ;
Mais quand on voit les gens souvent…

ANSELME

J’entens.

PHILIPIN

Sa goutte…

ANSELME

Je voudrois bien le voir !

PHILIPIN

Il en dit tout autant.

ANSELME

Avant que de mourir, je le rendray content.
Pense-t’il fort à nous ? {p. 108}

PHILIPIN

Il en parle sans cesse,
1660 On n’entend que les noms d’Anselme et de Lucrece.
Il en dit…

ANSELME

Qu’en dit-il ?

PHILIPIN

Hé, là… Vous sçavez bien.

ANSELME

Quoy ?

PHILIPIN

Vous faites, Monsieur, son unique entretien.

ANSELME

Mais encor, qu’en dit-il qui soit si remarquable ?

PHILIPIN

Il dit que vous estiez débauché comme un Diable ;
Anselme rit.
1665 Que vous faisiez des tours ensemble… Hé ? bon, j’entens,
Vous avez autresfois bien passé vostre temps !
Que vous vous portez bien ! l’agreable vieillesse !

ANSELME

Ne t’a-t’il point conté de nos traits de jeunesse ?

PHILIPIN

Cent fois il a pris soin de m’en entretenir.

ANSELME

1670 Pour moy, j’ay grand plaisir à m’en ressouvenir.
Là, conte-m’en quelqu’un.
Philipin à part le demy Vers.
Que luy feray-je croire ?
Mais il me faut, Monsieur, les remettre en memoire.

ANSELME

Va, va, je t’aideray.

Philipin à part .

Que luy dire ? {p. 109}

ANSELME

Eh ?

PHILIPIN

Monsieur,
Quand sa goutte le quitte, et qu’il est sans douleur,
1675 Il en dit… Mais aussi quand sa goutte le presse,
Cette chienne de goutte est une goutte…

ANSELME

Ah ! cesse
De parler de sa goutte.

PHILIPIN

O maudit entretien !

SCENE VI. §

Florence Anselme Philipin.

FLORENCE.

Vien parler à ton Maistre, il te demande, vien.

ANSELME

Il y va, mais acheve.

PHILIPIN

Hé, je n’y feray guere,
1680 Je reviens à l’instant. Tu me tires d’affaire, à Florence bas
Et m’obliges beaucoup.

Florence bas

Je le fais tout exprés.

SCENE VII.[110] §

Anselme seul.

Je veux questionner ces Messieurs les Valets,
Les prendre tour à tour, puis les mettre en matiere,
Et les faire jaser de la bonne maniere.

SCENE VIII. §

Florame, Lisidan, Anselme.

à Lisidan.Florame. à Anselme

1685 Voila nostre Beaufrere. On vous trouve à propos :
Pourroit-on en secret vous dire quatre mots ?

Anselme.

Je suis seul en ce lieu ; la plaisante demande !

Florame.

Hé ! ne raillez pas tant, la faute n’est pas grande ;
Nous écouterez-vous ?

Anselme.

Oüy-da, de tout mon cœur.

Florame.

1690 Nous venons en ce lieu pour vous tirer d’erreur.

Anselme.

Soyez les bien venus.

Florame.

Monsieur vient de Bretagne,
Et vous éclaircira.

Anselme.

Que le Ciel l’accompagne. {p. 111}
Connoistroit-il Geraste ?

Florame.

Oüy, fort, et Sbroct aussy.

Anselme à Lisidan.

Vous pouvez donc, Monsieur, nous tirer de soucy* :
1695 Sçavez-vous la raison de nostre inquietude130 ?

LISIDAN

Oüy, je sçay le sujet de vostre incertitude
Touchant le vray Geraste.

Anselme montrant Florame.

Il vous a donc conté…

LISIDAN

Oüy, mais je viens icy montrer la verité,
Et confondre l’autheur d’un si noir artifice.

Florame.

1700 On devroit le punir d’un rigoureux suplice.

LISIDAN

Pour Sbroct, et son Neveu…

Anselme.

Sont-ils de vos Amis ?

LISIDAN

Pour moy souventesfois ils se sont entremis ;
Ainsi je ne doy pas souffrir* qu’on les affronte131.

Anselme.

De vos soins obligeans, je leur rendray bon conte.

Florame à Anselme.

1705 Verrons-nous ces Messieurs ?

Anselme.

Oüy, l’un d’eux est chez moy,
Et l’autre… Le voicy.
Geraste paroist dans le fonds du Theatre.

LISIDAN

Mais celuy que je voy {p. 112}
Est sans doute Geraste.

Anselme.

Est-il vray ?

LISIDAN

C’est luy-mesme.
D’en douter, c’est luy faire une injustice extréme.

SCENE IX. §

Geraste, Florame, Lisidan, Anselme.

Geraste à Anselme.

Je venois vous chercher… Lisidan en ce lieu !
1710 Comment va le Procés ?     Embrassant Lisidan .

LISIDAN

Fort bien, graces à Dieu 132 .

GERASTE

J’en suis ravy ; Sçachez que…

LISIDAN

Je sçay vostre affaire,
Et je viens tout exprés débroüiller ce mystere.
Un autre, m’a-t’on dit, prend vostre mesme nom,
Je veux pousser à bout ce joly compagnon,
1715 Et luy montrer encor…

GERASTE

Je vous suis redevable
De tant de soin*.

LISIDAN

Ma foy, le trait est admirable. {p. 113}

GERASTE

Comment l’avez-vous sçeu ?

LISIDAN

Vous le sçaurez tantost*.

FLORAME

Pour le fourbe, on devroit l’étriller comme il faut.

LISIDAN

Il le merite bien, mais voyons son visage.

ANSELME

1720 Je m’en vay l’appeller. Geraste. Or sus, je gage,
Qu’avecques ses raisons il vous étonnera,
Et qu’il vous…

LISIDAN

Nous verrons comme il s’en tirera :
Faites le donc venir.

Anselme à sa porte

Geraste.

Scène X. §

Ariste, Lisidan, Anselme, Geraste, Florame, Philipin.

ARISTE

Qui m’appelle ?

ANSELME

C’est moy, pour vous apprendre une grande nouvelle.

ARISTE

1725 Quelle est-elle ?

Anselme l’amenant par le bras.

Venez. Le voicy.

Lisidan le regardant.

C’est mon Fils. {p. 114}

ANSELME

Vostre Fils ?

LISIDAN

Oüy, mon Fils.

PHILIPIN

Ah ! voicy bien le pis,
Tout est perdu.

ARISTE

Mon Pere.

Florame.

Et quoy donc ! c’est Ariste,
Et Philipin aussy.

PHILIPIN

Que le Ciel nous assiste.

LISIDAN

Pourquoy changer de nom, mon Fils, et hautement
1730 Vouloir estre Geraste, et nous faire un Roman ?
Quel dessein vous oblige à ces metamorphoses ?

ARISTE

J’aurois tort à present de déguiser les choses,
L’Amour à ce dessein a sçeu contribuer ;
J’aime, j’aime Lucrece, il le faut avoüer :
1735 Pour l’oster à Geraste, et la rendre ma Femme,
Je ferois ce que peut me suggerer ma flame* ;
J’ay, pour y réussir, employé mon pouvoir,
Mais Lucrece en un mot aime trop son devoir.
Elle veut m’épouser, mais malgré cette envie,
1740 Pour contenter son Pere, elle se sacrifie,
Contre ses sentimens elle prend un Epoux
Qu’elle ne sçauroit voir sans se mettre en courroux*.
Cependant admirez, dans ce sort qui l’accable,
Ce que j’ay pû gaigner sur cet objet* aimable*,
1745 Est d’avoir seulement, pour payer mon amour, {p. 115}
Differé son hymen* jusqu’à vostre retour.
De mon déguisement voila la seule cause.

Lisidan à Ariste.

Qu’esperer, si son Pere à tes desirs s’oppose  ?

GERASTE

Si bien, à vous oüir, que Lucrece me hait ?

ARISTE

1750 Sans doute.

GERASTE

Il luy faut peindre un Homme à son souhait,
Que trouve-t’elle donc à dire à ma figure ?

ARISTE

Vous ne luy plaisez pas.

GERASTE

C’est donc là l’encloüeure 133  ?

ARISTE

Oüy.

GERASTE

D’un mépris si grand je sçauray me vanger ;
Je la veux épouser, pour la faire enrager.

Florame à Anselme.

1755 Hé, vous ne dites rien ? quel grand soin* vous occupe ?
Avoüez maintenant que vous estes bien dupe,
Que vostre Fille enfin, trop féconde en détours,
Vous en a sçeu donner pour servir ses amours.

ANSELME

Il la faut écouter. Lucrece.
{p. 116}

SCENE XI. §

Lucrèce, Anselme, Ariste, Lisidan, Geraste, Florame, Philipin, Florence.

Lucrèce avant qu’estre sortie.

Hé bien ?

ANSELME

Ma Fille,
1760 Quel desordre aujourd’huy voy-je dans ma Famille ?
Vous aimez donc Monsieur, et pour mieux m’atraper,
Par luy, sous un faux nom, vous me laissez tromper ?
Vous m’en faites la dupe, et souffrez…

Lucrèce.

Moy ! mon Pere !

ANSELME

Oseriez-vous encor soûtenir le contraire ?

ARISTE

1765 Madame, il n’est plus temps de rien dissimuler.
Mon Pere que voila, m’a forcé de parler ;
J’ay tout dit.

ANSELME

Là, répons ; Quoy ! ton cœur en soûpire ?

Lucrèce.

J’aime Ariste, il est vray, puis qu’il faut vous le dire :
Pour ne vous point cacher les choses aujourd’ huy 134
1770 Je voudrois, de bon cœur, que je pûsse estre à luy.
Mais las ! je sçay trop bien que pour vous satisfaire,
Je doy prendre Geraste, et suis preste à le faire.
C’est à vous là-dessus à disposer de moy, {p. 117}
Et voir auquel des deux il faut donner ma foy.

GERASTE

1775 Vous me haïssez donc, Madame la Coquette*,
Je ne veux point de vous, c’est une affaire faite.

ANSELME

Quoy donc ! vous…

Geraste

En un mot, c’est un poinct resolu,
Je voy trop qu’en idée on me feroit Cocu :
Que ferois-je du corps, quand Monsieur auroit l’ame ?
1780 Je consens de bon cœur qu’il la prenne pour Femme,
Mais à condition 135 de mander, s’il vous plaist,
A mon cher Oncle Sbroct, la chose comme elle est.

FLORAME

Vostre demande est juste.

GERASTE

Au moins, il me le semble.

ARISTE

à Lisidan
Mon Pere…

LISIDAN

Je consens que le Ciel 136 vous assemble,
1785 Et donne pour cela quatre-vingt mille escus.

ARISTE à Anselme.

Monsieur…

Florame à Anselme.

Vous devez bien répondre là-dessus.

ARISTE

Accordez-moy Lucrece.

ANSELME

Allez, je vous la donne !

ARISTE

Pardonnez-nous aussi, Monsieur.

ANSELME

Je vous pardonne. {p. 118}

ARISTE

De bon cœur ?

ANSELME

De bon cœur, et je veux que demain
1790 Dans le Temple, à mes yeux, vous luy donniez la main
Estes-vous satisfait ?

ARISTE

Ah Monsieur ! quelle grace !

Lucrèce.

Souffrez*, pour un tel bien, qu’icy je vous embrasse,
Mon Pere, et qu’à vos pieds…

Anselme

la relevant.
Je ne suis point fâché,
Et m’en tiens, pour ce coup, quitte à fort bon marché.
1795 Ariste, de grand cœur, je vous reçoy pour Gendre.

ARISTE

Apres un tel aveu, je n’ay rien à pretendre.
à Lisidan
Mais quel bonheur pour moy vous fait trouver icy ?

LISIDAN

Va, tantost* là-dessus tu seras éclaircy

ANSELME

à Lisidan
Entrons chez moy. Venez.

Lisidan faisant des ceremonies.

Mais …

ANSELME

Voyant Kerlonte Entrez sans scrupule
1800 Voicy l’autre.
{p. 119}

SCENE DERNIERE. §

Kerlonte, Lisidan, Anselme, Florame, Ariste, Geraste, Philipin, Lucrèce, Florence.

Anselme.

Monsieur sans un grand preambule, 
Voila le vray Geraste, il consent de bon cœur
De retourner à Nante épouser vostre Sœur.

Kerlonte.

Si la chose est ainsi, j’ay fait quelque fortune*
Qu’avec joye entre nous je veux rendre commune.

Geraste.

1805 Il n’est rien de plus vray, je suis ce qu’on vous dit,
J’aime, j’aime Irenée, et cela seul suffit.

Kerlonte.

Messieurs, sur sa parole, oseray-je le croire ? 
Car…

Anselme.

Entrez avec nous, on vous dira l’histoire. 

Philipin tirant son Maistre.

Quoy donc ! en ce grand jour, Florence, et Philipin,
1810 Quand vous vous soûlerez, enrageront de faim ?

Florence.

En effet.

Ariste.

Je t’entens.

Anselme à Ariste.

Que dit-il ? 

Ariste.

Pour partage137, {p. 120}
Il vous demande aussi Florence en mariage138.

Anselme.

Hé bien, je la luy donne.

LISIDAN

Et moy, cinq cens escus.

Philipin.

C’est bien peu, pour me mettre au nombre des Cocus.

FIN.

Lexique §

Abréviations utilisées : §

A.fr. : Dictionnaire de l’Académie française, 1694.

Fur. : Dictionnaire universel de Furetière.

Rich. : Dictionnaire françois de Richelet.

Ailleurs
On s’en sert aussi dans des expressions qui ne regardent point le lieu, pour marquer une difference de raisons, de causes, de considérations. Cela procede d’ailleurs… Il signifie par ailleurs.
V. 553 ; 647 ; 1091 ; 1110 ; 1133 ; 1333 ; 1407
Aimable
« Qui est digne d’estre aimé » (A.fr.)
V. 1744
Amant
« Celuy, celle qui aime d’amour une personne d’un autre sexe » (A.fr.)
V. 133 ; 314 ; 409 ; 510 ; 725 + Titre +Au Lecteu
Amitié
« Affection qu’on a pour quelqu’un »
V. 53 + Lettre de Sbroc
« On le dit encore en matière d’amour » (Fur.)
Appas
« Se dit particulierement en Poësie, & signifie charmes, attraits, agrément, ce qui plaist. […] Il se dit encore plus particulierement en parlant des attraits & de la beauté des femmes. » (Fur.)
V. 1545
Arrester
« Empêcher d’avancer, d’aller plus loin »
« Retenir » (Rich.)
V. 665
Art
« La regle & la methode de bien faire un ouvrage » (A.fr.)
V. 551
Aise (etre bien)
Se réjouir. (A.fr.)
V. 1381
Aveu
« Reconnaissance verbale ou par écrit, d’avoir fait ou dit quelque chose. »
« Il signifie aussi l’approbation, le consentement, l’agrément qu’une personne supérieure donne à ce qu’un inférieur a fait ou a dessein de faire. » (A. Fr.)
V. 390
Avecque
Doublet poétique de avec. Cette forme est « bonne » selon Vaugelas (Remarques sur la Langue française, 1647), « commode aux poètes », et même aux prosateurs qui ont « quelque soin de satisfaire l’oreille ». Elle s’emploie jusqu’à la fin du siècle.
Caresse
« Témoignage extérieur d’amitié, d’amour ou de bienveillance » (Rich.)
V. 1636
Balancer
Hésiter. (A. fr.)
V. 1324
Besoin
« Indigence, necessité, manque de quelque chose dont on a affaire. » (A.fr.)
V. 182 ; lettre de Sbroct ; 756 ; 915 ;1160 ; 1229 ; 1542
Bile
« L’une des quatre humeurs du corps humain. Bile jaune. Bile noire. »
« Il signifie au sens figuré la colère. » (A.fr.)
V.196 ; 1279
Billet
« Petite lettre missive. Billet doux. Billet galant. » (A.fr.)
V. 2 ; 5 ; 354
Blondin
« On appelle blondins les jeunes galants qui font les beaux, parce qu’ils portent d’ordinaire les perruques blondes » (A.fr.)
V. 322
Cajoler
Employer des paroles caressantes pour plaire à quelqu’un. Furetière précise qu’il se dit en particulier « à l’égard des femmes et des filles, auxquelles on fait l’amour (c’est-à-dire, que l’on courtise), et dont on tâche de surprendre les faveurs à force de leur dire des douceurs et des flatteries ».
V. 512
Campagnard
« Celuy qui vit noblement à la campagne, qui n’a point hanté la Cour, ni le beau monde des villes » (Fur.).
V. 745 ; 748
Censeur
« Celuy qui reprend ou qui controlle les actions d’autruy. Sans epithete il se prend en mauvaise part. C’est un censeur pour dire, C’est un homme qui trouve à redire à tout. Avec epithete, il se prend tantost en bonne part, tantost en mauvaise. »
Chagrin
« Inquiétude, ennuy, melancolie » (Fur.)
V. 14 ; 1290
« Mauvaise humeur. » (Fur.)
V. 314
(Se) Chagriner
« Attrister, rendre chagrin » (Fur.)
227 ; 306 ; 514 ; 731
Charme
« Puissance magique par laquelle avec l’aide du Demon les Sorciers font des choses merveilleuses, au-dessus des forces, ou contre l’ordre de la nature »
« Ce dit figurément de ce qui nous plaist extraordinairement, qui nous ravit en admiration » (Fur.)
V. 334
Charmer
« Faire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du démon »
« Dire ou faire quelque chose de merveilleux, de surprenant, plaire extraordinairement ». (Fur.). Richelet le donne comme synonyme de ravir.
V. 71
Chef
« Teste. Il ne se dit que de l’homme, & il n’a guère d’usage qu’ en poësie. » (A.fr.)
V. 162
Chicane
« Subtilité captieuse en matière de procès. On appelle Gens de chicanes, les petites gens de pratique, comme Sergents, Procureurs, Juges de village. Il se prend aussi au sens figuré pour dire les contestations mal fondées que l’on fait, soit dans le jeu, soit en autre chose. » (A.fr.)
V. 1536
Compliment
« Civilité, ou honnesteté qu’on fait à autruy, soit en paroles, soit en actions » (Fur.)
V. 206
Coquet, coquette
« Qui fait le galant, qui affecte de donner de l’amour. » (A. Fr.)
V. 323 ; 1388 ; 1775
Courir
« Hanter ; fréquenter en certains lieux, se plaire à y aller souvent » Cette définition s’applique également aux êtres humains (« On court un prédicateur. Cet homme est si agréable, que toutes les Dames le courent. » (Fur.)
V. 1180
Courroux
« Colere. Son plus grand usage est dans le genre sublime & dans la poësie. » (A.fr.)
V. 305 ; 434 ; 830 ; 1266 ; 1513 ; 1742
Dauber
« Battre à coups de poing. »
« Il signifie aussi railler, parler mal de quelqu’un. » (A.fr.)
V. 80
Drôle
« Bon compagnon, homme de débauche prest à tout faire, plaisant et gaillard » (Fur.)
V. 647
Echarper
« Mettre en pièce, tailler, déchirer » (Fur.)
V. 28
Embarras
« Encombrement, ensemble d’obstacles inextricables » (C.)
V. 518 ; 561 ; 729 ; 758 ; 1591
Encolure
« Toute cette partie du cheval qui s’estend depuis la teste jusqu’ aux espaules & au poitrail »
« On dit figurément, d’un homme qui a la mine d’un sot, d’un brutal qu’il a l’encolure d’un sot, d’un brutal. Terme qui ne se dit qu’en mauvaise part. » (A.fr.)
V. 371
Ennuy
« Lassitude d’esprit, fascherie, chagrin, deplaisir, souci » (A.fr.)
V. 449 ; 733
Entreprendre
« Entreprendre quelqu’ un, pour dire, Le poursuivre, le persécuter, le pousser, le railler »
V. 1287
Escarbillard
« Eveillé, gai, de bonne humeur » (A.fr.)
V. 114 ; 1650
Extravagance
« Bizarrerie, folie » (A. Fr.)
V. 164 ; 420 ; 587 ; 703
Facheux
« Un importun, un homme odieux et qui déplaît » (Fur.)
V. 745 ; 1297
Facile
« Commode pour le commerce ordinaire de la vie. C’est un homme facile, d’une humeur traittable et facile »
V. 1483
« Facile se dit aussi en mauvaise part, d’une personne qui n’est pas ferme aux choses où il le faut estre ; mais qui se laisse aller trop aisément. Il est si facile, qu’on luy fait faire tout ce qu’on veut. »
V. 1176 ; 1280
Fadaise
« Niaiserie, ineptie, bagatelle, Chose inutile & frivole. » (A.fr.)
V. 1480
Fantaisie
« Mot qui signifie aussi humeur, envie, volonté, désir » (A.fr.)
V. 1268
Fantasque
« Capricieux, sujet à des fantaisies, à des caprices. »
« Il signifie aussi, bizarre, extraordinaire dans son genre. » (A.fr.)
V.81; 611; 744
Fat
Sot, impertinent (A.fr.)
V . 213 ; 218
Feu
« Se dit poétiquement pour signifier la passion de l’amour »
V. 262 ; 446 ; 1378
« Il se dit fig. de l’ardeur, et de la violence des passions et des mouvements impétueux de l’âme »
V. 81
« Défunt. Il ne se dit ordinairement que De ceux qui sont morts, il n’y a pas longtemps. » (A.fr.)
V. 143
Flamme
« La partie la plus lumineuse, & la plus subtile du feu ; celle qui s’élève au-dessus de la matière qui brûle. »
« La passion de l’amour. » (A.fr.)
V. 515 ; 1459 ; 1736
Fleurette
« Ne se dit qu’au figuré de certains petits ornements du langage, et des termes doucereux dont on se sert ordinairement pour cajeoller les femmes » (Fur.)
V. 324 ; 1387
Fortune
Destin, sort. (A.fr.)
V. 352 ; 495 ; 528 ; 1168 ; 1803
Fracas
« Rupture, ou fracture avec bruit et violence. On dit aussi qu’un homme fait un grand fracas dans le monde pour dire qu’il y paroist avec beaucoup d’esclat. » (Fur.)
V. 1546
Franchise
« Sincérité tant en paroles qu’en actions »
V. 155 ; lettre de Sbroct ; 667 ; 695 ;1464 ;1503
Frenaisie
« Aliénation à manifestation délirante et violente, provoquée par certaines affections cérébrales à caractère aigu. »
« Egarement durable ou non, de cause variable » (Fur.)
V. 31
Fureur
« Rage, Manie, Frenesie »
« Il se dit aussi d’un violent transport de colere. » (A.fr.)
V. 28 ; 428 ; 1267
Gaule
« Grande perche. Abbattre des noix, des pommes avec la gaule » (A.fr.)
V. 404
Gaillard
« Gay, joyeux. Il signifie aussi quelque fois sain et délibéré. Il se prend quelque fois en mauvaise part, pour dire, un peu fol. Il signifie aussi demy-yvre, entre deux vins. » (Fur.)
V. 1649
Gesne
« Fatigue, peine, travail » (Rich.)
V. 282, 295 ; 607
Gloire
« Honneur. »
« Réputation qui procède du merite d’une personne, de l’excellence de ses actions ou de ses ouvrages. » (A.fr.)
V. 331
Grimace
« Contorsion du visage qui se fait souvent par affectation, feinte, hypocrisie. » (Fur.)
V. 22 ; 131
Hazarder
« Risquer, exposer à la fortune, exposer au peril. » (A.fr.)
V. 854 ; 980
Hymen, ou Hymenée.
« Mariage. Il n’a d’usage qu’en Poësie. » (A.fr.)
V. 56 ; 256 ; 421 ; 462 ; 742 ; 759 ; 1113; 1746
Honneste
« Ce qui merite de l’estime, de la loüange, à cause qu’il est raisonnable, selon les bonnes mœurs. Il ne faut hanter que d’honnestes gens » (Fur.)
V. 360 ; 1240 ; 1512
Honte
Peut être synonyme de pudeur. « Passion qui excite du trouble dans l’ame par le danger de souffrir quelque confusion, quelque mépris des hommes […]. La pudeur est une espèce de honte qui est loüable » (Fur.)
V. 1095 ; 1492
Humeur
« Substance fluide de quelque corps que ce soit […] Les quatre principales humeurs du corps sont Le sang, la pituite, la bile, la mélancolie. » (A.fr.)
Au Lecteur ; V. 113 ; 265 ; 267 ; 389 ; 507 ; 681 ; 774 ; 775 ; 1043 ; 1271 ; 1299 ; 1325 ; 1326 ; 1651
Imposture
« Tromperie, mensonge, calomnie » (Fur.) ; « Hypocrisie, déguisement dans ses mœurs, dans sa conduite » (A.fr.)
V. 995
Imposer
« Accuser faussement, imputer à tort. Tromper, abuser, surprendre quelqu’un, en faire accroire à quelqu’un. » (A.fr.)
V. 1455
Intelligence
« Faculté intellective, capacité d’entendre, de comprendre »
« Connaissance, compréhension »
« Correspondance, communication entre des personnes qui s’entendent l’une avec l’autre » (A.fr.)
V. 1335 ; 1436 ; 1448
S’inquieter
« Chagriner l’esprit, luy donner de la peine » (F.), ôter le repos.
V. 78
Intrigue
« Commerce secret de galanterie » (L.)
V. 372 ; 526
Jarnie
« Juron : abréviation de jarnidieu qui signifie je renie Dieu. Voire également Harnidieu.
V. 1067
Jugement
« Puissance de l’ame qui connoist, qui discerne le bon d’avec le mauvais, le vray d’avec le faux » (Fur.)
V. 1102 ; 1322
Lame
« On appelle proverbialement et populairement une personne, une femme fine et rusée. » (A.fr.)
V. 544
Libertin
« Qui ne veut pas s’assujettir aux loix, aux regles du bien vivre, à la discipline d’un Monastere. » (Fur.)
V. 1260
Larron
« Celuy qui derobe, qui prend furtivement quelque chose »
On utilise aussi proverbialement le terme pour parler « de personnes qui sont d’intelligence pour faire des friponneries ». (A.fr)
V. 1002
Marotte
« L’objet de quelque volonté ou affection desreglée. » (A.fr.)
V. 1639
Mascarade
« Divertissement, danse, momerie de gens qui sont en masque. » (A.fr.)
V. 1180
Meschant, ante
« Mauvais, qui est dépourveu de bonnes qualitez, qui ne mérite aucune estime » (Fur.)
V. 908 ; 1289
Mignon, ne
« Terme de flatterie dont on se sert en parlant à un enfant » (A.Fr.)
V. 45
Mitonner
« Caresser, choyer une personne, la traiter favorablement, pour gagner ou pour conserver ses bonnes graces » (F.)
V. 380
Morbleu
« Juron exprimant une colère mêlée d’impatience et d’indignation. Euphémisme du juron par la mort de Dieu. » (A.fr.)
V. 294 ; 506 ; 564 ; 1001 ; 1055 ; 1062 ; 1617 ; 1620
Murmurer
« Faire du bruit en se plaignant sourdement sans esclater.
Il se dit aussi du bruit sourd qui court de quelque affaire, de quelque nouvelle. 
V. 1248
Il se dit aussi des eaux et des vents. » (A.fr.)
V. 22 ; 412 ; 1237
Occire
« Tuer » (A.fr.)
V. 28
Objet
« La personne qu’on aime » (A.fr.)
V. 702 ; 1744
Parbleu
« Interjection. Sorte de juron, qui est une altération de Par Dieu, admis dans la conversation et devenu d’usage courant. »
V. 34 ; 126 ; 1132
Pécore
« Terme injurieux qui signifie une personne stupide. » (A.fr)
V. 1620
Peine
« Châtiment »
« Douleur, tourment »
V. 179 ; 596 ; 915 ; 976 ; 1120 ; 1347 ; 1567 : 1631
« Soin, inquiétude d’esprit » (Fur.)
V. 96
Se piquer
« Se fâcher, se mettre en colére »
« C’est faire profession d’exceller en une chose, de savoir une chose en galant homme » (Rich.)
V. 111 ; 139
Poste
« Chevaux, ou autres voitures establies de distance en distance pour faire diligemment des courses, des voyages. » (A.fr.)
V. 957
Raisonner
« Exercer son entendement, sa faculté raisonnable »
V. 492
« Examiner, discuter une affaire, une question »
V. 1286 ; 498
« Faire des difficultez, des objections, des repliques pour se dispenser d’obeïr » (Fur.)
Rencontre
« Hazard, avanture, par laquelle on trouve fortuitement une personne, ou une chose »
« Occasion ». (A.fr.)
V. 1570
Resver
« Signifie aussi, Mediter ; appliquer serieusement son esprit à raisonner sur quelque chose, à trouver quelque moyen, quelque invention » (Fur.)
V. 313 ; 762
Rompre envisiere
« Prendre violemment à partie quelqu’un ou quelque chose »
V. 76
Sauver
« Rendre sain & sauf »
« Corriger ; excuser, conserver. En Musique on sauve une dissonance par une consonnance qui suit » (Fur.)
V. 1386
Sexe
« Quand on dit, Le beau sexe, ou absolument, Le sexe, on entend tousjours parler des femmes » (A.fr.)
V. 539
Seing
« Le nom de quelqu’un escrit par luy-mesme au bas d’une lettre, d’une cedule, ou d’un contract, ou autre acte pour le confirmer et rendre valable. » (A.fr.)
V. 480
Serviteur
« Terme de compliment dont on se sert dans le discours ordinaire, & dans la souscription des lettres. »
V. 1520 ; 1034
« On dit par ironie à quelqu’ un, qu’on est son serviteur, pour dire, qu’on se mocque de luy, qu’on ne se soucie point de luy. Il pretend que je luy dois faire des excuses, je suis son serviteur. On le dit simplement aussi, pour faire entendre qu’une proposition ne plaist ou ne convient pas. Il veut m’engager d’aller pour huit jours à la campagne avec luy, je suis son serviteur. (A.fr.)
V. 1270
Soin
« Souci, […] inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l’ame » (Rich.)
V. 612 ;1361
Soucy
« Sollicitude, soin accompagné d’inquietude » (A.fr.)
V. 93 ; 298 ; 478 ; 606 ; 794 ; 834 ; 905 ; 962 ; 1086 ; 1270 ; 1694
Souffrir
« Endurer »
V. 179 ; 270 ; 410 ; 1264 ; 1374 ; 1389 ; 1467
« Souffrir, signifie encore, Tolérer, n’empêcher pas, quoy qu’on le puisse »
V. 192 ; 587 ; 655 ; 956 ; 1039 ; 1040 ; 1042 ; 1044 ; 1157 ; 1480
« Souffrir, veut dire aussi, Permettre. » (A.fr.)
V. 95 ; 935 ; 1703 ; 1792
Soutenir
« Défendre par raison une opinion, une doctrine » (A.fr.)
V. 970
Suborneur
« Qui suborne, qui détourne quelqu’un de son devoir » (A.fr.)
V. 1093 ; 925
Surprendre
« Prendre quelqu’un sur le fait »
« Etonner » (A.fr.)
V. 352
Tantost
« Dans peu de temps ; & ce temps ne s’étend pas ordinairement au-delà de la journée » (A.fr.)
Tendresse
« Sensibilité du cœur et de l’âme » (Fur.)
V. 67
Tenir (en)
« On se sert aussi du mot de Tenir, En parlant des maladies de corps & d’esprit, & des differentes passions de l’ame dont on est possedé & saisi » (A.fr.) En ce sens, en tenir pour quelqu’un signifie « être amoureux »
V. 1071
Traitter
« Faire un commerce, negocier, convenir de certaines conditions »
« Agir, vivre avec certaines manieres proportionnées à la condition, ou à l’humeur des gens »
« Nourrir, donner à manger, soit à l’ordinaire, soit en ceremonie » (Fur.)
V. 1451
Tramontane
« On dit au sens figuré qu’Un homme a perdu la tramontane, pour dire, qu’Il ne sçait plus ce qu’il fait, ce qu’il dit. » (A.fr.)
V. 1535
Transport
« Ravissement, extase »
V. 409
« Symptôme causé par des vapeurs malignes qui s’élèvent au cerveau. […] transport au cerveau. » (A.fr.)
V. 29
Tourmens
« Supplice » (A.fr.)
V. 410

BIBLIOGRAPHIE §

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http ://www.cellf.paris-sorbonne.fr/programme-scientifique/obvil-observatoire-de-la-vie-litteraire