Josaphat
Tragi-comédie

De Mr Lagnon

A PARIS,
Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE, au Palais,
dans la Salle des Merciers, à l’Escu de France.
M. DC. XLVII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY

Édition critique établie par Laure MARIN-PACHE
dans le cadre d'un mémoire de master 1
sous la direction de Georges Forestier 2015-2016

Introduction §

En 1647 est publiée par Antoine de Sommaville, Josaphat, la première tragi-comédie de Jean Magnon, dramaturge et ami de Molière qui montera par la suite certaines de ses créations. Néanmoins, le peu d’informations disponibles sur d’éventuelles représentations de la pièce laisse entendre qu’elle ne connut pas un réel succès, il en fut de même quant à sa postérité. Josaphat s’inscrit dans ce bref courant théâtral de 1635 à 1650, période durant laquelle sont écrites de nombreuses pièces à sujet religieux. Néanmoins l’oeuvre a la particularité de l’Orientalisme, car le personnage éponyme est un prince indien dont la légende est peu connue en France, et la spécificité d’être une tragi-comédie, ce qui ne fut pas le cas de nombreuses pièces religieuses. Mais malgré cela, sa diffusion resta confidentielle et confinée à cette brève mais foisonnante production de pièces à motif religieux de la première moitié du XVIIe siècle.

Biographie de l’auteur §

Poète et historiographe du roi, Jean Magnon naquit à Tournus, dans le Mâconnais, et fut baptisé le 10 janvier 1620 d’après les registres de la Paroisse de la Madeleine de Tournus.

Il étudiera dans un premier temps au Collège de La Trinité à Lyon, une école Jésuite dont l’éducation influencera en partie son œuvre. Il devient ensuite avocat au présidial de la ville avant de partir à Paris pour se consacrer à l’écriture. Il publie très tôt après son arrivée sa première tragédie en 1645 : Artaxerce. La pièce est jouée par la troupe de L’Illustre Théâtre nouvellement formée, et selon Joseph Boulmier, Magnon aurait également eu un rôle dans cette pièce. C’est ainsi que le dramaturge se lie d’amitié avec Molière qui avec sa troupe montera plusieurs de ses pièces. En 1647 il publie Josaphat, sa première tragi-comédie. L’épître de cette pièce a suscité de nombreux débats parmi les historiens. En effet, Magnon y déclare :

Cette protection et ce secours, Monseigneur, que vous avez donné à la plus malheureuse et à l’une des plus méritantes Comediennes de France n’est pas la moindre action de votre vie.

Chardon, Michaut1 et Lancaster tenteront tous de résoudre le mystère entourant l’identité de cette mystérieuse comédienne. Tous semblent considérer qu’il s’agit de Madeleine Béjart.

Selon René Bray dans son ouvrage Molière, homme de théâtre, la pièce aurait été jouée par la troupe du Duc d’Epernon à qui la pièce était dédiée. Mais aucune information ne permet de démontrer que cette hypothèse est vraie. Seule certitude : Josaphat a été représentée au Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, comme en témoigne Le Mémoire de Mahelot.

En 1647, Magnon écrit également une tragédie, Séjanus, jouée par la troupe de l’Illustre Théâtre, puis l’année suivante il publiera une tragi-comédie : Le Mariage d’Oroondate et de statira et une tragédie Le Grand Tamerlan et Bajazet.

En 1656, il publie Jeanne Première, Reine de Naples, une tragédie. Cette même année, il épouse, le 18 août, Marie-Anne Poulain, alors âgée de 18 ans. Le couple se partagera entre un appartement parisien rue Berthin-Poirier et une maison de campagne à Farges dans le Mâconnais, où Magnon aimait vraisemblablement écrire.

Dans les années qui suivent, il publie en effet une autre pièce, sa dernière : Zénobie, Reine de Palmyre, en 1659 qui fut représentée le 10, 11 et 14 décembre de cette même année au théâtre du Petit Bourbon, par la troupe de l’Illustre Théâtre.

Si Magnon a écrit de nombreuses pièces, il est surtout connu pour le projet qu’il entama par la suite, un ouvrage intitulé Science Universelle2, un projet titanesque d’Encyclopédie qui selon les projets de son auteur, devait se composer de 10 volumes de 20 000 vers chacun.

On y retrouve dans l’exemplaire, l’importance accordée par l’auteur à Dieu, ainsi qu’il le déclare lui-même dans la première page de l’ouvrage :

Qu’on sache mon dessein : toute chose est mon thème ;
Je commence par Dieu ; je finirai de même :

Mais alors que le premier volume de la Science Universelle était sous presse, l’auteur fut assassiné à Paris, sur le Pont-Neuf, alors qu’il rentrait d’un dîner. La date de cet événement est incertaine, Boulmier déclare dans son article que le meurtre aurait eu lieu entre le 18 et le 20 avril 1662. C’est Marie-Anne Poulain, la femme de Magnon, et son amant M. de Sertoville qui furent alors suspectés. Selon Gabriel Jeanton, le couple connaissait de multiples brouilles jusqu’à ce qu’un soir Mme Magnon s’enfuie de chez elle pour se retirer au Couvent des Dames Hospitalières du faubourg Saint-Martin d’où elle sortit quinze jours avant l’assassinat de son mari. C’est un événement qui fit grand bruit dans la capitale, en témoigne cette lettre de Corneille datée du 25 avril 1662 et adressée à l’Abbé de Pure et qui s’achève ainsi :

J’appris hier que le pauvre Magnon est mort de ses blessures. Je le plains

Ainsi, ce fait divers apparaît plus comme plus marquant pour la postérité que l’œuvre même de l’auteur. En effet, Magnon fut beaucoup critiqué, notamment par Boileau qui déclare à son propos dans son Art Poétique :

On ne lit guère plus Rampalle et Ménardière
Que Magnon, du Souhait, Corbin et la Morlière.

L’arrière petit-fils même de l’auteur, François-Phillibert Magnon, déclare lui-même à son propos qu’il « produisit dans effort des tragédies sans verve et des comédies sans gaieté. »

Résumé de la pièce §

Acte I §

La pièce s’ouvre sur un échange entre le guerrier Arache et la Princesse Amalazie. Cette dernière a été faite prisonnière après qu’Arache ait tué son père et conquis son Royaume. Mais les deux personnages s’aiment, et tandis qu’Amalazie lutte contre ces sentiments indignes de la situation (scène I), Arache lui, tente de convaincre la princesse de parler au jeune Prince qui vient d’arriver en ville pour qu’il plaide sa cause auprès du Roi, et la fasse libérer (scène I). La princesse accepte alors de rencontrer le jeune Josaphat. Le Prince tombe immédiatement sous le charme d’Amalazie et touché par la jeune femme dont il connaît la situation, promet, avec le soutien d’Arache, de plaider sa cause auprès du roi (scène III). Lorsqu’Amalazie prend congé des deux hommes Josaphat se confie au jeune guerrier, regrettant de n’avoir pas connu Narsingue, la plus belle ville puisqu’elle est celle où réside Amalazie. Il interroge ensuite Arache pour savoir ce qui a conduit son père à l’exiler depuis sa naissance, lui qui a grandi dans le faste mais loin de tout. Ce confident lui répond que c’est une ancienne tradition qui veut que les princes soient élevés à l’écart lors de leur instruction. Puis Josaphat se confie sur les doutes qu’il a sur l’existence des Dieux, ce à quoi Arache répond en citant le mythe de la répartition du monde par Jupiter. Le guerrier s’interroge alors sur de telles questions et s’inquiète d’une loi que Josaphat aurait peut-être découverte (scène 4). Arrive alors le roi Abenner qui vient accueillir son fils à Narsingue, la ville où se déroule la pièce, en Inde. Le prince demande alors au roi de rendre ses états à Amalazie, soutenu par Arache qui prend le relais, suppliant le roi au nom de ses victoires passées. Le roi accepte la requête et demande en contrepartie à Josaphat d’épouser la princesse, précisant qu’il la conservait prisonnière en vue de ce mariage. Le prince se réjouit à cette nouvelle, tandis qu’Arache se trouble, alors que c’est à lui qu’incombe la tâche d’aller annoncer la nouvelle à Amalazie (scène 5).

Acte II §

L’acte II s’ouvre sur Josaphat du refus que lui a opposé Amalazie concernant le mariage (scène 1). Un garde lui annonce alors l’arrivée d’un joailler que Josaphat accepte de rencontrer (scène 2). Celui-ci se nomme Barlaam et va tenir au jeune prince un discours très poétique portant sur la nature, sur la manière dont celle-ci parvient à concevoir la perle. Josaphat lui demande alors le coût de ses diamants. Barlaam lui répond qu’il ne souhaite pas exposer ses richesses devant les suivants du Prince. Ce dernier demande alors à tout le monde de quitter les lieux (scène 3). Une fois seuls, Barlaam se découvre et révèle à Josaphat que cette perle représente en réalité la religion et la foi chrétienne. Ce faux joailler commence alors à lui parler de Dieu, de la manière dont il a conçu le monde, puis l’Homme. Comment celui-ci s’est retourné contre son créateur et fut sanctionné pour cela lors de l’épisode du déluge. Puis après avoir précisé que les hommes ont recommencé à pécher après cet événement, Barlaam parle de Jésus Christ, le fils de Dieu humanisé qui fut condamné à mort puis fut ressuscité, événement dont le récit se répandit dans le monde entier sauf dans le royaume d’Abenner. En écoutant Barlaam, Josaphat a le sentiment d’obtenir les réponses aux interrogations qu’il avait. Barlaam se présente alors par son vrai nom au Prince et lui révèle qu’il servait autrefois son père mais dû partir en exil car il était chrétien, comme toute la communauté. Il lui avoue ensuite qu’Abenner a fait venir des astrologues pour lui révéler l’avenir de son fils et que ces derniers lui ont annoncé qu’il serait chrétien. C’est pour cette raison que Josaphat fut exilé dès sa naissance, loin de Narsingue et ne fut rappelé au palais que récemment, Abenner pensant cette malédiction levée. Mais Josaphat comprend à la fin de cette entrevue avec Barlaam qu’il est chrétien. Ce dernier prend congé, et le prince lui annonce qu’il compte le rejoindre, là où il se cache avec d’autres croyants. (scène 4) On assiste ensuite à un monologue dans lequel Josaphat s’adresse directement à Dieu, pour la première fois, et lui témoigne sa foi (scène 5).

Il est rejoint par Abenner qui se réjouit du mariage qui se prépare. Alors que le roi lui parle de bijoux, Josaphat lui révèle qu’il a découvert une perle singulière et merveilleuse. Abenner curieux souhaite en savoir plus sur ce diamant mais le prince lui avoue qu’il faut être chrétien pour pouvoir le voir, avant de se dévoiler comme tel auprès de son père et de lui parler de sa rencontre avec Barlaam. Le roi furieux demande à Josaphat de sortir (scène 6). S’ensuit alors un monologue où Abenner furieux s’en prend à Barlaam et à la fatalité qui lui avait prédit cet événement (scène VII). Arrive alors Amalazie qui vient lui annoncer qu’elle n’a pas l’intention d’épouser Josaphat, en hommage à son père. Mais Barlaam lui annonce que le prince est chrétien et qu’il a l’intention de le tuer. Arache lui suggère alors à la place d’user d’un stratagème qui consisterait à substituer le courtisan Nacor à Barlaam car ceux-ci présentent une troublante ressemblance physique. L’amant d’Amalazie propose que l’on présente Nacor à Josaphat en prétendant que Barlaam a été capturé. Le but étant qu’au cours d’une discussion à laquelle assisterait le Prince, Nacor renonce à sa foi prétendue pour convaincre Josaphat de faire de même. Le roi accepte. (scène VIII)

Acte III §

Le troisième acte s’ouvre sur une discussion dans laquelle Abenner donne ses indications à son courtisan Nacor et sur la manière dont il doit prétendre être chrétien (scène I). Arrive ensuite Josaphat, accompagné notamment par Arache et Amalazie. Josaphat tombe dans le piège tendu par son père et croit Barlaam capturé. Nacor commence alors à faire l’apologie du christianisme, louant sa foi et son dieu, trouvant réponse à chaque question posée par Abenner. Il tente ensuite de convertir Amalazie et Arache, ce qui amène Abenner à s’interroger sur l’identité de la personne face à lui. Nacor se dévoile alors comme chrétien et confirme être bien Nacor. Abenner le condamne alors à mort (scène II). Josaphat demande exprime alors au roi son désir de mourir à son tour. Il met ensuite en garde son père contre la colère divine (scène III). Abenner se tourne alors vers Amalazie et lui demande, sous la menace, de convaincre son fils de renoncer à cette lubie chrétienne, convaincu que seule la princesse pourra le faire renoncer à sa foi (scène IV). Amalazie furieuse après le roi, et par extension après Josaphat, refuse d’aller parler au prince, mais se laisse finalement convaincre par Arache, ému par la situation vécue par le jeune homme (scène V).

Acte IV §

L’acte s’ouvre sur un monologue de Josaphat, partagé entre sa foi et l’amour qu’il ressent pour Amalazie, alors même que cette dernière refuse de l’épouser (acte I). Il est alors rejoint à sa grande surprise par la princesse. Josaphat tente alors de la convertir, car sa beauté est un hommage, un exemple des merveilles réalisées par Dieu. Amalazie quant à elle tente de le convaincre de renoncer au christianisme. Finalement, la princesse se rend et se convertit à son tour. Josaphat tente alors de la séduire à nouveau, mais c’est alors qu’elle lui révèle qu’elle est déjà éprise de quelqu’un d’autre. Josaphat veut alors connaître le nom de l’amant mais Amalazie refuse (scène II). Ils sont soudain rejoints par Arache qui a assisté à l’exécution de Nacor et qui s’en trouve bouleversé. Josaphat exprime alors son envie face à au destin du martyre, lui qui ne connaît pas même le nom de l’amant de la princesse. Il demande alors de l’aide à Arache pour retrouver cet homme. Arache prétend alors connaître cet amant, et parle en son nom pour tenter de le défendre. Josaphat comprend alors que son compagnon est celui dont lui a parlé Amalazie. Mais Arache déclare alors ne plus vouloir être avec Amalazie car il est devenu chrétien. Celle-ci lui révèle alors s’être également convertie.

Fort de cette découverte, Josaphat souhaite tout révéler à son père, et se faire condamner. Mais Arache refuse, notamment pour préserver la princesse (scène III). Mais lorsque les trois personnages rejoignent Abenner ils découvrent que Barlaam a été fait prisonnier. L’ermite veut mourir et enjoint Josaphat à le suivre. Le Prince demande alors son martyre. Abenner demande alors à Amalazie de condamner son fils (scène IV).

Acte V §

Au début de l’acte V, Abenner tente une négociation avec Barlaam et essaye de le convaincre de faire renoncer Josaphat à sa foi, lui promettant un espace où les chrétiens pourraient honorer leur dieu librement. Barlaam rétorque que la religion chrétienne ne connaît pas de milieu et refuse l’idée que Josaphat et les autres chrétiens exercent leur foi en secret, tout en honorant les autres dieux sans conviction profonde. Face à ce refus, l’ermite est remis en prison (scène I). Abenner se retrouve alors seul et s’adresse à ses Dieux, s’interrogeant sur leur manque de réaction face aux comportements des chrétiens, eux qui auraient les moyens de les faire taire et de prouver leur existence (scène II). Arrivent alors Arache et Amalazie qui annoncent au roi que son fils a été condamné. Abenner se trouble alors, hésitant à demander la mort de son fils. Et lorsqu’il se résout finalement à condamner son fils, la princesse et son amant lui confient que le prince est déjà mort. Le roi entre alors dans une rage folle et accuse Arache et Amalazie d’avoir écouté le roi qu’il était et non le père, qui lui voulait sauver son fils. Il renie également ses dieux et déclare vouloir devenir chrétien. Les deux amants lui révèlent alors que tout ceci n’était qu’un stratagème et que Josaphat n’est pas mort. Abenner peine à les croire puis voit son fils (scène III). Mais le Prince ne revient que pour demander sa mort. Le roi le supplie de renoncer à sa foi et d’épargner sa vie. Devant les refus de Josaphat, il incline vers une condamnation. Amalazie décide alors de se découvrir en tant que chrétienne, ce qui provoque une révélation chez Abenner qui semble entendre Dieu. Arache révèle alors son christianisme et Abenner se convertit définitivement. Ce dernier tente alors de mettre son fils sur le trône mais Josaphat refuse au nom de son désintérêt pour ce qui est terrestre. Il finit par accepter l’offre, et cela pour pouvoir couronner Arache et le marier à Amalazie à qui il rend les terres de son père. Après quelques réticences, Arache accepte. A la fin de la pièce tous partent rendre hommage à Nacor, le martyre de cette pièce.

La source hagiographique §

Josaphat, pièce religieuse, a comme source principale la légende hagiographique de Barlaam et Josaphat.

Selon les textes relatant cette histoire se déroulant en Inde durant l’ère des premiers chrétiens, le roi Abenner (ou Avennir) persécute ces derniers. Or, à la naissance de son fils, des astrologues lui prédisent que celui-ci se convertira à cette religion. Inquiet, le roi décide d’isoler le prince loin de la réalité de la condition humaine, loin de la mort, de la maladie et des émotions qu’il pourrait ressentir, de manière à ce que celui-ci n’aille pas chercher des réponses dans la religion chrétienne. Mais malgré ces précautions, le jeune Josaphat rencontre Barlaam, un ermite qui va le convertir. S’ensuivra alors un important conflit entre père et fils, le roi tentant par tous les moyens de ramener le prince aux croyances polythéistes de son royaume. Mais devant les échecs successifs des stratégies qu’il mettra en place, Abenner finira par être troublé et se convertir à son tour au christianisme. Il abandonnera alors sa couronne au profit de son fils. Mais Josaphat la refusera et confiera le royaume à un proche de son père : Barachias. La légende dit que Josaphat quitte alors la ville et part avec Barlaam mener une vie d’ermite.

Cette histoire est communément attribuée à Jean Damascène, théologien chrétien, père de l’Eglise, considéré comme saint par les catholiques et les orthodoxes et qui a vécu entre 676 et 749. Néanmoins, cette paternité est particulièrement contestée. Ainsi, Jean de Billy, le moine à l’origine de la traduction française de 1573 du texte hagiographique3 écrit initialement en grec, écrit lui-même dans l’épître de l’œuvre traduite :

Amy lecteur, je te veux advertir, que la présente Histoire, est insérée és œuvres de Sainct Jean Damascene, et si luy est attribuée de plusieurs : ce qui la m’a fait publier sous son nom. Néanmoins m’ayant esté communiqué un vieil exemplaire Grec par Monsieur de sainct André (homme fort docte, et amateur de toutes bonnes lettres) auquel ay trouvé une Préface à nostre Histoire soubs le nom d’un bon Hermite du Mont Sinay, nommé Jean, personnage de grande saincteté, et doué du don de prophétie, lequel florissoit du temps de l’Empereur Théodose premier du nom : je l’ay bien voulu joindre à nostre traduction, laissant toutefois à chacun la liberté de juger lequel des deux en est l’Autheur. 

Marion Uhlig dans son article « L’Orient sur les tréteaux : la construction de l’espace indien dans les pièces théâtrales de Barlaam et Josaphat4 » indique, en s’appuyant sur les travaux de Franz Doelger5, que Jean Damascène et l’ermite du Mont Sinaï seraient certainement la même personne.

La paternité de l’œuvre en tant que telle importe peu dans le domaine de la légende hagiographique. Ce qui est primordial, permettant de donner une légitimité à ce récit, est, ainsi que le déclare Jean de Billy dans sa préface que « tous deux sont fort anciens et personnes de grande authorité. »

La légende Barlaam et Josaphat a plus tard été reprise dans La Légende Dorée de Pierre de Voragine, écrite au cours du XIIIe siècle en latin. Cet ouvrage regroupe entre autres le récit de la vie de plus de cent-cinquante saints dont Josaphat. L’œuvre connaîtra très vite un succès considérable et permettra la diffusion et la postérité de légende hagiographique de Barlaam et Josaphat.

Il est intéressant de noter qu’il existe une version de la légende écrite en 1642, soit cinq ans seulement avant la publication de la pièce de Magnon, écrite par un dénommé Pierre-Antoine Girard. Celui-ci déclare quant à lui s’être inspiré du récit de Jean Damascène. C’est ce dernier ouvrage que Lancaster6 considère comme la source la plus probable du Josaphat de Jean Magnon.

Cette source hagiographique apparaît comme l’inspiration principale de l’œuvre. La trame principale et les péripéties majeures de la pièce sont immédiatement tirées de la légende. Ainsi, l’une des scènes les plus importantes de la pièce, c’est à dire la rencontre entre Barlaam et Josaphat est inspirée de manière très précise du récit de Jean Damascène. Ainsi, dans la légende comme dans la pièce, Barlaam se fait passer pour un joailler, et vante les mérites d’une pierre précieuse singulière auprès du prince, lui déclarant : « Monsieur, je suis un marchant, qui suis venu de loingtain pays, et ay une pierre precieuse, qui n’a sa pareille au monde, et ne l’ay encores dit à homme vivant. »

Pierre qu’il ne peut montrer en présence des suivants du jeune homme. Dans les deux cas, Josaphat chassera tous ceux qui l’entourent, pour se retrouver seul avec le vieil ermite qui pourra dévoiler les raisons véritables de sa venue et lui révéler que cette pierre n’illustre rien d’autre que la religion chrétienne. Durant cette discussion, Barlaam révèle à Josaphat les mystères de la foi. On retrouve des formules similaires dans les deux textes. Il est à noter que les scènes d’échange entre ces personnages sont les plus fidèles de l’œuvre à la légende hagiographique. La scène 4 de l’acte II est ainsi une véritable synthèse du chapitre de l’œuvre de Jean Damascène durant lequel Barlaam explique la religion chrétienne en lui narrant les grands épisodes de la Bible. L’épisode du déluge est ainsi relaté de manière très proche dans la pièce et dans la légende. Dans l’œuvre de Magnon, Barlaam déclare ainsi :

Son Dieu tout corroucé luy declara la guerre,
Un grand débordement purgea toute la terre :
A peine un innocent se sauva de ses mains,
Qui pût perpetuer la race des humains7 ;

Dans la légende, l’ermite déclare : « Or, Dieu tout puissant, voulant retrancher la grande multitude des pechez enormes qui regnoient sur terre, envoya le Deluge d’eau, qui noya toute creature ayant vie. Mais en trouvant un seul juste en ce temps là, le sauvant dans l’Arche avec sa femme et ses enfants […] » Le texte de Magnon apparaît ici comme une version versifiée du texte de Jean Damascène, dans la traduction de Jean de Billy.

Il est à noter que cette rencontre aboutira dans la légende et dans la pièce à la conversion du jeune prince.

L’autre similitude se trouve dans la logique de conversions en chaîne qui touchera l’ensemble des personnages secondaires et aboutira à celle d’Abenner qui remettra alors sa couronne à Josaphat.

Néanmoins, si la trame est respectée dans son ensemble, de nombreuses divergences sont à noter entre la légende hagiographique et la pièce de Magnon.

Tout d’abord dans le choix des noms donnés aux personnages. Ainsi, le roi se nomme Avennir dans les versions anciennes de la légende de Barlaam et Josaphat. La graphie de Nacor est différente, puisque le personnage se prénomme Nachor dans la traduction de Jean de Billy, tandis qu’Arache a pour nom Arachis.

Enfin, de nombreuses modifications ont été établies quant au traitement des personnages secondaires gravitant autour du jeune prince et de son père. Ainsi, Magnon a fait le choix de supprimer le personnage de Zardan, son conseiller, qui dans le texte de Jean Damascène est également un traître. Celui-ci a par ailleurs fusionné avec le personnage d’Arachis, pour devenir Arache.

Dans la légende, Arachis est un proche conseiller du roi, qui jusqu’à la fin soutiendra Abenner. C’est d’ailleurs lui qui suggérera la capture de Barlaam pour que celui-ci désavoue sa religion face à Josaphat (épisode supprimé dans la pièce de Magnon, et qui dans l’œuvre de Jean Damascène précède l’intervention de Nachor se faisant passer pour Barlaam).

Parallèlement, le personnage d’Amalazie dont l’importance est capitale dans l’œuvre de Magnon n’apparaît pas dans la légende hagiographique. Seule la scène dans laquelle Abenner demande à la princesse de convaincre Josaphat de renoncer à sa religion se retrouve dans la version traduite par Jean de Billy. Néanmoins, dans cette œuvre, la princesse captive est également une courtisane, qui usera de ses charmes pour convaincre le jeune prince, scène absente du texte de Magnon, en contradiction avec le personnage d’Amalazie.

Les sources littéraires §

Avec Josaphat, Jean Magnon s’inscrit dans la tradition littéraire des pièces à martyre. Simone de Reyff note ainsi la floraison de dramaturgie religieuse en ce début de XVIIe siècle, émergeant vers 1535 et se prolongeant en 1650. Dans son ouvrage L’Eglise et le théâtre, elle comptabilise 23 pièces chrétiennes écrites durant cette période8.

En 1641, Polyeucte de Pierre Corneille est représentée au théâtre du Marais et le parallèle entre cette pièce à martyre et Josaphat semble inévitable et le rôle de la Princesse Amalazie dans la pièce de Magnon en serait témoin.

Un parallèle peut en effet être établi entre les deux pièces. Le triangle amoureux composé de Josaphat, Amalazie et Arache, peut s’apparenter au triangle de la pièce de Corneille composé de Polyeucte, Pauline et Sévère. Lancaster souligne ainsi le parallèle existant entre les deux personnages féminins courtisées par un chef de guerre9 – Arache et Sévère – et un personnage aux origines plus élevées – Josaphat étant un prince et Polyeucte un seigneur. Dans les deux cas, c’est ce dernier personnage qui se trouve également martyre.

On trouve dans le texte même une intertextualité dans la première scène de l’acte IV de Josaphat, scène de monologue dans lequel le jeune converti s’adresse à Dieu et confesse la solidité de sa foi et sa volonté de se détacher de cet amour profane pour une princesse qui n’est pas chrétienne. Or cette scène renvoie à la scène 2 de l’acte IV de Polyeucte, c’est à dire la scène des stances de Polyeucte. On observera le fait que ces deux monologues sont situés au même emplacement dans la pièce, au même niveau d’avancée dans l’intrigue – c’est à dire la scène des stances de Polyeucte. Les deux scènes précèdent toutes deux l’arrivée de la jeune femme aimée et un échange qui dans lequel le prétendant tentera de convertir celle-ci au christianisme. On observe donc un combat du héros similaire dans les deux pièces, visant à se détacher de tous sentiments amoureux.

Ainsi dans ses stances, Polyeucte déclare :

Et je ne regarde Pauline,

Que comme un obstacle à mon bien10

Tandis que Josaphat s’exprime ainsi :

Mon cœur destache-toy de cette indigne flamme

Amour, prophane amour sors enfin de mon âme11 ;

S’adressant à son cœur et à ses sentiments, de même que le fait Polyeucte au début de ses stances :

Source délicieuse, en misères féconde,

Que voulez vous de moi, flatteuses voluptés ?12

Si l’on s’intéresse aux scènes suivantes, on relèvera la similarité de la première réplique du nouveau converti à la jeune femme qui vient de faire de son entrée :

Madame à quel dessein me venez-vous combattre ?13

Déclare Josaphat à Amalazie, tandis que Polyeucte s’adresse ainsi à Pauline :

Madame, quel dessein vous fait me demander ?14

Barbara Selmeci Castioni dans son article « Le paradoxe du comédien converti sur la scène française (XIVe-XVIIe siècles)15 » considère que le martyre de Nacor dans la pièce de Magnon, a été dictée au dramaturge par le succès de Polyeucte. De fait, un parallèle peut être établi, et c’est celui qui est fait par Lancaster16, entre Néarque et Nacor dont le martyre permet dans chaque pièce de provoquer une conversion en chaîne. Néanmoins, et nous y reviendrons plus tard, si les deux pièces semblent fonctionner en miroir par leur dramaturgie, Josaphat apparaît moins « humain » que Polyeucte, tel que le rapporte Lancaster17. Les deux textes semblent présenter un conflit entre amour et religion mais celui-ci n’est véritablement exprimé que dans l’œuvre de Corneille. Chez Magnon, tout n’est que religion, et les passions mêmes des personnages sont immédiatement mises au service de la foi. Cependant, une comparaison avec la légende hagiographique dans la traduction de Jean de Billy permet de réaliser l’ajout de passions exprimées par les personnages, et plus particulièrement pour Saint Josaphat, imperméable à la moindre passion humaine dans la légende. Au regard des deux influences les plus frappantes à la lecture de la pièce, Magnon semble avoir trouvé un équilibre entre une légende hagiographique qui promeut un saint aux vertus exemplaires, motif conservé par le dramaturge, et l’expression des passions, propre à la dramaturgie du XVIIe siècle.

Lancaster18 évoque également une autre source littéraire, celle de la tragi-comédie de Boisrobert publiée en 1642 : Le Couronnement de Darie, parallèle déjà évoqué par Schultz19. Cette tragi-comédie avait déjà influencé Jean Magnon pour sa première pièce : Artaxerce et serait à l’origine du dénouement de Josaphat. En effet dans la pièce de Boisrobert, le roi pense que son fils Darie a voulu le tuer. Au terme de ce conflit, Darie prétend se donner la mort du fait de cette opposition. Le roi se repentira alors de sa dureté envers son fils, et c’est alors que voyant son père adouci, le Prince revient et est autorisé à épouser la princesse prisonnière Aspasie que son père lui refusait. On retrouve dans les deux pièces un stratagème tragi-comique évident. Cette influence et ce dénouement permettent d’inscrire Josaphat dans la lignée des tragi-comédies de son époque.

Enfin, Le Véritable Saint Genest de Rotrou, publiée en 1647, l’autre grande tragédie chrétienne de cette décennie du XVIIe siècle a des similitudes avec Josaphat. Lancaster considère pour sa part qu’il est difficile de savoir si l’une des deux pièces a influencé l’autre tant les dates de publication des deux œuvres sont proches, néanmoins, on constatera la ressemblance qui existe entre la scène 2 de l’acte III de Josaphat au vers 798 divisé entre une réplique d’Arache et une d’Amalazie témoignant de la crédulité des personnages croyant assister à une performance de Nacor durant laquelle il se fait passer pour chrétien, alors même que son discours est sincère. On retrouve le même type de répliques à l’acte II scène 9, aux vers 667 et 668 :

DIOCLETIAN
En cet acte, Genest à mon gré se surpasse.
MAXIMIN
Il ne se peut rien feindre avec plus de grâce20.

Le cas de Josaphat ou le triomphe de la foy sur les Chaldéens par D.L.T. §

On se doit d’évoquer ici, une autre tragi-comédie, intitulée Josaphat ou le triomphe de la foy sur les Chaldéens21 publiée en 1646, soit la même année que la pièce de Jean Magnon, écrite par un certain D.L.T. et également dédiée au Duc d’Epernon. Les deux pièces ayant été publiées à peu près au même moment, le Josaphat de Magnon ayant été achevé d’imprimer en octobre 1646, il est difficile d’établir une postérité dans un sens ou dans l’autre. On peut néanmoins s’interroger sur ce qui a amené deux auteurs à s’intéresser tous deux à la même légende hagiographique la même année, alors même que l’histoire de Barlaam et Josaphat ne fut pas récurrente dans l’histoire du théâtre français22. On peut supposer néanmoins que la publication en 1642 de l’Histoire de Josaphat, Roy des Indes par Pierre-Antoine Girard a permis à ces deux auteurs de découvrir cette légende et de s’y intéresser dans un cadre dramaturgique.

On notera seulement que le parti-pris de chaque dramaturge fut singulier dans le traitement de la légende de Josaphat. En effet, la pièce de D.L.T. apparaît comme beaucoup plus fidèle à la version de Jean Damascène, notamment dans le traitement des personnages. On y retrouve ainsi Zardan, le conseiller de Josaphat au service du roi qui se rangera du côté d’Abenner, tandis qu’Arache conserve sa place de favori du monarque. Il n’y a pas non plus de princesse prisonnière outre la courtisane qui tentera de séduire Josaphat. Enfin, dans la version de D.L.T. comme dans celle de Magnon, Nacor devient martyre et non ermite, les deux dramaturges subissant la même influence du Polyeucte de Corneille, plaçant les pièces à martyre comme modèle de la représentation religieuse sur scène. Nous reviendrons parfois dans cette étude au texte de D.L.T. car la proximité historique et thématique des deux pièces nous a permis de mettre en lumière certaines des spécificités du Josaphat de Jean Magnon.

Barlaam et Josaphat, une légende tragi-comique §

Une légende hagiographique comme motif tragi-comique §

Il est intéressant de constater que la légende de Barlaam et Josaphat, si peu connue, et si peu utilisée dans l’histoire du théâtre fut reprise deux fois sous forme de tragi-comédie entre 1646 et 1647, soit de manière très rapprochée. On peut s’interroger sur ce qui a motivé ces deux auteurs à reprendre ce sujet pour leur pièce de théâtre. Un élément de réponse probable serait que cette légende hagiographique apparaît comme un réel motif tragi-comique, ainsi exploité comme tel par Magnon.

La structure tragi-comique §

Le personnage de Josaphat a le profil type du martyr tel qu’on en trouve plusieurs dans le théâtre à motif religieux de la première partie du XVIIe siècle. Tout comme Polyeucte ou Genest il est prêt à mourir pour le christianisme auquel il se convertit au cours de la pièce et fait preuve d’un prosélytisme appuyé, ne tolérant pas que son entourage ne partage pas ses croyances. Néanmoins, à la différence de ces deux martyrs, Josaphat est épargné par son père qui se convertit à son tour à la religion chrétienne. Ainsi, la légende hagiographique offre à Magnon un sujet tragi-comique en tant qu’elle répond à l’un des deux critères essentiels de ce genre : la fin heureuse. Hélène Baby considère en effet dans son ouvrage consacré à la tragi-comédie la fin heureuse comme un des deux critères fondamentaux de l’inventio pour ce genre théâtral.

De même, la légende de Barlaam et Josaphat écrite par Jean Damascène se présente sous la forme d’un récit que l’on peut considérer comme romanesque, notamment en tant qu’elle se compose de nombreuses péripéties et d’une succession, voire d’un enchâssement d’évènements propices à l’écriture d’une tragi-comédie. L’inspiration romanesque est en effet une des caractéristiques de l’inventio tragi-comique23, toujours selon Hélène Baby. Mais peut-on considérer une légende hagiographique comme romanesque, même si le récit qui le relate se compose ainsi ? La religion chrétienne, à laquelle se réfère Jean Magnon considère ces légendes comme véridiques, érigeant les saints de ces récits en modèles de la foi. Nous pouvons donc les considérer comme appartenant à l’Histoire, mais une Histoire qui serait déjà fabuleuse. En effet, ainsi que le précise François Charpentier24, l’Histoire fabuleuse est un sujet accepté pour la construction d’une tragi-comédie. La légende hagiographique par son caractère hors du commun semble donc un sujet approprié pour une pièce comme Josaphat.

L’enchaînement de péripéties nombreuses, composées essentiellement de tours et de manipulations mises en place par le roi Abenner pour tenter de faire renoncer son fils au christianisme apparaît également comme propice à l’écriture d’une tragi-comédie. Et effectivement, si Magnon n’a pas conservé l’importante succession de stratagèmes du récit initial, chaque événement est caractéristique de la tragi-comédie, du déguisement de Barlaam à celui de Nacor, en passant par la mise en place de la fausse mort de Josaphat déclenchant le dénouement et le revirement d’Abenner.

Le motif du déguisement dans Josaphat : §

Considéré comme motif baroque, en tant qu’il représente « la pénétration du théâtre par le théâtre »25 pour citer Georges Forestier - alors même qu’il est présent dans de nombreuses pièces durant tout le XVIe et le XVIIe siècles qui ne sont pas réductibles à cette caractéristique - le déguisement, présent dans Josaphat, mais surtout présent dans la légende originelle, semble avoir prédisposé Magnon à rédiger une tragi-comédie.

On trouve deux personnages déguisés dans la pièce : Barlaam et Nacor. Il est intéressant de constater que les deux personnages qui revêtent un déguisement sont les deux personnages les plus baroques de la pièce, dont le langage même semble s’accorder avec ce type d’actions.

Barlaam tout d’abord est considéré par l’analyse de Georges Forestier comme un personnage secondaire, mais également extérieur26. Sa finalité est l’approche. Le stratagème est utilisé pour s’introduire dans le palais et parler avec le prince Josaphat. Pour cela, Barlaam se déguise en joailler. Il revêt ainsi une fonction qui n’est pas la sienne. Le déguisement en soi n’apparaît pas comme nécessaire à l’intrigue. Le fait que Barlaam revête un vêtement qui n’est pas le sien dans le but d’incarner une profession qui n’est pas la sienne apparaît comme secondaire quant à l’impact que cela aura sur les autres personnages. Néanmoins, le choix de se grimer en joailler permet à Barlaam de développer tout le motif de la pierre précieuse et de la perle, au cours de l’acte II, scène 3. On note en effet dans la pièce, l’aspect secondaire que peut avoir la révélation de l’identité de Barlaam, qui à la scène 4 a lieu après la longue tirade de l’ermite sur l’origine de cette pierre précieuse qui représente en réalité la foi chrétienne. Exprimer le motif de sa venue, c’est à dire parler de son Dieu, apparaît comme bien plus important que de dévoiler son identité et la chronologie de la scène l’exprime bien. Et tandis que Barlaam indique à Josaphat qu’il a menti sur son identité, on note que l’intérêt du Prince se porte non pas dessus, mais plutôt sur le contenu réel du message du faux joailler :

Que veut dire cecy, descouvrons ce mystere,
Je commence à treuver le secret de mon pere27.

En effet, Barlaam ne fut jamais connu de Josaphat, et en ce sens son identité propre n’impacte pas le jeune prince qui n’est pas surpris de cette révélation. L’ermite se substitue derrière son message, il y a donc plutôt un déguisement du discours au cours de l’acte II, scène 3, autour du motif de la pierre précieuse.

Il y a cependant un autre personnage qui se déguise au cours de la pièce, et une fois de plus, ce déguisement est présent dans la légende hagiographique : il s’agit de Nacor. Il incarne ce type de personnages qui n’apparaissent que pour être déguisés, qui ne préexistent pas à leur déguisement28. Pourtant, au cours de l’acte III Nacor a une attitude qui tranche avec ce qu’on pourrait attendre d’un personnage d’auxiliaire pour reprendre les catégories définies par Georges Forestier.29

Le déguisement de Nacor ne se constitue pas une dissimulation physique derrière des vêtements qui cacheraient sa véritable identité. En effet, Nacor a dans la pièce la particularité d’avoir une ressemblance troublante avec Barlaam :

Ils ont la mesme voix, ils ont mesme visage,
Ils ont les mesmes mœurs, ils semblent du mesme âge :
L’on croit que la nature y fist mesmes efforts,
Enfin qu’une seule ame anime ces deux corps30.

La fin de cette réplique d’Arache souligne donc une ressemblance si profonde et si spectaculaire qu’elle ne se limite pas à la ressemblance physique, mais semble pénétrer l’âme de Barlaam et Nacor. On confondrait leurs corps, leurs visages, mais également leur âme.

Georges Forestier définit ainsi le déguisement : « Se déguiser c’est effectivement revêtir un moi d’emprunt et agir comme si l’on était ce moi, c’est à dire jouer un rôle. »31 On peut alors s’interroger sur le rôle que va jouer Nacor, et essayer de comprendre auprès de qui il simulera.

Le rôle de Nacor, employé par Abenner est à l’origine de tromper Josaphat : lui faire croire qu’il est Barlaam, et face à lui, dans un échange fictif avec Abenner, prétendre défendre la cause des chrétiens puis se rétracter devant Josaphat, et se soumettre au roi, dans l’espoir que le prince, voyant ainsi le renoncement de son modèle de foi, suive ses traces.

La scène qui précède, la scène 8 de l’acte II, introduit le motif de la « pénétration du théâtre par le théâtre » par l’emploi du lexique de la scène. On relèvera ainsi le mot « artifice »32, terme également repris par Nacor lui-même à la scène 1 de l’acte III, qualifiant cependant le stratagème de « mauvais artifice ». Enfin, Arache déclare :

Il nous le faut instruire
Et devant vostre fils il le faudra produire33 ;

Tout semble donc correspondre à une scène de théâtre qui sera jouée devant Josaphat. Néanmoins, durant ce qu’on pourrait appeler la « performance » de Nacor, quelque chose se produit. Et alors que spectateurs et personnages attendent le revirement de Nacor, prétendument Barlaam, celui-ci n’arrive pas. Dès lors, le spectacle se déplace. Le personnage déguisé se dévoile comme étant chrétien, et si le spectateur familier de ce genre de retournement de situation comprend que Nacor ne joue plus un rôle après un moment de doute, car le dramaturge joue avec l’incertitude des spectateurs34, qu’ils soient internes ou externes, les personnages eux continuent à être dupés, Arache s’exclamant :

Il feint avec adresse ?

Amalazie s’écriant alors à son tour :

Il le contrefait bien ;

Scène qui, nous l’avons vu précédemment, n’est pas sans rappeler Le Véritable Saint Genest de Rotrou.

Le spectateur assiste alors à un spectacle dont il a lui compris les ficelles, tandis que les personnages persistent dans la crédulité.

La scène présente également un déplacement de la tromperie, alors que la victime était supposée être Josaphat, c’est Abenner qui la subira, ainsi que le déclare Nacor :

J’ay concerté de vous tromper vous-mesme ;
Et cette occasion s’étant offerte à moy,
J’ay dû m’en prévaloir, j’ay dû Seigneur35,

On est donc face à un tour, joué par Nacor de son propre chef et qui trompera chacun des personnages présents lors de cet échange. Il est à noter que la pièce de Magnon est la seule version de cette histoire à considérer que Nacor était déjà converti, ce qui lui permettra de duper tout le monde, y compris Josaphat. En effet, dans la légende hagiographique, mais également dans le texte de D.L.T. la confrontation est présentée comme un véritable débat dans lequel s’affronte des astrologues qui débattront furieusement avec Josaphat. Dans un premier temps, Nacor intimidé par les arguments de Josaphat et son insistance se rangera de son côté, mais c’est également le fait de proférer la parole divine qui le convertira, de la même manière que cela arrive à Genest dans la scène 4 de l’acte I du Véritable Saint Genest de Rotrou, qui se convertit au christianisme alors qu’il répète une scène dans laquelle il doit jouer un chrétien.

Parallèlement, la version de Magnon est la seule dans laquelle Josaphat est lui-même surpris par le tour joué par Nacor, et qui lui sera néanmoins salutaire. En effet dans la légende, c’est l’esprit saint qui avertira le prince du stratagème qui se prépare, tandis que le texte de D.L.T. déjà plus pragmatique, utilise le personnage de Zardan, conseiller de Josaphat et personnage de traître qui avouera au roi que le prince est chrétien, puis qui, rongé par la culpabilité, ira révéler le tour qui se prépare à son jeune maître, par repentir.

Nacor dans la pièce de Magnon a donc un déguisement conscient et se révèle maître, presque metteur en scène de l’instant de théâtre qui se déroule à ce moment là. Magnon donne ainsi un pouvoir à son seul véritable personnage de martyr qui ne lui a pas été accordé dans les autres œuvres traitant de cette histoire.

La pierre précieuse : expression de l’objet tragi-comique §

Nous l’avons vu précédemment, le déguisement de Barlaam en joailler n’est important qu’en tant qu’il permet un déguisement du discours de l’ermite, qui à la scène 3 de l’acte II prône auprès de Josaphat les merveilles d’une mystérieuse pierre précieuse. Hélène Baby s’est intéressé à l’objet tragi-comique36, considérant que celui-ci existe de manière très particulière dans les pièces appartenant à ce genre, en tant qu’il peut « assumer toutes les fonctions de la parole théâtrale ». En effet, selon ses mots, « par sa matérialité il convie sur la scène le champ de l’irreprésentable et de l’absence. » En ce sens donc, l’objet devient discours et surtout il prend une dimension essentielle. L’objectif de Barlaam dans cette scène est en effet d’aborder la question de la religion auprès d’un non converti et de le sensibiliser aux merveilles de la foi. Selon la pièce, et selon la légende, le motif de la pierre précieuse n’est abordé que dans un but de discrétion, pour que les suivants du prince ne puissent pas comprendre le motif réel de la visite de Barlaam et n’en avertissent pas le roi Abenner. Néanmoins, on peut considérer que son importance est plus grande encore. Ainsi la pierre en tant qu’elle incarne la foi, permet l’accession au christianisme. C’est ainsi qu’entre en scène le motif du regard. Celui qui ne croit pas est aveugle, et le gentil ne verra pas la pierre. En témoigne cet échange entre Josaphat et son père après la visite de Barlaam durant lequel Abenner demande à son fils de lui montrer cette pierre précieuse si singulière dont il ne cesse de lui parler :

ABENNER
Fais moi donc concevoir ?
JOSAPHAT
Vous ne pouvez m’entendre
Et sans estre chrestien l’on ne me peut comprendre.37

Or avant cette révélation concrète, Josaphat s’est exprimé longuement à propos de cette pierre au cours d’une longue métaphore filée :

L’on ne la sçauroit voir que quand on en jouit,
Et dés qu’on la possede il s’y forme une flamme
Invisible a nos yeux et visible à nostre ame38,

Cette pierre longuement décrite et qui n’apparaît jamais sur scène, ici dissimulée à son père par Josaphat, témoigne du rapport antithétique entre visible et invisible intrinsèque à la religion chrétienne, ici exprimé par le parallélisme du dernier vers. Car seule la foi permet de voir.

Cette pierre précieuse, incarne à elle seule les nombreuses merveilles de la nature. La pierre est prise en exemple de ce que les éléments ont pu réussir de plus prodigieux. Il est en effet commun que le christianisme prenne le modèle de la nature comme incarnation de la perfection divine.

En 1621, le Père Binet, un jésuite, codisciple de François de Sales, publie un ouvrage intitulé Essay des merveilles de nature, et des plus nobles artifices39sous le nom de René François qui comporte certaines similitudes avec le discours de Barlaam. On y retrouve par ailleurs dans l’épître une référence à la pierre précieuse comme intermédiaire, comme moyen de communication avec le païen :

Je vous donne un premier essay, et fais comme les joyaliers qui montrent une petite bouëtte de pierreries, pour esveiller l’appetit, et affriander les personnes a en rechercher encore de plus belles. 

Le chapitre IV de son ouvrage décrit les pierreries, et on retrouve un lexique très proche de celui du personnage de Barlaam. Dans les deux textes, la pierre concentre en elle-même la beauté de la nature. Ainsi, René François déclare :

Ce qui rend le stile precieux ce sont les Pierreries, mais quand elles sont bien enchâssées dans le discours, et qu’elles sont bien à leur jour, il semble que toute la majesté de la nature soit raccourcie, et comme resserrée en petit volume dans un bouton de pierrerie40.

Tandis que Barlaam déclare de son côté :

L’on trouve dans son sein un Eternel tresor41,

Cette similitude témoigne de l’esthétique baroque très usuel dans le discours jésuite et dont la pierre est un motif conséquent.

Enfin, il convient de rappeler que le mot « baroque » vient du portugais barroco, mot qui signifie dans cette langue « perle irrégulière ». Le motif de la perle abordé dans la légende hagiographique s’aligne donc parfaitement avec le motif baroque exprimé ici. Magnon joue ainsi avec le motif chrétien de la pierre précieuse et se l’approprie pour en proposer une double lecture : à la fois chrétienne, car le dramaturge conserve l’importance religieuse conférée au discours de Barlaam, mais aussi baroque, et mise au service d’une tragi-comédie.

Ajouts tragi-comiques de Magnon §

Un dénouement tragi-comique §

Si l’ensemble de la pièce, du moins les quatre premiers actes, sont assez proches de la légende, mis à part la suppression de quelques épisodes, le cinquième et dernier acte tranche avec cette fidélité.

Rappelons que dans cet acte, Abenner condamne son fils à mort. Amalazie et Arache nouvellement convertis au christianisme, décident de simuler la mort de Josaphat et comptent sur l’empathie paternelle du roi pour lui faire regretter son acte. Une fois les regrets de celui-ci exprimés, Josaphat réapparait de sa fausse mort. Touché par l’événement, le roi renonce à tuer son fils et se convertit au christianisme à son tour. Il donne ensuite la couronne à son fils, qui lui même l’offre à Arache, en même temps que la main de la princesse.

On note immédiatement dans ce dénouement que la condition sine qua non de la fin d’une tragi-comédie est remplie puisque la pièce se termine par un mariage. Nous reviendrons plus tard sur l’emploi tragi-comique du couple composé par Arache et Amalazie. Car ces deux personnages, en plus d’incarner le couple d’amoureux nécessaire à toute tragi-comédie interviennent dans ce dernier acte comme maîtres du jeu. Ce sont eux qui élaborent le stratagème impliquant la fausse mort de Josaphat.

La fausse mort fait partie des huit obstacles auxquels est confronté tout héros de tragi-comédie42 selon Hélène Baby. Or cet événement a été ajouté par Jean Magnon, ainsi que nous l’avons vu, selon l’inspiration de la tragi-comédie Le Couronnement de Darie de Boisrobert qui propose la même résolution à partir du stratagème de la fausse mort du fils initialement menacé par son père le roi.

Selon Hélène Baby, la fausse mort entraine le plus souvent le revirement d’un personnage, souvent le rival et parfois le père. Elle précise, et cela est respecté dans la pièce, que le revirement paternel a toujours lieu le plus tard chronologiquement, et toujours au dénouement43.

Cette fausse mort, qui provoque les remords de l’opposant, pour reprendre les termes du schéma actantiel, correspond à un changement intérieur, motivé néanmoins par un élément extérieur : la fausse mort. Et c’est exactement ainsi que se déroule le dénouement de Josaphat qui donne à voir de manière explicite l’évolution du revirement d’Abenner exprimé au travers de vers hachés montrant les hésitations du roi :

Gardes, qu’on l’execute, arrestez, qu’on l’ameine,
Non, ce criminel est digne de ma haine44 ;

C’est donc cette succession d’échecs qui dans un premier temps agissent dans la pièce comme élément extérieur, amenant le roi à se troubler, et à s’interroger sur l’absence de réactions de ses dieux, comme en témoigne la scène 2 de l’acte V qui est une adresse à ces derniers, composée d’une série d’interrogations témoignant des doutes qui agitent Abenner. Enfin, cette fausse mort, la réapparition de Josaphat et l’aveu d’Amalazie de sa conversion sont les derniers éléments extérieurs qui achèvent le changement intérieur aboutissant à la spectaculaire conversion d’Abenner, dernier maillon de la conversion par contamination, et qui n’est rien d’autre que la transcription exacte de la légende hagiographique qui voit aussi la conversion du père. Ce dénouement tragi-comique avait en effet tout de même un socle solide justifiant les procédés employés par Magnon pour renforcer la dramaturgie de sa pièce, mais également accélérer l’action, car dans la légende la conversion d’Abenner est particulièrement longue et ne se produit qu’après une succession d’échecs dans ses stratagèmes.

Une tragi-comédie régulière ? §

Une unité d’action concentrée §

En 1647, date de publication de Josaphat, les règles classiques sont déjà installées dans la tradition dramaturgique. Il n’est donc pas surprenant de constater dans la pièce le respect des unités de temps et des unités de lieu. On peut en effet caractériser la pièce de « tragi-comédie de palais » en reprenant l’expression de J. Morel, expression qui désigne une « immobilisation de l’action dans un même lieu »45. Néanmoins, on trouve dans Josaphat un respect de l’unité d’action qui n’est pas conforme à ce qu’on pourrait attendre d’une tragi-comédie.

Nous commencerons tout d’abord par citer Hélène Baby qui déclare :

Le respect de la double exigence du lieu et du temps peut masquer l’éclatement d’une action qui ne s’adapte qu’en apparence aux impératifs de l’unification. Et le compromis exigeant de la dispositio classique peut laisser intacte l’inventio romanesque qui nourrit le poème composé46.

Nous l’avons vu précédemment, l’inventio romanesque est à la source de la pièce de Magnon. Pourtant, malgré cette inspiration, on ne constate aucun éclatement de l’action tel que le décrit Baby. Alors que, comme nous l’avons vu précédemment, le récit de Jean Damascène donnait l’occasion à Magnon de composer une tragi-comédie composée d’une succession d’évènements juxtaposés, le dramaturge a épuré la légende pour ne conserver que quelques évènements, en moyenne un par acte. On citera l’intervention de Barlaam, le stratagème visant à faire passer Nacor pour l’ermite à qui il ressemble, son martyre et la fausse-mort de Josaphat orchestrée par Amalazie et Arache qui aboutira à la conversion d’Abenner. Ces quelques évènements, les plus marquants de la légende, sont mis au service d’une action unique : Josaphat, nouveau converti tente de convaincre son père de le rejoindre dans sa foi, mais celui-ci s’y refuse et le condamne à mort. Parallèlement, on trouve un fil secondaire composé du triangle amoureux du prince, de la princesse et du chef des armées, mais qui est très vite intégré à la question de la conversion au christianisme, pour ne faire plus qu’un au moment où Amalazie et Arache élaborent le stratagème de la fausse mort. Une tragi-comédie a d’ordinaire plusieurs fils secondaires, et non un seul, mais surtout ces fils sont souvent injustifiés et gratuit, au regard de l’intrigue principale, ce qui n’est pas le cas de la relation entre Amalazie et Arache, liée à Josaphat, et qui sera mis au service du héros et de l’intrigue majeure. La pièce n’est donc pas caractérisée par son éclatement, mais bien par son unité d’action. En effet, Hélène Baby caractérise la tragi-comédie par une dramaturgie de la gratuité, déclarant ainsi « action tragi-comique s’élabore dans de multiples crises, et la structuration éclatée des obstacles empêche la création d’un nœud47. » Or, nous avons bien ce nœud dans Josaphat.

Un des éléments permettant cette unité est la réduction drastique faite par Magnon du nombre de personnages. Baby dans son ouvrage considère que cet effectif « oscille entre sept et vingt-cinq personnages et [que] le nombre moyen de personnages par pièce est supérieur à treize48. » Or dans Josaphat, on ne compte que six personnages principaux, plus des gardes qui ont pour unique fonction d’annoncer les diverses arrivées de personnages. On se retrouve donc dans un cas de figure bien plus proche de celui d’une tragédie, que d’une tragi-comédie. Par ailleurs, le terme de tragi-comédie hérité de l’Amphitryon de Plaute, tire notamment son nom - et cela est précisé par le rôle de Mercure dans le prologue de la pièce – du large éventail social qui compose les personnages. Dans ce genre théâtral, les roturiers côtoient les nobles. Or, aucun personnage de la pièce ne semble appartenir à une catégorie sociale plus modeste, si l’on écarte le personnage de Barlaam, ermite par choix, mais qui était autrefois un proche du roi. Son déguisement de joailler intègre d’ailleurs le seul personnage roturier de la pièce même si, ainsi que nous l’avons vu précédemment, ce déguisement apparaît finalement comme anecdotique dans la pièce.

Ce qui est singulier c’est que la légende dont est tirée la pièce se compose d’une quantité très importante de personnages, notamment de conseillers du roi. D.L.T. dans son Josaphat ou le triomphe de la foy sur les Chaldéens a conservé ces conseillers qui ont une influence considérable dans la légende. On pense au personnage de Zardan, conseiller du prince mais également un traître. De ce fait, la pièce de D.L.T. comporte elle onze personnages, ainsi qu’une troupe de soldats. Cette réduction permet de recentrer l’action, de l’épurer en réduisant les évènements superflus. Nous l’avons vu, l’artificialité du procédé de la fausse mort permet à Magnon de pallier la réduction du nombre d’évènements qui permettent dans la légende de convertir Abenner à l’usure.

De ce fait, nous soulignerons le respect scrupuleux de l’unité de temps, commune dans la tragi-comédie en 1647, mais qui ici est au plus près de ce qu’Aristote souhaitait, c’est à dire une durée de l’action qui soit le plus proche possible de la durée de la représentation. Ainsi, la pièce se compose de nombreux échanges entre les personnages, (chercher dans Forestier l’histoire d’une pièce qui ne peut pas se composer de discours uniquement) tandis que le hors scène, notamment entre chaque acte, ne s’étale pas dans le temps. Ainsi, entre l’acte I et l’acte II de Josaphat, seule une discussion entre Arache et Amalazie a eu lieu, durant laquelle la princesse a refusé d’épouser le prince, information que le lieutenant et amant de la jeune femme est allé communiquer à Josaphat, tel qu’il était supposé le faire. Ce respect si scrupuleux de l’unité de temps permet de constater l’épuration classique de l’action réalisée par Jean Magnon.

Expression des passions dans Josaphat §

Nous sommes également amenés à constater que Magnon a un traitement des personnages qui se rapproche de celle de la tragédie classique qui se définit en partie par l’expression du dérèglement des passions des personnages tel que le développe Georges Forestier49. En effet, ce qui caractérise la tragi-comédie selon Hélène Baby, c’est sa dramaturgie de l’extériorité50. Ainsi, pour la citer, « Dans la dramaturgie tragi-comique, l’obstacle intérieur concentre les contradictions entre l’intériorité d’un conflit moral et la pesanteur extérieure d’éléments tiers51. » Or, si l’on peut observer l’intériorité d’un conflit moral chez certains personnages, il n’est pas mis en conflit avec des éléments tiers.

L’exemple le plus révélateur est le personnage d’Amalazie. Ajoutée par Magnon, la princesse de la pièce est bien plus aimable que ne l’est la courtisane décrite dans la légende. Celle-ci fait face à un dilemme que l’on pourrait apparenter à celui de Chimène dans le Cid de Corneille. En effet, Amalazie est amoureuse d’Arache qui est aussi l’homme qui a tué son père. Nous noterons par ailleurs que ces sentiments et le mariage final de la pièce ne choquent pas la vraisemblance comme ce fut le cas pour les sentiments de Chimène et pour son mariage annoncé avec Rodrigue car la première scène et le récit d’ouverture fait par la princesse laissent entendre que celle-ci est déjà captive depuis un certain temps. Amalazie lutte donc dans un premier temps, c’est à dire dans la première scène, contre des sentiments amoureux et revendique son honneur tout au long de la pièce comme le fait la jeune femme dans la pièce de Corneille. Elle ne subit cependant aucune « pesanteur extérieure d’éléments tiers ». En effet, Amalazie a été ajoutée à la pièce pour incarner avec Arache le couple d’amoureux qui caractérise la tragi-comédie et qui a pour objectif, tout au long de la pièce, de se marier. Néanmoins, le mariage avec le lieutenant général des armées d’Abenner n’apparaît pas dans le discours de la princesse comme une priorité voire une volonté. Ce qui préoccupe la jeune femme, c’est son honneur, elle le revendique de nombreuses fois :

Le sort en m’ostant tout m’a laissé le courage,
Le sang de Sinanor ne sent point l’esclavage52 ;

Cet honneur, cette fidélité à son père, mais également à ses origines nobles se rapproche beaucoup du discours d’Andromaque dans la tragédie de Racine qui choisit la mort ou la captivité à la trahison envers sa famille. En ce sens, Amalazie peut s’apparenter à une princesse tragique, s’opposant à l’amoureuse qu’elle aurait dû incarner selon les codes de la tragi-comédie qui caractérisent le héros tragi-comique par son incapacité à « exister autrement que par et dans la relation amoureuse ». Or nous l’avons vu, l’amour n’est pas ce qui préoccupe en premier lieu Amalazie.

Mais un autre élément inscrit la princesse dans une dramaturgie plus tragique que tragi-comique. En effet, Georges Forestier caractérise ainsi la tragédie :

Dérèglement apparent de l’ordre du monde, qui donne aux hommes le sentiment d’être victime d’un sort injuste : s’élève alors le chant de la révolte ou de la plainte53.

Or cette plainte contre l’ordre du monde qui donne au personnage « le sentiment d’être victime d’un sort injuste » est exactement ce qui caractérise le discours d’Amalazie. On retrouve en effet dans ses interventions de nombreuses références au sort qui s’abat sur elle. Amalazie revient souvent dans son discours sur la fatalité qui l’a placée dans cette situation. On relèvera ainsi diverses occurrences témoignant de son impuissance, et ce dès la première scène lorsqu’elle déclare :

Ah ! destin seul autheur du trespas de mon pere54,

Elle évoquera dans la scène suivante le Ciel, à qui elle impute son malheur :

C’est un frein que le ciel oppose à mes plaisirs55

Ce rapport à la destinée est très singulier pour une tragi-comédie d’ordinaire caractérisée par la contingence et le hasard. De nombreux évènements sont souvent liés à une coïncidence dans ce genre théâtral, mais ce paramètre est totalement absent de Josaphat, pièce qui valorise tout au contraire une transcendance exprimée de nombreuses fois par le Prince. Tandis qu’Amalazie évoque le destin (acte I, scène 1, v.64), le sort (acte I, scène 3, v.152) ou le ciel (acte I, scène 3, v.159), Josaphat lui caractérise cette transcendance qui n’est autre que le Dieu des chrétiens.

Nous pouvons également nous intéresser au personnage d’Arache, présent également dans la légende hagiographique, et appartenant lui aussi à ce qui devait être le couple tragi-comique de la pièce mais dont les agissements sont singuliers pour ce genre théâtral. Nous le qualifierons dans son rapport avec le Prince. En effet, le rapport de rivalité qui existe entre les deux personnages que sont Arache et Josaphat ne s’apparente pas à celui que l’on retrouve d’ordinaire dans une tragi-comédie. Le rival incarne l’opposant type de ce genre théâtral si l’on reprend les termes du schéma actantiel. Si deux hommes sont amoureux d’une femme, l’un est heureux, l’autre malheureux56. De plus, le rival est supposé élaborer des stratagèmes visant à ruiner le mariage du couple héros de la pièce. En tant qu’opposant il crée les obstacles contre lesquels devront lutter les personnages amoureux. Et dans une tragi-comédie le rival connaît un revirement provoqué soit par l’apparition d’un nouveau personnage que celui-ci épousera, soit un revirement provoqué par la culpabilité que peut lui faire ressentir un stratagème comme celui de la fausse mort. Or dans Josaphat, non seulement le prince n’agit pas en rival lorsqu’à la scène 3 de l’acte IV il découvre que celui que préfère Amalazie est Arache, mais de même, celui-ci, passe outre ses angoisses et sa jalousie en encourageant la princesse à chercher du secours auprès du prince :

Madame, allez le voir je sais qu’il m’est fatal :
Mais quelque sentiment que mon amour me donne
Le mal-heur de ce prince afflige ma personne.57

Arache en agissant ainsi, est caractérisé comme un personnage semblable à Antiochus dans Bérénice de Racine, un être qui fera toujours le choix qui lui apparaîtra le plus juste.

Enfin, nous pouvons nous apercevoir que la question de l’expression des passions dans Josaphat est celle qui se pose pour l’ensemble des pièces classiques religieuses du XVIIe siècle. En effet, la tragi-comédie de Magnon est, ainsi que nous l’avons vu précédemment, écrite dans la lignée de Polyeucte de Corneille, et s’intègre dans le mouvement qui a vu la publication de nombreuses pièces religieuses à martyres. Nous nous permettons de considérer ici le personnage de Josaphat comme martyr, au même titre que Nacor, car il a tout au long de la pièce la même attitude que Polyeucte dans la pièce du même nom ou alors que Genest dans L’Illustre Comédien de Desfontaines Le Véritable Saint Genest de Rotrou, c’est à dire celle d’un nouveau converti prêt à mourir au nom de sa religion.

Or, le martyr, le saint, est un personnage caractérisé, ainsi que le développe Barbara Selmeci Castioni58, par le refus des passions, associées le plus souvent aux valeurs mondaines, argument utilisé à l’époque par Nicole dans son Traité de la Comédie pour dénoncer le théâtre religieux : « Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir des spectateurs. Ce serait un étrange personnage de Comédie qu’un Religieux modeste et silencieux. ». Pourtant Josaphat, de même que Polyeucte par exemple est bien plus sensible aux sentiments amoureux que ne l’a été le Saint qui a inspiré son personnage. Et si Magnon n’a pas autant centré sa pièce que ne l’a fait Corneille dans Polyeucte sur le conflit passionnel opposant l’amour à la foi, on retrouve ce dilemme du personnage de Josaphat à différents moments de la pièce. Le monologue qui ouvre l’acte IV en est ainsi l’expression même :

Mon Dieu, divin rival vois-là sans jalousie :
Ne me possede pas avec tant de rigueur,
Et souffre qu’elle prenne une place à mon cœur,
Mon amour pour tous deux sera tousjours extreme,
Tous deux vous m’estes tout je t’adore et je l’aime59 ;

Josaphat existe ainsi dans la pièce comme un être doué de passions, et son conflit n’est lié à aucun élément extérieur.

Josaphat frappe donc par sa régularité. Néanmoins, si la pièce a une structure classique et comporte de nombreux personnages dont les passions sont celles qui caractérisent les princes et princesses de tragédie, le dernier acte et son dénouement baroque ruinent finalement les nombreux motifs tragiques. Ainsi Amalazie ne restera pas esclave, tandis que son amour pour Arache ne sera aucunement considéré comme impossible. Enfin, le conflit d’alliance n’aura aucun aboutissement tragique. Nous verrons plus tard que le traitement religieux de la pièce apparaît comme résolution aux blocages tragiques des personnages. Josaphat est composé de personnages tragiques qui luttent contre une fatalité et parviendront à la déjouer grâce à la volonté divine.

La question du religieux dans Josaphat et réception au XVIIe siècle §

Josaphat est publiée en 1647, soit entre 1635 et 1650, période durant laquelle sont publiées une multitude de pièces de théâtre à motif religieux. Cette pratique est issue du théâtre scolaire, et notamment des écoles jésuites qui souhaitent développer une vision théologique de l’Histoire60. Alors que l’Eglise a toujours été réfractaire au théâtre, et plus encore à la représentation du divin et de la foi sur scène, cette courte période littéraire voit apparaître des défenseurs de cette pratique qui prônent une éducation par la scène, à l’image de Pierre de Ryer, écrivain et dramaturge français qui en 1642, dans la préface de Saül déclare :

Ainsi, on rejoindra l’utilité au plaisir et l’instruction au divertissement ; ainsi les ennemis de nos Muses en deviendront les amants, et le théâtre, suspect à ceux qui ne le connaissent pas, deviendra pour tout le monde la plus agréable école où l’on puisse apprendre la vertu61.

Parmi les défenseurs de cette forme théâtrale on retrouve Richelieu, lui-même dramaturge, auteur de pastorales et de tragi-comédies et qui durant cette période, a la mainmise sur le théâtre français, prenant ainsi sous sa protection directe le Théâtre du Marais et le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. On notera que c’est dans ce second théâtre que sera représenté Josaphat62.

Simone Reyff souligne néanmoins le caractère très éphémère de cet engouement qui n’est pas réellement passé à la postérité, ne laissant que deux œuvres majeures : Polyeucte de Corneille et Le Véritable Saint Genest de Rotrou63. La pièce de Magnon ne connut pas réellement de succès et il n’y a pas de traces de réactions de contemporains, ni même de représentations. La seule information que nous avons est que la pièce a été jouée au Théâtre de Bourgogne64.

Le détournement tragi-comique au profit de la religion §

On observe cependant que peu de pièces religieuses de cette époque sont des tragi-comédies. Les pièces de Magnon et D.L.T. apparaissent ainsi singulières dans ce paysage.

Comme nous l’avons vu précédemment, Josaphat est une tragi-comédie régulière dont l’intrigue notamment apparaît comme très différente de celle que l’on retrouve d’ordinaire dans ce genre théâtral. En effet, Hélène Baby caractérise sa dramaturgie par la présence au centre d’un couple d’amoureux luttant pour leur amour65. Le héros d’une tragi-comédie doit donc être un amoureux. Or, si Josaphat s’est effectivement épris d’Amalazie, il n’en est pas pour autant défini comme un personnage amoureux, d’autant qu’il apparaît plutôt en tant que rival d’Arache.

En réalité, la pièce semble détourner la lutte pour l’amour en une lutte pour la foi.

C’est ainsi que le personnage d’Abenner, caractéristique du père s’opposant au mariage dans une tragi-comédie classique devient dans Josaphat un père et roi tyrannique usant de son pouvoir pour empêcher son fils d’accomplir sa volonté et de s’épanouir dans sa foi chrétienne. Josaphat est donc similaire à un héros de tragi-comédie luttant contre les obstacles qui s’opposent à lui, néanmoins l’objectif pour lui est d’être réuni avec Dieu et non avec une femme.

Quant à Abenner, on retrouve chez lui cette caractéristique d’un souverain dont « les motivations sont liées à l’amour [ici la foi] et les moyens à la politique. »66 Ainsi que le précise Hélène Baby, « le roi qui est père amplifie à l’échelle de la société les oppositions privées »67.

Parallèlement, les amoureux, Arache et Amalazie ne luttent pas pour leur amour. Car la seule lutte qui compte dans Josaphat est une lutte pour la foi. Au point qu’Arache est prêt à renoncer à sa princesse alors qu’il croit encore qu’elle n’est pas chrétienne. Ce type de réaction est néanmoins caractéristique des pièces à martyres, de même, Pauline dans Polyeucte ne souhaitera plus épouser Sévère une fois convertie, et se rangera du côté de son mari qu’elle disait ne pas réellement aimer durant toute la première partie du vers (retrouver dans la pièce).

Parmi les huit obstacles auxquels est confronté le héros tragique, quatre concernent Josaphat : la fausse mort, l’accusation en justice, la prison, et la condamnation à mort, et toutes ont pour motif cette religion dont refuse de se défaire le jeune prince.

En réalité, Josaphat est une tragi-comédie si régulière qu’elle semble plus proche de la tragédie, ne tenant son nom que du choix de la fin heureuse. Et ce que semble mettre en avant la pièce de Magnon, c’est que la croyance en Dieu peut résoudre cette fatalité qui s’abat sur les personnages – comme nous l’avons vu plus haut avec Amalazie.

En cela, la pièce se détache de la tragi-comédie qui appuie sa dramaturgie sur le hasard des évènements qui frappent les personnages. Or, aucune contingence n’est considérée dans Josaphat. Ainsi que le précise le jeune prince à Amalazie, c’est Dieu qui l’a placée dans la situation misérable dans laquelle elle est, elle qui était heureuse mais a tout perdu. Néanmoins, sa conversion pourrait la sauver. C’est ainsi qu’il lui déclare à la scène 2 de l’acte IV :

Et mesme en vostre sort regardez ce qu’il peut,
Vous estiez absolüe et du nombre des Reynes,
Il a bien pû changer vostre sceptre en chaines,
Il vous veut reserver un Empire Eternel68

Ainsi, la pièce donne à voir un dénouement qui ne serait le résultat que de cette conversion en chaîne que l’on observe dans les deux derniers actes. Magnon déplace le motif religieux consistant à dire que croire en Dieu peut sauver et l’applique dans Josaphat à la dramaturgie de la pièce. La transcendance qui d’ordinaire condamne les personnages tragiques leur permet ici d’être sauvés, car ils ne considèrent plus le « hasard », le « sort », ou la « destinée » mais bien Dieu, qui est par ailleurs le mot le plus présent dans la pièce qui compte 74 occurrences du terme69.

Le baroque, un mode d’expression jésuite. §

Magnon a étudié durant son adolescence au Collège de la Trinité à Lyon, un collège jésuite qui a forgé sa culture littéraire et a imprégné son style. En effet, Josaphat comporte trois scènes à l’esthétique baroque : les scènes 3 et 4 de l’acte II et la scène 2 de l’acte III. Le baroque est en effet un mode d’expression jésuite visant à « provoquer un choc dans le cœur des fidèles70 » qui a imprégné le théâtre religieux du fait de la créativité théâtrale des Collèges Jésuites qui ont accordé une grande place à ce genre littéraire dans le but d’instruire en divertissant. On retrouve dans ces trois scènes plusieurs procédés caractéristiques du style tel que l’allégorèse qui amène celui qui relate un passage religieux, par un autre passage de la Bible. Le livre saint s’explique ainsi par elle-même. Ce procédé est particulièrement repris dans l’ouvrage de Jean Damascène, Jean de Billy, le traducteur a d’ailleurs ajouté de nombreuses notes indiquant chaque fois à quel passage de la Bible le personnage de Barlaam se réfère.

Parallèlement, l’influence jésuite est également présente dans la construction même de la pièce, exprimant des passions violentes mais nobles, comme celles exprimées par Amalazie, ou des vertus chrétiennes qui caractérisent Josaphat, permettant à l’auteur de prétendre donner une éducation morale grâce au divertissement71. C’est cette volonté de peindre de nouvelles passions qui amènent une tragi-comédie comme Josaphat à se détourner des bouffonneries pour se tourner vers l’expression de discours et de sentiments plus nobles, et de ne conserver de baroque que ce style archaïsant caractérisant les passages dans lesquels les personnages font du prosélytisme, Magnon s’exprimant dans une reproduction parfaite du motif baroque de la nature et du monde gouvernés par un Dieu parfait, et cela, dans le but d’éduquer.

Note sur la présente édition : §

Il n’existe qu’une seule édition de la tragi-comédie Josaphat de Jean Magnon. Le privilège de cette édition est du 31 août 1646, l’achevé d’imprimer du 12 octobre 1646. Il existe deux exemplaires, disponibles à la Bibliothèque Mazarine :

  • 4° 10918-19/5 : dans un recueil aux armes de Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, avec ex-libris gr. De Nicolas-Joseph Foucault.
  • 4° A 16324-4 : ex. rogné, dans un recueil portant le cachet de la bibliothèque du Roi, à Compiègne.
  • On trouve également dix exemplaires conservés à la Bibliothèque François Mitterrand,
  • BNF – Tolbiac – Rez de Jardin – RES-YF-677
  • BNF – Arsenal – 8-THN-338
  • BNF – Tolbiac – Rez de Jardin – MICROFILM M-6812
  • BNF – Arsenal – 4-BL-3509 (2) <Pièce n° 2 ; recueil factice>
  • BNF – Tolbiac – Rez de Jardin – Z ROTHSCHILD-4126
  • BNF – Richelieu, Arts du Spectacle – 8-RF-6480 <Ex 1>
  • BNF – Richelieu, Arts du Spectacle – 8-RF-6481 <Ex 2>
  • BNF – Arsenal – GD-1727 (2)
  • BNF – Arsenal – THN-9614
  • BNF – Tolbiac – Rez de Jardin – RES-YF – 383

C’est sur ce dernier exemplaire de la BNF ayant pour cote RES-YF-383 que nous avons travaillé. En voici la description :

Format in-quarto, 15 feuillets, 114 pages [VII-107]. Privilège du 31 août 1646. Achevé d’imprimé du 12 octobre 1646.

[I] [IOSAPHAT,/TRAGICOMEDIE. /De M. Magnon. / Fleuron du libraire /A PARIS,/Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE, au Palais,/ dans la Salle des Merciers, à l’Escu de France./[filet]/ M. DC. XLVII./AVEC PRIVILEGE DU ROY.]

[II-V] [Bandeau]/A/ HAUT ET PUISSANT PRINCE/ BERNARD DE FOIX DUC D’ESPERNON [Epître dédicatoire]

[VI] [bandeau]/ Extraict du Privilege du Roy/ filet/ Achevé d’Imprimer pour la premiere fois le douzies/me octobre 1646/Les exemplaires ont estés fournis.

[VII] [Bandeau]/ PERSONNAGES/ [liste des personnages]/ La SCENE est dans Narsingue, dans le Palais/ d’Abenner.

[1-107] Texte de la pièce.

Interventions sur le texte : §

En ce qui concerne le texte, nous avons conservé l’orthographe de l’époque. Néanmoins, nous avons systématiquement remplacé le « ∫ » par le « s », et de même nous avons remplacé les quelques signes « β » par le signe qui lui correspond : le « ss ».

De même, nous avons dénasalisé les voyelles nasales du texte.

Nous rétabli la majuscule pour les noms propres qui n’en portaient pas.

Suite à l’analyse précise du texte nous nous sommes aperçu que l’exemplaire comportait de nombreuses erreurs de ponctuation que nous avons corrigé toutes les fois que cela obscurcissait le sens.

Nous avons également corrigé les coquilles présentes dans l’exemplaire, voir la liste ci-dessous :

Acte I : §

v. 1 : « soûpirez » : soupirez ;

v. 2 : « ou » : où ;

v. 58 « j’accuzat » : j’accuzai ;

v. 93 : « ou » : où

v. 97 « oze-je » : ozé-je ;

v. 106 « achepté » : acheté ;

v. 108 « Implorer » : implorez ;

v. 125 « à » : a ; v. 148 : « mal-herus » : malheurs ;

v. 159 : « frain » : frein ;

v. 163 : « l’a » : la ; v. 168 « la » : l’a ;

v. 196 : « a » : à ; v. 235 : « à » : a ;

v. 236 : « à » : a ;

v. 251 « aujourd huy » : aujourd’huy ;

v. 279 « t’eu » : teu ;

v. 286 « par tout » : partout ;

Acte II : §

v. 292 « rebutté » : rebuté ;

v. 342 : « cuisons » : cuissons ;

v. 350 : « il creé » : il crée ;

v. 417 : « ses » : ces

v. 451 « Crestiens » : Chrestiens ;

v. 473 « d icy » : d’icy ;

v. 535 « Seig. » : Seigneur ;

v. 537 : « c’est c’est » : c’est ;

v. 565 : « Sseigneur » : Seigneur ;

v. 574 : « à » : a ;

v. 588 : « ses » : ces

Acte III : §

v. 661 : « t’oy » : toy ;

v. 726 « ou » : où ;

v. 729 « l homme » : l’homme ;

v. 729 « à » : a ;

v. 795 « Tombe, tombe » : Tombent, tombent ;

v. 800 « laschè » : lasche ;

v. 812 « arache » : arrache ;

v. 826 « à » : a ;

v. 828 « milles » : mille ;

v. 834 « d’u » : dû ;

v. 834 « d’u » : dû ;

v. 873 : « qui » : qu’y

v. 886 : « Cinanor » : Sinanor

v. 898 « à » : a ;

V. 903 « ou » : où ;

Acte IV : §

v. 954 « voy-là » : voy-la ;

v. 972 « delaisez-vous » : delaissez-vous ;

v. 989 « la » : l’a ;

v. 994 « Crestienne » : Chrestienne ;

v. 1018 « qui » : qu’il ;

v. 1028 « ou » : où ;

v. 1034 « aurés » : aurez

v. 1034 « demandés » : demandez

v. 1035 « rendés » : rendez

v. 1038 « avés » : avez

v. 1040 « avés » : avez

v. 1042 « enseignés » : enseignez

v. 1043 « tesmoigné » : tesmoignez

v. 1044 « Qu’elles » : Quelles ;

v. 1073 « teâtre » : théâtre ;

v. 1080 « a » : à ;

v. 1161 « Ma » : M’a ;

v. 1192 « Crestien » : Chrestien ;

v. 1197 « qu’elle » : quelle ;

v. 1214 « à » : a ;

v. 1258 « Est-ce » : est ce ;

Acte V : §

v. 1271 « t’on » : ton ;

v. 1285 « encensants » : encensant

v. 1296 « à » : a ;

v. 1301 « à » : a ;

v. 1314 « la » : là

v. 1323 « ou » : où

v. 1326 « se rendre » : se rende ;

v. 1349 : « la » : l’a

v. 1373 « aracher » : arracher ;

v. 1375 « my » : m’y ;

v. 1389 « suive » : suivent ;

v. 1417 « la » : l’a ;

v 1421 « la » : l’a ;

v. 1433 « vousne » : vous ne ;

v. 1496 « ou » : où

v. 1511 : « qu’elle » : quelle ;

v. 1532 « â » : a ;

v. 1534 « là » : la ;

Enfin, il est à noter qu’à la page 70, l’édition comporte une erreur de répartition de vers. Ainsi 4 vers qui constituent une réplique du personnage d’Amalazie sont attribués par erreur au personnage de Josaphat. Dans l’édition originale les vers étaient répartis ainsi :

JOSAPHAT.
Hé bien vous vous rendés ?
Voyés si ma faveur n’a pas de l’efficace
Puisque sans le prier il vous donne sa grace,
Nacor a commencé ce que vous avés fait
De ses raisonnemens c’est la suite et l’effet,
Vous avés achevé d’affermir ma croyance
Et j’estois disposé à cette connoissance,
AMALAZIE.
Ouy, je me rends au Dieu que vous nous enseignés

Or, sur notre exemplaire une note manuscrite a inscrit le nom d’Amalazie entre le 3e et le 4e phrase de la réplique de Josaphat, et a barré ce même nom au début de la réplique suivante. Cela a permis de comprendre qu’il y avait une erreur d’édition qui a été rectifiée.

Il est à noter que la note manuscrite n’est pas présente dans les autres exemplaires consultés.

JOSAPHAT,
ET
TRAGICOMEDIE.
De M. Magnon. §

A HAUT ET PUISSANT PRINCE §

BERNARD DE FOIX DUC D’ESPERON,

De la Vallette et de Candalle, Pair et Colonel general de France, Chevallier des Ordres du Roy, et de la Jarretiere, Prince et Captal de Buch, Comte de Foix, d’Astarac, et c. Sire de l’Espare, et c. Gouverneur & Lieutenant general pour le Roy en Guyenne.

MONSEIGNEUR,

Ces Eloges si familiers que la pluspart de nos Escrivains emprunte ou de la naissance ou du merite, ne sont que des faux ornements dont ils veulent couvrir le peu d’extraction ou les defauts de la personne qu’ils nous loüent : Je ne veux rien mendier de cette partie de l’éloquence qui persuade moins qu’elle ne flatte, et qui loin de faire croire les officieux mensonges, fait soupçonner mesme les veritez : Quelque ingenieuse qu’elle soit, elle cache si peu les artifices qu’ell les rend visibles à celuy qu’elle veut tromper , il rougit le premier de ses fausses loüanges , et quelque presomption que chaque homme ait conçeu de soy, il se dénie cette complaisance que son adorateur a pour luy : Comme il est des flateries qui offensent, il est des veritez qui déplaisent ; il est beau de tirer un inconnu de la foule du peuple, de l’exposer en veuë, et de rendre visible aux yeux de tous , un homme qui feroit encore dans l’obscurité , sans le jour que l’on luy dône :Mais loüer un Grand par sa naissance c’est loüer dans luy tous ses semblables , et luy donner une qualité qu’il a commune avec beaucoup d’autres : Qu’est-il besoin MONSEIGNEUR, de dire à toute la France que vous descendez d’une race qui l’a dignement servie, dans laquelle ses Rois ont treuvé des Favoris, des Generaux d’Armée, et des Gouverneurs de Provinces ? Est-il necessaire MONSEIGNEUR , d’adjouster que le Caractere de Duc et Pair est comme attaché à vostre Maison , que l’une des éminentes Charges de la Couronne est son moindre heritage , que la fortune , ce semble , a voulu recompenser vos vertus dans la personne de vos Ayeuls , et que les Cœurs de toute la Guyenne sont des biens successifs dans votre Famille ? Je pourrois encore vous loüer par un autre advantage : N’estes-vous pas aussi glorieux Pere, qu’heureux mary ?72 Mais je n’entreprens pas de faire icy le Panegyrique de toute vostre Maison, et je laisse a quelqu’autre bouche à discourir de ce bon-heur , outre que je ne dirois que des choses tres-connuës ; elles parroissent trop pour estre monstrées , ce n’est point par-là que je veux vous glorifier , je veux choisir la derniere de toutes vos belles qualitez ; Cette protection et ce secours, MONSEIGNEUR, que vous avez donné à la plus malheureuse et à l’une des plus meritantes Comediennes de France n’est pas la moindre action de vostre vie. Et si j’oze entrer dans vos sentimens, je veux croire que cette generosité ne vous déplaist pas, tout le Parnasse vous en est redevable et vous en rend graces par ma bouche, vous avez tiré cette infortunée d’un precipice où son merite l’avait jettée , et vous avez remis sur le Theatre un des beaux personnages qu’il ait jamais porté : Elle n’y est remontée MONSEIGNEUR, qu’avec cette belle esperance de joüer un jour dignement son roolle dans cette illustre Piece73, où sous des noms empruntez l’on va representer une partie de vostre vie. Je pousse vostre modestie jusques au bout : mais il faut qu’elle se fasse violence , et qu’elle m’escoute malgré elle : Croyez-vous, MONSEIGNEUR , que je vous aye donné une vanité trop excessive Elle est tres-juste ; Ces Grecs et ces Romains qui ont si long-temps occupé nostre Scene n’auront point de deshonneur de vous ceder leur place , ils deviendront mesme vos Spectacteurs, et par le long Silence que nous leur imposerons ils témoigneront leur admiration : Moy mesme des premiers je veux introduire sur le Theatre l’Histoire Françoise , bien loin que l’Antiquité nous ait pû fournir abondance de matieres, ils nous a fallu beaucoup adjouter à ce qu’elle nous a dit de ces Heros, au lieu que dans nostre siecle nous aurons un contraire travail, et nous serons en peine de retrancher du grand nombre de ces excellens sujets que nostre Histoire nous donnera, vous n’y serez point oublié ; là sous de faux incidens vous verrez vos veritables advantures et je vous verray rougir d’une imposture si agreable. C’est assez exercer vostre modestie, je veux finir, et je vay luy obeyr avec ce reproche que je luy fais , de ne se point plaire à ouïr des veritez , c’en est une MONSEIGNEUR, que je renouvelleray chaque moment de ma vie, que je suis,

MONSEIGNEUR,

DE VOSTRE GRANDEUR.

Le tres-humble & tres-obeyssant serviteur.

MAGNON.

Extraict du Privilege du Roy. §

Par grace et Privilege du Roy : Donné à Paris le dernier Aoust 1646. Signé par le Roy en son Conseil, SYMON : Il est permis à ANTOINE DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer vendre et distribuer une piece de Theatre intitulee Josaphat Tragi-Comedie, et ce durant le temps de cinq ans, à compter du jour que ladite piece sera achevee d’imprimer, et defenses seront faites à tous Imprimeurs et Libraires d’en imprimer , vendre et distribuer d’autre impression que celle dudit SOMMAVILLE, ou ses ayants causes , sur peine aux contrevenants de trois mille livres d’amande, confiscation des exemplaires , et de tous despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites Lettres.

Et ledit SOMMAVILE a consenty & consent, que TOUSSAINCT QUINET, aussi Marchand Libraire, jouysse par moitié dudit Privilege, suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’Imprimer pour la premiere fois le douziesme octobre 1646.

Les exemplaires ont esté fournis.

PERSONNAGES §

  • ABENNER, Roy des Indes.
  • JOSAPHAT, son fils.
  • ARACHE, Lieutenant general des Armees d’Abenner.
  • AMALAZIE, prisonniere de guerre d’Abenner.
  • BARLAAM, Courtisan d’Abenner, disgracié.
  • NACOR, Courtisan d’Abenner.
  • GARDES.
La SCENE est dans Narsingue, dans le Palais d’Abenner.
[A, 1]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

AMALAZIE, ARACHE.

ARACHE

Vous soupirez*, Madame, et vous versez des larmes,
Dans un temps74 où la Cour estale tous ses charmes ;
Le Prince Josaphat a quitté son sejour*,
Et son pere aujourd’huy le reçoit dans sa Cour ;
5 Vous seule par vos pleurs alterez nostre joye, {p. 2}
Dequoy vous plaignez-vous ?

AMALAZIE.

Faut-il que je vous voye ?

ARACHE.

Que me peut reprocher vostre ressouvenir* ?

AMALAZIE

Ah ! cruel ? ma memoire a dequoy vous punir ;
Quoy que vous le sçachiez75 vous le voulez apprendre,
10 Cent fois je vous l’ay dit, lassez-vous de l’entendre :
Ne vous souvient-il76 plus des maux que j’ay souffers,
Avez vous oublié que je suis dans les fers,
Que le Prince Abenner me tient en sa puissance,
Qu’il garde mes Estats par droit de bien seance*77* :
15 Vous rediray-je encor que mes parents sont morts,
Vous faut-il adjouster que c’est par vos efforts*,
Que sous vostre conduite on entra dans mes terres
Que la mort de mon pere a terminé vos guerres,
Et que la mesme main qui causa ma prison
20 Est une main fatale à toute ma maison ?
Mais dans le méme temps que je vous rends coupable,
L’amour me monstre en vous quelque chose d’aymable ;
Je ne puis vous absoudre et moins vous condamner,
J’ignore à quel party mon cœur doit incliner* :
25 J’escoute les raisons et de l’un et de l’autre,
J’espouse sa querelle* et j’embrasse la vostre :
Et par des mouvemens* d’amour et de courroux, {p. 3}
Je vous prefere à luy, je le prefere à vous :
Mais il vous est aisé de vaincre ma colere,
30 J’ayde à vous excuser de la mort de mon pere,
Dedans vostre pardon je prends trop d’interest
Je me fais à moy-mesme un favorable arrest* ?
Prince deffendez–vous j’incline* à vous absoudre.

ARACHE

Ce n’est qu’en ma faveur que vous pouvez resoudre* :
35 J’entray dans vos estats par l’ordre de mon Roy
Ce funeste armement despendoit-il de moy ;
Au seul nom d’Abenner j’ursurpay* vos Provinces
Par son commandement j’assujetty vos Princes,
Je leur donnay des loix qu’imposoit un vainqueur,
40 Et je leur fis subir une juste rigueur ;
Je sousmis vostre pere à ce joug necessaire,
Et d’un simple hommager j’en fis un tributaire ;
Il se precipita dans un second mal-heur ;
Il tenta derechef* le sort et sa valeur78.
45 Mais malgré ses efforts il y laissa la vie
Et par cét accident il remply79 son envie80,
Il s’est conservé libre autant qu’il a vescu81
Et tout desfait* qu’il fust il ne fust point vaincu :
D’un pas victorieux82 et d’une marche* esgale83,
50 Je devois assieger la ville capitale ;
Je dus prendre Erissa84 le siege de vos Roys,
Et sousmetre par-là toute l’Inde à nos loix ;
Je devois par sa prise achever nostre guerre, {p. 4}
Poussé de cét espoir j’y vins comme un tonnerre ;
55 J’y volay je vainquis, c’est-là que je vous vy,
Et qu’à tant de beautez le cœur me fust ravy85,
Ce fust-là que vos pleurs m’arracherent des larmes,
Que j’accuzai le sort du bon-heur de mes armes,
Et qu’ayant detesté ce mal-heureux employ*,
60 Je me plaignis cent fois des Dieux et de mon Roy.

AMALAZIE.

Le Ciel et vous mon Prince estes d’intelligence*,
Vous vous justifiez avecque86 violence,
L’un et l’autre rejette87 un si funeste effait
Et renvoye au destin tout le mal qu’ils m’ont fait ?
65 Ah ! destin seul autheur du trespas de mon pere,
N’est-ce donc que sur toy qu’agira ma colere,
Dans mon ressentiment n’auray-je que le sort
Que je puisse accuser d’avoir causé sa mort,
Que n’a t-il un complice88 ?

ARACHE.

Il en est seul coupable.

AMALAZIE.

70 Prince je vous absous vous estes pardonnable ;
Des yeux dont je vous voy je ne puis vous hayr,
Et mon foible courroux se plaist à me trahir :
J’ay beau renouveller une vieille querelle,
Mon cœur se rend à vous dés qu’il se fait rebelle,
75 Et ce seditieux89 qui me vient animer [5]
S’il m’esmeut contre vous me force à vous aymer ;
Tous les jours il vous donne une nouvelle grace.

ARACHE.

Ah ! pour la meriter, que faut-il que je fasse ?

AMALAZIE.

Mon ame a bien assez de ces vieilles douleurs
80 Sans qu’elle endure encor quelques nouveaux malheurs,
Ne me hasardés* point dedans vostre personne.

ARACHE.

J’ay honte pour le Roy de vous voir sans Couronne
Rends moy donc Prince ingrat ce que je t’ay conquis
Veux-tu garder des biens injustement acquis
85 Veux-tu deposseder une illustre heritiere
Et par raison d’Estat.

AMALAZIE.

Je suis sa prisonniere ?
C’est la façon d’agir de tous les conquerans.

ARACHE.

L’on a souvent parlé de tous vos differens
Il ne se peut resoudre90 à vous rendre vos terres
90 Il feint d’apprehender quelques nouvelles guerres ;
Desja les plus zelez redoutent son courroux
Et personne au conseil n’ose parler pour vous.

AMALAZIE. {p. 6}

Hé bien jusqu’à la mort il faut porter ma chaine.

ARACHE.

La force est raisonnable où la douleur est vaine :
95 Toy severe vertu qui m’apprends mon devoir,
Donne luy les conseils que tu me fais avoir ?
N’ozé-je91 murmurer rigoureuse contrainte
Ah ! que ne puis-je aller au delà de la plainte.
Je viendrois,

AMALAZIE.

Arrestez, Prince, il est vostre Roy.

ARACHE.

100 Il sçait donc bien user des droits qu’il a sur moy.
Pour estre son vassal manquay-je de courage ?

AMALAZIE.

Mon Prince avec honneur, rompons mon esclavage ;
Je n’en veux point sortir par une lascheté.

ARACHE.

Il reste un seul moyen pour vostre liberté ;
105 Consentez y Madame ?

AMALAZIE. {p. 7}

Ouy s’il est legitime,
Je desdaigne un Empire acheté par un crime.

ARACHE.

Voyez le jeune Prince, employez* son pouvoir.

AMALAZIE.

Implorez sa faveur, je ne le veux point voir ;
Pour la fille d’un Roy ce langage est trop rude
110 Et cét abaissement sent trop la servitude.

ARACHE.

J’ay sçeu de vos beautez jusques92-là le ravir
Qu’il se tient glorieux de vous pouvoir servir,
Il desire vous voir avec impatience.

SCENE II. §

AMALAZIE, ARACHE, UN GARDE.

UN GARDE.

Seigneur le Prince arrive avec magnificence,
115 Desja toute la Cour s’en va le recevoir {p. 8}
Il paroistra bien-tost.

ARACHE.

Madame il le faut voir93.
J’ose vous en prier.

AMALAZIE.

Il vous faut satisfaire94.

ARACHE.

Un Empire vaut95 bien.

AMALAZIE.

Prince c’est pour vous plaire :
Mais s’il vous arrivoit ce que j’ose prevoir
120 Songez que malgré moy vous me le faites voir.

ARACHE.

Madame il m’a promis dedans sa solitude
De s’employer pour vous avec beaucoup d’estude ;
Il faut l’entretenir avant qu’il parle au Roy
Allons le reçevoir ? Madame je le voy.

SCENE III. [B, 9] §

JOSAPHAT, AMALAZIE, ARACHE,
Troupe de courtisans.

ARACHE

125 He bien Seigneur le peuple a veu son jeune maistre
Enfin son Dieu visible a daigné luy paroistre,
Et tel que le Soleil quand il dore les cieux,
L’éclat de vostre veuë esblouyssoit ses yeux ;
La Cour de son costé ne s’est point espargnée
130 Et par ses complimens sa joye est tesmoignée ;
En voicy l’ornement* que je vous viens offrir.

JOSAPHAT, bas.

Que ce fatal objet me va faire souffrir,
Mon cœur pressent ses maux avant qu’il les cognoisse.

ARACHE.

Cette Cour est heureuse ayant cette Princesse.

JOSAPHAT. {p. 10}

135 Quoy Prince, cette Cour a-t’elle tant d’appas* ?

ARACHE.

Ayant cette beauté qu’est-ce qu’elle n’a pas ;
Cét Auguste Palais enferme Amalazie.

JOSAPHAT.

Madame je le vois avecque96 jalousie,
Et puis qu’il vous possede il semble que ce lieu
140 Soit moins la Cour d’un Roy que le palais d’un Dieu ;
Arache me vanta ce merveilleux ouvrage*
Mais il ne m’en traça qu’une imparfaite image ;
Il ne pû concevoir ny bien moins exprimer,
Ces amas de beautez qu’il me voulut former.

AMALAZIE.

145 Seigneur vous me louez, ainsi qu’il m’a loüé
Et de peu d’agreemens ma personne est douée :
Des yeux accoustumez à respandre des pleurs
Une bouche employee à dire ses mal-heurs

ARACHE, l’interrompant.

Seigneur incessamment la mort est son envie.

JOSAPHAT.

150 Madame, quel ennuy* vous fait hayr la vie ?

AMALAZIE. {p. 11}

J’en ay bien des raisons puisque mon pere est mort,
Je traisne en cette Cour un miserable sort ;
Qui pour rendre Eternels tous les maux qu’il m’envoye
Couvre mes desplaisirs d’une apparente joye :
155 Mes yeux sont amusez par mille passetemps,
Et pendant que mes sens feignent d’estre contens ;
Mon ame incessamment fait des plaintes secrettes
Et ne reçoit jamais d’allegresses parfaictes,
C’est un frein que le Ciel oppose à mes plaisirs,
160 Un sujet Eternel de pleurs et de souspirs :
Vous aurez sçeu d’Arache une part de nos guerres.

JOSAPHAT.

De luy-mesme j’ay sçeu qu’il entra dans vos terres ;
La prise d’Erissa ; comme il la desola
Et comme ayant conquis Circan et Bengala97,
165 Ces Royaumes fameux que le Gange divise
Il borna* par vos fers cette longue entreprise,
Vous aurez sçeu de luy comme j’ay supporté*98.

ARACHE.

Elle en fust advertie.

AMALAZIE.

Il me l’a rapporté.
J’ay sçeu jusqu’à quel point mon desastre vous touche.

JOSAPHAT. {p. 12}

170 Vous avez dû sçavoir par cette mesme bouche :
Que touchant ce sujet je parlerois au Roy
Je l’ay promis au Prince, et je tiendray ma foy.

AMALAZIE.

Seigneur je vous expose, et vous je vous hazarde
Dans de divers perils mon ame vous regarde,
175 Je voy dessus99 tous deux dessendre son courroux
Et crains100 que mes mal-heurs n’aillent jusques à vous.

JOSAPHAT.

Je m’en vay le premier essuyer sa colere.

AMALAZIE.

N’encourez point pour moy l’inimitié d’un pere.

ARACHE.

Ah ! Seigneur, que plustost elle esclatte sur moy.

AMALAZIE.

180 Et vous n’attirez point la disgrace du Roy ;
Dure101 eternellement un si long Esclavage

JOSAPHAT.

Nous n’en sortirons point à mon desavantage.

AMALAZIE. [13]

Je vay prier les Dieux de vous y seconder.

JOSAPHAT.

Quand il vous faut servir, j’oze tout hazarder*.

SCENE IV §

JOSAPHAT, ARACHE.

JOSAPHAT.

185 Prince qu’elle est aymable.

ARACHE.

Ouy Seigneur elle est belle.

JOSAPHAT.

O l’agreable objet.

ARACHE.

Tout est illustre en elle.
Et jamais la beauté ne fust mieux dans son jour102. {p. 14}

JOSAPHAT.

Vous estes glorieux de vivre en cette cour ;
Le Roy m’a fait nourrir dans un lieu de plaisance
190 L’on ne m’entretenoit que de magnificence :
L’on donnoit à mes yeux mille objets ravissans
Et ma Cour s’occupoit à divertir mes sens ;
Mais rien de tout cela n’esgale Amalazie,
Le Roy passe103 en bon-heur tous les Roys de l’Asie :
195 Mais Prince à ce propos ostes moy de104 soucy*,
Mon pere à quel sujet m’éloignoit-il d’icy ?

ARACHE.

C’est une vieille loy que nous tenons des Perses,
Entre le peuple et vous il n’est point de commerces* :
Les enfans de nos Roys sont nourris hors du bruit,
200 Et pendant ce sejour un Prince les instruit ;
Il leur doit enseigner la science des Princes,
Et cét art glorieux de regir les Provinces :
Il doit de temps en temps leur eslever les yeux
Et porter leurs esprits à cognoistre leurs Dieux.

JOSAPHAT.

205 Arache depuis peu mon ame est inquiete,
Donnes-moy de ces Dieux quelque preuve parfaite,
Ces Dieux conversent-ils avecque les mortels
Ont-ils les mesmes Corps qu’ils ont sur nos autels,
Sur lequel de ces Dieux tailla-t’on leurs images ? {p. 15}

ARACHE.

210 L’artifice de l’homme inventa ces ouvrages ;
Conformément aux sens il les fist corporels.

JOSAPHAT.

Auroient-ils avec nous les mesmes naturels* ?

ARACHE.

Ils nous montrent souvent leurs amours et leurs haines.

JOSAPHAT.

Ils ne sont point exempts des foiblesses humaines :
215 D’ailleurs ce Jupiter105 qui regle leurs conseils
A des inferieurs et n’a point de pareils,
S’ils sont Dieux comme luy s’y peuvent-ils resoudre ?

ARACHE.

Il receut en partage et le Ciel et la foudre,
Et dans ce grand traitté106 qui mit Saturne aux fers
220 Neptune eut l’Occean et Pluton les Enfers.

JOSAPHAT.

Qui n’a pas respecté les interests d’un pere,
Ne relascheroit rien en faveur de son frere ;
Et cette ambition qui fit armer trois Dieux, {p. 16}
Feroit renouveller le partage des Cieux.

ARACHE.

225 Jupiter est en droit de garder son tonnerre
Et luy prenant le Ciel vous a laissé la terre ;
Mais Seigneur d’où vous naist ce désir curieux,
Et pour quelle raison s’informer de nos Dieux :
Ce sont secrets cachez à nostre cognoissance.

JOSAPHAT.

230 Je vous diray tantost ce que mon ame en pense ;
Rompons107 cét entretien je voy venir le Roy ?

ARACHE, bas.

Dieux du Dieu des Chrestiens auroit-il sçeu la loy ?

SCENE V. §

ABENNER, JOSAPHAT, ARACHE, Gardes.

ABENNER.

Vous avez veu Narsingue.

JOSAPHAT. {p. C, 17}

Ouy Seigneur je l’ay veuë
Et de quelque beauté dont ma Cour soit pourveuë,
235 Le sejour m’en desplaist, Narsingue a trop d’appas*
Cette Ville a dans soy108 ce qu’un desert n’a pas,
Au reste vostre Cour est illustre et pompeuse*
Et l’aage* qu’on y passe est une vie heureuse,
Proche d’Amalazie un sejour est bien doux
240 Et je voy vostre Cour avec un œil jaloux,
Si j’ozois vous prier ! ah je manque d’audace !

ABENNER.

Je vous entends allez.

JOSAPHAT.

Faites-moy cette grace,
Elle a trop de pouvoir pour ne pas commander.

ARACHE.

Seigneur encor un coup j’ose le demander.
245 Je vous en importune au nom de ma victoire.

ABENNER.

Prince tous vos travaux sont dedans ma memoire.

ARACHE.

Vous y verrez Seigneur les conquestes de Cor,
De Sanga, de Circan, d’Erissa, de Canor,
De Malipur, d’Oxir, de Bengala, d’Ormasse {p. 18}
250 Et la reduction, de l’Indïe haute et basse,
L’occean aujourd’huy sert de borne à l’Estat109.

ABENNER.

Si vous m’avez servy je ne suis point ingrat,
D’un petit Souverain je vous ay fait grand Prince
D’un grand nombre d’Estats j’accrus vostre Province,
255 Vous me devez la foy, ses seuls droits reservez,
Vous approchez de prez de qui vous relevez*,
L’insolent Sinanor110, me refusa l’hommage
A mes Ambassadeurs il voulut faire outrage,
Mes vassaux apprendront ce qu’il a sçeu de moy
260 Qu’il ne se faut point prendre à plus puissant que soy.

ARACHE.

Mais sa fille Seigneur, n’en est point responsable.

ABENNER.

Aussi dans mon conseil n’est-elle point coupable
Prince en vostre faveur* je luy rends ses Estats.

ARACHE.

Monarque le plus grand d’entre les Potentats* !

JOSAPHAT.

265 Seigneur cette action merite des Empires.

ABENNER.

Tu me vois indulgent à ce que tu desires,
Je veux aussi de toy [19]

JOSAPHAT.

Que commanderez-vous,
Je suis prest d’obeyr.

ABENNER.

Que tu sois son espoux,
Y consens-tu mon fils ?

JOSAPHAT.

Ah ! Que je vous embrasse
270 J’allois vous demander cette seconde grace*,
Vous entrez dans mon cœur vous voyez mes souhaits.

ABENNER.

Que ne puis-je exaucer tous les vœux que tu faits
Vous Prince dont le zele agissoit tant pour elle
Allez luy rapporter cette heureuse nouvelle.

ARACHE, bas.

275 Se peut-il rencontrer un esprit plus confus ?

ABENNER.

C’est la seule raison qui causa mes refus,
Je la luy destinois et dans ma prevoyance
J’asseuray nos maisons d’une telle alliance,
Si j’ay teu jusqu’icy cét Hymen* à ma Cour [20]
280 C’est que pour l’achever j’attendois son retour.

JOSAPHAT.

Allez luy presenter une double Couronne
Et par-là demander le cœur que l’on me donne,
Je vous suis, recevez un si celebre employ*.

ARACHE, bas.

Faut-il que ma priere ait agy contre moy,
285 Je me charge Seigneur de cette confidence.

ABENNER.

Qu’on declare partout cette resjouyssance,
Que Narsingue à l’envy* celebre cét amour.

ARACHE, bas.

Ah ! plustost par ma mort solemnizons ce jour ;
Allons voir ma Princesse, allons luy tout redire
Haut
290 Et la sousmettre au choix d’Arache ou d’un Empire.

Fin du premier Acte.

{p. 21}

ACTE II §

SCENE I §

JOSAPHAT, seul.

Je me voy bien descheu d’une haute esperance
Je me voy rebuté* contre toute apparence* :
Avoir pû desdaigner le fils de son vainqueur
L’amour, ny la grandeur n’ont pû fleschir son cœur,
295 C’est l’Ame d’une esclave elle ayme trop ses chaines
Je ne puis concevoir cette sorte de haine,
C’est se haïr soy-mesme et non pas me hair
Ce cœur imperieux111 veut tousjour obeir,
Puis qu’elle112 aime ses fers que l’ingrate y demeure
300 L’orgueilleuse y veut vivre il faudra qu’elle y meure,
L’objet de sa prison à dequoy la ravir
Amalazie aux fers, la verray-je servir113,
Ciel, combien de pensers mon esprit se propose
Mon ame a des langueurs dont j’ignore la cause,
305 Je me sens inquiet, et ne sçay point pourquoy
Les passions en foule agissent dessus moy.
{p. 22}

SCENE II. §

JOSAPHAT, UN GARDE.

LE GARDE.

Seigneur, un Jouaillier se presente à la porte
Il n’est rien d’excellent que cet homme n’apporte.

JOSAPHAT.

Que l’on le fasse entrer, mon œil il faut choisir
310 Et sur cent diamans deviner son desir,
Esbloüissons par-là les yeux d’Amalazie.

SCENE III. §

JOSAPHAT, BARLAAM.
GARDES.

JOSAPHAT.

He bien, qu’as-tu de beau ?

BARLAAM, [23]

J’ay parcouruë l’Asie,
Et de tous leurs tresors j’ay despoüillé les mers.

JOSAPHAT,

Montre, que de beautez composent l’Univers,
315 Que la nature est riche et riche en belles choses
Sa liberalité* nous prodigue les roses,
Les perles, les rubis, les diamans et l’or.

BARLAAM.

L’on trouve dans son sein un Eternel tresor,
Rien ne peut espuiser cette source feconde
320 Et sa force entretient le commerce du monde,
Jusques au fonds des mers elle fait le coral
Le lieu le plus sterile est le plus liberal,
Que si par l’abondance il nous ressemble114 avare
Par une rareté ce defaut se repare,
325 Le plus creux d’un rocher engendre un diamant
Et nous fait estonner de son accouchement.

JOSAPHAT.

Comment se produit-il ?

BARLAAM.

Il est dans la nature 
Des semences de sel, de soulphre, et de mercure,
La terre s’entretient par ces trois qualitez [24]
330 Et de-là nous voyons mille diversitez,
De certaines humeurs* par degrez s’espaississent
Par un long cours de temps ces vapeurs s’endurcissent,
D’une eau naist une glace il s’en fait des cailloux
Et s’y forme une feuille et dessus et dessous,
335 Pour le rendre espuré nous enlevons l’escorce
Et par nostre industrie* on amollit sa force,
Ces pierres à qui l’art donne tant de valeur
Ne sont que des Cristals differens en couleur,
La pierre prend son lustre* ou du lieu qui l’enserre
340 Ou de cét aliment que luy donne la terre,
D’autres sur ce rencontre*115 en rapportent l’effet
Aux diverses cuissons que le Soleil en fait.

JOSAPHAT.

Et comment naist la perle ?

BARLAAM.

Une conque* exposee,
Se tourne vers le Ciel en reçoit la rosee ;
345 R’amasse dans son sein la manne* du matin
Et se replonge en mer pleine de ce butin,
Le Soleil y travaille il espaissit ces goustes
Et jusqu’au fonds des eaux il les eschauffe toutes,
Enfin par sa chaleur ou bien par les rayons
350 Il crée et fait durer tout ce que nous voyons,
Vos maistres mieux que moy vous apprennent ces choses, [D, 25]
Ils sçavent discourir dessus ces belles causes.

JOSAPHAT.

De combien ton tresor te semble-t’il valant*116?

BARLAAM.

Le moindre diamant est du prix du talent*117,
355 Je vous en monstreray d’un prix inestimable.

JOSAPHAT.

Expose ta richesse, et mets là sur ma table.

BARLAAM.

Je ne l’estale point devant vos courtisans,
Qu’ils s’esloignent de nous que nuls n’y soient presens.

JOSAPHAT.

Tu me peux tout monstrer, suivans qu’on se retire.
{p. 26}

SCENE IV. §

JOSAPHAT, BARLAAM.

BARLAAM.

360 Oyez ce que mon Dieu m’a forcé de vous dire,
La perle que je porte a bien d’autres clairtez
Sa lumiere penettre en des lieux escartez :
Ce visible Soleil que les gentils* honnorent,
N’est qu’un rayon du Dieu que les Chrestiens adorent,
365 L’Univers ne cognoist qu’une Divinité,
Cent beaux raisonnemens preuvent cette unité :
Le Monde à presque en soy118 des choses infinies,
Dans leurs diversitez elles semblent unies119 ;
Et comme à chaque corps ce grand Dieu donne un cours,
370 Il semble que tout aille à ce premier secours.

JOSAPHAT.

Que veut dire cecy descouvrons ce mystere,
Je commence à treuver le secret de mon pere120.

BARLAAM.

L’on pourra moins douter de son Eternité,
Puis qu’il comprend le monde avec immensité ;
375 Celuy qui donne l’ame à toute la nature, [27]
Peut-il pas subsister sans cette creature :
Ce Dieu qui donne tout qui ne prend que de luy,
Ne peut-il pas durer sans le secours d’autruy ?
Il tira du neant une si lourde masse,
380 Et mit dans un instant chaque corps en sa place ;
Après avoir construit ce pompeux* bastiment,
Ce premier architecte en vit tout l’ornement*,
Ayant consideré qu’il n’y fist point de fautes,
Pour sa perfection il luy donna des hostes :
385 Il voulut créer l’homme, il luy fist des Estats,
Autant que de mortels il fist de Potentats*,
Cét ingrat hommager* devint bien-tost rebelle,
Ses mal-heureux enfans suivirent sa querelle*,
Son crime s’estendit jusqu’à ses heritiers,
390 L’homme se fourvoya de ces premiers sentiers ;
Son Dieu tout couroucé luy declara la guerre,
Un grand débordement121 purgea toute la terre,
A peine un innocent se sauva de ses mains,
Qui pût perpetuer la race des humains ;
395 Ses enfans dispersez, les restes d’un deluge,
A qui le Ciel et l’eau desnioient* un refuge,
Contre qui l’Univers s’estoit tout conjuré,
Treuverent sur la terre un azile assuré :
Ces seconds habitans la peuplerent de crimes,
400 Et tous leurs descendans suivirent leurs maximes ;
La foudre qu’il tenoit les alloit abysmer,
Sans ces excez d’amour qu’on ne peut exprimer :
Dieu descendit du Ciel pour regagner la terre, {p. 28}
Son fils humanizé nous vinst faire la guerre ;
405 Et ce doux conquerant qui desdaignoit nos corps,
Pour reduire nos cœurs tenta tous ces efforts :
Il imposa silence à tous vos vieux Oracles,
Il nous vinst exposer sa vie et ses miracles ;
Dans son propre pays il fut mis sur la Croix,
410 Et comme un imposteur mourut le Roy des Roys :
Sa mort se fist sentir à chaque Creature
Une commune ecclypse aveugla la Nature,
Et quoy que le Soleil eust caché sa clarté ;
Un Dieu mourant parust par cette obscurité :
415 Ce Dieu trois jours apres força sa sepulture,
Et l’on vit violer l’ordre de la Nature ;
Ce beau temps arrivé qu’il dût monter aux Cieux,
Comme il avoit prescrit* il delaissa ces lieux :
Son renom s’espandit de l’un à l’autre pole,
420 Les deux bouts de la terre ont receu sa parole,
Vostre Palais se ferme à sa divine voix
Et vous seul escoutez des Dieux d’or et de bois :
Je viens vous retirer d’une longue ignorance :
Et je vous viens donner une autre connoissance,
425 C’est-là ce beau brillant* que je tenois caché.

JOSAPHAT.

Et c’est-là le secret que j’ay long-temps cherché.

BARLAAM. [29]

Barlaam est mon nom, j’ay servy vostre pere,
Loin d’estre reconnu l’exil fust mon salaire ;
Seigneur, mon plus grand crime estoit d’estre Chrestien,
430 J’abandonnay sa Cour, je delaissay mon bien,
Là je vy demeurer mes timides* complices.

JOSAPHAT.

Des Chrestiens dans la Cour ?

BARLAAM.

Ils craignent les supplices,
Et s’ils n’apprehendoient la colere du Roy,
Aux yeux de cette Cour ils publieroient leur foy,
435 Le temps arrivera qu’ils se feront cognoistre
Mon Dieu quand il luy plaist, se fait assez paroistre.

JOSAPHAT.

Vaines precautions, entendement humain,
Tu vois visiblement que ton conseil est vain.

BARLAAM.

Vostre pere assembla les plus grands Astrologues
440 Dessus vostre naissance on fit cent dialogues,
L’ayant examiné ils furent tous d’accord
Que l’aspect de vostre astre influoit un beau sort,
Et que vostre Planette avoit un beau visage {p. 30}
Mais qu’on y remarquoit un sinistre presage,
445 Qu’un mal succederoit après un si grand bien
Et qu’elle leur monstroit que vous seriez Chrestien,
Le Roy vous envoya dans une solitude
En ayant arraché ce qu’elle avoit de rude122,
Il crût rompre par-là ces dangereux advis.

JOSAPHAT.

450 S’ils ont esté donnez, ils ont esté suivis ?

BARLAAM.

Cét endroit aux Chrestiens estoit inaccessible
Moy, voyant que ma perte y seroit infaillible*123,
Je n’ozay rien tenter que jusques à ce jour
Que j’ay sçeu que le Roy vous appelloit en Cour.

JOSAPHAT,

455 En sçais-tu la raison ?

BARLAAM.

Il en a crû ses Mages,
Qui pensent que le temps ayt rompu leurs presages ;
A peine les Chrestiens ont sçeu vostre retour,
A peine avois-je sçeu vostre nouvelle amour124 ?
Que nous avons formé ce nouveau stratageme. {p. 31}

JOSAPHAT.

460 Mais tu t’és exposé dans un peril extréme ?

BARLAAM.

A l’envy* les Chrestiens ont brigué cét employ,
Tous le vouloient avoir je l’ay gardé pour moy ;
S’il est quelque danger leur zele le partage,
Et pour prendre leur part d’un si bel avantage ?
465 Ils ont contribué de tous leurs diamans.

JOSAPHAT.

O parfaite union ! merveilleux sentiments !
Grand Dieu de Barlaam illumine mon ame,
Esclaire mes esprits d’une celeste flamme,
Et dispose mon cœur à recevoir ta Loy.

BARLAAM.

470 Pour s’y bien preparer il suffit de la Foy.

JOSAPHAT.

Ouy, je me sens espris d’une divine audace,
Et mes sens sont remplis des effets de sa grace ;
Je me sens destacher des choses d’icy bas,
Et quand je voy le Ciel la terre a peu d’appas* :
475 Je recherchois en moy cette beatitude, {p. 32}
Mon ame s’y portoit avec inquietude ;
Elle a roulé125 long-temps de desirs en desirs.

BARLAAM.

L’on ne trouve qu’en Dieu de solides* plaisirs.

JOSAPHAT.

Arache, avec raison j’ay combattu tes fables,
480 Mon esprit treuve enfin des raisons veritables :
Je voy tes faussetez mon œil n’est plus trompé,
Et d’un voile confus il est desveloppé126 ?
Je te pers Barlaam ;

BARLAAM,

Ma prise est impossible,
A cent pas du Palais je me rends invisible ;
485 Il est des lieux secrets et grand nombre de cours,
Les deserts de Sennar ont dix mille destours ;
Un pays sousterrain nous cache à vostre veuë,
Et de precautions ma sortie est pourveuë.

JOSAPHAT.

Sors sors je t’y joindray si je treuve ce lieu,
490 Et là tu m’instruiras des secrets de ton Dieu,
De ta Religion.

BARLAAM, sortant. [E, 33]

Il est de vostre gloire ;
Mon Dieu, j’ay commencé poursuivez ma victoire.

SCENE V. §

JOSAPHAT, seul.

J’entre dans le combat, puissant Dieu deffens-moy,
De moy je ne puis rien je puis tout avec toy,
495 Fausses divinitez que mon peuple idolatre,
Ma main vous encensoit, ma main vous veut abatre :
J’adore le vray Dieu, vos honneurs luy sont deus,
Et je me plains des soins que je vous ay rendus :
Je parle à des metaux à des Dieux insensibles,
500 Qu’on fait si corporels et qu’on rend invisibles.
Mon Dieu ! que voy-je icy, ce qui m’est de plus cher,
Donne-moy les moyens de le pouvoir toucher.
{p. 34}

SCENE VI. §

JOSAPHAT, ABENNER.

ABENNER.

He bien tout se prepare à ce grand hymenee*,
Il va solemniser cette belle journee,
505 Tout le peuple et la Cour dressent leur appareil*,
Narsingue jusqu’icy n’a rien veu de pareil ;
Voicy des diamans d’une grosseur extreme
Il faut qu’elle les porte avec son diademe,
Le front d’Amalazie esclairera ces lieux
510 Et joindra tout son lustre* à l’estat127 de ses yeux.

JOSAPHAT.

Seigneur, je viens de faire une plus belle emplette
Je tiens en ma puissance une perle parfaite,
Et vous la treuverez merveilleuse en ce point
Que l’on la peut donner et qu’on ne la perd point,
515 Tous la peuvent avoir quoy qu’elle soit unique
Sans estre divisee elle se communique,
Telle que le Soleil qui peut tout esclairer
Et qui commun qu’il est ne se peut attirer.

ABENNER. {p. 35}

Fais-moy participant d’une chose si rare.

JOSAPHAT.

520 Celuy qui la reçoit ne doit point estre avare,
Il doit tout prodiguer.

ABENNER.

J’offre tout mon tresor,
Pourroit-il l’esgaler.

JOSAPHAT.

C’est trop peu que de l’or ;
Son prix est excessif, sa valeur est extreme
Il faut que par eschange on se donne soy-mesme.

ABENNER.

525 Montre-moy cette perle ?

JOSAPHAT.

Elle vous esblouyt,
L’on ne la sçauroit voir que quand on en jouit,
Et dés qu’on la possede il s’y forme une flamme
Invisible à nos yeux et visible à nostre ame,
Elle, dont la lumiere y treuve tant d’appas*
530 Descouvre apparemment ce que l’œil ne voit pas.

ABENNER. {p. 36}

Fais-moy donc concevoir*128*.

JOSAPHAT.

Vous ne pouvez m’entendre129,
Et sans estre Chrestien l’on ne me peut comprendre.

ABENNER.

Chrestien !

JOSAPHAT.

Ouy je le suis, Seigneur imitez-moy,
Quoy vous vous estonnez ?

ABENNER.

Ah ! mon fils est-ce toy ?

JOSAPHAT.

535 Ouy, Seigneur je vous parle et puissiez-vous m’entendre,
Je sçay que ce rencontre130 a dequoy vous surprendre ;
C’est de Barlaam de qui mon Dieu se sert
Que sa voix a tiré du milieu d’un desert,
Que le Ciel a choisi pour remplir vos presages
540 Et qui pour mon salut a franchy cent passages,
Il s’est icy glissé malgré mille tesmoins
Et son desguisement a vaincu tous vos soins,
Tous vos faux Dieux ?

ABENNER. {p. 37}

Tay toy.

JOSAPHAT.

Je n’ay plus de paroles
Que131 pour vous reprocher l’abus de vos idoles ?

ABENNER.

545 A tes impietez je tremble et je fremis,
Sors, je ne te vois plus qu’entre132 mes ennemis ?
Sors sors, blasphemateur evite ma colere.

JOSAPHAT.

Hé bien sortons mon Dieu, je te laisse mon pere.

SCENE VII. §

ABENNER, seul.

C’est donc toy Barlaam, ame lasche et sans foy,
550 Ayant trahy tes Dieux, viens-tu trahir ton Roy ?
Tristes predictions funestes conjonctures,
Par qui nous prevoyons toutes nos advantures,
Esprits trop curieux qui cherchez vos mal-heurs
Combien vostre science a t-elle de douleurs ?
555 De ses folles erreurs nos ames sont deceuës*, {p. 38}
L’homme sans y penser travaille à leurs issues ;
Il entre dans le piege en voulant l’éviter,
Et la peur de tomber le fait precipiter ;
Nous sommes mal-heureux devant le temps de l’estre,
560 Et nos enfans le sont avant que de bien naistre :
Josaphat est Chrestien, l’on me l’a presagé,
Grand advertissement t’avois-je negligé ?
Je voy par cét objet redoubler ma tristesse,
Te puis-je consoler, mal-heureuse princesse ?

SCENE VII. §

ABENNER, AMALAZIE, ARACHE.

ARACHE.

565 Seigneur Amalazie attend de nouveaux fers.

AMALAZIE.

Non ce n’est point assés des maux que j’ay soufers ;
Je me viens condamner à de nouvelles peines,
Au tronc*, à vostre fils je prefere mes chaines,
Ne vous prevalez pas des droits de mon vainqueur,
570 Et ne presumez point de contraindre mon cœur :
Le sort, en m’ostant tout m’a laissé le courage,
Le sang de Sinanor ne sent point l’esclavage ;
Il n’espreuva jamais que c’est que d’obeyr133, [39]
Mais dans moy134 la fortune a voulu le trahir ;
575 Elle a crû par la fille assujettir le pere,
Gardons en despit d’elle un Royal caractere :
Ouy, fameux Sinanor, je soustiendray mon rang,
Je sçauray maintenir l’honneur d’un si beau sang.
Seigneur, n’alleguez point le droit de vos conquestes,
580 Ses pareils135 n’ont point veu que des Dieux sur leurs testes136 ;
Et le fameux motif de tous vos differens,
N’est qu’un commun pretexte entre des conquerans :
Vous pretendiez de luy de plus grands advantages,
Vous vouliez son Empire et non pas ses hommages ;
585 Sur un juste refus vous l’avez opressé,
Il vous desnia* l’un, l’autre vous fust laissé.
Prenez tous ses Estats je vous les abandonne,
Possedez-les Seigneur, la guerre vous les donne ;
Le Conseil de Narsingue autorise ces loix137,
590 Et s’il faut mon adveu je vous cede mes droits :
Espuisez espuisez tout le sang de mon pere,
Eslevez sur son trone une race estrangere ;
Laissez-moy consommer* dedans une prison,
Et jusques à son soustien* abbatez ma maison :
595 Mais delivrez mon cœur de cette servitude,
L’esclavage du corps n’est-il pas assez rude !
Rien que ma liberté ne peut plaire à mes yeux.

ABENNER.

Haissez Josaphat, il est trop odieux ;
Vostre possession est un don trop insigne*, [40]
600 En se rendant Chrestien il s’en est fait indigne.

ARACHE.

Il est Chrestien ?

ABENNER.

Il l’est qu’on coure ces deserts,
Qu’on cherche Barlaam qu’on l’accable de fers ;
Vous gardes imprudens*.

UN GARDE.

Seigneur,

ABENNER.

Suivez ce lasche,
Malgré tous leurs destours c’est en vain qu’il s’y cache.

ARACHE.

605 Il sera mal-aisé de l’y pouvoir saisir,
Et dés qu’on peut avoir un moment de loisir,
Au sortir du Palais l’on s’abysme* sous terre.

ABENNER.

Il y sera treuvé par l’esclat d’un tonnerre !
Dieux ! s’il est de besoin que mon fils meure aussy,
610 Si vous le souhaitez je le desire ainsi,
Ouy, qu’il meure ? [F, 41]

AMALAZIE.

Ah ! Seigneur,

ARACHE.

Tentez une autre voye,
Servez-vous du moyen que le Ciel vous envoye :
Je sçais un beau secret dont vous devez user,
Le Prince Josaphat s’y pourroit abuser ;
615 Nacor et Barlaam ont tant de ressemblance,
Que la Cour se trompoit dedans cette apparence* :
L’on prenoit l’un pour l’autre à leurs lineamens*,
Et l’on n’en fist jamais de vrays disernemens ;
Ils ont la mesme voix, ils ont mesme138 visage,
620 Ils ont les mesmes mœurs, ils semblent du mesme âge :
L’on croit que la Nature y fist mesmes efforts,
Enfin qu’une seule ame anime ces deux corps.

ABENNER.

Je voy ton artifice.

ARACHE.

Il nous le faut instruire,
Et devant vostre fils, il le faudra produire ;
625 Il feindra quelque temps de prendre son party, {p. 42}
Et d’abord que139 son cœur se sera desmenty* ;
Il se laissera vaincre apres sa resistance.

ABENNER.

Il faut que de son Dieu, Nacor ait cognoissance ;

ARACHE.

Il sçait parfaitement les erreurs d’un Chrestien.

ABENNER.

630 Hé bien ! disposez-vous à ce grand entretien.
Rendez-vous y Madame, et par vostre presence,
Vous donnerez du poids à cette conference :
Allons-y donc pourvoir*, Dieux voicy des arrests*,
L’on y va decider de tous vos interests.

Fin du second Acte.

{p. 43}

ACTE III. §

SCENE I. §

ABENNER, NACOR.

ABENNER.

635 Nacor, en ce rencontre il se faut-bien conduire,
Je te feray puissant si tu le peux reduire :
Je te veux accabler* et de bien et d’honneur,

NACOR.

Et s’il ne me prenoit140 que comme un suborneur* ;
S’il vient à descouvrir ce mauvais artifice.

ABENNER.

640 N’importe141, en ce dessein je seray ton complice :
D’ailleurs, estans pareils de visage et de voix,
Il est bien mal-aisé qu’il ne se trompe au choix ;
Qu’il discerne le faux d’avec le veritable. {p. 44}

NACOR.

Il est bien vray qu’en tout je luy paroy semblable.

ABENNER.

645 Je crains qu’au vestement il n’ayt quelque soubçon.

NACOR.

Il en peut bien avoir de diverse façon142 ?
Barlaam pût avoir quelque amy dans la ville,
Qui luy persuada143 ce changement utile ;
Et de crainte qu’au sien il n’ait esté surpris,
650 Il a pû despouiller celuy qu’il avoit pris,
Et d’ailleurs vostre fils croit sa prise asseuree,
Sans s’en fier à vous ses yeux l’ont averee ?
Il me croit Barlaam.

ABENNER.

Il se doit rendre icy,
La pluspart de ma Cour s’y doit treuver aussi ?
655 Feins bien adroitement, contrefaits le fidele,
Laisse emporter ton ame au courant de ton zele ;
Et laissant par degrez ralentir cette ardeur,
Apres tant de chaleur monstre quelque froideur ?
Quitte insensiblement le soin de te defendre,
660 Et par un desaveu force toy de te rendre :
Bien-tost ce criminel me doit estre amené. {p. 45}

NACOR.

Je sçauray maintenir144.

ABENNER.

Voicy cét obstiné :
Nos Dieux dedans tes mains ont remis leur victoire,
Et comme d’un depost respons leur de leur gloire :
665 Fais enfin triompher la loy que nous tenons.

SCENE II. §

ABENNER, ARACHE, JOSAPHAT.
AMALAZIE, NARCOR, Courtisans.

ARACHE.

Seigneur, voicy le Prince et nous vous l’amenons.

ABENNER. {p. 46}

Viens donc cœur endurcy, viens escouter ton maistre.

JOSAPHAT.

Ah ! mon cher Barlaam ?

ABENNER.

Viens seconder ce traistre.

JOSAPHAT.

Malgré ta prevoyance és-tu donc arresté,
670 Et dedans ce peril comment t’es-tu jetté ?

NACOR.

En sortant d’un danger j’ay rentré145 dans un autre,
Et la garde du Roy moins proche que la vostre ;
A qui quelque rumeur donna ce grand loisir,
Recouvra par hazard146 le temps de me saisir.

ABENNER.

675 Hé bien mon fils, mes Dieux n’ont-ils point de justice,
En fuyant un abysme il treuve un precipice ;
Et ce pressant remords quant il fut agité,
Le ramene au peril qu’il avoit esvité.
Tu mourras suborneur.

NACOR. {p. 47}

Que l’on m’oste la vie.

ABENNER.

680 Je te contenteray si c’est-là ton envie :
J’avois crû te punir par un bannissement,
Mais il faut t’ordonner un plus grand chastiment.
Ton trespas,

NACOR.

Je l’attens.

ABENNER.

Avant que tu l’endures,
Je te veux faire voir toutes tes impostures :
685 De mes Dieux et du tien faire comparaison,
Et par ton propre adveu convaincre ta raison ?
Deffens en liberté ta trompeuse doctrine,
Parle-moy de ton Dieu dis nous son origine ;
S’il a des qualitez à regner dans les Cieux,
690 S’il est digne d’entrer au nombre de mes Dieux ;
Et s’il a merité qu’on luy bastisse un Temple.

JOSAPHAT.

C’est icy Barlaam que ton Dieu te contemple* ?
Tu te vois exposé dans un double danger,
Tu ne t’en puis sauver, il s’y faut engager :
695 Loin d’éviter la mort qui s’offre à ta carrière, {p. 48}
Regarder ton trespas qui te suit en arrière ?
Advance, ou bien recule, il faut icy perir,
Vois donc en quel peril il te plaist de mourir ;
Quel ennemy veux-tu, le fils ou bien le père,
700 Choisis de147 ma rigueur ou bien de sa colère :
Mesme sans implorer un moment de loisir,
Devant toute la Cour explique ton desir ;
Je signe par mon sang la loy qui m’est apprise,
La raison veut aussi que ta mort l’autorise ;
705 Puis donc que mon salut t’amenoit en ce lieu,
Deffends avecque moy la gloire de ton Dieu.

NACOR.

Ouy, je la maintiendray puis qu’il me la confie,
Et puisqu’il l’a commise* à ma philosophie :
Je m’offre à vous preuver toutes nos veritez,
710 Et vous reduire au long148 toutes ces qualitez,
Ce grand Dieu que j’adore est tout inconcevable,
Et l’on le deffinit149 une essence ineffable* :
Il vit tout commencer, il verra tout finir,
Il comprend le passé, le present, l’advenir ;
715 Dans luy sont tous les temps il regle nos annees,
Et ce Maistre absolu regit nos destinees :
Vous donnez à vos Dieux un pouvoir limité,
Vous les avez sousmis à la fatalité ?
Le mien ne reçoit point, ny d’esgaux, ny de Maistres,
720 Cét estre indépendant est le premier des estres ;
Ce Dieu, quoy qu’il soit un, forme une Trinité, [G, 49]
Et dans sa Trinité garde son unité :
Le père en regardant sa tres-divine essence,
Engendre son cher fils de cette cognoissance ;
725 Ainsi que d’un miroir où frappe le Soleil,
Il s’en peut refleschir un rayon tout pareil :
Par des relations et de fils et de père,
L’entendement de l’homme a conceu ce mystere,
Non que cette action ait eu quelques instans
730 Qu’il soit intervenu priorité de temps150:
Le père est seulement premier par origine,
D’une émanation adorable et divine ;
Du mutuel amour qu’ils se rendoient tous deux,
Ils firent proceder un Dieu tout amoureux :
735 Un esprit tout de feux, un esprit tout aymable,
Et cét eslancement produisit leur semblable ;
Ainsi quoy qu’ils soient trois, l’on n’en doit croire qu’un,
Tout ce que l’un possede est aux autres commun.
Concevez les ensemble ils ont mesme advantage,
740 Separez leur personne ils ont mesme partage :
Ils sont associez par un commerce estroit,
Et tous trois d’un accord s’approprient un droit ?
Ce Dieu qui conçoit tout, se pouvoit seul comprendre,
Ce qui sortoit de luy dans luy se venoit rendre :
745 Par sa propre existance il logeoit dedans luy,
Et de son propre poids il estoit son appuy :
Ces mysteres divins vous sont inconcevables,
Et de si hauts discours sont à peine traitables.

ABENNER. {p. 50}

Qu’on arrache la langue à ce blasphemateur,
750 Comme toy suborneur, il fust un imposteur ;
Ton Dieu, s’est veu mourir avec ignominie.

NACOR.

Il se soumit luy-mesme à cette tyrannie !
Il devoit accomplir ce qu’il se prescrivoit,
Et selon ses souhaits toute chose arrivoit.

ABENNER.

755 Tombe-t’il sous les sens qu’un Dieu se soit fait homme ?

NACOR.

L’amour qu’il a pour nous jusque là le consomme*;
Entre l’homme et le Ciel il falloit un milieu,
Et pour vostre pardon le sang d’un homme Dieu ?
Vos Dieux ont bien paru sous diverses figures,
760 Ils ont bien avily leurs divines natures ;
Doutez-vous que le mien n’ait pû ce qu’ils ont fait,
Et qu’il n’ait pû le mesme en un contraire effet :
Vos Dieux sous cette forme estoient ce que nous sommes,
Ils estoient scandaleux aux yeux mesmes des hommes ;
765 Les mortels rougissoient de les voir vicieux,
Et de leur voir souiller, et la Terre et les Cieux :
Et quoy qu’accoustumez à des crimes extremes, {p. 51}
Ils mesprisoient des Dieux qui s’offençoient eux-mémes :
Le mien, prit sur la Terre un plus noble projet,
770 Et le salut du monde estoit son seul objet,
Il y vint habiter il en chassa le vice,
Qui se vengeant d’un Dieu suscita son supplice ;
Et qui par son abord* se voyant abbatu,
Par un dernier effet fist punir la vertu ;
775 Enfin vos Dieux souffroient et commettoient le crime,
Ma loy n’enseigne rien qui ne soit legitime.

ABENNER.

C’est trop !

NACOR.

Amalazie, Arache, vous mon Roy,
Pliez, pliez le col* subissez cette loy ;
Le joug de mon Sauveur, n’est pas insupportable,
780 Le servir c’est regner son Empire est aymable :
Il nous entraine à soy par de douces rigueurs,
Et sans estre Tiran il enleve nos cœurs ;
Prenez, prenez mon Prince, une saincte furie,
Par arrest solemnel chassez l’idolatrie ;
785 R’apellez les Chrestiens que vous avez chassez,
Relevez les Autels que l’on a renversez ?
Faites à nostre Dieu de nobles sacrifices,
Et condamnez au feu vos Dieux et leurs complices.

ABENNER. [52]

Barlaam

NACOR.

Perissez vous qui les adorez,
790 Qui rendez des honneurs à des marbres dorez,
Qui n’ayant point de Dieux vous faites des images,
Et qui vous soumettez à vos propres ouvrages !
Perissent tous les Dieux que vous idolatrez,
Tombent, tombent, les lieux dans lesquels vous entrez.

ABENNER.

795 Traistre ?

NACOR.

Je suis Chrestien.

ABENNER.

Cét adveu t’est funeste.

NACOR.

Je le suis et l’estois, ma foy se manifeste !
C’est se trop desguiser, Seigneur je suis Chrestien.

ARACHE. {p. 53}

Il feint avec adresse !

AMALAZIE.

Il le contrefait bien ;

NACOR.

Vous en doutez encore ?

ABENNER.

Lasche, tu continues,

NACOR.

800 Toutes vos faussetez doivent estre cogneuës !

ABENNER.

Ah ! c’est trop Barlaam ?

NACOR.

Non, non, je suis Nacor.

JOSAPHAT.

Dieu tout miraculeux je te benis encor ;
Tes operations, sont vrayment merveilleuses. {p. 54}

NACOR.

Et nos façons d’agir sont bien souvent trompeuses :
805 Nostre Dieu comme il veut determine de tout,
Quand l’homme a proposé ce Tout-Puissant resout151 ?
Seigneur, l’on vous trompoit dessus une apparence*152,
Barlaam n’est point pris, je me nomme Nacor.

JOSAPHAT.

Puissant Dieu des Chrestiens je te benis encor !
810 Il n’appartient qu’à toy de faire ces miracles,
De l’ame de mon père arrache tous obstacles :
Le mensonge tient-t’il contre tes veritez,
Et son aveuglement contre tant de clairtez ?
Amalazie, Arache adorez sa puissance,
815 Et les rares effets de cette providence.

NACOR.

Revenez, revenez de vostre estonnement,
Reconnoissez le Ciel à cét evenement ?
Mon Dieu, se jouë ainsi de la prudence* humaine,
Pouvez-vous resister, à l’esprit qui vous traine ;
820 Qui par tant de clartez vous désille* les yeux, [55]
Et dont le saint courroux vous arrache à vos Dieux ;
Il vous fait violence.

ABENNER.

Ah ! Tu mourras perfide.

NACOR.

Je suis fortifié je ne suis plus timide*;
Sçachez que Barlaam, m’enseigna cette loy,
825 Mon Dieu dans son absence a soustenu ma foy ;
Mon cœur mieux affermy153 ne craint plus vos supplices.

ABENNER.

Je les redoubleray ?

NACOR.

J’auray mille complices ;
Et toute vostre Cour est pleine de Chrestiens,
Ils me vont imiter.

ABENNER.

Estre trahy des miens.

NACOR. {p. 56}

830 Loin de prester la main à vostre stratageme,

ABENNER.

Traistre !

NACOR.

J’ay, concerté de vous tromper vous-mesme ;
Et cette occasion s’estant offerte à moy,
J’ay dû m’en prevaloir, j’ay dû Seigneur,

ABENNER.

Tay toy !

NACOR.

Puis donc qu’il se faut taire allons à mon martyre,
835 Et tracer par mon sang ce que je ne puis dire.

ABENNER.

Qu’on le mene à la mort !

NACOR.

Prince, je vay mourir.

JOSAPHAT.

Nostre Dieu t’a monstré l’exemple de souffrir ;
Va, va je te vay suivre, et suivre un si grand Maistre, [H, 57]
Il est mort pour les siens,

ABENNER.

Veux-tu suivre ce traistre ?

SCENE III. §

ABENNER, AMALAZIE.
ARACHE, JOSAPHAT.

JOSAPHAT.

840 Seigneur, je suis Chrestien, je me fais mon arrest,
Je suis prest de mourir pour le mesme interest.

AMALAZIE.

Ah ! Seigneur ?

ARACHE.

Ah ! Mon Prince.

JOSAPHAT.

Arache et vous Princesse,
Mon ame desavoue une telle foiblesse :
Apprenez que mon Dieu se sçait faire louer, {p. 58}
845 Qu’à la face de tous il le faut advouer ;
D’une indigne pitié vostre haine est suivie,
Vous feignez de souffrir ne faites point d’effort,
Je n’exige de vous qu’un soupir à ma mort,
Vous Seigneur, ces faux Dieux !

ABENNER.

Ne crains-tu point le foudre154 ?

JOSAPHAT.

850 Elle mettra plustost tous vos Autels en poudre.

ABENNER.

Les Autels de ton Dieu ne sont pas establis,
Et quand155 ils le seroient ils seroient desmolis ;
J’en purgerois bien-tost la face de la terre,
Ma main espargnera cette peine au tonnerre.

JOSAPHAT.

855 Ah ! Seigneur, si mon Dieu n’arrestoit son courroux,
Son indignation éclatteroit sur vous !
Mon Dieu, suspens ta foudre* et retiens ta colere,
Espargne en ma faveur la teste de mon père.
{p. 59}

SCENE IV. §

ABENNER, AMALAZIE, ARACHE,

ABENNER.

Il court à son mal-heur il luy faut resister,
860 Et malgré sa vistesse il le faut arrester :
Sauvez-le, Amalazie, et daignez l’entreprendre,
Ce sont vos seuls efforts qui me le pourront rendre,
Nous y perdons tous deux si mon fils est perdu.

AMALAZIE

Attendez-le des Dieux, il vous sera rendu :
865 Je ne puis rien sur luy.

ABENNER.

De vous seule j’espere,
Faites ce que n’ont pû ny les Dieux ny son pere,
Madame, sa desfaite est en vostre pouvoir.

AMALAZIE.

Prenez d’autres moyens je ne le sçaurois voir ;

ABENNER. {p. 60}

Rendez-moy cét office* et vous servez vous mesme ;

AMALAZIE.

870 Seigneur, je n’y puis rien.

ABENNER.

Ma Princesse il vous ayme,
C’est trop se deffier du pouvoir de vos yeux.

AMALAZIE.

Qu’y peuvent mes raisons*, laissez ce soin aux Dieux.

ABENNER.

Enfin, enfin je prie et mesme je l’ordonne,
J’ay quelque autorité dessus vostre personne.

AMALAZIE.

875 Vous Seigneur ?

ABENNER.

Moy Madame, et vous l’éprouverez,
Si vous n’obeyssez pas vous la ressentirez ;
Vous estes mon esclave ?

AMALAZIE. {p. 61}

Et je puis ne pas l’estre,
Bien-tost par mon trespas je n’auray point de Maistre.

ABENNER.

Vous pourrez donc choisir de la mort ou de luy,
880 Enfin de vostre sort decidez aujourd’huy ;
Entrez dedans vos fers ou dans mon alliance,
Et de ces deux partis faites la difference :
De vos ressentimens il me souvient encor,
Vous m’avez reproché la mort de Sinanor*;
885 Que je retiens ses biens par la loy de la guerre,
Vous avez sçeu les droits que j’avois sur sa terre :
Et comme ce vassal força son Souverain,
De les luy maintenir les armes à la main ;
Vous ne desmentez point l’orgueil de vostre pere,
890 Dedans vostre famille il est hereditaire ;
Mais, je sçauray r’abattre un orgueil qui vous pert,
Adieu pensez-y bien.

SCENE V. [62] §

AMALAZIE, ARACHE.

AMALAZIE.

Il s’est enfin ouvert,
Et ce lion caché manifeste sa rage.

ARACHE.

Humiliez ce cœur abaissez ce courage.

AMALAZIE.

895 Ce tyran me l’ordonne il parle absolument156,
Moy, j’aymerois son fils apres ce traitement ?
Tyran, ton alliance a t’elle tant de charmes,
Je n’y remarque rien que des sujets de larmes :
Iray-je sur ce trône où tu me veux placer,
900 Mon père en est tombé je l’ay veu renverser ;
Et de quelque costé que je le considere,
Il n’est point de chemin que le corps de mon père.
C’est là le seul degré qui m’esleve à son rang,
Et toute cette place est rouge de son sang ;
905 Rends-moy dans mes Estats par de plus belles voyes*,
Regarde cét endroit par lequel tu m’envoyes ;
Tu me donnes en dot le vol que tu me fis,
Le père me le rend par la main de son fils :
Et croyant luy remettre une part de son crime, {p. 63}
910 Il pense d’un larcin faire un don legitime ?
Garde, garde tyran ce que tu m’as volé,
Unis à ton Empire un estat desolé ;
Tyran, enrichis-toy du sac de mes Provinces,
Et rends ton heritier le plus puissant des Princes :
915 Contraints tes alliez d’estre ses hommagers*,
Force à l’idolatrer les peuples estrangers!
Mais ne te flatte point de me le rendre aymable,
Avec toute sa pompe il me semble effroyable ;
Ce déplaisant objet m’est autant odieux,
920 Qu’il est digne de l’estre et qu’il l’est à nos Dieux.

ARACHE.

Dequoy l’accusez-vous ?

AMALAZIE.

Des crimes de son pere,
Par-là je l’envisage* et je le considere.

ARACHE.

Voyez-le ?

AMALAZIE.

Me forcer de voir vostre rival ?

ARACHE.

Madame, allez le voir, je sçay qu’il m’est fatal :
925 Mais quelque sentiment que mon amour me donne, {p. 64}
Le mal-heur de ce Prince afflige ma personne ;
Permettez que j’imite un amour genereux,
Qui prefere aux grandeurs un Prince mal-heureux ;
Puisque j’admire en vous ces grandeurs de courage,
930 Souffrez* qu’en les louant je les mette en usage,
Et que prenant de vous de si beaux mouvemens,
Je pratique à mon tour ces nobles sentimens :
Allez, allez Madame, essayer sa desfaite,
Vous avés en partage une ame trop parfaite :
935 Quelque premier soubçon que mon amour ait eu,
Il a tord de douter de la mesme vertu157 :
Je n’apprehende point de perdre Amalazie,
Elle a le cœur trop grand, tay toy ma jalousie ;
Tous tes raisonnemens sont icy superflus,
940 Laisse aller ma Princesse et ne la retient plus.

AMALAZIE, seule.

Ce que n’a pû le trone, Arache l’a pû faire,
Il le peut il le veut, Amour il luy faut plaire.

Fin du troisiéme Acte.

{p. I, 65}

ACTE IV. §

SCENE I. §

JOSAPHAT, seul.

Mon Dieu, tu vois des cieux les perils que je cours
Parmy tant de dangers j’ay besoin d’un secours :
945 Sans que mon cœur, contr’eux hazarde sa defaite,
Je les surmonteray par ma seule retraite ?
Fermons à ma sortie et l’oreille et les yeux,
N’escoutons que mon Dieu ne voyons que les cieux ;
R’entrons dans ce Palais j’y laisse Amalazie,
950 Mon Dieu, divin rival voy-la sans jalousie :
Ne me possede pas avec tant de rigueur,
Et souffre qu’elle prenne une place à mon cœur,
Mon amour pour tous deux sera tousjours extreme,
Tous deux vous m’estes tout je t’adore et je l’ayme ;
955 Mais l’ingrate me hayt et trompeur en ce point,
Je te viens presenter ce qu’elle ne veut point :
Mon cœur destache-toy de cette indigne flamme
Amour, prophane amour sors enfin de mon ame ;
Je ne te puis souffrir dedans ce sacré lieu, {p. 66}
960 Il faut que tout en sorte estant pleine d’un Dieu :
Mon Dieu je voy venir cette belle idolatre*.

SCENE II. §

AMALAZIE, JOSAPHAT.

JOSAPHAT.

Madame à quel dessein me venez-vous combatre ?

AMALAZIE.

Vous sçavez le sujet qui me conduit icy.

JOSAPHAT.

Certes vous m’estonnez* par un si grand soucy,
965 Je ne puis descouvrir d’où procede* ce zele,
Je ne l’attendois pas d’une ame si cruelle,
A peine en vous voyant puis-je croire mes yeux.

AMALAZIE.

Me quittez-vous Seigneur, delaissez-vous vos Dieux ?

JOSAPHAT.

Cét Eloge n’est dû qu’au Dieu de la nature
970 Dont la grandeur esclatte en chaque creature,
Dont la profusion158 a paru dessus vous
Et qui de son image est devenu jaloux
S’il peut estre troublé vostre mal-heur le touche {p. 67}
Escoutez son reproche il se plaint par ma bouche,
975 Et vous dit qu’un objet qu’il a remply d’appas*,
Est ingrat s’il ne l’ayme et ne l’adore pas,
C’est vostre Souverain faites luy donc hommage
Et reverez un Dieu dont vous estes l’image.

AMALAZIE.

Le Dieu que vous servez ?

JOSAPHAT.

Est un amant jaloux,
980 Il ne veut point entrer en partage avec vous,
Il a mis entre nous un Eternel obstacle
Et pour nous reunir il doit faire un miracle,
Mais si je l’ose dire avec quelque raison
Et si j’ose advancer cette comparaison,
985 Vous pouvez s’il l’a fait desfaire cét obstacle
Et contre luy tenter un contraire miracle,
En nous desunissant sa force s’est fait voir
En nous reunissant monstrez vostre pouvoir,
Vostre Toute-Puissance esgalera la sienne,
990 Mesme, vous la vaincrez en vous faisant Chrestienne,
Vous me rendrez l’amour que l’on me vient d’oster.

AMALAZIE.

Seigneur, à quel espoir vous laissez-vous flatter,
Un Prince comme vous né dans l’or et la soye
Qui doit vivre et mourir au milieu de la joye,
995 Dont l’aage*159 doit passer dans les contentemens {p. 68}
Et dont les jours n’auront que d’aymables moments,
Se doit-il figurer un bien imaginaire
Souffrir toute sa vie un tourment volontaire,
Et dédaignant icy de solides appas*,
1000 Courir apres un bien qui ne se treuve pas,
Vous quittez pour cela, sujets, amys et pere.

JOSAPHAT.

A pere, amis, sujets, mon amour vous prefere,
Si j’ay quelque regret c’est de vous delaisser.

AMALAZIE,

Seigneur plus d’une fois vous y devez penser.

JOSAPHAT.

1005 Il faut que je responde à la voix qui m’appelle.

AMALAZIE.

Devriez160-vous escouter une voix infidele,
Et suivre un faux brillant* qui vous meine au trespas.

JOSAPHAT.

Madame imitez-moy, marchez dessus mes pas,
Toy dont la forte voix a frappé mes oreilles
1010 Opere sur son cœur de semblables merveilles,
Et l’eslevant des sens fais-le monter à toy ? {p. 69}

AMALAZIE.

Vostre felicité n’est donc que dans la foy,
Faut-il pour estre heureux s’imaginer de l’estre
Et peut-il accorder tout ce qu’il peut promettre ?

JOSAPHAT.

1015 Il nous donne encor plus il peut tout ce qu’il veut
Et mesme en vostre sort regardez ce qu’il peut,
Vous estiez absoluë et du nombre des Reynes,
Il a bien pû changer vostre couronne en chaines161,
Il vous veut reserver un Empire Eternel
1020 Il vous oste de l’ame un amour criminel,
Ce desir des grandeurs l’instrument de vos pertes
Et des calamitez que vous avez souffertes.

AMALAZIE.

Est-ce là le secours que vous m’avez promis ?

JOSAPHAT,

Vous voyez l’impuissance où le monde m’a mis ;
1025 Desja ses partisans m’ont declaré la guerre,
Et je ne puis plus rien du costé de la terre,
J’ay perdu mon credit dans le conseil du Roy
Mais dans celuy du Ciel donez-moy quelque employ*,
Ordonnez que pour vous j’y fasse une priere {p. 70}
1030 Des bontez de mon Dieu vous l’aurez toute entiere,
Mesme vous aurez plus que vous ne demandez.

AMALAZIE.

O puissance secrette ?

JOSAPHAT.

Hé bien vous vous rendez ?
Voyez si ma faveur n’a pas de l’efficace162
Puisque sans le prier il vous donne sa grace,

AMALAZIE.

1035 Nacor a commencé ce que vous avez fait
De ses raisonnemens c’est la suitte et l’effet,
Vous avez achevé d’affermir ma croyance
Et j’estois disposé à cette connoissance
Ouy, je me rends au Dieu que vous nous enseignez.

JOSAPHAT.

1040 Quelles sont les bontés que vous me tesmoignez,
Il vous reste mon Dieu de nouvelles matieres*
Sur Arache et mon pere estendés vos lumieres,
Que de choses produit cét heureux changement
En vous donnant au Ciel je vous rend vostre amant,
1045 Je retourne à mes fers reprenés-moy Madame
Et me restitués une place en vostre ame,
J’y puis bien compatir avecque nostre Dieu, {p. 71}
Donnés-luy le premier à moy le second lieu ;

AMALAZIE.

Je ne puis estre à vous un autre me possede.

JOSAPHAT.

1050 O rival trop heureux ! Faut-il que je te cede,
Je ne demande plus d’où naissoient vos mespris.

AMALAZIE.

Ma conqueste Seigneur n’est pas d’un si grand prix,
Que vous puis-je apporter qu’une dot très-funeste
Je n’ay plus que des fers c’est tout ce qui me reste,
1055 Seigneur je vous dois tout et ne vous donne rien,
Si ce n’est que les vœux.

JOSAPHAT.

Ennemy de mon bien,
Amant trop glorieux, Amant trop temeraire,
Quel estoit ton secret qu’avois-tu pour luy plaire,
Donne-moy, donne-moy, l’art de me faire aymer
1060 Et vous Madame, au moins daignez me le nommer.

AMALAZIE.

Ignorez-le Seigneur.

JOSAPHAT. {p. 72}

Il faut que je le sçache
Il paroistra bien-tost c’est en vain qu’il se cache,
Et de quelque respect qu’il force ses desirs
Je le vay-recognoistre au bruit de ses soupirs.

SCENE III. §

AMALAZIE, JOSAPHAT, ARACHE.

ARACHE.

1065 Ah ! Seigneur, ah ! Madame,

JOSAPHAT.

Et quoy d’où naist ce trouble ?
Arache qu’avés-vous ?

ARACHE.

Ma frayeur se redouble.

JOSAPHAT.

Prince retirez*-nous de nostre estonnement*.

ARACHE.

Je le vays augmenter.

AMALAZIE.

Quel est-ce changement ?

ARACHE. [K, 73]

L’on a fait un theâtre au milieu de la place,
1070 Il est environné d’un tas de populace,
Et ce monstre163 immobile autant que curieux,
Dessus cét eschafaut semble attacher* ses yeux ?
Là, Nacor aux tourmens donne son corps en butte164,
Et contre ses douleurs toute son ame lutte165 ;
1075 Quelque appareil* de mort que l’on luy vienne offrir,
Dedans cette intervalle il s’anime à souffrir,
Pendant que ses bourreaux reprennent leurs haleines,
D’une esperance avide il devore* ses peines ?
Il se plaint du delay qui les fait respirer
1080 Il est impatient de vouloir endurer,
Et voyant leurs apprests166 ainsi que des amorces,
Il leur desire mesme une part de ses forces :
En soy-mesme il se plaint contre cette langueur,
Et pour les exciter il monstre sa vigueur.
1085 Eux, comme des lyons que fait rugir la rage,
D’un œil estincelant s’entredonnent courage,
Et poussant167 dessus luy des regards furieux,
Ils s’efforçoient de loin de l’achever des yeux ;
D’un œil qui les bravoit il accroist leur audace
1090 Ils joignent aussi-tost l’effet à la menace,
Ils s’arment et Nacor les attend au combat,
Mais son corps tout percé visiblement s’abat;
Ils y font promener et le fer et la flamme,
A force de fouyr*168 ils poursuivent son ame ?
1095 Ces cruels curieux lassez de la chercher {p. 74}
Se vangent sur le corps qui la leur veut cacher,
Ils font de tous costez de profondes blessures
Ils pensent la treuver à force d’ouvertures,
Et croyant obliger cette hostesse à partir
1100 Luy monstrent cent endroit pour la faire sortir,
Cette ame entiere en tout et dans chaque partye
Treuve encor que le cœur retarde sa sortie,
Avec quelque esperance elle entre dans ce fort169
Mais ce dernier mourant ressent enfin sa mort,
1105 Tout le corps en fremit sa force diminuë
Elle luy reprochant qu’il l’a mal soustenuë,
Et desdaignant ce lasche apres si peu d’efforts
D’un soupir indigné laisse tomber son corps.

AMALAZIE.

O bien-heureux Nacor ?

ARACHE.

Vostre cœur en souspire ;
1110 Le plaignez-vous Madame ?

AMALAZIE.

Ouy je sens son martyre ?

JOSAPHAT.

Il est heureux Madame, et je ne le suis pas.

ARACHE.

Seigneur innocemment vous causez son trespas, {p. 75}
Avec estonnement170 j’ay veu tout ce spectacle
Et l’ayant veu je viens vous dire ce miracle.

JOSAPHAT.

1115 Je ressens son supplice et sens un second mal,
Arache, mes mal-heurs me donnent un rival,
Je souffre d’autant plus dedans ma jalousie,
Que je ne puis treuver l’Amant d’Amalazie,
Il ose bien aymer et n’ose l’advouer.

AMALAZIE.

1120 Seigneur, c’est un respect dont on doit le louer ;

JOSAPHAT.

Mon rival m’apprehende, ô ! La foiblesse insigne
Ostez luy vostre amour il s’en est fait indigne,
Arache, m’aymez-vous ?

ARACHE.

Jusqu’à mourir pour vous.

JOSAPHAT.

Cherchez donc mon rival contentez un jaloux,
1125 Je vous donne un employ que je prendray moy-méme,
Travaillons-y tous deux.

AMALAZIE.

Est-ce ainsi que l’on m’ayme ? {p. 76}

JOSAPHAT.

Quelle preuve plus grande en vousdriez-vous avoir ?

AMALAZIE.

Prince, si vous m’aimiez vous me le feriez voir ;
Quoy me traitter d’esclave et me vouloir contraindre,
1130 Quoy m’aimant me donner des sujets de me plaindre ?
Et quoy, Prince, est-ce à vous à me donner la loy,
C’est à vous, c’est à vous, à la prendre de moy ;
N’usez point du pouvoir que la guerre vous donne,
Vous m’avez fait regner dessus vostre personne :
1135 Je sçauray maintenir le droit qu’on m’a donné.

JOSAPHAT.

Prononcez mon arrest*, je m’y suis condamné ;
Je vous redonne encore une entiere puissance
Mais avec la justice accordez la clemence ;
Ne desesperez pas un mal-heureux Amant !

AMALAZIE.

1140 Prince soumettez-vous à mon commandement,
Je vous deffends d’aymer !

JOSAPHAT.

N’achevez point Madame,
Je ne vous donne point ce pouvoir sur mon ame,
Vous usurpez* un droit que je n’ay point sur moy.

AMALAZIE.

Et vous me contraignez à revoquer ma foy ; {p. 77}
1145 Je seray tousjours libre au milieu de mes chaines,
Et j’y sçauray garder la Majesté des Reines.

JOSAPHAT.

Ah ! Je ne pretends pas, de vous vouloir forcer,
Mais aussi permettez,

AMALAZIE.

Ah ! c’est trop me presser ?
Prince, je vous deffends de m’aymer d’avantage,
1150 Apres cette defense une plainte m’outrage.

JOSAPHAT.

Arrest* imperieux aussi bien que fatal,
Que l’on m’apprenne au moins le nom de mon rival.

ARACHE.

Je le connois Seigneur,

JOSAPHAT.

Tu le connois Arache ?

AMALAZIE.

Prince,

ARACHE.

Non, non, Madame, il faut que l’on le sçache, {p. 78}
1155 C’est

AMALAZIE.

Arache arrestez, gardez de le nommer.

ARACHE.

Il fust trop criminel en vous osant aymer ;
Il m’a dit son mal-heur je vous le vay redire
Et vous aurez pitié d’un si cruel martyre,
J’aymois Amalazie et j’en estois aymé
1160 M’a-t’il dit, et l’amour dans ses yeux s’est armé,
Et de ses mesmes traits dont il perça mon ame
Dedans le cœur du Prince il fist naistre ma flamme,
Nous fusmes embrasez pour la mesme beauté,

AMALAZIE.

N’achevez point Arache !

JOSAPHAT.

Estrange cruauté !
1165 Ah ! Madame, c’est trop, vous estes inhumaine.

ARACHE.

Madame encor ce mot il adjousta, ma peine
Est un ressouvenir* qui redoubla mon mal
Je travaillay moy-mesme à me faire un rival. {p. 79}

JOSAPHAT.

Je reconnois le mien, c’est toy, c’est donc Arache.

ARACHE.

1170 Ouy, Seigneur, je l’estois, en vain l’amour se cache,
Quoy Seigneur j’aymerois en mesme lieu171 que vous
Et vous ne vangez pas ?

JOSAPHAT.

Te voir avec courroux,
O trop discret Amant, ô ! Rival trop aymable.

AMALAZIE.

Il n’est point criminel je suis seule coupable :
1175 Seigneurs, regardez-vous d’un esprit plus remis*
Faut-il que ma beauté vous ait faits ennemis,

ARACHE.

Ouy, Seigneur, j’ay failly mais regardez mon crime
Ay je du172 desdaigner ce que vostre œil estime,
Je vous voy dire en vous en voyant tant d’appas*
1180 Il eust esté coupable en ne l’adorant pas,
Mais j’ay dû bien prevoir qu’elle avoit quelques marques
A se faire adorer du plus grand des Monarques, {p. 80}
Je n’ay point dû seduire une telle beauté ?

JOSAPHAT.

Ah ! Cruel rends-moy donc ce que tu m’as osté ;

ARACHE.

1185 Seigneur je vous la rends mon ame vous la cede,
Mon cœur est tout remply du Dieu qui me possede.

AMALAZIE.

Tu me cedes cruel, dispose de ton bien.

ARACHE.

Vous n’estes point Chrestienne, et moy je suis Chrestien ;
Je ne puis vous aymer.

JOSAPHAT.

O l’estrange surprise ?

ARACHE.

1190 Acceptez cét Amant et par mon entremise,

JOSAPHAT.

Toy Chrestien ?

ARACHE.

Je le suis, je sens croistre ma foy,
Et le sang de Nacor se fait sentir en moy. [L, 81]

AMALAZIE.

Me voudrois-tu quitter ?

ARACHE.

Dieu quelle tyrannie,
Diviser une amour qu’on vit si bien unie.

JOSAPHAT.

1195 Divine providence, ô ! Puissance des Cieux,
Dont le secret ressort173 agit en tant de lieux,
La Princesse est Chrestienne ?

ARACHE.

Dieu quelle rencontre,
C’est icy puissant Dieu que ta grandeur se montre !
Je puis donc vous aymer et sans empeschement,
1200 Pardonnez-moy, Madame, un divin chastiment ;
Tout autre que ce Dieu qui fait tant de miracles,
Ne pouvoit entre nous apporter des obstacles !
Non, non, nostre bon-heur ne paroist qu’à demy.
Nous avons à combattre un second ennemy.

JOSAPHAT.

1205 Arache, point de guerre et point de jalousie,
Dieu seul doit posseder le cœur d’Amalazie, {p. 82}
Allons treuver le Roy, mourons tous constamment*.

ARACHE.

Seigneur, en ce rencontre* agissons prudemment,
Il nous faut empescher la mort de la Princesse,
1210 Ce sexe pour souffrir a beaucoup de foiblesse174,
Ne disons point au Roy que nous sommes Chrestiens.

JOSAPHAT.

Ce sont vos sentimens, ce ne sont pas les miens.

ARACHE.

Vous verrez, le succez qu’aura cette prudence :

SCENE IV. §

AMALAZIE, ARACHE, JOSAPHAT.
ABENNER, BARLAAM.

ABENNER

C’est par là que tu peux arrester ma vengeance.

BARLAAM.

1215 Souffre que je le voye ? {p. 83}

JOSAPHAT.

Ah ! fidele Nacor,
Est-ce toy que je voy ; quoy donc tu vis encor,
O ! Prodige inouy ?

AMALAZIE.

Merveilleuse advanture ?

ARACHE.

C’est-là l’estonnement de toute la nature.

BARLAAM.

Vous voyez Barlaam ?

JOSAPHAT.

Il ne peut estre pris !

BARLAAM.

1220 C’est avec raison que vostre œil est surpris,
La caverne où je vis est si vaste et profonde
Que j’estois invisible aux yeux de tout le monde
Quelques hommes armez m’appelloient dans ces bois
Je crus en les oyant* entendre vostre voix,
1225 J’allois vous recevoir avec beaucoup de joye
Quand par ma propre erreur je me rendis leur proye. {p. 84}

JOSAPHAT.

Hé bien à quel sujet t’amene-t’on icy.

BARLAAM.

Seigneur, Nacor est mort je veux mourir aussi ;
L’on m’a voulu tenter par l’aspect des delices,
1230 L’on m’a voulu toucher par l’objet des supplices ;
Menaces, ny presens, ne m’ont point esbranlé,
Et parmy ces faux pas je n’ay point chancelé,
J’avois promis au Roy de vous venir seduire,
Mais,

ABENNER.

Suis-je encor trahy ?

BARLAAM.

Je venois vous instruire,
1235 Et par mon propre exemple à mourir constamment*,
Dessus l’esprit du Roy j’ai gagné ce moment ;
Et vous Prince aveuglé vous vous trompés vous méme
Vous vous enveloppez dans vostre stratageme,
Et de ces mesmes traits qu’on lance contre nous
1240 Et la honte et le coup retombent dessus vous ;
Et vous qui recherchez les grandeurs de la terre,
N’aspirez qu’à des biens que n’oste point la guerre ?
Et vous Prince vassal vostre heur* est deçevant*,
Nostre Maistre est si grand qu’on regne en le servant ; {p. 85}
1245 Vous dont la passion excessive et profonde
Retient encore vostre ame aux attachez du monde ;
L’on ne peut contenir dedans un mesme lieux,
La terre avec le Ciel, ny l’homme avec Dieu.

AMALAZIE, bas à Arache.

Prince descouvrons-nous ce grand zele m’enflamme.

ARACHE.

1250 Ce zele est dangereux, conservez175-vous Madame ?

BARLAAM.

Qu’on me meine à la mort.

ABENNER.

Hé bien donc tu mourras !

JOSAPHAT.

Je demande la mienne.

ABENNER.

Hé bien donc tu l’auras !
Traistre fils qui te rends indigne de ce tiltre,

ARACHE.

Regardez ce qu’il est.

ABENNER.

Vous serez nostre arbitre, [86]
1255 Amalazie, et vous le devez condamner.

AMALAZIE.

Quel est ce triste employ que l’on nous veut donner,
Ah ! Seigneur ?

ABENNER.

Je le veux.

AMALAZIE.

Commandement farouche.

JOSAPHAT.

L’arrest m’en sera doux d’une si belle bouche.

Fin du quatriéme Acte.

{p. 87}

ACTE V. §

SCENE I. §

ABENNER, BARLAAM.

ABENNER.

Escoute Barlaam, j’ay differé ta mort,
1260 Je puis tout.

BARLAAM.

Vous pouvez disposer de mon sort,
Je l’advouë et suis prest176 d’en ouyr*177 la Sentence.

ABENNER.

L’on juge Josaphat et dessus178 l’apparence*, {p. 88}
L’on peut bien presumer qu’il sera condamné.

BARLAAM.

Il sçaura bien mourir.

ABENNER.

Ne sois point obstiné.

BARLAAM.

1265 Non comme j’ay vescu je veux mourir fidele.

ABENNER.

Apres cette chaleur tu blasmeras ton zele ;
Et tu desadvoüeras cette austere vertu.

BARLAAM.

En vain jusques icy j’auray donc combatu
Et j’abandonnerois le fruit de ma victoire.

ABENNER.

1270 Non je ne pretens pas de te ravir ta gloire ;
Ny moins de t’empescher de reverer ton Dieu,
Mesme pour l’adorer je vous assigne un lieu,
Et dussent mes sujets condamner cét exemple,
Je permets aux Chrestiens de luy bastir un Temple ; {p. M, 89}
1275 Pourveu que Josaphat,

BARLAAM.

Ne m’adjoustez donc rien,
Point de milieu, Seigneur, idolatre* ou Chrestien.

ABENNER.

Suppose que ton Dieu soit le seul adorable,
Ton obstination n’est-elle point blamable ;
Du refus que tu fais donne moy quelque sens
1280 A des Dieux estrangers j’offrirois de l’encens :
Puis qu’en les encensant ou loüant leurs idoles,
Mon cœur desmentiroit mes mains et mes paroles :
Qu’importe que mon fils manifeste sa Loy,
Suffit que dans son ame il conserve sa Foy ?
1285 Tasche à le disposer à cette complaisance.

BARLAAM.

Nous ne pratiquons point cette fausse prudence,
Nous publions son nom avec un front* ouvert179.

ABENNER.

Cette erreur t’est nuisible et son zele te pert.

BARLAAM.

Prince, il faut recourir à d’autres artifices,
1290 Ordonnez contre moy les plus rudes supplices ; {p. 90}
Et tout ce que la rage a jamais inventé,
Comme pour m’espreuver soit dessus moy tenté :
Faites sonder mon cœur employez y la flame,
Et comme sur le corps qu’on agisse sur l’ame ;
1295 Taschez de la saisir et par mille tourmens,
Essayez si l’esprit a quelques sentimens ;
Il en aura Seigneur, et contre sa nature,
De ne pouvoir souffrir ce que le corps endure :
Vous le sentirez plaindre, et dans sa dureté
1300 Faire ce doux reproche à sa divinité ;
Vous qui m’avez formé d’une essence impassible,
Quand on souffre pour vous pourquoy suis je insensible ?
Accordez cette grace à mes justes transports*,
Et me donnez icy la nature du corps :
1305 Le corps voudroit former une contraire envie,
Il luy demanderoit une plus longue vie ;
Il voudroit pour souffrir estre fait immortel,
Mais mal-gré son ardeur je ne le veux point tel ;
C’est trop me retarder sortons de cette vie !

ABENNER.

1310 Quoy tu ne veux donc pas ?

BARLAAM.

C’est là ma seule envie ;
En vain vous m’appellez pour quelqu’autre raison.

ABENNER.

Gardes, qu’on le remette au fonds de sa prison. {p. 91}

SCENE II. §

ABENNER, seul.

Treuve-t’on parmy nous de pareilles confiances,
Est-ce à nous cruels Dieux de prendre vos vengeances ?
1315 N’avez-vous pas un foudre* ; estes vous impuissans,
Par un signe apparent confondez tous leurs sens :
De l’ame des Chrestiens levez tous leurs scrupules,
Faites vous voir des Dieux à tous ces incredules,
Et puis qu’on nous demande où sont logez nos Dieux,
1320 En vous representans desillez* leur les yeux ;
Que l’un de vous descende, et se rende visible,
Qu’il donne de son estre une preuve sensible ;
C’est que vous vous plaisez à nous voir incertains,
Et vous aymez l’erreur dans l’ame des humains :
1325 Mais voicy de retour le Prince et la Princesse,
Je tremble, leur abord* marque quelque tristesse. {p. 92}

SCENE III. §

ABENNER, AMALAZIE, ARACHE.

ABENNER.

Qu’est devenu mon fils ?

ARACHE.

Nous l’avons condamné,

ABENNER.

Quoy donc jusqu’à l’Arrest* son cœur s’est obstiné ?
Gardes, qu’on l’execute, arrestez, qu’on l’ameine,
1330 Non, non, ce criminel est digne de ma haine ;
Je ne le veux point voir, qu’on l’aille despescher*,

AMALAZIE, bas.

J’ay preveu qu’il se pourroit toucher. {p. 93}

ABENNER.

Pourquoy retarde t’on la mort de ce rebelle,
Vostre compassion est icy criminelle ?
1335 Prince, je n’entends point quel est vostre interest,
Par sa punition achevez son Arrest* ;
Quand je commande icy personne ne m’escoute,
Madame,

AMALAZIE.

Nous voyons toute vostre ame en doute,
L’on n’oze s’asseurer dessus vos volontez,

ABENNER.

1340 Ah ! c’est trop le deffendre, ô ! Dieux vous l’emportez,
Ce combat m’est honteux il est jugé qu’il meure.

AMALAZIE.

Enfin vous l’ordonnez ?

ABENNER.

Il dut180 perir sur l’heure ;
Vous deviez sur le champ l’immoler à nos Dieux.

AMALAZIE.

Aussi l’avons-nous fait, il est mort à nos yeux, {p. 94}
1345 L’on l’a decapité dans la sale prochaine*.

ABENNER.

Il est donc mort ?

AMALAZIE, à Arache.

Voyez comme se pert sa haine ;
Comme insensiblement s’affoiblit sa rigueur,
Et comme l’amitie* reprend place en son cœur.

ABENNER.

Hé bien ! Dieux inhumains j’ay suivy vos maximes,
1350 Tigres non pas des Dieux vous voulez des victimes,
Et vous voulez encore qu’on vous croye innocens,
Vous exigez de nous du sang au lien d’encens ?
Traitres Dieux, Dieux cruels, vrays partisans du vice,
S’il falloit pour vous plaire un pareil sacrifice ;
1355 J’abbore vos Autels, je veux estre Chrestien,
Le plus clement des Dieux est aujourd’hui le mien ?
Et vous dont la Sentence et prompte et tyrannique,
A mez commandemens immole un fils unique ;
Vous venez vous vanter de m’avoir obey.

ARACHE.

1360 Seigneur,

ABENNER.

Vous paressez apres m’avoir trahy ? [95]
Vous aviez escouté la voix de ma colere,
Il vous falloit respondre à celle de son père ;
L’une disoit perdez, l’autre sauvez mon fils,
C’est-ce qu’il falloit faire.

ARACHE.

Et c’est-ce que je fis ;
1365 Nous vous dissuadions de nous faire ses Juges,
En vain, Seigneur en vain, nous estions ses refuges ;
Il falloit vous complaire,

ABENNER.

Il ne le falloit pas,

ARACHE.

Nous devions,

ABENNER.

Vous deviez l’arracher de mes bras ?
Loin de le condamner il le falloit absoudre,
1370 Et me donner loisir de m’y pouvoir resoudre* ;
Apres ce grand courroux que j’avois tesmoigné,
En despit de vos Dieux je l’aurois espargné ;
Mais et vos Dieux et vous estiez d’intelligence,
Sur tous esgallement j’estendray ma vengeance !
1375 L’advenir en verra des effets eternels.

ARACHE.

Vous nous devez punir nous sommes criminels ;

ABENNER.

Ne me prescrivez point ce que je sçauray faire. {p. 96}

ARACHE.

Il est temps de parler,

ABENNER.

Je vous force à vous taire,
Vous n’avez que trop dit et n’avez que trop fait.

ARACHE.

1380 De vos ressentimens nous prevismes l’effet,
Le Prince n’est point mort,

ABENNER.

Ce n’est qu’un artifice,
De la mort de mon fils l’une et l’autre est complice,
Je veux que l’on vous rende un arrest* solemnel,
Que ceux qui l’ont jugé suivent le criminel,
1385 Et que par un trespas qui tous trois nous assemble,
Les juges soient punis et la partie* ensemble,
Dedans ce jugement nous nous sommes unis,
Et tous trois par raison devons estre punis ; [N, 97]
Moy du commandement, vous de l’obeyssance.

ARACHE.

1390 Le voicy !

ABENNER.

De mon foible, ils ont eu cognoissance ;
De quel estonnement me treuvay-je surpris,
Et combien de pensers agitent mes esprits.

SCENE IV. §

ABENNER, AMALAZIE, ARACHE,
JOSAPHAT.

JOSAPHAT.

Seigneur je viens chercher un juge inexorable*,
J’appelle devant vous d’un arrest* favorable ;
1395 Mes juges m’ont fait grace et je ne la veux pas,
Ils m’ont donné la vie et je veux le trespas ;
Ils m’ont esté cruels vous me serez propice*.

ABENNER.

Il le veut, il le veut, qu’on le mene au supplice ! {p. 98}
Non mon fils repens-toy, je signe ton pardon.

JOSAPHAT.

1400 Mon Dieu seul est en droit de nous faire ce don.

ABENNER.

Cruel tu te prevaus des sentiments d’un pere,
Tu sçais que ta presence appaise ma colere ;
Qu’elle excite en mon ame une vive pitié,
Et tu t’és reposé sur ma grande amitié* ?
1405 Tu ne t’és point deceu je me trompay moy-mesme,
C’est mon fils qui me hait ?

JOSAPHAT.

Ah ! Seigneur je vous ayme ;
Et tout autre qu’un Dieu n’auroit rien dessus vous,
Le rival est trop grand pour en estre jaloux ;
Plus que vous, plus que moy, je l’ayme et je l’adore,
1410 Après luy plus que moy mon ame vous honnore.

ABENNER.

Ah ! Mon fils tu te perds je ne te puis sauver,
En vain nostre pitié l’a voulu conserver ;
Nos loix veulent sa mort ? {p. 99}

JOSAPHAT.

Je leur offre ma vie.

ABENNER.

Cruels en le sauvant qu’elle estoit vostre envie ?
1415 Je me sçauray vanger de vostre trahison,
Et bien-tost mon conseil m’en va faire raison181 ;
Vous avez eu pour luy cette injuste clemence,
L’on n’aura point pour vous cette mesme indulgence ?
Mais enfin respondez pourquoi l’a-t’on absous,
1420 Madame, parlez-moy, Prince deffendez-vous.

AMALAZIE.

Seigneur, par mon adveu j’attens mesme supplice,
Le juge en ce beau crime est devenu complice ;
Arache, qu’est cecy, vous ne m’imitez pas,
Et quand je veux mourir vous craignez le trespas ;
1425 Vous doy-je soubçonner d’un sentiment si lasche,
Ne vous desguisez point, je vous cognois Arache !
Et puisque le peril fust tousjours vostre objet,
Vous ne vous suspendez* que pour le seul sujet ?182
Si mourir pour son Prince est un dessein auguste,
1430 Endurer pour son Dieu est un dessein plus juste,
Et quand l’occasion vous propose ce choix,
Servez-vous un vassal ou bien le Roy des Roys ; {p. 100}
Tantost je vous blasmois du progrez de vos armes,
La mort de tous les miens m’arracha quelques larmes,
1435 Et je vous accusois avec quelque raison,
Ou de la mort d’un père ou bien de ma prison ;
Je ne me plaindray plus je vous suis redevable,
Vous fites mon bon-heur me rendant miserable ;
M’ostant avec mon sceptre un amour criminel,
1440 Vous me faites donner un Empire Eternel ;
Participez mon Prince à ce beau diademe,
En m’en donnant ma part gardez-en pour vous méme ;
Vous Prince genereux dont j’appris cette loy,
Vous me rendez bien plus que ne m’osta le Roy ;
1445 Ouy, Seigneur, à ce prix ma perte est bien legere,
Le fils me donne plus que ne m’osta le pere.

ABENNER.

Dieu j’entends ta voix, et ressens ta vertu*,
De me persecuter lasses-toy me dis-tu ;
Te dois-je demander quelque nouveau miracle,
1450 Ouy, je t’ose tenter,

ARACHE.

Levons donc cét obstacle ?
C’est trop se desguiser, Seigneur j’estois Chrestien,
Et le Dieu des Chrestiens

ABENNER.

Est, et ce sera le mien ; [101]
Dieu de mon fils, d’Arache, et Dieu d’Amalazie,
T’adorent, et l’Europe, et l’Afrique et l’Asie ;
1455 Scandale à tous les Dieux qu’ont formé les mortels,
Je vay les immoler sur leurs propres autels ;
Ces Dieux sont tous de corps que n’ont-ils eu des ames,
Ils ressentiroient mieux l’activité des flammes :
N’importe, allons destruire et leurs corps et leurs noms
1460 Et dessous leurs debris enfermons leurs renoms ;
Je ne les cognois plus.

JOSAPHAT.

Je recoignois mon père.

ABENNER.

Ah ! c’est visiblement que ton sauveur opere,
Autre que nostre Dieu n’eust pas eu ce pouvoir.

JOSAPHAT.

Il se fait bien sentir s’il ne se fait pas voir,
1465 Il toucha par ma voix le cœur de la Princesse,
Et ce Dieu qui travaille et par tout et sans cesse ;
Pendant nostre entretien touchoit Arache encor,
Dont l’ame a ressenty la vertu de Nacor.

ABENNER.

Et bien cher Josaphat, tu me vois inutile,
1470 Et tu me vois reduit dans un ange debile* ; {p. 102}
Le sceptre que je tiens est un pesant fardeau,
Et sans un poids si lourd j’incline à mon tombeau.
Viens donc prendre les soins que me donne un Empire,
Souffre que je le quitte et que je me retire.

JOSAPHAT.

1475 Pensez-vous m’esbloüir par l’éclat des grandeurs,
Et d’eschauffer* mon ame avec si peu d’ardeurs ?
Seigneur, jouyssez seul d’un si triste advantage*,
Mon ame se reserve un plus noble partage ;
La terre est vostre but et le Ciel est le mien,
1480 Icy, vous vous plaisiez, là je treuve mon bien,
Et parmy les transports dont mon ame est saisie*,
Mon œil ne descend plus sur ceux d’Amalazie,
Je n’y rencontre plus ny d’amour, ny d’appas*,
Et quoy qu’ils en soient pleins je ne les y voy pas ;
1485 Jugez par ce mespris si je cherche un Empire,
Souffrez que je le laisse et que je me retire.

ABENNER.

Gouste un peu ce que c’est que du commandement,

JOSAPHAT.

La souveraineté n’est point mon élement ;

ABENNER.

Enfin je te l’ordonne et te remets ces marques,
1490 Ausquelles nos sujets cognoissent leurs monarques ; {p. 103}
De pleine autorité je te cede mes droits,
Et cette indépendance où me mettoient nos loix.
Ne me conteste point, la chose est resoluë.

JOSAPHAT.

J’en puis donc disposer de puissance absolue ;

ABENNER.

1495 Agis en souverain, tout releve de toy,
Prince, au nom de l’Estat, cognoissez vostre Roy.

JOSAPHAT.

En pouvant donc jouyr comme de mon bien mesme,
Et par le plein pouvoir que donne un diademe ;
J’esleve sa personne entre les Potentats*,
1500 Et luy remets les droits que j’ay sur vos Estats ;
Entre tous nos vassaux il me plaist vous eslire.

ARACHE.

A moy ceder vos droits, retenez vostre Empire ?
Prince, quelle raison vous le fait refuser,
Vous Seigneur quel motif vous le fait mespriser. {p. 104}

ABENNER.

1505 Vous ferez le repos et de l’un et de l’autre,
Je confirme ce choix ;

ARACHE.

Non, non, l’Empire est vostre ?

ABENNER.

Puisqu’il m’appartenoit j’ay pû le luy donner.

JOSAPHAT.

Estant maistre à mon tour je puis vous couronner ;

ARACHE.

Vous negligez le trône et moy je le desdaigne,
1510 Puisque vous l’évitez il faut que je le craigne ?
Dois-je donc estimer ce que vous mesprisez,
Et dois je recevoir ce que vous refusez ;
L’offre que l’on me fait est un present qui trompe,
L’on pense m’esblouir par un fausse pompe ?
1515 Si l’Empire vous plaist vous le devez garder,
Et s’il ne vous plaist pas, pourquoy me le ceder. [O, 105]

ABENNER.

Un trône avec le Ciel qu’a-t’il de comparable ?

ARACHE.

Seigneurs vostre raison n’est point considerable :
Quelques divins qu’ils soient je blasme vos projets,
1520 Venez par vostre exemple instruire vos sujets.
Quoy, trainer une vie oisive triste et rude,
Et vous ensevelir dans une solitude ;
Il faut vivre et mourir pour qui vous estes nez,
Le Ciel à leur salut vous avoit destinez ;
1525 Venez vous aquitter de l’employ qu’il vous donne.

ABENNER.

Hé bien, travaillons-y puisque le Ciel l’ordonne !

JOSAPHAT.

Seigneur, je veux entrer dans le gouvernement,
Pour le premier essay de mon commandement ;
Et de l’autorité que vous m’avez donnee,
1530 Sans vous en consulter je fais une hymenee*.

ABENNER.

Vous avez tout pouvoir ? {p. 106}

JOSAPHAT

Vous rival genereux,
Et que le seul merite a fait le plus heureux ;
Digne de posseder nostre illustre maistresse,
Refusant mon Empire acceptez la Princesse,
1535 Et de ces deux presens retenez le plus beau.

ARACHE.

Seigneur, ce sentiment ne vous est point nouveau ;
La generosité vous est trop naturelle ;
Vous la meritiez seul.

JOSAPHAT.

Vous estes digne d’elle ?
Par ma confession autant que par son choix.

ARACHE.

1540 Mon heur va surpasser tout le bon-heur des Roys ;
Le don de vostre Empire est moins qu’Amalazie.

JOSAPAHT.

Et vous le digne objet de nostre jalousie ?
Recevez de ma main ce que vous desirez,
Et ce parfait amant que vous me preferez ;
1545 Je vous rends vos Estats ? {p. 107}

AMALAZIE.

O vertu sans seconde183 !
Et digne de pretendre à l’Empire du monde :

JOSAPHAT.

Par ce celebre hymen achevons ce beau jour,
Rendons par ce plaisir l’allegresse à la Cour ;
Qu’elle quitte son deuil, qu’elle change de face,
1550 Et que tout y retourne à sa premiere grace*,
Allons voir Barlaam, et que l’on dresse encor,
Un superbe sepulchre aux manes* de Nacor.

Fin de Josaphat

Lexique §

A l’envi
« A qui mieux mieux. » (Furetière, 1690)
v. 287, v. 461
Abord
« Approche, arrivée. » (Richelet, 1680)
v. 773, v. 1326
Abysmer
« Jetter dans un abysme, y tomber, se perdre, se noyer. » (Furetière)
v. 607
Accabler
« On dit […] Accabler une personne de biens, de graces, de bienfaits, de présens, pour dire, Luy en faire excessivement. » (Dictionnaire de l’Académie, 1694)
v. 637
Affermir
« Rendre ferme et inesbranlable. » (Furetière)
v. 826
Age
« Certains tems de la vie. » (Richelet)
v. 238, v. 995
Amitié
« Affection qu’on a pour quelqu’un, soit qu’elle soit seulement d’un costé, soit qu’elle soit reciproque. » (Furetière)
v. 1348, v. 1404
Appas
« Charmes, attraits, agrément, ce qui plaist. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 135, v. 235, v. 474, v. 529, v. 975, v. 999, v. 1179, v. 1483
Appareil
« Ce qu’on prepare pour faire une chose plus ou moins solemnelle. » (Furetière)
v. 505, 1075
Apparence
« La surface exterieure des choses, ce qui d’abord frappe les yeux. » (Furetière)
v. 292, v. 616, v. 807, v. 1262
Arrest
« Jugement ferme et stable d’une Puissance Souveraine. » (Furetière, 1690)
v. 633, v. 1136, v. 1151, v. 1328, v. 1336, v. 1383, v. 1394.
Attacher
« Forte impression des objets, ou la forte application aux objets. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 1072
Avantage
« Qualité de la nature, ou de la fortune. » (Richelet)
v. 1477
Bien-séance
« Tout ce qui convient et qui est propre à quelque personne. » (Richelet)
v. 14
Borner
« Fixer. Terminer. » (Richelet)
v. 166
Brillant
« Feu d’esprit, ce qu’un esprit a de plus-vif, et de plus-subtil. » (Richelet)
v. 425, v. 1007
Col
« La partie du corps qui joint la teste aux espaules, la prononciation ordinaire dans la pluspart des phrases c’est cou. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 778
Commerce
« Communication et correspondance ordinaire. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 198
Commettre
« Confier quelque chose à la prudence, à la fidelité de quelqu’un. » (Furetière)
v. 708
Concevoir
Comprendre, pénétrer par le moien des lumieres de l’esprit. » (Richelet)
v. 531
Conque
« Grande coquille. » (Furetière)
v. 343
Consommer
« Accomplir, achever, mettre dans sa derniere perfection. » (Richelet)
v. 593
Constamment
« D’une manière certaine et indubitable. » (Furetière)
v. 1207, v. 1235
Contempler
« Considerer, regarder avec une profonde atention. » (Richelet)
v. 692
Debile
« Qui n’a pas les forces qu’il doit avoir naturellement et ordinairement. » (Furetière)
v. 1470
Deceu, eüe
« trompé » (Furetière)
v. 555
Decevant
« Propre à tromper » (Furetière)
v. 1243
Déciller
« Ce mot se dit proprement en parlant du sommeil et des yeux. Ouvrir les paupieres. Commencer à ne plus dormir et à ouvrir les yeux. » (Richelet)
v. 820, v. 1320
Défait, défaite
« Taillé en pièces, batu. » (Richelet)
v. 48
Dementi
« Dire à une personne qu’elle ne dit pas vrai. » (Richelet)
v. 626
Dénier
« Refuser, ne pas accorder. » (Richelet)
v. 396, v. 586
Dépécher
« Adresser à quelqu’un. Envoier vers quelqu’un. » (Richelet)
v. 1331
Dépôt
« Tout ce qu’on met entre les mains de quelqu’un pour le garder. » (Furetière)
v. 665
Derechef
« Une seconde fois. » (Furetière)
v. 44
Dévorer
« Perdre, ruïner, consumer. » (Richelet)
v. 1078
Differer
« Gagner du temps, remettre à une autrefois. » (Furetière)
v. 1332
Effort
« se dit de tout ce qu’on fait avec violence. » (Furetière)
v. 16
Employ
« Le travail, l’occupation qu’on donne à quelqu’un, ou qu’on prend soy-même. » (Furetière)
v. 59, 283, v. 1028
Employer
« Se servir de quelque chose. » (Furetière)
v. 107
Ennuy
« Fascherie, chagrin, deplaisir, souci. » (Académie)
v. 150
Envisager
« Regarder, jetter les yeux sur le visage d’une personne » (Richelet)
v. 922
Eschauffer
« Rendre chaud, ou devenir chaud. […] Se dit encore en Morale, de l’émotion des passions. (Furetière)
v. 1476
Estonner
« Causer à l’ame de l’emotion, soit pas surprise, soit par admiration, soit par crainte. » (Furetière)
v. 964, v. 1067
Faveur
« Crédit, pouvoir d’une personne qui est bien auprès de quelque grand. » (Richelet)
v. 263
Foudre
« Se dit figurément du courroux de Dieu, de l’indignation des Souverains. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 857, v. 1315
Fouir
Creuser (Furetière)
Front
« Plusieurs personnes ou choses qui sont ensemble coste à coste, qui monstrent leur front. » (Furetière)
v. 1287
Gentil
« Payen. C’est ainsi que les Juifs [et les Premiers Chrétiens] appelloient tous ceux qui n’estoient pas de leur Religion. » (Furetière)
v. 363
Grace
« Faveur, bon office qu’on fait à quelqu’un sans y estre obligé. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 270, v. 1550
Hazarder
« Risquer, exposer à la fortune, exposer au peril. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 81, v. 184,
Heur
« Ce mot signifie bon-heur » (Richelet)
v. 1243
Hommager
« Qui doit hommage. » (Furetière)
v. 42, v. 915, v. 915
Humeur
« substance fluide dont les parties sont en mouvement. Les plantes se nourrissent de l’humeur de la terre. » (Furetière)
v. 331
Hymen (ou hymenée)
« signifie poëtiquement, le mariage. » (Furetière)
v. 279, v. 503
Idolâtre
« Qui adore de faux Dieux, de creatures, des ouvrages de main d’homme. » (Furetière)
v. 961, v. 1276
Imprudent, imprudente
« Qui manque de Prudence. […] Il se dit aussi, de la Mauvaise conduite dans les affaires de la vie. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 603
Incliner
« Se dit figurément des choses spirituelles. Ce Prince incline à la clemence. Ce jeune homme incline à la desbauche. » (Furetière)
v. 24, 33
Industrie
« Dextérité, adresse à faire quelque chose. Il se prend aussi quelquefois simplement pour l’Art, le travail. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 336
Ineffable
« Qui ne se peut exprimer ni comprendre. » (Furetière)
v. 712
Inexorable
« Qui est ferme, dur, qu’on ne sçaurait fleschir, celuy dont on ne peut obtenir aucune grace. » (Furetière)
v. 1393
Infaillible
« Ce qui est certain. » (Furetière)
v. 452
Inquiet, inquiete
« Qui est dans quelque trouble, dans quelque agitation d’esprit, soit par crainte, soit par irrésolution et incertitude. » (Dictionnaire de l’Académie)
Insigne
« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. » (Furetière)
v. 599
Intelligence
« Amitié, union, paix, liaison, concorde. » (Richelet)
v. 61
Libéralité
« Le don que l’on fait libéralement. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 316,
Linéament
« Trait ou ligne delicate qu’on observe en quelque chose, et particulièrement sur le visage, […] qui en cause le rapport ou la ressemblance avec autre chose. » (Furetière)
v. 617
Lustre
« L’Eclat de quelque chose de poli, de luisant, de lissé et d’uni. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 339, v. 510
Manes
« Terme Poëtique, qui signifie l’ombre ou l’ame d’un mort. » (Furetière)
v. 1552
Manne
« Espece de rosée congelée, qui se recueille en quelques pays sur les feüilles de certains arbres et de certaines herbes. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 345
Marche
« Terme de Tambour. Son de tambour par lequel on connoit que les soldas marchent, ou qu’ils sont prêts à marcher en ordre. » (Richelet)
v. 49
Matière
« Sujet de quelque discours. Chose, sujet. » (Richelet)
v. 1041
Mouvement
« Se dit figurément en choses morales et spirituelles. […] Toutes les passions excitent des mouvements dans nostre ame. » (Furetière)
v. 27
Naturel
« Disposition que nous a donné la nature et qui nous rend plus propre à une chose qu’à une autre. » (Richelet)
v. 212
Office
« Secours ou devoir reciproque de la vie civile. » (Furetière)
v. 869
Ornement
« Tout ce qui sert à orner, embélissement, parure. » (Richelet)
v. 131
Ouir
« Entendre. Recevoir quelque son dans les oreilles qui les frappe. » (Furetière)
v. 1224, v. 1261
Ouvrage
« Production de la nature, production de la fortune, ou d’autre pareille chose. » (Richelet)
v. 141
Partie
« En termes de Palais, se dit de tous les plaideurs. » (Furetière)
v. 1386
Pompeux, pompeuse
« Qui a de la pompe, qui est magnifique, leste. Bien paré. » (Richelet)
v. 237, v. 381
Potentat
« Monarque, Roy ? Qui a une puissance souveraine. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 264, v. 386, v. 1499
Prescrire
C’est à dire, régler, ordonner. (Richelet) Renvoie aux Ecritures Saintes.
v. 418
Pourvoir
« Donner ordre à quelque chose. » (Richelet)
v. 633
Procéder
« Venir, dériver. » (Richelet)
v. 965
Prochain, prochaine
« Qui n’est pas loin. Il se dit du temps et du lieu. » (Furetière)
v. 1345
Propice
« Favorable. » (Richelet)
v. 1397
Prudence
« C’est la premiere des vertus cardinales, qui enseigne à bien conduire sa vie et ses mœurs, ses discours et ses actions suivant la droite raison. » (Furetière)
v. 818
Querelle
« L’interest d’autruy, quand on en prend la deffense. » (Furetière)
v. 26, v. 388
Raison
« Tout ce qu’on alégue, qu’on dit et qu’on aporte pour prouver, confirmer et perdüader quelque chose. Le mot de raison en ce sens a un pluriel. » (Richelet)
v. 872
Rebuté
Être un rebut, une « chose dont on ne veut point. Chose qu’on méprise comme étant peu considérable. » (Richelet)
v. 292
Relever
« Dépendre » (Richelet)
v. 256
Remis, remise
« Rétabli. » (Richelet)
v. 1175
Rencontre
« tout ce qui s’ofre et se présente à nous sans être préveu. Tout ce qui s’ofre par hazard et inopinément. » « Conjoncture » (Richelet)
v. 341, v. 1208
Resoudre
« Conclurre après avoir deliberé. » (Furetière)
v. 34,
Resoudre (se)
« Prendre une résolution, se déterminer. » (Richelet)
v. 1370
Ressouvenir
« Action de se ressouvenir, mémoire qu’on a d’une chose. » (Richelet)
v. 7, v. 1167
Retirer (se)
« Se corriger de ses foliers, de son desordre, de son dereglement. » (Richelet)
v. 1067
Saisi
« On dit [...] qu’on homme se saisit, quand à la veuë de quelque fascheux accident, au recit de quelque mauvaise nouvelle, il est surpris de telle douleur ou affliction, crainte, ou estonnement, que cela altere son esprit ou sa santé. » (Furetière)
v. 1481
Séjour
« La demeure qu’on fait, ou qu’un autre fait en quelque lieu. Le tems qu’on demeure en un endroit. » (Richelet)
v. 3
Solide
« Ce mot se dit des choses et des personnes, et veut dire ferme, constant qui n’est point léger. » (Richelet)
v. 478
Souci
« Sollicitude, soin accompagné d’inquiétude. » (Dictionnaire de l’Académie)
v. 195
Souffrir
« Ne se pas opposer à une chose, y consentir tacitement. » (Furetière)
v. 930
Soupirer
« Gemir. Jetter des soupirs. » (Richelet)
v. 1
Soustien
« Ce qui supporte, qui soustient. » (Furetière)
v. 594
Suborneur
« Ce qui surborne, qui débauche, qui corromp de jeunes gens, qui les mt dans le vice. » (Richelet)
v. 638
Supporter
« Donner appuy, secours, protection. » (Furetière)
v. 167
Suspendre
« se dit figurément en choses spirituelles et morales, et signifie, Arrêter pour quelque temps. » (Furetière)
v. 1428
Talent
« Sorte de monoie ancienne d’or, ou d’argent. » (Richelet)
v. 354
Timide
« Foible, peureux, qui craint tout. » (Furetière)
v. 431, v. 823
Transport
« Se dit figurément en choses morales, du trouble ou de l’agitation de l’ame par la violence des passions. » (Furetière)
v. 1303
Tronc
Race, famille. » (Richelet)
v. 568
Usurper
« Ocuper avec injustice et avec violence. S’emparer avec injustice d’une chose qui ne nous apartient pas. » (Richelet)
v. 37, v. 1143
Valant
« Participe qui vient de valoir et qui veut dire qui vaut. » (Richelet)
v. 353
Vertu
« Se dit figurément en choses morales, de la disposition de l’ame, ou habitude à faire le bien » (Furetière)
v. 1447

Bibliographie §

Ouvrages de Référence sur le théâtre du XVIIe siècle §

LANCASTER Henry Carrington, A History of French dramatic literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the John Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.) vol. II, part. II The period of Corneille 1635-1651
PARFAICT François et Claude, Histoire du théâtre français depuis son origine jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres poètes dramatiques, des extraits exacts, et un catalogue raisonné de leurs pièces, accompagnés de notes historiques et critiques…, Paris, P.-G. Le Mercier
SOLEINNE, Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, cat. réd. par P. L. Jacob (Paul Lacroix), New York, B. Franklin, [1965 ?]

Pièces de théâtre du XVIIe siècle §

ROTROU, Le Véritable Saint Genest, dans Œuvres Complètes 1, Paris, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Textes choisis, établis, présentés et annotés par Jacques Scherer, 1975
CORNEILLE Pierre, Polyeucte, dans Théâtre. 2, GF Flammarion, Paris, Chronologie, introduction bibliographie et notes par Jacques Maurens, 1980
D.L.T. Josaphat ou le triomphe de la foy sur les Chaldéens, François Boude, Tolose, 1646
BOISROBERT François de, Le Couronnement de Darie, Toussaint Quinet, Paris, 1642
DESFONTAINES, L’Illustre Comédien ou le martyre de Saint Genest, Cardin Besongne, 1645
RACINE, Andromaque, dans Racine, Théâtre Complet I, Edition de Jean-Pierre Collinet, Paris, Folio Classique, 1982

Ouvrages du XVIIe siècle §

FRANÇOIS René, Essay des merveilles de nature, et des plus nobles artifices, Rouen, Romain de Beauvais, 1621
Le Mémoire de MAHELOT, LAURENT, et d’autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne et de la Comédie Française au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1920, publié par Henri Carrington Lancaster

Source hagiographique §

DAMASCÈNE Jean, Histoire de Barlaam et Josaphat, roi des Indes, composée par sainct Jean Damascène, et traduicte par F. Jean de Billy, Paris, Guillaume Chaudière

Ouvrages sur l’auteur §

BOULMIER Joseph-Désiré, Un excentrique du XVIIe siècle. Jean Magnon de Tournus (extrait du Bulletin du bibliophile), Paris, Techener, numéro de sept-oct 1871, in 8°.
JEANTON Gabriel, « Notes sur la vie et l’assassinat de Jean Magnon, de Tournus, poète et historiographe du roi. » Mâcon : imp. de Protat frères, 1917, in 8°. Extrait des Annales de l’Académie de Mâcon, et du Bulletin de la Société des amis des arts de Tournus.
MICHAUT G. La Jeunesse de Molière, Paris, Hachette, 1922

Ouvrage sur Josaphat §

Saintes Scènes. Théâtre et sainteté à la croisée du Moyen-Age et de la Modernité, dir. Barbara Selmeci et Marion Vuagnoux Uhlig, Berlin, Franck & Timme, 2012

Ouvrages sur le théâtre du XVIIe siècle §

FORESTIER Georges, Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, PUF, 2003
DE REYFF Simone, L’Eglise et le théâtre, l’exemple de la France au XVIIe siècle, Edition du Cerf, Paris, 1998
BABY Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck
UBERSFELD Anne, Lire le théâtre I, Paris, Belin, 1996
FORESTIER Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680) – Le déguisement et ses avatars, Paris, Droz, 1998
CHEDOZEAU Bernard, Le Baroque, Paris, Nathan, 1992
FORESTIER Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Nathan Université, 1993

Instruments de travail §

Furetière Antoine, Dictionnaire universel, Contenant tous generalement tous les Mots François tant vieux que modernes, & les Termes de toutes les Sciences et des Arts.
Académie Française, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.)
RICHELET P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).
FOURNIER Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Berlin, 1998

Sites internet §

http://www.theatre-classique.fr/ (Théâtre Classique)
http://www2.unil.ch/ncd17/index.php (Naissance de la critique dramatique)