OU
LE TRIOMPHE DE LA FOY, ET
DE LA CONSTANCE.
PAR MONSIEUR DE LA SERRE
Chez AUGUSTIN COURBE', Libraire et Imprimeur de Monsieur
Frere du Roy, dans la petite Salle du Palais,
à la Palme.
M. D C. XXXX II.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Gautier Devaux, sous la direction de Bénédicte Louvat (2021-2022)
Présentation §
« La prose de Puget de La Serre et sa dramaturgie sont encore plus nulles [que celles de l’abbé d’Aubignac], s’il est possible ; mais ses sujets sont édifiants : Thomas Morus, ou le triomphe de la foi et de la constance, où Richelieu pleura […]. On se demande comment Richelieu qui sut apprécier un Rotrou, un Tristan ou un Corneille à leur juste valeur, a pu se divertir ainsi de son travail politique et se plaire à cette absence de talent » écrit Charles Mazouer dans Le Théâtre français de l’âge classique, Le premier XVIIe siècle1 en 2006. Nous voudrions prendre très au sérieux cette question de Charles Mazouer et tenter de déterminer les raisons du succès de cette pièce en même temps que celles qui justifient la sévérité d’un tel jugement.
Jean Puget de La Serre, sa vie et son œuvre §
La vie d’un Prince ne difere point de celle de ses Sujets, si les plus eloquens n’en consacrent le souvenir par leurs eloquentes plumes mais il faut qu’une juste liberalité les rende dorées, afin que le vol en soit plus éclatant.
J. Puget de La Serre, Maximes politiques de Tacite, p 108.
Écrivain de cour, entrepreneur des lettres ? §
Nous pouvons croquer une première esquisse de La Serre grâce à la remarquable synthèse que propose le tableau synthétique mis en annexe par Alain Viala à la fin sa Naissance de l’écrivain. Une simple ligne de ce tableau2 nous révèle qu’il pratiqua le clientélisme comme les salons, qu’il fut particulièrement attentif à la perception de ses droits d’auteur, mais que ce polygraphe, en se pliant aux exigences du cursus littéraire afin de vivre de ses œuvres, a été mentionné de façon défavorable pour sa stratégie d’écrivain. Toutefois, il est possible d’affiner davantage notre connaissance de cet auteur.
Système de protections : un itinéraire chaotique ? §
Il est difficile de distinguer, dans les témoignages qui nous sont parvenus à propos de la vie de Jean Puget de La Serre, ce qui relève de la relation fiable d’anecdotes véridiques, ou du simple persiflage d’auteurs connus pour leur fiel. Encore aujourd’hui, le travail des historiens de la littérature demeure incapable de tracer un portrait définitif de cet auteur singulier pourtant assez représentatif d’une large frange de la république des lettres de son temps. Sa date et son lieu de naissance furent longtemps douteux avant qu’André Navelle ne parvienne à les fixer précisément le 15 novembre 1594 à Toulouse3. Comme le rappelle Jacques Chupeau4, on a longtemps cru qu’il était né en 1600, soit qu’il s’agisse d’une stratégie d’auteur pour sembler plus jeune qu’il n’y paraît, soit que la critique ait tenté de forcer sa naissance dans le Grand siècle.
Il est issu d’une famille d’apothicaires parmi lesquels Etienne du Puget, sieur de Pommeuse, était parvenu à obtenir à Paris la charge de « trésorier de l’Epargne5 » en offrant ses services à Mme de Beaufort, la maîtresse d’Henri IV. Il y a fort à parier que ce soit le succès de ce dernier qui ait amené notre écrivain à quitter son Languedoc natal pour tenter sa chance dans la capitale. Toutefois, Tallemant évoque également l’influence d’un certain Gabriel Puget, sieur de Montauron et receveur général de Guyenne6. En tout état de cause, La Serre se trouve introduit à la ville ainsi qu’à la cour par sa famille. Véritable polygraphe, il commence à publier très tôt puisqu’il a seulement 23 ans lorsque paraît en 1617 son premier ouvrage7. Il semble que l’auteur se cherche encore puisque comme le souligne Franck Greiner, loin « de moraliser, il vante les plaisirs de l’amour et érotise sa matière8 ». Rien d’étonnant à ce que l’ouvrage soit donc dédié à la marquise de Crouy, Diane de Dommartin, célèbre pour ses nombreux soupirants dans la haute noblesse. L’année suivante, un nouvel ouvrage9 paraît qui semble proposer un roman à clé sur des histoires de cour10. Ce roman est dédié au lieutenant général de Languedoc, personnalité singulière qui fondera comme prêtre la Compagnie du Saint Sacrement en 1627.
De ce fait, La Serre semble peu à peu s’établir dans le monde des lettres parisien en s’appuyant sur ses relations toulousaines. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’en 1623, il publie une suite aux Héroïdes de l’abbé de Croisilles11, originaire de Béziers, dans le Languedoc, et familier du salon de madame de Rambouillet12. Ainsi, à partir de 1624 et Le Bouquet des plus belles fleurs de l’Eloquence13, La Serre semble installé. Comme le révèle le titre complet de ce « bouquet », La Serre est un jeune écrivain ambitieux qui ne craint pas d’associer son nom à ceux d’auteurs reconnus pour parvenir. L’épître dédicatoire est très claire à ce sujet en déclarant avec l’emphase propre à ce genre, que tous les grands esprits louent Mme de Conti car « qui ne sçait parler le langage de [ses] loüanges, ignore celuy de la raison14. » Dès ce premier ouvrage, La Serre place donc son ambition très haut, tant par son rapprochement avec des auteurs célèbres et la justification de son épître, que par la qualité matérielle du livre qu’il propose15.
L’année suivante, le jeune écrivain persiste en faisant paraître une étrange monographie allégorique sur le roi et la reine peints sous les traits de Jupiter et de Junon16. Sans détour, l’ouvrage est dédié au couple royal et semble constituer à lui seul, une opération de séduction pour obtenir un traitement ou des faveurs. Entre 1627 et 1628 paraissent Les Pensées de l’éternité17 dédiées à l’Infante Isabelle, dont nous savons donc que La Serre fréquente la cour à Bruxelles. Dans le sillage de cette œuvre courtisane, paraît en 1628 Le Roman de la Cour de Bruxelles18, une sorte de faux roman à clé qui prétend décrire le quotidien de la cour de l’Infante Isabelle sans pour autant permettre de l’identifier véritablement. Selon Gilles Branderier19, il s’agit d’un travail courtisan pour satisfaire, moyennant finances, l’amour-propre de nobles qui cherchent à être en vue. Ce lien avec la Cour de Bruxelles pourrait déjà être établi en 1621 puisque La Serre aurait demandé au célèbre savant Puteanus de lui écrire un distique pour un ouvrage de dévotion20.
Cependant, en 1629, c’est à la reine de France qu’est dédié son deuxième ouvrage de dévotion21 et on peut supposer un certain succès dans la stratégie opérée par La Serre puisque l’année suivante, Le Tombeau des délices22 est signé par « Le Sr de La Serre/ Historiographe de France ». Cependant, l’ouvrage est publié à Bruxelles et dédié au comte de Tilly, ancien commandant en chef des armées de la Ligue et alors commandant des armées impériales. C’est dans son château que La Serre prétend avoir écrit son ouvrage, en compagnie notamment du jésuite Binet, grand ami de saint François de Sales. Ainsi, après les fastes de la cour, pour une raison qui nous échappe partiellement, La Serre choisit la voie d’un catholicisme relativement rigoureux et l’éloignement de la France. Là encore, il est difficile de discerner entre ce qui relève purement et simplement de l’opportunisme et la complexité d’un parcours politique et religieux sincère. De fait, il nous semble préférable de ne pas céder à la facilité d’un jugement moral mais de tenter plutôt de décrire rigoureusement l’itinéraire littéraire de cet écrivain.
De plus, le Bréviaire des courtisans paru la même année, est imprimé à Paris mais approuvé par l’Église à Bruxelles23. Quoiqu’aient pu en dire ses détracteurs La Serre se présente comme un écrivain en lien avec l’Europe dans la lignée des humanistes du siècle précédent. Historiographe de France, La Serre dédie pourtant son ouvrage au jeune prince de Liechtenstein Charles-Eusèbe et deux éditions en langue allemande paraîtront dans la suite du siècle. En outre, il est probable, comme le suggère Gilles Branderier, que cette épître dédicatoire ait valu à l’écrivain une récompense généreuse24. Cependant, en 1631, paraît à Paris la première tentative théâtrale de La Serre. Pandoste25 est, malgré le sous-titre de « Tragédie en prose », une tragi-comédie pastorale. L’épître dédicatoire est adressée à une mystérieuse Uranie26 dans un registre galant qui rompt avec la sévère piété des œuvres précédentes. De façon plus surprenante, elle est suivie d’une adresse au lecteur dans laquelle La Serre se place en victime de l’opinion et dénonce le peu de valeur des dédicaces.
Or en 1631, Marie de Médicis s’exile en Belgique dans ce qu’on nomme alors « les Pays Bas ». Vraisemblablement, La Serre la suit à partir de son arrivée le 19 juillet au château d’Étrœungt puis dans ses diverses pérégrinations. Il en livre un ouvrage en 1632 paru à Anvers27. Ainsi, arrivé probablement en 1627 à Bruxelles, il est douteux, comme le prétend Pierre Pasquier, suivant Tallemant des Réaux, qu’il se soit attardé en Lorraine28. De fait, s’il s’attache plus durablement à la Reine Mère, au point de la suivre en Angleterre, Tallemant se trompe en déclarant qu’il « suivit la Reyne-mere à Brusselles en qualité d’historiographe29 ». Par ailleurs, en habile courtisan, il ménage Louis XIII dans son épître dédicatoire en prédisant que « tous ces petits divorces se termineront à la fin à cette ialousie que mon Roy aura, de vous voir triompher par amour, de tous les peuples qu’il eust peu vaincre par ses armes30. » Écrivain de cour, La Serre louvoie donc habilement pour ne se fermer aucune porte dans la suite de sa carrière. De fait, en anticipant légèrement, on observera qu’il passera de la protection de Marie de Médicis à celle de Richelieu dans un intervalle de moins de dix ans, malgré l’inimitié publique qui oppose ces deux personnalités.
L’attachement à la Reine Mère est de toute évidence payant puisque Le Miroir qui ne flatte point31 de 1632 est attribué à La Serre, désormais « Historiographe de France & de la Reyne Mere du Roy tres-Chrestien ». Il est fort probable que ce nouveau titre soit la récompense du livre précédent. Or deux épîtres dédicatoires forment le paratexte de l’ouvrage, adressées au roi et à la reine de Grande-Bretagne. Ces destinataires révèlent déjà sinon la présence de La Serre à Londres, du moins la préparation de ce voyage. De fait, quelques années plus tard, il publie à Londres son Histoire de l’entrée de la Reyne meere du Roy tres-chestien dans la Grande-Bretaigne32. Or c’est alors que paraît cet ouvrage qu’est jouée ou écrite notre pièce, Thomas Morus. Un potentiel retour à Londres et une nouvelle épître dédicatoire adressée au souverain de Grande-Bretagne révèlent la capacité de La Serre à tisser des liens avec les Grands et à s’insérer dans un réseau de protection et de mécénat.
La carrière littéraire de La Serre se poursuit par une seconde tentative théâtrale qu’il présente comme le fruit d’une commande : Pyrame33. L’épître dédicatoire est adressée à Eléonore de Bergh, future duchesse de Bouillon, que La Serre affirme avoir côtoyée de deux à trois ans à la cour de Bruxelles. Issue d’une grande famille mais peu fortunée, la comtesse est connue pour son attachement à la religion catholique. On peut donc supposer que l’épître a davantage pour objectif d’assurer une image de piété à l’auteur que de chercher une éventuelle récompense pécuniaire. De fait, il convient de rappeler la signification particulière d’une épître dédicatoire et sa valeur. Dans l’analyse précise que présente Gilles Branderier à propos de celle du Bréviaire des courtisans, il conclut à une double visée de ce genre convenu : « amener le Prince à protéger l’Écrivain, seul dépositaire de la postérité, et à placer son règne sous le signe de la vertu. Le profit est donc tant individuel que collectif34. » En suivant une approche plus sociologique, Christian Jouhaud et Hélène Merlin précisent que dans l’épître dédicatoire, « le dédicataire est souvent un grand dont l’auteur est le client, mais l’épître dédicatoire fait de lui un mécène et transforme ainsi la relation de clientèle en une relation mécénique35. » Cette conception de l’écriture se distingue donc des catégories de flagornerie flatteuse et noblesse désintéressée d’un conseil visant la gloire. La Serre est un écrivain de son temps. Il pratique la littérature afin d’en vivre. Il serait malvenu d’y voir un renoncement à des idéaux : ce serait tomber dans un grossier anachronisme que d’appliquer un modèle romantique à un tel écrivain comme à tous les autres de son siècle.
Ainsi, en 1634, lorsque paraissent Les Amours des déesses36 et Le Mausolée érigé à la mémoire immortelle de tres-haulte, tres-puissante, et tres-auguste princesse Isabelle, Claire, Eugénie, d’Austriche, Infante d’Espagne37, La Serre est un écrivain de son temps : polygraphe selon les modes et les demandes, il s’inscrit dans un système de protection relativement cohérent autour de la Cour de Bruxelles et à la marge du royaume de France. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce recueil de récits soit dédié aux altesses de Lorraine qui sont alors en opposition avec le roi de France et proches de Monsieur dont il deviendra l’historiographe. À cet égard, il convient de noter que l’importance de Gaston d’Orléans a probablement été surestimée par les études sur La Serre en raison d’un effet de loupe. De fait, la pratique du mécénat de Monsieur a été beaucoup étudiée comme exemple type du siècle38 et l’on a pu en faire le grand mécène de La Serre qui ne semble qu’avoir gravité autour de lui. Toutefois, l’opuscule du Ballet des princes indiens, dansé à l’arrivée de S.A.R.39 reproduit la logique de l’Histoire curieuse déjà écrite pour sa mère.
L’année 1638 semble marquer une rupture, du moins La Serre la présente-t-il comme telle en publiant un long traité de dévotion intitulé L’Entretien des bons esprits sur les vanitez du monde40 dépourvu d’épître dédicatoire mais s’ouvrant par une longue adresse au lecteur dans lequel La Serre professe avoir « un grand dégoust pour les livres prophanes41 » et ne plus chercher de gloire en ce monde. Il est probable que cette humilité nouvelle soit concomitante d’un rapprochement de la Cour de France et de Richelieu. De fait, en 1641, il publie conjointement un livre à la gloire de Richelieu42 et un autre à celle du Dauphin, le futur Louis XIV43. C’est dans la même période que sont jouées les pièces de théâtre les plus connues de La Serre. Thomas Morus44, Le Sac de Carthage45, Le Mystère de Sainte Catherine46, Climène47 et Thésée48 paraissent rapidement au début des années 1640, lors d’un rapprochement avec la cour. De fait, Tallemant des Réaux rapporte que Richelieu aurait pleuré aux trois représentations de Thomas Morus. Or cette pièce est dédiée à la duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu. De même la marquise de Coislin à qui est dédié Le Sac de Carthage est également la nièce du célèbre ministre. Quant à Climène, elle est dédiée à la fille ou la veuve du duc de Sully, qui appartint au réseau diplomatique de Richelieu.
Cependant, cette proximité avec la cour semble se distendre à partir de 1645 puisque La Serre publie une histoire d’Alexandre49 à la gloire du prince d’Enghien, futur Grand Condé. Cet ouvrage est suivi en 1647 d’un éloge du même prince50 et en 1651, La Serre semble prendre clairement parti pour les frondeurs avec la suite d’un récit51 des victoires du Grand Condé et le Scipion52, dédié au duc de Longueville, le beau-frère du vainqueur de Rocroi, ainsi que le panégyrique du président Molé53. Cette série d’ouvrages révèle donc une nouvelle face de La Serre qui n’a guère été mise en valeur : un La Serre frondeur, attaché à un certain ordre social et politique, loin de se complaire dans une flagornerie totale envers toutes les autorités. À partir de cette période, l’écrivain semble davantage se concentrer sur les rééditions de ses œuvres et leur correction même si paraissent encore quelques ouvrages moralistes parmi lesquels une vie sainte54 et de prétendues traductions qui sont, en fait, des maximes tirées de sa propre œuvre55. Enfin, la vie de La Serre, se termine sous la protection du chancelier Séguier dont il reçoit la charge de conseiller d’État selon Pierre Pasquier56. De ce fait, en 1655, il publie un panégyrique de Louis XIV précédé d’une épître dédicatoire adressée à Mazarin57 : après l’épisode de révolte à l’ombre des Grands, La Serre se range sous la protection du roi… Il meurt à Paris en 1665.
Cet aperçu non exhaustif des principales publications de La Serre et de ses protecteurs nous révèle un homme conscient de ses intérêts et soucieux de son image. Ses œuvres se divisent entre récits historiques, romans ou récits fondés sur des références à l’histoire de son temps, traités de dévotion et enfin pièces de théâtres en prose. Ces pôles créatifs s’inscrivent tous dans un contexte particulier qui fait de La Serre un écrivain particulièrement représentatif de son temps et nous pourrions même nous risquer à considérer que c’est cet ancrage si net qui lui a valu tant de critiques et d’incompréhensions. Si cette œuvre semble relever de l’histoire du fait littéraire, elle n’en demeure pas moins stimulante pour peu qu’on fasse l’effort d’entrer dans sa propre logique. Logique d’ailleurs parfaitement consciente et assumée puisqu’il ouvre sa préface des Maximes politiques de Tacite en déclarant : « J’AY esté contraint d’avoüer, et je l’avouë encore, que j’ay beaucoup plus de peine à choisir les Personnes à qui je dois dédier mes Ouvrages, qu’à les faire58. »
« Stratégie de la réussite » et « stratégie du succès59 » §
Nous avons omis jusqu’ici ce qui semble constituer le plus grand succès de La Serre, à savoir ses manuels épistolaires : Le Secrétaire de la Cour puis ses différentes rééditions. Jacques Chupeau évoque une première édition de ce manuel dès 1625, mais il précise que l’ouvrage aurait déjà été écrit le 9 juin 1623, date de la cession du privilège à Pierre Bilaine. En outre, la première édition dont nous disposons de cet ouvrage date de 162760. Sa précocité se ressent dans les thèmes traités. Ainsi, en ce qui concerne l’édition de Paris de 162961 que nous avons pu consulter, les lettres occupent 489 pages sur la totalité de l’ouvrage. Sur ces 489 pages, 214 sont des lettres d’amour mettant en scène des amants et des maîtresses, soit 43 % du recueil. Or cette seule édition de 1629 se présente sur la page de garde comme la « Huictiesme Edition reveüe et corrigée ». Ce manuel épistolaire a donc connu un très important succès et une large distribution. Il est probable que La Serre ait profité de cet ouvrage comme d’une manne financière mais il manifeste un véritable souci de sa réputation et à la qualité de ses livres. Ainsi, dans son adresse au lecteur, il précise :
CE Livre fut imprimé l’année passée, en mon absence, ce qui m’osta le moyen de le corriger, et de le faire voir au jour en meilleur estat. Je l’ay reveu exactement en ceste huictiesme impression, pour effaces la tache de toutes les fautes qui estoient survenues aux premiers62.
Ce soin nous révèle donc un auteur particulièrement attentif à la matérialité de son œuvre. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre les railleries de Tallemant des Réaux déclarant : « il acheptoit, comme il dit luy-mesme, une main de papier trois solz et la revendoit cent escus63. » La Serre révèle le caractère presque marchand de l’homme de lettres de cette époque. À la fois fascinant et repoussant, il laisse l’image d’un entrepreneur des lettres, soucieux tant de sa réputation que de ses finances.
C’est cet aspect de la personnalité littéraire de La Serre que l’article de Véronique Meyer présente de façon très documentée en s’appuyant sur les contrats avec les éditeurs et les graveurs. Ainsi, ce n’est qu’à partir de 1624 et Les Amours des dieux64, que l’auteur orne l’édition de ses ouvrages de gravures. Dès l’année suivante dans Les Amours du Roy et de la Reyne, il monte à trente-trois gravures. Le but de ces illustrations peut être divers mais lorsqu’il s’agit de résumer un chapitre, la fidélité au texte est primordiale et suppose une étroite collaboration entre l’auteur et le graveur. Ils sont contraints de choisir les moments clés des intrigues où l’émotion est à son comble. Véronique Meyer souligne que
Le rôle de l’image est considérable : elle est le premier contact du public avec le livre ; d’elle dépend son attrait ou son rejet. Tout comme les mots, elle sert d’intermédiaire entre La Serre et ses lecteurs : c’est pour lui une autre façon de leur raconter l’histoire, de la faire vivre et même de lui donner réalité.65
Or on peut comprendre doublement cette importance de l’image. D’une part, il y a la matérialité de l’œuvre dont nous avons vu l’importance qu’elle occupe dans l’esprit de La Serre. Véronique Meyer souligne ainsi le caractère exceptionnel de la mention « enrichy de figures66 » dans l’édition de cette époque. Tout en attirant l’attention des lecteurs, il cherche ainsi à protéger son œuvre de la contrefaçon. Ce soin s’explique par la conjonction chez La Serre des stratégies de succès et de réussite. D’autre part, c’est également à sa propre image qu’est attaché La Serre. Ses ouvrages en sont la représentation figurée, comme des enfants de son esprit. Plus concrètement, La Serre dote ses ouvrages de portraits de sa personne. Selon Véronique Meyer, pas moins de dix-neuf de ses livres sont ornés de son image67. Cette pratique tend à donner un caractère plus vivant à l’hommage que présentent les épîtres dédicatoires. En outre, elle révèle un certain amour-propre, c’est-à-dire une conscience de sa valeur et de ce qui est beau. De fait, on peut déceler un véritable attrait pour la beauté et la noblesse dans ces œuvres. Ainsi, Tallemant rapporte un épisode de la vie de La Serre où celui refusa une somme importante d’un dédicataire, en prétendant n’avoir rien cherché d’autre que l’honneur d’être serviteur d’un tel seigneur68.
Enfin, pour illustrer les coups éditoriaux de La Serre, nous voudrions évoquer précisément la pièce sur laquelle porte notre étude, Thomas Morus. En effet, elle présente l’intérêt d’être l’un de ses principaux succès face au public et pourtant d’avoir été l’une de ses œuvres les plus décriées. Nous reprenons donc à Jane Conroy l’idée de « genre intérieur69 » à visée publicitaire. En effet, à la scène 3 de l’acte IV, on assiste à la lecture puis à la relecture d’une lettre du roi à la reine. Or La Serre est particulièrement célèbre pour le succès de son Secrétaire de la Cour, mais en même temps que la pièce paraît également une édition refondue de son ancien Secrétaire : Le Secrétaire à la mode70. En 1653, il poursuit son entreprise de publication en commettant Le Secrétaire du cabinet71. Cette référence implicite à sa propre œuvre semble obéir à une logique financière et de séduction du public. De fait, si Tallemant concède un talent à La Serre, il s’agit de celui de trouver des titres à ses livres72. Or si cela peut sembler surprenant, le titre représente un enjeu majeur pour la littérature du XVIIe siècle73. On peut également se demander si la présence du terme « tombeau » plus d’une dizaine de fois dans la pièce ne constitue pas une référence implicite au Tombeau des délices paru quelques années plus tôt. De même, les quelques prières qu’on trouve dans le fil de la pièce rappellent au public que La Serre est un auteur de dévotion de premier plan et d’un talent suffisamment grand pour émouvoir une assemblée de son seul discours. Pour l’écrivain laïc qu’est La Serre, le théâtre constitue un substitut à la prédication en chaire comme le suggère l’adresse « aux esprits forts74 » dans Le Martyre de Sainte Catherine.
Univers esthétique : la conciliation discordante ? §
L’étonnante constance d’une esthétique sénéquienne §
On trouve dans Thomas Morus comme dans les traités de dévotions de La Serre des traces d’une pensée anti-aulique75. Pourtant, les différentes versions du Secrétaire reflètent un esprit très marqué par le système de la cour. Cette apparente contradiction révèle, en réalité, une profonde cohérence dans l’œuvre de La Serre. De fait, depuis le recueil du Bouquet jusqu’à son dernier ouvrage, L’Esprit de Sénèque, la pensée et l’esthétique du précepteur de Néron constituent un motif récurrent sinon fondamental. La défense de Sénèque s’illustre en premier lieu dans une rhétorique centrée sur le thème du détachement du monde et le mépris de la mort. Par exemple, dans Les Douces Pensées de la mort, le second chapitre s’intitule : « Du plaisir qu’il y a de penser à la Mort76. » Cette rhétorique est courante dans les traités de dévotion contemporains mais un faisceau d’indices nous conduit à souligner l’influence de Sénèque sur l’œuvre de La Serre.
En effet, Sénèque est encore un philosophe influent lorsque paraît en 1642 Thomas Morus, puisqu’à la même époque est publié Cinna77 de Corneille qui est précédé d’un extrait du traité De Clementia dont est tirée l’intrigue de la pièce. En outre, la France a profité des travaux d’Henri Estienne78 pour s’approprier la pensée de ce philosophe, ainsi que des premiers auteurs tragiques français79 (La Péruse, Toustain, Le Duchat, Garnier, Mathieu…). La présence de Sénèque chez un auteur dévot n’a, en outre, rien de surprenant. De fait, ce philosophe a connu une grande postérité chez les chrétiens de l’antiquité qui n’hésitaient pas à voir en lui un correspondant de Saint Paul80. C’est d’ailleurs sur ces lettres que La Serre s’appuie vraisemblablement pour écrire son Esprit de Sénèque en élaguant de nombreux passages81. En tant que dévot, La Serre s’appuie sur un auteur cité et révéré par Lactance et Tertullien, présenté comme une sorte de proto-chrétien. L’image du stoïcien est donc tout à fait différente de celle que nous connaissons aujourd’hui et justifie en même temps qu’elle nuance l’influence qu’il peut avoir en ce milieu de siècle.
Sénèque constitue donc une référence à laquelle le dramaturge ne peut guère renoncer. En premier lieu, parce que toute une tradition de la tragédie humaniste s’appuie sur cet auteur pour proposer des traductions ou des paraphrases. Sénèque est une référence centrale du théâtre de la première moitié du XVIIe siècle qui commence à se détourner de lui au profit de La Poétique d’Aristote82. Or La Serre se distingue précisément par cette fidélité à l’auteur des Lettres à Lucillius. Il tire de ces lettres une conception esthétique propre. De fait, dans ses lettres comme dans ses traités ou ses pièces de théâtre, Sénèque assume des choix nets et clivants. Dans la lettre 114, il attaque le fameux Mécène en établissant une équivalence entre les mœurs et le style d’un écrivain. Un homme aux mœurs dissolues ne peut être qu’un écrivain mou et sans caractère. Or on sait combien la mollesse est abhorrée par les Romains. Le style de Sénèque se veut donc le reflet moral de sa droiture. Pourtant, dès l’Antiquité, ce style est loin d’avoir fait l’unanimité. En s’opposant aux veteres oratores comme Cicéron, il s’attaque à un monument de la littérature latine. Ainsi, Suétone lui reproche une écriture qu’il définit ainsi : « arena sine calce83 » (du sable sans chaux), c’est-à-dire dépourvue de liant entre les idées. On lui reproche ses phrases brèves qui n’hésitent pas à reformuler la même idée un grand nombre de fois, manière tout à fait opposée aux périodes cicéroniennes. Peut-être faut-il lire l’œuvre de La Serre à l’aune du style sénèquien ? C’est là, du moins, une hypothèse sur laquelle nous reviendrons84.
La Serre est moraliste comme le fut Sénèque mais il est également dramaturge à l’instar de son modèle. Le lien entre le théâtre de La Serre et celui de Sénèque est réel bien que discret. En effet, à première vue, La Serre n’a écrit aucune pièce inspirée de celle de l’auteur antique. Toutefois, la représentation du tragique nous semble particulièrement redevable à la tradition du théâtre de Sénèque. Il ne s’agit pas de définir la nature même du tragique chez Sénèque, mais bien plutôt la façon dont celui-ci était envisagé à l’époque de La Serre. Indéniablement, l’offensive théorique de réglementation du genre menée depuis les années 1620 et au long des années 1630 éloigne les auteurs de Sénèque. La Mesnardière condamne implicitement la violence explicite de pièces comme L’Hercule furieux en décrétant :
C’est une faute notable, & qui chocque autant les Régles qu’elle travaille les yeux, que choisir un Sujet qui ensanglante trop la Scéne.
L’horreur que donnent à l’esprit les carnages multipliez, est un sentiment odieux & qui déplaist aux belles ames. […] il faut bannir du Théatre le spectacle des boucheries, qui ne sont propres qu’aux Peintres qui se plaisent d’exprimer l’horreur des nopces de Pélée, la rage des Gladiateurs, & les cruautez du Cirque.85
Le spectacle de ces cruautés constitue pour La Serre une part conséquente de son esthétique théâtrale86 en tant qu’il caractérise en grande partie la dramaturgie de Sénèque. On trouve donc une profonde cohérence dans la pensée esthétique de La Serre à travers ses diverses œuvres.
Cependant, si le style de Sénèque fut critiqué, il n’est pas surprenant que sa vie l’ait également été puisque selon sa propre pensée, le style révèle la qualité morale d’un écrivain. De fait, Sénèque est connu pour avoir été le précepteur de Néron que la postérité a retenu comme l’auteur de l’incendie de Rome et le persécuteur des premiers chrétiens. On lui reproche notamment la fortune qu’il a amassée au service du pouvoir, tout en prônant la sobriété. Ainsi, Tristan L’Hermite ouvre sa pièce La Mort de Sénèque87 en présentant sa richesse comme subie à cause de la prodigalité de Néron. Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas opérer un rapprochement entre l’ethos de Sénèque et celui de La Serre. Ces deux écrivains baignent dans un univers de cour et en profitent à plein tout en fustigeant ses excès et sa vanité. Le choix d’un tel modèle pour La Serre, s’il n’a rien d’évident, révèle un dessein parfaitement cohérent. Les contradictions sont assumées et même dépassées sous l’égide de Sénèque.
Cette démarche d’appropriation de la figure de Sénèque est à rapprocher d’un mouvement spirituel qui a trouvé dans la Contre-Réforme un terreau fertile. L’ouvrage majeur en est L’Introduction à la vie dévote88 de saint François de Sales. De haute naissance et de grande culture, Saint François de Sales a côtoyé la Cour de France, en 1618 pour la dernière fois89. Nous avons vu que les deux hommes avaient fréquenté les mêmes personnes, notamment le père Binet et il est plus que probable que La Serre ait lu les œuvres de Saint François de Sales. Or le propre de la spiritualité salésienne est de prôner la retraite au cœur du monde, c’est-à-dire de dégager un espace d’introspection et de recueillement malgré les obligations et les sollicitations de la société. C’est à cette doctrine que se rattachent l’ensemble des traités de morale de La Serre mais également ses pièces de théâtres comme nous le verrons plus précisément.
Galimatias et « style Nervèze » §
Nous avons évoqué la proximité de pensée et de spiritualité qui existe entre La Serre et saint François de Sales. Nous étudierons la véhémence des critiques à l’égard du style de La Serre, mais il convient de noter que le saint genevois n’est pas épargné même par ses thuriféraires. Sainte-Beuve analyse finement :
Aujourd’hui les défauts qui sautent aux yeux dans son style sont voisins des qualités qui charment et qui sourient. Il abuse […] de la comparaison et des images physiques ; il ne les emprunte pas toujours à ce qu’il a vu et observé en passant dans ses vallées et ses montagnes.90
Cette tendance de l’écriture à recourir à des images flamboyantes, à mettre en mouvement l’imagination pour surprendre l’esprit, constitue un trait caractéristique de l’écriture de La Serre. À titre d’exemple, on trouve dans Les Douces Pensées de la mort une métaphore surprenante entre le topos du chant du cygne, le cri du Christ à sa mort et d’autres lieux communs pour former cette image surprenante : « Ce divin Apostre mourant sur le rivage de ses larmes, nous represente cet oyseau91. » De même, dans Thomas Morus, le personnage de Polexandre déclare : « J’entreprends d’amolir un Rocher, et d’enflammer d’Amour une Ame de glace92. » Nous sommes au cœur de ce que Jean Rousset a identifié dans L’Intérieur et l’Extérieur comme « la querelle de la métaphore93 ». Le style de La Serre est représentatif d’une époque dont il apparaît comme l’un des derniers représentants. Rousset considère que le succès de la culture scientifique galiléenne conduit au bannissement de la lecture du monde comme analogie. Les métaphores sont donc limitées et on assiste à la constitution d’un langage scientifique qui se sépare du langage poétique. En un sens, La Serre résiste à ce processus en ne renonçant point au langage poétique.
En outre, derrière l’accusation de galimatias se trouve un certain idéal rhétorique lié aux œuvres de Cicéron et Quintilien. Or dans son Institution oratoire, Quintilien est particulièrement critique à l’égard du style de Sénèque94. Ainsi, accuser La Serre de galimatias, c’est l’accuser d’appartenir à un paradigme rhétorique non classique. C’est ce que démontre J.-M. Civardi en soulignant que « l’accusation de galimatias […] vise […] à exclure du groupe des honnêtes gens, des arbitres de la langue et du goût, et à renvoyer dans des espaces clos sur eux-mêmes, archaïsants et en perte d’influence95 ». Ainsi, il n’y a rien de surprenant dans l’anecdote de Tallemant des Réaux selon lequel il aurait déclaré à l’académicien Baudoin : « Ah ! bon homme, […] que vous et moi avons bien débité le galimatias96 ! » Que cette phrase soit inventée ou non, elle révèle le décalage assumé de La Serre avec les canons esthétiques d’une partie de son époque.
Dans sa vive attaque du monde littéraire du XVIIe, Gabriel Guéret opère un autre rapprochement qui peut s’avérer stimulant pour tenter de comprendre les choix littéraires de La Serre. En effet, il assimile son écriture à celle d’Antoine de Nervèze, un romancier galant du début du siècle. De même, Marc Fumaroli n’hésite pas à associer ces écrivains pour en faire les principaux représentants du « style Nervèze97 » tout en s’amusant de la tentative de conciliation des modèles rhétoriques qu’opère La Serre dans son Bouquet de l’éloquence. Pourtant, Jacques Chupeau conteste ce rapprochement, préférant évoquer :
un écrivain soucieux des convenances stylistiques, témoin d’une époque qui, si elle a gardé le goût des "belles paroles" et du style fleuri dans le registre galant, connaît aussi les vertus de la simplicité et de la mesure, à défaut d’avoir trouvé le secret de la vivacité et du naturel.98
Toutefois, il est tentant d’appliquer ce propos à la personne de Nervèze et de tenter de tirer tous les fruits d’un rapprochement entre cet auteur et La Serre. En effet, tous deux exploitent la même veine salésienne d’une dévotion au sein de la cour. En outre, comment ne pas noter la proximité de titre entre Le Triomphe de la constance où sont descriptes les amours de Cloridon et de Melliflore99 et Thomas Morus, ou le triomphe de la foi et de la constance100. On peut se demander à la suite de Nancy Oddo mais à l’égard de La Serre : cet écrivain est-il « pieux Protée ou caméléon mondain101 ? » En réalité, ces deux écrivains jettent les fondements de leur œuvre sur des « entrelacs réciproques entre mondanité et spiritualité102 ». Il n’est donc pas besoin de trancher entre ces deux pôles mais au contraire, il s’agit de saisir les moyens employés pour parvenir à une telle conciliation. De ce fait, l’analyse que propose Nancy Oddo à l’égard du roman pour Nervèze nous semble transposable pour le théâtre chez La Serre :
Toute l’originalité de Nervèze réside dans le mode d’intégration d’éléments religieux au sein du canevas narratif du roman : il imbrique, vraisemblablement le premier, une tentative de vertu et une tentative de séduction et montre que l’une invente l’autre dans un mouvement de réversibilité cher à l’esthétique baroque.103
La Serre introduit le martyre dans une forme d’esthétique sénéquienne qui transforme le sage stoïcien en saint chrétien. La vertu s’impose face à la séduction pour se renouveler. Quant à la nature « baroque » de cette écriture, le terme ne désigne désormais, plus qu’une époque et non un mouvement littéraire cohérent. Néanmoins, La Serre semble s’intégrer dans son époque comme le témoin obstiné d’un temps révolu.
Une réception distanciée de son œuvre §
La mise en lumière d’une esthétique sénéquienne comme toile de fond de l’œuvre de La Serre ainsi que notre interprétation du « style Nervèze », nous conduisent logiquement à examiner différemment la réception si critique de cet auteur dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En effet, nous nous sommes détachés résolument de la tradition née lors du second dix-septième siècle, qui considère La Serre comme un piètre et cupide écrivain, incapable d’écrire des vers, afin de pouvoir appréhender pleinement la complexité de cette œuvre et la richesse qu’elle offre pour la compréhension du théâtre et plus largement de la littérature de ce siècle. Nous y avons notamment été poussés par les nombreuses rééditions qui témoignent du succès de ce style : pour la seule pièce Thomas Morus, après la première édition de 1642, la tragédie est publiée à nouveau en 1654 puis 1657, et après la mort de l’auteur en 1678, 1692 et 1735 mais également traduite en néerlandais en 1660 et 1668104.
Jusqu’ici, nous avons principalement évoqué Tallemant des Réaux et ses Historiettes parmi les contemporains de La Serre. Cet auteur s’attaque à La Serre en le présentant comme un ambitieux opportuniste et sans talent littéraire. On trouve cette même image dans Le Roman bourgeois de Furetière qui le présente comme le parangon des « autheurs gagistes des libraires, qui mangeoient leur bled en herbe, c’est à dire qui traitoient avec eux d’un livre dont ils n’avoient fait que le titre105. » En un sens, c’est une pratique commerciale de la littérature qui lui est reprochée. Cependant, dans Le Parnasse réformé, Guéret accuse La Serre de franche ignorance en faisant parler Sénèque ainsi :
Un homme qui ne seut jamais un mot de Latin, qui n’avoit pas même les premiers Elemens106 de la Philosophie des Stoïques, un miserable qui avoit mis en trafic le galimatias ; Enfin la Serre a fait mon esprit sans me connoistre.107
Notons que Guéret et Furetière proposent une critique équivalente juste après sa mort en 1665. On peut soupçonner chez ces auteurs une forme de vengeance après un succès trop long. De fait, il est parfaitement improbable que La Serre n’ait pas su le latin. L’ouvrage attribué à Sénèque dont il s’inspire en est la preuve la plus manifeste. De plus, on peut supposer que son succès lui permettait de se passer des gages des libraires. Ainsi, ces critiques ne semblent pas dirigées vers La Serre en particulier mais plutôt vers un monde littéraire qui meurt en même temps que lui et dont il était l’un des plus éminents représentants.
À propos de l’usage de la prose au théâtre, on trouve une remarque difficile à interpréter chez Dorimond, à la même époque que les autres auteurs. De fait, en 1667, un personnage de La Comédie de la comédie oppose notre pièce à Cinna paru la même année pour en faire les deux archétypes l’un de la tragédie en vers, l’autre de la tragédie en prose108. Faut-il y voir une critique des nombreux vers blancs présents dans Thomas Morus109 ? Faut-il y voir la preuve de la médiocrité de la pièce puisqu’elle plaît à quelqu’un qui est incapable de distinguer les vers de la prose ? Faut-il y voir la stigmatisation par la prose d’un théâtre désuet dont on ne peut que se moquer ? Ou bien faut-il y voir la mention innocente de deux pièces qui ont connu un grand succès la même année ? Il s’agit probablement de tout cela à la fois mais tout porte à croire que l’impression générale est plutôt moqueuse.
Nous pouvons donc supposer que la perspective de ces auteurs est radicalement différente de la nôtre. Alors que nous découvrons La Serre par ces auteurs que la postérité a retenus, au contraire, l’attaque de La Serre, certainement plus célèbre qu’eux lorsqu’ils écrivent, est gage d’ambition et d’un parti pris esthétique fort. De fait, s’il était tout à fait médiocre, il n’aurait provoqué que de l’indifférence. Le dernier auteur dont la critique de La Serre est particulièrement outrancière n’est autre que Boileau dans sa troisième Satire110. Or cette satire a vraisemblablement été composée dans le même temps que Le Roman bourgeois et Le Parnasse réformé autour de 1665. Quoique plus policée, la critique de Sorel dans sa Bibliothèque françoise est parfaitement analogue puisqu’il écrit :
Pour le Stile du sieur de la Serre, ses figures trop hardies l’ont fait condamner, outre qu’il parloit souvent de ce qu’il n’entendoit pas, alleguant des passages d’auteurs qu’il composoit luy-mesmes, et formant des raisonnemens tres-bigearres : Il s’est quelquefois rencontré des Gens qui luy ont applaudy ; Mais nous sçavons que la bonne maniere d’écrire est tout à fait differente de celle-là.111
Parmi ces « Gens qui luy ont applaudy », on peut compter Du Pelletier qui, dans ses Lettres nouvelles parues en 1655, n’hésite pas à rendre public sa correspondance avec La Serre112.
Toutefois, force est de constater que La Serre est progressivement assimilé à la notion de galimatias. En effet, Boileau persiste dans la neuvième Satire puis dans Le Lutrin et dans la huitième des Réflexion critiques sur Longin113. Le travail de sape est suffisamment avancé pour permettre à François de Callières en 1688 d’ériger La Serre à la fonction de commandant du bagage de l’armée de Balzac dans son Histoire poétique de la guerre : nouvellement déclarée entre les Anciens et les Modernes, « à cause de l’admiration que La Serre à toûjours euë pour le stile de Balsac » précisant que « ce bagage étoit chargé de phrases empoulées, de periodes etudiées, et de citations sententieuses tirées des œuvres de Balsac, et du Galimatias contenu dans cinquante volumes composez par la Serre114. »
L’expérience théâtrale de La Serre §
Il semble que l’ensemble des pièces de La Serre aient été jouées à l’Hôtel de Bourgogne par la troupe royale. Nous en avons la trace assurée pour Thomas Morus115 et Le Martyre de Sainte Catherine116. Ces deux pièces se suivent et s’adaptent vraisemblablement aux acteurs de la troupe disponibles pour les jouer. Les deux pièces font également l’objet de reprises dans le même théâtre au long des saisons de 1642 à 1647117. Nous avons souligné l’importance des gravures dans les ouvrages de La Serre. Ses œuvres théâtrales ne font pas exception. On trouve ainsi cinq gravures dans Le Martyre de Sainte Catherine118 et six dans la magnifique seconde édition de Thomas Morus. Si Judith Fischer prétend pouvoir en tirer « des informations précieuses sur la mise en scène et l’architecture du théâtre119 », Pierre Pasquier émet de sérieux doutes quant à la fidélité des gravures à la mise en scène :
ces gravures ne sont pas des documents reflétant la mise en scène de la tragédie en 1641, comme on a pu le croire ; ce sont des idéalisations du théâtre dont elles disent à la fois l’artificialité et la force de présence.120
Il convient donc de tirer tout ce que l’on peut des gravures des pièces de La Serre sans extrapoler ces représentations figurées d’une réalité souvent moins spectaculaire.
En ce qui concerne les autres pièces de La Serre, il est difficile de savoir si elles ont été jouées sur scène et si oui, où. Dans sa somme sur l’Hôtel de Bourgogne, Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer ne cite que les deux pièces que nous avons évoquées. À propos de son Pyrame, Sandrine Blondet émet l’hypothèse d’une forme de théâtre dans un fauteuil avant l’heure121. Quoi qu’il en soit, ces autres pièces n’ont pas connu le même succès que les deux tragédies mentionnées plus haut. On peut cependant imaginer des récitations plus ou moins privées, auxquelles leur prose se prête parfaitement. Toutefois, cette absence de traces de représentation semble indiquer une lassitude du public qui expliquerait l’arrêt de la carrière dramatique de La Serre. De fait, les tragédies religieuses connaissent un coup d’arrêt avec l’échec de Théodore de Corneille122.
Les pièces de La Serre ne se plient guère aux exigences d’un Chapelain ou de La Mesnardière. De ce fait, leur décor s’inscrit dans une longue tradition scénographique qui touche aux mystères du Moyen Âge : plusieurs espaces sont représentés sur une scène unique. Comme le soulignent Anne Surgers et Pierre Pasquier, puisque la dramaturgie « n’impose aucune limite à la spatialisation de l’action123 », les décors représentent divers lieux distincts. Dans le cas de Thomas Morus, il est certain que le décor comprenait une tour figurant la prison du héros de la pièce, ainsi qu’un tribunal ou parlement où se déroule une partie de la pièce. On peut supposer que le décor comprenait également un port pour symboliser le départ en exil de la reine. Si la pièce est évoquée dans le fameux Mémoire de Mahelot, la description du décor est elliptique et l’on est forcé de se résoudre à ces suppositions. De même, il est très probable que les décors des pièces de La Serre aient été réalisés par le décorateur de l’Hôtel de Bourgogne, Georges Buffequin. Ce dernier peignait des compositions qui servaient de fond à l’action de la pièce, « avec des pigments en poudre mélangés à un liant composé d’eau et de colle, ce qui permettait de les fixer à la surface de la toile124 ».
Thomas Morus, une tragédie de son temps ? §
Tragédie anglaise, tragédie de martyre : sources et influences §
La réforme henricienne et le divorce du roi : présentation des faits §
Le sujet qui sert d’intrigue à la pièce de La Serre se révèle particulièrement complexe. En effet, si le dramaturge réduit le divorce d’Henri VIII et la réforme anglicane qui l’accompagne à la conséquence de l’amour du roi, il en va tout autrement dans la réalité. De fait, le problème du divorce et de la rupture avec Rome s’entremêle mais ne se superpose pas tout à fait. Au cours des années 1530 pendant lesquelles se déroule la pièce, l’Europe se divise entre protestants et catholiques, sous le coup de la Réforme. L’Angleterre, jusqu’alors épargnée en raison de son insularité, commence à ressentir la nécessité d’une réforme profonde du clergé comme le précisera le concile de Trente. Or comme le souligne Marie-Claire Phélippeau dans sa biographie du chancelier, en 1529, alors que le parlement examine une réforme des pouvoirs temporel et spirituel, le duc de Suffolk, présent dans notre pièce, est déterminé à en découdre avec les luthériens. La thèse soutenue par La Serre au long de sa pièce, selon laquelle le protestantisme se serait imposé en Angleterre comme religion d’État, à cause de la faiblesse du roi et paradoxalement, de sa soif du pouvoir, est largement erronée. Les réformes du roi ne sont pas dogmatiques et la rupture avec Rome se révèle donc bien plus politique que religieuse. D’ailleurs, à la fin de sa vie, le souverain prit de scrupules, tentera un rapprochement avec le pape.
Pour que la mise en intrigue soit efficace, La Serre est donc contraint de simplifier la situation historique. Ainsi, les deux premiers actes ne font que présenter les enjeux de la pièce sans qu’on puisse identifier un événement précisément daté. Néanmoins, il convient de rappeler que les premières démarches du roi en faveur d’un divorce se répartissent au long de la décennie de 1520. Dans la dernière scène du troisième acte, le roi fait référence à ses noces avec Arthenice comme la conséquence de l’exil de la reine. Or les noces réelles avec Anne Boleyn furent célébrées en secret en 1533, bien après l’exil de Catherine d’Aragon en juillet 1531. Il y a donc un traitement chronologique particulier qui lisse les aspérités et les chaos de l’histoire pour s’intégrer plus efficacement dans le schéma de la tragédie. De même, la démission, à peine évoquée, de Thomas More, intervient en 1532 et son incarcération à la Tour de Londres advient en 1534, plus d’un an avant son exécution le 6 juillet 1535. Au contraire, l’efficacité de la tragédie repose sur une quasi-simultanéité des événements pour en radicaliser la puissance émotionnelle.
Il convient donc de rappeler ici quelques points que la dramaturgie de La Serre passe sous silence. En premier lieu, l’arrière-plan politique du divorce d’Henri VIII est de la première importance. Anne Boleyn présentée sous le nom d’Arthénice, est loin d’être une inconnue à la cour. Elle est la nièce du duc de Norfolk qui est le véritable inspirateur de la politique du royaume. Catherine d’Aragon, quant à elle, est la nièce de Charles Quint, dont Norfolk déclare qu’il pourrait ordonner au pape de « danser en pourpoint en rue publique »125. Le divorce ainsi que le mariage du roi relèvent donc de jeux politiques complexes qui sont loin de se limiter à la seule passion d’Henri VIII. En outre, s’ajoute à ces questions de politiques intérieure et extérieure, le problème de la succession du trône. Il est donc difficile de déterminer le poids réel de ces enjeux complexes et variés. Quoi qu’il en soit, la personnalité d’Henri VIII se révèle ainsi sous un jour tout autre.
En ce qui concerne Thomas Morus, celui-ci n’a pas encore été canonisé par Rome lorsque la pièce est jouée. Toutefois, il est une figure capitale de l’Église du XVIe siècle. En effet, son statut de magistrat en charge de jugements divers est à peine mentionné par La Serre. De même, sa lutte effective contre les hérésies dans les années 1 520 n’est pas évoquée. Il ne demeure que l’image d’un chrétien exemplaire fort d’une constance de stoïcien. Là encore le personnage est lissé pour satisfaire aux exigences de la tragédie.
Toutefois, le traitement le plus singulier concerne probablement celui d’Anne Boleyn. En effet, l’historiographie catholique et protestante se déchire autour de sa figure. Pour les uns, elle est la tentatrice responsable du chaos de l’Angleterre. Pour les autres, c’est une martyre du protestantisme, victime des caprices d’un roi impitoyable. Étonnamment, La Serre, s’appuie résolument sur l’historiographie protestante quant à la peinture de ce caractère. Ainsi, dans son monologue de l’acte V, la nouvelle reine évoque le « Destin » funeste que lui fera subir le despotisme de son époux. De fait, accusée d’adultère, elle est exécutée en 1536 à la Tour de Londres.
Inspirations de la pièce : théâtre de collège et tendances dramatiques §
S’il est possible de chercher précisément les sources sur lesquelles s’appuie la composition de l’intrigue, il convient en premier lieu de noter l’appartenance de Thomas Morus à un type de pièces. Il s’agit des tragédies religieuses qui appartiennent à un mouvement plus général s’inscrivant dans la Contre-Réforme. Définitivement catholique, la Contre-Réforme renouvelle la tradition des martyres au théâtre en l’adaptant aux circonstances contemporaines. Frank Lestringant remarque :
La tragédie à l’antique sera celle des prêtres et moines châtrés, égorgés et précipités par la soldatesque protestante, schismatique en Angleterre, huguenote en France, gueuse aux Pays-Bas. Le théâtre du martyre n’en sera ni moins large ni moins sanglant, et tout aussi vénérable dans sa conformité avec le modèle antique.126
De fait, il y a une forme de nécessaire complémentarité entre le théâtre et le martyre car si le théâtre est le lieu d’où l’on voit, le martyre est celui qui témoigne. La tragédie de martyre suit une logique implacable de représentation. À ce titre, Le Théâtre des cruautés de Richard Verstegan constitue presque assurément une inspiration de la pièce de La Serre. Une gravure y représente Thomas Morus décapité tandis que le texte explique les causes de son martyre127.
Dans l’analyse que propose Frank Lestringant du Théâtre des cruautés de Verstegan, il souligne la proximité de ce titre du XVIIe siècle avec le célèbre essai d’Antonin Artaud : Le Théâtre de la cruauté. Tout en soulignant les différences qui opposent ces deux ouvrages, il identifie une référence commune qui expliquerait la proximité des titres :
Pour comprendre le lien entre Verstegan et Artaud, il faut remonter à la source commune, qui est Sénèque. Ce théâtre destiné à frapper s’emploie à tirer les larmes, les plaintes, les sanglots du spectateur, ce théâtre qui refuse la psychologie et s’adresse au corps plutôt qu’à l’esprit, retrouve la sauvage grandeur et "l’atroce poésie" du poète et philosophe latin128.
Ces qualificatifs pourraient aussi bien s’accorder à la pièce de La Serre. Ainsi, la Contre-Réforme met au jour une généalogie esthétique que nous avons déjà évoquée mais dont l’évidence devait être absolue au temps de La Serre.
Toutefois, le Thomas Morus de La Serre se rattache également à une lignée plus concrète de pièces sur le même sujet. Jane Conroy propose une analyse précise de ces pièces ayant pour thème la réforme henricienne, même si elle en tempère l’influence puisque leurs intrigues ne se recoupent guère avec celle de notre pièce. Le théâtre scolaire constitue une source probablement plus assurée mais la disparition des pièces rend la comparaison impossible. De ce fait :
Parmi les sources dramatiques dont La Serre a pu se servir, la plus plausible semble être une tragédie de Nicolas Vermulz intitulée Henricus Octavus seu Schisma Anglicanum tragoedia, composée vers 1620. […] Il est possible que Puget de La Serre se soit servi de Vermulz — plutôt pour la conduite du sujet que pour les personnages, dirait-on — mais les deux pièces sont naturellement très différentes par le ton et le message qui s’en dégage.129
En tout état de cause, il convient de noter la popularité du sujet de cette pièce dont les conséquences touchent toute l’Europe. Le sujet intrigue, effraye et fascine : quel matériau plus adapté pour une tragédie ?
Place de la pièce dans l’histoire de la tragédie en France §
Or ce sujet de tragédie résulte de la conjonction de plusieurs mouvements qui animent la scène française. En premier lieu, Thomas Morus répond à un goût pour le cruel. De fait, en 1638 paraissait le Thyeste de Monléon dans lequel le personnage d’Atrée expose à la fin des morceaux de corps de ses victimes. De même, La Serre fait apparaître les têtes des chrétiens martyrisés. Bénédicte Louvat analyse :
précisément, il semble que cette surenchère corresponde non seulement à un goût certain pour le macabre […] mais aussi à la conception de la tragédie que rappelle Corneille, soit la représentation au vif des passions les plus cruelles, les plus violentes et les plus inhumaines pour mieux en éloigner les spectateurs.130
De ce fait, notre pièce semble vérifier l’hypothèse selon laquelle ce type de théâtre connaissait encore un succès public à la veille des années 1640. Cependant, Thomas Morus serait à comprendre comme le chant du cygne d’une certaine esthétique tragique dont les fondements remontent pourtant à l’antiquité.
En outre, parmi les nouveaux sujets qui alimentent les compositions de tragédies au tournant des années 1640, on trouve en bonne place les martyres. Les sujets chrétiens s’intègrent dans le mouvement de la Contre-Réforme. Or Thomas Morus pousse à fond la logique de la Contre-Réforme en traitant précisément des méfaits de la Réforme, comme nous l’évoquions précédemment. Ces tragédies de martyre sont explicitement condamnées par La Mesnardière qui écrit :
je ne conteray jamais parmi les Spectacles parfaits, ces Sujets cruels et injustes, comme ceux où l’on expose les Martyres de quelques Saints, où l’on nous fait voir la vertu traitée si effroyablement, qu’au lieu de nous fondre en larmes à l’aspect de ces cruautez, nous avons le cœur serré par l’horreur que nous concevons d’une si étrange injustice.131
Cependant, pour qu’il y ait besoin d’une telle condamnation, il faut bien des objets à condamner et des succès à critiquer. Les tragédies de martyres semblent donc connaître encore, lors de la parution de La Poétique de La Mesnardière un succès important. Selon Pierre Pasquier, « le triomphe de La Marianne de Tristan marque moins la naissance d’un genre que son accession à la scène parisienne et sa reconnaissance par l’élite des comédiens et dramaturges132 ». Or Tristan a été proche de la Cour de Bruxelles comme La Serre et peut avoir influencé son choix de composition tragique. La Serre insiste toutefois davantage sur le caractère apologétique de son œuvre en prétendant dans son épître dédicatoire qu’on n’y trouvera rien de « profane » (épître dédicatoire, n.p. ).
Enfin, cette pièce se rattache définitivement au théâtre de son temps par l’aspect historique de son thème. Thomas More est exécuté le 6 juillet 1535, soit à peine un siècle avant la pièce. Elizabeth Ie, la fille d’Anne Boleyn et Henri VIII, n’est morte qu’en 1603 après avoir établi le protestantisme dans son royaume. Le sujet touche donc à l’actualité européenne récente et clivante. Les sujets anglais sont alors courants dans le théâtre et forment un corpus singulier goûté par le public du temps. Jane Conroy a analysé avec précision les différences qui traversent ces œuvres aux nombreux points communs. L’intérêt d’un tel théâtre pour les Français catholiques est donc d’évoquer un ennemi non seulement temporel mais également spirituel à travers le prisme spectaculaire de la tragédie. Le choix d’un tel sujet se fait donc par rapport aux autres pièces traitant de sujets proches mais également selon le parcours personnel des auteurs. Jane Conroy résume pour La Serre trois causes probables : « son voyage en Angleterre, le goût de la disputatio et l’admiration que suscite Thomas More133. »
Structure dramatique §
Le problème du temps et des unités §
L’histoire littéraire a largement insisté sur les débats poétiques qui ont animé les années 1630 et sur leur dimension politique. En résumé, les irréguliers comme Urfé, André Mareschal ou Antoine Godeau, refusent les règles qui limiteraient le plaisir des spectateurs. Au contraire, pour les réguliers, comme Mairet et Chapelain, la valeur d’une pièce dépend de son respect des règles antiques. La victoire des réguliers s’explique notamment par le soutien politique et financier exercé par Richelieu. À cet égard, la pièce de La Serre révèle une singularité surprenante : elle est dédiée à la nièce de Richelieu mais use avec une relative liberté des règles qui s’établissent. Il semble qu’il faille voir dans la pièce de La Serre une tentative de conciliation des partis de la querelle, le succès servant de blanc-seing à cette entreprise dramatique. Les règles nouvelles et les innovations scéniques ne peuvent être ignorées par La Serre qui révèle donc un certain parti pris.
Concernant l’unité de lieu, l’infraction est flagrante. Comme nous l’évoquions plus haut, La Serre propose un théâtre ancré dans la tradition humaniste et toujours marqué par les mystères du Moyen Âge. De ce fait, on trouve plusieurs espaces distincts sur la scène. Les trois premiers actes semblent se dérouler dans le palais ou non loin de celui-ci puisqu’on y aperçoit des personnages divers appartenant à la cour134.
Cependant, le quatrième acte s’ouvre indéniablement sur une scène de conseil ou de parlement. Il faut imaginer la pompe et la magnificence qu’une telle scène suppose, ne serait-ce qu’à cause du nombre de personnages présents sur scène135. À la scène 3 de l’acte IV, lorsque la reine reçoit la lettre de disgrâce du roi, on peut supposer que la mention d’un « Navire » (p. 79) dans la lettre imposait un décor de port qui serait resté caché ou non durant le reste de la pièce136. En tout état de cause, l’acte IV se clôt par la visite de Clorimène à la Tour de Londres, la prison où est enfermé Thomas Morus. La scène 3 de l’acte V se déroule au même endroit comme l’atteste la didascalie : « Il continuë à parler, en voyant Thomas Morus au travers de la grille de sa prison » (p. 79). Cependant, le reste de l’acte se déroule vraisemblablement dans la salle du trône ou tout au moins dans le palais d’Henri VIII. On peut supposer que La Serre adopte la conception de l’unité de lieu pour laquelle avait opté Corneille dans Le Cid, c’est-à-dire à l’échelle d’une ville. Cependant, il y a une prise de distance avec les rigueurs des règles édictées pourtant à la même époque.
Cette distance apparaît également dans la façon dont est appliquée la règle de l’unité de temps. Si elle est respectée, elle est comprise en un sens large qui dépasse allègrement les vingt-quatre heures édictées par Chapelain dans sa fameuse lettre à Antoine Godeau. Plusieurs indices tendent à prouver que la pièce s’étend sur une durée de plus de vingt-quatre heures, le plus manifeste étant le croisement des répliques du roi dans la dernière scène de l’acte III, d’une réplique d’Arthénice au début de l’acte V et de son monologue à la scène 6 de l’acte V :
Et bien, Arthenice, n’estes-vous pas heureuse de vous voir à la veille de vos Nopces ? (p. 64)
Mon amour durera tousjours : la Reyne partira demain (p. 67)
Sire, je m’en vay preparer à recevoir les honneurs dont Vostre Majesté me veut combler aujourd’huy : c’est un bien qui surpasse mon attente. (p. 93)
Hier l’allegresse n’avoit des cris que pour celebrer la Feste de mes Nopces ; et aujourd’huy le peuple n’a de voix que pour m’annoncer mes infortunes. (p. 110)137
Cela signifie que dans le meilleur des cas, les trois premiers actes se concentrent en une journée et qu’une nuit sépare la fin de l’acte III du début de l’acte IV. Concernant la suite de la pièce, ou bien l’acte IV condense une journée entière qui se poursuivrait au début de l’acte V, (malgré la bienséance138). De ce fait, l’acte V couvrirait deux journées comme l’indique le monologue, car Athénice, à la scène 6, a épousé le roi un jour plus tôt tandis qu’au début de l’acte, elle ne l’a pas encore épousé. Concrètement, on peut schématiser ainsi l’axe temporel de la pièce :
Actes I-III ⇒ Nuit ⇒ Acte IV + Acte V (début) ⇒ Nuit ⇒ Acte V (fin)
De ce fait, il semble qu’il faille conclure que la pièce s’étend sur une durée de trente-six heures ce qui correspond à une interprétation large et habituelle de la règle de l’unité de temps à cette époque. Toutefois, il convient de souligner l’importance donnée au concept temporel d’éternité dans la pièce. Sans cette notion, la pièce perd sa dimension chrétienne et donc la pertinence de son intrigue. En outre, comme le souligne Jane Conroy : « Si Dieu a toute l’éternité pour accomplir ses desseins il n’en est pas de même du dramaturge139. » Ainsi, les prémonitions et les prophéties sont nombreuses pour laisser l’action ouverte malgré la fin de la tragédie140.
Une intrigue double : les reines et le martyre §
Toutefois, parmi les trois unités, la plus malmenée est assurément celle de l’action. Cette pièce représente, en définitive, le martyre de quatre personnages sous le joug tyrannique du roi Henri VIII : les deux reines d’une part, le chancelier et sa fille d’autre part. Cette multiplicité se ressent profondément sur la structure générale de la pièce. Un bref coup d’œil à la table des présences nous révèle la division profonde de la pièce en deux intrigues, unies autour du personnage maléfique du roi tyrannique. Ainsi, le roi est présent à tous les actes. Arthenice est présente dans trois des quatre scènes du second acte, dans les trois dernières scènes du troisième acte (c’est-à-dire la moitié) et une scène de l’acte cinq. Autrement dit, elle est absente des actes I et IV. La présence de la Reine est plus diffuse puisque c’est à l’acte II seulement qu’elle n’apparaît pas. Parallèlement, le personnage qui a le dernier mot de la pièce en la concluant d’une longue tirade n’apparaît qu’à la dernière scène de l’acte IV, comme pour relancer l’intrigue : il s’agit de Clorimène la fille de Thomas Morus. De même, ce dernier n’intervient dans la première scène que pour lancer l’intrigue puis disparaît jusqu’à l’acte IV. Ainsi, le chancelier et sa fille forment la matière des deux derniers actes, tandis que les trois premiers se concentrent sur l’opposition tragique entre les deux reines. En effet, cette opposition est d’autant plus tragique que toutes deux rivalisent de vertu : c’est le roi qui constitue le moteur tragique de la pièce, c’est lui qui incarne, malgré lui, la force implacable du destin.
L’image de la « maille serrée » que nous évoquions à propos de la rhétorique de la pièce se trouve également pertinente à propos de la structure dramatique. Ainsi, une cohérence esthétique se dégage de cette pièce tant dans le style que dans la mise en intrigue, comme le révèle ce tableau des présences de l’acte III :
Scène/ personnage présent | Polexandre | Roi | Reine | Cléonice | Arthenice | Amélite |
Scène 1 | x | |||||
Scène 2 | x | x | ||||
Scène 3 | x | x | x | |||
Scène 4 | x | x | ||||
Scène 5 | x | x | x | |||
Scène 6 | x | x |
Ce glissement successif des personnages, que nous mettons en évidence par l’escalier qui se dessine dans le tableau, assure la liaison au sein de la pièce entre les divers enjeux et les divers personnages qu’elle regroupe. De façon encore plus manifeste, le bref quatrième acte est encadré par deux scènes faisant place à Thomas Morus et les deux scènes centrales mettent en scène la Reine, fidèle dans sa disgrâce. Les intrigues se croisent mais ne se superposent pas et lorsque l’une cesse, l’autre prend le relais. De ce fait, ce ressort narratif, s’il contrevient à la règle de l’unité d’action, donne à la pièce un certain souffle qui permet de maintenir l’intensité tragique jusqu’à la dernière scène du dernier acte.
Logiques scéniques §
La pièce de La Serre se répartit en différents types de scènes dont il est aisé de faire une typologie sommaire. En effet, on compte au minimum, trois types d’espaces scéniques dans cette pièce. Le premier est un lieu indéterminé à proximité du palais où les personnages peuvent s’exprimer librement. Le second lieu est la salle du trône au cœur du palais. C’est sur ce trône que le roi rassemble son conseil et qu’il fait montre à Arthénice de sa puissance. C’est probablement au même endroit qu’il reçoit les plaintes de Clorimène. Enfin, on compte un troisième lieu avec la prison de la Tour de Londres où est enfermé Thomas Morus après sa tirade contre les ambitions d’Henri VIII. La scénographie se distingue donc du modèle classique s’imposant à la même époque. Ainsi, la dramaturgie de La Serre se révèle archaïsante mais encore en phase avec le public de son temps. Il s’intègre dans la logique d’expérimentation qui agite la scène parisienne des années 1630.
Un exemple flagrant des libertés que prend La Serre avec les règles classiques réside dans la liaison des scènes. Il s’agit d’un élément majeur de la pensée théorique de Corneille. Il écrit : « J’ai parlé de trois sortes de liaison dans cet examen de La Suivante. J’ai montré aversion pour celles de bruit, indulgence pour celles de vue, estime pour celles de présence et de discours141 ». Toutefois, cette règle ne sera appliquée scrupuleusement, qu’à la moitié des années 164. De ce fait, dès la fin de la première scène, La Serre rompt nettement la liaison. La scène avec le duc et Thomas Morus laisse place à la scène de confident entre la reine et Cléonice. De même, il n’y a pas de liaison entre les scènes 2 et 3 puisqu’on assiste ensuite à un monologue du roi. De même à l’acte II, on passe d’Arthénice au roi puis inversement sans que l’ombre d’une liaison n’apparaisse. La systématicité de ce mode de représentation invite même à l’hypothèse selon laquelle un cloisonnement, au moins symbolique, diviserait la pièce en plusieurs espaces et expliquerait la succession des scènes sans effort de liaison. De fait, à l’acte III, la scène 3 présente le projet de la reine d’aller voir Arthénice, la scène 4 représente une discussion entre Arthénice et sa mère et finalement, la scène 5 oppose la reine à Arthénice142.
En outre, la richesse scénique de la pièce repose également sur les décalages qu’elle propose. Comment ne pas admirer dans l’acte IV une représentation virtuose de la « roue de la fortune » ? L’acte s’ouvre dans la pompe d’un conseil royal devant une assemblée nombreuse. Il se clôt à la Tour de Londres dans un âpre entretien entre un père prisonnier et sa fille esseulée. Ainsi, La Serre use avec une forme d’excentricité de tous les moyens dramaturgiques mis à sa disposition pour rendre sa pièce plus éclatante. Le théâtre classique ne nous a guère habitués à cette débauche d’énergie tous azimuts, néanmoins, il faut reconnaître un certain charme à cet usage débridé du théâtre.
Rôle des personnages §
Il convient de commencer notre étude sur les rôles des personnages par une brève remarque sur leurs noms. En effet, Jane Conroy note que les sonorités anglaises des noms constituaient un obstacle à l’adaptation scénique. Toutefois, La Serre est le seul à pousser l’audace jusqu’à changer le nom des personnages pour la pièce. Les pseudonymes appartiennent à l’univers pastoral et correspondent aux surnoms précieux, deux éléments structurants pour La Serre. Ainsi, Arthénice, Polexandre, Cléonice avaient déjà été utilisés dans Le Roman de la Cour de Bruxelles, tandis que Sylvandre, Damon, Lidamas, Amélite, Cléante et Clorimène sont des noms présents dans L’Astrée ou dans des comédies d’inspiration pastorales. Ces noms ont donc probablement été utilisés parce que tout en étant étrangers, ils sont familiers pour le public. On s’étonnera cependant du choix d’Arthénice, l’anagramme de Catherine, précisément pour la rivale de Catherine d’Aragon.
Les opposants §
Henri VIII §
Parmi les opposants, le premier et le principal est le roi Henri VIII. Il est, de loin, le personnage le plus présent sur scène. Comme nous l’étudierons par la suite, c’est lui qui donne à la pièce sa portée tragique en adaptant au schisme anglican le topos du tyran tyrannisé. Jane Conroy, tout en soulignant l’originalité de La Serre qui est le seul dramaturge de son corpus à le mobiliser, considère qu’il « ne le réussit pas143 ». De fait, il faut reconnaître que c’est un personnage fait tout d’un bloc : aucune nuance psychologique, aucun doute, aucun remords. Le roi n’est qu’une volonté en action, ou plutôt une absence de volonté en action. Ce roi dont on rappelle les bienfaits qui marquent des premières années de son règne144 ne fait pourtant guère illusion. Chez un auteur si attaché à Sénèque, comment ne pas voir dans Henri VIII un avatar du tyran Néron ? Malgré l’excellence de leurs conseillers, les deux souverains tombent dans une pratique du pouvoir dépourvue de toute sagesse. Ainsi, dès son monologue d’entrée, le roi laisse apparaître une rhétorique sommaire mais efficace fondée sur le paradoxe de l’impuissance de la puissance. Dans cette seule réplique, par deux fois, le roi oppose deux propositions par la conjonction de coordination « mais » :
Je sçay bien qu’Arthenice est née ma sujette ; mais vous luy avez donné en naissant de certains charmes qui m’ont assujetty moy-mesme (p. 11-12)
Elle peut bien regner dans mon cœur, mais non pas dans mes Estats (p. 12)
Dans ce premier passage, la dérivation de « sujet » révèle le statut paradoxal du roi à l’égard de son pouvoir, tandis que dans le second, l’ellipse du verbe dans la deuxième partie de la phrase marque l’opposition entre le « cœur » et les « États ». Ainsi, le monologue qui clôt le premier acte reprend ces oppositions pour les présenter comme un dilemme avec l’énumération d’hypothèses « si… si… » (p. 22). Cependant, ce dilemme est illusoire, comme l’a déjà révélé le reste de la scène, mais surtout, la fin de la réplique. La locution adverbiale « de nécessité » (p. 22) symbolise précisément l’abandon de la volonté devant la fatalité.
Dans le reste de la pièce, le roi s’exprime principalement aux longs de dialogues avec les reines, ses favoris et les deux représentants de la famille Morus. Son discours évolue sensiblement selon ses interlocuteurs. Face à Arthénice, les répliques se distinguent par leur brièveté et leur ton suppliant. Au premier acte, l’enchaînement des répliques entre les deux personnages est mis en valeur par des parallélismes ou des anadiploses qui soulignent l’opposition des personnages. Ces oppositions mènent aux stichomythies dont l’acmé résume la scène sinon la pièce :
LE ROY.
Je prie.
ARTHENICE.
Je refuse.145
Cependant, la confrontation évolue au cours de la pièce puisque la scène sur laquelle se clôt l’acte III est plus courte mais les répliques, plus longues laissent davantage de place à la séduction. Avec la répudiation de la reine, le roi ôte à Arthénice les motifs de sa réticence comme le soulignent ses récriminations face aux scrupules de cette dernière : « Dictes plutost que vous ne voulez pas estre Reyne » (p. 66-67). Cette gradation se poursuit à l’acte V avec des répliques plus longues qui cèdent à un vocabulaire amoureux propre aux pastorales décrivant un mythique âge d’or : « Toutesfois il est temps, Madame, que j’oste le Sceptre à la Justice, pour le donner à l’Amour, puis qu’il commence aujourd’huy son Regne. » (p. 93). Cependant, cette évocation idyllique le ramène à Thomas Morus et ne trompe guère le spectateur.
Par ailleurs, on trouve le roi dans des scènes qui l’opposent aux vertueux, principalement la reine et Clorimène. Or tandis qu’il adoptait une attitude séductrice et donc offensive avec Arthénice, ce sont les femmes qui l’accusent et qui le pressent aux scènes 2 et 8 de l’acte V pour Clorimène et à la scène 3 de l’acte III pour la reine146. Le roi répond à la reine avec désinvolture, comme pour mettre un terme le plus vite possible à leur entrevue. De fait, cette scène se finit par une réplique de la reine seule avec sa suivante, le roi semblant fuir sa présence. De même face à Clorimène, lors de leur première entrevue, les didascalies signalent que le roi « s’en va » (p. 96). Là aussi, le roi se montre rassurant comme s’il s’agissait à tout prix de mettre un terme à la rencontre :
J’auray soin de le conserver, puis qu’il faict une partie du mien : dormez en asseurance de ce costé-là. (p. 54-55)
qu’on ne m’en parle plus : J’auray soing de vostre Fortune. (p. 97)
Ainsi, le roi apparaît comme un personnage uniquement centré autour de ses propres désirs. C’est ce que mettent en avant les autres scènes où il apparaît face à ses favoris. En rappelant ses prérogatives de souverain, il souligne pourtant son impuissance et la puissance de son désir. De ce fait, Christian Leroy résume admirablement la personnalité du roi en notant que
ce dernier est en effet présenté sous le triple signe du sacrilège (ses plaintes amoureuses de la scène 3 de l’acte I — « [C]onsolez moy d’vne parole » — reprennent le « Dites une seule parole et je serai guéri » de la liturgie) ; de la damnation (« Ie brusle d’une flame eternelle; comme si mon corps estoit desia l’Enfer dont mon Ame est menacée » — III, 2) et du diabolique (comme Satan, le Christ, il tente Thomas More en lui proposant la moitié de son royaume pour prix de son soutien — V, 5).147
Les favoris §
Parmi les favoris, nous rassemblons trois personnages différents mais dont l’influence commune mène la pièce à son issue tragique. Le premier de ces personnages est le Duc de Sofoc qui apparaît dans la première scène. Son rôle semble être principalement de débattre avec Thomas Morus tout en servant les intérêts personnels du roi. Il apparaît donc essentiellement dans deux scènes (I, 1 et V, 3) ainsi qu’au service du roi de façon plus brève (V, 1 et V, 4). Ce rôle d’intermédiaire qu’occupe le duc avec Thomas Morus semble occupé par Polexandre avec Arthénice entre l’acte II et l’acte III. Il apparaît également dans la scène de conseil de l’acte IV et on peut supposer qu’il est presque toujours présent avec le roi. Enfin, un troisième personnage joue un rôle d’entremetteur qui influence de façon décisive le cours du récit, il s’agit de la mère d’Arthénice : Amélite. Cette dernière apparaît dans deux scènes (II, 1 et III, 4) et fuit devant l’entrée de la reine qui s’entretient avec Arthénice à la scène 5 de l’acte III.
Le Duc de Sofoc — Le rôle du duc est inspiré d’un personnage réel de la cour d’Angleterre qui était le principal rival de Thomas More pour son accession au poste de chancelier. Dans notre pièce, il est réduit au rôle d’un courtisan docile comme le révèle sa seule réplique de la scène 1 du dernier acte : « Sire, Vostre Majesté verra bien tost les effects de mon obeïssance. » (p. 94) Cependant, cette docilité n’est guère loin d’une forme de servilité. C’est l’impression qui émerge de l’entrevue de l’acte I comme de celle de l’acte V. Dans les deux scènes, le duc et Thomas Morus confrontent des conceptions de la politique diamétralement opposées, fondées, là encore, sur de brèves répliques avec des formules sentencieuses. Toutefois, le lien évident entre ces deux scènes est renforcé par le monologue du duc qui finit la première et clôt la seconde. Dans les deux, le duc évoque le martyre du chancelier :
[Sa Majesté] a beau chercher son contentement ; elle ne le trouvera jamais que dans le tombeau de ce Chancelier. (p. 6-7)
Je plains le mal-heur de ce Vieillard : Mais quoy qu’il soit digne d’envie, je ne suivray jamais son exemple. (p. 97)
Cependant, dans le deuxième monologue, le duc révèle son sentiment profond qui est fait de noblesse et de lâcheté. Il semble que ce personnage se résume à ce dilemme qu’il ne parvient pas à trancher.
Polexandre — Le personnage de Polexandre est plus complexe et apparaît un plus grand nombre de fois. Il participe, nous l’avons vu, à des scènes de débat dans lesquels de courtes répliques expriment de façon saillante une pensée complexe avec de nombreuses métaphores typiques du style courtisan tel que le conçoit La Serre. Ces débats l’opposent à Arthénice qu’il essaie de séduire pour le roi, et au roi qu’il essaie dans un premier temps de détourner de l’amour d’Arthénice. Ainsi, on pourrait penser que ce personnage incarne le rôle du bon conseiller et du favori vertueux. Cependant, cette image ne tient guère devant ses monologues. En effet, dans l’esprit du dramaturge comme pour les spectateurs, ces scènes nous présentent les personnages hors de toute feintise, politesse ou hypocrisie. Or dans le cas de Polexandre, on découvre un personnage lucide mais faible, en contrepoint du sévère mais juste chancelier. Ainsi, à la scène 1 de l’acte III, après avoir échoué à séduire Arthénice de la part du roi, il laisse échapper une plainte et une prière :
O Ciel, juste Ciel ! Il n’appartient qu’à toy de donner de courtes limites à sa puissance, puis qu’elle menace de ruyne tes Autels. […] Mais quelle response feray-je au Roy ? […] mon estonnement et mon silence donnant quelque sorte de complaisance à sa passion, il se satisfaira luy-mesme, et sera ravy de sçavoir que mes persuasions ont esté inutiles (p. 45-46)
L’adresse au ciel révèle une certaine piété et une conscience des enjeux de son action. Toutefois, comme nous l’indiquons dans les notes, la prière de Polexandre vise à déresponsabiliser du comportement du roi. La suite de la réplique nous révèle précisément une « complaisance à sa passion ». Loin d’être le bon conseiller, Polexandre entre par cette réplique dans le type du conseiller perfide.
Amélite — Enfin, le personnage d’Amélite incarne un rapport au pouvoir néfaste mais dénué d’ambiguïté. À la première lecture, on comprend qu’elle s’apparente à la lignée tragique des femmes cupides, ambitieuses et monstrueuses. Au sein de l’intrigue, ses interventions font office de levier, là où le roi incarne la force brute d’une passion dévorante. En effet, c’est le levier insidieux de cette maternité ambitieuse mais dévoyée qui assure la présence d’Arthénice à la cour148. S’il est une tentatrice dans la pièce, il s’agit bien d’Amélite dont la pensée se résume dans cette seule réplique : « Il vaut mieux commander qu’obeyr » (p. 27). Cet octosyllabe à l’aspect gnomique établit une comparaison absolue entre deux rapports au pouvoir. Rompant avec toute la tradition de philosophie politique de la phronesis elle, cède à l’hybris, autrement dit, ce n’est plus la prudence qui gouverne l’action politique mais l’orgueil qui prétend précisément à ce à quoi il n’a pas droit. Ce caractère perverti du mauvais confident transparaît également dans la scène 4 de l’acte III. En effet, elle énonce avec emphase ce conseil à sa fille : « il faut estre Reyne à quelque prix que ce soit » (p. 58). Cette fois, ce sont douze syllabes qui énoncent un principe de realpolitik qui place le pouvoir comme une fin en établissant que celle-ci justifie les moyens. Cette vision politique favorise la volonté du roi mais sa finalité est connue du spectateur qui sait qu’Anne Boleyn fut exécutée. Ainsi, le personnage d’Amélite constitue pour La Serre une sorte d’exemplum invalidant la pratique cynique de la politique.
Les mauvais conseillers §
Nous évoquerons rapidement les conseillers qui n’apparaissent que brièvement à la première scène de l’acte IV et donc l’importance est toute relative. En effet, ils ne servent qu’à mettre en valeur la résistance de Thomas Morus face à l’aveuglement du roi. Ainsi, ils suivent la prise de parole de Polexandre et leurs trois répliques reprennent un schéma semblable qui se clôt invariablement sur la mention de l’obéissance après avoir évoqué la clairvoyance du souverain. De même, le capitaine des gardes ne sert qu’à mettre en valeur la douleur de la reine que nous étudierons sans tarder.
Les deux reines §
Le groupement des deux reines dans notre analyse des personnages relève d’un choix interprétatif singulier. De fait, selon Jane Conroy :
Morus étant sans défaut, c’est Arthénice qui doit susciter la pitié et la crainte. Personnage assez changeant, elle fait figure de tentatrice et de victime à la fois. Sa punition, qui survient si tôt après son "bonheur", paraît démesurée. Elle est censée éveiller la sympathie d’un public peu habitué à ce qu’on l’invite à compatir aux malheurs de la mère d’Elisabeth.149
Cependant, un tel jugement nous semble difficile à accorder au texte même. Sa dimension de tentatrice, si elle est courante dans les représentations de cette époque d’Anne Boleyn, n’apparaît guère flagrante dans cette pièce. Au contraire, elle semble toujours garder à l’esprit l’importance de sa vertu même lorsqu’elle s’oppose à la volonté du roi. Sa réticence à fréquenter le roi, que seule vainc son obéissance filiale, laisse apparaître toute la force de sa vertu. De fait, il nous semble qu’il faille voir Arthénice et la reine comme deux personnages équivalents dont la vertu est comparable. La fin de la pièce révèle clairement que les deux héroïnes sont innocentes et que toutes deux sont victimes de la tyrannie de leur roi.
Un aspect de la pièce qui soutient notre hypothèse est l’absence totale de mention de la religion lorsque l’intrigue se concentre sur les deux reines. Aucune des deux reines ne défend ou n’attaque l’Église et son autorité. Là où la reine est exemplaire de vertu dans sa conception du mariage150, Arthénice est irréprochable dans la défense de sa vertu et de sa virginité151. Ainsi, il semble que le « triomphe de la foi et de la constance » que promet le sous-titre de la pièce s’applique aussi bien à ces deux personnages qu’à Thomas Morus. De fait, les deux souveraines reprennent la même image de la couronne d’épine :
en me faisant Reyne de cét Empire, tu m’as donné les Roses en partage : mais je suis fort aise que mes mal-heurs les ayent fait flestrir sur ma teste, et que les épines m’en demeurent ; puis que tu en as esté couronné ; ton exemple me servira de consolation. (p. 11)
Ha ! Que les Couronnes seroient à bon marché, si tout le monde ressentoit comme moy, les espines dont elles sont faictes ! (p. 110)
Ainsi, le discours de l’une éclaire celui de l’autre et toutes deux abordent avec foi dans le Christ et constance dans les épreuves, les malheurs qui se présentent à elles. De plus, les épines forment un lieu commun de la tragédie de martyre152.
Les deux reines se ressemblent également par leurs prières à la seule différence que la reine prie pour défendre son mariage, et Arthénice son honneur. Enfin, lors de leur confrontation à la scène 5 de l’acte III, l’admiration d’Arthénice pour la reine révèle leur proximité. Après la sortie de la reine, Arthénice déclare : « Que la jalousie de cette Princesse est juste ! que son mal-heur est grand ! mais que mon imprudence est extréme » (p. 64). Le rythme ternaire donne une certaine emphase à la tirade que renforce la gradation de « grand » à « extrême ». Le personnage d’Arthénice ne peut donc pas être considéré comme une tentatrice mais au contraire, elle est une victime prise dans l’enchaînement fatal de la tyrannie du roi. De même, la reine, dans sa réaction à la lecture de la lettre d’exil à la scène 3 de l’acte IV révèle un parfait amour qui demeure dans les champs lexicaux malgré celui de la vengeance.
La famille Morus §
Il y a une grande différence entre le père et la fille. Si l’un obéit à l’idéal du sage stoïcien avec une constance remarquable, le personnage de Clorimène semble mûrir au cours de la pièce sans pour autant se détacher d’un naturel fier et sanguin. Si l’on peut rapprocher le roi de Néron, il est tentant de voir en Thomas Morus un nouveau Sénèque tandis que Clorimène serait une nouvelle Antigone. En effet, sa piété filiale exemplaire la détache insensiblement de la vie pour la rapprocher de son père et de sa famille, comme Antigone qui préfère accomplir les rites funéraires de son frère quitte à en mourir plutôt que d’abandonner son cadavre.
Thomas Morus §
Bien qu’il donne son nom à la pièce, Thomas Morus est loin d’être le personnage le plus présent. De fait, par la constance de sa foi et sa force dans les épreuves, le saint ne peut être le moteur de l’action tragique qui suppose la « violence au cœur des alliances153 ». Un saint ne peut donc qu’être la victime de l’action tragique comme c’est le cas de Thomas Morus. Cependant, ce personnage se distingue par la force de son langage. Assurément Thomas Morus est une « tragédie de la parole154 » mais à l’inverse de Phèdre pour Barthes, c’est une tragédie de la parole ouverte et triomphante, ou pour mieux dire : une tragédie de la Parole. C’est cela que symbolise ce chancelier par ses longues tirades, ses prophéties et ses prières. Ainsi, dès la première scène, il est celui qui nomme. Il donne leur nom aux choses : la relation du roi avec Arthénice est un « crime » (p. 1) et il dénonce la « lâcheté » (p. 2) du reste de la cour. Il ne s’agit pas simplement d’une facilité dramaturgique dans cette scène d’exposition, Thomas Morus est le personnage de la « Vérité » (p. 5). Il incarne la vérité nue qui présente les enjeux dans toute leur simplicité : « Si j’ay une vie à perdre, j’ay une Ame à sauver » (p. 3).
Nous reviendrons sur la pensée politique qui se dégage de l’œuvre de La Serre mais il convient de noter, dès à présent que Thomas Morus en est le principal porte-parole. Cette pensée politique ne peut être séparée d’une pensée religieuse. Ainsi, ce personnage présente une puissante rhétorique de la foi dans des scènes qui s’apparentent à des disputatio selon la pratique des théologiens. Dans la première scène de l’acte IV, devant l’assemblée, Thomas Morus cerne les enjeux de la discussion avant de laisser échapper une série de questions rhétoriques. Les questions se succèdent suivant une progression logique subtile allant toujours plus loin dans l’exposé des conséquences de la première action, la répudiation de la reine. La seconde tirade de cette scène reprend les mêmes idées et expose les mêmes prédictions. Cependant, elle se clôt sur une prière dont la dimension christique est évidente : « Que s’il faut une Victime à ta Justice, en expiation de nos pechez, que je sois seul sacrifié, pour sauver tout le reste du peuple » (p. 74). Thomas Morus se sacrifie comme le Christ qui meurt sur la croix en portant les péchés du genre humain, c’est-à-dire en expiation.
De ce fait, l’entrevue de l’acte IV avec sa fille Clorimène, comme la confrontation avec le duc puis avec le roi à l’acte V ne font qu’entériner la sainteté du personnage en assurant l’unité de son caractère. Ces scènes assurent le spectateur de la perfection de son martyre qui n’est pas une recherche de la mort mais le choix de la justice :
Que je sorte de prison, dictes-vous ma fille, à quelque prix que ce soit ! Le Roy a beau le permettre : ma conscience me le deffend : si mes amis le desirent, mon devoir ne veut pas que je l’espere. (p. 84)
Les références se superposent et le saint chrétien allié au sage stoïcien, après avoir évoqué le Christ par son sacrifice évoque désormais Platon dans le Criton refusant d’enfreindre la loi par souci de la justice. De fait, c’est une sagesse universelle que symbolise ce personnage par-delà les frontières et les écoles de pensée. Ainsi, face au roi et devant les têtes décapitées des premières victimes d’Henri VIII, Thomas Morus laisse échapper une seconde prière. Ce culte des reliques permet de réaffirmer la liturgie tridentine et renforce l’émotion du spectateur devant la certitude du martyre. Le spectateur éprouve de la terreur devant ces têtes coupées dans des bassins, de la pitié devant la mort certaine de cet homme juste. Cependant, l’horreur que devrait provoquer un tel spectacle est dépassée par l’admiration qu’inspire la représentation d’une telle foi. Sur le plan théorique, cette scène pousse donc à fond le potentiel dramaturgique et mimétique de la tragédie de martyre.
Clorimène §
À l’inverse de son père, on observe une évolution importante dans le personnage de Clorimène. Pourtant, celle-ci n’apparaît qu’à la fin de l’acte IV sans avoir été mentionnée auparavant. Il s’agit probablement du personnage le moins classique de la pièce. En effet, à la fin de sa carrière, Corneille propose la règle suivante dans le premier de ses Trois discours sur le poème dramatique :
je dirai [que le premier acte] doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l’action principale, que pour les Épisodiques, en sorte qu’il n’entre aucun Acteur dans les Actes suivants, qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu’un qui y aura été introduit.155
Ainsi, Corneille condamne l’apparition de personnages après le premier acte. Clorimène constitue donc une entorse majeure sinon à la dramaturgie classique, du moins à son esprit. Il faut donc que La Serre ait une raison solide pour faire intervenir ce personnage si tardivement. Nous avons vu qu’une double intrigue traversait la scène. Dans la mesure où l’opposition entre les deux reines est terminée, la tragédie revient au chancelier. Cependant, la stature du chancelier ne permet pas de faire naître à lui seul terreur et pitié. Ainsi, c’est le personnage de Clorimène qui sert à pointer les enjeux de sa mort pour faire éprouver au public les sentiments tragiques.
La scène de la prison ne manque pas de vigueur dans les dialogues. La fille en vient à accuser son père d’être la cause de ses malheurs : « Ne m’affligez plus, mon Pere » (p. 89). Cependant, comme nous l’avons dit, Clorimène est un personnage changeant. Alors qu’elle est particulièrement véhémente face à son père, elle apparaît à l’acte suivant, suppliante devant le roi. Les didascalies précisent qu’elle est à genoux dans une posture de supplication156. Presque toutes les répliques de cette scène commencent par « Sire » repris ensuite par « Votre Majesté » (p. 94-96) La rupture avec la dernière scène de la pièce est donc flagrante. Puisque son père est mort, Clorimène n’a plus rien à demander. La didascalie met donc en évidence le changement du personnage qui est « en deüil parlant au Roy » (p. 112). Ainsi, ce personnage a un rôle dramaturgique différent : il ne s’agit plus de faire valoir la constance d’un martyr, mais de dénoncer la cruauté d’un tyran. Ainsi, la tirade finale comprend une prière adressée dont le lien avec celle du père quelques scènes plus tôt est évident. Cette tirade permet à La Serre une digne fin pour sa pièce. En se plaignant de la mort injuste de son père, Clorimène prévoit la sienne mais ne s’en plaint pas. « O que la Mort est douce à celuy qui l’attend ! » conclut-elle. Un tel propos s’applique à sa personne mais également à son père et marque la fin de sa conversion dont le spectateur est témoin dans les deux derniers actes.
Une tragédie en prose ? §
Habileté littéraire de La Serre §
On a largement reproché à La Serre son absence de talent littéraire. Pour beaucoup, la médiocrité de son style s’explique d’abord par son incapacité à faire des vers. A propos de notre pièce, Charles Mazouer dénonce un « manichéisme simplet, de la pensée édifiante, [une] incapacité à construire des personnages, et toujours ce style lassant des dialogues où les interlocuteurs se répondent du tac au tac. » Il conclut simplement : « La contrainte du vers eût peut-être été profitable à Puget de La Serre. » Pourtant, s’il est vrai qu’on compte peu de pièces en vers de La Serre, la légende du médaillon de Mazarin présent dans l’exemplaire de la seconde édition dédié au cardinal, révèle une réelle habileté littéraire (cf. Annexe). Il y est écrit :
« On l’aime en le voyant, on le craint sans le voir
Toutes ses actions sont autant de merveilles,
Ses conseils ont réduit l’Espagne au désespoir
Et la France ne doit son repos qu’à ses Veilles.
Sinon du talent, on est obligé de reconnaître une certaine adresse à ces vers. Le premier vers joue sur l’antithèse entre l’amour et la crainte en la renforçant par le parallélisme entre les deux hémistiches et l’énallage du verbe « voir », tandis que l’euphonie des nasales révèle une maîtrise musicale de la langue. L’hyperbole du second vers correspond au registre encomiastique. Le terme de « merveilles », en plus d’avoir un sens très fort prépare la chute du quatrain tout en ménageant une homéotéleute avec « conseils ». Les deux derniers vers se fondent sur l’opposition entre les deux nations rivales : l’Espagne et la France. Toutefois, les deux vers centraux ont comme principale fonction de ménager un effet d’attente pour renforcer la pointe finale jouant sur les possessifs « son » et « ses » qui renvoient à la France et à Mazarin, sous-entendant une unité des deux entités. D’autres auteurs ont évoqué des vers que La Serre aurait écrits dans sa jeunesse. Ainsi, le choix de la prose ne semble pas relever d’une simple paresse ou d’un manque de temps, d’autant plus que les vers blancs sont particulièrement nombreux au long de la pièce, comme nous le verrons. §
De ce fait, la pièce se révèle comme une puissante machine rhétorique à l’habileté manifeste. En effet, si Charles Mazouer reproche à cette pièce la succession des questions et réponses comme autant de cycles laborieux et pénibles, le premier public du XVIIe siècle devait particulièrement apprécier ce type de dialogues157. L’enchaînement presque implacable des répliques, accentué par les nombreux parallélismes conduit à faire ressentir une part de la puissance tragique qui anime l’intrigue. À l’enchaînement rhétorique correspond l’enchaînement du destin qui enferme les personnages dans leur position. En dépassant le premier dépaysement que l’on éprouve naturellement à l’égard de ces répétitions qui peuvent sembler lourdes, on entre dans l’intelligence du texte qui tisse progressivement l’issu tragique de l’intrigue, pour ainsi dire, dans l’envers et l’endroit de la maille serrée des répliques. Il nous suffit d’examiner la première scène de la pièce qui donne le ton pour la suite de la représentation. Le face-à-face entre Thomas Morus et le Duc se matérialise dans la maille des répliques :
LE DUC.
Ce sont des discours d’un mauvais Politique*.
THOMAS MORUS.
Ce sont des raisons* d’un bon Chrestien.
Il y a effectivement quelque chose de mécanique dans le cours de cette scène. On peut facilement pressentir l’évolution de la pièce : « Ce sont… bon/ mauvais » pour les deux premières répliques. Le parallélisme permet de souligner l’opposition presque antithétique entre « Politique » et « Chrestien », tous deux marqués par une majuscule. Mais dans cette première opposition manifeste, se glisse un deuxième antagonisme plus discret mais surtout plus profond : l’opposition entre « discours » et « raisons ». La raison constitue un point central dans le discours moral de cette pièce et nous y reviendrons mais nous pouvons dès à présent rappeler qu’à la quatrième réplique, Thomas Morus demande déjà : « A quoy nous sert donc la Raison ? » Cette question rhétorique pour le personnage pointe un premier tragique que le parallélisme rappelle et souligne. De fait, face à la justification sophistique, se dresse l’idéal de l’action chrétienne. En un sens, La Serre s’affranchit de la contrainte des vers pour proposer son propre système rhétorique. Il est possible de trouver dans cette esthétique de l’entremêlement un écho à la philosophie scolastique qui, précisément, faisait de la raison un allié de taille pour le « triomphe de la Foi ». Face au « discours » des philosophes modernes ou antiques, la raison des théologiens s’incarne dans l’habitude liturgique du ressassement, dont le personnage de Thomas Morus se fait l’heureux représentant.
En un sens, La Serre joue sur plusieurs plans qui se complètent réciproquement. L’héritage presque scolastique d’une rhétorique chrétienne parcourt cette pièce pour lui insuffler une dynamique propre. C’est cette dynamique que lui reprochera le « classicisme » d’un Boileau. Cette dynamique s’enracine, en effet, dans une lecture chrétienne de Sénèque et par capillarité, dans une écriture sénéquienne du christianisme. La densité des sentences qui ponctuent la pièce révèle cette force atypique au sein du théâtre de l’époque mais manifeste, et qui, de toute évidence, a su convaincre en son temps.
Hypothèses sur les vers blancs §
La lecture de Thomas Morus comme de l’ensemble du théâtre de La Serre conduit à un constat singulier. On compte un grand nombre de vers blancs parmi les répliques des personnages, alors même que ces tragédies se caractérisent par leur usage de la prose. Face à ce constat, on peut avancer plusieurs hypothèses : La Serre aurait renoncé à écrire en vers après avoir commencé à en composer quelques-uns ; la prose de La Serre serait volontairement émaillée de vers pour apporter à son style comme un supplément d’âme ; ces vers seraient la preuve d’une certaine maladresse poétique qui expliquerait son oubli. Il va de soi que nous ne pouvons nous contenter de la dernière hypothèse qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout (notamment les raisons de son succès, la nature des vers pour qu’ils puissent passer inaperçus…). En outre, l’hypothèse d’une pièce brouillon ne s’accorde guère avec la constance de l’usage de la prose chez La Serre. Il convient donc de s’arrêter, à l’instar de Sandrine Blondet à propos du Pyrame, sur l’hypothèse d’une prose presque poétique :
Ces vers ne témoigneraient que de l’oreille alexandrine de Puget, facilité qu’il partagerait avec tous ses confrères et dont Corneille ou Molière feront fréquemment état. En ce sens, ces fragments poétiques de Puget confirmeraient a contrario le choix délibéré de s’affranchir de l’usage courant pour recourir à la prose.158
De fait, en ce qui concerne Molière, il ne viendrait à l’esprit de personne de considérer les vers qui émaillent sa prose comme les preuves d’une médiocrité littéraire.
Cependant, si l’oreille entend le vers (a fortiori celles du XVIIe siècle), on peut tenter avec Gilles Siouffi une définition conjecturale du vers dans la prose :
Il semble que trois critères se détachent : le rythme (ensembles syllabiques déterminés), la place (effet de ‘cadence’, surtout), et le sens (possibilité ou non de présenter un sens complet). Le ‘vers dans la prose’, ce sera la représentation imaginaire de cette conjonction. Sera donc ‘vers dans la prose’ toute structure qui se signale par cette conjonction hors du tissu normal du discours, et s’élève vers une existence séparée, que l’on peut appeler ‘poétique’, mais qui a aussi une signification de type formel. Il consiste en une certaine perception séparée de la langue, en tant que cette perception serait la satisfaction d’un nombre limité de critères. La conjonction des trois dimensions de rythme, de situation et de sens, se caractérise par son côté non ordinaire, exceptionnel.159
Ainsi, on trouve divers types de vers ou d’enchaînements de rythmes dans la prose de La Serre. En voici une liste assurément non exhaustive, mais qui nous semble, à la simple lecture, parfaitement correspondre à la définition proposée plus haut :
« La Raison obeyt, quand la Force commande. » (p. 4)
« il prevoit son mal-heur/ : il recognoit sa faute/ : mais son mal-heur luy plaist/ aussi bien que son crime/ ; et tous les deux ensemble/ preparent mon Tombeau. » [6/6/6/6/6/6], (p. 8)
« la main qui m’a blessé s’esloigneroit de moy » (p. 13)
« Je ne la cognoy plus./ Quittez vostre bandeau. » (p. 19)
« C’est mon Amour qui vous poursuit./ C’est mon Honneur qui se deffend. » [8/8] (p. 21)
« L’occasion de Regner ne s’offre pas tousjours » (p. 28)
« Que puis-je apprehender ?/ Toutes choses./ Quels sont mes Ennemis ?/ Vos Subjects./ Qui tiendra leur party ?/ La Raison. » [6/3/6/3/6/3], (p. 32)
« Son cœur n’est plus à luy : une autre le possede. » (p. 38)
« Je ne veux estre absoluë* que sur mes passions. » (p. 41)
« L’honneur* de vostre Sexe n’est qu’une Chimere. » (p. 41)
« Et sa Vertu* aussi n’aura jamais d’exemple. » (p. 50)
« La Raison* et l’Amour ne vont jamais ensemble. » (p. 65)
« où tous les biens sont faux, et les maux veritables ? » (p. 87)
« Je souffre constamment notre separation. » (p. 89)
« afin que les ruisseaux se joignent à leur source. » (p. 91)
« pour en donner la grace à vostre repentir. » (p. 98)
« Le Ciel est mon eschole plustost que la terre » (p. 100)
« Mais que vous a-t’il dit pour derniere responce ? » (p. 102)
« qu’il estoit resolu à ce que Dieu voudroit » (p. 102)
« qu’il changeroit de vie plutost que de discours. » (p. 102)
« O que la Mort est douce à celuy qui l’attend ! » (p. 119)
Nous avons noté, ci-dessus, entre crochets le nombre de syllabes lorsqu’il se distinguait des douze (auxquelles nous sommes le plus sensible). L’usage de l’alexandrin dans la prose de cette pièce semble souligner l’importance de sentences et maximes. L’exclamation finale de la pièce peut se détacher de son contexte sans perdre ni en sens, ni en force. De même, comme nous l’avons fait remarquer dans l’appareil de notes, on retrouve certaines sentences peu ou prou intactes dans d’autres ouvrages ultérieurs de La Serre. S’il nous fallait théoriser plus avant l’usage du vers blanc par La Serre dans sa prose, nous dirions qu’il s’agit d’une forme d’emphase stylistique. En sonnant à l’oreille du spectateur, ces formules restent en mémoire et résument les enjeux des scènes. De fait, on trouve en général au moins un de ces « vers dans la prose » par scène.
Les tragédies en prose dans la dramaturgie française §
Si l’écriture de la tragédie en prose n’est pas évidente à l’époque où La Serre propose son Thomas Morus, elle est toutefois loin d’être totalement incongrue. La querelle des irréguliers sur laquelle nous reviendrons est en train de se clore mais le mode d’expression demeure débattu. Ainsi, La Mesnardière dans sa Poétique justifie l’usage des vers au théâtre par une analogie sommaire mais relativement efficace :
Chacun sait la comparaison de ces paroles serrées dans les limites du vers, avec l’air qui est enfermé dans le tuyau de la trompette, ou du feu qui est ramassé dans le vide du canon. Et comme l’air et le feu resserrés dans ces machines, font plus de bruit et de ravage lorsqu’ils en peuvent sortir, que s’ils étaient en liberté ; qu’ainsi les mots que l’on presse dans l’étroite borne des vers frappent l’imagination avec plus de véhémence, que s’ils n’étaient pas arrangés dans ces espaces réguliers.160
Il insiste donc sur l’effet produit sur les spectateurs par la langue mais paradoxalement, il justifie l’apparition des vers aux théâtres par leur proximité avec la langue courante. On peut s’étonner de cette double caractérisation des vers qui consiste probablement à faire des alexandrins le juste milieu pour parvenir à la fois à la vraisemblance et à la beauté éclatante selon les critères poétiques du temps.
Toutefois, la même année l’abbé d’Aubignac publie anonymement sa tragédie La Pucelle d’Orléans161. Or le sous-titre de l’œuvre insiste sur l’accord entre la théâtralité de la pièce et la réalité des événements rapportés. De ce fait, l’adresse du libraire au lecteur, dont on peut se demander si elle n’a pas été rédigée par l’auteur en personne, justifie ainsi le choix de la prose :
bien que la Poësie ait beaucoup plus d’agréemens, elle a tousiours la contrainte de la mesure et des rihmes qui luy oste beaucoup de rapport avec la vérité ; et j’estime que la vray semblance des choses representées, ne donne pas moins de grace et de force à la prose, que la justesse et la cadance aux vers.162
Ainsi, la prose apparaît comme nécessairement sur la défensive. La beauté des vers semble avoir déjà emporté sur la vraisemblance de la prose dont la pratique s’éteint lentement dans un coin du théâtre français. Pierre Pasquier, dans sa présentation du Martyre de Sainte Catherine rapproche celle-ci de la tragédie de d’Aubignac pour justifier le choix de la prose163. Selon lui, le merveilleux chrétien rendrait nécessaire l’usage de la prose pour ne pas offenser le principe de vraisemblance. Cependant, une telle justification de la prose s’appuie sur le jugement contemporain que nous pouvons faire du merveilleux chrétien mais qui était radicalement différent au XVIIe siècle. De ce fait, il nous semble préférable de considérer que le choix de la prose correspond simplement à un certain goût du public. Son usage serait plutôt à rapprocher de celui qui conduisit le drame romantique au XIXe à se débarrasser progressivement de l’alexandrin. Toutefois, il convient de noter que le choix de la prose est rarissime à cette époque pour la tragédie. De fait, c’est à la comédie qu’est réservé ce mode d’expression.
Analyse des enjeux et de la pensée de Thomas Morus §
Lecture politique §
Situation politique et diplomatique §
Le contexte historique dans lequel écrit La Serre est d’une grande complexité mais il semble refléter assez fidèlement ces temps troublés. Au début du règne de Louis XIII, la noblesse est « une classe menacée dont les membres ne se sauvent que par la clientèle164 » analyse Victor-Lucien Tapié. Face à la noblesse, au clergé et au tiers état, le roi occupe donc une place centrale. Or dès son arrivée sur le trône, Louis XIII marque son attachement au catholicisme en signant un « édit qui obligeait les pasteurs du Béarn à rendre à l’Église catholique les anciens biens ecclésiastiques dont ils jouissaient depuis le temps de Jeanne d’Albret165. » Cependant, la politique religieuse du royaume ne peut être distinguée de la diplomatie alors que le prestige français a pâti des guerres de Religion et de l’affermissement de ses voisins. Ainsi, le positionnement de la France face à l’Espagne catholique est problématique.
De ce fait, le règne de Louis XIII est marqué par une lutte contre le protestantisme, notamment dans le contexte de la Guerre de Trente ans. En 1619 le roi entre à donc à Pau mais refuse les honneurs de la ville car celle-ci n’est pas catholique. Les protestants s’inquiètent légitimement de ces rigueurs mais en se réunissant à La Rochelle, ils en appellent au soutien de l’Angleterre. De ce fait, jusqu’en 1629, des guerres de religions larvées sèment le désordre dans le royaume. Dans ces guerres, Charles Ier, roi d’Angleterre apparaît comme le protecteur des protestants de France. Un siège s’organise entre l’île de Ré et La Rochelle, dont Louis XIII sort vainqueur. De telles considérations peuvent sembler éloignées de notre pièce, mais elles influencent grandement l’image de l’Angleterre et leur interprétation est inséparable de la religion. Ainsi, après sa victoire de La Rochelle, le roi dédie une nouvelle église parisienne à Notre-Dame des Victoires. Richelieu mène en France une véritable reconquête catholique face au protestantisme. Toutefois, le contexte diplomatique le conduit à une certaine mesure dans ses décisions qui permettent un apaisement relatif.
Toutefois, pour les Français de ce temps et a fortiori pour La Serre, le roi mérite sa fonction par son sang et le sacre de l’Église catholique lui offre les grâces nécessaires à l’exercice du pouvoir. Quant à Richelieu, Tapié note qu’il « a tout subordonné à la "conservation de la couronne", comme son devoir d’État, mais il n’a jamais sacrifié la doctrine ou la foi166 ». Il est difficile de ne pas tenter un rapprochement entre l’image de ce bon ministre et la vertu intacte du chancelier anglais, même si la ressemblance s’arrête à ces quelques traits.
Pensée politique et représentation théâtrale §
Dans Morales du grand siècle, Paul Bénichou consacre un chapitre entier au « drame politique dans Corneille167 ». Dans le système de valeurs du monde classique, le lien entre le seigneur et son vassal est soumis au respect de la vertu et de la justice qui suppose « chez le plus faible un refus de se plier au commandement injuste168 ». C’est ainsi que s’interprètent plusieurs pièces de Corneille mais c’est également ainsi qu’il semble falloir interpréter la rébellion de Thomas Morus. Ainsi, à l’inverse d’Henri VIII, la « littérature romanesque du XVIIe siècle se plaît à retracer souvent l’image paternelle d’une royauté qui met sa gloire à se limiter elle-même169 ». Au contraire, la représentation de l’hybris royale dans Thomas Morus justifie pleinement l’action du chancelier. En un sens, c’est la critique du pouvoir qui assure sa pleine puissance car le discours a pour objectif de faire advenir la vérité. La pièce de La Serre recèle donc une théorie politique d’une grande sagesse et dont l’enseignement dépasse assurément les âges et les époques. En effet, quels que soient le système politique et la force du pouvoir en place, s’il accepte la critique et entend les remontrances, alors son pouvoir est légitime et son autorité est juste. C’est précisément ce qu’il manque à Henri VIII : devant les critiques de son chancelier, il affirme seulement sa toute-puissance : « Puis que je suis un des Dieux de la terre, j’y veux regner absolument selon mon humeur, plutost que selon vos conseils » (p. 70).
Le tournant de la « Raison » : étude de termes capitaux §
La Raison §
À la lecture de cette pièce, on s’étonne de la fréquence d’un terme dont la problématisation presque philosophique intervient dès les premières répliques : il s’agit du terme de « raison ». En effet, Thomas Morus demande « A quoy nous sert donc la Raison ? » dès la seconde page. Cette question semble cristalliser le noyau tragique de la pièce. C’est la raison qui assure au chancelier son infaillible constance et légitime sa résistance. À cet égard, la pensée de La Serre révèle une logique manifeste puisqu’il écrit dans L’Esprit de Sénèque que « Le défaut de la constance ne procède que du défaut de raisonner170 ». Il faut voir dans ce terme une puissance singulière qui nous est étrangère. Or dans la pensée de La Serre, la raison apparaît comme un concept éthique. A l’inverse, dans la peinture que dresse René Bray du « rationalisme classique », celui-ci apparaît comme fondamentalement esthétique :
Peut-on nier que le rationalisme conduisait au prosaïsme ? […] Le culte de l’idée claire est incompatible avec le souci de la beauté ; étendant sans cesse sa domination, il tarit l’imagination, la fantaisie, qui est avec la sensibilité la source la plus abondante de la fantaisie171.
La Serre se situe à l’écart de cette problématique esthétique du rationalisme. Dans son œuvre, c’est la raison qui permet le « triomphe de la foi et de la constance ». Nous sommes ici aux antipodes de la raison « humiliée172 » telle que la concevra Pascal, auteur que, du reste, Bray ne convoque pas. L’éloge de la raison chez La Serre n’a guère de limite puisqu’il considère que « l’homme n’a rien de bon en soi que sa raison173 ». En suivant une logique chrétienne, il faut comprendre que la raison est parfaitement divine dans cette lecture que propose La Serre des lettres apocryphes de Sénèque.
Par ailleurs, nous voudrions émettre l’hypothèse d’un changement de paradigme dont La Serre est le témoin privilégié. C’est ce changement de paradigme que présente l’article de Gustave Lanson sur « Le héros cornélien et le "généreux" selon Descartes174 ». Si la notion de « héros cornélien » a été critiquée voire détruite, l’intérêt de cet article réside davantage, à nos yeux, dans la mise en évidence d’un fonds commun ancré dans les valeurs de leur époque :
Il n’y a donc pas influence de l’un sur l’autre, mais communauté d’inspiration. / Le philosophe et le poète ont travaillé tous les deux sur le même modèle : l’homme que la société française présentait communément au début du XVIIe siècle175.
Ainsi, Lanson met en évidence une « identité d’esprit176 » entre Corneille et Racine en tant qu’ils vivent à la même époque. De fait, chez ces deux auteurs, l’homme se caractérise par sa volonté. Dans son Traité des passions, Descartes considère « qu’il y a peu d’hommes si faibles et irrésolus qu’ils ne veulent rien que ce que leur passion leur dicte177 ». La perspective est opposée à la conception courante de la suite du siècle qui nous est encore commune : on dirait plus volontiers qu’il y a peu d’hommes si forts et si résolus qu’ils ne font rien que ce qu’ils veulent faire. L’opposition entre ces deux modèles d’hommes dresse le portrait de Thomas Morus d’un côté dont la volonté armée de la raison terrasse jusqu’à sa vie, et celui du roi de l’autre qui souffre d’une passion à laquelle il ne peut désobéir. En effet, La Serre appartient à cette même époque.
Or le propre de cette époque est de subordonner l’amour à la raison et donc de l’opposer à la passion. Lanson résume : « on ne mérite l’amour qu’en ne faisant rien pour lui178. » Puisque la force de l’homme est sa volonté, que la volonté est soumise à la raison, et que la raison juge le bien et le vrai, c’est en faisant le bien que l’homme devient digne d’être aimé. C’est précisément ce qu’affirme le roi dans la première réplique de l’acte V : « Ne croyez pas que vostre Beauté soit le seul objet de mon Amour : vostre Vertu en a faict les plus fortes chaines179. » La position du roi est paradoxale car il ne se soumet que partiellement à la raison pour décider son amour. La force de la pièce est précisément d’opposer le personnage d’Arthenice parfaitement aimable selon le système de valeur que nous avons décrit, et le roi parfaitement haïssable. De plus, le personnage de Thomas Morus présente la raison comme le seul motif de son action et en fait un principe plus fort que l’amour filial. C’est ainsi qu’il faut comprendre la rudesse de la réplique finale de Clorimène dans laquelle en regrettant son père, elle en vient à souhaiter la mort (« O que la Mort est douce à celuy qui l’attend ! », p. 119). L’usage déterminé de la raison, par le père, en vue de la vertu, conduit la fille à ne souhaiter rien d’autre que la mort qui apparaît dans la logique de la pièce comme la seule conséquence valable de l’usage de la raison.
Ainsi, les soubassements conceptuels du terme de raison dans cette pièce inviteraient presque à une histoire générale de ce terme au cours du XVIIe siècle. De Descartes à Fénelon, en passant par Bossuet, Malebranche et Pascal, la raison semble écartelée. Dans la définition qu’en propose Lalande à l’intention des philosophes, le terme de raison180 semble se complexifier au cours des citations. Si Descartes la limite au seul fait de « bien juger », elle recouvre un sens de plus en plus mystérieux, jusqu’à Fénelon qui écrit : « Nous recevons sans cesse et à tout moment une raison supérieure à nous, comme nous respirons sans cesse l’air, qui nous est étranger181. » On observe une complexification croissante et donc un effacement de la solidarité entre l’homme et la raison. Or c’est précisément sur cette solidarité que se fonde la pièce. Si la solidité du concept de raison vacille, c’est la lisibilité de la pièce qui s’effondre. En effet, dans L’Esprit de Sénèque, La Serre écrit :
La plus grande force de l’esprit se tire de celle de la raison ; Et quoy que l’exemple soit souvent plus eloquente qu’elle, il est honteux de nous servir de celle-cy, qu’au defaut de l’autre182.
À cet égard, la pièce de Thomas Morus est d’une habileté remarquable. La Serre considère que l’exemple persuade davantage que la raison mais seule celle-ci est assez noble pour véritablement convaincre. Or dans la pièce, Thomas Morus est à la fois l’exemple de la vertu et la parole de la raison. De ce fait, il n’y a plus lieu d’opposer la raison à l’exemple car le même personnage incarne les deux sur la scène du théâtre.
Le pouvoir « absolu » ? §
En tant qu’écrivain de cour, La Serre a pensé la question du pouvoir absolu dans plusieurs ouvrages sur lesquels nous tenterons de nous appuyer. Le terme apparaît dix-huit fois dans la pièce et semble une évidence pour les personnages. Dans la pensée politique de La Serre, le pouvoir en tant qu’il appartient à un roi ne peut être qu’absolu, c’est-à-dire qu’on ne peut y mettre de limites. Le terme même d’« absolu » exprime une radicalité qui sert également de fondement à l’intrigue de la pièce. En effet, paradoxalement, c’est parce que le pouvoir du roi devrait être absolu que la désobéissance de Thomas Morus est héroïque. Pourtant, on est loin du transcendantalisme d’un Thoreau appelant à la « désobéissance civile » ! Chez La Serre, le pouvoir absolu est non seulement légitime mais aussi souhaitable. C’est sur le paradoxe de la limite d’un pouvoir qualifié d’absolu que se fonde l’héroïcité du chancelier martyre.
Une échappatoire, pour justifier la conduite de Thomas Morus et son atteinte au pouvoir royal dans son caractère absolu, consisterait à renverser la faute du chancelier au roi : c’est le roi qui porte atteinte au pouvoir absolu en refusant de se résoudre à celui-ci. A la deuxième scène du dernier acte, le roi déclare : « Je ne veux point qu’un Sujet me face la loy » (p. 95). Pourtant, il admet au début de la pièce : « Je ne regne plus, Polexandre, Arthenice occupe ma place : je suis sujet aussi bien que toy. » (p. 48). Ainsi, le véritable pouvoir absolu n’appartient pas au roi qui n’en est pas digne et ne le préserve pas, mais au contraire, c’est Thomas Morus qui en est le dépositaire en étant son propre maître jusqu’à la mort. Le véritable pouvoir absolu appartient précisément à Thomas Morus qui dénonce le subterfuge du roi et son impuissance : « Il veut changer de Religion, pour authoriser d’un pouvoir absolu ses secondes Nopces ; et je donneray des loüanges à ses pernicieux desseins ? » (p. 2).
Cependant, cette explication ne rend pas justice à la pensée du pouvoir que propose l’œuvre de La Serre dans son ensemble. De fait, si le lieu commun du tyran tyrannisé est convoqué dans la pièce pour souligner a contrario la valeur du chancelier comme sage stoïcien, la pensée du pouvoir absolu est plus subtile qu’il n’y paraît. En effet, dans Les Maximes politiques de Tacite, La Serre développe une pensée propre de la monarchie comme le révèle la remarque faite en passant : « je m’estime heureux d’être né dans le siècle de Louis Le Juste183 ». Ainsi, cet ouvrage semble théoriser la conception du pouvoir qu’illustre notre pièce :
Un Roy peut violer les Loix qu’il a faites : mais comme celles de la Religion sont établies par un droit aussi divin qu’elle, il ne doit tirer avantage d’estre absolu, que pour les rendre inviolables.
Les Rois doivent regarder leur Religion comme le principe, le progrez, et la fin de leur estre, et dans cette veuë subir ses Loix avec respect, et suivre ses preceptes avec deference, par une raison de droit divin, aussi bien que par une raison d’amour-propre : un cœur infidele à Dieu, le sera toûjours à soi-même.184
On peut opérer une analogie avec l’État de droit tel que nous le concevons aujourd’hui : là où l’État de droit fait de la constitution le sommet des lois à laquelle toutes doivent s’accorder, dans la monarchie absolue telle que la conçoit La Serre, c’est la religion qui joue le rôle de la constitution. En la plaçant au-dessus des lois particulières et hors d’atteinte du pouvoir royal, il assure ainsi à ce même pouvoir un surcroît de légitimité et donc une extension plus importante. Dans cette conception de la religion comme la clé de voûte de la monarchie, on retrouve quelque chose de la pensée de Richelieu qui écrivait dans son testament politique : « si [votre Majesté] ne suit les volontés de son Créateur, et ne se soumet à ses Loix, elle ne doit point espérer de faire observer les siennes, et de voir ses sujets obéissans à ses ordres185. » La Serre s’accorde avec la conception de son temps de la royauté, pour proposer une pièce qui en illustrant les limites du pouvoir absolu en souligne la puissance.
L’aveuglement §
L’image de l’aveuglement revient à de nombreuses reprises dans la pièce comme un topos sur lequel s’épanouit l’intrigue tragique. De fait, ce motif est commun à l’amour et à la justice, deux thèmes qui s’entrechoquent violemment au cours de cette pièce. Sa présence ou plutôt, son omniprésence, n’a donc rien d’étonnant mais au contraire, répond à la nécessité dramatique de la pièce et fonde en partie sa cohérence. Ainsi, Polexandre à la scène 2 de l’acte II déclare : « La Justice est aveugle, aussi bien que l’Amour ».
En effet, c’est d’abord l’amour qui « rend aveugle » comme le prétend le dicton depuis l’antiquité. Or si « l’amour rend aveugle », c’est d’abord parce qu’il est lui-même aveugle. De fait, Amour, le petit archer qui perce le cœur des amants est aveugle, c’est-à-dire qu’il est au-dessus des conventions et de la sagesse ordinaire. Représenter Amour avec un bandeau qui l’aveugle, c’est signifier qu’il peut frapper partout sans apparence de raison. C’est à ce motif que fait référence la réplique du roi lorsqu’il s’exclame : « Que puis-je dans mon aveuglement ? » (p. 47). En utilisant cette image, La Serre renvoie directement à toute la tradition de représentation de l’amour. Dans L’Astrée, l’héroïne et Céladon sont aveuglés par leur amour ou par leur colère. Ce motif est donc familier pour la représentation de l’amour. On pourrait même considérer qu’il s’agit d’un passage obligé pour présenter la passion amoureuse, à la limite de la catachrèse.
Cependant, La Serre joue avec cette figure courante et presque prosaïque de l’amour aveugle pour l’opposer à l’aveuglement de la justice. De fait, la justice est aveugle en tant qu’elle évite les préjugés et ne se soumet pas aux liens de l’amitié. En outre, dans cette conception traditionnelle, la justice ne s’attarde pas aux remords : elle est aveugle aux conséquences de son action. Ainsi, on condamne un homme à mort, quelles qu’en soient les conséquences si la loi dispose ainsi. De ce fait, l’aveuglement de la justice constitue une assurance de son impartialité et renvoie à une connotation positive. À l’inverse, la passion aveugle est considérée comme négative et néfaste. L’aveuglement de la justice face à celui de l’amour, l’aveuglement de Thomas Morus face à celui du roi, cristallisent en une image unique l’opposition fondamentale entre ces deux personnages et les conséquences qui en résultent. D’un côté l’aveuglement de Thomas Morus pour la justice le conduit à la mort qui est, en réalité, la vraie vie. D’un autre côté, l’aveuglement du roi pour Arthénice semble symboliser le triomphe de la vie selon une modalité dionysiaque mais cette vie ne trompe guère et pour La Serre, la damnation à laquelle se risque le roi est une mort assurée.
Dans ce jeu autour de l’image de l’aveuglement, on peut également se demander si ce n’est pas également la vision du spectateur qui est mise en cause. Si le théâtre est le lieu d’où l’on voie, La Serre semble interroger le public sur sa vision de la vie et de la mort dans cette représentation paradoxale, car dans le système métaphysique qui sous-tend la pièce, le martyre de Thomas Morus consiste à faire de la mort la véritable vie.
Remarques conclusives §
Pour conclure notre étude, nous voudrions nous essayer à une analogie peut-être éclairante quoiqu’irrévérencieuse mais à laquelle n’a pas répugné Marc Escola dans une interview pour France Culture186. En effet, le monde des lettres au XVIIe siècle est analogue aux vidéos de nos jours. Entre les Courbé ou les Sommaville d’hier et le YouTube d’aujourd’hui, il existe une parenté réelle bien que ténue. Comme les vidéastes qui sont poussés à créer des contenus standardisés voire stéréotypés, un écrivain tel que La Serre avait tout intérêt à proposer des ouvrages proches tournant autour de thèmes communs. Toutefois, l’univers moral relève d’un paradigme tout autre car là où La Serre est un écrivain dévot et moraliste, son équivalent contemporain risquerait fort d’être une sorte de coach mental ! Là où La Serre fait montre d’une réelle culture classique, ses homologues contemporains se contentent de quelques éléments de psychologie et de beaucoup d’aplomb ! Ainsi s’illustre le changement de paradigme de la métaphysique à la science. Cette comparaison, par son imperfection même, nous révèle le fossé qui nous sépare du XVIIe siècle. De ce fait, peut-être faut-il lire Thomas Morus, comme un appel, à quelques siècles d’intervalle, à un renouvellement de notre pensée.
En outre, pour répondre aux interrogations de Charles Mazouer qui ouvraient notre étude, il convient d’adopter le point de vue de l’auteur lui-même. Assurément, La Serre n’est pas le grand génie d’un siècle, ce n’est pas lui qui a donné à la littérature sa puissance esthétique et métaphysique. Toutefois, en faisant l’effort d’appréhender son œuvre selon ses propres normes, on se laisse séduire par une pensée désuète mais ferme qui s’affirme avec une force surprenante.
Note sur la présente édition §
Présentation du texte §
Il existe quatre éditions (sans compter la contrefaçon caennaise de 1643), de la tragédie en prose, Thomas Morus, ou le triomphe de la Foy et de la Constance. Après l’édition originale de 1642, les éditions se succèdent du temps de la vie de La Serre en 1642, 1647 et 1657.
Nous avons utilisé en priorité dans ce travail la première édition de la pièce, dont le privilège date du 26 octobre 1641 et l’achevé d’imprimer du 4 janvier 1642. Plus précisément, nous avons retenu l’exemplaire YF-511 de la bibliothèque Tolbiac reproduit en intégralité sur Gallica.
Collation et contenu de l’édition originale :
[I] : THOMAS MORUS,/ OU/ LE TRIOMPHE/ DE LA FOY, ET/ DE LA CONSTANCE./ TRAGEDIE EN PROSE./ Dédiée à Madame la Duchesse d’ESGUILLON,/ PAR MONSIEUR [Jean puget (manuscrit)] DE LA SERRE./ [Fleuron : « Curvata Resurgo »]/ A PARIS,/ Chez AUGUSTIN COURBE’, Libraire & Imprimeur de Monsieur/ Frere du Roy, dans la petite Salle du Palais,/ à la Palme./ [filet] M. DC. XXXXII./ AVEC [P]RIVILEGE DU [R]OY.
[II] : [Verso blanc]
[III-VI] : Epître dédicatoire à duchesse d’Aiguillon.
[VII] : [Recto blanc]
[VIII] : Noms des Acteurs.
1-119 : Texte de la pièce.
[A] : PRIVILEGE DU ROY.
[B] : [Verso blanc]
Privilège : Donné à Paris le 26 octobre 1641 et signé par Conrart. Les droits sont cédés et transportés à Augustin Courbé pour cinq ans à dater de l’achevé d’imprimer.
Achevé d’imprimer : 4 janvier 1642
Imprimeurs : Jean et Nicolas de La Coste, Arnould Cotinet et Michel Brunet
Format : in-4°
Pagination : [VIII], 119 pages, [AB]
Exemplaires disponibles : Tolbiac : YF-511, RES-YF-1534 ; Arsenal : THN-36 [avec distribution], THN-9608 ; Mazarine : 4° 10822-5 ; Sorbonne : RRA 8= 456.
Harmonisation graphique §
En premier lieu, nous avons scrupuleusement respecté l’orthographe et la graphie de l’édition originale. Cependant, selon l’usage contemporain, nous avons modernisé l’ensemble des « ſ » en « s » et décomposé les tildes « ~ » du texte en voyelles nasales idoines. Nous avons aussi retranscrit selon l’orthographe contemporaine les « i » et les « j » ainsi que les « u » et les « v ». De même, nous avons systématiquement décomposé les majuscules « V.M. » en « Vostre Majesté » comme on le retrouve de nombreuse fois dans la pièce.
Nous avons harmonisé selon la graphie la plus courante « Reine » en « Reyne » dans la rubrique des « Noms des acteurs » et p. 52 dans la dernière réplique de la page, ainsi que de « Lidama » en « Lidamas » ; « Artenice » en « Arthenice » et « Duc de Suffolc » en « Duc de Sofoc » dans les Noms des acteurs.
Nous avons supprimé les majuscules du premier mot ou des premières lettres au début des scènes : p 1, « MONSIEUR » ; p. 7, « CHere » ; p. 8, « LA » ; p. 11, « QUe » ; p. 13, « SIre » ; p. 24, « ARthenice » ; p. 29, « TEs » ; p. 35, « QUe » ; p. 36, « MAdame » ; p. 45, « O Que » ; p. 46, « ET » ; p. 51, « DAns » ; p. 56, « MA » ; p. 60, « ARthenice » ; p. 64, « ET » ; p. 68, « JE » ; p. 78, « IL » ; p. 79, « MAdame » ; p. 82, « EN » ; p. 92, « MAdame » ; p. 94, « SIre » ; p. 97, « GEolier » ; p. 102, « ET » ; p. 103, « SIre » ; p. 110, « QUe » ; p. 111, « JE » ; p. 112, « JE ».
Coquilles corrigées §
Nous avons corrigé des coquilles en suivant les modifications de la seconde édition : « necessié » en « necessité » p. 8 ; « tenté » en « tentée » selon la règle d’accord, p. 24 ; pou » en « pour » p. 29 ; « ROY » en « ROY. » p. 30 ; « peril » en « peril. » p. 35 ; « Adieu » en « Adieu. » p. 44 ; « des prisons des fers » en « des prisons, des fers » p. 77 ; « vous vous esloignez » en « vous vous esloigniez » p. 79 ; « peu à peu. Ses derniers » en « peu à peu, ses derniers » p. 80 ; « corvage » en « courage » p. 89 ; « qu’on le fit venir » en « qu’on le fist venir » (subjonctif) p. 103 ; « me faire aymer, » en « me faire aymer. » p. 109.
En raison de la poursuite du dialogue avec la reine dans la scène 3 de l’acte III, nous avons corrigé la didascalie de la page 55 : « Elle s’en va » en « Il s’en va » désignant non pas la reine, mais le roi. De même, page 47, une réplique est faussement attribuée à « ARTHENICE » alors qu’il s’agit d’un dialogue entre le roi et « POLEXANDRE » à son sujet.
Dans la préface, nous avons complété la double négation « ne soit digne » probablement oublié à l’impression. En haut de la page 62, il faut lire « on » à la place de « ou » en raison du parallélisme structurant la réplique et du besoin d’un sujet pour le verbe « prend ».
Par souci d’harmonie, nous avons rajouté p. 11, l’apostrophe à « t aymer » ainsi que p. 35 à « d’Honneur ». Au contraire, p. 75, nous avons remplacé « d’oubter » par « doubter ».
Modernisation d’orthographe et de mise en page §
Les numéros de pages de la première édition sont notés entre crochets. Certaines pages non paginées sont notées [n.p. ].
Certaines pages indiquent le mot de la page suivante en bas de page : p. 16, « LE » ; p. 24, « dements. » ; p. 32, « LE » ; p. 40, « ARTHE- » ; p. 48, « LE » ; p. 56, « AME » ; p. 64, « infortunes » ; p. 72, « les » ; p. 80, « ctoire » ; p. 88, « THOMAS » ; p. 96, « luy » ; p. 105, « LE » ; p. 112, « CLORIMENE ». Ces éléments n’ont pas été conservés.
Nous avons ajouté un tiret à la place d’un espace selon la norme typographique contemporaine : p. 1, « resistez vous » ; p. 2, « sçavez vous » ; p. 3, « croyez vous » ; p. 4 « imaginez vous » ; p. 4, « Estes vous » ; p. 7, « sert il » ; p. 11, « permettez vous » ; p. 12, « luy mesme » ; p. 17, « obeïssez vous » ; p. 19, « Ostez le » ; p. 20, « resjouyssez vous » ; p. 20, « Cherchez vous » ; p. 21, « m’attaquez vous » ; p. 21, « Rendez vous » ; p. 28, « sçauriez vous » ; p. 34, « faut il » ; p. 39, « sçauriez vous » ; p. 40, « trouvez vous » ; p. 40, « elle mesme » ; p. 46, « veux je » ; p. 46, « n’est elle » ; p. 49, « elle mesme » ; p. 51, « moy mesme » ; p. 51, « voyez vous » ; p. 57, « craignez vous » ; p. 57, « croyez vous » ; p. 57, « estes vous » ; p. 58, « Obeïssez moi » ; p. 66, « permettez moy » ; p. 68, « faictes moy » ; p. 69, « sauroit on » ; p. 70, « eux mesmes » ; p. 73, « voulez vous » ; p. 73, « elles mesmes » ; p. 73, « dementiroient elles » ; p. 83, « Croyez vous » ; p. 83, « N’avez-vous » ; p. 85, « seriez vous » ; p. 86, « voulez vous » ; p. 86, « Laissez vous » ; p. 87, « attendez vous » ; p. 88, « après demain » ; p. 88, « vous mesme » ; p. 90, « vous mesme » ; p. 92, « elle mesme » ; p. 95, « permettez luy » ; p. 96, « luy mesme » ; p. 97, « fay moy » ; p. 100, « nous mesmes » ; p. 104, « n’estes vous » ; p. 106, « croyez vous » ; p. 106 « vous mesmes » ; p. 106, « voyez vous » ; p. 111, « est elle » ; p. 115, « commandiez vous » ; p. 118, « cognoissez vous ».
Nous avons également rajouté un tiret dans la locution « icy bas » aux pages 70, 73, 87 et 118. De même en ce qui concerne la locution « au dessus / dessous » aux pages 2, 24, 31 et 81. Nous avons supprimé les bandeaux au-dessus de la rubrique des « Noms des Acteurs », des actes et des scènes, ainsi que p. 98, en dessous de la réplique de Clorimène.
La notation des didascalies varie dans la pièce. Par exemple, p. 12, « Il continuë à parler » interrompt la réplique et se trouve noté en italique. Plus souvent, la didascalie suit le nom du personnage comme p. 11 : « LE ROY seul ». Ces didascalies ont été mises en italique. Par ailleurs, certaines didascalies sont dans la marge, dans une police plus petite : p. 49, « Il se leve » ; p. 55, « Elle s’en va » ; p. 60, « Arthenice demeure » ; p. 64, « Elle parle seule » ; p. 96, « Il s’en va » et « Elle s’en va ».
Remarques générales sur la ponctuation §
La ponctuation est un sujet de première importance dans l’établissement d’éditions critiques des pièces de théâtre du XVIIe siècle. Sabine Chaouche, notamment dans son article intitulé « Remarques sur le rôle de la ponctuation dans la déclamation théâtrale du XVIIe siècle187 », a tenté, à partir du corpus racinien, de la définir comme un outil de direction de la voix des comédiens. À l’inverse, Alain Riffaud s’attaque à cette conception de la ponctuation en soulignant la distance qu’il existe bien souvent entre l’imprimeur et l’auteur188, distance mettant à mal l’effectivité de la correspondance entre la déclamation et la ponctuation. L’étude approfondie du contexte de publication de Thomas Morus nous a conduit à respecter scrupuleusement la ponctuation de l’édition originale. En effet, tout porte à croire que la ponctuation obéit à un ordonnancement stricte et rigoureux fixé par l’usage le plus courant de l’époque. Ainsi, le privilège du roi date du 16 octobre 1641 et l’achevé d’imprimer du 4 janvier 1642, ce qui laisse largement assez de temps à l’établissement soigneux de la ponctuation et à la correction d’éventuelles erreurs. Et ce, d’autant plus qu’il s’agit d’une édition relativement luxueuse comme en témoignent le format in 4° et les filets en arabesques fastueux.
[n.p. ]
Noms des Acteurs. §
- HENRY huictiesme,Roy d’Angleterre.LA REYNEson Espouse, niepce de Charles Quint.ARTHENICE,appellée Anne de Boulan, Maistresse du Roy.AMELITEsa Mere.CLEONICE,parente de la Reyne.THOMAS MORUS,Chancelier.POLEXANDRE,Favory du Roy.Le Duc de Sofoc189.POLEMON.LIDAMAS,[DAMON,] Et CLEANTE, Conseillers. CLORIMENE, Fille unique de Thomas Morus. Le Capitaine des Gardes.
Privilège du Roy §
[1, A]
[n.p. ]
LOUIS par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, A nos amez et feaux Conseillers, les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et tous autres de nos Justiciers, et Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre bien amé le Sieur de la SERRE, nous a remonstré, qu’il a composé un Livre intitulé, Thomas Morus, ou le Triomphe de la Foy et de la Constance, Tragedie en Prose ; lequel il desireroit faire imprimer, s’il avoit nos Lettres sur ce necessaire, lesquelles il nous a tres-humblement supplié de luy accorder : A CES CAUSES, Nous avons permis et permettons par ces presentes audit exposant de faire imprimer, vendre et debiter ledit Livre en tous lieux de notre obeïssance, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, et en telles marges, en tels caracteres, et autant de fois que bon luy semblera, durant l’espace de cinq ans entiers et accomplis, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la première fois : Et faisons tres-expresses defences à toutes personnes de quelque qualité ou condition qu’ils soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre ny debiter en aucun lieu de nostre obeïssance ledit Livre, ou partie d’iceluy, sous pretexte d’augmentation, correction, changement de tiltre, ou autrement, en quelque sorte et maniere que ce soit, à peine de quinze cens livres d’amende, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hostel Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’Exposant, ou au Libraire qu’il aura choisi, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests : à condition qu’il sera mis deux exemplaires dudit Livre en notre Bibliotheque publique, et une en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier, Chevalier Chancelier de France, avant que de l’exposer à la vente, à peine de nullité des presentes : Du contenu desquelles nous vous mandons que vous fassiez joüir plainement et paisiblement ledit Exposant, ou ceux qui auront droict de luy, sans qu’il leur soit donné aucun empeschement. Voulons aussi qu’en mettant commencement ou à la fin dudit Livre un extrait des presentes, elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoutée, et aux copies collationnées par l’un de nos amez et féaux Conseillers et Secretaires, comme à l’Original. Mandons aussi au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’execution des presentes tous Exploits necessaires, sans demander autre permission. CAR tel est notre plaisir nonobstant Clameur de Haro, Charte Normande et autres Lettres à ce contraires. DONNE’ à Paris le 26e jour d’Octobre, l’an de Grâce 1641. Et de notre Regne le 32. Par le Roy en son Conseil, Signé, CONRART.
Les Exemplaires ont esté fournis, ainsi qu’il est porté par le Privilege.
Et ledit sieur de la Serre a cedé et transporté les droits de son Privilege à Augustin Courbé Marchand Libraire, ainsi qu’il est porté par l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 4. jour de Janvier 1642.
A
MADAME
LA DUCHESSE
D’ESGUILLON190.
MADAME, §
J’ay si fort épuré cét Ouvrage, avant que vous le presenter, que vous n’y trouverez rien
de profane191. C’est une Histoire où la Constance et la Foy triomphent
également ; et si la tyrannie d’un Prince amoureux la rend [n.p. ] toute funeste, vous n’y
verrez que des Martyrs. Mais je suis fort aise qu’elle me serve d’occasion à faire voir au
Public, que je sçay subir avec toute sorte de respect la Loy de ses Oracles, lorsqu’ils
publient par toute la Terre, que vous en estes un des plus riches ornemens. Il est vray,
Madame, que la Renommée m’a appris, qu’encore que la Fortune vous ait fait present de
toutes ses faveurs, elle ne vous a rien donné qui ne soit192
digne de vostre merite ; comme estant eslevé à une si haute estime parmy celles de vostre
Sexe, que les plus ambitieuses d’honneur* n’aspirent qu’à
celuy de vous pouvoir imiter, pour se rendre accomplies en toutes choses : Et comme cette
gloire que vous possedez ne réjalit à plein sur vous que par le mépris que vous en
faites ; Vostre humilité aujourd’huy est le plus superbe193 de vos titres, puis qu’elle vous fait regner
absolument dans les cœurs, où la Puissance et la Tyrannie n’ont jamais pû establir leur
Em- [n.p. ] pire194. Que la Nature* ait rendu
illustre vostre berçeau, c’est un avantage que beaucoup d’autres peuvent partager avec
vous ; Mais que le Ciel vous ait fait naistre en Terre, pour y estre un continuel objet
d’admiration* à tout le monde, fors qu’à vous seule ;
c’est une grace si particuliere, qu’elle ne vous est commune qu’avec le Soleil195. En
effet, Madame, quand je considére que vostre Grandeur et vostre Beauté, que vostre Esprit
et vostre Vertu* cherchent inutilement leur exemple ; et que
dans ce comble d’honneur* et de felicité où je vous voy
eslevée, vous vous rabaissez jusques au point d’estre insensible, et à l’un et à l’autre,
comme si vous ne sçaviez pas encore qui vous estes ; Je ne m’estonne pas si les termes me
manquent pour vous loüer dignement, puis que cette sorte de Perfection est plus Divine que
mortelle. Voila les veritez, Madame, que j’ay apprises en divers lieux, et en diverses
sortes de lan- [n.p. ] gues, sans avoir l’honneur d’estre connu de vous196 ; Et comme cette voix
publique remplit tout, de mesme que l’air qui l’anime, je ne suis que l’Echo de son
raisonnement. Ce qui m’oblige de dire encore après elle, que je dois estre toute ma vie,
MADAME,
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant serviteur,
PUGET DE LA
SERRE.
THOMAS MORUS,
OU
LE TRIOMPHE DE LA FOY,
ET DE LA CONSTANCE,
TRAGEDIE.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
LE DUC DE SOFOC.
Monsieur, pourquoy resistez-vous aux volontez du Roy ?
THOMAS MORUS.
Je ne sçaurois estre complaisant à son crime : Il {p. 2} veut repudier la Reyne sans suject : Il veut changer de Religion, pour authoriser d’un pouvoir absolu* ses secondes Nopces197; et je donneray des loüanges à ses pernicieux desseins ? Non, non, Monsieur, je n’ay pas assez de lâcheté, pour appuyer de mes conseils une si funeste entreprise.
LE DUC.
On ne raisonne jamais avec son Souverain.
THOMAS MORUS.
A quoy nous sert donc la Raison* ?
LE DUC.
A luy obeyr, quand il commande.
THOMAS MORUS.
Encore que je sois né son suject, je ne veux pas mourir son esclave : Si j’ay une vie à perdre, j’ay une Ame à sauver.
LE DUC.
Ne sçavez-vous pas que celuy qui fait les Loix, est au-dessus d’elles ?
THOMAS MORUS.
Je sçais bien que les hommes qui font les Loix les peuvent violer quand il leur plaist : mais cel- [A ij, 3]les de nostre Religion Chrestienne et Catholique ne sont pas de leur institution. Dieu les a escrittes de son sang et de sa main198 ; celle de sa Majesté n’a pas le pouvoir d’en effacer les characteres*.
LE DUC.
Les Sages du siecle n’ont point d’autre modelle en toutes leurs actions que celuy de leurs Princes199 ; ils suivent aveuglément leurs sentiments, sans murmurer, et sans se plaindre.
THOMAS MORUS.
La Sagesse du monde* est une Folie devant Dieu200 : je ne suis point aveugle, pour suivre aveuglément les volontez du Roy : Les maximes201 de ma conscience me seront tousjours plus considerables que celles de l’Estat.
LE DUC.
Ce sont des discours d’un mauvais Politique*.
THOMAS MORUS.
Ce sont des raisons d’un bon Chrestien.
LE DUC.
Croyez-vous resister tout seul à une Puissance absoluë* ?
THOMAS MORUS. {p. 4}
Vous imaginez-vous que tout le monde ensemble me puisse faire changer de Foy ?
THOMAS MORUS.
Le tonnerre se fait ouyr, quand la Tyrannie veut regner.
LE DUC.
La cholere des Roys est aussi redoutable que la foudre du Ciel.
THOMAS MORUS.
Je ne crains ny l’une ny l’autre dans mon innocence*.
LE DUC.
Estes-vous innocent* de desobeyr à vostre Prince ?
THOMAS MORUS.
Ouy, puis que mon obeïssance seule me peut rendre criminel.
LE DUC. {p. 5, A iij}
N’est-ce pas le devoir de vostre charge d’authoriser ce que le Roy desire203 ?
THOMAS MORUS.
Mon serment ne m’oblige d’approuver que ce qui est juste et raisonnable.
LE DUC.
Le Roy ne vous a donc faict son Chancelier que pour luy contredire.
THOMAS MORUS.
Sa Majesté m’a mis une partie de son authorité entre les mains, pour en user comme je doy.
LE DUC.
Je n’eusse jamais cru qu’un homme de vostre aage eût raisonné si mal.
THOMAS MORUS.
Je n’eusse jamais cru qu’une personne de vostre condition m’eût tenu ce langage.
LE DUC.
Je vous ay dit la Verité.
THOMAS MORUS.
Je vous ay faict connoistre la Raison*.
THOMAS MORUS.
Je la considere tousjours du costé droit204.
LE DUC.
C’est vostre opinion.
THOMAS MORUS.
Ce sera celle des plus sages.
LE DUC.
Châcun abonde en son sens.
THOMAS MORUS.
Le mien ne me sçauroit tromper dans le chemin que je tiens : bon soir Monsieur205.
LE DUC
Le Roy n’en est pas là où il pense : ce vieux Politique* en s’opposant à ses desseins, en retardera le succez : mais si sa Majesté suit mon conseil, elle jettera de nouveaux fondements de son authorité sur les cendres de ce Rebelle206. Elle a beau chercher son contentement ; elle ne le trou- {p. 7}vera jamais que dans le tombeau de ce Chancelier.
SCENE II. §
LA REYNE.
Chere Cousine, as-tu jamais veu une Princesse plus mal-heureuse que moy ? Que me sert-il de commander à un nombre infini de sujets, si le plus miserable* de tous est encore assez heureux pour me donner de l’envie ? La gloire de mon berceau207, et la grandeur de ma Fortune, ne me servent qu’à mesurer la profondeur des abysmes, où je seray bientôt precipitée. Le Roy me hayt avec excez, parce que je l’ayme extremement ; et apres m’avoir osté son cœur, il l’a donné à une autre, avec cette esperance de porter bien-tost la qualité de Reyne208. Mais quoy que son mépris me poursuive jusques à la mort, ma douleur sera tous-jours muette ; puis que son silence accourcira mes jours, sans troubler le repos des siens209.
CLEONICE.
Il n’y a point d’apparence, Madame, que le Roy {p. 8} se porte à une extremité où il y va de son honneur*, aussi bien que de vostre dommage.
LA REYNE.
Dequoy n’est point capable un Amoureux, durant le Regne de sa Passion, quand elle est accompagnée d’une Puissance absoluë* ! Tu ne le cognois pas : le feu qui le devore est son seul Element210 : il prevoit son mal-heur : il recognoit sa faute : mais son mal-heur luy plaist aussi bien que son crime ; et tous les deux ensemble preparent mon Tombeau211.
CLEONICE.
Voudroit-il se servir de son pouvoir absolu*, pour se ruyner soy-mesme ?
LA REYNE.
De l’humeur* qu’il est, tout luy est indifferent, pourveu qu’il se contente : ses passions regnent esgalement avec luy : si le mal-heur qui panche sur sa teste n’y tombe à mesme temps, il n’en craint plus le coup, et se mocque de la menace212.
CLEONICE.
Quand il auroit le dessein de repudier Vostre Majesté sa puissance ne s’estend pas jusques là : il faut de necessité qu’il consulte l’Oracle de l’Eglise213.
LA REYNE. {p. 9, B}
Il l’a desja fait par compliment214 ; mais au reffus de le contenter, il se dispensera luy-mesme215 : ses volontez sont ses raisons.
CLEONICE.
Il changera donc de Religion ?
LA REYNE.
Il n’aura pas beaucoup de peine, s’il ne recognoit maintenant autre Dieu, que l’Amour.
CLEONICE.
Le Ciel ne laissera pas ses crimes impunis.
LA REYNE.
Tu m’affliges, au lieu de me consoler, chere Cousine, en me tenant ce discours : ne sçays-tu pas que dans la condition où je suis, je dois partager avec luy toutes ses peines216 ?
CLEONICE.
Je sçais bien, Madame, que Vostre Majesté l’ayme unicquement217, et par devoir, et par inclination ; mais la prevoyance que j’ai de son mal-heur me fait parler de la sorte.
LA REYNE. {p. 10}
Il a beau estre coupable devant Dieu ; il ne le sçauroit estre dans mon Ame, puis qu’il possede mon Cœur.
CLEONICE.
Que cette passion est loüable, Madame, en Vostre Majesté ! Je souhaiterois que le Roy en cogneust et la verité, et le merite.
LA REYNE.
Cette cognoissance me seroit inutile dans l’aveuglement où il est. Arthenice le tient enchainé avec des liens si forts, que la Mort seule les peut rompre218.
CLEONICE.
Veritablement, Madame, Vostre Majesté a besoin de toute sa constance, pour souffrir sans murmurer un si sensible desplaisir.
LA REYNE.
Ma constance seroit bien foible, si le Ciel ne l’appuyoit : nous ne pouvons de nous mesme que soupirer, et que nous plaindre ; c’est à luy seul à nous consoler. Mais, Seigneur219, si tes decrets eternels m’ont destinée aux tourmens dont mes pe- {p. 11, B ij}chez et ta Justice me menacent, aprends, aprends moy à t’aymer, afin que cet amour m’aprenne à souffrir ; en me faisant Reyne de cét Empire, tu m’as donné les Roses en partage : mais je suis fort aise que mes mal-heurs les ayent fait flestrir sur ma teste, et que les épines m’en demeurent ; puis que tu en as esté couronné ; ton exemple me servira de consolation.
SCENE III. §
LE ROY
Que je suis inquieté dans mes grandeurs ! Que je suis mal-heureux parmi les felicitez de ma condition souveraine ! Je veux que* l’esclat de ma Couronne me fasse aymer de mes subjets, craindre de mes Ennemys, et envier de tous les autres Roys de la terre ; toutes ces marques de pouvoir me reprochent honteusement ma foiblesse, puisqu’un Enfant220 me faict la loy. O Destins trop absolus* pour ma ruine, pourquoy permettez-vous qu’Amour allume dans mon ame un feu qui ne se peut esteindre qu’avec la derniere goutte de mon sang ? Je sçay bien qu’Arthenice est née ma sujette ; mais vous luy avez {p. 12} donné en naissant de certains charmes qui m’ont assujetty moy-mesme ; de sorte qu’au lieu d’attendre un hommage de son devoir, je suis contraint de luy rendre celuy de mon obeïssance. Elle veut porter avec mon Espouse la qualité de Reyne, comme si les Sceptres et les Couronnes se pouvoient partager : leur authorité est un sujet de jalousie, dont la foiblesse se communique aux Esprits les plus forts. Elle peut bien regner dans mon cœur, mais non pas dans mes Estats : le Ciel me tient enchaisné avec des liens que luy-mesme ne sçauroit rompre. Si* veux-je pourtant employer les derniers efforts de mon industrie221, pour soulager mon mal, si je ne puis le guerir. Damon, Cleante, qu’on fasse venir Arthenice.
Ha ! Que le Sceptre me sied mal en presence de cette Souveraine ! Arthenice, ces soupirs vous appellent à mon secours ; je meurs de vostre amour : consolez-moi d’une parole.
{p. 13, B iij}SCENE IV. §
ARTHENICE.
Sire, je ne puis donner que des larmes à ces soupirs, dans la condition où je me treuve.
LE ROY.
Vos larmes me bruslent aussi bien que vos regards, comme procedans d’une mesme source de flamme.
ARTHENICE.
Si mon absence peut soulager Vostre Majesté je me priveray de l’honneur* de la voir.
LE ROY.
À quoy me serviroit vostre absence, après vous avoir veue ? la main qui m’a blessé s’esloigneroit de moy ; et le traict qu’elle m’a lancé demeureroit dans mon cœur. Jugez si mon ame en seroit soulagée.
ARTHENICE.
Le Temps, ou la Raison* gueriront Vostre Majesté.
ARTHENICE.
Il faut donc que Vostre Majesté se guerisse elle-mesme.
LE ROY.
Comment puis-je me guerir, si vous estes mon unique remede ?
ARTHENICE.
Si ma mort peut soulager Vostre Majesté elle sera bien-tost satisfaicte.
LE ROY.
Je ne sçaurois vous perdre, et me conserver ; mais si je ne puis estre l’objet de vostre amour, que je sois celuy de vostre compassion.
ARTHENICE.
Si j’ay de la compassion, ce ne sera que pour moy-mesme.
LE ROY.
J’adore vostre vertu*. Mais pourroit-elle souffrir que je fûsse sa Victime ?
ARTHENICE. {p. 15}
J’admire* vostre bonté ; mais voudroit-elle consentir au Sacrifice de mon honneur* ?
LE ROY.
Que pouvez-vous craindre ?
ARTHENICE.
Que dois-je esperer ?
LE ROY.
Toutes sortes de felicitez223 en me possedant.
ARTHENICE.
Et puis-je posseder Vostre Majesté si elle s’est donnée à un autre ?
LE ROY.
N’estes-vous pas contente de Regner absolument ?
ARTHENICE.
Ce Regne ne peut estre absolu*, n’ayant ny Sceptre, ny Couronne.
LE ROY.
Je vous offre tous les deux.
ARTHENICE. {p. 16}
Qu’en ferois-je, sans la qualité de Reyne ?
LE ROY.
Vous la serez tousjours de mes volontez.
ARTHENICE.
Je ne desire point un bien qui soit sujet au change.
LE ROY.
Doutez-vous de ma fidelité ?
ARTHENICE.
Il faut bien que j’en doute, si je suis l’objet de vostre inconstance.
LE ROY.
Mon Destin me donne à vous pour une Eternité.
ARTHENICE.
Et le mien ne me permet pas d’agréer l’honneur* de ce don, si le Ciel ne l’authorise.
LE ROY.
Peut-il destruire ce qu’il a faict224 ?
ARTHENICE.
Dois-je courre225 aveuglément à ma perte ?
LE ROY. {p. 17, C}
Est-ce vous perdre que de vous jetter entre mes bras ?
ARTHENICE.
Ouy, puis que ma reputation y trouveroit son escueil226.
LE ROY.
Je ne sçaurois repudier mon Espouse.
ARTHENICE.
Je ne veux pas me couvrir d’Infamie.
LE ROY.
Il n’y a point de honte d’estre maistresse d’un Roy.
ARTHENICE.
Je me contente d’estre sa subjette.
LE ROY.
Si vous l’estes, que ne luy obeïssez-vous ?
ARTHENICE.
Mon honneur* ne releve pas de son Empire.
LE ROY.
Je vous demande Grace aussi plustost que Justice227.
ARTHENICE. {p. 18}
Je n’ay point de faveur à donner de ce prix là.
LE ROY.
Esteignez donc le feu dont vos yeux ont embrasé mon ame.
ARTHENICE.
Si je croyois que mes yeux fussent coupables de ce crime, je les condamnerois à pleurer eternellement.
LE ROY.
Vous estes trop juste, pour punir leur innocence* : la Nature* leur a apris tout le mal qu’ils ont fait.
ARTHENICE.
Ils sont assez coupables, si Vostre Majesté s’en plaint.
LE ROY.
Je ne me plains que de vostre rigueur.
ARTHENICE.
Vos plaintes seront donc eternelles.
LE ROY.
Il faut advouer que vostre Beauté et vostre Ver- {p. 19, C ij}tu sont esgalement admirables* : mais si l’une me commande de vous aymer, l’autre me le deffend : à qui dois-je obeyr ?
ARTHENICE.
À la Raison*.
LE ROY.
Je ne la cognoy plus.
ARTHENICE.
Quittez vostre bandeau228.
LE ROY.
Ostez-le moy vous-mesme !
ARTHENICE.
J’y fay ce que je puis.
LE ROY.
Vostre faiblesse me plaist, et la mienne me console.
ARTHENICE.
Quelle consolation peut trouver Vostre Majesté dans un mal qui n’a point de remede ?
LE ROY.
Pourquoy m’ostez-vous l’Esperance ?
ARTHENICE. {p. 20}
Comment puis-je vous l’oster, si je ne vous l’ay jamais donnée ?
LE ROY.
Vous avez trop de raisons contre un Amant.
ARTHENICE.
Et Vostre Majesté me pardonnera, si je luy dis qu’elle a trop d’artifices229 contre une Fille230.
LE ROY.
Je prie.
ARTHENICE.
Je refuse.
LE ROY.
C’est mon inquietude231.
ARTHENICE.
C’est mon Repos.
LE ROY.
Vous resjouyssez-vous de ma douleur ?
ARTHENICE.
Cherchez-vous vostre satisfaction dans ma perte ?
LE ROY. {p. 21, C iij}
Ha ! Arthenice, pourquoy me resistez-vous avec tant d’effort ?
ARTHENICE.
Ha ! Sire, pourquoy m’attaquez-vous avec tant de violence ?
LE ROY.
C’est mon Amour qui vous poursuit.
ARTHENICE.
C’est mon honneur* qui se deffend.
LE ROY.
Escoutez mes pleintes.
ARTHENICE.
Voyez mes larmes.
LE ROY.
Rendez-vous à la Raison*.
ARTHENICE.
C’est elle seule qui vous resiste.
LE ROY. {p. 22}
C’est plustost vostre cruauté.
ARTHENICE.
Vous m’appelez cruelle, parce que je suis vertueuse.
LE ROY.
Je vous appelle insensible, parce que vous estes inexorable232.
ARTHENICE.
Je suis cruelle, insensible, et inexorable, puis que Vostre Majesté le veut : mais qu’elle considere que si je ne l’estois, son amour se changeroit bien tost en hayne.
LE ROY
À quoy me puis-je resoudre dans le miserable estat où je suis reduit ? Prefereray-je mon contentement à ma gloire ? Establiray-je mon repos sur les ruynes de ma reputation233 ? Si je repudie mon Espouse, je somme mes sujects à la revolte : si je change de Religion, je crie vengeance au Ciel contre moy-mesme234. Mais quoy ? le feu qui me devore est aussi redoutable que ce- {p. 23} luy de ses foudres. Dans le desespoir de ma guerison, il faut de necessité* que je hazarde ma vie pour la sauver : on ne doit jamais chercher de remede aux maux qui n’en ont point.
Fin du premier Acte
.
{p. 24}ACTE II §
SCENE PREMIERE. §
AMELITE.
Arthenice, que vous a dit le Roy ?
ARTHENICE.
Il ne m’a parlé que de son Amour, Madame, et du dessein qu’il a de me choisir pour sa maistresse. Mais je luy ay tesmoigné que l’estant desja de mon Ambition235, il ne me pouvoit faire rien esperer qui ne fût au-dessous de ma Fortune.
AMELITE.
Il vous a promis sans doute de vous faire la plus grande du monde.
ARTHENICE.
Ses promesses ne m’ont point tentée : je mesprises les grandeurs, si la Justice n’en jette les fon- {p. 25, D} dements. Il n’en veut qu’à mon honneur* : mais je luy feray cognoistre que ma Vertu* sçait donner des limites à une puissance absoluë*.
AMELITE.
J’approuve vos actions : je loüe vos desseins ; mais il faut moderer vos rigueurs, si vous voulez qu’il y ayt de l’excez236 en vostre Fortune.
ARTHENICE.
La Fortune ne me sçauroit rien donner aujourd’huy, qu’elle ne me puisse oster demain237. Que voulez-vous que je fasse de ses faveurs, Madame, si mesme en les possedant je n’oseray pas dire qu’elles m’appartiennent ?
AMELITE.
Il se faut tousjours servir en passant des biens qu’elle nous donne, puis que nous ne faisons aussi que passer2382394. Les presents d’un Sceptre et d’une Couronne ne sont pas à refuser.
ARTHENICE.
C’est un petit avantage de recevoir un grand present d’un Aveugle ; et puis, quel droit ay-je de pretendre à la Couronne ? Croyez-vous que ma Beauté passe pour tiltre ?
AMELITE. {p. 26}
La Beauté fait des Esclaves par tout ; et si le Roy est de ce nombre, il vous rendra la plus heureuse de son Royaume.
ARTHENICE.
Ma felicité ne consiste qu’à conserver mon honneur* : tout le reste m’est indifferent.
ARTHENICE.
Que dois-je faire ?
AMELITE.
Tout ce qui vous sera possible, pour mesnager discrettement241la bonne volonté que le Roy tesmoigne avoir pour vous.
ARTHENICE.
Ma discretion ne me donnera point de moyens legitimes pour y reüssir.
AMELITE.
Vostre beauté parachevera ce que vostre pru- {p. 27, D ij} dence aura commencé.
ARTHENICE.
Quelle confiance puis-je avoir en ma beauté, si elle prend congé de moy à toute heure ?
AMELITE.
Encore qu’elle vous die Adieu à tous moments, elle vous peut faire Reyne avant que vous quitter.
ARTHENICE.
Si je ne reçoy la Couronne que de ma Beauté, ce sera une Couronne de fleurs, qui se flestriront avec elle.
AMELITE.
Il vaut mieux commander qu’obeyr.
ARTHENICE.
L’obeyssance n’est point honteuse, quand elle est necessaire.
AMELITE.
Elle est tousjours insupportable à une personne de condition.
AMELITE.
L’occasion de Regner ne s’offre pas tousjours, Arthenice.
ARTHENICE.
Je regne desja sur mes passions, Madame.
AMELITE.
Quand vous joindriez à la Couronne de vos Vertus* celle de ce Royaume, vous en seriez mieux parée : le Roy vous peut faire Reyne quand il voudra.
ARTHENICE.
Sa puissance ne s’estend pas si loin que ses desirs ; et quand il auroit ce dessein, je n’ay pas cette pensée.
AMELITE.
Si après avoir repudié la Reyne, il vous espouse, que sçauriez-vous souhaitter ?
ARTHENICE.
Et si en m’espousant il ne me donne qu’une Foy violée, que ne dois-je pas craindre ?
AMELITE. {p. 29, D iij}
Il faut hazarder242 quelque chose pour estre Reyne.
ARTHENICE.
On ne met jamais au hazard ce qu’on ne peut perdre qu’une fois243.
AMELITE.
Le Temps vous fera changer de langage ; allons faire une visite dans le Palais.
ARTHENICE.
Je vous suivray Madame.
SCENE II. §
LE ROY.
Tes conseils sont ennemis de mon repos : dois-je refuser à moy-mesme le secours de mon pouvoir absolu* dans le miserable estat où je me treuve ?
POLEXANDRE. {p. 30}
Un Roy passe pour Tyran, quand il rend ses passions aussi absoluës* que sa Puissance.
LE ROY.
La Tyrannie et la cruauté sont les seules armes dont je me puis servir, pour vaincre mon mal-heur, et soulager mes peines.
POLEXANDRE.
Quel soulagement peut trouver Vostre Majesté dans les ruynes de son honneur* ?
POLEXANDRE.
L’un et l’autre en cette rencontre courent un mesme peril.
LE ROY.
Que me peut-il arriver de plus insupportable que les tourments que j’endure ?
POLEXANDRE.
Les reproches d’une vie honteuse sont beaucoup plus sensibles.
LE ROY. {p. 31}
Ne sçais-tu pas que les traicts de la Calomnie tombent vainement aux pieds des Roys, tandis qu’ils portent la Couronne sur la teste ?
POLEXANDRE.
Je sçay bien que leurs Majestés sont tellement eslevées au-dessus du commun, que les coups de la medisance ne les peuvent atteindre. Mais quelques245 puissantes qu’elles soient sur la terre, elles ne sçauroient trouver un abri dans leurs crimes contre les foudres du Ciel246.
LE ROY.
Si le Ciel punissoit tous les crimes d’Amour, il auroit bien-tost depeuplé le monde par sa Justice.
POLEXANDRE.
Peut-il faire grace à ceux qui veulent reduire en cendre ses Autels247 ?
LE ROY.
Si je ne les destruis, j’en seray la Victime.
POLEXANDRE.
Mais en les destruisant Vostre Majesté en eri- {p. 32} ge un tout nouveau, et à sa honte et à sa confusion*.
LE ROY.
Que puis-je apprehender ?
POLEXANDRE.
Toutes choses.
LE ROY.
Quels sont mes Ennemis ?
POLEXANDRE.
Vos Subjects.
LE ROY.
Qui tiendra leur party ?
POLEXANDRE.
La Raison*.
LE ROY.
La Raison*, mes Sujets, et toutes les choses du monde, ne sçauroient retarder d’un moment mes entreprises : je suis tout-puissant, quand il me plaist.
POLEXANDRE.
Arthenice est donc vaincuë ?
LE ROY. {p. 33, E}
Je puis tout, Polexandre, fors que flechir cette Inhumaine.
POLEXANDRE.
Ha ! Sire, deschirez le bandeau qui vous aveugle248.
LE ROY.
Veux-tu que je m’arrache les yeux, pour recouvrer la veuë ? Il faut necessairement que je meure, ou de regret, ou d’Amour.
POLEXANDRE.
Un Roy a de puissans appas, pour tenter les plus chastes.
LE ROY.
Tu ne la cognois point : son Esprit esgale sa Beauté ; et pour mon malheur sa Vertu* est mille fois plus adorable encore.
POLEXANDRE.
Il n’est point de vertu* à l’espreuve d’une longue perseverance. Que Vostre Majesté me permette de luy parler : je la mettray à la raison249, si elle en a tant soit peu.
LE ROY.
Si tu l’attaques par raison, je ne gaigneray ja- {p. 34}mais ma cause, puisque la Justice est pour elle.
POLEXANDRE.
La Justice est aveugle, aussi bien que l’Amour ; et si sa Balance ne pese vos interests vostre Sceptre est plus redoutable que son Espée.
LE ROY.
Je sçay bien que tu perdras ton temps : mais ton zele soulagera mes peines.
POLEXANDRE
Que je serois heureux, si par les charmes de mes discours je pouvois calmer l’orage qui me vient accueillir ! Mais il faudroit que ma langue eust autant de Vertu* que le Trident de Neptune. J’entreprends d’amolir un Rocher, et d’enflammer d’Amour une Ame de glace250. N’est-ce pas un dessein dont la temerité prepare mon suplice ? Si* faut-il franchir cette carriere* : mon credit, ou mon zele, m’en feront eviter le peril.
{p. 35}SCENE III. §
ARTHENICE
Que je suis mal heureuse dans la condition où je me treuve ! Faut-il que le Roy m’ayme avec passion, et que cet Amour me soit un sujet de hayne ? Faut-il qu’il m’estime particulierement, pour me faire mespriser de tout le monde ? Il me donne la qualité de sa Maistresse251, afin de m’oster celle de Fille d’honneur252 : Il adore ma beauté, pour sacrifier ma reputation. Ne dois-je pas appeller cruauté son Amour, et prendre son estime pour une marque d’infamie ? Je soupire ; mais c’est apres ma perte : il fait le passionné, mais c’est de ma ruyne. Je veux que* ses desseins soient innocens* ; les apparences en sont si criminelles, que j’en rougy de honte, comme si j’estois desja coupable. Je n’ay que faire de son Empire : celuy que j’ay acquis sur mes passions est beaucoup plus glorieux : je mesprise sa Couronne : celle de ma Vertu* est à l’espreuve du Temps. Qu’il garde ses tresors : mon honneur* me rend assez riche. Resistons, resistons donc, mon Ame, tout à la fois, et contre l’Amour, et contre la Fortu- [E ij, 36]ne : servons-nous des chaines de l’un, pour l’attacher à la Rouë de l’autre ; et triomphant de tous deux ensemble, faisons voir à toute la terre, qu’une Sujette a donné la loy à son Souverain.
SCENE IV. §
POLEXANDRE.
Madame, je viens me resjouïr avec vous de ce que le Roy vous a choisie pour sa Maistresse.
ARTHENICE.
Monsieur, je ne pretends point cette qualité : mon Ambition a de plus justes visées.
POLEXANDRE.
Je veux croire que vous n’avez jamais desiré cét honneur*, quoy que vous le meritiez. Mais puis que la Fortune vous le presente, vous avez l’esprit trop bon pour le refuser.
ARTHENICE.
Je ne remercieray jamais la Fortune de cette sorte de presens.
POLEXANDRE. {p. 37, Eiij}
Ne seriez-vous pas heureuse de posseder les bonnes graces du plus grand Monarque du monde ?
ARTHENICE.
Mon honneur* n’est point à vendre, pour achepter un bien si cher.
POLEXANDRE.
Ce n’est pas interesser vostre honneur*, que de le mettre à l’abry d’un Sceptre et d’une Couronne.
ARTHENICE.
Non, pourveu que je porte ce Sceptre à la main, et cette Couronne sur la teste.
POLEXANDRE.
Ne vous suffit-il pas de Regner ?
ARTHENICE.
Est-ce Regner que d’estre Esclave ?
POLEXANDRE.
Est-ce estre Esclave que de commander à un Souverain ?
ARTHENICE.
J’aime mieux obeyr à la Raison*.
POLEXANDRE. {p. 38}
La Raison* veut aussi que vous ne refusiez pas le present que le Roy vous faict de son cœur.
ARTHENICE.
Son cœur n’est plus à luy : une autre le possede.
POLEXANDRE.
Que vous importe cela, puis qu’il ne soûpire que pour vous ?
ARTHENICE.
Mon Ambition ne se repaist pas de vent.
POLEXANDRE.
Le Roy ne peut vous espouser, pource que la Reyne vit encore.
ARTHENICE.
Et je ne sçaurois l’aymer, pource que mon honneur* me le deffend.
POLEXANDRE.
Voulez-vous qu’il perde ses Estats pour vous contenter ?
ARTHENICE. {p. 39}
Voulez-vous que je ruyne ma reputation pour le satisfaire ?
POLEXANDRE.
Vous estes bien delicate, de refuser un Roy pour Serviteur.
ARTHENICE.
Je serois bien plus fole encore, si je l’acceptois pour Maistre.
POLEXANDRE.
Quel plus grand advantage sçauriez-vous souhaitter ?
POLEXANDRE. {p. 40}
La condition de sa Maistresse est fort honorable.
ARTHENICE.
Celle de Fille de bien l’est encore plus.
POLEXANDRE.
Si vous ne l’estiez le Roy ne vous aymeroit point.
ARTHENICE.
J’en veux conserver aussi la qualité, pour me rendre plus digne de ses bonnes graces.
POLEXANDRE.
Vostre Beauté suffit, pour faire vostre Fortune.
ARTHENICE.
Ma Fortune est faicte, puisque je suis contente254.
POLEXANDRE.
Où trouvez-vous du sentiment, hors de la condition souveraine qu’on vous presente ?
ARTHENICE. {p. 41, F}
Je ne veux estre absoluë* que sur mes passions.
POLEXANDRE.
La Vertu* n’est point ennemie de la Fortune.
ARTHENICE.
Celle qu’on me presente ne peut compatir avec mon honneur*.
ARTHENICE.
La Fortune de la Cour n’est qu’un Fantosme256.
ARTHENICE.
Dictes plutost que c’est l’Autel où le plus souvent ils servent de Victimes.
ARTHENICE.
Ils n’ont pas moins de soucis et d’espines.
POLEXANDRE.
Vous estes d’humeur* aujourd’huy à mespriser les grandeurs.
ARTHENICE.
Je suis tousjours d’humeur* à ne me laisser point tenter à leurs vaines apparences.
POLEXANDRE.
Je vous trouve bien farouche258.
ARTHENICE.
Je vous trouve bien hardy.
POLEXANDRE.
Je ne suis hardy que pour vostre interest.
ARTHENICE.
Je ne suis farouche que pour luy-mesme.
POLEXANDRE.
Vostre Beauté se passera, Arthenice.
ARTHENICE.
Ma reputation durera tousjours, Polexandre.
POLEXANDRE. {p. 43, F ij}
Une fille a beau estre vertueuse ; tout le monde la fuit, quand la Pauvreté l’accompagne.
ARTHENICE.
Une fille a beau estre riche, tout le monde la mesprise, quand la Vertu* l’abandonne.
POLEXANDRE.
Serez-vous tousjours de cette humeur* ?
ARTHENICE.
Me parlerez-vous tousjours de la sorte ?
POLEXANDRE.
Je vous parle avec franchise.
ARTHENICE.
Je vous respons avec raison*.
POLEXANDRE.
Est-ce vostre derniere volonté ?
ARTHENICE.
Je ne suis point capable d’en avoir d’autre.
POLEXANDRE.
Que deviendra le Roy ?
POLEXANDRE.
Que voulez-vous que je luy die ?
ARTHENICE.
Ce que vous voudrez.
POLEXANDRE.
Que doit-il esperer de ses poursuittes ?
ARTHENICE.
Rien.
POLEXANDRE.
Encore un mot.
ARTHENICE.
Adieu.
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
POLEXANDRE
O que la conqueste de cette Beauté coustera de soûpirs et de larmes ! Je prevoy que le feu de ses yeux reduira en cendre cét Empire260 ; que ses traicts blesseront à mort mille cœurs innocens* ; et que ses charmes tous funestes, seront autant d’escueils à ceux qui auront le courage* de resister à sa Tyrannie. O Ciel, juste Ciel ! Il n’appartient qu’à toy de donner de courtes limites à sa puissance, puis qu’elle menace de ruyne tes Autels. Allume donc tes flames vengeresses, pour esteindre les siennes impudiques, si tu en veux eviter l’embrasemen261. Mais quelle response feray-je au Roy ? j’aprehende son abord, et beaucoup plus encore ses reproches. Toutes-fois mon estonnement262 et mon silence donnant quelque sorte de complaisance à sa passion, il se satisfaira luy- [F iij, 46] mesme, et sera ravy263 de sçavoir que mes persuasions ont esté inutiles, dans un dessein où il croit reussir par la seule force de son Amour : le voicy venir.
SCENE II. §
LE ROY.
Et bien, Polexandre, n’est-elle pas inexorable ? parle hardiment : mais pourquoy veux-je te faire parler, si ton silence exprime desja tout ce que tu as à me dire ? Il ne fut jamais de rigueur pareille à la sienne : mais comme sa Vertu* esgale sa Cruauté ; toutes les fois que je m’en plains, mon visage rougit de honte, pour me faire porter la peine* de l’Injustice que je commets. Qu’est-ce donc qu’elle t’a dit ?
POLEXANDRE.
Rien du tout ; sa Vertu* m’a tousjours respondu pour elle.
LE ROY.
Tu m’en apprends assez en peu de mots : la {p. 47} crainte me saisit : l’esperance m’abandonne : à qui doy-je avoir recours ?
POLEXANDRE.
A vostre Puissance264.
LE ROY.
Que puis-je dans mon aveuglement ?
POLEXANDRE.
Prendre par force ce que la raison* vous refuse.
LE ROY.
L’amour m’en oste le courage*.
POLEXANDRE.
Il suffit qu’il vous en donne le desir.
LE ROY.
J’en aymerois mieux l’esperance.
POLEXANDRE.
Et vostre authorité vous en peut donner la possession.
LE ROY.
Dés que l’Amour me banda les yeux, il m’arracha la Couronne de la teste ; et du mesme coup qu’il blessa mon cœur, il me feit tomber le Sce- {p. 48} ptre des mains. Je ne regne plus, Polexandre, Arthenice occupe ma place : je suis sujet aussi bien que toy.
POLEXANDRE.
Je veux* qu’elle ayt des qualitez dignes d’un Empire mais : avant que Vostre Majesté change son Amour en Idolatrie, qu’elle considere que c’est une Idole* qui luy demande desja en Sacrifice son honneur*, sa Femme, ses Enfans et un nombre infini de Sujects, dont la fidelité n’aura jamais d’exemple.
LE ROY.
Ha ! Polexandre, tu ne sçais ce que c’est que d’aymer : je suis capable de toutes choses, fors que de Raison*. Mon Empire, mon honneur*, ma femme, mes enfants, et tous mes subjects ensemble, me sont un sujet de hayne devant cet Object265 de mon Amour.
POLEXANDRE.
Je sçay bien qu’Amour est une maladie qui trouble esgalement l’Esprit et les sens : mais à toute extremité la jouyssance en est le remede : sa conqueste ne coustera à Vostre Majesté qu’un peu de patience : le temps la luy livrera entre les mains.
LE ROY. {p. 49, G}
{p. Il se leve.}Oses-tu me prescher la patience, me voyant tout en feu ? Je brusle, mais d’une flame eternelle ; comme si mon corps estoit desja l’Enfer dont mon Ame est menacée266. Soulage seulement mon mal, puisqu’il est sans remede. Que dis-tu de sa Beauté ?
POLEXANDRE.
Elle est admirable.
LE ROY.
As-tu pris garde à ses yeux ?
POLEXANDRE.
Ils sont charmants.
LE ROY.
Que te semble de son teint ?
POLEXANDRE.
Il est sans pareil.
LE ROY.
Ha ! Polexandre, tu me blesses de nouveau.
POLEXANDRE.
C’est Vostre Majesté qui se blesse elle-mesme : les traicts267 {p. 50} qu’elle m’eslance rejaillissent sur elle.
LE ROY.
Je ne m’en plains pas : dy m’en d’avantage ; mais ne me flatte point.
POLEXANDRE.
Il faut donc que je change de discours.
LE ROY.
N’est-il pas vray que ses regards ne sont que feu ?
POLEXANDRE.
Je l’advouë, mais son cœur n’est que de glace.
LE ROY.
Son Esprit n’eust jamais de pareil.
POLEXANDRE.
Et sa Vertu* aussi n’aura jamais d’exemple.
LE ROY.
Pourquoy loües-tu si fort mon Ennemie ? Ne sçais-tu pas que sa Vertu* a pris les armes contre moy ; et que mon Destin a mis entre ses mains les Couronnes de la Victoire ? mon malheur dans son excez ne peut s’égaler qu’à mon Amour : mais voicy l’Objet de ma hayne.
{p. 51, G ij}SCENE III. §
LA REYNE.
Dans le bruict qui court que Vostre Majesté me veut repudier, je viens en aprendre le sujet de sa Bouche, pour me punir moy-mesme la premiere, si j’ay failly.
LE ROY.
Madame, je ne me porteray jamais à cette extremité, sans y estre contraint. On peut dire ce qu’on voudra : je ne feray que ce que je dois.
LA REYNE.
Monsieur, il faut bien que je croye ce que je voy268.
LE ROY.
Que voyez-vous, Madame ?
LA REYNE.
Vostre bandeau, et vos chaines269.
LE ROY. {p. 52}
Je ne suis ny Aveugle, ny Captif.
LA REYNE.
Il vous est bien mal-aisé, Monsieur, de cacher vostre passion, puis qu’elle tient également et vostre cœur aux fers, et mon Ame à la gesne*.
LE ROY.
Mon Amour est trop juste pour la270 cacher, et son sujet trop beau, pour n’en publier* pas le nom et les perfections.
LA REYNE.
Vostre exemple me servira tousjours de raison*, pour l’estimer beaucoup. Mais ne permettez pas, Monsieur, que son merite fasse mon crime et qu’à force de l’aymer, je ne devienne à la fin le sujet de vostre hayne.
LE ROY.
Si sa Beauté vous donne de la jalousie, sa Vertu* vous l’ostera bien tost.
LA REYNE.
Je n’envie ny l’une ny l’autre : mais j’apprehende que toutes deux ensemble ne m’ostent {p. 53, G iij} le Sceptre des mains.
LE ROY.
Qui vous peut causer cette crainte ?
LA REYNE.
Vostre nouvelle passion.
LE ROY.
Elle est trop innocente* pour vous nuire.
LE ROY.
Attendez donc jusques aprés-demain à m’en faire des reproches.
LA REYNE.
Il n’en sera plus temps.
LE ROY.
Me voulez-vous condamner avant qu’estre coupable ?
LE ROY.
Il y a un peu de tyrannie, Madame, en vostre procedé.
LA REYNE.
Mais il y a beaucoup d’Amour.
LE ROY.
Vivez en repos, et ne troublez pas le mien de vos soubçons imaginaires.
LA REYNE.
Ne voulez-vous pas que je crie au feu, si je vous vois brusler d’une flame qui me doit reduire en cendre ?
LE ROY.
Si vous aprehendez son ardeur, la fuitte vous peut guerir de cette crainte.
LE ROY.
J’auray soin de le conserver, puis qu’il faict {p. 55} une partie du mien : dormez en asseurance de ce costé-là.
LA REYNE
seule avec Cleonice.
Chere Cousine, que peut-on adjouster à mon mal-heur, pour me rendre la plus miserable Princesse du monde ? On me laisse la Vie, et l’on veut m’oster l’honneur*. Puis-je souffrir que le Soleil m’esclaire, n’estant plus couverte que de honte et d’infamie ? Je cognois trop que le Roy est resolu de me repudier : mais je voudrois bien sçavoir encore, si Arthenice est complice de son dessein. Il faut de necessité* que je luy parle : son visage, son action, ou ses discours me feront voir au dehors tout ce qu’elle a dans l’ame ; et en toute extremité, je luy feray apprehender le bien qu’elle desire.
CLEONICE.
Madame, Vostre Majesté se peut donner ce contentement : mais je ne sçaurois me persuader qu’une personne de cette condition ait l’audace seulement de mesurer son corps à vostre ombre274. Les throsnes des Roys sont environnez d’esclairs, qui menacent de la foudre tous ceux qui s’en approchent.
LA REYNE. {p. 56}
La vanité aveugle tout le monde ; mais cét aveuglement sera funeste pour elle.
SCENE IV. §
AMELITE.
Ma Fille, on tient275 que le Roy vous veut espouser ; c’est à vous d’y penser276, si vous estes sage.
ARTHENICE.
Madame, je crois que la vraye sagesse consiste à n’y penser jamais ; comment puis-je espouser un homme marié ?
AMELITE.
Sa Majesté en cherchera les moyens : ce ne sont pas vos affaires.
ARTHENICE.
Elle les peut chercher pour son contentement : mais je les doy trouver pour mon interest.
AMELITE. {p. 57, H}
Que craignez-vous avec un Sceptre à la main, et une Couronne sur la teste ? un pouvoir absolu* ne trouve jamais de resistance.
ARTHENICE.
Si la Tyrannie me faict regner, croyez-vous que mes delices soient de la mesure de mes grandeurs ? Je veux que* la Fortune du monde soit enchainée à mes pieds ; les foudres du Ciel ne laisseront pas de gronder sur ma teste : estes-vous jalouse de mon contentement ?
AMELITE.
La qualité de Reyne faict reposer à leur aise les plus inquietées.
ARTHENICE.
L’esclat d’un Throsne ne rejalit jamais dans un cœur affligé.
AMELITE.
Vous ne sçavez pas encore, ma Fille, le plaisir qu’il y a de commander.
ARTHENICE.
Je ne puis pas le sçavoir, Madame, si je n’ay ja- {p. 58} mais appris qu’à vous obeyr.
AMELITE.
Obeïssez-moy donc, en suivant le conseil que je vous donne : il faut estre Reyne à quelque prix que ce soit. Vous estes trop timide dans un dessein si glorieux. Aquoy vous sert la beauté, si le courage* vous manque ?
ARTHENICE.
Et à quoy me sert la grandeur, si le repos me deffaut277 ?
AMELITE.
Que vous faut-il pour estre heureuse ?
ARTHENICE.
Une Fortune proportionnée à ma condition.
AMELITE.
Et si la Fortune mesme vous offre une place sur un Throsne, refusez-vous cét honneur* ?
ARTHENICE.
Oüy, puis que je ne le merite pas.
AMELITE.
Vous faictes un mauvais jugement de celuy du Roy.
ARTHENICE. {p. 59, H ij}
Le Roy ne me considere qu’au travers de son bandeau278.
AMELITE.
Il vous estimera beaucoup, s’il partage avecque vous sa puissance absoluë*.
ARTHENICE.
J’aurois beau porter son Sceptre à la main : l’Authorité luy en demeurera tousjours, pour me l’oster à toute heure.
AMELITE.
Il faut penser à l’acquerir, avant qu’aprehender de le perdre.
ARTHENICE.
Mais la pensée en est inutile, et la crainte fort juste.
AMELITE.
Voulez-vous demeurer au milieu de la carriere* ?
ARTHENICE.
Il faut bien que j’y demeure, si la Honte et le Repentir m’attendent au bout.
AMELITE. {p. 60}
Serez-vous honteuse de porter une Couronne sur la teste ? Vous repentirez-vous d’avoir vaincu sans combat vos ennemis ?
ARTHENICE.
Madame, je me sacrifieray pour vostre contentement : puis que vous le voulez, l’obeïssance que je vous dois me servira de consolation dans mon infortune.
AMELITE.
Voicy la Reyne qui vient ; je ne veux pas qu’elle me voye.
SCENE V. §
LA REYNE.
Arthenice, on m’a dict que vous pretendiez à ma Couronne : vostre beauté trahira vostre Ambition : l’Amour faict plus d’Esclaves que de Reynes.
ARTHENICE.
Madame, Vostre Majesté m’accuse d’un crime que mes {p. 61, H iij} pensées ne me reprocheront jamais : ma Beauté et mon Ambition esgalement moderées279 seront tousjours d’accord ensemble ; et l’Amour a beau donner des Couronnes ou des Chaines ; je ne pretends rien de luy.
LA REYNE.
Vous faictes la fine280 ; je sçay que le Roy vous a parlé fort long-temps en secret.
ARTHENICE.
Si le Roy m’a fait l’honneur* de m’entretenir en particulier, ma vertu* n’avoit pas besoin de tesmoings ; l’authorité qu’il a, et le respect que je luy dois, m’exempteront tousjours de reproche.
LA REYNE.
Une Fille qui preste souvent l’oreille, donne à la fin son cœur.
ARTHENICE.
L’Amour a beau me parler à l’oreille ; mon cœur n’entend que le langage de la Raison*.
LA REYNE.
L’amour des Roys est contagieuse : si on n’ayme leur personne, on ayme leur grandeur ; et dans cette passion en cherchant un honneur* ima- {p. 62} ginaire, on en perd un veritable.
ARTHENICE.
Madame, je veux croire que l’Amour du Roy peut avoir beaucoup plus de charmes que celle d’un autre : mais de l’humeur* dont je suis, j’aprehende plus les efforts de son authorité, que les pas de sa grandeur.
LA REYNE.
Vous devez craindre toutes choses. Ne doutez point que le Roy n’employe tous ses artifices, pour vous decevoir*281. Il vous faira mesme une promesse de mariage si vous voulez. Mais representez*-vous qu’un Amoureux escrit tout ce qu’on veut, et que dans son aveuglement il escrit si mal, qu’après avoir recouvré la veuë, il ne recognoit plus sa lettre28228323.
ARTHENICE.
Madame, dans la resolution où je suis, de conserver mon honneur* avec plus de soin que ma vie, ma Mere me sert tousjours de conseil, et la Vertu* de guide. Les promesses de mariage ne sont plus à la mode: les petites filles s’en mocquent ; les grandes s’en offencent, et les plus sages aujourd’huy mesprisent l’Amour, et fuyent les Amans284.
LA REYNE. {p. 63}
Je ne sçay point à quoy vous estes destinée ; mais si mon mal-heur et vostre Fortune vous eslevent sur mon Throsne, souvenez-vous que vous occupez la place d’une Reyne qui en a esté precipitée injustement ; et que si l’Amour vous y a faict monter avec esclat, la Justice vous en peut faire descendre avec ignominie.
ARTHENICE.
Madame, je prends le Ciel à tesmoin de l’innocence* de mes desirs : l’heureuse condition où je suis, est mon Throsne, mon Sceptre, et ma Couronne285 ; Et quand la Fortune dans son aveuglement me voudroit eslever sur le plus haut de sa Roüe286, son mouvement continuel m’en osteroit le desir : j’ay borné mon Ambition dans les felicitez que je possede.
LA REYNE.
Si la prudence ne marque le chemin que vous devez tenir dans la Fortune que vous courez ; vostre perte est inevitable ; Ne sçavez-vous pas que je suis vostre Reyne ?
ARTHENICE.
Il faut bien que je le sçache, Madame, {p. 64} puisque je suis vostre sujette.
LA REYNE.
Conservez cherement cette qualité, si vous ne voulez perdre tout à la fois l’honneur* et la vie : si je ne vous punis, le Ciel me vengera.
ARTHENICE.
Je n’oublieray jamais le respect que je dois à Vostre Majesté.
Que la jalousie de cette Princesse est juste ! que son mal-heur est grand ! mais que mon imprudence est extréme, de suivre pas à pas ses traces dans un chemin qui me conduit au Tombeau ; O Dieu ! pourquoy faut-il que la Fortune se serve des traicts de mon visage, pour blesser mon cœur à mort ? Mais ne vois-je pas celuy qui luy en a donné la premiere atteinte ?
SCENE VI. §
LE ROY.
Et bien, Arthenice, n’estes-vous pas heureuse de vous voir à la veille de vos Nopces287 ?
ARTHENICE.
Sire, quel bon-heur puis-je trouver dans les {p. 65, I} infortunes d’autruy ? Vostre Majesté me veut faire occuper la place d’une Reyne vivante, dont l’innocenteInnocence* me rend desja coupable devant tous vos subjets.
LE ROY.
Ne puis-je pas la repudier, et vous espouser à l’heure mesme ?
ARTHENICE.
Je sçay bien que Vostre Majesté peut tout ce qu’elle veut : mais elle ne doit rien desirer qui ne soit raisonnable288.
LE ROY.
La Raison* et l’Amour ne vont jamais ensemble.
ARTHENICE.
Quelle estime puis-je donc faire de l’affection que Vostre Majesté a pour moy, si l’Injustice en est le fondement ?
LE ROY.
Ne vous suffit-il pas d’estre Reyne ? Je vous en offre et le Sceptre, et la Couronne.
ARTHENICE.
Il me semble desja que la main et la teste me {p. 66} tremblent esgalement, en portant un Sceptre et une Couronne qu’on vient d’oster à la Vertu*. Ha ! Sire, permettez-moy de les luy rendre, afin que je les merite.
LE ROY.
Vostre generosité est digne d’une nouvelle Couronne : Mais vous marchez trop lentement, Arthenice, aux approches du Throsne que je vous ay preparé.
LE ROY.
Je vous y attireray avec les mesmes chaines dont vous m’avez assujetty : que craignez-vous ?
ARTHENICE.
Je crains que ma Beauté se passe, et vostre amour avec elle : je crains que la Reyne ne m’immole à son juste ressentiment* : je crains d’allumer un feu de dissention289 dans vostre Royaume, qui ne se puisse esteindre que dans mes cendres.
LE ROY.
Dictes plutost que vous ne voulez pas estre {p. 67, I ij} Reyne ; et je vous respondray que je le veux absolument. Mon amour durera tousjours : la Reyne partira demain290 ; je fais tout ce qu’il me plaist dans mon Royaume.
ARTHENICE.
Je ne sçaurois addresser mes vœux qu’à Vostre Majesté, puis que le Ciel ne se mesle point de ma Fortune. Vostre puissance l’establit : vostre bonté la conservera.
LE ROY.
Mes interests ne different plus des vostres : mon bon-heur desormais sera vostre felicité.
Fin du troisiesme Acte.
{p. 68}ACTE IV §
SCENE PREMIERE. §
LE ROY
Je vous ay faict assembler292, pour vous dire la resolution que j’ay prise de changer de Religion, en repudiant la Reyne. Je ne puis vous en apprendre le sujet ; et ce sont des secrets dont l’importance vous deffend la curiosité. Vous cognoissez mes volontez ; faictes-moy voir vostre obeïssance.
THOMAS MORUS293.
Sire, puis que mon honneur* et ma conscien- {p. 69, I, iij} ce ne relevent point de Vostre Majesté, encore que je sois né son subject, je prends la liberté de luy representer* qu’on ne peut approuver la resolution qu’elle a prise de changer de Religion, en repudiant la Reyne son Espouse, sans violer les Loix sacrées que le Ciel et la Nature* nous ont imposées dés le berceau. Si* les Roys sont les images de Dieu, ces ombres ne peuvent subsister que par leurs corps. Vostre Majesté veut effacer l’Original dont elle est le Portrait294. Que fera-t’elle de son Empire, si elle n’a plus de sujets ? Et où trouvera-t’elle des sujets, si elle n’a plus de Religion ? Son Throsne n’a point d’autre fondement que celuy de ses Temples295 ; et de la mesme main qu’elle en ruinera les Autels, elle s’arrachera la Couronne de la teste. Hé quoy Sire, dix siècles auront affermy de mille années les Throsnes de vos Ayeux ; et vos passions les destruiront en un moment, pour vous en laisser une repentance eternelle ? Que sçauroit-on adjouster à ce mal-heur ?
LE ROY.
Si je change aujourd’huy de Religion, la cognoissance que j’ay de la Verité, m’en donne la pensée, et m’en faict executer le dessein. Dans une action de cette importance, où il y va du salut de mon Ame, aussi bien que de la conservation {p. 70} de mes Estats, la Prudence me sert de Conseil plutost que l’Amour. Je fay ce que je doy : mon Authorité cede à ma Justice, et ma Puissance à la Raison*.
THOMAS MORUS.
Quelle Justice et quelle Raison* peut trouver Vostre Majesté dans la ruyne de son honneur*, et dans la perte de son Empire ? Son Esprit la deçoit*, son Jugement la trahit, et sa Passion l’aveugle : sa cheute ne peut estre que mortelle, sa faute irreparable, et son repentir inutile.
LE ROY.
Puis que je suis un des Dieux de la terre, j’y veux regner absolument selon mon humeur*, plutost que selon vos conseils.
THOMAS MORUS.
Si les Rois sont les Dieux d’icy-bas, ils ne doivent rien faire qui leur puisse estre reproché par les Hommes. Quand la Tyrannie regne avec eux, ils perdent le tiltre de Souverains, et se rendent sujets à tout le monde, par le pouvoir qu’eux-mesmes luy donnent de les blasmer justement.
LE ROY.
Celuy qui faict les Loix, les peut changer {p. 71} quand il luy plaist. Doutez-vous de ma Puissance ?
THOMAS MORUS.
Non, mais j’en cognoy les limites.
LE ROY.
Qui peut borner mon authorité sur la terre ?
THOMAS MORUS.
Le Ciel.
LE ROY.
Le Ciel m’a donné un Sceptre aussi redoutable que ses foudres.
THOMAS MORUS.
Mais leurs flames vengeresses reduisent en cendre la main qui le porte indignement.
LE ROY.
Quel crime ay-je commis, pour apprehender cette punition ?
THOMAS MORUS.
Vostre conscience vous l’a desja dict en secret : il n’est pas besoin que je le publie*.
LE ROY. {p. 72}
Parlez, parlez hardiment.
THOMAS MORUS.
La force me manque plutost que le courage*, pour exprimer l’horreur d’un crime où Dieu seul est le plus offencé, et dont tous vos Sujets doivent partager la peine*296.
LE ROY.
Vous serez le premier puny ; comme le premier coupable. Je veux que vous voyiez mon Auctorité dans son Throsne à vostre confusion*.
THOMAS MORUS.
Je verrai plustost vos malheurs dans leur comble à vostre dommage.
LE ROY.
Je seray assez heureux, si je me vois vangé de vostre Rébellion297, en vous immolant à ma juste cholere.
THOMAS MORUS.
Ce Sacrifice ne me sera point desagreable, puis que Dieu m’en prepare l’Autel. Je souhaitterois seulement que vostre vengeance se pût desalterer dans mon sang ; et que le feu de vos nouvel- {p. 73, K} les passions s’amortist298 dans mes cendres, pour eviter la mort d’un nombre infiny d’Innocents*, qui sont à la veille de leurs funerailles. Ha ! Sire, puis que la Justice et la Clemence ont commencé de regner avec Vostre Majesté299, faictes qu’elles-mesmes couronnent son Regne. Les Roys ne vivent icy-bas que pour autruy : ce sont de nouveaux Astres que Dieu attache au Ciel de leur Throsne, pour esclairer les Esprits de la lumiere de leur exemple ; de mesme que celuy du monde illumine les corps par l’esclat de ses rayons. Si Vostre Majesté s’éclipse de nos yeux, les tenebres seront eternelles dans son Empire, aussi bien que dans son Ame, faisant renaistre le Chaos de sa confusion*. Voudroit-elle couvrir de sa propre honte l’esclat de ces belles veritez qu’elle a escrites de sa main en faveur de l’Eglise300 ? Ses dernieres actions dementiroient-elles ses premières pensées ? Sa bouche aura publié* sa gloire, et son cœur s’en repentira ? Elle aura, dis-je, donné et ses soins et ses veilles à sa deffence, et elle employera aujourd’huy et son Authorité et son pouvoir à la ruiner ? Ha ! Sire, que Vostre Majesté soit jalouse de sa propre renommée, conservant dans son esclat celle de ses Ayeux. La Pieté301 a basty leurs tombeaux, pour en exempter et leurs Noms et leur Memoire ; Voulez-vous que l’Heresie erige le vostre, et qu’elle y enseve- {p. 74} lisse eternellement, toutes les Belles actions de vostre vie. O Dieu de nos Autels, dont l’image est encore gravée sur la porte de nos Temples, emousse la pointe de l’espée que tu as donnée à ce grand Monarque, s’il s’en veut servir contre luy-mesme, en la mettant à la main contre toy. Que s’il est Aveugle, romps son bandeau avec la lumière de tes Esclairs ; et s’il est sourd, fay luy recouvrer l’ouye au bruit de tes Foudres : Mais, Seigneur, esteins en les flammes dans l’eau de mes pleurs ! Que s’il faut une Victime à ta Justice, en expiation de nos pechez, que je sois seul sacrifié, pour sauver tout le reste du peuple : ce sont les derniers vœux que j’adresse à ta bonté.
LE ROY.
Je n’ai pas besoin de conseil ny de prières en l’estat où je suis302. Ne faictes des vœux que pour vostre salut, puisque vostre perte est infaillible. Qu’on le meine en prison : je vous condamne déja à un eternel silence, pour avoir trop parlé.
THOMAS MORUS.
Je suis bien aise de devenir muet, apres avoir dit la verité : ce chastiment me servira de recompense.
LE ROY. {p. 75, K ij}
Je mettray ce perfide à la raison303, ou il luy en coustera la vie.
POLEXANDRE.
Sire, Dieu se fait voir si clairement dans la Majesté des Roys, qu’on ne sçauroit doubter de sa Divinité. Ils ont avec eux et des Esclairs et des Foudres, puis que leurs regards et leurs paroles leur en peuvent produire à toute heure. Que si l’on considère encore leur Authorité souveraine, et leur pouvoir absolu*, l’on admirera* de nouveau cette puissante Divinité dont ils sont eux-mesmes les images ; et voila, Sire, les veritez qui nous devoilent aujourd’huy l’Esprit, qui eschauffent nos volontez, et qui nous donnent les sentiments d’une obeïssance aveugle, pour subir avec toute sorte de respect les loix que Vostre Majesté nous impose.
LIDAMAS.
Sire, il est vray que la Religion de nos Peres304, et dans laquelle nous avons esté heureusement instruits et eslevez, faict la plus noble partie de nous mesmes, comme estant le fondement de nostre salut ; et que de nous vouloir arracher du cœur ces sentimens de Pieté que nous avons pour {p. 76} la veneration de nos Autels et de nos Temples, c’est nous faire changer tout à coup et d’element et de vie. Mais quand nous considerons aussi, que Vostre Majesté esgalement interessée, et à nostre salut, et à nostre perte, subit la premiere les loix qu’elle nous impose305, nous devons obeyr, et nous taire avec d’autant plus de raison, que son esprit esclairé d’une lumière extraordinaire, ne luy peut fournir que des pensées dignes de loüange plustost que de reproche.
POLEMON.
Sire, lors que Dieu a estably sur la terre le throsne des Roys, il leur a donné l’authorité et la domination en partage : ce qui les rend aujourd’huy si absolus*, que leurs volontez passent pour loix, leur Raison* pour Justice, et leur exemple306 pour un precepte de Vertu* ; De sorte qu’estant nez sujets de Vostre Majesté, ses seuls commandemens doivent estre nos raisons, et autant de preceptes pour nous obliger esgalement à luy obeyr avec toute sorte de respect.
CLEANTE.
Il est vray, Sire, que Dieu a écrit dans nos cœurs et de sa main, et de son sang les Loix de notre Religion307 : Mais vous ayant donné aussi avec ce tiltre de Majesté, le Charactere* de grand Prestre, {p. 77, K iij} pour nous introduire dans ses Temples, et nous interpreter ses Oracles ; la lumiere qui l’environne, et l’aveuglement qui nous suit, nous obligent à subir les nouvelles loix qu’elle nous impose, sans murmurer, et sans nous plaindre.
LE ROY.
C’est de cette sorte que les fidelles Subjets doivent parler à leur Prince. Je m’estime heureux dans l’extremité où je me voy reduit, d’avoir treuvé des jugements si solides que les vostres pour approuver mes actions ; quoy que mon Authorité absoluë* les exempte de reproche. Je répudie mon Espouse, après avoir changé de Religion, puis que Rome s’oppose à mes secondes nopces. Ce n’est pas que ma passion m’ayt instruit dans ma nouvelle creance. La verité m’en a donné les leçons ; et il vous suffit que mon exemple vous les apprenne : vous ne sçauriez faillir en m’imitant. Que si quelque nouveau Politique* faict le rebelle, j’ay des prisons, des fers, et des gesnes*, pour le punir, et pour me venger.
{p. 78}SCENE II. §
LA REYNE.
Il est temps, chere Cousine, de partir de ce monde en partant de ces lieux, puis que j’y laisse mon honneur*, qui m’est beaucoup plus cher que la vie. Je me rends à cette dernière attainte de mal-heur.
CLEONICE.
Madame, la rigueur qu’exerce le Roy contre Vostre Majesté publie* hautement qu’elle est innocente*. Quittons ces lieux sans regret, puis qu’ils ne nous ont jamais produit que des espines.
LA REYNE.
J’ay beau les quitter ; j’emporte ces espines dans mon cœur308 : mais pour ma consolation leur piqueure est mortelle. Tournons visage du costé du Tombeau, ce funeste messager m’en represente* l’Image.
{p. 79}SCENE III. §
LE CAPITAINE des Gardes.
Madame, le Roy m’a commandé de donner cette lettre à Vostre Majesté.
LA REYNE
Je ne sçay ce qu’elle contient : la main me tremble et mon cœur en fremit. Mais que dois-je craindre, n’ayant plus rien à esperer ?
LETTRE DU ROY.
MADAME,
Il est necessaire pour mon repos que vous vous esloigniez de moi. Vostre absence est l’unique remede du mal dont je suis atteint. Tout est prest pour vostre depart. Le Navire vous attend. Le vent est favorable, et celle-cy309 vous faict mes adieux. Souvenez-vous que vous estes ma Sujette, et que je suis Vostre Roy.
LA REYNE,
Il est necessaire pour mon repos que vous vous esloignez de moi. Et où iray-je, si je ne sçay point {p. 80} d’autre chemin que celuy qui me conduit à la Mort310 ? Tout est prest pour vostre depart. Je le sens bien : mes afflictions sont les preparatifs de mes funerailles : le Navire m’attend ; je n’ay besoin que d’une Biere311 : le vent est favorable : celuy de mes souspirs me conduira au Port que je desire : celle-cy vous faict mes adieux. Adieu donc, le plus cruel des hommes, et le plus aymé qui fust jamais : Souvenez-vous que vous estes ma Sujette. Je l’ay esté, il est vray, et je la suis encore : mais c’est par amour, aussi bien que par devoir ; Et que je suis vostre Roy : Vous me le faictes bien cognoistre, vous servant de vostre pouvoir absolu*, pour me rendre la plus miserable Princesse du monde. O Dieu ! en quel estat me vois-je reduite ? Un excez de cruauté m’oblige à vous demander Justice ; et à mesme temps312 un excez d’Amour me contraint d’implorer vostre Bonté. Mes souspirs voudroient allumer vos foudres, pour me venger, et mes larmes les voudroient esteindre pour me satisfaire. Faut-il que je punisse la moitié de moy-mesme, pour mettre l’autre en repos313 ? Il est vray, je souffre beaucoup : mais j’ayme extremement, et pour un surcroist de malheur, celuy qui m’arrache le cœur, le possede tout entier ; et en l’arrachant mesme peu à peu, ses derniers soupirs sont tous de feu plustost que de glace. Tellement qu’encore que la douleur emporte la vi- {p. 81, L} ctoire, il faut de necessité* que je me rende à l’Amour.
LE CAPITAINE des Gardes.
Madame, le Roy m’a commandé de vous dire qu’il falloit partir promptement.
LA REYNE.
Ma douleur me presse plus que vous. Puisqu’on m’oste la liberté de vivre, ne me donnera-ton pas le loisir de mourir ? Allons, chere Cousine, allons esprouver si la mer nous sera plus favorable que la terre.
SCENE IV. §
CLORIMENE, Fille unique de Thomas Morus.
En quel estat me voy-je reduitte aujourd’huy ? Toutes mes esperances sont captives dans la mesme prison315 où mon Pere est enfermé. Que s’il n’en sort jamais que par la porte du tombeau, puis-je sans me flatter voir la fin de mes maux qu’avec celle de ma vie ? Il faut que je me donne cette foible consolation, de luy representer* la verité de mes miseres, pour le toucher de pitié, puisqu’il est insensible à l’amour ; Mais il paroist à la grille de la prison ; si je ne me trompe c’est luy-mesme.
THOMAS MORUS.
Qui vous ameine ici ma Fille ? Estes-vous venuë pour me consoler ? Je n’ay pas besoin de cette sorte de remede.
CLORIMENE.
Monsieur, je viens pour m’acquitter de ce que je vous dois, et pour vous tesmoigner la {p. 83, L ij} part que je prends à vostre infortune.
THOMAS MORUS.
Croyez-vous que je sois mal-heureux ?
CLORIMENE.
Vostre prison est trop funeste, pour me persuader autre chose.
CLORIMENE.
Je ne doute point de vostre innocence*, mais vostre captivité m’afflige.
THOMAS MORUS.
Pourquoy vous affligez-vous de mon bon-heur ? ma prison est digne d’envie.
CLORIMENE.
Si317 faut-il en sortir, Monsieur, à quelque prix que ce soit. Le Roy y consent : vos amys le desirent, et vostre pauvre Fille que voicy abandonnée de tout le monde, vous en suplie tres-humblement ; mais d’une priere toute de soupirs et de larmes.
THOMAS MORUS. {p. 84}
Que je sorte de prison, dictes-vous ma fille, à quelque prix que ce soit ! Le Roy a beau le permettre : ma conscience me le deffend : si mes amis le desirent, mon devoir ne veut pas que je l’espere. Enfin vous m’en priez, mais Dieu me commande de rejetter vos prieres, et d’estre sourd à vos plaintes, aussi bien qu’aveugle à vos larmes.
CLORIMENE.
Monsieur, si vous considerez le deplorable estat où vostre infortune m’a desja reduite, vous aurez plus de pitié que de raison.
THOMAS MORUS.
La Vertu* n’est jamais mal-heureuse : que craignez-vous avec elle ?
CLORIMENE.
J’apprehende de vous perdre.
THOMAS MORUS.
Dans le port où je suis, il n’y a point de peril de naufrage.
CLORIMÈNE.
Si* prevoy-je pourtant que la Mort sera vostre escueil.
THOMAS MORUS. {p. 85, L iij}
Cette prevoyance me menace d’un bon-heur, qui me faict souspirer d’impatience en son attente.
CLORIMENE.
Mais vous ne considerez pas, Monsieur, qu’en mourant vous m’entrainez dans la sepulture.
THOMAS MORUS.
Ne seriez-vous pas heureuse de mourir pour la gloire du Ciel, avec celuy qui vous a faict naistre ?
CLORIMENE.
Il y a plus d’infamie que de gloire à mourir de la main d’un Bourreau.
CLORIMENE.
Mais pourquoy voulez-vous conjurer avec vostre ruyne celle de tout ce que vous aymez au monde ? Sauvez vostre Fille comme Pere, puis que la Nature* et la Raison* vous y obligent esgallement.
THOMAS MORUS. {p. 86}
Je ne veux songer qu’à sauver mon Ame : Dieu aura soin de vous.
CLORIMENE.
Où est cette grande amour319que vous m’avez tousjours tesmoignée ? Me voulez-vous laisser pour heritage les mal-heurs et les miseres qui vous suivront dans le Tombeau ?
THOMAS MORUS.
Je vous ayme plus que jamais ; et pour une nouvelle preuve de mon amour, je vous laisse l’exemple de ma constance320, mourant fidelle à Dieu : C’est le plus riche Thresor que je vous puis donner.
CLORIMENE.
Ha ! Mon Pere, que voulez-vous que je devienne ?
THOMAS MORUS.
Ha ! Ma Fille, que voulez-vous que je fasse ?
CLORIMENE.
Laissez-vous toucher à l’excez de mes infortunes.
THOMAS MORUS. {p. 87}
Ouvrez les yeux à l’esclat de mes felicitez.
CLORIMENE.
Je ne sçaurois les ouvrir qu’à mes larmes.
THOMAS MORUS.
Pleurez donc de la joye de mon trespas.
CLORIMENE.
J’en pleureray de regret ; mais avec des larmes de sang, pour celebrer plus dignement vos funerailles.
THOMAS MORUS.
Estes-vous jalouse de ma gloire ?
CLORIMENE.
Estes-vous ennemy de mon bon-heur ?
THOMAS MORUS.
Quel bon-heur esperez-vous icy-bas, où tous les biens sont faux, et les maux veritables ?
CLORIMENE.
Quel advantage attendez-vous de vostre mort, si la honte et l’infamie vous en preparent le supplice ?
THOMAS MORUS. {p. 88}
Il faut vouloir ce que Dieu veut.
CLORIMENE.
Que ne veut-il que je meure ?
THOMAS MORUS.
Il n’est pas temps.
CLORIMENE.
Les mal-heureux sont tousjours prests.
THOMAS MORUS.
Vous n’estes pas de ce nombre.
CLORIMENE.
Si je n’en suis aujourd’huy, vous m’en ferez demain.
THOMAS MORUS.
Et après-demain aussi Dieu peut sonner vostre retraite.
THOMAS MORUS.
Le Ciel m’appelle321.
CLORIMENE.
Le monde* me chasse.
THOMAS MORUS.
Prenez patience.
CLORIMENE.
Vous me l’ostez. Je souffre constamment322 notre separation.
THOMAS MORUS.
Consolez-vous, ma Fille.
CLORIMENE.
Ne m’affligez plus, mon Pere.
THOMAS MORUS.
Comment vous puis-je affliger dans l’heureuse {p. 90} condition où je suis.
CLORIMENE.
Et comment me puis-je consoler dans le miserable estat où je me treuve ?
THOMAS MORUS.
Dieu ne vous abandonnera jamais ; que pouvez-vous craindre ?
CLORIMENE.
Et si vous m’abandonnez vous-mesme, que dois-je esperer ?
THOMAS MORUS.
Je vous seray plus utile au Ciel qu’en la terre : pourquoy ne voulez-vous pas que je m’en aille ?
CLORIMENE.
Vous m’estes necessaire en tous lieux ; pourquoy me voulez-vous quitter ?
THOMAS MORUS.
J’y suis forcé, ma Fille, adieu, vivez heureuse, puis que je meurs content323.
CLORIMENE. {p. 91, M ij}
Que je vive heureuse dans la presse324 de vos mal-heurs ! que je vive heureuse à la veille de vos funerailles ! Non, non, cher Pere, puis que mes veines ne sont remplies que de vostre sang ; je le respandray glorieusement, afin que les ruisseaux se joignent à leur source.
Fin du quatriesme Acte.
{p. 92}ACTE V §
SCENE PREMIERE. §
LE ROY.
Madame, vous voila Reyne sans dispute. La Justice vous a donné sa voix aussi bien que l’amour ; et vous entendriez desja les cris d’allegresse de tous nos Sujets ensemble, si par un excez de joye, elle-mesme ne les rend muets. Ne croyez pas que vostre Beauté soit le seul objet de mon Amour : vostre Vertu* en a faict les plus fortes chaines : Ce qui vous doit persuader que le temps ny la mort ne les rompront jamais.
ARTHENICE.
Monsieur, vostre bonté me comble aujourd’huy de tant de faveurs, et de tant de gloire, que {p. 93, M iij} la voix me deffaut3263272 pour luy tesmoigner le juste ressentiment* qui m’en demeure. J’estois si petite, et elle m’a faict3283293 si grande, que je me mescognoistrois moy-mesme, si je ne portois tousjours avec la qualité de Reyne celle de vostre Sujette. Ma Fortune estoit si basse, et vous l’avez si haut eslevée ; que son esclat m’eblouiroit, si je ne descendois souvent de mon Throsne dans mon imagination et dans ma pensée, pour me jetter à vos pieds, en recognoissance de tant de graces.
LE ROY.
Je veux establir ma puissance sur les ruines de mes sujets revoltez. Toutesfois il est temps, Madame, que j’oste le Sceptre à la Justice, pour le donner à l’Amour, puis qu’il commence aujourd’huy son Regne. Vos douceurs desarment ma cholere, et vos graces se communicquent aux plus criminels. Goustons en paix330 toutes ses delices ; et allumant mille feux de joye de ceux de nostre Amour, embrasons tous nos subjets de cette divine flame, pour en attendre les tributs et les hommages qu’ils nous doivent.
ARTHENICE.
Sire, je m’en vay preparer à recevoir les honneurs* dont Vostre Majesté me veut combler aujourd’huy3313325 : c’est un bien qui surpasse mon attente.
LE ROY. {p. 94}
Mais si faut-il arracher le dernier soucy de ma Couronne, et mettre à la raison3333346 ce Chancelier. Monsieur le Duc, allez aprendre sa derniere resolution.
LE DUC de Sofoc.
Sire, Vostre Majesté verra bien tost les effects de mon obeïssance.
SCENE II. §
CLORIMENE
Sire, voicy une pauvre Fille qui n’estant plus cognuë que par ses malheurs, supplie tres-humblement Vostre Majesté d’en terminer le cours en donnant la vie à son Pere.
LE ROY.
Vous demandez la grace d’un Criminel qui cherche sa gloire dans son crime, et qui tiendroit son repentir pour un suplice.
CLORIMENE. {p. 95}
Sire, vostre bonté, ses services, et mes miseres sont autant de raisons qui sollicitent Vostre Majesté de le sauver quoy qu’il soit resolu à se perdre.
LE ROY.
Qu’il vive et qu’il obeisse.
CLORIMENE.
Puis que sa desobeissance ne sçauroit retarder d’un seul moment les contentemens de Vostre Majesté permettez-luy de vivre dans la foy qu’il a tousjours professee. Si sa Religion fait son crime, où trouverez-vous des Innocencs* ?
LE ROY.
Je ne veux point qu’un Sujet me face la loy : il doit se resoudre promptement ou à la mort, ou à l’obeïssance.
CLORIMENE.
Ha ! que cét Arrest me semble cruel, Vostre Majesté n’en condamne qu’un à la mort, et il en fera mourir deux ? Comment peut-on sauver la Fille, si l’on veut perdre le Pere ?
LE ROY. {p. 96}
C’est luy-mesme qui court à sa perte ; ses discours et ses actions sont ses témoings et ses Juges.
CLORIMENE.
Ha Sire ! Considerez sa vieillesse : n’oubliez pas sa fidelité, et jettez les yeux sur mon malheur, comme un objet de pitié, plustost que de Justice. Je veux croire avec Vostre Majesté que mon Pere est coupable : mais c’est d’un crime dont le temps seul le peut faire repentir, puis que vostre exemple luy servira de leçon pour l’instruire.
LE ROY.
Il suffit qu’il cognoisse mes volontez, pour confesser sa faute : un Sujet rebelle est digne de mort : qu’on ne m’en parle plus : J’auray soing de vostre Fortune.
CLORIMENE
Quelle Fortune dois-je esperer dans le comble de mes miseres ? Croit-il que j’aye le cœur si lasche, de mandier ses faveurs apres m’avoir refusé la grace de mon Pere ? Non, non, je {p. 97, N} luy tesmoigneray que je sçay mourir genereusement, quand il n’est plus temps de vivre.
SCENE III. §
LE DUC de Sofoc.
Geolier, fay-moi parler au Chancelier ; je viens de la part du Roy. Je plains le mal-heur de ce Vieillard335 : Mais quoy qu’il soit digne d’envie, je ne suivray jamais son exemple.
Monsieur, le Roy m’a commandé de venir apprendre de vostre bouche vostre derniere volonté, touchant l’Edit qu’il a faict, que tous ses Sujets eussent à changer de Religion, sur peine* de la vie.
THOMAS MORUS.
Monsieur, apres avoir fait cognoistre au Roy ma derniere resolution sur ce sujet, je n’ay plus rien à dire.
LE DUC. {p. 98}
Sa Majesté vous a voulu laisser le temps de considerer vostre faute, pour en donner la grace à vostre repentir.
THOMAS MORUS.
Mon Innocence* n’a pas besoin de grace ; je ne sçaurois me repentir d’avoir bien faict.
LE DUC.
N’estes-vous pas coupable du crime de leze Majesté, en desobeïssant à vostre Prince ?
THOMAS MORUS.
Je ne suis son subjet que jusques au pied de l’Autel.
LE DUC.
Les regles de sa Puissance ne souffrent point d’exception.
THOMAS MORUS.
Les loix de la Religion ne peuvent jamais estre violées.
LE DUC.
Les exemples des Roys sont des excuses legitimes.
THOMAS MORUS. {p. 99, N ii}
Je ne faudray jamais par exemple.
LE DUC.
Qu’esperez-vous de vostre opiniastreté ?
THOMAS MORUS.
La gloire de mourir genereusement en faveur de ma conscience.
LE DUC.
La mort d’un Subjet rebelle est accompagnée d’infamie.
THOMAS MORUS.
Ma Rebellion est digne de loüange, plustost que de reproche ; je ne combats que pour la Foy.
LE DUC.
Mais vous ne jugez pas qu’en ce combat vostre deffaicte est infaillible.
THOMAS MORUS.
Et vous ne considerez point qu’estant vaincu de la sorte, je triomphe glorieusement.
LE DUC. {p. 100}
Ce sont des maximes de Cloistre ; les sages Politiques* en usent autrement336.
THOMAS MORUS.
Le Ciel est mon eschole plustost que la terre : je ne changeray jamais de leçon.
LE DUC.
Il ne s’agit en cette affaire que de vos interests ; vous y devez songer, puis qu’il y va de vostre vie.
THOMAS MORUS.
Le dommage en est bien petit dans l’âge où je suis337 ? Si j’ai à craindre quelque chose, ce sont les jugemens de Dieu, plutost que ceux des hommes.
LE DUC.
La Nature* nous a donné des sentimens d’amour pour nous-mesmes, que la Raison* ne sçauroit destruire.
THOMAS MORUS.
Vous voyez aussi que je m’ayme extremement, puis que j’abandonne mon corps pour le salut de mon Ame.
LE DUC. {p. 101, N iij}
Que pensez-vous faire Monsieur ?
THOMAS MORUS.
Mon devoir.
LE DUC.
Quel chemin tenez-vous ?
THOMAS MORUS.
Le plus seur.
LE DUC.
À quoy estes-vous resolu ?
THOMAS MORUS.
A ce que Dieu voudra.
LE DUC.
Je plains vostre mal-heur.
SCENE IV. §
LE ROY.
Et bien, Monsieur le Duc, le Chancelier me veut-il obeïr ?
LE DUC.
Sire, il emportera son crime dans le Tombeau.
LE ROY.
Mais que vous a-t’il dit pour derniere responce ?
LE DUC.
Qu’il faisoit son devoir, qu’il tenoit le chemin le plus seur, qu’il estoit resolu à ce que Dieu voudroit, et qu’il plaignoit mon aveuglement ; puis me disant Adieu, en tirant sur moy le rideau de la grille, il m’a faict cognoistre qu’il changeroit de vie plutost que de discours.
{p. 103}LE ROY.
J’en veux faire l’espreuve pour ma satisfaction, et apprendre de sa bouche ses derniers sentimens. J’ay commandé qu’on le fist venir : il ressentira bien tost ma Justice, s’il mesprise ma Bonté : Le Voicy340.
LE ROY.
Je vous ay envoyé querir, pour vous representer* le crime de vostre Rebellion, en desobeïssant à vostre Prince ; et vous dire à mesme temps que la memoire des longs services que vous m’avez rendus, m’est encore si considerable, qu’elle me fera oublier vostre faute, si vous estes disposé seulement à vous en repentir.
SCENE V. §
THOMAS MORUS.
Sire, si c’est un crime d’emporter dans le Tombeau la qualité de Chrestien et de Catholique, la peine* que Vostre Majesté m’en imposera, me sera tousjours plus agreable que la grace qu’elle m’en pourroit donner, estant dis- {p. 104} posé à la Mort, plutost qu’à la repentance.
LE ROY.
Que n’estes-vous sensible à l’affection qui me reste encore pour vostre Fortune ! Si vous voulez m’obeyr, je vous rendray le plus riche et le plus grand de mon Royaume.
THOMAS MORUS.
Mon obeissance n’est point à prix, où il va de l’interest de mon salut.
LE ROY.
Pourquoy me voulez-vous forcer à vous perdre, dans la passion que j’ay de vous conserver ? Je vous offre la moitié de mon Empire341.
THOMAS MORUS.
Quand Vostre Majesté m’offriroit tout le Monde* ensemble, que ferois-je de ce present ? Je n’ay jamais mesuré la grandeur de la terre que par l’espace de mon Tombeau, puis que tout le reste m’est inutile. Celuy qui vous a mis la Couronne sur la teste, et le Sceptre à la main, doit estre obey le premier. Il m’a faict naistre vostre sujet ; mais je suis sa creature.
LE ROY. {p. 105, O}
Je m’imagine bien qu’en l’aage où vous estes les faveurs de la Fortune ne vous peuvent tenter : mais songez un peu que vous abandonnez une Fille dont les interests vous doivent estre en tres forte consideration.
THOMAS MORUS.
Ma Fille se consolera de ma perte, puis que Dieu la permet, et pour sa gloire, et pour mon salut. Elle sera tousjours assez riche, quand elle sera vertueuse : je ne luy souhaitte point d’autre bien.
LE ROY.
Puis que ma Clemence ne vous peut toucher, je vous abandonne aux rigueurs de ma Justice.
THOMAS MORUS.
Je m’y suis abandonné moy-mesme le premier.
LE ROY.
Qu’on m’aporte les testes de ses compagnons pour luy faire voir comme je traite ses semblables.
THOMAS MORUS. {p. 106}
Ha ! Sire, que vous estes cruel à vous-mesme, de faire la guerre aux Innocens* !
LE ROY.
Vous n’avez veu ma cruauté qu’en peinture : en voicy le relief ; Et ce bassin vide attend vostre teste pour en estre remply.
THOMAS MORUS.
O precieuses reliques des corps martyrisez, et pour mon Sauveur, et pour mon Maistre ! Je vous adore342 aujourd’huy, comme des objets d’une gloire eternelle ; puis qu’en tombant à terre, vous en avez acquis les Couronnes dans le Ciel. Ces funestes Bassins, où l’on vous expose en monstre343, sont les premiers Autels qu’on vous a erigez sans y penser, et où j’apporte aussi mes premieres offrandes. Et vous grand Roy, mais grand en malheur, puis que le Ciel vous abandonne ; croyez-vous que ces testes coupées laissent la vostre en repos ? Leurs langues, quoy que muettes, crient vengeance de vos impietez ; et si vous n’entendez pas leurs cris, vostre surdité est le premier chastiment de vostre crime. J’apprehende que le jour de vos nopces ne soit celuy de vos funerailles. Ne voyez-vous pas desja cette main ven- {p. 107, O ij} geresse, qui paroist sur vostre teste, pour escrire vostre arrest de mort ? Elle n’attend que mon sang innocent*, pour luy servir de matiere ! Mais quoy ? l’Amour vous a bandé les yeux ; l’Impieté vous a bouché les oreilles ; et le Ciel maintenant endurcit vostre cœur, par le mespris que vous faictes de ses graces344. Finissez, finissez donc promptement vostre Regne, à la honte de vostre siecle, à la ruyne de vos subjets, et à vostre propre confusion*, puis que les larmes et les cris, la Raison* et la Pitié sont esgallement inutiles.
LE ROY.
Le desespoir de vostre salut vous donne la liberté de vous plaindre.
THOMAS MORUS.
Je ne me plains pas dans mon innocence*, des supplices où vous m’avez desja condamné : je voudrois seulement que mon corps peust servir de but à tous les traits de vostre cholere.
LE ROY.
Les Innocens*, ny les Coupables ne doivent point apprehender ma cholere : il me suffit pour leur recompense, ou pour leur chastiment, que je laisse regner ma Justice.
THOMAS MORUS. {p. 108}
Dans vostre aveuglement il semble que Vostre Majesté n’ait jamais porté que le Bandeau de la Justice345, puis que ses passions en tiennent la Balance, et les Bourreaux l’Espée, pour assouvir ses cruautez.
LE ROY.
Il est temps que je vous les fasse ressentir, apres vous les avoir fait cognoistre : Preparez-vous à la Mort.
THOMAS MORUS.
J’y suis bien preparé, y estant resolu. Je voudrois que Vostre Majesté me fist arracher les yeux, et qu’elle recouvrast la veuë : Je voudrais que ma teste fust desja à ses pieds, et la sienne à l’abry du coup dont elle est menacée : Je ne sçaurois me plaindre de vostre rigueur, puisqu’elle fait tant de Martyrs.
LE ROY.
Je me doute bien que vous ne serez pas le dernier ; et que l’exemple de vostre rebellion, en produira beaucoup d’autres. Mais je ne manque pas aussi de Bourreaux.
THOMAS MORUS. {p. 109}
Vous ne mettez pas en compte ceux que vostre Conscience a desja faict naistre dans vostre sein, pour tenir vostre Ame à la gesne* : les uns me vengeront de la cruauté des autres. Je mourray Sire, et cela me sera commun avec Vostre Majesté. Mais si le temps qui en marquera la difference, nous en fait partager la douleur ; j’en auray toute la gloire.
LE ROY.
Qu’on le meine au supplice : ses discours trop hardis sont de nouveaux crimes, qui forcent ma Justice à le faire punir promptement.
SCENE VI. §
ARTHENICE REYNE.
Que les felicitez du monde* s’enfuyent avec une grande violance ! À peine ay-je vu naistre mon bon-heur et ma gloire, qu’ils ont disparu dans un moment, et ne m’ont rien laissé qu’un fâcheux souvenir de leur courte durée. Hier l’allegresse n’avoit des cris que pour celebrer la Feste de mes Nopces ; et aujourd’huy le peuple n’a de voix que pour m’annoncer mes infortunes349. Il me semble desja que le Roy mesme laissant amortir le feu que mes yeux avoient allumé dans son ame, attise peu à peu celuy de sa cholere, pour me rendre l’objet de sa vengeance, dés le moment que je ne seray plus celuy de son amour. Ha ! Que les Couronnes seroient à bon marché, si tout le monde ressentoit comme moy, les espines dont elles sont faictes350 ! Tous ceux qui les regardent les souhaitent, comme ébloüis de l’esclat qui les environne ; Et tous ceux qui les portent les méprisent, comme affaissez d’un fardeau si pesant. Mais quoy ? On doit souffrir {p. 111} avec patience les maux qu’on ne peut éviter. Si ma Vertu* me rend miserable, me plaindray-je de mon malheur ? Il faut, il faut que je suive mon Destin, de peur qu’il ne m’entraine : je seray toûjours assez satisfaite de perdre la vie, apres avoir sauvé mon honneur*.
SCENE VII. §
LE ROY.
Je voudrois bien sçavoir si cet Ennemy de mon Estat, et de mon repos, n’a point changé en mourant de langage.
LE CAPITAINE des gardes.
L’execution en est-elle faicte ?
LE CAPITAINE DES GARDES.
Sire, il est mort : les uns trop hardis loüoient sa probité : les autres plus pitoyables plaignoient {p. 112} son malheur : mais tous ensemble ont admiré* sa constance.
LE ROY.
Sa Probité estoit feinte, son malheur veritable, et sa Constance necessaire : qu’on ne me parle plus de luy : je veux ensevelir et son nom et sa memoire dans son Tombeau351.
SCENE VIII. §
CLORIMENE
Je viens maintenant demander Justice contre moy-mesme du mespris que je fay de vos Edits, estant resoluë à mourir dans la Religion Chrestienne et Catholique de mes Peres. Desalterez vostre cholere dans mon sang, voicy une nouvelle Victime.
LE ROY.
Vostre jeunesse vous dispense de la rigueur de mes Edicts, mais non pas du respect que vous me devez.
CLORIMENE. {p. 113, P}
On doit du respect aux Roys, et non pas aux Persecuteurs de ceux qui observent la loy de leur Createur, et de leur Souverain Maistre352. En l’estat où je suis, je desire vostre rigueur, et méprise vostre clemence.
LE ROY.
Il y a des chastiments proportionnez à vostre âge : puis que vous ne savez pas vous taire, on vous apprendra à parler353.
CLORIMENE
Quand je serois muette, Dieu dénoüeroit ma langue, pour publier* le tort que vous vous faites, en faisant mourir vos plus fidelles Sujets. Vos nouvelles amours, qui vous ont fait repudier la Reyne, ont esté le seul motif qui vous a porté à vous separer de la vraye Religion, à la veüe du Ciel et de la Terre. Mais l’un a des foudres pour se vanger, et l’autre des abîmes, pour engloutir ceux qui la font rougir de honte, en rougissant du sang des Innocens*.
LE ROY.
Qu’on m’oste cette Importune, dont la Pieté naturelle354 excuse l’impudence.
CLORIMENE. {p. 114}
Je ne doute point Sire, que ma presence ne vous soit importune, parce que vous voyez sur mon visage, l’image de celuy que vous venez d’immoler à vos passions. Mais quand mon obeissance me fera retirer d’aupres de vous, l’Ombre de mon Pere vous suivra par tout, pour vous mettre incessamment devant les yeux, et son innocence*, et vostre crime.
LE ROY.
Son Innocence* ! vostre Pere estoit coupable.
CLORIMENE.
Dequoy l’accusoit-on ?
LE ROY.
De m’avoir desobey.
CLORIMENE.
Il en meritoit recompense, plustost que chastiment.
LE ROY.
On ne recompense jamais les Rebelles.
CLORIMENE.
Il ne l’estoit que pour vostre gloire, et pour son Salut.
LE ROY. {p. 115, P ij}
Dittes plutost qu’il l’a esté, et pour vostre dommage, et pour sa perte.
CLORIMENE.
Je sçay bien que vous l’avez fait perir : mais son trespas est digne d’envie, plustost que de reproche.
LE ROY.
On luy reprochera tousjours d’avoir resisté à mes volontez.
CLORIMENE.
Sa resistence fait toute sa gloire : que ne luy commandiez-vous des choses raisonnables, si vous vouliez estre obey ?
LE ROY.
Un Roy commande ce qu’il veut.
CLORIMENE.
Un homme de bien fait ce qu’il doit.
LE ROY.
Est-ce le devoir d’un sujet, de s’opposer aux desseins de son Prince ?
CLORIMENE. {p. 116}
Est-ce le devoir d’un Roy, d’imposer des Loix pleines d’Impieté, et de Sacrilege ?
LE ROY.
J’ay faict ce qui m’a pleu.
CLORIMENE.
Et luy ce qui estoit juste.
LE ROY.
Il me suffit de luy avoir fait porter la peine* de sa desobeyssance.
CLORIMENE.
Mais vous ne considerez pas que ses maux sont passez, et que les vostres sont à venir. Vous avez beau vous baigner de joye, et dans son sang, et dans mes larmes ; vous en repandrez bientost d’inutiles, qui nous vengeront tous deux à la fois.
LE ROY.
Qui vous faict parler de cette sorte ?
CLORIMENE.
Ma douleur.
LE ROY. {p. 117, P iij}
Qui vous rend si hardie ?
CLORIMENE.
Mon desespoir.
LE ROY.
Ne me cognoissez-vous plus ?
CLORIMENE.
Non, vos crimes vous rendent mescognoissable.
LE ROY.
Je vous feray cognoistre ma puissance.
CLORIMENE.
Et que puis-je craindre en l’estat où vous m’avez reduitte ? L’exil, la prison, la gesne*, et la mort sont les objets de mes desirs, aussi bien que de vostre tyrannie : Achevez, achevez le Sacrifice que vostre Cruauté a commencé. Vous avez immolé le Pere : n’espargnez pas la Fille : Vous n’en voulez qu’aux Innocens* ; je vous offre ma vie pour vous satisfaire.
LE ROY. {p. 118}
Je suis assez satisfait ; il faut luy laisser la liberté de se plaindre.
CLORIMENE.
Je me plaindrai aussi continuellement ; et si mes plaintes sont eternelles, vos tourmens ne finiront jamais.
Mais vous, adorable Victime, unique object de mon Amour, qui voyez maintenant du Port où vous estes, la tourmente où je me trouve ; joignez vos prieres à mes vœux, pour celebrer promptement vos funerailles de mes derniers soûpirs. Ha ! Mon cher Pere, vos services meritoient icy-bas une autre recompense ; Mais comme le monde* et la Fortune ne vous pouvaient donner que des Couronnes de leur façon, dont la matiere se reduit en cendre avec les testes qui les portent, le Ciel vous en reservoit une autre qui fust à l’épreuve du Temps. Vivez, vivez donc heureux, apres tant de malheurs, dont je suis maintenant une nouvelle source : que si le bruit de mes regrets trouble vostre repos, souvenez vous que le mien git dans vostre sepulture. Mon cœur, qui fait encore une partie du vostre, soupire toûjours apres vous, se voyant separé de luy-mesme : et mes yeux vous cherchant par tout ; et ne pouvant {p. 119} vous treuver que dans la Sepulture, y veulent répandre aujourd’huy toutes leurs larmes, et y laisser leurs derniers regards, avec cette miserable* vie qui m’y traine ! Mes ennuis dans leur excez, me consolent : ma douleur dans son extremité me rejouït, puis qu’elle me fait voir au travers de mes larmes, le bout de ma penible carriere*. O que la Mort est douce à celuy qui l’attend !
FIN
[n.p. ]LOUIS par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, A nos amez et feaux Conseillers, les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et tous autres de nos Justiciers, et Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre bien amé le Sieur de la SERRE, nous a remonstré, qu’il a composé un Livre intitulé, Thomas Morus, ou le Triomphe de la Foy et de la Constance, Tragedie en Prose ; lequel il desireroit faire imprimer, s’il avoit nos Lettres sur ce necessaire, lesquelles il nous a tres-humblement supplié de luy accorder : A CES CAUSES, Nous avons permis et permettons par ces presentes audit exposant de faire imprimer, vendre et debiter ledit Livre en tous lieux de notre obeïssance, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, et en telles marge, en tels caracteres, et autant de fois que bon luy semblera, durant l’espace de cinq ans entiers et accomplis, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la première fois : Et faisons tres-expresses defences à toutes personnes de quelque qualité ou condition qu’ils soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre ny debiter en aucun lieu de nostre obeïssance ledit Livre, ou partie d’iceluy, sous pretexte d’augmentation, correction, changement de tiltre, ou autrement, en quelque sorte et maniere que ce soit, à peine de quinze cens livres d’amende, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hostel Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’Exposant, ou au Libraire qu’il aura choisi, de confiscation des exemplaire contrefaits, et de tous despens, dommages et interests : à condition qu’il sera mis deux exemplaires dudit Livre en notre Bibliotheque publique, et une en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier, Chevalier Chancelier de France, avant que de l’exposer à la vente, à peine de nullité des presentes : Du contenu desquelles nous vous mandons que vous fassiez joüir plainement et paisiblement ledit Exposant, ou ceux qui auront droict de luy, sans qu’il leur soit donné aucun empeschement. Voulons aussi qu’en mettant commencement ou à la fin dudit Livre un extrait des presentes, elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoutée, et aux copies collationnées par l’un de nos amez et féaux Conseillers et Secretaires, comme à l’Original. Mandons aussi au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’execution des presentes tous Exploits necessaires, sans demander autre permission. CAR tel est notre plaisir nonobstant Clameur de Haro, Charte Normande et autres Lettres à ce contraires. DONNE’ à Paris le 26e jour d’Octobre, l’an de Grâce 1641. Et de notre Regne le 32. Par le Roy en son Conseil, Signé, CONRART.
Les Exemplaires ont esté fournis, ainsi qu’il est porté par le Privilege.
Et ledit sieur de la Serre a cedé et transporté les droits de son Privilege à Augustin Courbé Marchand Libraire, ainsi qu’il est porté par l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 4. jour de Janvier 1642.
Glossaire §
Sauf indication contraire, toutes les définitions citées dans ce glossaire proviennent du dictionnaire de Furetière.
Scène ajoutée dans la seconde édition §
Nous plaçons en annexe quelques particularités de la seconde édition (d’après l’édition factice de 1646 de la bibliothèque de l’Arsenal : RESERVE 4-BL 3461 (1)), dédiée au cardinal Mazarin, ornée de gravures et augmentée dans la scène 1 de l’acte IV par une confrontation du Roy et de la Reyne devant le Parlement. Pour comprendre la réplique du roi p. 68, il convient de corriger : « La raison du divorce qui se fait dans les mariages doit estre tousjours cachée pour l’honneur des interessez vostre crime m’oste la liberté de le publier » en « La raison du divorce qui se fait dans les mariages doit estre tousjours cachée pour l’honneur des interessez : vostre crime m’oste la liberté de le publier ». De plus p. 69, il faut lire « vostre Roy. » au lieu de « vostre. Roy. » :
[…] mais que veut la Reyne.
LA REYNE.
La Reyne demandant Justice au Roy dans son Parlement.
Je viens implorer votre Justice dans le mesme lieu, où vous avez fait serment de la rendre à tout le monde. Le Parlement est assemblé : Je le prends pour mon Juge, et ne veux point d’autre Advocat que ma conscience : la verité est assez eloquente pour soustenir les interests de la vertu. Vostre Majesté me veut repudier ; qu’elle en die le sujet, puis que j’en dois souffrir la peine. L’amour qu’elle a pour Arthenice me peut bien rendre malheureuse, mais nos pas criminelle ; Et si je suis innocente dans mon malheur, veut adjouster l’exil à mes infortunes pour se couvrir de honte et me combler [68] d’ennuis ? Qu’on ne considere point ma condition. Je me soubmets à la rigueur de la Loy ; Mais si je luy laisse l’autorité de me condamner, il n’est pas juste qu’on la luy oste pour m’absoudre.
LE ROY.
La raison du divorce qui se fait dans les mariages doit estre tousjours cachée pour l’honneur des interessez : vostre crime m’oste la liberté de le publier. Je le cognois, et ressens déja la peine qui vous est imposee par le regret qui m’en demeure. L’affection que j’ay pour Arthenice ne fait point vostre malheur ni vostre crime. Je l’aime parce qu’elle est vertueuse, et je vous repudie parce que vous estes coupable. De plaider la cause de mon ressentiment devant mes sujets, je leur ferois pitié, et ils ne sçauroient me faire justice. Ce qui me contraint dans l’extremite ou je me treuve, a me servir de ma puissance
LE ROY.
Je vous laisse la vie.
LA REYNE.
Que voulez vous que j’en face, apres m’avoir osté l’honneur.
LE ROY.
Pleurez à loisir vostre faute.
LA REYNE
Je pleureray plustost votre malheur.
LE ROY.
Si ma condition vous fait pitié ; elle donne de l’envie à tout le monde.
LA REYNE.
Qui pourroit envier vostre aveuglement. Vous voulez changer de religion sans sujet, me repudier sans crime, et immoller encore un nombre infini d’innocens à vostre nouvelle passion pour en établir le Regne ; sont-ce les moyens dont bous vous servez à faire des jaloux de vostre fortune.
LE ROY.
Mon pouvoir absolu me rend juge Souverain de vos actions, je ne releve que de moy mesme. Retirez vous Madame : Vous sçaurez bien-tost ma derniere volonté. [n.p. ]
LA REYNE.
Monsieur le Chancelier, faites justice à mon innocence, puis que vous portez encore la balance à la main. Vous voyez une pauvre Princesse, esloignée de son païs, abandonnée de ses parens, et chargée d’orphelins, puis que ses enfans sont honteux de l’appeler leur Mere, estant repudiée de leur Père. Sauvez, sauvez donc mon honneur en conservant le vostre, et ne permettez pas qu’on reproche un jour à vostre mémoire d’avoir manqué de courage dans les rencontres de soustenir ma vertu ; que si la force l’emporte par-dessus la raison, mourez dans vostre devoir, je suivray vostre exemple.
Elle s’en va.
LE ROY.
On ne doit pas prendre garde aux discours d’une femme irritée, sa faute, sa jalousie et son malheur l’ont contrainte à se plaindre si haut. Elle est coupable, et sujette ; et je suis interessé et vostre. Roy. Je vous ay donc fait assembler, […].
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Distribution §
Nous plaçons également en annexe la distribution des acteurs de la pièce qui est écrite à la main dans l’exemplaire de la première édition de la bibliothèque Tolbiac (THN-36) :
Noms des Acteurs.
HENRY huictiesme d’Angleterre. [Belle Rose]
LA REINE son Espouse, niepce de Charles Quint. [La Beaupré : il s’agit de Madeleine Lemeine qui a épousé Beaupré le 24 février 1623.]
ARTHENICE, appellée Anne de Boulan, Maistresse du Roy. [La Bellerose]
AMELITE sa Mere. [La monfleury]
CLEONICE, parente de la Reine. [La Le clos : les archives disponibles sur le théâtre de cette époque nous révèlent que le couple Bellerose achète le 22 août 1643 un terrain nommé « le Clos de la Bretonnière ». On peut supposer que ce surnom désigne Charlotte Mélier, la fille de Nicole Gassot, la femme de Bellerose.]
THOMAS MORUS, Chancelier. [Monfleury]
POLEXANDRE, Favory du Roy. [Dorgemon = d’Orgemont]
Le Duc de Sufolc. [Le py = L’Espy, le frère de Jodelet]
POLEMON. [Le docteur ?]
LIDAMA, [ ?]
Et CLEANTE, Conseillers. [Jodelet]
CLORIMENE, Fille unique de Thomas Morus. [La petite ?]
Le Capitaine des Gardes. [ ?, ?, ?, ?]
[Gavoy. La ?]
[ ?, ?]
[ ?, ?]
Jodelet et L’Espy quittent l’Hôtel de Bourgogne en 1641 au plus tard selon Alan Howe. Nous devons donc reconnaître d’importantes lacunes dans ce travail qui nous permet toutefois d’identifier vraisemblablement la distribution des principaux rôles au cours des premières représentations.
Tableaux des présences
Tableau de présence de l’acte I §
Scènes/ Personnage | Thomas Morus | Le Duc | Le Roi | La Reine | Cléonice | Arthénice | Cléante et Damon |
Scène 1 | x | x | |||||
Scène 2 | x | x | |||||
Scène 3 | x | x | |||||
Scène 4 | x | x |
Scènes/ Personnages | Le Roi | Amélite | Arthénice | Polexandre |
Scène 1 | x | x | ||
Scène 2 | x | x | ||
Scène 3 | x | |||
Scène 4 | x | x |
Tableau de présence de l’acte III §
Scènes/ Personnages | Polexandre | Le Roi | La Reine | Cléonice | Arthénice | Amélite |
Scène 1 | x | |||||
Scène 2 | x | x | ||||
Scène 3 | x | x | x | |||
Scène 4 | x | x | ||||
Scène 5 | x | x | x | |||
Scène 6 | x | x |
Tableau de présence de l’acte IV §
Personnages/ scènes : | Scène 1 | Scène 2 | Scène 3 | Scène 4 |
Le Roi | x | |||
Thomas Morus | x | x | ||
Polexandre | x | |||
Polémon | x | |||
Lidamas | x | |||
Cléante | x | |||
La Reine | x | x | ||
Cléonice | x | |||
Le capitaine des gardes | x | |||
Clorimène | x |
Tableau de présence de l’acte V §
Scènes/ Personnages | Thomas Morus | Clorimène | Le Roi | Arthénice | Le Duc | Capitaine des gardes |
Scène 1 | x | x | ||||
Scène 2 | x | x | ||||
Scène 3 | x | x | ||||
Scène 4 | x | x | ||||
Scène 5 | x | x | ||||
Scène 6 | x | |||||
Scène 7 | x | x | ||||
Scène 8 | x | x |
Bibliographie §
Bibliographie primaire §
Œuvres de La Serre §
Le Jugement de Paris, et le Ravissement d’Helene avec ses Amours, Paris, Toussainct du Bray, 1617.
Les Artifices de la Court, ou les Amours d’Orphée et d’Amaranthe, depuis trois mois. Dediées à Monsieur le comte de la Voulte. Par le Sieur de la Serre. Paris, Toussainct du Bray, 1618.
Responses aux Epistres du sieur de Croisilles, Paris, de Monstr’œil, 1623.
Le Bouquet des plus belles fleurs de l’Eloquence cueilly dans les jardins des sieurs Du Perron, Du Vair, D’Urphé, Daudiguier, de Rousset, Coëffeteau, Bertaud, Malherbe, La Brosse, La Serre, Paris, Billaine et Bessin, 1624.
Les Amours des dieux, de Cupidon et Psiché, du Soleil et Clytie, de Jupiter et Danaé, de Jupiter et Io, de Jupiter et Calisto, de Neptune et Anphitrite, avec celles d’Orphée & sa descente aux enfers, Paris, E. d’Aubin, 1624.
Les Amours du Roy, et de la Reine sous le nom de Jupiter & de Junon, avec les magnificences de leurs nopces, ou L’histoire morale de France, soubs le règne de Louys le Juste & Anne d’Austriche. Paris, Billaine et de Cay, 1625.
Les Pensées de l’éternité, Paris, Baragnes, 1628.
Les Douces Pensées de la mort, (Troisième édition) Bruxelles, F. Vivien, 1628.
Le Roman de la Cour de Bruxelles, Spa et Aix, Tournay, 1628.
Le Secrétaire de la Cour, ou la manière d’écrire selon son Temps, Paris, P. Billaine, 1629.
La Vierge mourante sur le mont de Calvaire, Paris, Sommaville, 1629.
Le Tombeau des délices du monde, Bruxelles, Vivien, 1630.
Le Bréviaire des courtisans, Paris, Henault, de Vigne, Gaultier et de la Coste, 1630.
Pandoste ou la Princesse malheureuse, tragédie en prose, divisée en deux journées, Paris, Billaine, 1631.
Histoire curieuse de tout ce qui s’est passé à l’entrée de la Reyne, mère du Roy très chrestien, dans les villes des Pays Bas, Anvers, Moretus, 1632.
Le Miroir qui ne flatte point, Bruxelles, Schoevaerts, 1632.
Histoire de l’entrée de la Reyne meere du Roy tres-chestien dans la Grande-Bretaigne, Londres, Thomason et Pullen, 1639.
Le Pyrame, tragédie en prose, Lyon, Candy, 1633.
Les Amours des Déesses, de Diane et Hypolite, de l’Aurore et Céphale, de la Lune et Endymion, de Vénus et Adonis, avec les amours de Narcisse, Paris, Guerreau, 1634.
Le Mausolée érigé à la mémoire immortelle de tres-haulte, tres-puissante, et tres-auguste princesse Isabelle, Claire, Eugénie, d’Austriche, Infante d’Espagne, Bruxelles, Peppermans, 1634.
Ballet des princes indiens, dansé à l’arrivée de S.A.R., Bruxelles, Vivien, 1634.
L’Entretien des bons esprits sur les vanitez du monde, Paris, Guierche et J. de Beauvais, 1638.
Le Portrait de Scipion l’Africain, ou l’Image de la gloire et de la vertu représentée au naturel dans celle de Mgr le cardinal duc de Richelieu, Paris, Millanges imprimeur ordinaire du Roy, 1641.
Le Portrait d’Alexandre le Grand, dédié à Mgr le Dauphin, Paris, Gesselin, 1641.
Thomas Morus, ou Le triomphe de la foy, et de la constance, tragédie en prose, Paris, Courbé, 1642.
Le Sac de Carthage, tragédie en prose, Paris, Villery et Alliot, 1642.
Le Martyre de sainte Catherine, tragédie en prose, Paris, Sommaville et Courbé, 1643.
Climène, ou Le triomphe de la vertu : trage-comédie en prose, Paris, Sommaville et Courbé, 1643.
Thésée ou le prince reconnu, Paris, Augustin Courbé. Toussainct Quinet & Nicolas de Sercy. au Palais, 1644.
L’Alexandre, ou les Parallèles de Mgr le duc d’Anguien avec ce fameux monarque, Paris, Morlot, 1645.
J. Puget de La Serre, Éloge historique de Mgr le prince duc d’Anguien, contenant tout ce qui s’est passé de plus mémorable en ses campagnes, depuis la bataille de Rocroy jusques à présent, Paris, Besongnge, 1647.
Les Siéges, les batailles, les victoires et les triomphes de monseigneur le prince de Condé ; avec le plan des plus importantes villes qu’il a prises sur les ennemis depuis la mort du feu roi jusques à présent, Paris, Besongne, 1651.
Scipion ou Le parfait Romain, Paris, de La Perrière, 1651.
Panegyrique de Monseigneur Molé, premier president et garde des sceaux, Paris, Julien, 1652.
La Vie de la bien-heureuse Marguerite de Lorraine, Paris, de La Perrière, 1652.
Le Secrétaire du Cabinet, ou la manière d’escrire que l’on pratique à la Cour, Paris, Michel Bobin, 1653.
L’Esprit de Sénèque, ou Les plus belles pensées de ce grand philosophe, Paris, Soubron, 1657.
Les Maximes politiques de Tacite, Paris, Langlois, 1662.
La Vie heureuse, ou l’Homme contant, Paris, Quinet, 1664.
Panegyrique de Louis quatorziesme roy de France et de Navarre, S.I. 1655.
Œuvres diverses §
Aristote, Poétique, trad. Dupont-Roc et Lallot, Paris, Seuil, 1980.
Senece omnia opera, édit. Bernardini de Coriis de Cremona, 1492.
H. Estienne, Introduction à la lecture de Sénèque (1586), éd. et trad. Denise Carabin, Paris, Classiques Garnier, 2007.
A. de Nervèze, Le triomphe de la constance où sont descriptes les amours de Cloridon et de Melliflore, Rouen, J. le Febure, 1602.
R. Verstegan, Le Théâtre des cruautés dess Hérétiques nostre temps, trad. Bourdelet, Anvers, Hubert, 1607.
J. de La Mesnardière, La Poétique, Paris, Sommaville, 1639.
L’Introduction à la vie dévote du bien heureux François de Sales evesque de Genève, Paris, Imprimerie royale du Louvre, 1641.
P. Corneille, Cinna ou la clémence d’Auguste, Paris, Quinet, 1643.
Tristan L’Hermite, La Mort de Sénèque (1645), édit. J. Madeleine, Paris, Classiques Garnier, 1919.
P. Corneille, Trois discours sur le poème dramatique (1660), éd. B. Louvat et M. Escola, Paris, GF Flammarion, 1999.
A. Furetière, Le Roman bourgeois (1666), édit. F. Tulou, Paris, Garnier frères, 1883.
Œuvres poétiques de Boileau, Paris, Imprimerie générale, 1872.
Dorimond, La Comédie de la comédie, Jean Ribou, Paris, 1667.
C. Sorel, La Bibliothèque françoise, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1667.
G. Guéret, Le Parnasse réformé, Paris, T. Jolly, 1668.
G. Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. établie et annotée par Antoine Adam, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960-1961, t. I-II.
F. de Callières, Histoire poétique de la guerre : nouvellement déclarée entre les Anciens et les Modernes, Paris, P. Aubouin, P. Emery et C. Clousier, 1688.
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https://catalogue.bnf.fr
https://repertoiretheatreimprime.yale.edu