La
Bourgeoise
ou
La promenade
de S. Cloud
tragi-comédie.

par le Sr. de Rayssiguier

A PARIS,
Chez Pierre Billaine, rue S. Jacques
à la Bonne-Foy, devant S. Yves.
M. DC. XXXIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Erwan Morio dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2020-2021).

PRÉAMBULE §

« On n’est pas étonné de l’oubli dans lequel [Rayssiguier] est tombé. […] Ses mérites restent ceux d’un devancier qui n’a pas su développer ses idées originales. »

Henry Carrington Lancaster (1922)1

À quoi bon, donc, s’intéresser à Rayssiguier, si même celui qui a consacré une analyse étoffée à chacune des pièces imprimées du XVIIe siècle, au point parfois de se pencher, par souci de rigueur, sur de « lamentables rapsodies2 », n’accorde qu’une once d’importance à son œuvre ? Justement parce qu’il fut un « devancier », et parce que sa Bourgeoise est tout, sauf une tragi-comédie « mort-née3 ».

Deux couples aux amours contrariées par les projets de pas moins de trois pères, un entrecroisement des passions entre les amants, une intrigante manipulatrice, un fanfaron aussi vantard que bouffon, une représentation incongrue mais étonnamment réaliste de la vie quotidienne des faubourgs parisiens, des tirades désespérées pour un dénouement inespéré : La Bourgeoise a tout de la tragi-comédie, et pourtant, on ne peut s’empêcher de croire, à l’instar de l’érudit Lancaster, qu’elle dépasse les limites du genre en touchant aussi à la comédie de mœurs, et qu’elle fut, par sa scénographie et ses multiples rebondissements dramatiques, autant un spectacle qu’une pièce de théâtre.

PREMIÈRE PARTIE : Éléments de biographie sur Rayssiguier §

I. UNE VIE MÉCONNUE §

Dire que l’on connaît peu de choses sur l’existence du Sieur de Rayssiguier en ouverture de l’exposé de sa vie ne relève pas d’un procédé rhétorique, mais bien d’une réalité. Tous ceux (peu nombreux, au demeurant) qui se sont adonné à l’exercice ont fait face à un tel manque de sources qu’ils furent contraints de le suivre « à la trace4 », par l’intermédiaire de ses préfaces, épîtres et autres avis « au lecteur », à l’affut de la moindre indication pouvant témoigner de son parcours personnel.

De ce dramaturge dont on ignore jusqu’au propre prénom5 et dont l’orthographe du nom peut varier, au gré des documents, en « Raziguier », quelques informations subsistent pourtant. Lancaster, probablement par déduction, le suppose né « au début du XVIIe siècle, en Languedoc »6. Les frères Parfaict, quant à eux, se montrent plus précis sur ses origines : Rayssiguier, selon eux, « étoit d’Alby »7. Dans sa jeunesse désargentée mais pourvue de « quelques talens pour la Poesie »8, il fut protégé par le Duc de Montmorency, Gouverneur de sa province. Il aurait également été le protégé d’Henri de Gondi, Cardinal de Retz : dans l’épître dédicatoire des Amours d’Astrée et de Céladon, le dramaturge, s’adressant à Mademoiselle de Ragny, fille du « Maréchal de Retz », lui indique que son « oncle avait été son bienfaiteur ». Selon Albert Azeyeh, Rayssiguier aurait fait des études à Toulouse, puis à Castres, avant d’être reçu au barreau9. La mort de son mécène le conduisit à monter à Paris dans les années 1620, ville où il conserva des liens étroits avec sa région natale, notamment sur des questions politiques et militaires. Les stances placées entre l’argument et le privilège de La Bourgeoise, adressées « A Monsieur Le Marquis d’Ambres, Chevalier des Ordres du Roy, & son Lieutenant au gouvernement du haut Languedoc » montrent un poète concerné par les troubles de son époque, gardant un œil attentif au rétablissement de la paix – tout en apportant clairement son soutien au Roi et à son gouverneur10. Le fait-il par conviction ou par opportunisme, pour espérer le succès de son théâtre ? Il est évidemment impossible de le savoir, mais la question peut être posée, tant Rayssiguier tend à être présenté comme un provincial souhaitant conquérir Paris, avec une nouvelle génération de dramaturges préférant imiter le style de Théophile de Viau, jugé plus « doux et alambiqué »11, que celui d’un Alexandre Hardy vieillissant, allant jusqu’à perdre la mainmise qu’il avait sur la scène parisienne, comme l’explique Alan Howe :

Dès qu’Hardy a quitté le « centre de la vie théâtrale », il aurait perdu toute influence sur l’art dramatique et les comédiens n’auraient présenté au public parisien que des créations de la jeune génération : celle des Auvray et Du Ryer, des Scudéry et Mairet, des Rayssiguier et Rotrou. 12

Mais avant de se lier d’amitié (peut-être au sein d’un potentiel cénacle où il se serait fait appeler Alcidon13) avec les noms mentionnés par Howe, et en particulier avec Du Ryer avec qui il échangea des poèmes et des stances14 – probablement par le biais du barreau de Paris où, tel Corneille, il aurait été avocat pendant une courte durée15 – Rayssiguier aurait fait un séjour en prison, dont la durée et le motif demeure encore obscurs. Le dramaturge, lui, se considérait comme la victime d’une injustice :

La prison ne me vient que du vice d’autruy
Et l’injustice est telle en ce siècle où nous sommes
Qu’au lieu de la punir, il trouve de l’appuy
J’ai beau me tourmenter, & presser la Justice :
Elle est sourde pour ceux qui n’ont point de l’argent16

Cette incarcération pourrait être due à un litige avec une mégère ou une entremetteuse, comme le suggère Lancaster17. La piste des aléas amoureux ponctuant la vie parisienne de Rayssiguier doit être évoquée : selon certaines sources, c’est bien « une infortune amoureuse » qui l’aurait fait écrire pour le théâtre18. Mais la raison de ce séjour en prison pourrait tout aussi bien tenir à une affaire de vol19.

Sa peine purgée, Rayssiguier aurait essayé de s’introduire à la Cour20 pour y retrouver un soutien similaire à celui du Duc de Montmorency. Dans l’épître dédicatoire de La Bourgeoise, l’auteur fait allusion à cette expérience, en expliquant y avoir eu des « habitudes » et des « conversations »21.

Après 1636 et la publication de sa dernière tragi-comédie, Les Thuilleries, on n’a guère plus trace du Sieur de Rayssiguier. A-t-il quitté Paris pour s’en retourner en Languedoc ? Sa santé, qu’il décrivait comme fragile22, a-t-elle eu raison de lui ? Dans sa thèse de doctorat consacrée à Rayssiguier, Albert Azeyeh émet une hypothèse :

Brusquement il faut créer selon des normes, définies par d’autres ; c’est la négation de la liberté du créateur que proclamait déjà l’adaptateur de l’Aminte. Dans l’alternative exclusive de la contrainte ou du silence, Rayssiguier choisit de se taire et quitte la scène par fidélité à une certaine tradition théâtrale. On ne parlera plus de lui23.

Est-ce alors pour des raisons purement esthétiques, dramaturgiques, voire idéologiques que Rayssiguier aurait décidé d’arrêter d’écrire ? Cette possibilité dépassant le champ de l’étude de la vie de notre dramaturge, nous repoussons volontairement son examen.

Enfin, en ce qui concerne le décès de Rayssiguier, Azeyeh mentionne la date du 25 avril 1660, mais sans citer aucune source relative à cette information.

II. UNE ŒUVRE OUBLIÉE §

Aussi restreinte puisse-t-elle paraître, avec seulement six pièces et une poignée de stances poétiques, l’œuvre de Rayssiguier peut toutefois se diviser en deux groupes : un corpus de « pastorales », et un ensemble de pièces relevant a priori de la tragi-comédie.

C’est par une tragi-comédie pastorale, en effet, que Rayssiguier fit son entrée sur la scène dramatique : Tragi-Comédie pastorale où les amours d’Astrée et de Céladon, sont meslées à celles de Diane, de Silvandre et de Paris, avec les inconstances d’Hylas, parue à Paris sous la forme d’un in-8º, chez Nicolas Bessin, en 1630, avec un privilège daté du 26 janvier de la même année. Rien de bien original24, donc : pour ses débuts, Rayssiguier s’inscrit dans le vaste mouvement pastoral qui traverse la création littéraire depuis Honoré d’Urfé. Était-ce pour lui une tentative de se faire un nom en jouant sur le même terrain que la plupart des dramaturges des années 1630, à l’exception de Corneille qui, pour reprendre l’expression de Georges Couton, n’a « pas écrit la pastorale que les écrivains de sa génération se croyaient tenus de composer »25, ou simplement une volonté de situer l’action de sa première création dans un cadre qu’il connaissait26 ? Le schéma suivi par la pièce confirme, en tout état de cause, un effet de mode : Rayssiguier a choisi des extraits des chapitres de l’Astrée relatifs aux personnages qu’il souhaitait mettre en scène, et les a peu ou prou transposé en actes. Toutefois, Les Amours d’Astrée et de Céladon témoignent d’une grande clarté dans le déroulement de l’action, y compris lorsque Rayssiguier s’inspire des chapitres rédigés par Baro27. La pièce connut probablement un certain succès à sa création : elle resta suffisamment longtemps à l’Hôtel de Bourgogne pour que Mahelot lui accorde une notice dans son Mémoire. Une nouvelle impression de la pièce eut d’ailleurs lieu chez Pierre David, en 1632, suivie des Autres œuvres Poëtiques du mesme autheur.

Rayssiguier continua dans le registre des pastorales en livrant une « traduction libre et partielle » de l’Aminte de Torquato Tasso, sous le titre L’Aminte du Tasse, parue en in-8º chez Augustin Courbé, avec un privilège du 15 août 1631 et un achevé d’imprimer du 30 janvier 1632. Là encore, il semble que notre dramaturge ne parvienne pas à se distinguer de ses confrères auteurs sur le plan de l’originalité : en 1632, Dalibray donna lui aussi une traduction de l’Aminte. On a pu rapporter que Pichou lui-même avait, en son temps, livré sa version de l’Aminte, mais cela paraît aujourd’hui peu probable28. Plus encore que la pièce, c’est l’avis « Au lecteur » qui se distingue de cet ouvrage : Rayssiguier y annonce que chacun est libre de suivre ou non les règles d’écriture théâtrale, et qu’il ne souhaite pas s’étendre sur un débat qui, en 1631, a selon lui déjà largement été glosé – ce qui, lorsqu’on connait les querelles du théâtre qui ont jalonné le XVIIe siècle, ne manque pas d’ironie, même involontaire. Nous ne nous étendrons ici pas sur les questions de poétique et de dramaturgie dont discute Rayssiguier dans cet avis, afin de ne pas nous répéter dans la suite de notre commentaire. Cette édition de L’Aminte de Tasse était suivie d’Autres œuvres poetiques du Sieur de Rayssiguier.

Après La Bourgeoise ou, la Promenade de S. Cloud (1633), sa première tragi-comédie non-pastorale, Rayssiguier revient à la pastorale « tirée de l’Astrée de Mre Honoré d’Urfé » avec Palinice, Circeine et Florise, paru en in-8º en 1634 chez Antoine de Sommaville, bien que certains exemplaires soient datés de 1633. Il y respecte une nouvelle fois, après la Bourgeoise, la règle des vingt-quatre heures. Comme pour Les Amours d’Astrée et de Céladon, il s’agit d’une adaptation au théâtre de plusieurs chapitres de l’Astrée, concernant les personnages éponymes. Selon Lancaster29, « le ton général » de la pièce se rapproche de celui de La Bourgeoise en ce qu’il tend vers la comédie. Son langage est « simple, direct, sans maniérisme »30, ce qui n’empêcha pas l’Abbé d’Aubignac de faire implicitement référence à la pièce de Rayssiguier en incitant les auteurs à ne pas choisir de sujets trop complexes pour leurs pièces, sous peine que « personne n’entendroit le Sujet, et qu’ainsi personne n’en sortiroit que tres-mecontent »31. Quant à l’action en elle-même, elle se concentre sur la façon dont le héros va aider sa sœur à reconquérir un amour antérieur32.

En 1635, Rayssiguier donne La Célidée sous le nom de Calirie ou de la Générosité d’Amour, paru chez Toussaint Quinet sous la forme d’un in-8º. Encore une fois, nous retrouvons là une imitation des personnages d’Urfé. C’en est à regretter, avec Lancaster, qu’il ne soit pas sorti du cadre de l’Astrée et de ses « scènes à faire », auquel cas il aurait écrit « une pièce purement classique, […], comportant un problème morale central et des nœuds psychologiques »33. Elle fut réimprimée en 1636 chez Toussaint Quinet, sous le titre Alidor et Oronte Tragi-comédie.

Enfin, notre dramaturge publie, chez Antoine de Sommaville, sa dernière tragi-comédie, Les Thuilleries, en in-8º, avec un privilège daté du 31 décembre 163534 et un achevé d’imprimer du 3 mars 1636. En un sens, cette pièce fait la synthèse de ce que Rayssiguier avait produit jusque-là : comme pour La Bourgeoise, l’action se situe dans le Paris contemporain, et Lancaster la classifie également sous l’intitulé « Tragi-Comedies that Resemble Comedies »35, pour sa proximité avec les premières comédies de Corneille, notamment dans les différents « types » de personnages féminins présentés36, de la fidèle à la dévergondée en passant par la timide. Et comme pour ses premières tragi-comédies pastorales, on peut noter une influence probable de la troisième partie de l’Astrée37.

***

La poignée d’éditions des pièces de Rayssiguier n’ont pas aidé leur auteur à se forger une notoriété. Sur les pages de titres, son nom est souvent remplacé par la mention « Par le Sieur de R. », quand il n’est pas tout simplement absent – ce qui explique les rajouts manuscrits de son nom sur l’exemplaire de la tragi-comédie Les Thuilleries conservé à la Bibliothèque Nationale. Quant aux pièces qu’elles contiennent, leur importance est très relative (en particulier concernant les tragi-comédies pastorales), mais elles ont le mérite, selon Lancaster, « de contenir en germe deux choses dont, plus tard, on s’est beaucoup servi : le conflit psychologique et l’actualité des lieux »38. De plus, on voit clairement que la Bourgeoise se détache du corpus par la singularité qu’elle présente par rapport aux autres créations de notre dramaturge, mais aussi pour être la plus représentative de ce que Rayssiguier pouvait avoir de « devancier ».

DEUXIÈME PARTIE : Présentation générale de La Bourgeoise §

I. RÉSUMÉ DE LA PIÈCE39 §

Acte I §

Convaincue que l’Amour est affaire de duperie, la Bourgeoise se prépare à se rendre à Saint-Cloud afin de corrompre les sentiments d’Acrise, qu’elle aime, envers Cloris, à qui il est promis en mariage. Sa Sœur tente de la raisonner, élevant le débat jusqu’à une tentative de définition de l’Amour – conception dont les deux sœurs représentent deux pans totalement opposés (Scène 1). La Sœur finit par se retirer, pour laisser place à Florise dans un nouveau tête-à-tête avec la Bourgeoise. Cette dernière lui dévoile son amour pour Acrise (Scène 2). Pendant ce temps, alors que le Batelier et son Compère se désolaient de ne pas avoir de client à transporter d’une rive à l’autre (Scène 3), la Sœur de la Bourgeoise et Climant paraissent sur les rives pour emprunter le bac. Durant la traversée, la Sœur explique à Climant le dessein de la Bourgeoise, sans pour autant lui révéler l’identité de celui qu’elle aime. Son interlocuteur soupçonne un banal fanfaron, mais la Sœur laisse planer le doute (Scène 4). De son côté, Periandre se confie à son gentilhomme, Ardillan. Il lui fait part de sa tristesse, car il croit son fils Acrise mort. Les paroles réconfortantes de son gentilhomme ne semblent avoir que peu d’effet sur lui, aussi décident-ils conjointement de se rendre à Saint-Germain, auprès de la Cour, pour y rencontrer des courtisans qui pourraient les renseigner sur le sort d’Acrise (Scène 5). Enfin, le Vaillant, un fanfaron qui sans cesse loue ses mérites à la guerre et ses facultés supposées d’homme de combat, et son compagnon la Montagne, s’en vont exécuter l’ordre de la Bourgeoise d’enlever Acrise (Scène 6).

Acte II §

Accompagné de Climant, Atis attend Florise. Il se montre très impatient à l’idée de son arrivée, mais s’inquiète qu’elle soit accompagnée de son amie la Bourgeoise. Toutefois, la mélancolie le pousse à tenter de suspendre les sentiments qu’il éprouve envers elle (Scène 1). Demeuré seul, Acrise laisse paraître ses passions déchirées, où il regrette d’avoir aimé Cloris et souillé l’honneur de son ami Atis, promis à cette dernière (Scène 2). Le trouvant inanimé, Cloris se désespère de le voir mort, et comprend qu’il s’est évanoui par amour. Lorsqu’il se réveille, elle l’interroge sur les raisons de son sommeil, mais avant de lui révéler le nom de celle qu’il aime, il la met en garde contre la vérité qu’il s’apprête à lui révéler (Scène 3). Au même moment, Clerandre, le père d’Atis, se dit pressé de voir le mariage de son fils, car la mort, semble-t-il, le guette. Climant, son secrétaire, se propose de jouer les informateurs et les facilitateurs, bien que prévenant Clerandre de l’attirance d’Atis pour Florise. En apprenant cette idylle, Clerandre blâme son fils et pense qu’Acrise pourra l’aider à le raisonner – et, du même coup, à faire échouer les stratagèmes de la Bourgeoise (Scène 4).

Acte III. §

Climant informe la Sœur de la Bourgeoise des manœuvres de Clerandre : pour éviter l’union d’Atis et de Florise, il compte marier cette dernière à Acrise, permettant ainsi à Cloris d’épouser son fils. En contrepartie, la Sœur révèle que la Bourgeoise souhaitait faire enlever Florise dans les bois avec l’aide du Vaillant fanfaron, mais qu’Atis est justement intervenu pour l’en empêcher (Scène 1). La Bourgeoise ne manque d’ailleurs pas de ruminer sa déception d’avoir vu ses plans contrecarrés par l’intervention d’Atis (Scène 2). Cloris exprime sa désespérance de ne pouvoir ni aimer, ni épouser Atis. Alors qu’elle se promène, la Bourgeoise la surprend et tente de la convaincre que le mariage auquel elle est promise est un bienfait. C’est alors qu’Atis et Florise arrivent : afin d’entendre leur conversation sans se présenter à eux, la Bourgeoise et Cloris s’écartent dans l’ombre (Scène 3). En effet, Atis et Florise ont une discussion mouvementée, car chacun est tiraillé par des sentiments envers un autre (Scène 4). La Bourgeoise s’empresse alors d’intercéder auprès d’Acrise, qui refuse ses belles paroles, et prend congé d’elle (Scène 5). Mais il ne demeure pas longtemps dans sa mélancolie : Atis survient sur scène, et le conseil sur les gestes à adopter envers Florise et Cloris (Scène 6).

Acte IV §

Florise et Atis ont un face-à-face houleux, jusqu’à se rejeter mutuellement (Scène 1). Alors que Florise demeure seule, la Bourgeoise la rejoint et l’interroge sur son conflit avec Atis. Leur discussion est interrompue par l’arrivée de Climant (Scène 2). Alors qu’il complimente la Bourgeoise, cette dernière le rejette, malgré les témoignages de son obéissance qu’il cherche à lui donner (Scène 3). De son côté, Atis, demeuré seul, exprime ses regrets envers Silvie, qu’il continue de croire morte, et Cloris, avec qui il s’apprête à vivre. Après avoir songé à mourir, il choisit de laisser le temps et l’âge lui ôter la vie (Scène 4). Plus tard, son père le blâme pour ses choix, et lui ordonne d’obéir à ses décisions, renouvelant son autorité paternelle. De nouveau seul, Atis se lamente dans une longue tirade de la sévérité de son père, et du sort qui semble s’acharner contre lui (Scène 5). C’est alors que paraît la Bourgeoise, qui annonce clairement s’apprêter à mentir à Atis, sous couvert de l’amour. Comme il lui fait voir son désespoir, cette dernière lui assure qu’Acrise aime Florise, et décide, en aparté, d’agir pour qu’il ne la rencontre pas (Scène 6).

Acte V §

La Bourgeoise se réjouit que ni Cloris, ni Florise ne peuvent désormais lui faire obstacle pour contraindre Atis à l’aimer (Scène 1). Voyant Florise arriver, elle décide de la consoler, car celle-ci désespère de l’amour d’Atis. Mais, une nouvelle fois, le discours de la Bourgeoise est double : à haute voix, elle promet à Florise que le père d’Atis changera d’avis ; à voix basse, elle jubile de voir que Florise lui accorde progressivement sa confiance. Alors que Cloris s’apprête, de son côté, à se retirer, la Bourgeoise l’interpelle et parvient à écouter sa confession (Scène 2). Atis se lamente de sa condition de personnage à la fois incompris et traître à son ami. Acrise lui propose donc de se venger par le fer (Scène 3). Voyant la violence monter entre les deux, Periandre et Ardillan décident d’intervenir. Reconnaissant son fils, Periandre exprime sa joie, tandis qu’Acrise retrouve sa véritable identité, Camille, et avoue éprouver des sentiments pour Cloris (Scène 4). Face à la Bourgeoise, Cloris demande expressément à Clerandre de la laisser aimer Acrise, qui justement paraît, accompagné d’Atis (Scène 5). Tous sont désormais réunis et chacun laisse paraître ses véritables desseins : Acrise révèle être Camille, et fait la lecture d’une lettre de son père Fabrice destinée à Clerandre, qui révèle le stratagème qu’il avait mis en place pour éviter l’union, à Florence, de son fils et de Silvie. La lettre apprend à l’assemblée que Fabrice, ému par les pleurs de son fils devant la mise en scène de la mort de Silvie, avait envoyé cette dernière en France sous le nom de Cloris, et qu’il promet de venir les rejoindre pour consentir à cette union, une fois libérés de ses affaires en Italie. Atis uni à Florise, et Camille-Acrise uni à Silvie-Cloris, la Bourgeoise voit ses manœuvres réduites à néant. Elle consent donc à prendre Climant pour époux, même si elle doute de sa sincérité lorsqu’il affirme vouloir lui obéir plutôt que la commander, mais s’en va en chuchotant qu’elle ne s’interdira pas un « prudent favori » (Scène 6).

II. CONDITIONS DE REPRÉSENTATION ET SCÉNOGRAPHIE §

Nous ne disposons d’aucune information relative à la représentation de La Bourgeoise. C’est à peine si l’on a la certitude qu’elle ait été jouée : en outre, les Frères Parfaict ont émis, dans leur notice consacrée à la vie de Rayssiguier, l’hypothèse que les deux ou trois dernières pièces de Rayssiguier (soit Palinice, La Célidée et éventuellement Les Thuilleries) n’aient jamais été données au public40, faute de décors suffisants, ou même par manque de volonté du dramaturge. Cette supposition peut paraître surprenante, voire paradoxale, quand on sait que si les pièces étaient imprimées, c’est justement parce qu’elles avaient été représentées au préalable et qu’elles avaient connu, a fortiori, un certain succès. Pourtant, au moment d’en venir à La Bourgeoise, ces mêmes Frères Parfaict insistent :

« On seroit tenté de croire que [cette pièce] n’a jamais été représentée, si la Préface ne certifioit le contraire41. »

Néanmoins, la fiabilité des écrits de ces chroniqueurs du théâtre est, on le sait, extrêmement relative, du fait de leurs nombreuses affirmations avancées sans sources. Et si l’on se réfère à la « Préface » à laquelle ils renvoient (sans pour autant la citer), qui s’avère être l’épître dédicatoire de La Bourgeoise, on peut lire :

[Le] principal dessein de ceste Epistre […] ne tend qu’à vous supplier, d’avoir agreable que sous vostre nom je face voir au public, Ma Bourgeoise, ou, Ma Promenade de Saint Clou […]42.

On se bornera donc ici à considérer que La Bourgeoise a bel et bien été mise en scène au début des années 163043, et qu’il demeure possible d’en entrevoir la scénographie.

1) Un théâtre : l’Hôtel de Bourgogne §

Il est cependant une chose que l’on peut affirmer avec certitude : les premières pièces de Rayssiguier (lesquelles représentent en même temps, probablement, ses plus grands succès) ont été créées à l’Hôtel de Bourgogne. Deux éléments nous le prouvent :

1– Dans l’avis au lecteur de L’Aminte de Tasse, Rayssiguier écrit :

la plus grande part de ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre […].

Outre l’intérêt évidemment dramaturgique, voire esthétique qu’elle engendre, et sur lequel nous reviendrons ultérieurement, cette formule confirme que Rayssiguier entretenait des liens avec l’Hôtel de Bourgogne et son public.

2– Le Mémoire de Mahelot est un registre de travail dans lequel ledit Mahelot, décorateur principal de la scène de l’Hôtel de Bourgogne, a consigné dans les années 1630 les éléments nécessaires à la scénographie des pièces qui y étaient créés. Or, il existe une notice44 consacrée aux Amours d’Astrée et de Céladon (1630) – œuvre en premier lieu attribuée à Baro, avant que la mention ne soit biffée, mais jamais remplacée par le nom de Rayssiguier. L’existence de cette notice révèle que la pièce a été jouée plus d’une fois, preuve d’un succès plausible qui aurait pu inciter les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne à créer d’autres pièces du même dramaturge.

2) Tentative de reconstitution de la scénographie de La Bourgeoise §

En l’absence de notice de Mahelot pour la création de La Bourgeoise, il nous est nécessaire de procéder par rapprochements pour concevoir les décors de la pièce.

En outre, le Mémoire consacre une page au Vendanges de Suresnes (1636), tragi-comédie de Du Ryer, dont l’action et la spatialisation sont très proches de La Bourgeoise. Nous en reproduisons ici la notice intégrale45, en faisant apparaître en gras les éléments rappelant la scénographie de notre tragi-comédie :

Au milieu du theatre, il faut faire paraître le bourg de Surêne, et au bas faire paraître la Rivière de Seine, et aux deux costés du theatre, faire paraître forme de paysage, Loingtain, garny de Vigne, raisins, abres, noyers, peschers et autre Verdure, plus faire paraître le tertre au dessus de Surêne et lhermitage, Mais, aux deux costés du theatre, il faut planter des Vignes facon de bourgogne peinte sur du barton taillée a jour, il faut une hote de vandangeur pleine de raisins, et feuilles de vigne il faut deux paniers, deux eschalas, une serpette et trois lettres, en la saison du raisin il faut avoir cinq ou six grappes pour la feinte,

Ces quelques indications ne sont pas sans rappeler le cadre mi-urbain, mi-pastoral de La Bourgeoise. On peut aisément concevoir un décor similaire, articulé autour de plusieurs « chambres »46 fixes, que le spectateur voyait en continu durant toute la représentation, avec d’un côté, la « Rivière de Seine » (qu’un groupe d’acteurs doit traverser dès le premier acte), de l’autre, un bois, où le Vaillant et la Montagne iraient commettre leur méfait. Le centre de la scène, laissé libre, aurait eu pour tableau de fond un paysage champêtre de l’Ouest parisien. Aucune indication de Rayssiguier ne laisse entendre que la pièce se déroule en intérieur. Au contraire, le titre lui-même incite, par l’idée de « promenade », à une action se déroulant dans un lieu ouvert. Enfin, tout comme la mention « Le Théâtre représente Suresnes » fait suite à la liste des acteurs de la pièce de Du Ryer, on imagine sans peine une mention similaire, comme « Le Théâtre représente Saint-Cloud » ou « La scène est à Saint-Cloud », figurer en tête de la pièce de Rayssiguier.

Tout bien considérée, la scénographie de La Bourgeoise ne différait probablement pas de celle pratiquée de manière générale au début des années 1630, âge d’or de la tragi-comédie. L’absence d’unité de lieu dans la dramaturgie engendrait irréfutablement une mise à la scène complexe, nécessitant des décors multiples, parfois juxtaposés. En d’autres termes, les décorateurs étaient tenus de suivre les indications des dramaturges qui n’imposaient « aucune limite à la spatialisation de l’action », pour reprendre les mots de Pierre Pasquier et Anne Surgers47. Ce faisant, nous proposons en annexe 2 une reconstitution, sous la forme d’un croquis, de la scénographie de la présente tragi-comédie, conformément aux éléments techniques et esthétiques que nous venons d’énoncer.

III. GENÈSE DE LA PIÈCE §

Les deux premières pièces de Rayssiguier témoignaient d’une parenté littéraire conséquente, décelable dans leurs titres mêmes. Les Amours d’Astrée et de Céladon (1630) renvoyaient explicitement à Urfé, tandis que L’Aminte (1631) se réclamait directement du Tasse à la fois dans son titre et dans son contenu, une traduction plus ou moins suivie de l’œuvre originale. Cela étant, on s’attendrait à ce que La Bourgeoise n’ait subi l’influence que des tragi-comédies en vogue, ou n’ait été composée qu’en réaction à la dramaturgie prônée par Alexandre Hardy (notamment sur la question de la limitation des monologues). Mais il semblerait qu’avant – ou en plus de – ces considérations, Rayssiguier ait puisé son inspiration dans un roman grec tardif, aujourd’hui totalement méconnu, intitulé Les Amours d’Ismène et d’Isménie.

1) Une source romanesque grecque §

Le recours à un roman gréco-byzantin du XIIe siècle peut paraître excentrique, et pourtant il possède sa cohérence dans le contexte des publications du début du XVIIe siècle, ainsi que dans l’influence qu’il aurait pu avoir sur la création littéraire de la même époque.

Avant de commencer, nous devons témoigner de notre dette envers Henry Carrington Lancaster sans qui, une nouvelle fois, nous n’aurions jamais orienté nos recherches sur cette piste. En effet, dans son History of the French dramatic Literature in the Seventeenth century, il précise, dans la notice qu’il consacre à La Bourgeoise :

The chief element of the plot is so close to that of Alcimédon, written by the author’s friend Du Ryer, that it must come from it or from its source, the Greek romance of Eumathius48.

Nous proposons de développer ici ce que Lancaster ne pouvait qu’évoquer, étant donné l’objectif qu’il s’était fixé.

a) La renaissance d’un roman §

En 1625 paraissent à Paris, chez Toussaint du Bray, Les Adventures amoureuses d’Ismène et d’Isménie, histoire grecque d’Eustathius, mise en françois par le Sr Colletet49. Il s’agît d’une traduction du roman de l’auteur byzantin Eustathios Makrembolites, ayant vécu durant la seconde moitié du XIIe siècle – traduction qui elle-même se fonde sur une traduction en latin du roman, De Hysmines et Hysmineae Amoribus, parue à Paris vers 1617. Le traducteur, Guillaume Colletet (1598-1659)50, faisait partie d’un cénacle, les « Illustres bergers », un groupe de poètes adeptes de Ronsard qui compta dans ses rangs les premiers membres de l’Académie française comme Antoine Godeau – ou, justement, Colletet. Ce travail de traduction trouve probablement sa place dans la veine humaniste des « Illustres bergers », et plus largement dans une volonté de redécouverte et de valorisation des Belles Lettres, mouvement lancé par les poètes de la Pléiade et le « libertinage érudit »51.

Comment Rayssiguier a-t-il pu avoir accès à ce texte ? Bien sûr, un éventuel succès de l’ouvrage aurait favorisé sa réception auprès de notre dramaturge. Son amitié avec Du Ryer, et sa brève appartenance au milieu littéraire des avocats parisiens n’auraient fait que favoriser cette lecture. La notoriété des « Illustres bergers » peut y avoir contribué : retiré de la ville, et reproduisant le mode de vie des bergers de L’Astrée, le cénacle attirait les regards par son art de vivre épicurien – ce qui n’aurait sans doute pas manqué d’attirer l’attention de Rayssiguier, en particulier lorsque celui-ci composait ses premières tragi-comédies pastorales.

b) Du roman à la tragi-comédie §

Dans un décor crétois, Eustathios brosse le portrait de Rodope, une veuve influente et jalouse d’Isménie, décidée à ruiner l’amour entre cette dernière et son amant, Ismène. Elle emploie deux guerriers pour l’enlever mais, après la ruine de cette manœuvre, se résout à fomenter d’autres projets. Le roman s’achève par l’arrivée du père du héros, qui consent au mariage, réduisant Rodope au silence.

L’essentiel de la trame de La Bourgeoise se retrouve déjà dans ces quelques lignes de résumé. A travers Rodope, on retrouve déjà la figure du personnage éponyme. Le Vaillant fanfaron et la Montagne ne sont encore là que des faire-valoir sans réelle profondeur comique, mais leurs traits sont déjà esquissés. Au-delà de la typologie des personnages et des caractères, la figure du père, absente pendant la majorité du roman, fait son apparition sur la scène de l’intrigue à la fin, pour favoriser le mariage, comme Periandre apparaîtra ex-nihilo au cinquième acte de notre pièce.

Rayssiguier ne garde pourtant de ce roman, semble-t-il, que la conception du « romanesque ». Il le dépouille des représentations allégoriques de l’amour, ainsi que de l’érotisme que l’on pouvait y trouver. Rayssiguier n’agit pas différemment ici qu’avec le roman d’Urfé : il le « dispose au théâtre », comme il admettait le faire pour L’Astrée dans la préface de ses Amours d’Astrée et de Céladon52. L’esthétique de la tragi-comédie requérait d’autres codes, d’autres exigences pour que la pièce soit considérée comme telle, aussi ne peut-on pas dire que Rayssiguier n’a fait que transposer le roman d’Eustathios à la scène. Selon Chrystelle Barbillon, cette pratique ne diffère pas de celle des dramaturges qui tiraient leurs inspirations d’un roman grec : ces derniers leur offraient « une matière abondante, prête à se laisser couler dans une dramaturgie encore assez irrégulière »53. Eusthatios a donc vraisemblablement offert à Rayssiguier une opportunité dramaturgique prégnante, un socle sur lequel construire cinq actes.

2) La Bourgeoise en son temps : l’intertextualité de la pièce dans le théâtre des années 1630 §

La tragi-comédie de Rayssiguier entretient également un dialogue avec le théâtre de son temps, en particulier par des similitudes de sources ou de vers.

a) Une communauté de source : Alcimédon de Du Ryer (1634) §

L’achevé d’imprimer de la pièce, daté du 28 décembre 1634, est trompeur : toujours selon Lancaster, la tragi-comédie de Du Ryer Alcimédon aurait été composée vers 163254, soit au même moment que La Bourgeoise. Elle paraît procéder de la même source que La Bourgeoise – à moins qu’elle n’ait été directement influencée par cette dernière. L’amitié entre les deux dramaturges rend ces deux hypothèses plausibles, voire complémentaires.

L’influence d’Eustathios sur cette tragi-comédie est telle que son auteur va plus loin que Rayssiguier en conservant le nom de Rodope. Dans la liste des acteurs, elle est présentée comme une « veuve amoureuse de Scamandre », lui-même « amoureux de Daphné ». La pièce se déroule a priori dans la même partie du monde que le roman, et en reproduit le schéma narratif : Scamandre et Daphné ont été séparés durant un amour de jeunesse, puis se retrouvent et retombent amoureux sans pour autant se reconnaître. Tiraillés par la volonté de ne pas laisser un nouvel amour suppléer à leur passion originelle, ils doivent faire face aux manœuvres de Rodope qui, comme la Bourgeoise, veut écarter Daphné de son amant.

Une divergence fondamentale subsiste pourtant : Rayssiguier a multiplié les couples par deux, et a entremêlé les intrigues amoureuses sur la même scène. Y a-t-il donc finalement, chez notre dramaturge, une primauté de l’esthétique du roman urféen sur le roman grec ? Étant donnée la confusion des périodes de composition de La Bourgeoise et d’Alcimédon, on a affaire à deux cas de figure :

1– Soit l’idée du roman d’Eustathios a été suggérée par Du Ryer à Rayssiguier, ce dernier l’ajoutant à ses sources d’inspirations premières qu’étaient les romans pastoraux ;

2– Soit elle a été suggérée par Rayssiguier à Du Ryer, lequel a transcris presque « tel-quel » l’histoire d’Ismène et d’Isménie.

En plus de leur influence réciproque, c’est donc le roman d’Eustathios qui lie les tragi-comédies de Rayssiguier et de Du Ryer. Toutes deux procèdent de cette même source, mais chacun en a tiré un parti différent : Du Ryer a choisi la fidélité à l’œuvre originale, tandis que Rayssiguier a préféré la diversité des influences.

b) Une communauté lexicale : Les Folies de Cardénio de Pichou (1630) et la métaphore du roseau §

En interne, La Bourgeoise s’inscrit bel et bien dans son temps, notamment par le biais de son lexique. Une sentence, déjà relevée par Lancaster55, résonne avec une autre située dans Les Folies de Cardénio, première tragi-comédie de Pichou. En outre, on peut y lire (en II, 2) :

La femme est un roseau qui branle au premier vent

Et, dans La Bourgeoise (III, 1) :

La femme est un roseau que le moindre vent plie

La copie est, on le voit, évidente. Le premier hémistiche demeure intact et maintient « roseau » en tant qu’antécédent, tandis que le second intervertit le verbe et le pronom relatif. Pouvons-nous pour autant considérer qu’il s’agît d’un plagiat ?

Dans le théâtre des années 1630, la métaphore du roseau pour désigner l’inconstance de la femme amoureuse était relativement courante. On la retrouve, entre autres, chez Mareschal :

Ai-je un cœur de roseau, qu’un vent puisse émouvoir56 ?

Ou encore, chez Scudéry :

Roseau frêle, débile, et qui tourne à tout vent57

Ces quelques exemples démontrent une occurrence lexicale récurrente, à laquelle Rayssiguier ne fait que prendre part. Chemin faisant, la relation entre La Bourgeoise et Cardénio ne tient pas du calque, mais davantage de l’imitation, de la reprise d’un topos stylistique.

***

On constate alors une multiplicité de pôles d’influences : le roman grec d’Eustathios pour l’histoire, ou encore diverses références au lexique et métaphores des pièces des années 1630. Mais en filigrane se dessine aussi la présence de la pastorale et de la comédie de mœurs. Réfléchir sur la composition d’une pièce manifestement située à la croisée des chemins des sources nécessite donc de s’interroger sur son rapport au genre qu’elle entend représenter, à savoir la tragi-comédie.

TROISIÈME PARTIE : La Bourgeoise et le genre tragi-comique §

Envisager la pièce de Rayssiguier par rapport à la tragi-comédie en tant que genre révèle une ambiguïté latente : sous les mêmes aspects, il est possible de dire que La Bourgeoise présente les traits essentiels de la tragi-comédie, puis d’affirmer le contraire en avançant qu’elle diverge trop de ces caractéristiques pour répondre convenablement à l’appellation qui lui a été attribuée. Là encore, Rayssiguier semble se placer aussi bien en iconolâtre qu’en iconoclaste, puisque son œuvre s’inscrit dans une tradition amorcée au XVIe siècle, tout en s’en émancipant.

I. LA RÉCEPTION DE GARNIER §

Pour vérifier l’appartenance de La Bourgeoise à une tradition finalement assez jeune en 1633, il nous semble profitable de l’examiner à l’aune de la « mère » des tragi-comédies : Bradamante de Robert Garnier (1582).

Garnier ne possède pas la paternité du terme « tragi-comédie »58. Plaute revendiquait déjà le terme « tragi-comoedia », dans le prologue de son Amphitryon, en faisant dire à Mercure :

Faisons un mélange, une tragi-comédie. Car, qu’une pièce où figurent des princes et des dieux soit tout à fait une comédie, c’est ce qui ne me paraît pas convenable. Eh bien ! donc, puisqu’un esclave y joue son rôle, je la convertirai, comme je viens de vous le promettre, en une tragi-comédie59.

Mais le sens qu’il lui conférait était limité : pour lui, la tragi-comédie ne pouvait représenter qu’une pièce mettant en scène à la fois des êtres supérieurs (dieux, rois) et des êtres inférieurs (esclaves, personnages du commun). Avec Bradamante, Garnier étend l’acception du terme à une dimension dramaturgique. Pour lui, il ne s’agît plus seulement de présenter simultanément des personnages de rangs divers, mais de mettre en scène une intrigue aux abords tragiques se terminant sur un dénouement heureux.

En cela, La Bourgeoise se situe dans cette lignée car somme toute, elle comporte des moments pouvant se rapprocher de la tragi-comédie. Atis menace de se suicider dans des monologues où le pathos est renforcé (comme en IV, 4). Acrise est tiraillé entre l’amour qu’il porte à Cloris et son amitié pour Atis (tiraillement savamment entretenu par la Bourgeoise), au point de s’évanouir (en II, 2). Jusqu’au dernier acte, l’union des deux couples d’amants paraît compromise, avec en point d’orgue l’affrontement cavalier entre Atis et Acrise. Et tout d’un coup, un élément arrive ex-nihilo : la lettre de Fabrice, le père d’Acrise/Camille, destinée à Clerandre, révélant son regrettable stratagème pour empêcher l’union de son fils avec Cloris/Silvie, et annonçant son arrivée prochaine d’Italie. Ainsi, après avoir développé toute une intrigue fondée sur la non-reconnaissance tragique des amants et sur le topos des amours interdites, Rayssiguier donne à sa pièce une fin heureuse par ce qui semble relever d’un opportunisme dans la conception de sa pièce.

Deux similitudes entre Bradamante et La Bourgeoise peuvent être notées, même si elles relèvent davantage de l’accessoire que d’un véritable témoignage de sources, tant l’utilisation qu’en font les deux dramaturges diverge. Comme Garnier, pourtant, Rayssiguier a utilisé la figure du père refusant l’amour entre les amants comme moteur dramatique, mais sans la vertu chrétienne et la morale sur laquelle finissant Bradamante, avec les sages paroles prononcées par Léon. De plus, un personnage se nomme La Montagne dans chacune des deux pièces. Guerrier, il est chez Garnier un compagnon de route de Charlemagne, tandis que chez Rayssiguier, il n’est que le faire-valoir du Vaillant fanfaron, lui-même un personnage ridicule à la fonction essentiellement comique.

Rayssiguier a-t-il lu Garnier ? Si nous avons choisi d’analyser La Bourgeoise en regard de Bradamante en tant que tragi-comédie première et non en tant que sources ayant contribué à sa genèse, c’est justement parce que nous n’en avons aucune certitude. Le rapport entre les deux pièces est principalement structurel. Le schéma que suivent les deux intrigues (un développement tragique menant à une fin heureuse) justifie en partie le genre que l’on a attribué à la pièce de Rayssiguier. « En partie » car, bien que la pièce réponde a priori aux codes de la tragi-comédie60, à l’intérieur de sa structure apparaissent des éléments faisant se rapprocher La Bourgeoise des limites de son genre.

II. UN PROBLÈME GÉNÉRIQUE §

1) La Bourgeoise en marge de la tragi-comédie §

Dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Hélène Baby émet l’hypothèse suivante, en s’appuyant sur les travaux de Lancaster :

L’étude des pièces de Rayssiguier classées d’ailleurs par Lancaster dans « tragi-comédie that resemble comédie », apporte [une] confusion. Car rien, dans le théâtre tragi-comique de Rayssiguier, pas plus la qualité des personnages que le voyage romanesque, ne justifie l’appellation de tragi-comédie ; seul le péril de mort menace les héros et paraît, en anticipant sur le péril de la mort cornélien, le critère fondateur de ces créations […]61.

Si ce jugement porte sur l’ensemble de l’œuvre de Rayssiguier, il s’applique particulièrement à La Bourgeoise. Du tragique, en effet, la pièce ne comporte que peu de traces : le combat à mort entre le Vaillant et Atis n’est pas représenté, et son issue demeure à peine évoquée par l’intéressé. Quant aux passions, elles prêtent plus le spectateur à sourire qu’à s’émouvoir, les monologues pathétiques d’Acrise et d’Atis se rapprochant le plus souvent de l’ironie tragique que du pathos sérieux. Les manigances et les mensonges ourdis par la Bourgeoise sont, en réalité, les seuls éléments qui puissent faire le lien entre la facette tragique et la facette comique de la pièce tout en maintenant un effet dramatique sur cinq actes. Le duel entre les anciens amis et nouveaux rivaux Acrise et Atis représente le point culminant de ce crescendo dramatique. A aucun moment, cependant, Rayssiguier n’annonce sa volonté de faire rire – mais pas plus qu’il annonce son intention d’émouvoir. Passée la subjectivité de la lecture de la pièce, on est réduit à un constat : La Bourgeoise, comme le suggère Lancaster, tient davantage de la « comédie de mœurs »62 que de la pure tragi-comédie.

a) Du comique dans La Bourgeoise §

Qui dit « comédie de mœurs » implique parodie et caricature. De ce point de vue, le titre de la pièce peut déjà indiquer l’intention de l’auteur sur le sujet. « La Bourgeoise » serait la représentation d’une galante, et voire d’une « coquette » parisienne, tournée en ridicule par ses plans toujours galvaudés et mis à mal par un enchaînement de causes à effets à teneur risible.

Considérons, par exemple, les personnages du Vaillant et de son complice La Montagne. Le premier est issu d’une lignée de soldats fanfarons entamée par Plaute dans sa comédie éponyme63. Le second – on l’a vu – tire son nom de Bradamande de Garnier. Bien qu’il n’apparaisse qu’une fois dans la pièce (en I, 6), le couple formé par ces deux personnages est ouvertement orienté vers le rire et leur passage sur la scène du théâtre représente un moment fort de La Bourgeoise : le Vaillant incarne toutes les prétentions du soldat hâbleur et (probablement) mythomane, et la Montagne se révèle n’être que son complice, son accompagnateur dont la supposée force physique n’a d’égale que sa naïveté envers les dires de son acolyte. En effet, en parlant du Vaillant, celui-ci déclare :

J’avois creu toutesfois qu’un homme genereux
Se pouvoit empescher d’estre fort amoureux64.

Ce à quoi le fanfaron rétorque :

La Montagne, l’amour est un petit vipere
Qui déchire en naissant le ventre de sa mere,
Et qui dessous des fleurs cache secretement,
Lors qu’on les veut cueillir blesse mortellement,
Tout cede à sa puissance, & font parler des fables,
Il rend d’un seul clein d’œil les plus rudes affables65.

La vantardise du personnage est donc double : il justifie sa soi-disant détermination au combat et certitude de vaincre par l’amour qu’il porte à la Bourgeoise.

Le comique, chez Rayssiguier, est un comique classique : un personnage ridicule intervient dans des situations à première vue tragiques pour mieux tourner ces dernières en dérision. Mais il a le mérite de faire voir une chose : La Bourgeoise voulait faire rire. Bien qu’elle corresponde au critère de la « tragédie qui se termine bien », des éléments comme le Vaillant repoussent les limites du genres. Néanmoins, si l’on continue de s’en tenir à la proposition de Lancaster, la « comédie de mœurs » doit aussi impliquer la représentation d’un certain mode de vie, de pratiques, voire des coutumes. Aussi, le personnage de la Bourgeoise, caricaturé, ne suffit pas à justifier à lui seul cette appellation. Car, encore une fois, Rayssiguier a vu plus loin que le caractère : il propose de recréer sur la scène du théâtre l’univers fréquenté par ses personnages.

b) La représentation de Paris, de sa périphérie et de ses travailleurs : La Bourgeoise comme peinture des « mœurs » §

Un des éléments permettant à La Bourgeoise de se distinguer des autres créations de la scène française de la première moitié du XVIIe siècle tient en sa scénographie devant représenter un cadre qui n’est pas antique, sans être tout à fait pastoral ou totalement urbain66. Il faut tout de suite préciser que La Bourgeoise ne cherche pas à représenter Paris, mais ses environs. Toutefois, si une comédie comme La Galerie du Palais ou l’Amie rivale de Corneille (1632) donne à voir, elle, un endroit de Paris bien particulier, à savoir le Palais de Justice, son objectif ne diffère pas de celui de Rayssiguier, comme le rappelle Georges Couton :

Pour un écrivain dramatique, désireux de composer une comédie très parisienne, aucun endroit ne se prêtait mieux à se faire rencontrer les gens du bel air. C’est un cadre très naturel dans lequel on pouvait les peindre et, avec le réalisme pittoresque parisien, La Galerie du Palais s’oriente parfois vers la comédie de mœurs67.

À peu de choses près, on croirait presque lire une notice de La Bourgeoise. Comme Corneille, Rayssiguier utilise « un cadre naturel » pour faire évoluer des personnages de la bourgeoisie urbaine, et profite de ce cadre pour dépeindre cette société dans des conditions plus ou moins réalistes. Et si Corneille utilise des boutiquiers pour accéder à ce semblant de réalisme, Rayssiguier, lui, emploie les personnages du Batelier et de son Compère. Ces deux compagnons peuvent, à la lecture de la pièce, nous apparaître complètement anecdotiques. Il est vrai que, du point de vue de l’intrigue, leur place est plus que mineure : ils n’apportent aucun retentissement à l’histoire, et semblent davantage faire partie du décor que de l’action dramatique. En réalité, le Batelier et son Compère ne sont que des exemples de cette abondance de personnages secondaires dont faisaient preuve les dramaturges préclassiques. Ils jouent le rôle des « domestiques », au sens où ils sont au service des bourgeois parisiens pour leur faire traverser la Seine.

Au-delà de l’anecdotique, on peut noter a minima que Rayssiguier se sert d’eux pour situer spatialement l’action de la pièce : plusieurs fois, dans leur unique dialogue en I, 3, ils mentionnent divers lieux de l’Ouest parisien comme le « faubourg Saint Germain », ou le monastère des « Bonshommes » à « Chaillot ». De plus, leur brève discussion, avant l’arrivée de la Sœur de la Bourgeoise et de Climant à la scène suivante68, s’articule autour des difficultés quotidiennes du commerce, de la désertion de la clientèle bourgeoise, et même de « l’espoir d’un lendemain meilleur »69. En substance, ces quelques vers presque hors-sujet n’ont d’autre but que de faire reposer l’intrigue sur un socle réaliste, voire pragmatique.

D’un point de vue dramaturgique, Rayssiguier compose les personnages du Batelier et de son Compère selon l’une des deux règles émises par Jacques Scherer : au lieu de les faire revenir régulièrement dans la pièce mais avec très peu de vers, Rayssiguier choisit de ne les « montrer que dans un très petit nombre de scènes, puis [de] les faire retomber dans l’oubli »70. Ils sont introduits « par hasard »71, et quittent la scène comme ils y sont venus, en n’ayant pris part à la pièce que par le symbole du « bon sens populaire »72.

L’appellation de « tragi-comédie » doit-elle être définitivement oubliée, au vu de cette étude des mœurs ? Pour Couton, Corneille (et probablement Rayssiguier) répondait à un effet de mode :

Corneille semble avoir obéi à une mode. Plusieurs pièces, à cette époque, ont de telles évocations. […] Ainsi une pastorale anonyme, Le Mercier inventif, montre un colporteur offrant sa marchandise, mercerie, coutellerie ; La Lysimène de G. de Coste fait paraître aussi un mercier ; Lisandre et Caliste de Du Ryer fait dialoguer un boucher et une bouchère devant leur boutique. La Célinde de Baro évoquait la vie quotidienne : « On entend déjà force bruit par les rues ; les paysans vont au travail ; tous les marchands ouvrent leurs boutiques73.

Si nous n’évoquons ici que la pièce de Corneille, nous n’insinuons pas qu’elle ait participé à l’inspiration de Rayssiguier, sous prétexte de son antériorité. Au contraire, nous pensons que La Bourgeoise peut également être rapprochée, en ce sens, d’une tragi-comédie comme Les Vendanges de Suresnes de Du Ryer, que nous avons déjà évoquée pour ses similitudes scénographiques, et que Lancaster décrit comme « une comédie de mœurs »74, à l’instar de ce qu’il suggérait pour La Bourgeoise. Toutes les pièces dites « parisiennes » auraient-elles donc attrait à ce genre spécifique ? Il semble que, pour un dramaturge des années 1630, il soit inenvisageable de situer autre chose que de la comédie dans un cadre urbain ou, à plus forte raison, français, comme si le fait de représenter le monde que connaissaient les spectateurs ne pouvait être qu’un geste essentiellement comique.

L’appellation de « tragi-comédie », on le voit, ne demeure plus qu’une désignation arbitraire. Pour écrire comme Hélène Baby, nous nous bornerons à constater qu’indubitablement, « les tragi-comédies de Rayssiguier sont des comédies que la mode a baptisé tragi-comédies ».75

2) Une crypto-pastorale ? §

Nous ne traiterons pas l’hypothèse d’une pastorale sous-jacente à La Bourgeoise de la même manière que nous l’avons fait pour la question de la comédie, pour une simple raison : lorsque l’on pouvait émettre le doute quant à la possibilité d’entrevoir une comédie dans la tragi-comédie, il nous apparaît plus clairement qu’il serait malencontreux de la concevoir comme une pastorale. Toutefois, certains éléments pastoraux, probablement hérités des deux précédentes œuvres de Rayssiguier, subsistent au sein de la tragi-comédie de 1633.

Tout d’abord, le cadre : bien que le titre esquisse le faubourg de « Saint Cloud », la notion de « promenade » nous paraît plus prégnante pour qualifier l’organisation de la pièce. La « Rivière de Seine » (I, 3), le bois (I, 6), l’ombre d’un buisson (III, 3)… Toute la scénographie rejette l’urbanité pour favoriser le bucolique, et les personnages évoluent dans un cadre bocager qui n’est pas sans rappeler les prairies et les vallons du Forez de L’Astrée76.

Au reste, ces derniers ne semblent avoir d’autre occupation que leurs affaires galantes, à l’image des bergers urféens. Certains vers résonnent d’ailleurs avec les maximes amoureuses que l’on retrouve au gré des pastorales du début du XVIIe siècle :

La Sœur.
L’Amour est un enfant qui fuit la tromperie,
La Bourgeoise.
Au contraire l’amour n’est que supercherie77

Si nous proposons le terme « crypto-pastoral », c’est pour mieux cerner l’ambivalence de La Bourgeoise : certes, elle n’entretient pas de rapports aussi étroits avec ce dernier genre qu’avec la comédie, mais elle en laisse voir des traits essentiels, comme des réminiscences des précédentes créations (et premiers succès) de Rayssiguier.

***

Attribuer définitivement un genre à La Bourgeoise dépend, en fin de compte, du degré de lecture que l’on adopte. Si l’on s’attache à y trouver du comique, alors il est aisé de constater que la pièce répond à bien des tournures de la comédie. Si l’on veut rattacher la pièce aux canons de la tragi-comédie des années 1628 à 1634, on obtient une Bourgeoise parfaitement inscrite dans son époque. A terme, on comprend que la volonté de Rayssiguier de ne suivre aucune règle préétablie pour composer ses pièces amène à un résultat à la croisée des chemins entre les genres et qui, bien qu’il suive les usages du moment, ne saurait être réduit à une classification exclusive.

QUATRIÈME PARTIE : Étude des personnages §

ACRISE ET CLORIS, ATIS ET FLORISE : LES UNIONS IMPOSSIBLES §

La superposition de deux couples §

La bipolarisation des couples crée autant de strates dans l’intrigue de La Bourgeoise, chacun étant complémentaire de l’autre. Au commencement, ce sont évidemment les amours contrariées qui forment la dynamique de l’action entre ces quatre personnages : Acrise veut épouser Cloris mais doit épouser Florise, tandis qu’Atis veut épouser Florise quand il doit épouser Cloris. Acrise et Cloris, anciennement Camille et Silvie, se sont manifestement retrouvés tous les deux à Saint-Cloud par un concours de circonstances, et le destin fait intercéder leur passion dans celle d’Atis et de Florise. Les manigances de la Bourgeoise pour s’emparer de l’amour d’Acrise n’arrange rien à une situation que les jeux d’onomastiques et d’anagrammes entre les noms des amants avaient déjà rendue sibylline.

En effet, les fortes ressemblances entre les noms « Acrise / Atis » et « Cloris / Florise » peuvent rendre ardue la bonne compréhension de La Bourgeoise, et n’aident pas forcément le lecteur à s’y retrouver au milieu de la densité des personnages. Les Frères Parfaict furent les premiers à exprimer cet embarras :

Cette Piece est très-embrouillée par des suppositions de noms, & des reconnoissances78.

« Reconnoissances », car aux amalgames entre les patronymes se rajoute la double identité des nobles florentins que sont Acrise et Cloris, révélée à l’acte V. Tout au long de la pièce, l’un croit l’autre mort et se refuse à pleinement l’aimer par fidélité à un amour de jeunesse qui avance masqué.

Le lecteur serait alors en droit de se demander pourquoi Rayssiguier a entremêlé deux couples de la sorte, plutôt que de concentrer l’action sur la découverte des identités d’Acrise et de Cloris. Certes, introduire le personnage d’Atis, ami d’Acrise, permettait à la Bourgeoise de monter une rivalité entre ces deux derniers et, par extension, de renforcer le versant tragique de la tragi-comédie. Toutefois, nous adapterons ici une remarque formulée par Jacques Scherer79 : à l’image de la multiplication des personnages secondaires au début du XVIIe siècle, Rayssiguier ne semble pas se soucier de l’économie des personnages principaux, comme de la simplification de son intrigue en général.

Le statut héroïque des hommes §

Autre conséquence de la profusion des personnages : la valeur héroïque des caractères principaux est multipliée par deux. Acrise et Atis les endossent telles qu’elles sont définies par Scherer80 :

  • Ils sont jeunes. A aucun moment nous ne sommes informés de l’âge exact d’Acrise et d’Atis, mais on pourra deviner, par leur apparente forme physique, qu’ils sont à peine sortis de l’adolescence, et que leurs pérégrinations à travers l’Europe les ont peu affectés ;
  • Ils sont nobles. Acrise/Camille est, nous dit l’argument, « le fils d’un gentilhomme florentin ». Atis semble lui être issu de bonne famille, son père Clerandre ayant de l’influence sur l’ensemble des personnages de la pièce, et disposant même d’un secrétaire en la personne de Climant ;
  • Ils sont courageux. Atis intercède face au Vaillant fanfaron et à la Montagne pour empêcher le rapt de son ami, avant que les deux n’éprouvent aucune couardise à devoir s’affronter en duel, à la suite du malentendu fomenté par la Bourgeoise ;
  • Ils sont malheureux. Les monologues (voire les tunnels) tragiques s’enchaînent, jusqu’à constituer parfois la seule et unique façon de s’exprimer pour les deux « héros ». Au deuxième acte, Acrise est victime d’un malaise causé par son désespoir sentimental.

Enfin, Atis et Acrise sont vertueux au sens aristotélicien81 : non-contents d’être courageux, ils savent faire preuve de justice et de douceur.

Si les traits de caractères présentés par les hommes sont finalement très classiques (puisqu’ils peuvent être reliés à une typologie), Rayssiguier se montre innovant par deux aspects : d’une part, on l’a vu, en dédoublant les couples au centre de l’action narrative ; d’autre part, en diluant la place du héros au personnage de la Bourgeoise.

LA BOURGEOISE : FONCTION ET USAGE DE L’INTRIGANTE ÉPONYME §

Un personnage d’inspiration urféenne ? §

La Bourgeoise aime Acrise, et est prête à tout pour parvenir à s’unir avec lui. Elle emploie les services du Vaillant et de la Montagne, qu’elle charge de l’enlever. A la suite de la déconvenue de cette opération, elle intercède auprès d’Atis pour le convaincre que son ami s’est finalement résigné à épouser Florise82. Voyant cette manœuvre échouer elle aussi, et les amants se réconcilier à la fin de la pièce, elle consent à prendre Climant pour époux, tout en ne s’interdisant pas un « prudent favori » (V, 6), et se réjouissant que ses plans n’aient pas été exposés au grand jour.

De prime abord, donc, la Bourgeoise a tout de la femme manipulatrice et jalouse conventionnelle. On retrouve déjà cette typologie dans L’Astrée à travers le personnage de Lériane, qui a pu inspirer Rayssiguier quand on sait l’attachement que le dramaturge éprouvait quant à l’œuvre d’Urfé.

Lériane apparaît dans « L’histoire de Damon et de Madonthe », l’une des « histoires enchâssées » racontée par un personnage (en l’occurrence, ici, la bergère Madonthe) et revenant à plusieurs reprises au sein du roman-fleuve. La description qu’en donne la narratrice n’est pas sans rappeler une esquisse de la Bourgeoise : elle est dépeinte comme « la plus fine et rusée qui fut jamais »83. Par la suite, les adjectifs péjoratifs qui affluent sous la plume d’Urfé pour qualifier Lériane ne manquent pas : « meschante »84, « perfide »85, « cauteleuse »86, ou encore « malicieuse »87. Le personnage urféen est par conséquent lié à la Bourgeoise par une opposition aux valeurs héroïques d’Acrise et d’Atis, telle que l’entend Aristote88. Elles se distinguent par le contraire de la vertu, faisant d’elles des personnages du vice. En considérant que l’amour peut justifier toutes les actions, y compris les plus blâmables, la Bourgeoise veut se montrer digne, et permet à Rayssiguier d’amplifier le caractère incriminable de son personnage :

Il n’est crime en aymant, qui ne nous soit permis,
Pour obtenir le bien, ou nostre flamme aspire89,

Le Bourgeoise est-elle donc un personnage intrinsèquement mauvais et uniquement déterminée par ses sombres desseins ? Les Frères Parfaict, dans leur notice consacrée à la tragi-comédie de 1633, la qualifient de « coquette »90, un terme pouvant à la fois être interprété comme un synonyme de « plaisante » et de « frivole ». Cette dénomination fait écho au traitement du personnage de Célimène dans Le Misanthrope de Molière : une jeune femme légère en proie aux manigances amoureuses. De plus, le geste dédaigneux de Rayssiguier consistant à ne qualifier son intrigante par un autre nom que celui de sa condition sociale91 permet de rapprocher ces deux caractères mondains, sans pour autant les confondre. Loin de nous l’idée d’insinuer que Rayssiguier anticipe, entre autres exemples, sur le comique du ridicule du Bourgeois gentilhomme. Car la dénomination donnée à la Bourgeoise par les frères Parfaict nous semble quelque peu exagérée. Certes, nous avons affaire à une femme qui prétend s’engager auprès d’un autre homme, ce qui la distingue de la galante qui, par son raffinement, représente une forme supérieure de civilité qui l’écarte de cette pratique. Pour autant, pouvons-nous affirmer que la Bourgeoise veut plaire à tous les hommes, quitte à ruser pour faire croire à certains que son cœur leur est acquis ? La tragi-comédie ne laisse croire à aucune de ces suppositions, tous les gestes de la Bourgeoise étant exclusivement orientés vers la conquête d’Acrise et l’élimination de ses rivaux.

La Bourgeoise nous apparaît, du point de vue dramaturgique, comme une « couche supplémentaire » rajoutée par Rayssiguier aux intrigues amoureuses et à la confusion des identités qui, à elles seules, auraient pu faire fonctionner la pièce. En élevant ce personnage jusqu’au titre de la tragi-comédie, le dramaturge ambitionnait-il de dépasser ce que le roman d’Eusthathios lui offrait, c’est-à-dire une veuve envieuse cachée derrière des amours impossibles ? Contrairement à Rodope, son alter-ego dans le roman byzantin, le nom de la Bourgeoise n’est jamais mentionné, et on ignore si elle est veuve. Au vu de la complexité de l’intrigue et de la profusion des personnages, il serait paradoxal que Rayssiguier ait décidé de ne pas s’encombrer de ces informations par simple souci d’efficacité dramaturgique. En effet, l’absence d’identité pour la Bourgeoise, au milieu de la crise d’identités des deux couples principaux, renforce le mystère et la crainte qui entourent ce personnage. En agissant dans l’ombre et en tendant à s’élever au rang de personnage principal de la tragi-comédie, elle diversifie l’action et permet aux autres personnages d’interagir encore davantage.

La prétention héroïque de la Bourgeoise §

Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’œuvre de Rayssiguier, Albert Azeyeh cerne les rapports de la Bourgeoise aux autres personnages en évoquant sa position d’héroïne de l’ombre :

la Bourgeoise, admirable intrigante à qui tout réussit dans la dissimulation, rendue à la lumière se trouve sans ressort, et perd tous ses moyens face à l’homme qu’elle aime92.

Si la Bourgeoise paraît effectivement bien moins assurée lorsqu’elle est confrontée à Acrise93, c’est avant tout parce qu’elle et lui n’appartiennent pas à la même classe sociale. En qualifiant son personnage, puis sa pièce entière, par son rang, Rayssiguier ne fait que renforcer : 1/ la disparité sociale entre la Bourgeoise et le noble Acrise ; 2/ la tendance de cette dernière à se hisser comme héroïne masquée.

En outre, le lecteur remarquera à quel point toute l’activité de la Bourgeoise se déploie dans l’ombre, à l’insu des autres protagonistes. Toute l’action dramatique, en dehors de la confusion des identités, est manœuvrée par elle. Sa position par rapport au titre de la pièce n’en est que plus paradoxale : Rayssiguier la met d’entrée de jeu en exergue, alors que toutes ses actions sont cachées des autres personnages.

Peu à peu se dessine le processus de composition de la pièce autour du personnage. En toile de fond, les identités confuses du couple Acrise-Cloris, qui forme le point de départ et le dénouement de la tragi-comédie. Entre les deux, cette question est souvent oubliée par Rayssiguier, au profit des intrigues fomentées par la Bourgeoise. Si les amours des deux couples sont contrariées, c’est en partie à cause du refus des pères. Mais tout ceci, vu à l’aune des manœuvres de l’intrigante, n’apparaît que comme un postulat qui offre à cette dernière un terreau fertile pour développer ses plans.

Les derniers instants de La Bourgeoise apparaissent dès lors comme des répercutions des reconnaissances identitaires. Pour reprendre les termes d’Azeyeh, la relation entre la Bourgeoise et Climant s’établit de manière « oblique », et intervient comme un « ricochet »94 de la liaison de Camille et Silvie.

En somme, si une partie des autres personnages que l’on peut considérer comme « principaux » dissimulent leur véritable identité, la Bourgeoise éclipse, elle, ses intentions et ses véritables sentiments. Si nous parlons, avec Azeyeh, de « prétention héroïque », ce n’est pas pour souligner la vertu du personnage – laquelle demeure, de toute manière, inexistante. Cette « prétention » se traduit indépendamment de l’orientation que Rayssiguier donne à son personnage. Sans qu’elle le veuille explicitement, la Bourgeoise se retrouve l’élément pivot entre tous les personnages, et distribue les cartes de l’action.

III. LES CONFIDENTS : ENTRE RELATIONS VERTICALES ET ÉMANCIPATION §

La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud comporte trois personnages « secondaires » dont le statut peut être assimilé à celui du confident :

  • La Sœur de la Bourgeoise, qui s’entretient régulièrement avec cette dernière, et qui n’hésite pas à la contredire sur ses manœuvres dès le premier acte ;
  • Climant, le secrétaire de Clerandre, à qui la Sœur de la Bourgeoise colporte partiellement les intentions du personnage éponyme ;
  • Ardillan, le gentilhomme de Periandre, qui devance à plusieurs reprise l’arrivée de son maître face à son fils Acrise.

D’entrée de jeu, on comprend que ces trois personnages ne sont pas réduits au rôle d’ombre des héros. Leur fonction n’est pas de souligner ou d’acquiescer aux propos du personnage qu’ils suivent. Jacques Scherer, dans La Dramaturgie classique en France, considère en effet que « ce que le héros dit à son confident, il pourrait aussi bien le dire seul »95, ce qui n’est pas le cas dans La Bourgeoise.

Premier constat : deux personnages pouvant être considérés comme des « héros », à savoir Acrise et Atis, n’ont pas de confident attitré. Ils ne sont de facto coupés à aucun moment durant leurs monologues, tout comme ils ne précèdent aucun suivant attestant leurs dires. Rayssiguier se place à la charnière entre la disparition du chœur qui, dans le théâtre du XVIe siècle, appuyait les vers des personnages, et l’introduction de confidents qui n’existent que parce que le dramaturge a besoin d’eux pour entourer le héros, pour montrer son importance hiérarchique. Néanmoins, Albert Azeyeh considère que la fonction de Climant et d’Ardillan est d’attester, ou de rendre plus manifeste l’importance des protagonistes96. Certes, les deux entretiennent une relation verticale qui avec Clerandre, qui avec Périandre. Le premier est secrétaire, l’autre est gentilhomme. Mais ils possèdent leur autonomie, leur indépendance. La Sœur peut paraître sans la Bourgeoise (I, 4), et Climant n’apparaît avec Clerandre que dans les deux dernières scènes de la pièce97. On est encore loin du cas de figure d’Andromaque, où Racine ne laisse pas Hermione paraître face à Oreste ou Pyrrhus sans sa « confidente » Cléone.

Rayssiguier va d’ailleurs plus loin : les confidents peuvent chez lui s’émanciper au point d’échanger entre eux. En I, 4, Climant se retrouve à traverser la Seine avec la Sœur de la Bourgeoise, et les deux échangent à bord du bac à propos des ruses du personnage éponyme. De plus, en dépit de ce rapport vertical qu’ils entretiennent, on peut noter une certaine familiarité entre Ardillan et Periandre, puisque lorsqu’il est question d’Acrise, Ardillan se permet de nuancer les propos de son maître : « Estes vous donc de ceux, qui fuient la coustume ! », assène-t-il en effet à ce dernier lorsque celui-ci désespère de voir son fils se conformer à ses souhaits de mariage (I, 5).

En tout état de cause, les confidents de La Bourgeoise ne sont pas des faire-valoirs ou des ombres de leurs confesseurs. Ils possèdent leur autonomie et s’élèvent presque au statut de personnage à part entière. La place qui leur est réservée dans la tragi-comédie de Rayssiguier n’est pas due à une nouvelle aubaine dramaturgique : la Sœur, Climant et Ardillan ont tout trois leur importance dans le déroulement de l’intrigue et participent chacun du dénouement de la pièce.

LA FIGURE DU PÈRE : PRÉSENCE PHYSIQUE, PRÉSENCE MORALE §

Non contente de lier La Bourgeoise au genre tragi-comique98, la figure paternelle comme point de départ de l’action dramatique se distingue ici par sa tripolarisation. Au singulier dans la plupart des pièces, tel Roger dans Bradamante, Rayssiguier donne trois têtes à l’autorité : celle de Clerandre (le père d’Atis), de Périandre (le père d’Acrise) et de Fabrice (le père de Cloris).

Tous se retrouvent à l’origine dans un acte de refus : celui de laisser leur enfant se marier librement. La mésentente entre Fabrice et Périandre, les pères florentins, donne un socle à La Bourgeoise, puisque c’est elle qui permet le déplacement de l’intrigue à Saint-Cloud. Mais ce sont les desseins du troisième père, Clerandre, qui organisent l’action, en contrariant les projets des deux couples et en permettant, d’une certaine façon, au couple « français » d’interférer dans le couple « florentin », et inversement.

À travers le rôle conféré aux pères, Rayssiguier se montre relativement original. L’amour que contrarie Clerandre en contrarie en réalité deux. Tout tend à se multiplier, les actes et décisions de chacun entraînant des conséquences sur des personnages qui auraient pu ne pas être touchés. Les trois pères vont de pair avec les amours contrariées des jeunes gens : ils représentent le point de départ et le point d’arrivée de la pièce. C’est d’ailleurs par eux que Rayssiguier rapproche sa Bourgeoise des canons du genre de la tragi-comédie. En outre, l’élément intervenant ex-nihilo afin de donner une fin heureuse à la pièce n’est autre qu’une lettre de Fabrice, lue par Périandre aux autres personnages tous rassemblés, affirmant achevée la rivalité entre les deux familles florentines, et permettant par conséquent l’union de Camille et de Silvie. Ainsi, si Fabrice n’est pas présent sur scène et n’est incarné par aucun acteur, il demeure autant le quinzième personnage de La Bourgeoise, grâce auquel Rayssiguier peut résoudre son intrigue.

Le père n’est donc pas, à proprement parler, conçu ici comme un obstacle, de façon « analogue au roi »99. Il est l’obstacle au début de l’intrigue, et l’élément de résolution à la fin de l’œuvre. Rayssiguier facilite cette stratégie en augmentant, une nouvelle fois, le nombre de personnages du même type. De plus, les pères sont présents sans agir : dans le corps de la pièce, leurs actions sont transférées entre les mains de la Bourgeoise, pour réarranger les amours entre les jeunes gens.

VERS UN DÉSÉQUILIBRE ? §

En arrivant au terme de cette étude, une question demeure en suspens : celle du « héros » de la Bourgeoise. Nous avons évoqué le caractère noble d’Atis et d’Acrise, tout comme la volonté du personnage éponyme de se hisser au rang de moteur de l’action. Il n’empêche pourtant que ces trois personnages entrent en concurrence au moment de déterminer lequel d’entre eux prend le pas sur les autres.

D’un point de vue purement statistique, le calcul du pourcentage de vers prononcés par personnages, dont nous proposons une projection en annexe 3, révèle qu’Atis prononce à lui seul plus du quart des vers qui forment La Bourgeoise (environ 26%), tandis que la Bourgeoise en détient 19%, et Acrise 17%. Tous les autres personnages prononcent un taux de vers inférieur à 6%. Quand on connaît l’abondance de personnages dans la pièce, on est forcé de constater un quasi-monopole de la parole : en dépit de deux couples principaux, une intrigante dont le rôle façonne l’action de la tragi-comédie, trois pères dont un qui n’intervient que par le biais d’une lettre lue, trois confidents, d’un soldat fanfaron, d’un batelier et de leurs compères respectifs, ce sont trois personnages qui détiennent près des deux-tiers des vers, alors même qu’Atis, personnage majoritaire numériquement parlant, n’apparaît qu’au deuxième acte.

Toutefois, si ces considérations statistiques permettent de constater une déséquilibre dans la répartition des vers, elles ne sauraient être tenues comme une conclusion définitive. Si le nombre de personnages y est moindre, Andromaque de Racine ou Rodogune de Corneille (pour ne citer qu’elles) présentent elles aussi des personnages éponymes numériquement en retrait par rapport à d’autres personnages en termes de vers prononcés. La répartition des personnages de La Bourgeoise suit finalement un schéma classique : le personnage féminin éponyme laisse place à deux hommes incarnant les valeurs du héros.

CINQUIÈME PARTIE : Une dramaturgie du placere §

DU DIVERTISSEMENT ET DE LA CONCUPISCENCE §

Il est certain que la vraie fin de la Poésie est l’utilité, […] mais qui ne s’obtient que par le seul plaisir, comme par un passage forcé ; de façon que sans plaisir, il n’y a point de Poésie.

Jean Chapelain, préface à L’Adone de Marino (1623)

« Une pièce de théâtre assez divertissante »100 : là est le seul jugement de Rayssiguier que nous n’aurons probablement jamais sur sa Bourgeoise. Pourtant, elle semble résumer à elle seule toute son intention esthétique et tout son projet dramatique.

La notion de divertissement est en effet fondamentale dans l’œuvre de Rayssiguier, et La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud n’échappe pas à ce principe. Aux antipodes de la réflexion sur la vraisemblance qui va parsemer le XVIIe siècle littéraire, notre dramaturge, lui, se concentre sur le plaisir du public, selon une conception de la poésie plus ou moins similaire à celle de Chapelain que nous donnons en exergue.

L’absence de règle §

Dans son texte le plus cité, l’avis « Au lecteur » de L’Aminte de Tasse, Rayssiguier affirme que

ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre, & que le grand nombre des accidens & adventures extraordinaires leurs ostent la cognoissance su sujet, ainsi ceux qui veulent faire le proffit et l’advantage des messieurs qui recitent leurs vers sont obligez d’escrire sans observer aucune regle101.

Comme souvent chez notre dramaturge, il y a ambivalence : il semble d’abord dédaigneux face aux attentes du public pour finalement s’y conformer. Cette attitude vis-à-vis de son œuvre peut nous paraître opportuniste : Rayssiguier ne cherchait-il avant tout qu’à avoir du succès, quitte à compromettre l’idée qu’il se faisait de son art ? Étant donné le contexte, on répondra par la négative. Dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault102, Hélène Baby rappelle que les dramaturges du début du siècle favorisaient davantage le delectare, plus que le docere. Dans sa préface au Tyr et Sidon de Schélandre, Ogier ne disait pas autre chose que Rayssiguier, qui lui s’était refusé à développer son propos pour ne pas prolonger la glose qu’il estimait déjà suffisante103 :

La poësie, & particulierement celle qui est composee pour le theatre, n’est faite que pour le plaisir & le divertissement, & ce plaisir ne peut proceder que de la varieté des évenements qui s’y representent, lesquels ne pouvant pas se rencontrer facilement dans le cours d’une journée, les Poëtes ont esté contraints de quitter peu à peu la practique des premiers qui estoient resserez dans des bornes trop étroites104.

Notre dramaturge ne possède donc pas le monopole de ce goût pour la « prééminence du principe du plaisir », pour écrire comme Georges Forestier105. Il répond à ce que Jacques Scherer a nommé « la passion du spectacle106 » : avant que la tragédie ne recentre l’intrigue sur une action unique, un lieu unique et un temps unique, la tragi-comédie n’a pas hésité à sacrifier la simplicité de la pièce au profit des changements. De fait, on a assisté à des créations dramatiques cherchant le « plaisir des yeux107 », plutôt que la sobriété.

La Bourgeoise : une dramaturgie hétéroclite §

La Bourgeoise est l’une de ces créations, bien qu’elle ne représente pas un cas isolé. Scherer évoque, à ce propos, une tragi-comédie de Scudéry contemporaine de celle de Rayssiguier, Le Prince déguisé, en affirmant que « le succès considérable de cette pièce est dû en grande partie au “superbe appareil de la scène” que vante l’avis Au lecteur »108. Or, La Bourgeoise devait pareillement disposer, on l’a vu, d’une scénographie plurielle, avec plusieurs chambres et un fond mi-urbain, mi-pastoral109, qui ne devait pas laisser le public sans enthousiasme, comme chez Scudéry.

Partant de ce constat, et avec à l’esprit les considérations précédentes relatives au divertissement, nous proposons l’hypothèse suivante quant à la dramaturgie de La Bourgeoise. Les personnages de la tragi-comédie de Rayssiguier sont déterminés, non pas en vue d’une fin, mais en fonction d’un moyen – celui que nous nommons le placere, pour souligner la volonté de l’auteur de « plaire », d’être « agréable » envers le spectateur ou le lecteur. La recherche du plaisir esthétique, pour notre dramaturge, passe avant tout par la composition de péripéties distrayantes. Le dénouement importe en tant qu’il doit être heureux pour convenir aux attentes du public, mais le développement de l’intrigue ne lui est pas systématiquement corrélé. L’histoire passerait presque au second plan derrière la recherche du plaisir du public à voir des décors variés, des situations alternativement comiques ou tragiques, une représentation de la vie quotidienne, même si tout tend à disparaître au cinquième acte au profit de l’ultime péripétie, le retournement final qui va permettre au dramaturge de faire éviter in extremis une fin tragique à ses personnages. En cela, l’abondance des personnages est un atout pour les différents nouements de la pièce, chacun possédant ses intérêts propres et constituant à eux seul, de fait, une péripétie supplémentaire. En fin de compte, ce n’est pas tant une pièce de théâtre qu’un spectacle que le dramaturge aurait cherché à créer, même si la présente tragi-comédie n’a pas attrait au pompeux ou au merveilleux. Si le plaisir est une règle classique absolue, il devient, chez Rayssiguier, un précepte dramaturgique essentiel.

Dès lors, ce principe engendre un certain nombre de conséquences sur le cours de l’intrigue

L’IMPOSSIBLE UNITÉ DE LIEU §

Satisfaire la vue du spectateur par de multiples changements « à la face du théâtre » pose un problème lorsqu’on connaît les restrictions qu’impose l’unité de lieu. Assurément, au moment de la composition de La Bourgeoise, au début des années 1630, la règle d’unité de lieu ne jouissait pas de la rigidité qu’elle a connue durant la seconde moitié du siècle. Il serait commode de considérer que, à la manière des dramaturges préclassiques comme Hardy ou Schélandre, Rayssiguier n’imaginait pas la mise en scène de sa pièce pour se concentrer sur la partie narrative. Ce serait sans compter sur les moyens mis en œuvre à l’Hôtel de Bourgogne pour faciliter les changements de décors.

Rayssiguier n’use pas de subterfuge dramaturgique pour cacher les changements de décors de sa pièce, aussi l’on peut diviser les lieux de La Bourgeoise en deux catégories.

Les lieux hors du théâtre §

Les lieux mentionnés dans l’argument et plus tard évoqués dans le cours de la tragi-comédie ne donnent pas simplement à l’intrigue un arrière-plan : ils jouent un rôle actif dans les rapports entre les caractères et participent de la mise en place de l’action.

En outre, l’action ne pourrait se dérouler à Saint-Cloud si elle n’était pas passée au préalable par l’Italie et par la Hollande. La confusion des identités d’Acrise et de Cloris tient en partie de ce changement de lieu, et l’amitié entre Acrise et Atis nait de leur rencontre ou ce dernier s’était rendu pour « laisser des marques de son courage », pour reprendre les termes de l’argument. Les voyages et les déplacements sont donc le vecteur des relations entre les personnages de La Bourgeoise. Tous se rendent à Saint-Cloud pour préparer les potentiels mariages, et c’est à ce moment précis que l’action de la pièce, à proprement dite, démarre. Albert Azeyeh ne manque d’ailleurs pas de souligner la prépondérance du voyage dans l’œuvre de Rayssiguier :

il faudrait voir dans l’ensemble des déplacements le dessin d’un même projet de contact et de communication avec le partenaire amoureux. Le voyage comporte en effet chez Rayssiguier une fonction conative indéniable110.

Sans nous référer pareillement à des concepts linguistiques, cette analyse nous démontre à quel point l’unité de lieu pouvait être chimérique aux yeux de notre dramaturge. L’histoire dépend tout entière de ces déplacements, au point que l’on pourrait tracer l’itinéraire des pérégrinations des personnages à travers l’Europe. Les événements ayant lieu sur la scène sont déterminés par des composantes hors-scène, comme si Saint-Cloud devenait le centre névralgique d’une histoire se déroulant sur plusieurs pays.

Les lieux dans le théâtre §

L’Ouest parisien n’est donc qu’un prétexte pour le dramaturge, le lieu qui lui permet de faire converger tous ses personnages pour donner à voir au public le dénouement d’une intrigue dont les origines prennent source dans l’enfance des héros florentins. Ce décor, que l’on pourrait qualifier de « faubourg à volonté111 » tant la localisation précise de l’action demeure abstraite, est le premier moyen pour Rayssiguier de se conformer à la volonté du public en lui montrant un cadre auquel il est accoutumé, en y insérant une action qui trouve sa source ailleurs en Europe. Saint-Cloud et Boulogne sont autant de motifs pour insérer les personnages annexes que sont le Batelier et son Compère.

Afin de situer le passé nomade de ses personnages principaux, Rayssiguier use du procédé ordinaire de l’action rapportée au travers du discours des acteurs. Néanmoins, il n’abat pas toutes ses cartes dès le premier acte, aussi le spectateur devra attendre la troisième scène de l’acte III pour en savoir davantage sur le passé de Cloris :

Je nacquis à Florence, & la mesme journee
On devoit voir ma vie, en naissant terminee
[…]
J’avois desja sept ans quand une paix commune
Remit chacun chez soy pour suivre sa fortune.112

Le fait que ces informations relatives au passé voyageur des héros soient données au compte-goutte montre que la question des lieux est intimement liée à une autre problématique inhérente à la dramaturgie de La Bourgeoise : celle du changement d’identités.

MULTIPLICITÉ ET CONFUSION DES IDENTITÉS §

La métamorphose de Camille en Acrise et de Silvie en Cloris qui engendre la non-reconnaissance des amants une fois parvenus à Saint-Cloud est l’un des fondements de la tragi-comédie, sans pour autant en être le thème principal.

La position de Rayssiguier par rapport au déguisement de ses héros florentins semble similaire à celle de Corneille par rapport aux personnages de Don Sanche d’Aragon. Cette « Comédie héroïque » de 1649 donne à voir le personnage éponyme se faisant appeler « Carlos » pour cacher ses origines modestes, et ainsi obtenir des faveurs de la Cour en racontant ses aventures. Et, selon Georges Forestier :

La finalité dramatique d’un tel déguisement est indéniable, quoiqu’elle ne ressortisse à aucun des buts dans lesquels se distribuent le plus grand nombre des déguisements : elle s’appuie sur les ressorts de la vraisemblance et de la psychologie113.

Cette analyse s’applique aussi bien à La Bourgeoise. Certes, la finalité dramatique de ces changements de patronymes est évidente : elle engendre des quiproquos, des regrets, des sentiments frustrés et, par extension, des passions. Mais, d’un point de vue dramaturgique, ce changement d’identité demeure complètement injustifié – du moins par Rayssiguier lui-même, qui se contente d’annoncer, dans l’argument, que Camille a pris le nom d’Acrise en Hollande, et que Silvie s’est vue attribuée le nom de Cloris par Clerandre, mais là encore, sans raison apparente.

Ce déguisement patronymique représentait-il une solution de facilité pour Rayssiguier ? Il ne pousse pas, en tout état de cause, le procédé jusqu’à faire changer de condition aux personnages concernés114. Mais ce choix ne paraît orienté que vers un but : renforcer le socle des péripéties que le dramaturge donne à voir au public. De plus, le déguisement n’engendre pas de travestissement, car la non-reconnaissance de Camille et de Silvie provient avant tout de la vieillesse de chacun.

LE PATHÉTIQUE : VOLONTÉ TRAGIQUE, EFFET COMIQUE §

Si La Bourgeoise peut avoir attrait à la comédie, la forme qui lui donne Rayssiguier, au-delà de la composition des actes, lui donne un ton qui, à première vue, peut sonner résolument tragique. Les monologues que prononcent majoritairement Atis et Acrise (leur permettant, in fine, de détenir respectivement près de 26 % et 17 % des vers prononcés115) sont autant de « tunnels » pouvant occuper des scènes entières. En cela, les caractères se rapprochent du pathétique en tant que leurs paroles prononcées apparaissent comme tragiques et désespérées, bien qu’elles puissent être interprétées par le public sur un mode ironique, en particulier lors des complaintes d’Acrise (en II, 2) et d’Atis (en IV, 4).

L’usage des stances par Rayssiguier au sein de sa pièce contribue à ce souffle tragique destiné à émouvoir le public. Elles ne sont pas insérées artificiellement dans la pièce : elles interviennent toujours durant un monologue, en ouverture ou au milieu de celui-ci, comme si, de l’alexandrin, la parole du personnage se transformait naturellement en octosyllabe. En cela, deux moments dans la pièce sont à relever : le monologue d’Acrise en II, 2, et celui d’Atis en IV, 4. Tous les deux sont construits sur le même modèle : seul, le jeune héros fait état de sa situation. Pour reprendre les analyses de Jacques Scherer116, les stances occupent ici la fonction du chœur dans le théâtre du XVIe siècle, ou du coryphée dans le théâtre antique. Y recourir permet au dramaturge de suspendre le déroulement de l’intrigue pour insister sur la détresse morale d’un personnage. Atis et Acrise y analysent leurs sentiments, pour revenir à une forme un alexandrin et y tirer des conclusions – pour Acrise, la mort (qui se solde par un évanouissement), pour Atis, le désespoir d’avoir trahi, sans le vouloir, la confiance de son ami. Notons que, si la résolution des stances amènent, dans La Bourgeoise, à des décisions tragiques, elles sont immédiatement contrecarrées par un deus ex machina, à savoir l’arrivée de Cloris au chevet d’Acrise à l’acte II, ou l’intervention de la Bourgeoise auprès d’Atis à la fin de l’acte IV, menant ce dernier au duel avec Acrise. Du point de vue dramaturgique, les stances représentent donc un moyen, pour Rayssiguier, d’opérer un va-et-vient entre les passions, entre le tragique et le comique, et entre les émotions du public.

Car le pathos émit par la tragi-comédie ne saurait se tenir qu’à la compassion pour des héros malheureux. Il provient aussi de la violence physique, d’un malheur haineux. Bien entendu, cette violence est éludée dans La Bourgeoise, grâce aux faits rapportés par la Sœur de la Bourgeoise pour la mort du Vaillant fanfaron (III, 1), et par l’intervention in extremis du Périandre pour contrer le duel entre Atis et Acrise (V, 4). Pourtant, le duel en question demeure original parce qu’il entend faire s’affronter deux amis dont la rivalité a été inventée par la Bourgeoise plus tôt dans la pièce, sous le regard du lecteur ou du spectateur, ce qui ne fait qu’ajouter à la tension de la scène, contrariée au dernier moment pour amener au dénouement heureux, rejoignant là le projet dramaturgique de Rayssiguier : tout en maintenant une interaction avec le public, le dramaturge oriente son œuvre vers un fin satisfaisante envers les attentes des spectateurs.

CONCLUSION §

Contente toy donc en sa lecture si elle te plaist, sinon laisse la comme une chose qui n’a jamais esté, & tu ne feras que ce que je fais tous les jours en pareille rencontre.

Rayssiguier, Avis au lecteur de La Bourgeoise (1633)

Si à nous, lecteurs au fait des plus grandes œuvres théâtrales du XVIIe siècle, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud peut paraître étonnante, voire déroutante, par sa dramaturgie, la profusion de ses personnages, ou encore ses péripéties emmêlées, elle fut une pièce parfaitement ancrée dans son époque. En 1633, La Bourgeoise de Rayssiguier correspond aux critères que l’on attend d’une telle tragi-comédie : décors à la limite du spectaculaire, intrigue plurielle, dramaturgie composite pour se conformer aux attentes d’un public en quête de multiples changements « à la face du théâtre ». En dépit des libertés qu’elle prend par rapport aux canons de la tragi-comédie régulière, notamment sur la question du genre, elle demeure un exemple typique de la production théâtrale des années 1628-1637, soit l’âge d’or de la tragi-comédie.

Après Corneille et la révolution du Cid en 1637, une pièce telle que La Bourgeoise apparaît tout simplement impossible, avant tout par la mise en question des unités et le recentrement de l’intrigue, mais aussi, plus tard, par le retour progressif de la tragédie. Lorsque Rayssiguier donne, en 1636, son œuvre la plus proche de La Bourgeoise, sa tragi-comédie Les Thuilleries, il semble aux antipodes des débats qui, lors de la querelle du Cid, vont agiter les lettres françaises. Lui qui s’était insurgé, pratiquement dès le début de sa carrière littéraire, contre les règles au nom de la liberté de l’écrivain, le voilà face à des controverses convoquant Aristote et Horace comme modèles à suivre. Dénué de volonté ou incapable de simplifier et de renforcer l’intrigue de ses pièces, Rayssiguier a donc vraisemblablement arrêté d’écrire.

Entre autres œuvres, il nous reste de ce dramaturge cette Bourgeoise, témoin discret d’une époque méconnue du théâtre français, une tragi-comédie urbaine, ironique, à la fois complexe et légère – en un mot, « divertissante », continuant de démontrer que Rayssiguier a bien atteint l’objectif dramaturgique qu’il s’était fixé.

Note sur la présente édition §

Édition utilisée §

La présente édition reproduit l’édition originale de La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, imprimée à Paris chez Pierre Billaine, en 1633, avec un privilège pour une durée de six ans, daté du 17 août de la même année. La date exacte d’achevé d’imprimer n’est pas mentionnée dans les éditions que nous avons pu consulter. L’imprimeur est Jacques Bessin, ayant exercé de 1610 à 1641 dans son atelier situé au Cour d’Albret. L’exemplaire prend la forme d’un in-8º (« in-octavo ») : les feuilles ont été plié en quatre, un feuillet équivalant donc à seize pages. L’exemplaire de cette édition est disponible à la Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac, sous la cote Z-ROTHSCHILD-4142. Une microfiche de cette édition est conservée dans la même bibliothèque, sous la cote YF-6792.

Autres exemplaires consultés §

Deux autres exemplaires de La Bourgeoise sont disponibles à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. Il s’agit de deux « collectifs factices » (assemblage par collages de plusieurs pièces d’un ou de plusieurs auteurs, sans aucun autre avis liminaire expliquant l’entreprise que les privilèges originaux) du théâtre de Rayssiguier, présentant la même édition de La Bourgeoise et contenant les mêmes manquements que l’édition sur laquelle nous avons fondé notre travail.

Le premier de ces « collectifs factices », disponible sous la cote GD-1686, se veut le deuxième volume du « Théâtre de Rayssiguier », contenant d’abord La Bourgeoise, puis une tragicomédie pastorale inspirée de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, intitulée Palinice, Circeine et Florise. Un mot des différences formelles entre ces deux pièces : La Bourgeoise comporte un « Extraict du Privilege du Roy », pas Palinice. Les libraires sont différents : pour La Bourgeoise, Pierre Billaine ; pour Palinice, Antoine de Sommaville.

Le second « collectif factice » que nous avons consulté se trouve également être le deuxième volume du « Théâtre de Rayssiguier », présentant en premier lieu L’Aminte du Tasse, tragi-comédie pastorale et traduction « libre et partielle » d’une pastorale de Torquato Tasso, puis La Bourgeoise. La facticité de ce recueil se révèle dans le fait que L’Aminte soit imprimée directement sur le papier, l’encre étant bien séchée à même la feuille, tandis que pour La Bourgeoise, il s’agit tantôt d’une reproduction de l’édition du GD-1686 (elle-même semblable à l’exemplaire sur lequel nous avons établi notre édition) collée sur des feuillets vierges qui suivent L’Aminte, tantôt des feuillets de cette même édition « incrustés » dans les pages de l’in-8º. Et de nouveau, les libraires diffèrent, avec Augustin Courbé pour L’Aminte, et toujours Pierre Billaine pour La Bourgeoise.

Exemplaires non consultés §

Deux exemplaires que nous n’avons pas consultés sont conservés hors de France : l’un en Grande-Bretagne, à la British Library de Londres (cote 242.h.16.[3.]), l’autre en Irlande, au Trinity College de Dublin (cote OLS B-6-700 no.1 – Early Printed Books).

A notre connaissance, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud n’a pas été éditée de nouveau depuis 1633.

Description de l’édition originale de 1633 §

La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, tragi-comédie, In-8º, 9 feuillets dont 1 non-paginé, 159 pages [XXVIII-131p.]. Privilège du 17 août 1633 ; achevé d’imprimé à une date inconnue.

[I] LA / BOURGEOISE / OU, / LA PROMENADE / DE S. CLOUD / TRAGI-COMEDIE / Par le Sr de Rayssiguier / [fleuron du libraire] / A PARIS. / Chez Pierre Billaine, ruë S. Jacques / à la Bonne-Foy, devant S. Yves / [filet] / M. DC. XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[II] Verso blanc

[III-X] [bandeau] / A / MONSIEUR / BRIOTS CONSEILLERS / Secretaire du Roy, Maison & / Couronne de France, Seigneur / de Bagnolet. / [Épître dédicatoire]

[XI] [bandeau] / AU LECTEUR / [Avertissement au lecteur]

[XII-XVII] [bandeau] / ARGUMENT / [Argument]

[XVIII] Verso blanc

[XIX-XXVI] [bandeau] / STANCES, / A MONSIEUR LE / Marquis d’Ambres, Che– / valier des Ordres du Roy, / & son Lieutenant au gou –/ vernement du haut Lan– / guedoc. / [Stances]

[XXVII] [filet] / Extraict du Privilege du Roy. / [Texte de l’extrait du privilège] / Signé, BORACE.

[XXVIII] [filet] / ACTEURS. / [liste des acteurs]

1-131 : Texte de la pièce.

Établissement du texte §

Même lorsqu’elles pouvaient heurter le lecteur moderne, nous avons pris le parti de conserver la graphie et l’orthographe de l’édition originale, sauf quand celle-ci paraissait fautive. Toutefois, nous avons opéré quelques changements :

  • Conformément à l’usage moderne, nous avons distingué les « u » des « v », et les « i » des « j ».
  • Les « ß » ont été changés en « ss », et les « ſ » en « s ».
  • Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde (« ~ ») en voyelle + consonne, pour marquer la nasalisation.

Rappelons bien qu’au XVIIe siècle, les participes présents sont toujours variables : le lecteur ne s’étonnera donc pas de trouver des formes en « –ants », tout comme des pluriels en « –ez » ou des deuxièmes personnes du pluriel en « –és ». De plus, Rayssiguier omet pratiquement systématiquement le « d » de « Saint-Cloud » au sein du texte de la pièce : toujours dans cette perspective de respecter le plus possible l’édition original, nous avons décidé de ne pas le rétablir lorsqu’il était manquant.

Nous avons choisi de conserver les esperluettes « & », employées systématiquement, sauf en début de vers. Le doublement des consonnes, aléatoire au XVIIe siècle, n’a pas été corrigé lorsqu’il était fautif par rapport à l’orthographe moderne (on trouvera, par exemple, autant de « flame » que de « flamme »).

En ce qui concerne les accents diacritiques, nous les avons rétablis là où, aujourd’hui, leur absence induirait une faute de sens. La majorité des pronoms « où » comportaient déjà un accent dans notre édition, nous les avons ainsi rajoutés lorsque les simples conjonctions « ou » présentaient un faux sens, aux vers suivants : 7 ; 81 ; 89 ; 199 ; 285 ; 313 ; 334 ; 602 ; 1228 ; 1425 ; 1677. Nous renvoyons à la liste des coquilles ci-infra pour les autres rétablissements ou suppressions d’accents diacritiques.

Si nous avons pris la liberté de corriger la ponctuation lorsqu’elle semblait réellement erronée, nous avons choisi de la conserver telle quelle, à l’instar de l’orthographe de l’édition originale.

Afin de respecter l’usage typographique moderne, les vers, imprimés en italiques dans l’édition de 1633, ont été reproduits en caractères romains. A l’inverse, les didascalies, imprimées en caractères romains, ont été reproduites en italique dans la présente édition. Aussi, ces didascalies, insérées aléatoirement dans l’édition originale dans un souci d’économiser le papier dont le coût était fort élevé au XVIIe siècle, ont été uniformisée dans la présente édition : on les trouvera ici avant le vers indiqué, en retrait de la marge, et entre parenthèses.

Enfin, concernant la pagination, nous avons reproduit la numérotation des cahiers de l’in-octavo au sein de notre édition. Les pages du premier cahier, non indiquées sur l’édition d’origine, ont été signalées ici en chiffres romains et entre crochets, jusqu’au début du texte de la pièce – là où débute la numérotation en chiffres arabes, également signalée entre crochets parallèlement au décompte des vers.

Interventions sur le texte §

Comme le présente le tableau suivant, nous avons corrigé, après vérification des orthographes dans les dictionnaires du français classique, les coquilles présentes dans l’édition de 1633, résultant probablement d’erreurs d’inattention de la part l’imprimeur :

Vers     Erreur/coquille     Correction apportée

[Épître]     « qne »     « n » changé en « u » : « que »

Stances, v. 74     « seauroient »     « sauroit »

[Liste des acteurs]     « CLIMAND »     « CLIMANT »

[Liste des acteurs]     « PERIANDRE frere d’Acrise »     « PERIANDRE pere d’Acrise »

[Liste des acteurs]     « ADRILLAN »     « ARDILLAN »

24     « à »     « a »

112     « un homme à plus de grâce »     « a » (verbe)

122     « accomoder »     « accommoder »

130     « tu fera » (sans « s »)     « feras »

149     « attante »     « attente »

150     « la sœur »     « ta sœur »

152     « subjiet »     « subjet »

160     « la »     « là »

179     « à »     « a »

199     « Holande »     « Hollande »

[I, 6]     « La Montaigne »     Uniformisé en « La Montagne »

210     « ce siecles »     Singulier : « ce siècle »

228     « desaminez »     Inversion « n » et « m » : « desanimez »

241     « à »     « a »

268     « vid »     « vis »

281     « font »     « fait »

282     « clein d’œil »     « clin » (sans e)

287     « accoustumee »     « accoustumé »

292     « ost »     « tost »

294     « peut »     « peust » (subjonctif)

345     « se sera »     « se » changé en « ce »

356     « [elle] à veu »     « à »  « a » (verbe)

351     « se seroit »     « ce seroit »

401     « entretient »     « entretien »

454     « desreiglement »     « desreglement »

547     « & »     (remplacé par une virgule pour que le vers soit juste)

467     « melancholie »     « melancolie »

471     « de »     « des »

476     « des »     « de »

472     « martire »     « martyre »

489     « où »     « ou »

490     « où »     « ou »

493     « où » (sur les deux occurrences)     « ou » (sur les deux occurrences)

555     « à »     « a »

570     « où »     « ou »

649     « de »     « des »

677     « affaillir »     « affaiblir »

[IV, 2, p. 79, titre courant]     ACTE TROISIESME     [Au lieu d’« ACTE QUATRIESME », titre courant non reproduit dans notre édition]

707     « à »     « a »

731     « n’acquis »     « nacquis »

734     « peut »     « peust » (subjonctif)

811     « assurez »     « assuree »

819     « où »     « ou »

833     « qu’elle »     « quelle »

836     « où »     « ou »

854     « où »     « ou »

874     « de »     « des »

955     « la »     « le »

996 à 1002     [omission de la rubrique « Atis. », rétablie]

1021     « mesprise »     « mesprises »

1062     « traversoit »     « traversoient »

1088     « tire »     « tiré »

1109     « son conte. »     « son compte. »

1138     « avec »     « avecque »

1199     « regnez »     « regnés » (2e personne sing.)

1207     « de discours »     « des discours »

1250     « Mr »     « Monsieur »

1473     « frire »     « frère »

1479     « m’à »     « m’a »

1497     « de »     « des »

1538     « mesconterés »     « mescontenterés »

1540     « poin »     « poing »

1546     « vanger »     « venger »

1618     « est »     « et »

1630     « Mr »     « Monsieur »

1656     « vos »     « vous »

Précisons également que notre pièce comportait plusieurs vers ne présentant pas les douze syllabes attendues dans un alexandrins. Cinq en comportaient onze, nous avons pris le parti de leur rajouter une syllabe, signalée à chaque fois entre crochets :

  • Vers 86 : nous lui rajoutons le possessif « ma » ;
  • Vers 859 : nous ajoutons l’adverbe « là » pour renforcer l’adjectif final du vers ;
  • Vers 1082 : nous renforçons la négation en introduisant l’adverbe « pas ».
  • Vers 1118 : nous transformons le présent « est » en imparfait « estoit » ;
  • Vers 1138 : nous l’introduisons par la conjonction « si » ;
  • Vers 1323 : nous l’introduisons par la conjonction « car ».

Après correction de la coquille qu’il contenait, le vers 1538 présente, lui, une treizième syllabe : nous le laissons inchangé (voir la note sur ce vers).

Corrections de ponctuation §

Les erreurs de ponctuations que présentait notre exemplaire ont été corrigées comme le présente le tableau ci-après :

Vers     Erreur/coquille     Correction apportée

[Argument]     « , » à la fin du paragraphe     « . » en fin de vers

[Liste des acteurs]     « fils de Périandre, »     « fils de Périandre. » (point)

10     (rien)     « . » en fin de vers

40     « maimera »     « m’aimera » (rajout apostrophe)

109     « amant » sans point     « amant. »

140     (rien)     « . » en fin de vers

221     (rien)     « , » à l’hémistiche

290     « les fers les plombs : »     « les fers, les plombs, »

330     « : »     « . »

343     (rien)     « ? » en fin de vers

347     « par quel chemin, »     « par quel chemin ? »

514     « . »     « , »

521     (rien)     « , » à l’hémistiche

546     « ? »     « . »

570     « , »     « ? »

646     (rien)     « , » à l’hémistiche

747     « : »     « . »

748     « : »     ?

838     « loix, »     « loix. »

940     « . » en fin de vers     « , »

941     « , » en fin de vers     « . »

1008     (rien)     « . » en fin de vers

1046     (rien)     « . » en fin de vers

1054     (rien)     « , » en fin de vers

1084     (rien)     « . » en fin de vers

1326     « . » en fin de vers     « , »

1327     « , » en fin de vers     « . »

1399     (rien)     « . »

1424     (rien)     « . » en fin de vers

1469     (rien)     « . » en fin de vers

1485     « , »     « : »

1486     « : »     « , »

1505     « , »     « . »

1511     « , »     « . »

1519     (rien)     « , » en fin de vers

1589     (rien)     « . » en fin de vers

1593     (rien)     « . »

1652     (rien)     « . » en fin de vers

1664     « , » en fin de vers     « . »

Renvois §

Les astérisques « * » renvoient au lexique situé après le texte de la pièce où figurent la définition des termes auxquels ils succèdent. A quelques exceptions près, ces définitions proviennent du dictionnaire de Furetière (1690), selon l’indication (F).

Concernant les notes de bas de page, les renvois lexicographiques sont faits aux dictionnaires suivants :

  • (Académie) : Académie française, Dictionnaire, 1694 (sauf mention contraire : édition de 1835).
  • (Furetière) : Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, 1690.
  • (Godefroy) : Godefroy, Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, F. Vieweg, 1880-1895.
  • (Huguet) : Huguet, Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, 1925.
  • (Richelet) : Richelet, César-Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, 1680.

 

A MONSIEUR §

BRIOYS117 CONSEILLER §

Secretaire du Roy, Maison & Couronne de France, Seigneur de Bagnolet.

Monsieur,

Dans les habitudes118 & les conversations que j’ai eu à la Cour depuis que j’y suis, & dans la [IV] lecture des livres, qui nous ont laissé la vie des plus grands hommes des siecles passez ; j’ay remarqué que les vertus Eminentes119 comme celles qui sont en vous, ont d’ordinaire donné de l’admiration aux honnestes* gens, & de l’envie aux autres. Cette consideration m’a fait estudier toutes les actions de vostre vie, non pas avec le dessein de ces mauvais esprits qui ne peuvent manier les belles choses sans les gaster : mais avec dessein de faire voir que la Fortune* n’est pas toujours injuste, & qu’elle sait quelquesfois assembler les biens avec le mérite. Après la particuliere cognoissance que j’ay eu de tout ce que vous avez fait, j’ay cru que je serois coupable des fautes [V] que l’ignorance faict faire à la plus part de ceux qui parlent de vous sans vous cognoistre, & qui donnent à vos actions le premier nom que leur passion* ou leur interest leur met à la bouche, si je ne faisois voir qu’elles ont pour fondement des vertus si solides, & des liaisons si necessaires pour le bien public, qu’il est impossible d’y trouver à redire sans passer pour le plus stupide ou le plus malicieux120 homme de la terre. Et je m’estonne* que l’on puisse trouver des hommes si deraisonnables que de les desaprouver, veu que nostre Prince121, qui est le plus Juste & le plus Judicieux Roy de la terre, les a trouvées si advantageuses pour son service*, & pour le bien122 de ses subjets, qu’il ne les a [VI] pas seulement approuvées, mais vous en a loüé de la propre bouche. Et ce grand homme, à qui la France doit le repos* qu’elle avait si long temps perdu123, & dont elle jouït aujourd’huy pas son moyen, a tesmoigné cent fois que jamais homme n’avait conduit les actions avec plus de prudence que vous, qui dans les moindres choses avez faict voir que l’esprit & le jugement estoient en vous des qualitez beaucoup plus excellentes qu’elles ne sont aux autres hommes. Mais sans m’amuser à parler particulièrement de cette judicieuse conduite avec laquelle vous maniez la plus chatoüilleuse124 & la plus importante necessité de toute la police125 : que pourront [VII] dire les plus envieux, quand ils verront que vous ne faites point estat des biens dont la Fortune* vous a faict part, que comme s’ils vous avoient esté baillez en depost126, & pour exercer vostre liberalité127 sans autre dessein que de satisfaire à cette genereuse inclination que vous avez de faire du bien. Et ceux qui d’ordinaire sans consideration, & sans jugement blasment ou loüent toutes choses, auront-ils plus de voix que pour vous loüer, ny de mouvements* que pour vous benir, s’ils considerent le grand nombre d’honnestes* gents, qui soubs vostre adveu & dans vos emplois, trouvent dequoy passer une vie [VIII] lee128, & dequoy se tirer des incommoditez qu’ils ont eu, ou de leur naissance ou de leur mauvaise fortune*. Si cela ne les touche qu’ils aillent à vos maisons : & ils verront qu’un nombre infini de pauvres y trouve tous les jours un revenu assuré & capable de les nourrir : sans toucher aux secretes & grandes liberalitez129 qui obligent* la plus part des bons religieux à prier Dieu pour la longueur de vostre vie & de vostre prosperité. Je suis fasché que le ressentiment que j’ay eu contre l’ingratitude de quelques hommes en vostre endroit, m’ait obligé* à particulariser des choses que vostre discretion voudroit pouvoir tenir se– [IX]– cretes. Mais la crainte que j’ay eu de n’attirer sur moy le blasme que ces gens là meritent, & le delir que j’avois de faire voir à tout le monde les excellentes qualitez qui sont en vous, m’ont fait escarter du principal dessein de ceste Epistre, qui ne tend qu’à vous supplier, d’avoir agreable que sous vostre nom je face voir au public, Ma Bourgoise, ou, Ma Promenade de Sainct Clou, qui est une piece de theatre assez divertissante, comme vous le jugerez si vous daignez luy donner demi heure, & vous delasser130 en sa lecture du travail que vous donnent continuellement vos occupations les plus importantes. Vous avez le natu– [X]– rel trop bon, & l’esprit trop doux, pour n’agreer pas le present que je vous fais de ce Poëme & de son Auteur, qui est entierement

MONSIEUR,

Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur,

De Rayssiguier.

[XI]

AU LECTEUR. §

Je t’aurois laissé voir cette derniere piece de moy sans t’en donner l’argument131 : mais parce que le tiltre que je luy donne de la Bourgoise ou de la Promenade de Sainct Clou, pourroit arrester ton imaginatation à des choses vaines132, je te le donne assez ample133, & te prie de croire que je ne luy ay point donné ce tiltre sans sujet. Contente toy donc en sa lecture si elle te plaist, sinon laisse la comme une chose qui n’a jamais esté, & tu ne feras que ce que je fais tous les jours en pareille rencontre134.

Adieu.

[XII]

ARGUMENT. §

Fabrice Gentilhomme Florentin, durant les divisions de l’Italie135, eut une fille nommee Silvie, d’une beauté si excellente, que dès l’aage de huit à dix ans elle estoit l’admiration de tout le monde, & particulierement d’un jeune Gentilhomme, son voisin apellé Camille, à qui le voisinage, & l’egalité de l’aage donnoient la liberté de l’entretenir, quoy que fils de Periandre, ennemy de Fabrice & de party contraire. Cet innocent entretien136 en deux ans fit naistre en leurs jeunes cœurs une amour reciproque & si grande, que le père de Silvie s’en apperçeut : & craignant que cette affection croissant avec l’aage ne fust un sujet pour renouveler leurs vieilles dissentions, se resolut d’emmener Silvie aux champs, & de là, la faire conduire secrettement en France chez son amy Clerandre, avec une lettre qui luy faisoit sçavoir la raison pour laquelle il la luy envoyait, & le [XIII] dessein qu’il avoit de passer luy-mesme les monts, & de renouveler leur ancienne amitié, par le mariage d’Atis fils unique de Clerandre, & de Silvie la fille, qu’il desiroit estre desormais appellée Cloris.

Cependant il fait courir le bruit que sa fille est malade, & quatre ou cinq jours apres qu’elle estoit morte : & pour mieux faire passer sa feinte137, il fait porter à Florence un fantosme dans une biere, & le fait enterrer avec tant de ceremonies & de témoignages d’un vray desplaisir, que chacun creut la mort de sa fille. Camille qui veritablement aymoit Silvie, & qui la croyoit morte, en fust tellement affligé*, qu’apres avoir mouillé de ses larmes le funeste138 tombeau où il la croyoit enfermee, quitta Florence, au desçeu139* mesme de son père, & fult long temps en Hollande, où sous le nom d’Acrise, il acquit par sa valeur l’amitié des plus honnestes* gens, & particulièrement celle d’un jeune seigneur François qui estoit allé en Hollande pour trouver les occasions* d’y laisser les marques de son courage*. Mais son père l’ayant mande140, il fut contraint de songer à son depart, & ne pouvant quitter son amy, filt tant envers luy, qu’il l’emmena en France, où Clerandre père d’Atis le receut avec autant de tesmoignages d’affection que son fils propre.

[XIV] Dans le mesme logis vivoit Cloris, qui estoit destinee femme d’Atis. En leur voisinage y avoit une jeune Damoiselle nommee Florise qui estoit fort belle, & une jeune bourgeoise qui n’avoit pas moins d’apas que l’une & l’autre, elle vivoit si familierement avec Florise, qu’elle l’appelloit sa maistresse* & l’autre son serviteur : les visites qu’elles faisoient souvent chez Cloris, firent qu’Atis jetta les yeux sur Florise, & l’ayma si fort qu’il ne se soucioit plus de Cloris, ny du dessein que son père avoit de le marier avec elle, mais il en estoit receu fort froidement141.

Acrise qui voyoit tous les jours Cloris avec les mesmes traits qu’il avoit autrefois adorez en Silvie, sans considerer ny ce qu’il devoit à son ami, ny les serments qu’il avoit faits de n’aimer jamais que Silvie, l’adoroit en se taisant. Cloris pour les mesmes raisons, sentoit en soy des mouvements* puissants à l’aimer, ne se pouvait pourtant imaginer qu’Acrise fut son Camille tant pour la distance des lieux que pour le long temps qu’elle avoit esté sans le voir. Ces deux Amants* tenoient leur passion* si secrette, qu’ils n’osoient pas mesme la decouvrir l’un à l’autre : Mais La Bourgeoise qui aimoit passionnément Acrise, y prit bien tost garde, & se resolut d’y mettre tel empeschement qu’elle peust seule posse– [XV]– der Acrise, comme sa vanité le luy faisoit esperer : elle commença donc de presser Clerandre d’achever le mariage de son fils avec Cloris pour des raisons pressantes qu’elle luy dit. A quoy le père se resolut : & à cet effet emmena Cloris, Acrise & son fils, en une belle maison qu’il avoit à Sainct Clou, pour mettre la derniere main à leur mariage.

La Bourgeoise qui ne pouvoit vivre loin de son cher objet, les y suivit bien tost avec Florise, qu’elle avoit resolu de perdre, ayant apris de Climant que Clerandre la vouloit marier avec Acrise, & pour venir about de son dessein, fit advertir un certain fanfaron qui aimoit Florise, & le fit resoudre à l’enlever lors qu’elles passeroient par le bois de Boulongne. Ce qui eut esté fait si Atis qui avoit sceu la venuë de Florise, ne luy fust allé au devant*, & ne feust arrivé dans le bois, sur le point que le fanfaron l’enlevoit sans resistance. La presence & le danger de sa Dame luy firent mettre l’espee à la main contre le ravisseur qu’il mit à mort, & emmena à Sainct Clou sa maistresse* : Et La Bourgeoise, qui fachee d’avoir failli* son coup*, cherche d’autres moyens pour venir à bout de son dessein. Elle presse derechef142 le père, & fait qu’il commande absolument à son fils de n’aimer que Cloris.

[XVI] Cependant elle met une telle aversion pour Acrise dans l’esprit de Florise, & tant d’amour pour Atis, qu’elle la faict resoudre de se rendre religieuse si elle n’espousoit point Atis, q’uelle aymoit veritablement, quoy qu’il ne le creut pas, parce que La Bourgeoise qui s’estoit chargee de le luy faire sçavoir, au lieu de luy dire cette verité, faisoit son possible à luy persuader d’espouser Cloris, luy representant l’ingratitude de Florise, qui sans considerer les obligations qu’elle luy avoit, avoit agreé la proposition que Cleradre luy avoit faite de se marier avec Acrise. Atis touché de ses discours*, creut que son amy estoit coupable du mauvais tratement qu’il recevoit de Florise, & sur cette opinion le fit advertir qu’il le vouloit voir l’espee à la main : Acrise faché de se voir cotraint de se battre contre son amy s’y resoult pourtant, jugeant qu’Atis avoit raison de se vouloir vanger de luy, puis qu’il avoit esté si ingrat en son endroit & si mauvais amy, que d’aymer Cloris qui devoit estre la femme.

A peine furent-ils sur le lieu, que commençants à se mesurer ils furent separés par deux Estrangers, qui se firent bien-tost cognoistre par leurs exclamations de joye, l’un pour le père d’Acrise, & l’autre pour un sien amy qui avoit accompagné le père. Atis estonné* de ceste rencontre le fust davantage quand [XVII] il sceut qu’Acrise estoit Camille, & qu’il aimoit Clorise, & les emmene tous chez luy. Où d’abord* il fait sçavoir à son père qu’Acrise est Camille & fils de Periandre. A ces mots, son père se resouvenant de la lettre de Fabrice, pour contenter tout à faict Camille la luy donne à lire. Ainsi Camille recongnoit sa Silvie, & Silvie son Camille. Et Florise fait voir à son Atis que ses rigueurs143 passees luy feront des aiguillons pour les douceurs qu’elle luy prepare. Et la Bourgoise qui voit toutes ses esperances ruinees, se resout à cherir l’affection de Climant secretaire de Clerandre qui l’amoit avec passion*, s’estimant encore trop heureuse de voir que ses malices n’estoient cognues que d’elle.

[XIX]

STANCES, §

A Monsieur Le Marquis d’Ambres144, Chevalier des Ordres du Roy, & son Lieutenant au gouvernement du haut Languedoc

Grand Marquis, qui portez la gloire,                    1

Partout où le soleil reluit,

De qui les faits ont plus de bruit

Que les exploits de ceux qui vivent dans l’histoire :

Pour satisfaire à mon debvoir,                    5     [XX]

J’ay voulu souvent faire voir,

Les effets de vostre courage*,

Mais le nombre m’ayant surpris,

J’ay laissé mon ouvrage,

Et blasmé le dessein que j’avois desja pris.               10

Non pas que mon ingratitude

M’ait fait taire si longuement :

C’est que pour parler dignement

De vos hautes vertus il faut un long estude145 :

Et les esprit sles plus puissants,                    15

Apres le travail de dix ans,

Confesseront que vos loüages

Sont beaucoup pardessus l’humain

Et qu’il faut que les Anges

Pour bien parler de vous prennent la plume en main     20

Et dans les vers que je vous donne                         [XXI]

J’aurois trop de temerité,

Si je prenois la vanité

D’avoir l’art de vous faire une digne couronne.

Non non, ce n’est pas mon dessein,                    25

Le feu* qui m’eschaffe le sein*,

A des visees moins hautaines.

Je veux faire voir seulement,

Que nos monts, & nos plaines,

Ont de vostre valeur leur embelissement.               30

Sans vous nostre belle Province,

Eust esté le cruel* butin,

Des efforts d’un demon mutin

Qui rendoit les sujets rebelles à leur Prince146.

Tout alloit estre deserté,                         35

Quand vos armes ont arresté

Cette excessive violence :                              [XXII]

Et fait porter le repentir* ;

De leur folle insolence,

Et des maux qu’ils tachoient de nous faire sentir.          40

Vostre bras qui portoit la foudre,

Où les rebelles persistoient,

Fit de ceux qui luy resistoient,

Et de leurs bastions, une masse de poudre.

Tout fit place à vostre vertu,                         45

Leur courage* fust abatu ;

Et lors qu’ils vous rendoient les armes,

Pleins de joye, & d’estonnement*

Ils montroient en leurs larmes

Que par vostre douceur, vous vainquiés doublement.     50

Parmi les graces qu’ils vous rendent                         [XXIII]

Sans crainte ils recueillent leurs fruicts,

Et dans l’oubly de leurs ennuis*,

Le Ciel leur donne plus cent fois qu’ils ne demandent.

Les prez y sont de fleurs couverts                    55

Et les ombrages toujours verds,

Dans nostre AGOUST se glorifie,

Attirent Nimphes, & Bergers,

Dont le repos* desfie,

Vous ayant pour suport, la guerre, & ses dangers.          60

Chacun sans haine, & sans enuie*,

Vous met au rang des demi-dieux

Et fait aller jusques aux Cieux

Les vœux* advantageux qu’on fait pour vostre vie.               [XXIV]

Les uns souhaitent que vos jours,                    65

Sans que rien en trouvle le cours

Soient toujours glorieux, & calmes ;

Les autres que sa Majesté

Vous couronne de palmes,

Et donne à vos hauts faits ce qu’ils ont mérité.          70

Pour moy dans ces souhaits publiques147,

Satisfait de vous admirer,

Je ne sçay que vous desirer,

Car mes vœux* ne scauroient estre assez magnifiques.

Le Ciel qui peut tant seulement                    75

Recompenser parfaitement,

Prendra le soin de recognoistre,

Ce que vous avez fait pour nous,                         [XXV]

Puis qu’il vous a fait naistre

Avecques des vertus qu’on ne trouve qu’en vous,          80

Cependant que toute la terre,

Admire vos exploits guerriers,

Qu’on vous couronne de lauriers,

Que l’on doibt justement aux foudres de la guerre.

Je me croiray trop satisfaict,                          85

Lors que vous dirés que j’ay fait,

Quelque chose qui vous contente,

C’est là mon souverain bon-heur

Et toute mon attente,

Si le Ciel m’aime encor’ est d’avoir cet honneur.          90

Agreez doncq que je publie,

Dans les vers que je vous escris,                         [XXVI]

Que le travail de mes esprits

A vostre seul service* entierement se lie

Et que si vous me recevez                         95

Les qualitez que vous avez

Esleveront si haut ma plume,

Que sans orgueil je me promets

De tracer un volume,

Où vos faicts glorieux se liront à jamais.               100

MONSIEUR,

Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur.

De Rayssiguier.

[XXVII]

Extraict du Privilege du Roy. §

Par grace & Privilege du Roy, scelé le dixseptiesme d’Aoust 1633, il est permis à Pierre Billaine148 Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une Tragicomedie intitulee La Bourgeoise ou, la Promenade de Sainct Clou, composé par le Sieur de Rayssiguier, pendant le temps de dix ans, & deffenses sont faictes à tous autres Imprimeurs & Libraires, d’imprimer ladite Tragicomedie ny d’en vendre d’autre impression que celle dudit Billaine, sur peine de confiscation desdits exemplaires, & de mil livres d’amande149, comme plus au long est contenu audit Privilege.

Signé,          BORACE.

[XXVIII]

ACTEURS §

  • LA BOURGEOISE.
  • LA SŒUR de la Bourgeoise.
  • FLORISE.
  • LE BASTELIER.
  • LE COMPERE du Bastelier.
  • CLIMANT
  • Secretaire de Clerandre.
  • PERIANDRE
  • pere d’Acrise.
  • ARDILLAN
  • gentilhomme de Periandre.
  • LE VAILLANT FANFARON.
  • LA MONTAGNE
  • compagnon du Fanfaron.
  • ATIS
  • fils de Clerandre.
  • ACRISE
  • fils de Periandre.
  • CLORIS.
  • CLERANDRE.

LA

BOURGEOISE

OU

LA PROMENADE

DE S. CLOUD

ACTE I. §

SCENE PREMIERE.[A, 1] §

La Bourgeoise, La Sœur.

La Bourgeoise.

Non, non quand je devrois en estre mal vouluë150
En parle qui voudra j’en suis là resoluë
Tout ce que tu me dis ne servira de rien, [2]
Il ayme bien Cloris, qui n’a pas plus de bien

La Sœur.

5 Mais elle est Damoiselle, & de bonne famille.

La Bourgeoise.

Ce sont contes ma sœur, elle est fille & moy fille,
Et si la glace est bonne, où je me viens de voir,
Je n’ay pas moins d’appas qu’elle en pourroit avoir,
La gloire des ayeuls, n’est qu’un tiltre inutile,
10 Qui n’a pas grand esclat dans une bonne ville,
Estant riche on se fait, Damoiselle toujours,
Il ne nous faut oster, que deux doigts de velours151,
La Noblesse à Paris, est tellement confuse,
Que pour la discerner, le plus sage s’abuse,
15 Et puis je sçauray bien, esviter finement,
Ce qui sera contraire, à mon contentement,
Quoy qu’il ayme Cloris, je suis bien asseurée,
Que son amour n’est pas, pour estre de durée,
Atis de qui Cloris, doit estre femme un jour, [3]
20 Esteindra dans son sein*, ces petits feux* d’amour.

La Sœur.

Je veux que cela soit, & pour plaire à son pere,
Qu’Atis prenne Cloris, comme chacun l’espere,
Clerandre qui chérit, à l’esgal de son fils,
Acrise qui pour eux, a faict plusieurs defis,
25 Qui le veut obliger*, & l’arrester en France
De Florise & de luy, conclurra l’alliance.152
Il est proche parent, & son auctorité,
Y faira153 consentir cette jeune beauté,
Ainsi vous ne sçauriez, y trouver vostre conte154,
30 Et vostre amour jamais ne finira sans honte.

La Bourgeoise.

Ta derniere raison, me faict craindre beaucoup,
Et je sçay le moyen, d’en esviter le coup*,
Je ne suis pas encore à bout de ma finesse,
Mais de la concevoir, surpasse ta jeunesse.

La Sœur.

35 Les plus fins bien souvent, se trouvent abusés,
L’innocence à la fin, trompe les plus rusés, [4]
Et quoy que vous faciez, je crains quelque infortune.

La Bourgeoise.

Sçais-tu bien qu’en un mot, ta crainte m’inportune,
Et devant* que je sois, de retour à Paris,
40 Acrise m’aimera, plus qu’il n’aime Cloris,
Encor que le dépit, de se voir negligee,
Avec le brave Acrise, ait son ame engagee
Et que sans le respect, qu’elle porte au vieillard,
Acrise dans son cœur, eust la meilleure part,
45 Je n’ay peu toutesfois en estre bien certaine,
Tant ils prennent de soin, de me cacher leur peine,
Et pourtant bien souvent, leurs yeux & leurs souspirs*
Contre leur volonté, me font voir leurs desirs,
Mais je feray si bien, aujourd’huy que j’espere,
50 D’estre de leur amour, la seule secretaire,
Alors j’empescheray, quand Cloris le voudroit, [5]
Qu’Acrise en ait jamais, ce qu’il en pretendroit,

La Sœur.

Vous les allez donc voir à Sainct Clou, prenez garde
Que dans ces actions155, vostre honneur se hazarde.

La Bourgeoise.

55 Tu ne fais que causer, je sçay bien comme il faut,
Suppleer prudemment à ce qui me defaut156,
Et toutes deux bien-tost verront que j’ay dans l’ame,
Beaucoup plus qu’elles n’ont de ruses, & de flamme*,
Il est temps de partir, va-t’en prendre le soin
60 De ne rien oublier, de ce dont j’ay besoin.

La Sœur.

L’Amour est un enfant qui fuit la tromperie,

La Bourgeoise. [6]

Au contraire l’amour, n’est que supercherie
Et pour te le montrer, ce superbe vainqueur,
N’a visé qu’à mes yeux, & m’a frappé le cœur,
65 Va-t’en & viens par eau, car nous allons par terre,
Il faut vivre en amour, comme on fait à la guerre,
(La Bourgeoise demeure seule.)
Ou la ruse s’exerce au desfaut du pouvoir,
Pourvueu que le vaillant, y face son devoir,
Et que la hardiesse, à son amour s’esgalle,
70 Il me delivrera, d’une fortune* rivale,
C’est pourtant un grand crime, & je sens dans le sein*,
Un sensible remords d’un si lasche dessein,
La voudrois-tu trahir, sans en estre offencee,
Devrois-tu seulement en avoir la pensee,
75 Songe à ce que tu fais, r’appelle ta raison,
Non, non, l’amour, permet d’user de trahison,
Et je croy qu’en amour lors qu’on nous incomode
Si l’on s’en peut defaire*, est aimer à la mode,
En ce cas on met tout, au rang des ennemis,
80 Il n’est crime en aymant, qui ne nous soit permis, [7]
Pour obtenir le bien, où nostre flamme* aspire,
Pourvueu que nous rions n’importe qui souspire,
Allons donc la trouver, mais la voicy sortir.

SCENE DEUXIESME. §

Florise, La Bourgeoise.

Florise.

Et bien mon serviteur157, es-tu prest à partir,
85 Je t’allois accuser de ta longue paresse158,

La Bourgeoise.

Je viens pour recevoir les loix de [ma] maistresse*159
Heureuse d’obeyr à ses commandements,

Florise.

Voila mon serviteur, dans les grands compliments*,

La Bourgeoise.

Plustost dans le devoir où ce bel œil m’engage
90 Qui d’en seul mouvement, me blesse & me soulage, [8]
Qui me contraint d’aymer, sans pouvoir esperer,
Puis que je n’oserois seulement desirer.

Florise.

Tu dis ce que tu dis, avecque tant de grace,
Que dans ton entretien tout autre soin je passe
95 Et pour te faire voir que Florise ayme bien
Confirmons d’un baiser, ton amour & le mien.

La Bourgeoise.

Ce sterile baiser, est sans ame, & sans force,
Se baiser fille à fille, est baiser une escorce,
Acrise les pourroit rendre plus vigoureux
100 S’il changeoit son humeur, & qu’il fust amoureux.

Florise.

Laissons à part Acrise, avec les autres hommes
Vivons heureusement, en l’estat où nous sommes,
Leur discours* m’importune, & leur amour aussi, [9]
L’amour entre nous deux, est sans aucun soucy160,
105 Sans user de ces noms, de cruelle* ou d’ingrate,
Tu me baises sans honte, & sans peur je te flatte,
Ainsi nos plus beaux jours coulent tout doucement
Florise est ta maistresse*, & toy mon seul amant*.

La Bourgeoise.

Ces divertissements161, sont froids en toute sorte,
110 Vivre toujours ainsi, c’est estre à moitié morte,
Non non vous changerez, de discours* quelque jour
Un homme a plus de grace, à nous parler d’amour,
A parler franchement, qu’il faut que je confesse,
Qu’un serviteur pour moy, vaut mieux qu’une maistresse*.

Florise.

115 Si quelque homme bien faict t’aymoit donc aujourd’huy,
Tu me voudrois quitter, pour te donner à luy. [10]

La Bourgeoise.

Non pas pour me donner, mais pour suivre la vie.
Que ma mere & la vostre, ont autrefois suivie,
Que sert-il d’en mentir, ce n’est plus jeu d’enfant,
120 Ce qu’un âge permet un autre le deffend,
Vos discours* estoient bons du temps que les poupees,
A les accommoder, nous tenoient occupees,
Mais puisque nous voila dans un aage plus meur
Cherchons d’autres plaisirs & changeons nostre humeur,
125 Ma Maistresse* sçachez qu’amour est à nostre âge
Ce qu’au printemps les fleurs, aux oyseaux le plumage.

Florise.

Vrayment si je doutois, de ton affection,
Je craindrois te voyant parler de passion*,
Mais il est temps d’aller,

La Bourgeoise.

Si je ne suis trompee,
130 Tu seras dans mes lacs, bien-tost enveloppee162.
[11]

SCENE TROISIESME. §

Le Batellier, le Compere.

Le Batellier.

Compere que dis-tu, je croy que ce matin,
Nous sommes mal placés pour faire grand butin163,
Nous voila demeurés, tous seuls dessus la rive,
Les autres sont partis, & personne n’arrive,
135 Le bourgeois aujourd’huy demeure en sa maison
Sans vouloir prendre part à la belle saison.

Le Compere.

Il est vray qu’autrefois nous avions plus de presse,
Chacun se promenoit avecque sa maistresse*,
Sur tous les estrangers, du faubourg Saint Germain164,
140 Mais nous aurons peut-estre autre chance demain.

Le Batellier. [12]

Je n’espere pas mieux au mal-heur où nous sommes,

Le Compere.

Voicy venir du monde, à Chaillot aux bons-hommes165.

SCENE QUATRIESME. §

Climant, le Batellier,
le compere, la Sœur.

Climant.

Nous allons à Sainct Clou,

Le Batellier.

Nous vous y conduirons
Nous avons de bons bras, & de bons avirons,
145 Le batteau bien couvert, & de sieges à l’aise,

Le Compere.

N’estes-vous que vous deux, mais qu’il ne vous deplaise,

Climant. [13]

Non,

Le Batellier.

Entrés pour le prix, nous tomberons d’accord,

Le Compere.

Voulez-vous estre seuls,

Climant.

Tous seuls,

Le Batellier.

Quittons le bord
Cet amoureux transi payera166 notre attente.

Climant.

150 Et bien que dit ta sœur,

La Sœur.

Je suis si mescontente,
Que je ne sçay que dire, & mon esprit confus,
Craint pour vostre subjet, un rigoureux refus,

Climant.

A ce conte ta sœur, en ayme donc un autre.

La Sœur. [14]

Et pour ce feu* naissant, on mesprise le vostre.

Climant.

155 Mais quel est ce beau fils, cet Adonis167 nouveau,
Qui donne tant d’amour, à ce jeune cerveau168,
Je me doute que c’est169, le chapperon luy pese,
Elle croit sous la coiffe, estre plus à son aise,
Quelqu’un des fanfarons qui la vont cajoler170,
160 En fin là prise au piege, il n’en faut plus parler,
L’esclat de ses habits, & quelques flatteries,
L’auront faite ceder, à ses cajoleries171,
Elle a pour l’avoir faict, assez de vanité
Sans me faire languir dis m’en la verité.

La Sœur.

165 Vous en estes bien loing la personne qu’elle ayme,
Est de condition inegalle à l’extreme,
Et qui n’a pas encore, à son amour songé,

Climant.

Je ne puis souhaiter d’en estre mieux vangé,
Son nom,

La Sœur. [15]

Vous le sçaurés l’occasion* venuë,
170 Mais il vous faut avoir un peu de retenuë,
Je vous ay ce matin faict exprès advertir,
Qu’elle emmenoit Florise, à S. Clou divertir,
Pour un soupçon secret, qui me reste dans l’ame,
Elle entreprendra tout pour esteindre sa flasme,
175 Mais en vostre presence elle se contraindra.

Climant.

Nous verrons à loisir, ce qu’il en adviendra.

La Sœur.

En sans faire semblant d’estre venus ensemble.

Climant.

Ne t’en mets pas en peine, à ton discours* je tremble,
Car ta sœur a l’esprit, fin & malicieux172.
180 Son cœur dement souvent & sa bouche & ses yeux
Et pour mieux confirmer ce que tu m’en raportes,
J’ay depuis l’autre jour des preuves assés fortes
Que je veux esclaicir, si je puis aujourd’huy,
Son amour ne luy peust que donner de l’ennuy*.
[16]

SCENE CINQUIESME. §

Periandre, Ardillan.

Periandre.

185 Ardillan c’est en vain, il vous est impossible,
De rendre là-dessus ma douleur moins sensible,
Depuis que j’ay perdu mon fils, tous vos discours*,
Au lieu de m’alleger, m’affligent* tous les jours,

Ardillan.

Donnez-vous patience un moment nous apporte,
190 Les biens dont en nos seins, l’esperance estoit morte.

Periandre.

Ah quelle patience, & quoy sept ans passés,
Sans en apprendre rien ne seront pas assez, [B, 17]
Vous mesme qui voulez par des raisons puissantes,
Soulager le fardeau de mes peines presentes,
195 Vous qui pour le chercher m’avez accompaigné,
Dites-moy qu’avons-nous, l’un & l’autre gaigné,
Nous avons desja veu, l’Italie & l’Espagne,
La cour de l’Empereur, & toute l’Allemagne,
La Hollande où l’honneur, des armes est si grand
200 Que de tous les costez, la noblesse s’y rend.
Dont le peuple guerrier nourry dans les alarmes,
Reçoit courtoisement ceux qui font cas des armes,
Sans pouvoir descouvrir s’il est mort ou vivant,
Et vous voulez encor, me repaistre173 de vent.

Ardillan. [18]

205 Non non depuis le temps que nous sommes en France,
J’ay conçeu justement une heureuse esperance,
Ces François sont courtois, & leur Prince aujourd’huy,
Ne trouve point de Roy, qui se compare à luy.
Tout cede à sa puissance, & ses vertus cognuës,
210 Sont pour un vray miracle en ce siecle tenuës,
Le bruit de sa valeur, & des exploits divers,
Qui le font admirer, & craindre à l’univers,
Attire aurpès de luy, des deux bouts de la terre,
Ceux qui veulent cognoistre, & la paix, & la guerre
215 Pour ne dementir point, ceux dont-il est sorti,
Vostre fils dans sa cour, aura pris un parti :
Et n’aura pas voulu, se mettre en coignoissance,
Que par quelque action digne de sa naissance.

Periandre.

Helas ce faux espoir, en me voulant flatter,
220 Faict encore plus fort, ma douleur eclater,
Mon fils n’est plus vivant, voulés vous que j’espere
Ostes-moy quand & quand, l’estre ou le nom du père,
Au moins si j’avois peu, par la faveur* des cieux, [19]
Le voir devant mourir, & luy fermer les yeux,
225 Je porterois mon mal, avec moins d’adventure174,

Ardillan.

Estes vous donc de ceux, qui fuient175 la coustume176 !
Qu’un autre ou qu’un parent, leur ait les yeux fermés,
Cela ne touche point les corps desanimez,
Et quand il seroit mort, c’est une loy commune,
230 Qui des Roix & de nous, esgalle la fortune*.
Mourir loin de son père, ou mourir en ses bras
Rendre un dernier souspir* en terre, ou dans des draps,
Parmy les pleurs des seins* ou le sang d’un armee,
Ce n’est toujours qu’esteindre une lampe allumee.

Periandre.

235 Ces raisons Ardillan seroient fortes assez,
Pour ceux qui comme vous sont desinteressés
Mais autrement sçachez que ces grandes merveilles,
Ne font que des discours* qui touchent les oreilles.
La nature malgré, nos sages sentiments, [20]
240 Nous a mis dans le sein* de plus forts mouvements*,
Nostre philosophie, a dix mille visages,
Que chacun comme il veut, applique à ses usages,
Tout se peut soustenir, & parmy mes douleurs,
J’aurois mille raisons, pour deffendre mes pleurs.

Ardillan.

245 Alors que vous serez asseuré de la perte,
Que vostre bouche soit, à cent plaintes ouverte,
Cependant177 retenez vostre dueil en suspens,
Et ne vous plaignez point, au moins devant* le temps.

Periandre.

Tout ce que tu me dis me semble raisonnable,
250 Mais la douleur d’un père, est toujours pardonnable.

Ardillan.

Il est vray toutestois, cepandant que la cour,
Est pres de Sainct Germain, où le Roy faict sejour, [21]
Nous y devons aller, & voir si la fortune*,
Nous y presentera sa rencontre opportune.
255 Je cognois quelques-uns entre les courtisans,
Qui nous esclairciront de nos doutes presans178,
Et de qui le support nous sera favorable,

Periandre.

Allons veuille le ciel, nous estre secourable.

SCENE SIXIESME. §

Le Vaillant, La Montagne.

Le Vaillant.

Compagnon ne crains rien je porte à mon costé,
260 L’effroy des ennemis, & nostre seureté,
Dans cette occasion*, tout ce qui plus m’offense,
Et que nous ne verrons personne de deffence : [22]
Au moins si neuf ou dix, quinze ou vint179 m’attaquoient,
Et l’espee à la main, mon courroux180 provocquoient,
265 Pour plaire à la beauté qui m’a l’ame seduite,
Tu verras aussi-tost, ou leur mort ou leur fuite,
C’est parmy les dangers que je pris mes esbats
Le poisson vis dans l’eau, je vis dans les combats :
Il est vray que depuis, que mon amour extreme,
270 Me sousmit à Florise, en m’ostant à moy-mesme,
Que depuis que ses yeux, m’ont fait son prisonnier,
Dans les occasions* je parois le dernier,
Que j’ay laissé passer, mille subjets de gloire,
Tandis que ses beaux yeux, mesprisent leur victoire.

La Montagne.

275 J’avois creu toutesfois qu’un homme genereux
Se pouvoit empescher d’estre fort amoureux.

Le Vaillant. [23]

La Montagne, l’amour est un petit vipere181,
Qui déchire en naissant le ventre de sa mere,
Et qui dessous des fleurs cache182 secretement,
280 Lors qu’on les veut cueillir blesse mortellement,
Tout cede à sa puissance, & fait parler des fables,
Il rend d’un seul clin d’œil les plus rudes affables.
Moy qui me suis nourry, dans le bruit des canons,
Alors que par leur bouche, icy bas nous tonnons,
285 Qui dans tous les endroits, où j’ay porté mes armes,
Ay fait grossir les eaux, & de sang, & de larmes,
Qui suis accoustummé, des qu’on m’a veu marcher,
D’aller sur des remparts les drapeaux arracher.
De rompre un bataillon, de forcer une armee,
290 Parmy les fers, les plombs, les feux, & la fumee.
Qui me suis eslevé, parmy la cruauté,
Je n’eus pas plus tost veu, cette rare beauté,
Que mon cœur ressentit une attainte cruelle*, [24]
Qui sans un prompt secours, ne peust qu’estre mortelle.

La Montagne.

295 Vous deviez183 donc tascher d’en estre bien venu,

Le Vaillant.

Je l’ay faict mais en vain, t’eus bien-tost recognu,
Qu’elle me dedaignoit, que son humeur hautaine,
Ne pouvoit pas souffrir, le nom de Capitaine.
Et toutefois ses yeux avec nous ses mespris,
300 Avoient quelque douceur qui me retenoit pris,
Je vivois sans repos*, & ma gloire estouffee,
Servoit à sa beauté, d’un orgueilleux trofee.

La Montagne.

Vous deviez retourner, dans les occasions*,
Et perdre en la perdant vos folles passions*,
305 L’amour est faineant, l’exercice le tuë,
Il faut que contre luy, nostre ame s’esvertuë,
Et que par la raison, conduisant nos desseins,
Nous estouffions ce monstre, au milieu de nos seins*. [25]

Le Vaillant.

J’estois tout prest d’aller, comme tu sçais mon brave,
310 Dans le sang ennemy, perdre ce nom d’esclave,
Quant la belle bourgeoise, à qui sans te mentir,
On a deu justement, ce tiltre departir,
Et qui sçait les secrets, de ma belle maistresse*,
M’appelle à son logis, me tance fort, me presse,

La Montagne.

315 Et dequoy, de l’aymer ?

Le Vaillant.

Non, non, mais de n’avoir,
Où l’amour estoit foible usé de mon pouvoir,
Disant qu’il me falloit d’une douce contrainte,
Ravir ce qu’une fille accorde avecque crainte,
Et que pour me montrer qu’elle avoit eu pitié,
320 De voir si mal traiter, ma fidelle amitié,
Elle en avoit cent fois, mon ingrate tancee,
Et qu’en fin elle avoit recognu sa pensee.
Qui n’esoit pas si loing, comme il sembloit de moy, [26]
Qu’elle avoit des parents qui luy donnoit la loy,
325 Que leur mauvaise humeur me la rendoit cruelle*,
Et que mon plus grand mal ne me venoit pas d’elle,
En un mot qu’il falloit songer à la ravir,
Et qu’elle m’y vouloit fidellement servir.
En suitte elle m’a dict, le lieu, le jour, & l’heure,
330 Et que soit qu’elle crie, ou que Florise pleure,
Sans rien considerer, je l’emmene soudain*
En des lieux où sans crainte, elle soit sans dedain,
Et c’est ce que je viens attandre à ce passage.

La Montagne.

Pour un homme vaillant nous n’estes guere sage.
335 Vous laissiez vous surprendre à cet appas184 trompeur,
On vous veut attraper. [27]

Le Vaillant.

Tu me le dis de peur,
Quand l’embuche185 seroit de cent hommes n’importe,
Pour en venir à bout, cette main est trop forte :
Je ne t’emmene icy, que pour avoir le soin,
340 De conserver Florise, & de nous voir de loin,
Tandis que ma valeur faira perdre la vie,
A tous ceux qui voudroient traverser* mon envie.

La Montagne.

Je n’y manqueray pas, ou mes pieds manqueront.
Je sçay bien qu’apres eux, d’autres demeureront.

ACTE II. §

[28]

SCENE PREMIERE. §

Atis, Climant.

Atis.

345 Dis moy le vray186, vient-elle,

Climant.

Ouy je vous en asseure,

Atis.

Ne me pourrois-tu pas, à peu pres dire l’heure ?

Climant.

Monsieur il ne faut pas là-dessus deviner,
Sans doute ce sera sur l’heure du disner187,

Atis. [29]

Il ne faudra donc pas, que d’icy je m’esloigne,
350 Sçais-tu par quel chemin ?

Climant.

Par le bois de Bouloigne,

Atis.

Et la belle bourgeoise, accompagne ses pas,

Climant.

Les deux sans accident ne se separent pas.

Atis.

Je ne sçay si je dois aller à la rencontre,
Car aussi bien faut-il que ma flamme* se montre,
355 Mon père veut forcer mon inclination,
Et pour le supporer j’ay trop de passion*
Tu sçais bien que depuis que je brusle pour elle,
Malgré tous ses mespris je suis toujours fidelle,
Et ta belle bourgeoise, a veu cent fois mes pleurs,
360 Tesmoigner à ses yeux mes injustes douleurs,
La cruelle* pourtant toujours inexorable188,                    [30]
Ne s’est jamais montree à mes vœux* favorable
Au contraire elle croit que me voyant mourir,
Ce seroit un peché, que de me secourir.

Climant.

365 Je vous ay veu pour elle en une ardeur bien forte
Mais je croyois qu’enfin cette flamme* fut morte
Tant pour ses longs dedains189 que nous avons veus tous,
Que pour l’accord passé de Cloris & de vous :
Dans tout nostre faubourg, on croit l’affaire faite,
370 Sçachant que vostre pere ardemment la souhaite190,

Atis.

Plustost que l’on me voye accomplir son dessein
Il faut avec Florise, oster mon cœur du sein*,
Allons leur au devant*,

Climant.

Monsieur je vous supplie,
De me laisser icy,

Atis.

Quelle melancolie.
375 Quelque petit debat entre vous survenu, [31]
En cette occasion* te faict si retenu,
Je sçay bien que l’amour ne fust jamais sans noise191
Je te mettray d’accord avecque ta bourgeoise.

Climant.

Il n’en est pas besoin & vostre père attand,
380 Que sur autre sujet, je le rende content.

Atis.

Va donc & garde toy de parler de Florise,
De peur qu’il ne jugeast qu’elle est mon entreprise192.

SCENE DEUXIESME. §

Acrise seul.

Acrise

Depuis que les cieux font leur tour,
Qu’on voit naistre, & mourir le jour,
385 Que les astres sur nous versent leur influance,
A t’on veu de tourments,
Entre tous les amants*,
Qui soient comme les miens sans aucune esperance, [32]
J’adore un object qui n’est plus,
390 Et qui dans le tombeau reclus,
N’est qu’un peu d’ossements, & qu’un peu de poussiere,
Injustes loix du sort,
Devois je apres sa mort,
Joüyr comme je fais, du bien de la lumiere.
395 Nous commencions encor tous deux,
De gouster la douceur des feux*,
Qu’un amour innocent, allumoit dans nos vaines,
Lors que le Ciel jaloux,
D’un entretien si doux,
400 Mit fin à ses beaux jours ; & commença mes peines.
Depuis j’ay tasché vainement,
De trouver quelque allegement,
Aux douleurs dont mon ame est sans cesse pressee [C, 33]
Je cours de tous costés,
405 Mais toujours ses beautés
En quel lieu que je sois occupent ma pensee.
Ah traistre oses tu bien garder le souvenir
De ses divins apas, & t’en entretenir ?
Ne te souvient il plus ame ingrate & parjure
410 Qu’en adorant Cloris tu luy fais une injure,
Que tu trahis sa flamme*, & troubles chez les morts
Le repos* innocent d’un ame hors de son corps,
Qui te peust reprocher qu’à faute193 de courage*
Tu ne l’as pas suivie en ce commun passage,
415 Que tu devois mourir quand son père t’aprit
Que Silvie en ses bras avoit rendu l’esprit ?
Ah que c’est jugement, je devois tout à l’heure194
Dire en l’executant il faut donc que je meure,
Où dessus le tombeau vaincu de mes douleurs,
420 Faire couler mon sang, & l’ame avec mes pleurs,
Au lieu d’abandonner ma patrie & mon père
Conservant dans mon sein* ce qui me desespere,
Mais je ne l’ay pas faict, & me suis seulement [34]
Conservé pour mourir cent fois en un moment,
425 Et pour avoir le temps de me rendre coupable
D’un crime dont l’enfer ne seroit pas capable :
Infidelle à Silvie, & traistre à mon ami ?
O Dieu ! pour me punir ton bras est endormi ?
Ah Cloris ! que l’amour m’a mis dans la pensee
430 Sans que jamais Silvie en puisse estre effacee,
Pardonne à mon erreur si je suis combattu
D’un furieux195 desir contraire à ta vertu ?
C’est Atis seulement qui doit toucher ton ame,
C’est à luy seulement de brusler de ta flame* :
435 Helas ! gentil Atis que j’offense si fort,
Je pense à te trahir, & je ne suis pas mort,
Silvie à qui ma faute est sans doute visible,
Puis qu’au Divinitez toute chose est possible.
Il est vray, je devois mesme dans le tombeau
440 Conserver mon amour pour un object si beau :
Je te devois garder mon affection pure,
Mais je croy de t’aymer si j’ayme ta figure.
Cloris a des atraits si semblables aux tiens
Que lors que je la voy je croy que je te tiens.
445 Helas ! je veux encor excuser mon offense,
Pour un crime si noir je cherche de deffence : [35]
Non, non, il faut mourir pour vanger mes forfaits,
Acrise pense bien au calme que tu fais,
En voila trois en un, Cloris, Atis, Silvie,
450 Sont tous trois offencez de ta fascheuse vie :
C’est ce nouvel amour, & ton aveuglement
Qui jettent ton esprit en ce desreglement.
Ah ! que mon cœur presse parmi ces advantures
Souffre dans cet instant de cruelles* tortures196.
455 Le ciel dans mon malheur favorable à mes vœux*
Et me privant du jour fait tout ce que je veux.

SCENE TROISIESME. §

Cloris, Acrise esvanoüi.

Cloris.

Acrise ne dit mot, mais dans ce grand silence
On voit bien que son cœur sent de la violence
Ces soupirs qu’on luy voit si frequemment tirer
460 Alors qu’il fait semblant de vouloir respirer,
Encor qu’ils soient coupez font voir que s’il respire
C’est pour monstrer qu’il aime, & que son cœur souspire*, [36]
Il a beau le cacher, son teint pasle & deffaict,
Sans dessein sans discours* faire tout ce qu’il fait,
465 Estre si fort tombé dans la melancolie
Qu’à peine on le croiroit sans un peu de folie,
Rechercher d’estre seul, & ne se plaire à rien
Fuir de ses amis & de leur entretien,
Sont des marques d’amour que l’on ne peust dedire,
470 Acrise aime sans doute, & cache son martyre,
Je l’en informeray s’il me vient à propos,
Mais le voila couché dans un profond repos* :
Il a mal pris son temps, l’herbe est moüillée encore
Et l’on y voit partout des larmes de l’aurore,
475 Il le faut essueiller, Acrise, helas il dort,
Mais c’est du long sommeil que nous cause la mort,
Ses yeux desja fermés, sa bouche toute ouverte
Et ses bras estendus m’asseurent de sa perte,
Acrise, c’est en vain, il est desja passe,
480 Son corps sans mouvement semble un marbre197 glacé,
Acrise, s’en est faict, sa vigueur198 est esteinte
Et l’on voit sur son front la palle mort depeinte, [37]
Helas Acrise, helas qui t’a privé du jour,
Je voy bien ce que c’est, c’est un effaict d’amour.
485 L’Amour seul a privé ce beau corps de son ame
Que l’on peut renfermer malaisement la flame*
Il faut ou qu’elle agisse en toute liberté,
Ou qu’elle rompe tout pour montrer sa clarté,
Nos cœurs sont trop estroits pour tenir enfermée
490 Une flame* d’Amour estant bien allumée,
Il faut ou qu’elle esclatte, ou que par son effort
En rompant sa prison elle donne la mort,
Acrise en est tesmoin, de qui l’humeur discrete,
Veut tenir en mourant sa passion* secrete,
495 Atis, que direz-vous, aprenant ce malheur,
Mais il semble qu’il ait encor quelque chaleur
Et que ses yeux ouvrants leur pesante paupiere
Veulent encor un coup* regarder la lumiere.

Acrise.

Helas !

Cloris.

Courage* Acrise, il referme les yeux
500 Comme s’il avoit peur de la clairté des Cieux199.

Acrise. [38]

Helas !

Cloris.

Tous ces helas, sont des marques de vie.

Acrise.

Quel ennemi cruel* traverse* mon envie,

Cloris.

Acrise, c’est Cloris, non pas un ennemi,
Il me tourne ses yeux qu’il n’ouvre qu’à demi.

Acrise.

505 Cloris,

Cloris.

C’est elle mesme.

Acrise.

O merveille adorable200
Retirez vous d’icy, laissez ce miserable,
Que son crime vous rend indigne de pitié.

Cloris.

Qu’a-t-il faict,

Acrise.

Violé201 les droicts de l’amitié,
Faussé202 sa foy, trahi, que faut-il davantage.

Cloris. [39]

510 Se resjoüir, Acrise, & reprendre courage*,
Aimer n’est pas un crime,

Acrise.

Aimer insolemment,
Et trahir son ami pour devenir amant*,
Sont des crimes si grands qu’on ne les peut absoudre
Vous mesme qui tachez icy de me resoudre203,
515 Quand vous sçaurez qui j’ayme avec ce propre fer204
Vos mains mesme voudront m’envoyer dans l’enfer.

Cloris.

Au contraire sçaschant le nom de cette belle,
Je feray pour vos feux* mon possible envers elle,
Levez vous seulemnt & ne m’en cachez rien,

Acrise.

520 Vous y pouvez beaucoup, perfide oses tu bien
Ouvrir encor ta bouche, & confesser des crimes
Que la terre devroit cacher dans ses abismes.

Cloris.

Remettez vostre esprits, les fautes de l’amour
Pour grandes qu’elles soient ne craignent point le jour.

Acrise. [40]

525 Je vous la nommeray c’est Cloris, mais je jure,
Qu’apres ce mot, ce fer vangera vostre injure.

Cloris.

Que faites-vous Acrise, arrestes, arrestes,
Et si j’ay du pouvoir dessus vos volontés
Donnez moy vostre espée & perdez cette envie
530 Où vous donnant la mort vous m’osterez la vie,

Acrise.

Pitoyable Cloris, & cruelle* pourtant,
Qui me donnez la vie & l’ostez à l’instant,
Ah ! que vostre pitié me sera dommageable,
En avoir pour Acrise, est estre impitoyable,
535 Un seul moment de vie a pour moy mille morts,
Mon ame avec regret fait agir tout ce corps,
Laissez moy donc mourir & faire la vengeance
De celuy que ma flame* avecque vous offence.

Cloris.

Sans plus parler de mort jurez moy desormais
540 Que vos mains constre vous ne s’armeront jamais.

Acrise.

Et bien je vous le jure, & c’est avec justice
La mort eut tout d’un coup* mis fin à mon suplice, [41]
C’est pourquoy vous voulez m’empescher de mourir,
C’est se vanger, Cloris, non pas me secourir ?

Cloris.

545 Prenez que cela soit ; vivez,

Acrise.

Et bien n’importe
Cens moyens sans mes mains m’en ouvriront la porte,
Adieu, veüille le Ciel qu’Atis & vous contents
Ne ressentiez205 jamais les injures du temps.

Cloris.

Il s’en va, toutefois, quoy que son mal me touche
550 Pour son allegement je n’ose ouvrir la bouche,
Helas si tu pouvois regarder là dedans
Tu me verrois le cœur plein de desirs ardants.
[42]

SCENE QUATRIESME. §

Clerandre, Climant.

Clerandre.

Et bien qu’a t’elle dit, est elle resolue,
Je veux que dans le jour l’affaire soit concluë,
555 L’âge desja me presse, il ne faut qu’un moment
Pour m’envoyer dormir dedans le monument :
Les vieillards comme moy n’ont point de jour ny d’heure,
C’est pourquoy je voudrois voir devant* que je meure
Mon fils par un Hymen* avec elle assemblé,
560 Tu ne me respons rien, tu me sembles troublé.

Climant.

Que voulez-vous sçavoir, mon ame est estonnee*
De voir que tous les deux fuyent cet hymenee*,
Que de leur en parler les afflige* plus fort
Que si l’on leur parloit d’aller souffrir la mort.

Clerandre. [43]

565 Sçais tu ce qui la rend à cet hymen* contraire,
N’as-tu point recongnu ce qui l’en peut distraire,
Mon fils luy déplait il, a-t-il quelque deffaut,
Ou son ambition pretend-elle plus haut ?
Son père avant sa mort pressoit ce mariage
570 Qu’on avoit retardé qu’à cause du bas âge :
Car à pene avoit-elle encor dix ans entiers
Qu’elle fut envoyee expres en ces quartiers206.
Depuis continuant apres la mort du père,
Elle m’a dit cent fois qu’elle me vouloit plaire,
575 Cependant aujourd’huy sans aucune raison,
Elle me veut remettre en une autre saison207,
Non, non, Climant je crains qu’elle ne soit touchee
De quelque folle ardeur qu’elle nous tient cachee.

Climant.

Je ne le pense pas, & croy que son desir
580 Est de vivre toujours soubs vostre bon plaisir,
Non pas qu’avec raison son ame ne l’afflige*,
Qu’il luy faille espouser Atis qui la neglige,
Qui n’ayme que Florise, & qui la suit par tout
Faisant tous ses efforts, pour en venir à bout.
585 Quoy qu’elle le mesprise & rejette sa flame*, [44]

Clerandre.

Vraiment mon fils a tort & merite du blasme
De s’aller engager dans ce nouvel amour
Que je feray mourir devant* la fin du jour,
Acrise à qui mon fils & moy devons la vie,
590 Les mettra tous d’accord en suivant mon envie
Sans le porter plus loin je vais y travailler,
Ne laisse pas pourtant toujours de les veiller208.

Climant.

Voila qui va fort bien la bourgoise trompee
Sera dans ses filets elle mesme attrapee,
595 Et moy par ce moyen bien justement vangé
De ce nouvel amour où son cœur s’est rangé.

ACTE III. §

[45]

SCENE PREMIERE. §

Climant, La Sœur.

Climant.

Que tantost je vay voir ta sœur bien en cervelle209
On luy ravit l’object de son amour nouvelle210,
Clerandre ayant apris la passion* d’Atis
600 Pour y remedier211 a conclu deux partis212,
L’un d’Atis à Cloris, l’autre du brave Acrise
Qu’il veut mesme aujourd’huy marier à Florise.

La Sœur.

Voila ce que j’avois bien justement conneu213,

Climant. [46]

Qui de nous deux en fin sera le plus deçeu*,
605 Ta sœur a faict la folle214, & par son imprudence
A mis par cet amour son honneur en balance215 :
Mais mon amour plus fort que sa legereté
M’oblige* d’excuser son imbecilité216.
La femme est un roseau que le moindre vent plie217,
610 Et de qui la sagesse est presque une folie :
Elle croit pour avoir des apas obligeants
De pouvoir enflammer toute sorte de gents,
On se doit mesurer, & selon sa portée,
Tenir par la raison son amour arrestee.
615 Que peut-elle espérer, Acrise est un Seigneur,
Encore qu’incognu, plein de gloire & d’honneur,
Qui se cache de nous pour des raisons peut-estre,
Que nous ne pouvons pas encore recognoistre :
Mais laissant ce discours* n’aurois tu rien apris,
620 De ce que le vaillant a tantost entrepris.
Et d’où pouvoit venir en luy cette imprudence,
Ta sœur est le motif de son outrecuidance.

La Sœur. [47]

Je n’en puis rien juger, mais devant* que partir
Elle a faict en secret le vaillant advertir,
625 Me cachant finement la dessus sa pensee,

Climant.

Dis moy pourtant comment l’affaire s’est passee.

La Sœur.

Ma sœur m’a raconté qu’estant dedans le bois
Ce vaillant a paru qui d’une forte voix,
Menaçant le cocher a mis bas la portiere218,
630 Et que sans escouter, ny plainte, ny priere,
Il a saisi Florise, & dit tout hautement
Que les autres pouvoient s’en aller librement,
Qu’il avoit faict sa proye, & que cette rebelle
Payeroit ses dédains, & son humeur cruelle*,
635 Qu’elle ne pouvoit plus eschaper de ses mains,
Qu’en vain elle esperoit du secours des humains.
Et l’enlevoit ainsi sans autre resistance
Quand Atis est venu sur cette violance,
Qui d’un cœur genereux apres un long combat
640 Par la mort du vaillant a fini le debat,
Et delivre Florise heureusement pour elle,

Climant. [48]

Je suis cause aujourd’huy d’une action si belle,
Ah qu’il a justement puny ce ravisseur.

La Sœur.

Climant allons nous en, voicy venir ma sœur.

SCENE DEUXIEME. §

La Bourgeoise seule.
645 Il est vray ce qu’on dit que la prudence humaine
Sans un peu de fortune* est une chose vaine,
Sans elle la vertu languit soubs des lambeaux219,
Et meurent en naissant tous les actes plus beaux,
On a beau mesnager sagement une affaire220,
650 Prendre bien à propos temps & lieu de la faire,
Mesler dans ses desseins de gents interessez,
Si la fortune* veut ce n’est encore assez,
Il faut que ceste aveugle & legere Deesse
Dedans tous nos projets se fasse voir maistresse*
655 Il faut qu’elle s’y mesle, & suivant son humeur [D, 49]
Fasse tomber des mains le fruict desja tout meur :
J’avois conduit ma ruse avec tant d’artifice221
Qu’on n’y sçauroit encor soupçonner de malice,
Florise estoit dedans, le vaillant l’enlevoit,
660 Et sans empeschement avec luy la sauvoit,
Lors que par un malheur que je ne puis comprendre,
Atis s’est rencontré pour venir la deffendre :
Et pour la retirer des mains du ravisseur,
Pour en faire peut-estre Acrise possesseur.
665 Devant* que cela soit je perdray toute chose,
Il faut tenter encor ce que je me propose,
Acrise aime Cloris, & cet amant* discret
De peur de l’offenser tient son amour secret,
Avecque l’un & l’autre entrant en confidence,
670 Le bon-heur pourroit bien se joindre à ma prudence :
Prenons l’occasion*, comme on dit, aux cheveux222,
Voicy venir Cloris tout droit où je la veux,
Devant* que l’aborder voyons sa contenance.
[50]

SCENE TROISIESME. §

Cloris, La Bourgeoise.

Cloris seule.

Ô sensible regret, cruelle* souvenance,
675 Trois puissans ennemis viennent de m’affaiblir
Et m’attaquent tous trois pour me faire faillir* :
L’amour soubs la pitié, le devoir, & la crainte,
D’estre d’ingratitude, & de parjure attainte,223
Sont maistres de mon cœur, & contestent chez moy,
680 Qui seul de tous les trois me donnera la loy :
L’amour soubs la pitié veut garder son empire224,
Et me fait voir Acrise amoureux qui souspire,
Qui sur l’herbe estendu, de ses douleurs pressé,
Et noyé dans ses pleurs semble estre trespassé.
685 Qui jugeant que ses feux* ne pouvoit pas me plaire,
A voulu de sa main, à mes yeux se defaire*, [51]
Le devoir d’autre part fondé sur la raison
Soustient que cet amour paroist hors de saison,
Qu’en espousant Atis, j’obeis à mon père,
690 Que Clerandre le veut, & que chacun l’espere.
Et qu’en fin je ne puis sans me faire blasmer,
N’espouser point Atis que je ne puis aimer :
Mais toutes ces raisons n’esbranlent point mon ame,
Tout ce qui plus me touche est ma premiere flamme*.
695 Camille qui me crois n’avoir plus part au jour,
Je ne feray point tort à ton fidelle amour,
Quelque part où tu sois, où vivant, où sans vie
Tu te peux asseurer d’estre aimé de Silvie.

La Bourgeoise.

Il n’est pas mal-aisé de pouvoir deviner
700 Ce qui la faict icy seule se promener :
Je la surprendray trop, si d’abord* je me montre,
Par ce petit detour, allons à sa rencontre.

Cloris.

Pour Acrise pourtant je panche à la pitié,
Et mon cœur maintenant se rompt par la moitié, [52]
705 Acrise a l’une part, & Camille tient l’autre.

La Bourgeoise.

Que faites vous, Cloris, quelle humeur est la vostre,
Quel sujet avez-vous d’estre ainsi dans l’ennuy*,
N’aprehendez vous point d’estre femme aujourd’huy,
Croyez-vous que l’hymen* soit une chose amere,
710 Et que ce soit un mal que de devenir mere.

Cloris.

Ma chere amie, helas ! mon mal vient de plus loin,
Et ce que tu me dis n’est pas mon plus grand soin.

La Bourgeoise.

Dites moy donc que c’est, mon amitié discrete
Sçait tenir quand il faut une affaire secrete :
715 Les maux que nous souffrons ne sont maux qu’à demi,
Alors qu’on s’en descharge au sein* de son ami.

Cloris.

Devant* qu’aller mourir, il est bien raisonnable
De dire le subjet qui me rend miserable, [53]
Ton amitié m’oblige* à te dire un secret
720 Qui m’a faict vivre icy toujours dans le regret,
Et qu’il faut toutesfois qu’aujourd’huy je découvre.

La Bourgeoise.

Que vostre ame à la mienne avec franchise* s’ouvre,

Cloris.

Escoute seulement, & tu le vas sçavoir,
Pourveu que ma douleur m’en laisse le pouvoir :
725 Alors que la discorde avoit esmeu la guerre,
Que les divisions regnoient dessus la terre,
Que toute l’Italie estoit en deux partis,
Que les hommes estoient contre-eux-mesme abrutis,
Je nacquis à Florence, & la mesme journee
730 On devoit voir ma vie, en naissant terminee :
Mais ma mere eut un soin si grand de m’efleurer
Que parmi ce desordre elle me peust sauver.
J’avois desja sept ans quand une paix commune225
Remit chacun chez soy pour suivre sa fortune*.
735 Pres de nostre logis Camille se tenoit, [54]
Que jeune comme moy souvent m’entretenoit,
Et quoy que son parti fust ennemi du nostre,
Nos cœurs s’estoient unis doucement l’un à l’autre,
L’innocence de l’âge où nous vivions contens,
740 Nous permit sans soubçon deux ans ces passe-temps,
Que je puis bien nommer tout le temps de ma vie,
Camille puis qu’alors l’ame me fust ravie,
Que mon père voulant estouffer nostre amour
Feignit que j’estois morte, & te priva du jour,
745 Car tu mourus sans doute oyant cette nouvelle.

La Bourgeoise.

Et pourquoy trouva-t’il cette feinte cruelle* :

Cloris.

De peur que nostre amour avec l’âge croissant
Ne fust creu le subjet du malheur renaissant,
Car le feu* qu’on avoit couvert d’un peu de cendre
750 Par toute l’Italie estoit prest de s’estendre ;
Mon père apres cela me tira de chez luy,
Et m’ordonna de vivre en eternel ennuy*, [55]
M’envoyant en ces lieux, chez son ami Clerandre,
Qui m’aime encore plus qu’il n’eust osé pretendre,
755 Et qui depuis toujours me l’a bien tesmoigné :
Mais son dessein, du mien est beaucoup esloigné.

La Bourgeoise.

Son dessein est de voir Cloris dans sa famille,
Porter le nom de femme, & non le nom de fille.

Cloris.

Et le mien est de voir Cloris au monument
760 Devant* que cela soit de mon consentement.

La Bourgeoise.

Vous en avez donné toutesfois la parolle,

Cloris.

Ce n’est qu’un air frapé, qui tout soudain* s’envole :
Mais le cœur a toujours dementi mon discours*,
En un mot, la mort seule est mon certain secours.

La Bourgeoise.

765 Consolez-vous Cloris, lors que vous serez femme
Vous ne penserez plus à la premiere flame*, [56]
Atis n’est pas un homme à devoir refuser,
C’est aujourd’huy le jour qu’on vous doit espouser.

Cloris.

Dis moy plustost le jour que l’on me doit voir morte,

La Bourgeoise.

770 Quelqu’autre affection en vostre ame est plus forte.

Cloris.

C’est l’amour de Camille,

La Bourgeoise.

Ouvrez-moy vos secrets,
L’objet de vostre amour est maintenant plus pres.

Cloris.

Il le faut advoüer, il est cercain qu’Acrise,
Et Camille ont ensemble aujourd’huy ma franchise*,
775 Soubs l’un où l’autre nom je les aime tous deux.

La Bourgeoise. [57]

On n’avoit point encor parlé de mesmes feux*,
Acrise là-dessus vous a-t-il point pressee ?
Où par quelque parolle explique sa pensee.

Cloris.

Au contraire je voy que cet amant* discret
780 Veut mourir pour tenir son amour plus secret :
Mais je l’ay descouvert,

La Bourgeoise.

Et comment ?

Cloris.

Il me semble
De voir venir Florise,

La Bourgeoise.

Et vostre Atis ensemble.

Cloris.

Retirons-nous soudain*, je ne veux pas les voir,
Soubs cet ombre icy pres226 tu pourras tout sçavoir.
[58]

SCENE QUATRIESME. §

Florise, Atis.

Florise.

785 Tous ces discours* d’amour sont pour moy des mensonges,
Je leur adjouste foy tout de mesme qu’aux songes ;
Apellez-moy cruelle*, un rocher sans pitié,
Je suis plus insensible encore de moitié

Atis.

Helas ! je le sçay bien, il n’est roche si dure
790 Qui ne se montre esmeüe aux peines que j’endure,
Qui pour m’en asseurer ne redise apres moy
Le beau nom de Florise, & parle de ma foy.
Ces arbres esbranlez par de douces haleines,
Avecque les Zephirs souspirent de mes peines.
795 L’Aurore le matin ne pleure sur les fleurs
Que pour venir mesler ses larmes à mes pleurs.
Les souspirs* si frequents qui sortent de ma bouche [59]
Pressent227 mes ennemis, & ma douleur les touche,
Vous seule me voyez languir en vous aimant,
800 Sans me vouloir donner aucun allegement.
Vous fuyez de me voir, & de m’oüir, de crainte
Que vostre cœur de fer s’amolisse à ma plainte.
Et bien, puis que mes pleurs, & que ma passion*
Ne vous peuvent ranger à la compassion.
805 En me faisant du bien, obligez-vous* vous-mesme,
Arrachez-moy ce cœur, cruelle*, qui vous aime,
De mon sang respendu, soulez228 vos cruautez,
Et finissez ainsi mes inportunitez,
Car quoy que vous passiez, vous estes asseuree229
810 Que ma flame* sera d’eternelle duree.

Florise.

Apres tout, sçavez-vous que c’est trop me presser,
Vous avez pris à tâche, Atis, de m’offenser,
Si vous consideriez le point où vous en estes, [60]
Vous ne me tiendriez230 pas ces discours* deshonnestes :
815 Allez trouver Cloris, qui vous doit posseder,
C’est elle qui vous peut des faveurs* accorder,
Et ne me parlez plus d’amour, ou je vous jure
Qu’en fin je m’en plaindray comme on faict d’une injure.
Que Clerandre sçaura tous vos deportements231,
820 Et me fera raison de ces faux mouvements*232.

Atis.

Cruelle* tu t’en vas, & laisses dans mon ame
Deux puissans ennemis, le depit, & la flame*,
L’un veut que je te quitte, & l’autre va croissant
Au milieu des froideurs qui la vont menaçant.
825 Si233 faut-il qu’aujourd’huy l’un de ces deux esclate,
Cet esprit orgueilleux s’aigrit234 quand on le flatte,
Les femmes n’aiment pas un homme qui les suit,
Et suivent bien souvent un autre qui les fuit.
[61]

SCENE CINQUIESME. §

La Bourgeoise, Acrise.

La Bourgeoise seule.

C’est un fardeau pesant en l’esprit d’une femme,
830 De n’oser franchement se plaindre de sa flame*,
De n’oser descouvrir quelle est sa passion*,
A l’agreable objet de son affection,
Et principalement lors qu’elle n’a personne
Qui ne luy soit contraire ou qu’elle ne soubçonne,
835 Je l’ay bien esprouvé depuis deux ou trois mois,
Que l’amour, ce tiran235 m’a soubmise à ses loix.
Voicy benir l’objet dont mon ame est esprise,
Il est tout seul, Amour aide mon entreprise,
Cloris m’a raconté toute sa passion*,
840 Il le faut divertir de cette affection,
Apres selon le temps je prendray mes mesures,
Et sans dire mon nom je diray mes blessures,
Il le faut aborder. Ce n’est pas sans dessein [62]
Que vous venez icy descharger vostre sein*,
845 Je sçay que vous aimez, hors de toute esperance :
Mais vous pourrez trouver d’autres Cloris en France.
Ne vous estonnez* point, je sçay tous vos secrets,
Je sçay jusqu’à quel poinct sont allez vos regrets.

Acrise.

Il semble à vous oüir que vous soyez sçavante,
850 Et si je vous croyois, je prendrois l’espouvante236,
Non, non, vous vous trompez, je n’ayme encore rien,
Ou si j’ayme, ce n’est que mon seul entretien,
Le plaisir d’estre seul, est le bien que j’esprouve :
Le dessein qui m’a faict dans le jardin venir,
855 Est pour me promener, & pour m’entretenir,
Sur plusieurs accidents de ma vie [là] passée237,
Qui ne peuvent tomber qu’en ma seule pensee.

La Bourgeoise.

Ne faites pas le fin, je sçay que vostre amour
A failli* ce matin à vous priver du jour, [63]
860 Il ne s’est rien passé la dessus que j’ignore,
Et je vous dirois bien d’autres secrets encore :
Si vous vouliez aimer, qui vous veut secourir,

Acrise.

Tout mon secours dépend seulement de mourir.

La Bourgeoise.

Ce dessein imprudent offense un honeste homme,
865 Cherchez d’autre remede238 au mal qui vous consomme.
Un amour par un autre aisement se détruit,
Recevez mon conseil*, vous en aurez le fruict.

Acrise.

Vostre conseil* est bon à qui le pourroit suivre.
Mais pour moy qui ne puis changer d’amour ny vivre,
870 C’est me parler en vain, que de me conseiller*,
C’est par des coups* mortels ma douleur resveiller.

La Bourgeoise.

Vous sçavez toutesfois, quel feu* que soit le vostre239,
Que vous la devez voir entre les bras d’un autre, [64]
Que c’est le seul Atis qui la doit posseder,
875 Vous estes trop amis pour ne la luy ceder,
Il est premier en datte, & dans cette journee
On les verra tous deux sous le joug d’hymenee*,
Croyez-moy donc, Acrise, esteignez vostre ardeur,
Je sçay qu’une beauté que retient la pudeur,
880 Amoureuse de vous se seroit presentee,
Mais elle craint de voir sa flame* rejettee,
Elle ne cede point à Cloris en beauté,
Où vous manquez d’espoit, manquez de fermeté,
Et vous serez content le reste de vostre âge.

Acrise.

885 Adieu, je ne sçaurois souffrir vostre langage,
J’aime Cloris de vray, mais j’aime Atis aussi,
C’est surquoy je venois resver tout seul icy.
Nous parlerons ailleurs des beautez que vous dites,
Sur vostre seul raport, j’estime240 ses merites.

Acrise seul. [E, 65]

890 O Dieu, que j’ay souffert avec cette importune,
Et que ce qu’elle a dit accroist mon infortune :
Je me doute que c’est, je lis dedans son sein*,
Et tout ce qu’elle fait, se fait avec dessein,
Ennemi conjuré du repos* de mon ame,
895 Amour esteins en moy la vie, ou bien ma flame* :
Je trompe mon ami sous ma feinte froideur,
Je cache pour Cloris une secrette ardeur.
Atis que diras-tu quand tu sçauras mon crime,
Pleust à Dieu que la terre ouvrit un large abysme,
900 Qui deust, pour te vanger, à tes yeux m’engloutir,
Ou que tu peusses241 voir quel est mon repentir*.
Je le puis vanger seul d’une action si lache,
Et mon sang seulement en peut laver la tache.
[66]

SCENE SIXIESME. §

Acrise, Atis.

Acrise.

Le voicy.

Atis.

Cher ami, tout seul en ce lieu cy,
905 C’est estre bien pressé de quelque grand soucy.

Acrise.

Le soucy qui me ronge est chose passagere,
Qui ne me peut donner qu’une peine legere,
Mais vous que l’on doit voir bien tost soubs les liens242,
Dont la coustume assemble, & le corps, & les biens,
910 Comment gouvernez-vous, & Cloris, & Florise ?

Atis.

Je n’aime point Cloris, & l’autre me mesprise.

Acrise.

Vous l’avez toutesfois obligee* en un poinct,
Qu’un peu d’ingratitude à ses mespris se joinct, [67]
Quoy qu’à dire le vray, j’estime sa prudence,
915 Qui veut par ses rigueurs vous oster l’esperance,
Sçachant que Cloris seule est pour vous posseder,
Elle mesprise ainsi ce qu’elle doit ceder.

Atis.

Tu devines ami, ce qui me desespere :
Je suis outre cela tourmenté de mon père243,
920 Qui veut mesme aujourd’huy conclurre avec Cloris
Ce que j’ay differé si souvent à Paris.
Toutesfois si Florise avoit receu ma flame*,
Si quelque trait d’amour avoit touché son ame,
Ny père, ny respect d’alliance, ou de bien
925 Ne sçauroit empescher que je ne fusse sien.
Quand elle me devroit estre toujours cruelle*,
J’aimerois mieux mourir que de vivre sans elle :
Mon père qui se sert du pouvoir paternel
Ne se contente pas d’un acte solemnel.
930 Il veut mesme aujourd’huy passer au mariage,
Et croit qu’avec Cloris est tout mon advantage :
Mais je mourray plustost, j’ay trop d’affection [68]
Pour en venir jamais à l’execution,
Non pas que je ne sois extremement blasmable
935 De n’aimer point Cloris que chacun trouve aimable244,

Acrise dit ce vers tout bas.

Di plutost que chacun adore sa beauté :

Atis.

Qui pourroit aux plus grands oster la liberté,
Et des cœurs les plus forts faire rendre les armes.
Cependant pour moy seul elle n’a point de charmes245,
940 Mon inclination est engagee ailleurs,
Elle n’a pas pour moy de mouvemens meilleurs :
Elle fuit comme moy ce que mon père presse,
Je l’aime comme sœur, non pas comme maistresse*,
Et je ne sçay que c’est, depuis le premier jour
945 Qu’on m’a voulu contraindre, on m’a privé d’amour :
Depuis j’ay veu Cloris dans des desadvantages246
Que je ne trouve point sur les autres visages.

Acrise. [69]

Et Florise vous plait ?

Atis.

Plus que tous les humains.

Acrise dit ces trois premiers vers tout bas.

On mesestime247 ainsi ce qu’on a dans les mains,
950 Il n’aime point Cloris, & si248 l’y veut contraindre :
De cecy je ne sçay qu’esperer, ny que craindre.
Pressons le là-dessus, mais Florise vous fuit :
Laissez qui vous mesprise, & dont l’amour vous nuit,
Vostre père qui veut que Cloris vous possede,
955 Vous oste absolument tout espoir de remede.

Atis.

La mort est un remede asseuré pour tous ceux
Qui dans leur passion* sont forcez ou deceüs.

Acrise tout bas.

Helas ! c’est pour moy seul que ce discours* s’esclate.

Atis.

Et sans un peu d’espoir dont mon ame se flate,
960 Je serois desja mort au milieu des ennuis*
Que je souffre à toute heure en l’estat où je suis, [70]
Cher ami jusqu’icy j’ay fait tout mon possible,
D’aimer autant Cloris comme cette insensible :
Mais je n’ay jamais peu, Florise a des apas
965 Que les autres beautez en mon endroit n’ont pas.

Acrise.

L’amour est un demon regnant dans l’insolence,
La Raison doit pourtant reigler249 sa violence.

Atis.

La Raison en amour est un Dieu sans autel250,
Aimer comme tu dis, n’est pas estre mortel.
970 Toy qui sans passion* vois les choses plus belles,
Tu peus fuir, Acrise, ou bien approcher d’elles,
Et pour moy, dont l’amour est sans comparaison
Par-dessus les efforts de toute la raison :
Je souffriray la mort plustost que de m’en taire.

Acrise.

975 Mais qu’en esperez-vous, vous estant si contraire ?

Atis.

J’en espere bientost, ou l’amour, ou la mort,
Et j’y veux seulement faire un dernier effort, [71]
Si Florise s’obstine à m’estre inexorable,
Je m’empescheray bien d’estre plus miserable,
980 Il vaut bien mieux mourir que de languir toujours.

Acrise.

Dieu veüille que l’effect soit contraire au discours*,
Nous mourons bien souvent aupres d’une maistresse*,
Mais esloignant l’objet, cette fougue nous laisse.

Atis.

Tu me donnes subjet, ami, de te blasmer,
985 Tu fais bien l’ignorant dans les façons d’aimer.
Je t’ay veu toustefois en des passions* fortes
Pour ces grandes beautez que tu dis estre mortes.

Acrise.

Ne me remettez point dans mes ennuis* passez,
J’en ay souffert beaucoup, & souffre encore assez.

Atis.

990 N’en parlons doncques plus, & t’asseure que j’aime
Cette ingrate beauté cent fois plus que moy-mesme, [72]
Et que rien que la mort ne m’en peut dégager251.

Acrise.

Je voudrois toutesfois vous pouvoir obliger*,

Atis.

Tu le peux, en m’aidant, à conduire ma feinte,
995 Où mon ame pourtant sera dans la contrainte,
Car je veux essayer de piquer ses esprits,
Avecque des froideurs qui montrent du mespris.
Et quoy que mon desir soit contraire à ma bouche.
Je pourray descouvrir si ma feinte la touche.

Acrise.

1000 C’est veritablement le prendre comme il faut,
C’est naturellement qu’elles ont ce deffaut,
Tesmoignez de l’amour, elles sont rigoureuses,
Si vous les mesprisez, elles sont amoureuses.

Atis.

Par ce moyen encor mon père satisfaict,
1005 Ne me pressera plus, peut-estre, comme il faict.

Acrise tout bas. [73]

Pleust à Dieu qu’à ton gré tes desseins s’accomplissent :
Mais je n’espere pas que les miens reüssissent,
Je suis trop malheureux, & le Ciel justement
A ce perfide cœur donne le chastiment.

ACTE IV. §

[74]

SCENE PREMIERE. §

Florise, Atis.

Florise.

1010 Toujours le mesme Atis, & les mesmes parolles252,
Toujours dans le discours* de vos passions* folles :
Je vous l’ay dit cent fois, vous travaillez en vain,

Atis.

Je seray donc toujours vostre object de dedain,
Et mon ardante amour toujours infortunee,
1015 Verra vostre rigueur à ma perte obstinee, [75]

Florise.

C’est à recommencer, nous n’aurions jamais fait,
Adieu, parlez tout seul, ce discours* me deplait.

Atis.

Tu mesprises ainsi l’amour que je te porte,
(Il dit ce demi vers tout bas.)
La voila qui s’arreste, orgueilleuse n’importe,
1020 Va t’en, ingrate, va, je te feray sentir
Tes mespris tost ou tard, avec le repentir*,
Il ne te souvient plus que mon bras t’ait sauvee
Des mains du Fanfaron qui t’avoit enlevee,
Et que sans mon secours, cette rare beauté
1025 Eust esté mise en proye à sa brutalité.
Pour ces gens seulement tu conserves tes graces,
C’est pour eux seulement que tu fondras tes glaces.
Je jure par le jour, dont je voi la clairté253
Que je romps tous les fers dont j’estois arresté,
1030 Ce portraict où je voy paroistre ton visage,
De honte, & de dépit me grossit le courage*.
Mais ostons cet objet, indigne de nos yeux, [76]
Et qu’en mille morceaux il demeure en ces lieux.
(Atis s’en va.)

Florise seule se montrant.

Ah ! qu’est-ce que je sens, d’où vient cette foiblesse,
1035 C’est tout de bon254 qu’Atis à cett’heure me laisse.
Où vas-tu, brave Atis, pourquoy fuis tu de moy ?
Revien, Atis, revien, je veux parler à toy,
Je t’apelle, revien, c’est Florise, elle-mesme,
Qui t’ayant mesprisé, te jure qu’elle t’aime,
1040 S’il revenoit, pourtant je ne luy dirois mot :
Ah ! que ma passion* esclatera bien tost.
Revien, & tu verras ton orgueilleuse amante*,
Qu’une nouvelle ardeur à ton subjet tourmente.
Toutesfois ces discours* ne sentent pas leur bien,
1045 Atis est à Cloris, il ne peut estre mien :
N’importe pas, revien, Atis, je t’en suplie,
O Dieu ! jusqu’à quel poinct est venu ma folie.
Je l’aime sans sçavoir d’où me vient ce desir,
Ah ! que s’il revenoit il me feroit plaisir255.
1050 Mon ame maintenant diversement portee [77]
Est de mille transports tout d’un coup* agitee,
Ce qui le plus me presse est un secret soubçon,
Que sa flame* pour moy ne devienne un glaçon,
Revien, Atis, revien, & Florise t’asseure
1055 Que de tout le passé tu recevras l’usure256.
Je crains que son courrous trop justement espris
Ne pardonne jamais mon injuste mespris.
Tu m’as juré cent fois d’aimer plus que ta vie
Celle dont les rigueurs traversoient* ton envie,
1060 Et toutesfois, cruel*, tu viens de dechirer
Son portrait qu’on t’a veu mille fois adorer.
Helas ! le dechirant tu m’as arraché l’ame,
Et d’un cœur tout glacé, fait un cœur tout de flame*.
Revien doncques, revien, & tu seras content,
1065 Mais je l’appelle en vain, personne ne m’entend :
Voicy pourtant quelqu’un, couvrons257 nostre tristesse.
[78]

SCENE DEUXIESME. §

La Bourgeoise, Florise.

La Bourgeoise.

A quoy se divertit en ce lieu ma maistresse*,
Seule, & melancolique à la fin je voy bien
Que vostre cœur ressent autre feu* que le mien,
1070 On a beau resister, une perseverance258
Nous amolit le cœur lors que moins on y pense,
Les services* d’Atis, & ces fortes ardeurs,
Dont il a combatu si long-temps vos froideurs,
Vous ont en fin259 vaincue, & fait rendre les armes,
1075 Vous changez de couleur, vous essuyez vos larmes,
C’en est fait, confessez, qu’amour en fin vainqueur
Pour les beautez d’Atis vous a blessé le cœur.
Vous pouvez franchement dire vostre pensee, [79]
L’honnesteté* n’est [pas]260 en aimant offencee,
1080 Ce n’est rien qu’une erreur261, & nous pouvons aimer,
Sans donner le subject de nous faire blasmer.

Florise.

Helas ! j’aime, il est vray, mais mon amour soudaine*,
S’est formee en mon sein* par un effect de haine,
Atis ne m’aime plus, il s’est avec raison,
1085 Par un juste dépit tiré de sa prison,
Il vient de m’en donner un signe manifeste,
Regarde ce portraict, & juge apres du reste.

La Bourgeoise.

Atis l’auroit-il mis en morceaux comme il est ?

Florise.

Luy-mesme, & pense apres si Florise luy plait,
1090 Si ce n’est pas montrer une haine bien forte,
Puis que jusqu’à ce poinct la colere262 l’emporte.

La Bourgeoise.

Quoy que cette action tesmoigne du mespris,
On luy verra bien tost rappeler ses esprits.
Il n’est pas si mauvais comme il le vous fait croire [80]
1095 L’on n’efface jamais l’amour de sa mémoire,
Et ce n’est pas le mal qui doit le plus fascher,
Vostre esprit se devroit autre part attacher263,
Clerandre veut qu’Atis, & Cloris se marient,
Et qu’aujourd’huy les loix ensemble les allient,
1100 Il passe bien plus outre, asseuré dessus vous,
Puis qu’il vous veut donner Acrise pour espoux.
Voyez donc là-dessus ce que vous devez faire,
Acrise est obligeant264, & capable de plaire.

Florise.

Acrise a du merite265, il le faut confesser,
1105 Mais lors que là-dessus on me voudroit presser,
Clerandre se verroit esloigné de son compte.

La Bourgeoise.

Ce refus, toutesfois, viendroit à vostre honte,
En vous donnant Acrise, il veut vous obliger*,
Vous aurez bien du mal de vous en dégager,
1110 Et la nouvelle ardeur dont vostre ame est esprise,
N’esperant plus, Atis bruslera pour Florise.

Florise.

Quoy qu’il puisse arriver, je sçay bien toutesfois
Que c’est du seul Atis que je suivray les loix. [F, 81]
S’il espouse Cloris, tiens toy pour asseuree
1115 Que ma vie n’est[oit] pas pour estre de duree.266
Helas ! si je pouvois parler encor à luy,
Et qu’il vit là dedans l’effort de mon ennuy*,
Je serois satisfaite en ma passion* vaine,

La Bourgeoise.

Je feray mes efforts pour vous tirer de peine.
1120 Je vay tout de ce pas prendre l’occasion*
De vous pouvoir servir dans vostre passion* :
Cependant resistez au dessein de Clerandre,
Et ne vous laissez pas en ce subjet surprendre.
Je le veux ramener à quel prix que ce soit,
(Elle dit ce vers tout bas.)
1125 Si tu le crois pourtant ton desir te deçoit*.

Florise.

Que tu m’obligeras* par un si bon office,

La Bourgeoise.

Je vous veux en cela signaler mon service*.
Adieu, voicy venir cet importun Amant*
Qui me trouble l’esprit de son fascheux267 tourment.
[82]

SCENE TROISIESME. §

Climant, La Bourgeoise.

Climant.

1130 Je crains que mon abord ne vous soit incommode.

La Bourgeoise.

Voila des compliments* qui sont bien à la mode,
Et vous avez raison, si je ris à quelqu’un
Vous croyez que le voir, & l’aimer ne soit qu’un.
Je suis d’une humeur libre, & nullement méchante268 :
1135 Je parle avecque l’un, avec l’autre je chante,
Voulez-vous en m’aimant reigler mes volontez,
Et me faire souffrir vos importunitez,
J’aimerois mieux cent fois en naissant estre morte,
Il n’est pas temps encor de vivre de la sorte :
1140 Obligez-moy* Climant, vivons d’autre façon,
Je ne suis plus au temps de recevoir leçon269.
Si vous m’aimez, aimez tout ce que je desire, [83]
Et dans mes actions ne trouvez rien à dire.
Chacun vous fait ombrage270, & l’on croit à vous voir
1145 Que vous ayez acquis sur moy quelque pouvoir.

Climant.

Au contraire je veux par mon obeissance
Montrer que vous avez sur moy toute puissance271 :
Je vous aime à tel poinct, que si vous le voulez
Nous verrons nos plaisirs à ceux d’Atis meslez.
1150 Il doit avoir Cloris, & son ami, Florise,
Et Clerandre en doit seul accomplir l’entreprise.

La Bourgeoise.

Vous pariez bien viste, Acrise y consent-il :
Sçavez-vous si Florise accepte ce parti.

Climant.

Mon maistre qui peut tout sur ces quatre personnes
1155 Leur fera bien trouver ces alliances bonnes.

La Bourgeoise. [84]

Estes vous asseuré que ce soit son desir,
Et quand il le voudroit, qu’il en eust du plaisir.

Climant.

Que ce soit son desir, il me l’a dit luy-mesme,
Et son contentement n’en peut estre qu’extreme.

La Bourgeoise.

1160 Quand cela sera faict, asseurez-vous Climant
Que je travailleray pour vostre allegement272.
Adieu, vivez content273 apres cette promesse,

Climant.

Adieu, tu seras prise274 avecque ta finesse275.

La Bourgeoise seule.

De ton maistre, & de toy les desseins traversez*,
1165 Par mes inventions se verront renversez :
J’avois desja de loin preveu cette menee276 :
Mais ils ne sont pas pres de voir cet hymenee*,
Florise m’a desja là-dessus tesmoigné
Que son desir en est tout à fait esloigné.
1170 Et de peur qu’elle soit de Clerandre pressee
Je luy vay confirmer encor cette pensee.
[85]

SCENE QUATRIESME. §

Atisseul.

A quel poinct me vois-je reduit,
Tout m’est contraire, tout me nuit,
Monstre d’Amour, & de Fortune* :
1175 Acrise, tes discours* sont vains,
Tu n’oserois tendre les mains
A la mort qui nous est commune,
Et toutesfois la vie agreable aux humains
Est le seul mal qui t’importune.
1180 Mais l’on a beau m’en divertir,
Je suis resolu de partir,
La mort nous ouvre mille portes,
Et quoy que fasse mon malheur
Par un effort de ma valeur
1185 Il faut mon ame que tu sortes,
Ou qu’à la fin cedant aux coups* de la douleur
Tu laisses le corps que tu portes.
Dans les desplaisirs que je sens, [86]
Celuy qui presse plus mes sens
1190 Est d’avoir osé dire, j’aime
Silvie, Atis, Cloris, Amour,
Que j’offence par mon sejour :
Excusez mon erreur extreme,
Car devant* que la nuict ait faict mourir le jour,
1195 Je vous vangeray de moy-mesme.
Cloris qui regnes dans mon sein*,
Qui m’as empesché le dessein
Que j’avois de m’oster la vie :
Helas ! tu n’as rien advancé,
1200 C’est un ouvrage commencé
Du temps que je perdis Silvie :
Et je crois justement que je suis trespassé
Depuis qu’elle me fut ravie.
Mais ce sont des discours* en l’air,
1205 Il faut faire, & ne point parler,
C’est trop longuement la survivre,
Quelque raison qu’on peut chercher
Ne me sçauroit plus empescher : [87]
Il faut qu’en fin je me delivre,
1210 Ou que dans quelque bois, ou sur quelque rocher
Je trouve un chemin pour la suivre.
Allons donc, & quittons ces lieux,
Ou je n’ose lever les yeux :
Plein d’une honte legitime,
1215 Qui par de violents efforts
Cause en mon ame de remorts,
Dont la violance m’oprime
Et me faict desirer d’estre au nombre des morts
Pour mieux pouvoir cacher mon crime.
1220 La mort est le repos* où je dois m’arrester
Et toutesfois Cloris me le veut contester :
Non, non, il faut mourir, mes esperances vaines
Ne feroient qu’augmenter à toute heure mes peines.
C’est m’amuser en vain, Cloris dépend d’autruy
1225 Atis ne l’aime point, mais il n’est pas à luy
Quoy que sa passion* me puisse icy promettre, [88]
Le pouvoir paternel le peut bien tost remettre,
C’est pourquoy sans chercher ailleurs quelque conseil*,
Allons en autre Ciel voir luire le soleil,
1230 Attendant que le temps use ma triste vie,
En adorant Cloris, & la morte Silvie.

SCENE CINQUIESME. §

Clerandre, Atis.

Clerandre.

Ne me contestez rien, suivez ma volonté,
Vous avez abusé long temps de ma bonté :
Mais je veux aujourd’huy que mon fils m’obeïsse,
1235 Et que sa repugnance en mon endroit finisse.
Ay je nourry Cloris pour autre que pour vous,
Et ne devez vous pas estre un jour son espoux,
Qu’on ne me parle plus de l’amour de Florise, [89]
C’est pour recompenser le merite d’Acrise,
1240 Vos folles passions* ne me contentent pas,
Cloris ne manque point ny de bien, ny d’apas.

Atis.

Excusez s’il vous plait ma desobeissance,
Ce que vous desirez n’est pas en ma puissance,
L’imperieux277 Demon qui regne dans mon sein*
1245 Voulant vous obeir detourne mon dessein,
Comme je fuy Cloris, elle me fuit de mesme,
Monsieur desirez-vous que de force je l’aime :
Quel plaisir aurez-vous, nous contraignant tous deux,
C’est desarmer l’amour & de traits, & de feux*,
1250 Vous nous verrez mourir vivants dans le divorce
Que met dans les maisons un hymen* faict de force.

Clerandre.

Vraiment je suis ravi de vos instructions,
Et de vostre prudence en vos affections :    
Vostre âge le permet, & vostre experience278 [90]
1255 En pareils accidents a faict vostre science279,
Vous n’aimez point Cloris, son accueil n’est pas doux,
Ma foy je suis d’advis qu’elle coure apres vous,
Qu’elle se passionne, & qu’elle vous caresse,
Tandis que vous aurez Florise pour maistresse*,
1260 Qui vous fuit, vous mesprise, & se plaint hautement
Que vous la poursuivez trop importunément.
J’ay voulu quelque temps, encor que je le visse,
Croyant de vous lasser, excuser vostre vice,
Mais voyant aujourd’huy qu’il estoit dans l’excès
1265 Que je n’en pouvois plus attendre un bon succès280 :
Je vous veux faire voir que je suis vostre père,
Et que ma volonté vous doit seulement plaire :
C’est pourquoy sans user de replique281 je veux
Que vous aimiez Cloris, qu’elle seule ait vos vœux*.

Atis seul.

1270 Père dénaturé qui veut forcer ma flame*,
Qui veux à ta façon disposer de mon ame,
Et qui pour augmenter davantage mon mal [91]
D’Acrise mon amy veux faire mon rival,
Non, non, auparavant qu tes vœux* s’accomplissent,
1275 Que contre mon amour tes desseins reüssissent,
Le sang dont la vigueur anime tout ce corps
Avec mes propres mains en sera mis dehors :
Apres donne à ton fils une femme à ta mode,
Et fay que mon amour à ton sens s’accommode282,
1280 Helas ! en quel estat me voy-je icy reduit
Celuy qui m’a fait naistre à cett’heure me nuit
O Dieu que la raison, & la prudence humaine
Aux affaires d’amour est une chose vaine,
Mon père croit de faire un coup* bien important,
1285 Mais il se trompera dans l’hymen* qu’il attend,
Voulant faire mon bien, à ma perte il s’obstine,
Et me donnant Cloris, il cherche ma ruine.
Il croit que la rigueur qu’il vient de tesmoigner
Me peut absolument de Florise esloigner.
1290 Qu’il sçache que l’amour dans son ame glacee
Est contraire à celuy que j’ay dans la pensee,
Que la jeunesse seule approche des autels
De ce puissant Demon qui maintient les mortels. [92]
C’est luy qui faict nos choix, & dispose nos ames
1295 A suivre les objets qui font naistre nos flames*.
Lors que sa passion* a gaigné283 nos esprits,
Hormis l’objet aimé, tout nous est à mespris,
Qu’elle soit orgueilleuse, ou qu’elle me mesprise,
L’objet de mon amour sera toujours Florise.
1300 Quoy qu’elle ait negligé mon ardante amitié,
Qu’elle ait veu mes tourments sans en avoir pitié
Que sa cruelle* humeur à ma perte obstinee
Ne m’ai jamais faict voir une bonne journee.
Je l’aime toutesfois avec un tel transport,
1305 Que de vivre sans elle, est estre desja mort.
Mourons doncques, mourons, puis qu’il est impossible
De la rendre jamais à ma douleur sensible :
J’ay blasphemé contre elle, & ma temerité
A rompu le portraict de sa rare beauté.
1310 Acrise, tu devois detourner mes folies,
Et non pas me pousser à ces folles saillies.
Dieu qui vois clairement dans le cœur des humains,
S’il m’a voulu tromper, le foudre est en tes mains, [93]
Les discours* qu’il m’a faict me donnent de l’ombrage,
1315 Et font naistre en mon sein* une jalouse rage.
Il a tasché cent fois d’amortir mes ardeurs,
Me faisant voir Florise avec mille froideurs,
Et me pressant toujours d’obeir à mon père,
Dans ce nouveau soupçon que faut il que j’espere,
1320 [Car] Mon pere avec luy ne sont tombez d’accord284,
Que pour m’oster Florise, & me donner la mort :
Acrise aime Florise, & quoy qu’il veüille feindre,
Il peut malaisement devant* moy se contraindre,
C’est de luy que me vient tout le mal que je sens.
1325 La jalousie, Atis, te pervertit les sens.
Pense à ce que tu dis, n’accuse point Acrise,
Les autheurs de ton mal sont ton père, & Florise,
Il est trop ton amy, ne vois-je pas venir
Devers moy La Bourgeoise, il faut l’entretenir,
1330 C’est elle qui me peut resoudre sur ce doute,
C’est elle seulement que ma Florise escoute.
Sçachons ce qu’elle a dit, & si mes feints mespris
Auront eu le pouvoir de toucher ses esprits.
[94]

SCENE SIXIESME. §

La Bourgeoise, Atis.

La Bourgeoise.

Atis est seul icy comme je le desire,
1335 Il faut luy bien mentir en ce que je vay dire,
Nous pouvons en amour mentir mesmes aux Dieux,

Atis.

Et bien quel bon Demon te conduit en ces lieux :
Florise en son orgueil est elle satisfaite,
D’avoir veu qu’à la fin ma chaine s’est deffaite,
1340 Que j’ay rompu les fers dont j’estois arresté,
Et qu’en fin la raison m’a mis en liberté.

La Bourgeoise.

J’en suis au desespoir, il faut que je le di[s]e,
Et je me doute icy de quelque perfidie.
Elle s’en est esmeüe aussi peu qu’un rocher
1345 Est esmeu par les flots qui le viennent toucher : [95]
Au contraire elle croit de vivre plus heureuse.

Atis.

Croirois-tu qu’elle fust de quelque autre amoureuse :
Tu sçais tous les secrets, parle m’en franchement,
Et ne me cace point quel est ton sentiment.

La Bourgeoise.

1350 Je ne sçay qu’en juger, mais depuis que Clerandre
A dit que sur Acrise elle pouvoit pretendre :
Elle vit plus contente, & montre à decouvert
Qu’à ce nouveau parti son cœur est tout ouvert.
Ainsi si vous croyez celle qui vous conseille*,
1355 A l’amour de Cloris prestez aussi l’oreille.
Laissez-là cette ingratte, & n’y pensez jamais.

Atis.

C’est à quoy mon esprit se resout desormais.

La Bourgeoise.

Cloris a des apas pour le moins autant qu’elle,
Et ne vous sera pas comme l’autre cruelle*,
1360 Aussi bien vostre pere avecque passion*
Tasche de vous porter à cette affection. [96]

Atis.

Je le sçay, mais dis moy, esperes tu qu’Acrise
Se porte avec ardeur à l’amour de Florise.

La Bourgeoise.

Il n’en faut point douter, il en est si content.
1365 Qu’avec mille plaisirs cet hymen* il attend,
Et Florise de mesme attend cette alliance,
A ce que je puis voir avec impatience285,

Atis.

Adieu, tu me verras la dessus satisfaict.

(Il dit ce vers tout bas.)

Mais sa mort ou la mienne en previendra l’effect.

La Bourgeoise seule.

1370 Le voila bien surpris, ce n’est pas tout encore,
Il ne faut pas qu’il parle à l’object286 qu’il adore.

ACTE V. §

[G, 97]

SCENE PREMIERE. §

La Bourgeoise Seule.

C’en est faict, ny Cloris, ny Florise aujourd’huy
Ne me peuvent donner aucun subject d’ennuy*,
Clorise est mariée287 autant vaut à cette heure,
1375 Et Florise obstinée en son dessein demeure,
Encor qu’elle ait perdu tout espoir pour Atis
On luy propose en vain tous les autres partis
Resolüe à souffrir toute sorte de chose,
Devant* que son esprit, autrement se dispose.
1380 Ou qu’en faveur* d’Acrise elle engage sa foy [98]
L’aymable Acrise ainsi ne peut estre qu’à moy.
Voyons le derechef & sondons sa pensée
Faisant pour son subjet la desinteressee
Une fille d’esprit en cachant son dessein
1385 A la glace à la bouche & le feu* dans le sein*.
Mais je croy que voicy nostre nouvelle amante*,
Qui pour l’amour d’Atis seule icy se lamante,
Il la faut consoler le mieux que nous pourrons
Sans parler toutesfois du mal que nous souffrons.
1390 Qu’est cecy ma maistresse* avez-vous donc envie
De passer en souspirs* le reste de la vie ?
(Elle aborde Florise qui souspire.)
Reprenés cette humeur que j’ay veue autresfois
Se moquer de l’amour & rire de ses loix.
J’ay honte de vous voir si lachement rendue,
1395 Vous vous estiés si bien contre luy deffenduë.
Atis quand il voudroit ne vous peut secourir.
[99]

SCENE DEUXIESME. §

Florise, La Bourgeoise.

Florise.

N’esperant rien en luy je veux aussi mourir,
Tu m’y vois resoluë & je mourray contente,
Si je sçavois qu’encor sa flame* fust constente
1400 Et qu’il sçeut que mon cœur est touché vivement
Du regret de l’avoir traité si rudement288.
Mais il sçait que toujours je me suis opposee
Aux desseins amoureux de son ame embrasee289,
Et que par mes rigueurs, j’ay toujours combatu
1405 Les efforts de sa flame* & ceux de sa vertu.
C’est le seul deplaisir* qui tourmente mon ame
Dans les grands mouvements* de ma nouvelle flame*
Dy moy donc si je puis me promettre le bien
D’avoir encore un coup* son aymable entretien.

La Bourgeoise. [100]

1410 Je ne puis luy parler quelque soin que j’en prene,
Son père avecque luy maintenant se promene,
Vous m’estonnés* pourtant, de voir qu’un seul moment,
Cause apres vos mespris un si grand changement
Vous n’y penserés plus estant femme d’un autre
1415 Et vous n’y perdés rien Acrise sera vostre,
Clerandre mariant son fils avec Cloris
Vous donne avec Acrise un grand bien à Paris.

Florise.

Acrise & tous les biens sont loin de ma pensée,
Y songeant seulement ma flame est offencée.

La Bourgeoise.

1420 Et l’aymés vous si fort ?

Florise.

Ouy je l’ayme à tel point
Que la perte d’Atis à la mienne se joint.

La Bourgeoise. [101]

A vous ouïr parler je suis hors de mesure
Où je manque de foy, vostre discours* m’asseure290,
Atis vous ayme encor ?

Florise.

Ah mes dedains passés
1425 Pour mes desirs ardents rendront les siens glacés,

La Bourgeoise.

Croyés moy seulement quoy que son pere face
Il vaincra tout trouvant des feux* pour de la glace,
Voicy venir Cloris sçachez couvertement291
Touchant l’Amour d’Atis, quel est son sentiment,
1430 Cependant je m’en vay travailler en amie
(Elle dit ce vers tout bas.)
Qu’au besoin la prudence292 est en elle endormie293
Elle se fie en moy, mais elle en a raison
Comme d’aymer Atis si fort hors de saison.

Florise voyant Cloris qui faict semblant de se retirer.

A quel subject Cloris, fuyés vous ma rencontre
1435 Craignés vous qu’à mes yeux vostre flame* se monstre ? [102]
Non non, vous me pouvés descouvrir franchement
D’où vient à l’impourveue ce mescontentement,
Je suis trop vostre amie & quoy que l’on en croye,
J’aimerois mieux mourir que troubler vostre joye.
1440 Il est bien vray qu’Atis a fait voir aujourd’huy
Qu’il vouloit m’obliger*, mais je n’ay rien de luy,
Et vous ne devés pas croire que je l’oblige*
A toutes les froideurs dont vostre ame s’afflige* :
Au contraire l’on sçait que j’ay fait mon pouvoir
1445 De le tenir tousjours dans un juste debvoir ;
Il vous est accordé pour mary de Clerandre,
Et je ne voudrois pas sur vos droits entreprendre.

Cloris.

Helas c’est le subject de tous mes deplaisirs*
Que vous ne vouliés pas contenter ses desirs,
1450 Je voudrois que pour vous Atis fust tout de flame*,
Que vous eussiés pour luy la mesme ardeur dans l’ame [103]
Et que Clerandre en fust avecque vous d’accord,
La douleur dessus moy, ne feroit plus d’effort.

Florise.

Vous m’estonnés* ma sœur, & suis toute confuse.

Cloris.

1455 Une fausse apparence en cecy vous abuse,
Allons dedans ma chambre, & là tout à loisir
Vous sçaurés le subject de tout mon deplaisir*.

SCENE TROISIESME.

Atis seul.

Estranges mouvements* où ma fureur me porte,
Faut-il qu’avecque luy je vive de la sorte ?
1460 Acrise à qui je dois le bien de la clairté,
Qui m’a tant obligé*, que j’ay tant respecté,
Pour un simple soubçon dont j’ay l’ame saisie [104]
Doibt bien tost en ce lieu suivre ma frenaisie294
Je l’ay fait advertir qu’un desir inhumain
1465 M’obligeoit* de le voir son espece à la main,
Qu’il m’avoit offencé, que toute mon envie
Estoit que l’un des deux rendit bien tost la vie.
Il a le cœur trop bon pour manquer au duel
Grand Demon de l’amour, toy qui fais cet appel
1470 Qui forces ma raison, & qui pour te complaire,
Fais rompre avec Acrise une amitié de frère
Falloit-il pour avoir esté trop amoureux
Que je feusse à ce point aujourd’huy malheureux ?
N’estoit-ce pas assés que la beauté que j’ayme,
1475 Mesprisat mon ardeur & mon amour extreme,
Et que pour ennemis j’eusse dans cet amour
Florise avec celuy qui m’à fait voir le jour
Sans m’engager encore pour accroistre mes peines
De perdre mon amy pour des Chimeres295 vaines.
1480 Je puis rompre pourtant le cours à ces malheurs, [105]
Mon espee & ma main finiront mes douleurs.
Quoy je manque de cœur à pousser cette espée,
Qui debvroit dans mon sang estre desja trempée :
Non non il faut mourir plutost qu’estre engagé,
1485 A perdre cet amy qui m’a tant obligé*.
Atis où penses-tu ? Florise a trop de charmes296
Pour la pouvoir ceder que par le droit des armes,
Au moins de quel costé que se porte le sort
Mon amour paroistra dans ce derneir effort
1490 Si je meurs contestant une beauté si grande
Malgré tout mon malheur j’ay ce que je demande
Peut-estre quand la mort m’aura fermé les yeux
Si quelque bon Demon la conduit en ces lieux
Voyant dedans mon sang nager encor mon ame
1495 Elle me donnera des souspirs* pour ma flame* ;
Et meslant à mon sang quelque goute de pleurs,
La perle & les rubis, se verront sur les fleurs,
Que si j’ay l’advantage elle pourra cognoistre [106]
La force de l’amour qu’elle a peu faire naistre,
1500 Et que sans nul respect de parents n’y d’amis
J’auray pour son subject tous les crimes commis.
Soyons donc resolu de suivre l’entreprise
De mourir vaillamment297 ou d’avoir seul Florise.

Acrise, sans voir Atis qui l’attend.

Nous voicy près du lieu qu’Atis nous a prescript,
1505 Helas que de malheurs, que de troubles d’esprit
Faut-il pour agraver encore mon offence,
Que pour la soustenir, je me mete en deffence,
Apres avoir commis une méchanceté
De la vouloir deffendre est double lacheté.

Atis, voyant Acrise.

1510 Voicy venir Acrise avec mine ce semble,
D’estre mal satisfaict de quereller ensemble.
Mais il y faut perir : Acrise c’est le lieu
Où nous devons vuider298 la querelle d’un Dieu,
Et que sans nul respect de l’amitié passee,
1515 Tu dois faire raison à mon ame offensée.

Acrise. [107]

Cher amy si le Ciel ne m’en eust empesché
Ma main t’auroit desja vangé de ce peché,
Mais il a reservé pour ton bras cet ouvrage,
Atis je t’ay trahi que veus-tu d’avantage,
1520 Ouvre, ouvre moy ce sein*, arrache moy le cœur,
Et monstre des effects de ta juste rigueur.

Atis.

C’est une lacheté de parler de la sorte,
Deffendés vous, l’honneur des armes vous y porte :
Vous m’avés offensé par vos submissions,
1525 Plus fort que par l’adveu de vos affections :
Je n’eusse creu jamais vostre ame si traistresse,
Et sans tant de discours* contentons la maistresse*.

Acrise.

Puis que vous m’y forcés je veux vous contenter,
Il est vray j’ay voulu sur vos droits attenter,
1530 Et si le Ciel est juste il faut que vostre lame
En des ruisseaux de sang me face vomir l’ame299.
[108]

SCENE QUATRIESME. §

Ardillan, Periandre,
Atis, Acrise.

Ardillan.

Pour rentrer au chemin plus droit de Saint Germain
Il nous faut que je croy tourner à cette main300,

Atis.

Acrise ce mespris d’avangage m’irrite,
1535 Je croy de vous valoir de race & de merite,
Ne vous negligés point vous vous mesconterés301.

Ardillan.

Voila deux Cavaliers qui se sont mesurés
Et qui l’espee au poing s’efforcent de se nuire.

Periandre.

Allons les empescher tous deux de se destruire
1540 Genereux Cavaliers, qu’un sauvage dessein [109]
A conduits en ce lieu pour s’entrouvrir le sein*,
Reservés vostre sang pour une autre entreprise,

Acrise.

Vous de qui le secours icy me favorise
Laissés le justement se venger dessus moy
1545 Du crime que j’ay faict en luy manquant de foy,
J’ay trahi mon amy desirant ce qu’il ayme
Dans cet amour encor je me trahis moy-mesme,

Periandre.

O Dieu par quel chemin m’as tu conduit icy,
C’est Camille luy-mesme, ah mon fils de voicy !

Ardillan.

1550 Bien heureuse rencontre,

Acrise.

Ah mon père

Atis.

Je songe302
Dedans l’estonnement* où tout cecy me plonge,

Acrise desormais Camille. [110]

Excusés mon erreur & ce qui s’est passé :
Et toy mon cher amy que j’ay tant offencé,
Pardonne moy de mesme une secrete injure,
1555 Qu’a commis contre toy mon amitié parjure.

Atis.

Il est vray que tu m’as offencé grandement,
Mais je pardonne tout à cet evenement,

Ardillan.

Quelque Demon amy des uns comme des autres
A conduit en ces lieux & vos pas & les nostres.

Camille.

1560 Je ne sçay qu’en juger mais je croy qu’aujourd’huy
Le Ciel par ce moyen finira nostre ennuy*,
De ce commencement je tire un bon augure
D’un succès303 favorable apres cette advanture.

Atis.

Bon pour toy cher amy d’esperer des plaisirs,
1565 Toy qui trouves un père amy de tes desirs ;
Mais moy qui voy le mien si contraire à ma flame*,
Qu’il veut assubjetir contre mon gré mon ame, [111]
Je ne puis esperer que dans le desespoir,
S’il persiste d’user un absolu pouvoir.

Periandre.

1570 Nous verrons de304 le rendre à vos vœux* favorable.

Atis.

Vous me serés alors plus que luy secourable,
Mais helas vostre fils s’y trouve interessé,
Et c’est le seul motif de ce qui s’est passé.

Periandre.

Il n’a point d’interest dont il ne se déface,
1575 Assés heureux encor s’il est en vosre grace,

Atis.

Dedans son interest mon père absolument
Est l’ennemy mortel de mon contentement,
Il veut donner Florise à vostre fils, & j’aime
Cette jeune beauté dans une ardeur extreme.

Camille.

1580 Et moy j’ayme Cloris, & vostre seul respect,
Et la peur que j’avois de me rendre suspect [112]
M’a toujours fait tenir ma passion* secrete :

Atis.

Que je dois blasmer de ton humeur discrete,
Helas si tu m’avois parlé plus franchement
1585 Je n’aurois point receu du mescontenement,
Et t’estime heureux tu recouvres ton père,
Et le mien me sera peut-stre moins severe.
Allons le voir Messieurs vous luy ferés faveur*
Et recevrés de luy toute sorte d’honneur.

Periandre.

1590 Allons sur le chemin vous nous ferés entendre
Ce qu’à peine je puis confusement comprendre.

SCENE CINQUIESME.[H, 113] §

Clerandre, La Bourgeoise,
Cloris, Florise,

Clerandre seul.

Je ne sçay que juger de cet affaire icy,
Mille nouveaux pensers augmentent mon soucy,
Mon fils de quel costé que mon pouvoir le presse
1595 Ayme toujours Florise & sa beauté le blesse,
Cloris mesme repugne à suivre mon desir,
Et retient dans le sein* un secret déplaisir*,
On dit qu’elle ayme Acrise & que mon fils la fache,
Qu’Acrise aime Cloris quoy que son feu* se cache :
1600 Le Ciel qui conduit tout pour le bien des humains,
Dans ces amours icy faict un coup* de ses mains. [114]
La prudence de l’homme aux Dieux n’est que sotise,
Pourquoy veux-je empescher qu’Atis n’aime Florise ?
Sa passion* l’y porte & je veux toutesfois
1605 Luy faire aymer Cloris qui faict un autre chois,
La Bourgeoise à qui seule elles se communiquent,
M’a dict que toutes deux dans ces amours se piquent,
Je veux sur ce subjet voir Florise & Cloris,
Et sonder en passant doucement leurs esprits,
1610 Une fille aisement descouvre sa pensee,
Lors que dans le discours* elle est interessee,
Les voicy toutes trois : vos secrets importants,
Sont à bien deviner des affaires du temps,

(Il parle à La Bourgeoise, à Florise & à Cloris.)

La Bourgeoise.

Nos secrets sont communs, & laissons les affaires
1615 A ceux qui dans l’estat se trouvent necessaires.

Climant survenant. [115]

Je vous viens advertir qu’Acrise et vostre fils,
Depuis une heure ou deux ont quité le logis,
Sans en sçavoir la cause, & je crains que leur fuite,
Pour beaucoup de raisons soit de mauvaise suite.

Clerandre.

1620 Ils ne se perdront point & s’aiment trop tout deux
Pour soubçonner jamais aucun debat entr’eux,
Ils ne contestent pas une mesme maistresse*,

Cloris.

Voila le seul subjet de toute ma tristesse,
Je l’avois toujours creu qu’il feroit quelque effort,
1625 Pour estre en liberté de se donner la mort.

Clerandre.

Achevés ma Cloris il n’est plus de temps de feindre,
Ouvrés moy vos secrets vous n’avés rien à craindre.

Cloris.

Ah Monsieur laissés moy je ne crains rien aussi,
Acrise estant party la mort est mon soucy. [116]

Clerandre,

1630 Vous avés bien tenu vostre flame* secrete.

Cloris.

Secrete ou non, Acrise est ce que je regrette,
Pardonnés, s’il vous plaist à mes feux* violents,
Puis qu’ils me laissent vivre ils ne sont que trop lents.
Helas que de malheurs s’attachent à ma vie,
1635 Je t’avois à matin305 detourné cette envie,
Acrise que tes feux* sont mal recompensés,
Amour n’avois-je point souffert encore assés ?

Clerandre.

Ne vous affligés* plus & vous serés contente,
Si Dieu veut aujourd’huy respondre à mon attente,
1640 Acrise revindra, mais quelles gens voicy.

Climant.

Ce sont des estrangers qu’Atis conduit icy,
Acrise est avec eux.

Cloris. [117]

O l’heureuse nouvelle !
Qui des bras de la mort tout d’un coup* me rappelle.

SCENE SIXIESME. §

Atis, Clerandre, Periandre,
Cloris, Camille, Florise,
Adrillan, La Bourgeoise, Climant.

Atis.

Advançons : nous voicy venus heu[reu]sement,
1645 Voila les deux objets de nostre embrasement,
Et mon pere qui vient devers nous avec elles,
Mon espoirt desja mort reprend icy des aisles,
Monsieur si le desir d’apprendre un accident, [118]
Ou le Ciel a monstré son pouvoir evident,
(Il parle à Clerandre.)
1650 Vous touche, obligés* moy de me prester l’oreille.

Clerandre.

Oyons donc en un mot cette grande merveille.

Atis.

Cetuy que vous avés eu chez vous si long temps,
Pour qui vous reservés le seul bien que j’attends,
Que vous nommés Acrise, est Camille, dont l’ame
1655 A bruslé pour Cloris d’une secrete flamme*,
Son père est ce Seigneur qui pressé de l’ennuy*,
Qu’il a souffert sept ans sans l’avoir pres de luy,
Et sans en avoir eu de nouvelle certaine
A quité l’Italie avec beaucoup de peine,
1660 Pour chercher ce qu’il a trouvé dessus le point,
Qu’il falloit, ou qu’Acrise ou moy ne fussions point,
Tant ma jalouse humeur avoit eu de puissance.

Clerandre. [119]

Ne parlons desormais que de rejouïssance,
Vous soyés bien venus en ces evenements,
1665 Je prevoy des subjets de grands contentements,

Cloris.

Ah Camille Camille.

Camille.

Excusés moy Madame306,
Si découvrant mon nom j’ay découvert ma flame*,
Sans tous ces accidents qui troublent mes esprits,
Je ne me fusse pas si lourdement mespris.

Cloris.

1670 Je me plaindrois plustost de vostre long silence.

Florise.

Que l’amour dans mon sein* souffre de violence.

Clerandre.

Devant* que d’achever ce que j’ay projetté,
Il importe Messieurs que je sois escouté,
Affin de debrouiller une estrange fusee,
1675 Où la prudence humaine est pourtant abusee, [120]
Et peut-estre d’abord* vous estonnerés* vous,
Que sans vous avoir veux je vous cognoisse tous,
Camille par son nom me donne cognoissance
Des lieux & des parents dont il a pris naissance307,
1680 Florence ma patrie est la vostre, & le nom
Du brave Periandre est d’illustre renom,
Vous cognoissiés Fabrice, à qui dans sa famille
Dieu n’a donné d’enfant qu’une petite fille,
Son nom estoit Silvie.

Camille.

Ha c’est renouveller
1685 La source d’où mes pleurs apprindrent à couler,
Sa mort est le subjet de toute ma souffrance,
Sa mort me fit quitter & mon pere & Florence,
Me fit changer de nom, courir divers païs,
J’adorois ses apas, mais je les ay trahis.
1690 Silvie, helas pardonne à cette faute extreme,
Car si j’aime Cloris j’aime un’ autre toy mesme.

Clerandre. [121]

Camille aime Cloris & Silvie pourtant
Le pourroit accuser d’un amour inconstant.

Camille.

C’est pourquoy j’ay voulu pour venger cette injure,
1695 M’arracher hors du sein* cent fois ce cœur parjure,
Qui ne devoit jamais aymer autre beauté,
Que celle qui l’avoit la premiere arresté.

Clerandre.

Vous vous trompés, Silvie est encore vivante,

Et de ce que je dis Cloris est tres sçavante.

Camille.

Helas j’ay veu son père accablé soubs le dueil,

Pleurer dessus la fille enfermee au cerceuil.

Clerandre.

Et moy je viens de voir vostre Silvie en France.

Camille.

Vous me voulés donner une fausse esperance.

Clerandre.

Non, non, lisés cela.

La Bourgeoise. [122]

Tout se va renverser,

Silvie a son Camille, il n’y faut plus penser,

En tout cas je sçay bien qu’ils ignorent mes ruses,

Et que mon amoureux recevra mes excuses.

CAMILLE lisant la lettre [123]

de Fabrice à Clerandre.

Fabrice à son amy Clerandre.

Cher amy quoy que la distance de nostre demeure soit grande, je croy que nostre amitié se maintient aussi forte qu’elle estoit lors que nous nous voyons tous les jours : & pour vous tesmoigner que je n’en doute point, je vous envoye ce que j’ay de plus cher : elle est encore fort jeune, & son age ne permet pas de passer si tost à l’execution de mon dessein, que je vous prie d’avoir agreable, puisqu’il ne tend qu’à reconfirmer nostre amitié par le mariage de vostre fils avec elle. Vous vous estonnerés* d’abord* de cette procédure, mais quand vous sçaurés qu’en l’age mesme qu’elle est, elle a conceu une violente affection pour Camille fils de Periande mon ennemy mortel, & que Camille a conceu pour elle une pareille passion* dans les entretiens que le voisignage & l’innocence de leur age leur a permis : vous approuverés la cruelle* feinte dont je me suis servi pour ruiner leur amour. Je vous ay secrettement envoyé Sylvie, que desormais je vous prie de nommer Cloris, soubs pretexte de l’emmener aux champs ; & quatre ou cinq jours apres j’ay faict courir le bruit de sa mort & fait porter à Florence dans une biere un fantosme enfermé, au lieu de son corps que l’on a enterré en presence de Camille, qui a accompagné mes feintes larmes de pleurs, & de souspirs* si veritables qu’il m’a esmeu à pitié. Mais ne voulant point faire alliance avec le sang de mon ennemy j’ay mieux aymé me priver de la presence de ma fille que de voir à son subjet renouveller nos dissentions. Prenés en donc le mesme soing que si elle estoit vostre, attendant que mes affaires me permettent de passer moy-mesme les monts pour aller passer le reste de mes jours avec mon cher Clerandre.

FABRICE.

Periandre.

Ah bon Dieu que depuis j’ay souffert de douleurs !
Ah que j’ay souspiré, que j’ay versé de pleurs,
1700 Car Camille depuis touché de cette feinte,
N’abandonna jamais sa bouche qu’à la pleinte
Et lors que je voulus sçavoir son desplaisir,
En partant sans me voir il trompa mon desir,
Mais le Ciel soit loüé qu’à la fin toute chose
1705 Pour nostre seul repos* aujourd’huy se dispose.

Clerandre. [126]

Ouy pourveu que Florise ait dessein d’accorder
Ce qu’en faveur* d’Atis je luy veut demander.

Florise.

Dans ces grands changements je me trouve surprise,
Cloris eust nom Sylvie, & ce n’est plus Acrise.

Clerandre.

1710 Perdés l’estonnement* qui trouble vos esprits,
Et cherchez des faveurs* au lieu de vos mespris.

Ardillan.

L’on a beau travailler, toute nostre prudence,
Depend toujours des Dieux & de leur providence.

La Bourgeoise dit ce vers tout bas.

Ces rencontres ne sont qu’à ma confusion308.

Camille.

1715 Silvie est il bien vray que dans ma passion*,
J’aye esté si long temps sans vous pouvoir cognoistre ? [127]

Atis.

Monsieur c’est maintenant que vous me faites naistre,

Puis que vous permettés à ma fidelles ardeur

De chercher les moyens de vaindre sa froideur.

La Bourgeoise.

(Dit ces quatre premiers vers tout bas.)

Voulant tromper autruy je me suis bien trompee,

Il faut icy pourtant faire mon cooup d’espee :

En tout cas j’ay tousjours mon fidelle amoureux,

Qui de me posseder se croira trop heureux,

Florise ne dit mot & demeure confuse,

Ne sçachant plus comment vous faire quelque excuse.

Je sçay bien toutesfois sans la faire parler, [128]

Qu’elle a bien de la peine à se dissimuler,
Honteuse d’advoüer à mes yeux que son ame,
Pour autre que pour moy ressente quelque flame* :
1720 Je sçay que sans Clerandre elle eust depuis long temps
Sans user de mespris rendus vos vœux* contents.
Voila que c’est d’aimer une ingrate maistresse*,
Ayant trouvé son mieux cette ingrate me laisse,
Mais je m’en vangeray.

Clerandre.

C’est donc contre Climant,
1725 Qui sera vostre espoux comme il est vostre amant*,
Mais sans perdre le temps en ces parolles vaines,
Que perdront ces amants* à parler de leurs peines ?
Allons les contenter pour la derniere fois,
Et les assubjettir à ces dernieres loix.
1730 Le mystere sacré confirmera la grace [I, 129]
Que nous avons receuë en tout ce qui se passe.

Periandre.

Allons apres le bien qui vient de m’arriver,
Le remettre un moment seroit nous en priver.

Camille.

Lors que mon esperance estoit du tout perduë
1735 Ma chere ame à la fin tu me seras renduë.

Cloris, ou Silvie.

Camille, est-il possible apres tant de tourments,
De pouvoir exprimer tous mes contentements ?

Atis.

Florise je verray, cette humeur si cruelle*
Se laisser vaincre en fin à mon amour fidelle,
1740 J’auray donc le bon heur que ton affection
Apres tant de mespris suivra ma passion*.

Florise.

Le vouloir de Clerandre est ma volonté mesme,
Asseurez vous apres que Florise vous ayme.

Climant.

Nous voila tous d’accord.

La Bourgeoise. [130]

Ouy Climant si je veux
1745 Vous n’estes pas encor où pretendent vos vœux*,
Vous estes d’une humeur à la mienne contraire,
Je veux qu’on m’obeisse & qu’on tasche à me plaire.

Climant.

Et je vous fairay voir que mon contentement
Est de vous obeir.

La Bourgeoise.

J’aimerais bien Climant
1750 S’il faisoit ce qu’il dict, mais pourtant j’apprehende
Qu’en voulant m’obeir en fin il ne commende.

Climant.

Je me crois plus heureux en vous obeissant
Que si je commandois un empire puissant
Et ce que je vous dist est loin de l’imposture,

La Bourgeoise.

1755 Je crains que ces discours* ne changent de nature,
Vous estes soubçonnneux, toute chose vous nuist
Et moy j’ayme de vivre avecque peu de bruit.

Climant. [131]

Tout ce qu’il vous plaira, pourveu que je vous plaise
En vous obeissant, je ne vivray qu’a l’aise.

La Bourgeoise.

1760 Allons en vains discours* ne perdons plus le temps,
Soubs ces conditions, nous vivrons trop contents
Qu’un homme est complaisant lors qu’il est dans ces termes
(Elle dit ces vers tout bas en s’en allant.)
Mais ces discours* toujours ne seront pas si fermes,
N’importe il faut gouster ce que c’est d’un mari
1765 Sans renoncer aux droits d’un prudent favori.

F I N

Lexique §

Pour une lecture plus aisée, nous avons adopté les abréviations suivantes (par ordre chronologique de publication) :

  • (R) : Richelet, Dictionnaire françois, Genève, Jean-Herman Widerhold, 1680
  • (F) : Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690.
  • (A) : Académie française, Dictionnaire, Paris, Veuve de Jean-Baptiste Coignard, 1694
  • (H) : Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Edouard Champion, 1925

***

Affliger
Causer de la douleur, faire souffrir, soit au corps, soit à l’esprit. (A)
Argument ; v. 563 ; v. 581 ; v. 1443 ; v. 1638
Amant, Amante
Qui aime et qui est aimé. (R)
Argument ; v. 108 ; v. 387 ; v. 512 ; v. 667 ; v. 779 ; v. 1042 ; v. 1128 ; v. 1386 ; v. 1725 ; v. 1727
Compliment
Civilité, ou honnesteté qu’on fait à autruy, soit en paroles, soit en actions. (F)
V. 88 ; v. 1131
Conseil
Toute sorte d’avis qu’on prend, ou qu’on reçoit sur quelque affaire que ce soit. (F)
V. 868 ; v. 870 ; v. 1228 ; v. 1354
Coup
Outrage, offence qui se fait à quelqu’un en le frappant. (F)
V. 874 ; v. 1186
Actions heroïques, hardies et extraordinaires, soit en bien, soit en mal. (F)
Argument ; v. 1284 ; v. 1601
Accidents extraordinaires qui sont des effets de la Providence, de quelque cause inconnuë, de la fortune, du hasard. (F)
V. 32 ; v. 498 ; v. 542 ; v. 1051 ; v. 1409 ; v. 1643
Courage
Ardeur, vivacité, fureur de l’ame qui fait entreprendre des choses hardies, sans crainte des perils. (F)
Argument ; Stances ; v. 413 ; v. 499 ; v. 510 ; v. 1031
Cruel(le)
Qui est barbare, inhumain, qui aime à tuer, massacrer, tourmenter les autres hommes. (F)
Stances ; v. 105 ; v. 293 ; v. 325 ; v. 361 ; v. 454 ; v. 502 ; v. 531 ; v. 634 ; v. 674 ; v. 746 ; v. 787 ; v. 806 ; v. 821 ; v. 926 ; v. 1060 ; v. 1302 ; v. 1359 ; Lettre de Fabrice à Clerandre ; v. 1738
D’abord
Dés le premier instant, au commencement. (A)
Decevoir
Tromper adroitement. (F)
Argument ; v. 604 ; 1125
Defaire
Tuer, faire mourir. (H)
V. 78 ; 686
Déplaisir
Chagrin ; affliction ; tristesse ; fâcherie ; douleur d’esprit. […] se dit aussi d’un mauvais office qu’on rend aux personnes pour qui on a de la haine, d’une injure qu’on fait, d’un mécontentement que l’on donne. (F)
V. 1406 ; v. 1448 ; v. 1457 ; v. 1597
Devant
Préposition relative et opposée à derriere. (F)
Argument ; v. 248 ; 373 ; 588 ; 1323
Devant que, conjonction, signifie, Auparavant. (F)
V. 39 ; v. 560 ; v. 625 ; v. 667 ; v. 675 ; v. 719 ; v. 762 ; v. 1197 ; v. 1382 ; v. 1674
Discours
Expression faite de vive voix de ses pensées sur quelques points, sur quelques matieres qu’on veut faire entendre à plusieurs personnes. (F)
Argument ; v. 111 ; v. 121 ; v. 178 ; v. 187 ; v. 238 ; v. 763 ; v. 785 ; v. 981 ; v. 1011 ; v. 1044 ; v. 1175 ; v. 1204 ; v. 1314 ; v. 1423 ; v. 1527 ; v. 1611 ; v. 1763
Entretien. (A)
V. 103 ; v. 464 ; v. 619 ; v. 814 ; v. 958 ; v. 1017 ; v. 1527 ; v. 1611 ; v. 1755; v. 1760
Ennuy/Ennui
Chagrin, tristesse, souci, déplaisir. […] En Amour, ennui signifie une tendre douleur. (F)
V. 752 ; v. 960 ; v. 988 ; v. 1117 ; v. 1373 ; v. 1561
Lassitude d’esprit, causée par une chose qui déplait par elle-mesme ou par la durée. (A)
Stances
Estonner, Estonnement
Causer à l’âme de l’émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte. (F)
Action ou effet qui cause de la surprise, de l’admiration. (F)
Stances ; 1551 ; 1710
Faillir
Verbe neutre. Sign. Pecher, manquer à son devoir. (F)
V. 678 ; 862
A aussi toutes les autres significations de « manquer ». (F)
Faveur
Grace qu’on fait à quelqu’un, bon office qu’on luy rend. (F)
V. 816 ; v. 1380 ; v. 1588 ; v. 1711
Bienveillance d’un puissant, d’un superieur, le credit qu’on a sur son esprit. (F)
V. 223 ; v. 1707
Feu
Se dit fig. de la vivacité de l’esprit, de l’ardeur des passions. […] On dit aussi d’un homme amoureux, qu’il brûle d’un beau feu, qu’il nourrit un feu disret, un feu caché sous la cendre, un feu qui le dévore. (F)
Stances ; v. 20 ; v. 154 ; v. 396 ; v. 518 ; v. 685 ; v. 749 ; v. 776 ; v. 872 ; v. 1069 ; v. 1249 ; v. 1385 ; v. 1427 ; v. 15991 ; v. 1632 ; v. 1636
Flamme/Flame
Furetière l’orthographie avec deux « m » en majuscule, mais avec un seul en minuscule, et définit le terme, dans son sens passionnel, comme « figurément, la flamme de l’amour ; & il se dit premierement de l’amour divin. […] Il se dit communément de l’amour profane. » Huguet, de son côté, double systématiquement le « m », tout comme le dictionnaire de l’Académie de 1694.
V. 58 ; v. 81 ; v. 354 ; v. 366 ; v. 411 ; v. 434 ; v. 486 ; v. 490 ; v. 538 ; v. 585 ; v. 6964 ; v. 766 ; v. 810 ; v. 822 ; v. 830 ; v. 881 ; v. 895 ; v. 922 ; v. 1053 ; v. 1063 ; v. 1270 ; v. 1295 ; v. 1399 ; v. 1405 ; v. 1407 ; v. 1435 ; v. 1450 ; v. 1495 ; v. 1566 ; v. 1630 ; v. 1655 ; v. 1667 ; v. 1719
Fortune
Hazard. (A)
Épître ; v. 230 ; v. 253 ; v. 652 ; v. 1174
Tout ce qui peut arriver de bien ou de mal à un homme. (A)
Épître ; v. 70 ; v. 646 ; v. 734
Franchise
Sincérité tant en ses paroles qu’en ses actions. (F)
V. 724 ; 776
Honneste, Honnesteté
Ce qui merite de l’estime, de la loüange, qui est raisonnable, & selon les bonnes mœurs, conforme à l’honneur, & à la vertu. […] On le dit premierement d’un homme de bien, d’un galant homme, qui a pris l’air du monde, qui sçait vivre, qui a du merite, & de la probité : mais il faut que l’épithete d’honnête precede ; autrement il y a bien une différence entre un honnête homme, & un homme honnête. Un honnête homme est celui qui connoît les bienseances, & qui les sçait pratiquer. […] Honnêtes gens se dit dans tous les sens d’honnête homme. (F)
Épître ; Argument ; v. 1079 [subst.]
Hymen, ou Hymenee
Divinité fabuleuse des Payens, qu’ils croyoient presider aux mariages. […] Signifie aussi, poëtiquement, le mariage. (F)
V. 559 ; v. 562 ; v. 565 ; v. 709 ; v. 877 ; v. 1167 ; v. 1251 ; v. 1285 ; v. 1365
Maistresse
Femme habile, qui sçait gouverner sa famille, les affaires de la maison. (F)
V. 86 ; v. 108 ; v. 114 ; v. 125 ; v. 654 ; v. 1067 ; v. 1527
Fille qu’on recherche en mariage. (F)
Argument ; v. 313 ; v. 943 ; v. 1259 ; v. 1390 ; v. 1622
Personne de mauvaise vie qu’on entretient, et generalement de toute personne à qui on fait l’amour. (F)
V. 138 ; v. 982 ; v. 1722
Mouvement
Se dit aussi des differentes impulsions, passions, ou affections de l’ame. (A)
Épître ; Argument ; v. 240 ; v. 820 ; v. 1407
Obliger
Contraindre à faire quelque chose par nécessité. (F)
Épître ; v. 608 ; v. 719 ; v. 1650
Exciter, porter quelqu’un à faire quelque chose. (F)
Épître ; v. 805 ; v. 912 ; v. 1108 ; v. 1140 ; v. 1442
Faire quelque faveur, civilité, courtoisie. (F)
V. 25 ; v. 993 ; v. 1126 ; v. 1441 ; v. 1461 ; v. 1465 ; v. 1485
Occasion
Hasard, fortune, qui fait trouver un temps, un lieu favorable pour faire quelque chose (F)
Argument, v. 169 ; 261 ; 303 ; 671 ; 1120
Se dit aussi en plusieurs rencontre particulières. (F)
V. 272 ; 376
Passion
En Morale, se dit des mouvements, & des differentes agitations de l’ame selon les divers objets qui se presentent aux sens. (F)
Épître ; v. 304 ; v. 970 ; v. 1011 ; v. 1118 ; v. 1240
Se dit aussi de tout désir violent, du panchant, de l’inclination, de l’affection qu’on a pour quelque chose. (F)
Argument ; v. 128 ; v. 356 ; v. 494 ; v. 831 ; v. 839 ; v. 986 ; v. 1041 ; v. 1121 ; v. 1226 ; v. 1296 ; v. 1360 ; v. 1582 ; Lettre de Fabrice à Clerandre ; v. 1741
Huguet relie le terme en premier lieu à la souffrance physique, puis à la souffrance morale, même s’il considère le terme comme équivalent de « sentiment, émotion » (H).
V. 599 ; v. 803 ; v. 1604
Repentir
Regret d’avoir fait, ou de n’avoir pas fait quelque chose. (A)
Stances ; v. 901 ; v. 1021
Repos
Quietude d’esprit et de corps qui les met hors de trouble, de crainte et de soins. (F)
Épître ; Stances ; v. 301 ; v. 412 ; v. 472 ; v. 894 ; v. 1220 ; v. 1705 ;
Sein
Se dit figurément. La nouvelle de cette mort lui a mis, lui a plongé un poignard dans le sein, c’est-à-dire l’a cruellement affligé. (F)
Stances ; v. 20 ; v. 71 ; v. 240 ; v. 372 ; v. 422 ; v. 716 ; v. 844 ; v. 892 ; v. 1083 ; v. 1196 ; v. 1244 ; v. 1315 ; v. 1385 ; v. 1520 ; v. 1541 ; v. 1597 ; v. 1671 ; v. 1695
Service
Secours & assistances qu’on donne au Roy, à l’Estat, au public, tant en guerre qu’en paix. (F)
Culte, adoration, profond respect. (F)
Stances
Secours que les hommes se donnent les uns aux autres, soit par charité, soit par amitié. (F)
V. 1075 ; 1130
Soudain
Adj. Qui est prompt, subit, qui se fait en un moment. (F)
V. 1082
Adv. Promptement, & sans perdre de temps. (F)
V. 331 ; v. 762 ; v. 783
Souspir
Respiration plus forte & plus longue qu’à l’ordinaire, causée souvent par quelque passion, comme l’amour, la tristesse, &c. […] En parlant d’une fille, d’une femme, dont quelqu’un est fort amoureux, on dit que c’est l’objet de ses soupirs. […] (F)
V. 47 ; v. 232 ; v. 462 ; v. 797 ; v. 1391 ; v. 1495 ; Lettre de Fabrice à Clerandre
Traverser, Traversé
En morale, Faire obstacle, opposition, apporter de l’empeschement. (F)
V. 342 ; 502 ; 1167 ; 1059 ; v. 1164
Vœu
Souhait, priere, serment, suffrage. (F) [Plus largement, on peut noter, avec A. Sancier-Château dans son Introduction à la langue du XVIIe siècle, que le terme « traduit le désir tendu vers un objet ».]
Stances ; v. 362 ; v. 455 ; v. 1269 ; v. 1274 ; v. 1570 ; v. 1721 ; v. 1745 

ANNEXE 1 : SCHÉMA DES RELATIONS ENTRE LES PERSONNAGES §

 

ANNEXE 2 : RECONSTITUTION DE LA SCÉNOGRAPHIE DE LA PIÈCE §

2.1. Les illustrations de Mahelot

 

Fig. A : Décoration des Folies de Cardénio de Pichou (1630)

 

Fig. B : Décoration des Vendanges de Suresnes de Du Ryer (1633-1634)

2.2. Tentative de reconstitution de la scénographie de La Bourgeoise

 

ANNEXE 3 : POURCENTAGE DE VERS PRONONCÉS PAR PERSONNAGES §

 

*Autres : la Montagne, le Batelier et le Compère du Batelier.

ANNEXE 4 : L’AVIS « AU LECTEUR » DE L’AMINTE DE TASSE §

C’est estre bien hardy que d’entreprendre de te faire voir l’Aminte du Tasse en nostre langue, & de vouloir faire monter ce Pasteur estranger sur nostre Theatre, ceux qui cosnoissent l’excellence de son Autheur n’y trouveront pas peut-estre toutes ses graces, & les autres sans chercher des raisons ailleurs me blasmeront de ceste entreprise. Prens la peine de lire mes vers, & attens d’en dire ton advis que tu aye tout leu. Je te donne ceste punition, cependant que j’attendray sans beaucoup m’esmouvoir tout ce qui m’en peut arriver, Si je doits croire pourtant ceux qui l’ont veu, qui ont l’oreille & le goust aussi delicats que tu sçaurois avoir, tu y trouveras des choses qui te contenteront. Je n’ay pas entierement suivi mon Autheur, pour vouloir faire paroistre les effets dont il ne fait que la description, outre que l’on sçait bien qu’il est difficile de suivre ou d’imiter cet Italien. Je ne m’amuseray point à te parler de la nature de ce poëme, ny de la rigueur de ses reigles, les Prefaces de quelques-uns de nos escrivains sont assez amples pour t’en instruire sans que je t’en parle, & me suffit que je les aye suivi exacterment & que je fasse voir que nostre Theatre peut estre aussi agreable en observant les regles où ceste sorte de poëme nous engage que dans la liberté que nous avons prise. Je ne blasme personne, & disant mon advis hardiment je croy que l’un & l’autre façon d’écrire doit estre souferte sans blasme. La premiere parce que tous les anciens se sont attachez à ceste rigeur, & qu’il est presque impossible en la suivant de faire paroistre aucune action contre le sens commun, ou contre le jugement. Et l’autre parce que la plus grande part de ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre, & que le grand nombre des accidens & adventures extraordinaires leurs ostent la cognoissance du sujet, ainsi ceux qui veulent faire le proffit et l’advantage des messieurs qui recitent leurs vers sont obligez d’escrire sans observer aucune regle. Les plus fins de l’un & de l’autre parti, sont bien empeschez de faire quelque chose où il ny ait rien à redire pour moy je faits estat de ce qui est bon, où je le trouve & croy que les plus raisonnables font de mesme que moy, chacun est libre pourtant de dire son advis de toutes choses. Je me range avec douceur au jugement des honestes gens, & ris de celuy des autres, aussi escri-je avec ceste resolution de ne me soucier pas beaucoup du blasme que possible quelques-uns me donneront, & de ne m’eslever pas des loüanges que je pourrois recevoir des autres, en un mot. Lecteur, je ne crains point qu’il m’en arrive rien qui me fâche.

Adieu.

Bibliographie §

I. Sources §

1. Corpus §

Rayssiguier, Sieur de, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, Paris, Pierre Billaine, 1633.

2. Œuvres de Rayssiguier §

Rayssiguier, Sieur de, L’Aminte de Tasse, Paris, Augustin Courbé, 1631.

Rayssiguier, Sieur de, Palinice, Circeine et Florice [deux éditions consultées] :

– Édition critique établie par Fallom Tay dans le cadre d’un mémoire de master I sous la direction de Georges Forestier, Université Paris-IV Sorbonne, 2011-2012, disponible en ligne sur la Bibliothèque dramatique du CELLF : http://bibdramatique.huma-num.fr/pdf/rayssiguier_palinice.pdf.

– Paris, Antoine de Sommaville, 1634.

Rayssiguier, Sieur de, Tragicomédie pastoralle, ou Les Amours d’Astrée et de Céladon, Paris, Nicolas Bessin, 1630.

3. Sources antiques §

Aristote, La Poétique, éd. Michel Magnien, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques », 1990.

Aristote, La Rhétorique, éd. Pierre Chiron, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2007.

4. Sources imprimées antérieures à 1800 §

Aubais, Charles de Baschi, Marquis d’, Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France avec des notes historiques & géographiques, Tome second, Paris, Hugues-Daniel Chaubert et Claude Herissant, 1759.

Corneille, Pierre, Œuvres complètes. t. I, édition de Georges Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980.

Du Ryer, Pierre, Alcimédon, Tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1636.

Du Ryer, Pierre, Les Vendanges de Suresnes, Paris, Antoine de Sommaville, 1636.

Eustathios, Les Amours d’Ismènes et d’Isménie, Paris, Toussaint du Bray, 1625.

Garnier, Robert, Bradamante, dans Bradamante – Les Juifves, éd. Marcel Hervier, Paris, Classiques Garnier, 1991 [1582].

Lebeuf, Jean, Histoire de la ville et de tout le diocese de Paris, tome 6, Paris, Peault Père, 1657.

Parfaict, Claude et François (dit « Frères »), Histoire du théâtre françois, Paris, Le Mercier et Saillant, 1745.

Pichou, Sieur, Les Folies de Cardénio, Tragi-comédie dédiée à Monsieur de Saint-Simon, Paris, François Targa, 1630.

Urfé, Honoré d’, L’Astrée, éd. Jean Lafond, Gallimard, coll. « Folio », 1984 [1607-1627].

II. Instruments de travail §

1. Dictionnaires §

Académie française, Dictionnaire, Paris, Veuve de Jean-Baptiste Coignard, 1694.

Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690.

Gaffiot, Félix, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 2000.

Godefroy, Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, F. Vieweg, 1880-1895

Huguet, Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Edouard Champion, 1925.

Richelet, Pierre, Dictionnaire françois, Genève, Jean-Herman Widerhold, 1680.

2. Grammaire, ponctuation et versification §

Bellanger, Léon, Études historiques et philologiques sur la rime française, Angers, Tandron et Dalloux, 1876.

Forestier, Georges, « Lire Racine », dans Racine, Jean, Œuvres complètes, Théâtre – poésie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999.

Forestier, Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2017 [1ère édition : 1993].

Fournier, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, coll. « Lettres sup », 2002.

Riffaud, Alain, La Ponctuation du théâtre imprimé au XVIIe siècle, Genève, Droz, coll. « Travaux du Grand Siècle », 2007.

Sancier-Château, Anne, Introduction à la langue du XVIIe siècle, t.1 Vocabulaire et t. 2 Syntaxe, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1993.

Tobler, Adolphe, Le Vers français ancien et moderne, trad. Karl Breul et Léopold Sudre, Paris, F. Wieveg, 1885.

III. Études et travaux critiques §

1. Ouvrages historiques ou généraux §

Meyer, Jean, Histoire de France. t. 3 : La France moderne, 1515-1789, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », 1985.

Milza, Pierre, Histoire de l’Italie, des origines à nos jours, Paris, Hachette, coll. « Grand pluriel », 2013.

2. Histoire du théâtre du XVIIe siècle §

Baby, Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque de l’Âge classique », 2001.

Barbillon, Chrystelle, Mode narratif, mode dramatique : l’adaptation théâtrale de fiction narrative au XVIIe siècle en France, Thèse de doctorat sous la direction de Georges Forestier, Université Paris-Sorbonne (Paris-IV), 2012.

Forestier, Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2004.

Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, coll. « Histoire des Idées et Critique Littéraire », 1988.

Forestier, Georges, La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques, Paris, Armand Colin, coll. U, 2010.

Guichemerre, Roger, La Tragi-comédie, Paris, Presse universitaire de France, 1981.

Howe, Alan, Écrivains de théâtre, 1600-1649, Paris, Centre historique des archives nationales, 2005.

Lancaster, Henry Carrington, A History of French dramatic literature in the seventeenth century. Part 1: the preclassical period, 1610-1634, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, Les Presses Universitaires de France, 1929.

Pasquier, Pierre (éditeur), Le Mémoire de Mahelot, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources classiques », 2005.

Pasquier, Pierre et Surgers, Anne (dir.), La Représentation théâtrale en France au XVIIe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Lettres sup », 2011.

Riffaud, Alain, Répertoire du théâtre français imprimé, 1630-1660, Genève, Droz, coll. « Travaux du Grand Siècle », 2009.

Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France. Nouvelle édition revue et mise à jour par Colette Scherer, Paris, Nizet, 2001 [1ère édition : 1950].

3. Études sur Rayssiguier §

– Thèse §

Azeyeh, Albert, Distances et convergence : les conditions, les moyens et le mode d’existence du théâtre de Rayssiguier, Thèse de doctorat sous la direction de Jacques Morel, Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris-III), 1977.

– Articles §

Andrian, Gustave W., « Early Use of the Lyric Monologue in French Drama of the Seventeenth Century », dans Modern Language Notes, The John Hopkins University Press, Vol. 68, Nº2, pp. 101-105, 1953.

Lancaster, Henry Carrington, « De Rayssiguier », dans Revue d’Histoire littéraire de la France, Presses Universitaires de France, 29e année, Nº3, pp. 257-267, 1922.

Lancaster, Henry Carrington, « Gaillard’s Criticism of Corneille, Rotrou, Du Ryer, Marie de Gournay, and Other Writers », dans PMLA, Modern Language Association, Vol. 30, Nº3, pp. 500-508, 1915.

Lida de Malkiel, Maria Rosa, « De Centurio al Mariscal de Turena : Fortuna de una frase de La Celestina », dans Hispanic Review, University of Pennsylvania Press, Vol. 27, Nº2, Part. II, pp. 162-163, 1959.

IV. Sitographie §

Bibliographie de la littérature française [en ligne]. Classiques Garnier, 2020. Disponible sur : https://classiques-garnier-com.janus.bis-sorbonne.fr/

Grand Corpus des Dictionnaires [9e-20e s.] [en ligne]. Classiques Garnier, 2020. Disponible sur : https://www-classiques-garnier-com.accesdistant.sorbonne-universite.fr

Klapp Online [en ligne]. Vittorio E. Klostermann, 2020. Disponible sur : https://www-klapp-online-de.janus.bis-sorbonne.fr

Théâtre Classique [en ligne]. Paul Fièvre, 2007-2019. Disponible sur : https://www.theatre-classique.fr

REMERCIEMENTS

Je souhaite exprimer ici ma gratitude envers M. Georges Forestier pour ses précieux conseils et directives, ainsi que pour son suivi attentif durant cette riche année, y compris lorsqu’un virus venu d’Orient nous a malheureusement contraints à travailler à distance.

Je tenais également à remercier Albane, Alix, Cécile, Ismaïl, Julia et Joanna, pour leur gentillesse, leur prévenance et leur amitié.

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