Bourgeoise
ou
La promenade
de S. Cloud
par le Sr. de Rayssiguier
Chez Pierre Billaine, rue S. Jacques
à la Bonne-Foy, devant S. Yves.
M. DC. XXXIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Erwan Morio dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2020-2021).
PRÉAMBULE §
« On n’est pas étonné de l’oubli dans lequel [Rayssiguier] est tombé. […] Ses mérites restent ceux d’un devancier qui n’a pas su développer ses idées originales. »
Henry Carrington Lancaster (1922)1
À quoi bon, donc, s’intéresser à Rayssiguier, si même celui qui a consacré une analyse étoffée à chacune des pièces imprimées du XVIIe siècle, au point parfois de se pencher, par souci de rigueur, sur de « lamentables rapsodies2 », n’accorde qu’une once d’importance à son œuvre ? Justement parce qu’il fut un « devancier », et parce que sa Bourgeoise est tout, sauf une tragi-comédie « mort-née3 ».
Deux couples aux amours contrariées par les projets de pas moins de trois pères, un entrecroisement des passions entre les amants, une intrigante manipulatrice, un fanfaron aussi vantard que bouffon, une représentation incongrue mais étonnamment réaliste de la vie quotidienne des faubourgs parisiens, des tirades désespérées pour un dénouement inespéré : La Bourgeoise a tout de la tragi-comédie, et pourtant, on ne peut s’empêcher de croire, à l’instar de l’érudit Lancaster, qu’elle dépasse les limites du genre en touchant aussi à la comédie de mœurs, et qu’elle fut, par sa scénographie et ses multiples rebondissements dramatiques, autant un spectacle qu’une pièce de théâtre.
PREMIÈRE PARTIE : Éléments de biographie sur Rayssiguier §
I. UNE VIE MÉCONNUE §
Dire que l’on connaît peu de choses sur l’existence du Sieur de Rayssiguier en ouverture de l’exposé de sa vie ne relève pas d’un procédé rhétorique, mais bien d’une réalité. Tous ceux (peu nombreux, au demeurant) qui se sont adonné à l’exercice ont fait face à un tel manque de sources qu’ils furent contraints de le suivre « à la trace4 », par l’intermédiaire de ses préfaces, épîtres et autres avis « au lecteur », à l’affut de la moindre indication pouvant témoigner de son parcours personnel.
De ce dramaturge dont on ignore jusqu’au propre prénom5 et dont l’orthographe du nom peut varier, au gré des documents, en « Raziguier », quelques informations subsistent pourtant. Lancaster, probablement par déduction, le suppose né « au début du XVIIe siècle, en Languedoc »6. Les frères Parfaict, quant à eux, se montrent plus précis sur ses origines : Rayssiguier, selon eux, « étoit d’Alby »7. Dans sa jeunesse désargentée mais pourvue de « quelques talens pour la Poesie »8, il fut protégé par le Duc de Montmorency, Gouverneur de sa province. Il aurait également été le protégé d’Henri de Gondi, Cardinal de Retz : dans l’épître dédicatoire des Amours d’Astrée et de Céladon, le dramaturge, s’adressant à Mademoiselle de Ragny, fille du « Maréchal de Retz », lui indique que son « oncle avait été son bienfaiteur ». Selon Albert Azeyeh, Rayssiguier aurait fait des études à Toulouse, puis à Castres, avant d’être reçu au barreau9. La mort de son mécène le conduisit à monter à Paris dans les années 1620, ville où il conserva des liens étroits avec sa région natale, notamment sur des questions politiques et militaires. Les stances placées entre l’argument et le privilège de La Bourgeoise, adressées « A Monsieur Le Marquis d’Ambres, Chevalier des Ordres du Roy, & son Lieutenant au gouvernement du haut Languedoc » montrent un poète concerné par les troubles de son époque, gardant un œil attentif au rétablissement de la paix – tout en apportant clairement son soutien au Roi et à son gouverneur10. Le fait-il par conviction ou par opportunisme, pour espérer le succès de son théâtre ? Il est évidemment impossible de le savoir, mais la question peut être posée, tant Rayssiguier tend à être présenté comme un provincial souhaitant conquérir Paris, avec une nouvelle génération de dramaturges préférant imiter le style de Théophile de Viau, jugé plus « doux et alambiqué »11, que celui d’un Alexandre Hardy vieillissant, allant jusqu’à perdre la mainmise qu’il avait sur la scène parisienne, comme l’explique Alan Howe :
Dès qu’Hardy a quitté le « centre de la vie théâtrale », il aurait perdu toute influence sur l’art dramatique et les comédiens n’auraient présenté au public parisien que des créations de la jeune génération : celle des Auvray et Du Ryer, des Scudéry et Mairet, des Rayssiguier et Rotrou. 12
Mais avant de se lier d’amitié (peut-être au sein d’un potentiel cénacle où il se serait fait appeler Alcidon13) avec les noms mentionnés par Howe, et en particulier avec Du Ryer avec qui il échangea des poèmes et des stances14 – probablement par le biais du barreau de Paris où, tel Corneille, il aurait été avocat pendant une courte durée15 – Rayssiguier aurait fait un séjour en prison, dont la durée et le motif demeure encore obscurs. Le dramaturge, lui, se considérait comme la victime d’une injustice :
La prison ne me vient que du vice d’autruy
Et l’injustice est telle en ce siècle où nous sommes
Qu’au lieu de la punir, il trouve de l’appuy
J’ai beau me tourmenter, & presser la Justice :
Elle est sourde pour ceux qui n’ont point de l’argent16
Cette incarcération pourrait être due à un litige avec une mégère ou une entremetteuse, comme le suggère Lancaster17. La piste des aléas amoureux ponctuant la vie parisienne de Rayssiguier doit être évoquée : selon certaines sources, c’est bien « une infortune amoureuse » qui l’aurait fait écrire pour le théâtre18. Mais la raison de ce séjour en prison pourrait tout aussi bien tenir à une affaire de vol19.
Sa peine purgée, Rayssiguier aurait essayé de s’introduire à la Cour20 pour y retrouver un soutien similaire à celui du Duc de Montmorency. Dans l’épître dédicatoire de La Bourgeoise, l’auteur fait allusion à cette expérience, en expliquant y avoir eu des « habitudes » et des « conversations »21.
Après 1636 et la publication de sa dernière tragi-comédie, Les Thuilleries, on n’a guère plus trace du Sieur de Rayssiguier. A-t-il quitté Paris pour s’en retourner en Languedoc ? Sa santé, qu’il décrivait comme fragile22, a-t-elle eu raison de lui ? Dans sa thèse de doctorat consacrée à Rayssiguier, Albert Azeyeh émet une hypothèse :
Brusquement il faut créer selon des normes, définies par d’autres ; c’est la négation de la liberté du créateur que proclamait déjà l’adaptateur de l’Aminte. Dans l’alternative exclusive de la contrainte ou du silence, Rayssiguier choisit de se taire et quitte la scène par fidélité à une certaine tradition théâtrale. On ne parlera plus de lui23.
Est-ce alors pour des raisons purement esthétiques, dramaturgiques, voire idéologiques que Rayssiguier aurait décidé d’arrêter d’écrire ? Cette possibilité dépassant le champ de l’étude de la vie de notre dramaturge, nous repoussons volontairement son examen.
Enfin, en ce qui concerne le décès de Rayssiguier, Azeyeh mentionne la date du 25 avril 1660, mais sans citer aucune source relative à cette information.
II. UNE ŒUVRE OUBLIÉE §
Aussi restreinte puisse-t-elle paraître, avec seulement six pièces et une poignée de stances poétiques, l’œuvre de Rayssiguier peut toutefois se diviser en deux groupes : un corpus de « pastorales », et un ensemble de pièces relevant a priori de la tragi-comédie.
C’est par une tragi-comédie pastorale, en effet, que Rayssiguier fit son entrée sur la scène dramatique : Tragi-Comédie pastorale où les amours d’Astrée et de Céladon, sont meslées à celles de Diane, de Silvandre et de Paris, avec les inconstances d’Hylas, parue à Paris sous la forme d’un in-8º, chez Nicolas Bessin, en 1630, avec un privilège daté du 26 janvier de la même année. Rien de bien original24, donc : pour ses débuts, Rayssiguier s’inscrit dans le vaste mouvement pastoral qui traverse la création littéraire depuis Honoré d’Urfé. Était-ce pour lui une tentative de se faire un nom en jouant sur le même terrain que la plupart des dramaturges des années 1630, à l’exception de Corneille qui, pour reprendre l’expression de Georges Couton, n’a « pas écrit la pastorale que les écrivains de sa génération se croyaient tenus de composer »25, ou simplement une volonté de situer l’action de sa première création dans un cadre qu’il connaissait26 ? Le schéma suivi par la pièce confirme, en tout état de cause, un effet de mode : Rayssiguier a choisi des extraits des chapitres de l’Astrée relatifs aux personnages qu’il souhaitait mettre en scène, et les a peu ou prou transposé en actes. Toutefois, Les Amours d’Astrée et de Céladon témoignent d’une grande clarté dans le déroulement de l’action, y compris lorsque Rayssiguier s’inspire des chapitres rédigés par Baro27. La pièce connut probablement un certain succès à sa création : elle resta suffisamment longtemps à l’Hôtel de Bourgogne pour que Mahelot lui accorde une notice dans son Mémoire. Une nouvelle impression de la pièce eut d’ailleurs lieu chez Pierre David, en 1632, suivie des Autres œuvres Poëtiques du mesme autheur.
Rayssiguier continua dans le registre des pastorales en livrant une « traduction libre et partielle » de l’Aminte de Torquato Tasso, sous le titre L’Aminte du Tasse, parue en in-8º chez Augustin Courbé, avec un privilège du 15 août 1631 et un achevé d’imprimer du 30 janvier 1632. Là encore, il semble que notre dramaturge ne parvienne pas à se distinguer de ses confrères auteurs sur le plan de l’originalité : en 1632, Dalibray donna lui aussi une traduction de l’Aminte. On a pu rapporter que Pichou lui-même avait, en son temps, livré sa version de l’Aminte, mais cela paraît aujourd’hui peu probable28. Plus encore que la pièce, c’est l’avis « Au lecteur » qui se distingue de cet ouvrage : Rayssiguier y annonce que chacun est libre de suivre ou non les règles d’écriture théâtrale, et qu’il ne souhaite pas s’étendre sur un débat qui, en 1631, a selon lui déjà largement été glosé – ce qui, lorsqu’on connait les querelles du théâtre qui ont jalonné le XVIIe siècle, ne manque pas d’ironie, même involontaire. Nous ne nous étendrons ici pas sur les questions de poétique et de dramaturgie dont discute Rayssiguier dans cet avis, afin de ne pas nous répéter dans la suite de notre commentaire. Cette édition de L’Aminte de Tasse était suivie d’Autres œuvres poetiques du Sieur de Rayssiguier.
Après La Bourgeoise ou, la Promenade de S. Cloud (1633), sa première tragi-comédie non-pastorale, Rayssiguier revient à la pastorale « tirée de l’Astrée de Mre Honoré d’Urfé » avec Palinice, Circeine et Florise, paru en in-8º en 1634 chez Antoine de Sommaville, bien que certains exemplaires soient datés de 1633. Il y respecte une nouvelle fois, après la Bourgeoise, la règle des vingt-quatre heures. Comme pour Les Amours d’Astrée et de Céladon, il s’agit d’une adaptation au théâtre de plusieurs chapitres de l’Astrée, concernant les personnages éponymes. Selon Lancaster29, « le ton général » de la pièce se rapproche de celui de La Bourgeoise en ce qu’il tend vers la comédie. Son langage est « simple, direct, sans maniérisme »30, ce qui n’empêcha pas l’Abbé d’Aubignac de faire implicitement référence à la pièce de Rayssiguier en incitant les auteurs à ne pas choisir de sujets trop complexes pour leurs pièces, sous peine que « personne n’entendroit le Sujet, et qu’ainsi personne n’en sortiroit que tres-mecontent »31. Quant à l’action en elle-même, elle se concentre sur la façon dont le héros va aider sa sœur à reconquérir un amour antérieur32.
En 1635, Rayssiguier donne La Célidée sous le nom de Calirie ou de la Générosité d’Amour, paru chez Toussaint Quinet sous la forme d’un in-8º. Encore une fois, nous retrouvons là une imitation des personnages d’Urfé. C’en est à regretter, avec Lancaster, qu’il ne soit pas sorti du cadre de l’Astrée et de ses « scènes à faire », auquel cas il aurait écrit « une pièce purement classique, […], comportant un problème morale central et des nœuds psychologiques »33. Elle fut réimprimée en 1636 chez Toussaint Quinet, sous le titre Alidor et Oronte Tragi-comédie.
Enfin, notre dramaturge publie, chez Antoine de Sommaville, sa dernière tragi-comédie, Les Thuilleries, en in-8º, avec un privilège daté du 31 décembre 163534 et un achevé d’imprimer du 3 mars 1636. En un sens, cette pièce fait la synthèse de ce que Rayssiguier avait produit jusque-là : comme pour La Bourgeoise, l’action se situe dans le Paris contemporain, et Lancaster la classifie également sous l’intitulé « Tragi-Comedies that Resemble Comedies »35, pour sa proximité avec les premières comédies de Corneille, notamment dans les différents « types » de personnages féminins présentés36, de la fidèle à la dévergondée en passant par la timide. Et comme pour ses premières tragi-comédies pastorales, on peut noter une influence probable de la troisième partie de l’Astrée37.
***
La poignée d’éditions des pièces de Rayssiguier n’ont pas aidé leur auteur à se forger une notoriété. Sur les pages de titres, son nom est souvent remplacé par la mention « Par le Sieur de R. », quand il n’est pas tout simplement absent – ce qui explique les rajouts manuscrits de son nom sur l’exemplaire de la tragi-comédie Les Thuilleries conservé à la Bibliothèque Nationale. Quant aux pièces qu’elles contiennent, leur importance est très relative (en particulier concernant les tragi-comédies pastorales), mais elles ont le mérite, selon Lancaster, « de contenir en germe deux choses dont, plus tard, on s’est beaucoup servi : le conflit psychologique et l’actualité des lieux »38. De plus, on voit clairement que la Bourgeoise se détache du corpus par la singularité qu’elle présente par rapport aux autres créations de notre dramaturge, mais aussi pour être la plus représentative de ce que Rayssiguier pouvait avoir de « devancier ».
DEUXIÈME PARTIE : Présentation générale de La Bourgeoise §
I. RÉSUMÉ DE LA PIÈCE39 §
Acte I §
Convaincue que l’Amour est affaire de duperie, la Bourgeoise se prépare à se rendre à Saint-Cloud afin de corrompre les sentiments d’Acrise, qu’elle aime, envers Cloris, à qui il est promis en mariage. Sa Sœur tente de la raisonner, élevant le débat jusqu’à une tentative de définition de l’Amour – conception dont les deux sœurs représentent deux pans totalement opposés (Scène 1). La Sœur finit par se retirer, pour laisser place à Florise dans un nouveau tête-à-tête avec la Bourgeoise. Cette dernière lui dévoile son amour pour Acrise (Scène 2). Pendant ce temps, alors que le Batelier et son Compère se désolaient de ne pas avoir de client à transporter d’une rive à l’autre (Scène 3), la Sœur de la Bourgeoise et Climant paraissent sur les rives pour emprunter le bac. Durant la traversée, la Sœur explique à Climant le dessein de la Bourgeoise, sans pour autant lui révéler l’identité de celui qu’elle aime. Son interlocuteur soupçonne un banal fanfaron, mais la Sœur laisse planer le doute (Scène 4). De son côté, Periandre se confie à son gentilhomme, Ardillan. Il lui fait part de sa tristesse, car il croit son fils Acrise mort. Les paroles réconfortantes de son gentilhomme ne semblent avoir que peu d’effet sur lui, aussi décident-ils conjointement de se rendre à Saint-Germain, auprès de la Cour, pour y rencontrer des courtisans qui pourraient les renseigner sur le sort d’Acrise (Scène 5). Enfin, le Vaillant, un fanfaron qui sans cesse loue ses mérites à la guerre et ses facultés supposées d’homme de combat, et son compagnon la Montagne, s’en vont exécuter l’ordre de la Bourgeoise d’enlever Acrise (Scène 6).
Acte II §
Accompagné de Climant, Atis attend Florise. Il se montre très impatient à l’idée de son arrivée, mais s’inquiète qu’elle soit accompagnée de son amie la Bourgeoise. Toutefois, la mélancolie le pousse à tenter de suspendre les sentiments qu’il éprouve envers elle (Scène 1). Demeuré seul, Acrise laisse paraître ses passions déchirées, où il regrette d’avoir aimé Cloris et souillé l’honneur de son ami Atis, promis à cette dernière (Scène 2). Le trouvant inanimé, Cloris se désespère de le voir mort, et comprend qu’il s’est évanoui par amour. Lorsqu’il se réveille, elle l’interroge sur les raisons de son sommeil, mais avant de lui révéler le nom de celle qu’il aime, il la met en garde contre la vérité qu’il s’apprête à lui révéler (Scène 3). Au même moment, Clerandre, le père d’Atis, se dit pressé de voir le mariage de son fils, car la mort, semble-t-il, le guette. Climant, son secrétaire, se propose de jouer les informateurs et les facilitateurs, bien que prévenant Clerandre de l’attirance d’Atis pour Florise. En apprenant cette idylle, Clerandre blâme son fils et pense qu’Acrise pourra l’aider à le raisonner – et, du même coup, à faire échouer les stratagèmes de la Bourgeoise (Scène 4).
Acte III. §
Climant informe la Sœur de la Bourgeoise des manœuvres de Clerandre : pour éviter l’union d’Atis et de Florise, il compte marier cette dernière à Acrise, permettant ainsi à Cloris d’épouser son fils. En contrepartie, la Sœur révèle que la Bourgeoise souhaitait faire enlever Florise dans les bois avec l’aide du Vaillant fanfaron, mais qu’Atis est justement intervenu pour l’en empêcher (Scène 1). La Bourgeoise ne manque d’ailleurs pas de ruminer sa déception d’avoir vu ses plans contrecarrés par l’intervention d’Atis (Scène 2). Cloris exprime sa désespérance de ne pouvoir ni aimer, ni épouser Atis. Alors qu’elle se promène, la Bourgeoise la surprend et tente de la convaincre que le mariage auquel elle est promise est un bienfait. C’est alors qu’Atis et Florise arrivent : afin d’entendre leur conversation sans se présenter à eux, la Bourgeoise et Cloris s’écartent dans l’ombre (Scène 3). En effet, Atis et Florise ont une discussion mouvementée, car chacun est tiraillé par des sentiments envers un autre (Scène 4). La Bourgeoise s’empresse alors d’intercéder auprès d’Acrise, qui refuse ses belles paroles, et prend congé d’elle (Scène 5). Mais il ne demeure pas longtemps dans sa mélancolie : Atis survient sur scène, et le conseil sur les gestes à adopter envers Florise et Cloris (Scène 6).
Acte IV §
Florise et Atis ont un face-à-face houleux, jusqu’à se rejeter mutuellement (Scène 1). Alors que Florise demeure seule, la Bourgeoise la rejoint et l’interroge sur son conflit avec Atis. Leur discussion est interrompue par l’arrivée de Climant (Scène 2). Alors qu’il complimente la Bourgeoise, cette dernière le rejette, malgré les témoignages de son obéissance qu’il cherche à lui donner (Scène 3). De son côté, Atis, demeuré seul, exprime ses regrets envers Silvie, qu’il continue de croire morte, et Cloris, avec qui il s’apprête à vivre. Après avoir songé à mourir, il choisit de laisser le temps et l’âge lui ôter la vie (Scène 4). Plus tard, son père le blâme pour ses choix, et lui ordonne d’obéir à ses décisions, renouvelant son autorité paternelle. De nouveau seul, Atis se lamente dans une longue tirade de la sévérité de son père, et du sort qui semble s’acharner contre lui (Scène 5). C’est alors que paraît la Bourgeoise, qui annonce clairement s’apprêter à mentir à Atis, sous couvert de l’amour. Comme il lui fait voir son désespoir, cette dernière lui assure qu’Acrise aime Florise, et décide, en aparté, d’agir pour qu’il ne la rencontre pas (Scène 6).
Acte V §
La Bourgeoise se réjouit que ni Cloris, ni Florise ne peuvent désormais lui faire obstacle pour contraindre Atis à l’aimer (Scène 1). Voyant Florise arriver, elle décide de la consoler, car celle-ci désespère de l’amour d’Atis. Mais, une nouvelle fois, le discours de la Bourgeoise est double : à haute voix, elle promet à Florise que le père d’Atis changera d’avis ; à voix basse, elle jubile de voir que Florise lui accorde progressivement sa confiance. Alors que Cloris s’apprête, de son côté, à se retirer, la Bourgeoise l’interpelle et parvient à écouter sa confession (Scène 2). Atis se lamente de sa condition de personnage à la fois incompris et traître à son ami. Acrise lui propose donc de se venger par le fer (Scène 3). Voyant la violence monter entre les deux, Periandre et Ardillan décident d’intervenir. Reconnaissant son fils, Periandre exprime sa joie, tandis qu’Acrise retrouve sa véritable identité, Camille, et avoue éprouver des sentiments pour Cloris (Scène 4). Face à la Bourgeoise, Cloris demande expressément à Clerandre de la laisser aimer Acrise, qui justement paraît, accompagné d’Atis (Scène 5). Tous sont désormais réunis et chacun laisse paraître ses véritables desseins : Acrise révèle être Camille, et fait la lecture d’une lettre de son père Fabrice destinée à Clerandre, qui révèle le stratagème qu’il avait mis en place pour éviter l’union, à Florence, de son fils et de Silvie. La lettre apprend à l’assemblée que Fabrice, ému par les pleurs de son fils devant la mise en scène de la mort de Silvie, avait envoyé cette dernière en France sous le nom de Cloris, et qu’il promet de venir les rejoindre pour consentir à cette union, une fois libérés de ses affaires en Italie. Atis uni à Florise, et Camille-Acrise uni à Silvie-Cloris, la Bourgeoise voit ses manœuvres réduites à néant. Elle consent donc à prendre Climant pour époux, même si elle doute de sa sincérité lorsqu’il affirme vouloir lui obéir plutôt que la commander, mais s’en va en chuchotant qu’elle ne s’interdira pas un « prudent favori » (Scène 6).
II. CONDITIONS DE REPRÉSENTATION ET SCÉNOGRAPHIE §
Nous ne disposons d’aucune information relative à la représentation de La Bourgeoise. C’est à peine si l’on a la certitude qu’elle ait été jouée : en outre, les Frères Parfaict ont émis, dans leur notice consacrée à la vie de Rayssiguier, l’hypothèse que les deux ou trois dernières pièces de Rayssiguier (soit Palinice, La Célidée et éventuellement Les Thuilleries) n’aient jamais été données au public40, faute de décors suffisants, ou même par manque de volonté du dramaturge. Cette supposition peut paraître surprenante, voire paradoxale, quand on sait que si les pièces étaient imprimées, c’est justement parce qu’elles avaient été représentées au préalable et qu’elles avaient connu, a fortiori, un certain succès. Pourtant, au moment d’en venir à La Bourgeoise, ces mêmes Frères Parfaict insistent :
« On seroit tenté de croire que [cette pièce] n’a jamais été représentée, si la Préface ne certifioit le contraire41. »
Néanmoins, la fiabilité des écrits de ces chroniqueurs du théâtre est, on le sait, extrêmement relative, du fait de leurs nombreuses affirmations avancées sans sources. Et si l’on se réfère à la « Préface » à laquelle ils renvoient (sans pour autant la citer), qui s’avère être l’épître dédicatoire de La Bourgeoise, on peut lire :
[Le] principal dessein de ceste Epistre […] ne tend qu’à vous supplier, d’avoir agreable que sous vostre nom je face voir au public, Ma Bourgeoise, ou, Ma Promenade de Saint Clou […]42.
On se bornera donc ici à considérer que La Bourgeoise a bel et bien été mise en scène au début des années 163043, et qu’il demeure possible d’en entrevoir la scénographie.
1) Un théâtre : l’Hôtel de Bourgogne §
Il est cependant une chose que l’on peut affirmer avec certitude : les premières pièces de Rayssiguier (lesquelles représentent en même temps, probablement, ses plus grands succès) ont été créées à l’Hôtel de Bourgogne. Deux éléments nous le prouvent :
1– Dans l’avis au lecteur de L’Aminte de Tasse, Rayssiguier écrit :
la plus grande part de ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre […].
Outre l’intérêt évidemment dramaturgique, voire esthétique qu’elle engendre, et sur lequel nous reviendrons ultérieurement, cette formule confirme que Rayssiguier entretenait des liens avec l’Hôtel de Bourgogne et son public.
2– Le Mémoire de Mahelot est un registre de travail dans lequel ledit Mahelot, décorateur principal de la scène de l’Hôtel de Bourgogne, a consigné dans les années 1630 les éléments nécessaires à la scénographie des pièces qui y étaient créés. Or, il existe une notice44 consacrée aux Amours d’Astrée et de Céladon (1630) – œuvre en premier lieu attribuée à Baro, avant que la mention ne soit biffée, mais jamais remplacée par le nom de Rayssiguier. L’existence de cette notice révèle que la pièce a été jouée plus d’une fois, preuve d’un succès plausible qui aurait pu inciter les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne à créer d’autres pièces du même dramaturge.
2) Tentative de reconstitution de la scénographie de La Bourgeoise §
En l’absence de notice de Mahelot pour la création de La Bourgeoise, il nous est nécessaire de procéder par rapprochements pour concevoir les décors de la pièce.
En outre, le Mémoire consacre une page au Vendanges de Suresnes (1636), tragi-comédie de Du Ryer, dont l’action et la spatialisation sont très proches de La Bourgeoise. Nous en reproduisons ici la notice intégrale45, en faisant apparaître en gras les éléments rappelant la scénographie de notre tragi-comédie :
Au milieu du theatre, il faut faire paraître le bourg de Surêne, et au bas faire paraître la Rivière de Seine, et aux deux costés du theatre, faire paraître forme de paysage, Loingtain, garny de Vigne, raisins, abres, noyers, peschers et autre Verdure, plus faire paraître le tertre au dessus de Surêne et lhermitage, Mais, aux deux costés du theatre, il faut planter des Vignes facon de bourgogne peinte sur du barton taillée a jour, il faut une hote de vandangeur pleine de raisins, et feuilles de vigne il faut deux paniers, deux eschalas, une serpette et trois lettres, en la saison du raisin il faut avoir cinq ou six grappes pour la feinte,
Ces quelques indications ne sont pas sans rappeler le cadre mi-urbain, mi-pastoral de La Bourgeoise. On peut aisément concevoir un décor similaire, articulé autour de plusieurs « chambres »46 fixes, que le spectateur voyait en continu durant toute la représentation, avec d’un côté, la « Rivière de Seine » (qu’un groupe d’acteurs doit traverser dès le premier acte), de l’autre, un bois, où le Vaillant et la Montagne iraient commettre leur méfait. Le centre de la scène, laissé libre, aurait eu pour tableau de fond un paysage champêtre de l’Ouest parisien. Aucune indication de Rayssiguier ne laisse entendre que la pièce se déroule en intérieur. Au contraire, le titre lui-même incite, par l’idée de « promenade », à une action se déroulant dans un lieu ouvert. Enfin, tout comme la mention « Le Théâtre représente Suresnes » fait suite à la liste des acteurs de la pièce de Du Ryer, on imagine sans peine une mention similaire, comme « Le Théâtre représente Saint-Cloud » ou « La scène est à Saint-Cloud », figurer en tête de la pièce de Rayssiguier.
Tout bien considérée, la scénographie de La Bourgeoise ne différait probablement pas de celle pratiquée de manière générale au début des années 1630, âge d’or de la tragi-comédie. L’absence d’unité de lieu dans la dramaturgie engendrait irréfutablement une mise à la scène complexe, nécessitant des décors multiples, parfois juxtaposés. En d’autres termes, les décorateurs étaient tenus de suivre les indications des dramaturges qui n’imposaient « aucune limite à la spatialisation de l’action », pour reprendre les mots de Pierre Pasquier et Anne Surgers47. Ce faisant, nous proposons en annexe 2 une reconstitution, sous la forme d’un croquis, de la scénographie de la présente tragi-comédie, conformément aux éléments techniques et esthétiques que nous venons d’énoncer.
III. GENÈSE DE LA PIÈCE §
Les deux premières pièces de Rayssiguier témoignaient d’une parenté littéraire conséquente, décelable dans leurs titres mêmes. Les Amours d’Astrée et de Céladon (1630) renvoyaient explicitement à Urfé, tandis que L’Aminte (1631) se réclamait directement du Tasse à la fois dans son titre et dans son contenu, une traduction plus ou moins suivie de l’œuvre originale. Cela étant, on s’attendrait à ce que La Bourgeoise n’ait subi l’influence que des tragi-comédies en vogue, ou n’ait été composée qu’en réaction à la dramaturgie prônée par Alexandre Hardy (notamment sur la question de la limitation des monologues). Mais il semblerait qu’avant – ou en plus de – ces considérations, Rayssiguier ait puisé son inspiration dans un roman grec tardif, aujourd’hui totalement méconnu, intitulé Les Amours d’Ismène et d’Isménie.
1) Une source romanesque grecque §
Le recours à un roman gréco-byzantin du XIIe siècle peut paraître excentrique, et pourtant il possède sa cohérence dans le contexte des publications du début du XVIIe siècle, ainsi que dans l’influence qu’il aurait pu avoir sur la création littéraire de la même époque.
Avant de commencer, nous devons témoigner de notre dette envers Henry Carrington Lancaster sans qui, une nouvelle fois, nous n’aurions jamais orienté nos recherches sur cette piste. En effet, dans son History of the French dramatic Literature in the Seventeenth century, il précise, dans la notice qu’il consacre à La Bourgeoise :
The chief element of the plot is so close to that of Alcimédon, written by the author’s friend Du Ryer, that it must come from it or from its source, the Greek romance of Eumathius48.
Nous proposons de développer ici ce que Lancaster ne pouvait qu’évoquer, étant donné l’objectif qu’il s’était fixé.
a) La renaissance d’un roman §
En 1625 paraissent à Paris, chez Toussaint du Bray, Les Adventures amoureuses d’Ismène et d’Isménie, histoire grecque d’Eustathius, mise en françois par le Sr Colletet49. Il s’agît d’une traduction du roman de l’auteur byzantin Eustathios Makrembolites, ayant vécu durant la seconde moitié du XIIe siècle – traduction qui elle-même se fonde sur une traduction en latin du roman, De Hysmines et Hysmineae Amoribus, parue à Paris vers 1617. Le traducteur, Guillaume Colletet (1598-1659)50, faisait partie d’un cénacle, les « Illustres bergers », un groupe de poètes adeptes de Ronsard qui compta dans ses rangs les premiers membres de l’Académie française comme Antoine Godeau – ou, justement, Colletet. Ce travail de traduction trouve probablement sa place dans la veine humaniste des « Illustres bergers », et plus largement dans une volonté de redécouverte et de valorisation des Belles Lettres, mouvement lancé par les poètes de la Pléiade et le « libertinage érudit »51.
Comment Rayssiguier a-t-il pu avoir accès à ce texte ? Bien sûr, un éventuel succès de l’ouvrage aurait favorisé sa réception auprès de notre dramaturge. Son amitié avec Du Ryer, et sa brève appartenance au milieu littéraire des avocats parisiens n’auraient fait que favoriser cette lecture. La notoriété des « Illustres bergers » peut y avoir contribué : retiré de la ville, et reproduisant le mode de vie des bergers de L’Astrée, le cénacle attirait les regards par son art de vivre épicurien – ce qui n’aurait sans doute pas manqué d’attirer l’attention de Rayssiguier, en particulier lorsque celui-ci composait ses premières tragi-comédies pastorales.
b) Du roman à la tragi-comédie §
Dans un décor crétois, Eustathios brosse le portrait de Rodope, une veuve influente et jalouse d’Isménie, décidée à ruiner l’amour entre cette dernière et son amant, Ismène. Elle emploie deux guerriers pour l’enlever mais, après la ruine de cette manœuvre, se résout à fomenter d’autres projets. Le roman s’achève par l’arrivée du père du héros, qui consent au mariage, réduisant Rodope au silence.
L’essentiel de la trame de La Bourgeoise se retrouve déjà dans ces quelques lignes de résumé. A travers Rodope, on retrouve déjà la figure du personnage éponyme. Le Vaillant fanfaron et la Montagne ne sont encore là que des faire-valoir sans réelle profondeur comique, mais leurs traits sont déjà esquissés. Au-delà de la typologie des personnages et des caractères, la figure du père, absente pendant la majorité du roman, fait son apparition sur la scène de l’intrigue à la fin, pour favoriser le mariage, comme Periandre apparaîtra ex-nihilo au cinquième acte de notre pièce.
Rayssiguier ne garde pourtant de ce roman, semble-t-il, que la conception du « romanesque ». Il le dépouille des représentations allégoriques de l’amour, ainsi que de l’érotisme que l’on pouvait y trouver. Rayssiguier n’agit pas différemment ici qu’avec le roman d’Urfé : il le « dispose au théâtre », comme il admettait le faire pour L’Astrée dans la préface de ses Amours d’Astrée et de Céladon52. L’esthétique de la tragi-comédie requérait d’autres codes, d’autres exigences pour que la pièce soit considérée comme telle, aussi ne peut-on pas dire que Rayssiguier n’a fait que transposer le roman d’Eustathios à la scène. Selon Chrystelle Barbillon, cette pratique ne diffère pas de celle des dramaturges qui tiraient leurs inspirations d’un roman grec : ces derniers leur offraient « une matière abondante, prête à se laisser couler dans une dramaturgie encore assez irrégulière »53. Eusthatios a donc vraisemblablement offert à Rayssiguier une opportunité dramaturgique prégnante, un socle sur lequel construire cinq actes.
2) La Bourgeoise en son temps : l’intertextualité de la pièce dans le théâtre des années 1630 §
La tragi-comédie de Rayssiguier entretient également un dialogue avec le théâtre de son temps, en particulier par des similitudes de sources ou de vers.
a) Une communauté de source : Alcimédon de Du Ryer (1634) §
L’achevé d’imprimer de la pièce, daté du 28 décembre 1634, est trompeur : toujours selon Lancaster, la tragi-comédie de Du Ryer Alcimédon aurait été composée vers 163254, soit au même moment que La Bourgeoise. Elle paraît procéder de la même source que La Bourgeoise – à moins qu’elle n’ait été directement influencée par cette dernière. L’amitié entre les deux dramaturges rend ces deux hypothèses plausibles, voire complémentaires.
L’influence d’Eustathios sur cette tragi-comédie est telle que son auteur va plus loin que Rayssiguier en conservant le nom de Rodope. Dans la liste des acteurs, elle est présentée comme une « veuve amoureuse de Scamandre », lui-même « amoureux de Daphné ». La pièce se déroule a priori dans la même partie du monde que le roman, et en reproduit le schéma narratif : Scamandre et Daphné ont été séparés durant un amour de jeunesse, puis se retrouvent et retombent amoureux sans pour autant se reconnaître. Tiraillés par la volonté de ne pas laisser un nouvel amour suppléer à leur passion originelle, ils doivent faire face aux manœuvres de Rodope qui, comme la Bourgeoise, veut écarter Daphné de son amant.
Une divergence fondamentale subsiste pourtant : Rayssiguier a multiplié les couples par deux, et a entremêlé les intrigues amoureuses sur la même scène. Y a-t-il donc finalement, chez notre dramaturge, une primauté de l’esthétique du roman urféen sur le roman grec ? Étant donnée la confusion des périodes de composition de La Bourgeoise et d’Alcimédon, on a affaire à deux cas de figure :
1– Soit l’idée du roman d’Eustathios a été suggérée par Du Ryer à Rayssiguier, ce dernier l’ajoutant à ses sources d’inspirations premières qu’étaient les romans pastoraux ;
2– Soit elle a été suggérée par Rayssiguier à Du Ryer, lequel a transcris presque « tel-quel » l’histoire d’Ismène et d’Isménie.
En plus de leur influence réciproque, c’est donc le roman d’Eustathios qui lie les tragi-comédies de Rayssiguier et de Du Ryer. Toutes deux procèdent de cette même source, mais chacun en a tiré un parti différent : Du Ryer a choisi la fidélité à l’œuvre originale, tandis que Rayssiguier a préféré la diversité des influences.
b) Une communauté lexicale : Les Folies de Cardénio de Pichou (1630) et la métaphore du roseau §
En interne, La Bourgeoise s’inscrit bel et bien dans son temps, notamment par le biais de son lexique. Une sentence, déjà relevée par Lancaster55, résonne avec une autre située dans Les Folies de Cardénio, première tragi-comédie de Pichou. En outre, on peut y lire (en II, 2) :
La femme est un roseau qui branle au premier vent
Et, dans La Bourgeoise (III, 1) :
La femme est un roseau que le moindre vent plie
La copie est, on le voit, évidente. Le premier hémistiche demeure intact et maintient « roseau » en tant qu’antécédent, tandis que le second intervertit le verbe et le pronom relatif. Pouvons-nous pour autant considérer qu’il s’agît d’un plagiat ?
Dans le théâtre des années 1630, la métaphore du roseau pour désigner l’inconstance de la femme amoureuse était relativement courante. On la retrouve, entre autres, chez Mareschal :
Ai-je un cœur de roseau, qu’un vent puisse émouvoir56 ?
Ou encore, chez Scudéry :
Roseau frêle, débile, et qui tourne à tout vent57
Ces quelques exemples démontrent une occurrence lexicale récurrente, à laquelle Rayssiguier ne fait que prendre part. Chemin faisant, la relation entre La Bourgeoise et Cardénio ne tient pas du calque, mais davantage de l’imitation, de la reprise d’un topos stylistique.
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On constate alors une multiplicité de pôles d’influences : le roman grec d’Eustathios pour l’histoire, ou encore diverses références au lexique et métaphores des pièces des années 1630. Mais en filigrane se dessine aussi la présence de la pastorale et de la comédie de mœurs. Réfléchir sur la composition d’une pièce manifestement située à la croisée des chemins des sources nécessite donc de s’interroger sur son rapport au genre qu’elle entend représenter, à savoir la tragi-comédie.
TROISIÈME PARTIE : La Bourgeoise et le genre tragi-comique §
Envisager la pièce de Rayssiguier par rapport à la tragi-comédie en tant que genre révèle une ambiguïté latente : sous les mêmes aspects, il est possible de dire que La Bourgeoise présente les traits essentiels de la tragi-comédie, puis d’affirmer le contraire en avançant qu’elle diverge trop de ces caractéristiques pour répondre convenablement à l’appellation qui lui a été attribuée. Là encore, Rayssiguier semble se placer aussi bien en iconolâtre qu’en iconoclaste, puisque son œuvre s’inscrit dans une tradition amorcée au XVIe siècle, tout en s’en émancipant.
I. LA RÉCEPTION DE GARNIER §
Pour vérifier l’appartenance de La Bourgeoise à une tradition finalement assez jeune en 1633, il nous semble profitable de l’examiner à l’aune de la « mère » des tragi-comédies : Bradamante de Robert Garnier (1582).
Garnier ne possède pas la paternité du terme « tragi-comédie »58. Plaute revendiquait déjà le terme « tragi-comoedia », dans le prologue de son Amphitryon, en faisant dire à Mercure :
Faisons un mélange, une tragi-comédie. Car, qu’une pièce où figurent des princes et des dieux soit tout à fait une comédie, c’est ce qui ne me paraît pas convenable. Eh bien ! donc, puisqu’un esclave y joue son rôle, je la convertirai, comme je viens de vous le promettre, en une tragi-comédie59.
Mais le sens qu’il lui conférait était limité : pour lui, la tragi-comédie ne pouvait représenter qu’une pièce mettant en scène à la fois des êtres supérieurs (dieux, rois) et des êtres inférieurs (esclaves, personnages du commun). Avec Bradamante, Garnier étend l’acception du terme à une dimension dramaturgique. Pour lui, il ne s’agît plus seulement de présenter simultanément des personnages de rangs divers, mais de mettre en scène une intrigue aux abords tragiques se terminant sur un dénouement heureux.
En cela, La Bourgeoise se situe dans cette lignée car somme toute, elle comporte des moments pouvant se rapprocher de la tragi-comédie. Atis menace de se suicider dans des monologues où le pathos est renforcé (comme en IV, 4). Acrise est tiraillé entre l’amour qu’il porte à Cloris et son amitié pour Atis (tiraillement savamment entretenu par la Bourgeoise), au point de s’évanouir (en II, 2). Jusqu’au dernier acte, l’union des deux couples d’amants paraît compromise, avec en point d’orgue l’affrontement cavalier entre Atis et Acrise. Et tout d’un coup, un élément arrive ex-nihilo : la lettre de Fabrice, le père d’Acrise/Camille, destinée à Clerandre, révélant son regrettable stratagème pour empêcher l’union de son fils avec Cloris/Silvie, et annonçant son arrivée prochaine d’Italie. Ainsi, après avoir développé toute une intrigue fondée sur la non-reconnaissance tragique des amants et sur le topos des amours interdites, Rayssiguier donne à sa pièce une fin heureuse par ce qui semble relever d’un opportunisme dans la conception de sa pièce.
Deux similitudes entre Bradamante et La Bourgeoise peuvent être notées, même si elles relèvent davantage de l’accessoire que d’un véritable témoignage de sources, tant l’utilisation qu’en font les deux dramaturges diverge. Comme Garnier, pourtant, Rayssiguier a utilisé la figure du père refusant l’amour entre les amants comme moteur dramatique, mais sans la vertu chrétienne et la morale sur laquelle finissant Bradamante, avec les sages paroles prononcées par Léon. De plus, un personnage se nomme La Montagne dans chacune des deux pièces. Guerrier, il est chez Garnier un compagnon de route de Charlemagne, tandis que chez Rayssiguier, il n’est que le faire-valoir du Vaillant fanfaron, lui-même un personnage ridicule à la fonction essentiellement comique.
Rayssiguier a-t-il lu Garnier ? Si nous avons choisi d’analyser La Bourgeoise en regard de Bradamante en tant que tragi-comédie première et non en tant que sources ayant contribué à sa genèse, c’est justement parce que nous n’en avons aucune certitude. Le rapport entre les deux pièces est principalement structurel. Le schéma que suivent les deux intrigues (un développement tragique menant à une fin heureuse) justifie en partie le genre que l’on a attribué à la pièce de Rayssiguier. « En partie » car, bien que la pièce réponde a priori aux codes de la tragi-comédie60, à l’intérieur de sa structure apparaissent des éléments faisant se rapprocher La Bourgeoise des limites de son genre.
II. UN PROBLÈME GÉNÉRIQUE §
1) La Bourgeoise en marge de la tragi-comédie §
Dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Hélène Baby émet l’hypothèse suivante, en s’appuyant sur les travaux de Lancaster :
L’étude des pièces de Rayssiguier classées d’ailleurs par Lancaster dans « tragi-comédie that resemble comédie », apporte [une] confusion. Car rien, dans le théâtre tragi-comique de Rayssiguier, pas plus la qualité des personnages que le voyage romanesque, ne justifie l’appellation de tragi-comédie ; seul le péril de mort menace les héros et paraît, en anticipant sur le péril de la mort cornélien, le critère fondateur de ces créations […]61.
Si ce jugement porte sur l’ensemble de l’œuvre de Rayssiguier, il s’applique particulièrement à La Bourgeoise. Du tragique, en effet, la pièce ne comporte que peu de traces : le combat à mort entre le Vaillant et Atis n’est pas représenté, et son issue demeure à peine évoquée par l’intéressé. Quant aux passions, elles prêtent plus le spectateur à sourire qu’à s’émouvoir, les monologues pathétiques d’Acrise et d’Atis se rapprochant le plus souvent de l’ironie tragique que du pathos sérieux. Les manigances et les mensonges ourdis par la Bourgeoise sont, en réalité, les seuls éléments qui puissent faire le lien entre la facette tragique et la facette comique de la pièce tout en maintenant un effet dramatique sur cinq actes. Le duel entre les anciens amis et nouveaux rivaux Acrise et Atis représente le point culminant de ce crescendo dramatique. A aucun moment, cependant, Rayssiguier n’annonce sa volonté de faire rire – mais pas plus qu’il annonce son intention d’émouvoir. Passée la subjectivité de la lecture de la pièce, on est réduit à un constat : La Bourgeoise, comme le suggère Lancaster, tient davantage de la « comédie de mœurs »62 que de la pure tragi-comédie.
a) Du comique dans La Bourgeoise §
Qui dit « comédie de mœurs » implique parodie et caricature. De ce point de vue, le titre de la pièce peut déjà indiquer l’intention de l’auteur sur le sujet. « La Bourgeoise » serait la représentation d’une galante, et voire d’une « coquette » parisienne, tournée en ridicule par ses plans toujours galvaudés et mis à mal par un enchaînement de causes à effets à teneur risible.
Considérons, par exemple, les personnages du Vaillant et de son complice La Montagne. Le premier est issu d’une lignée de soldats fanfarons entamée par Plaute dans sa comédie éponyme63. Le second – on l’a vu – tire son nom de Bradamande de Garnier. Bien qu’il n’apparaisse qu’une fois dans la pièce (en I, 6), le couple formé par ces deux personnages est ouvertement orienté vers le rire et leur passage sur la scène du théâtre représente un moment fort de La Bourgeoise : le Vaillant incarne toutes les prétentions du soldat hâbleur et (probablement) mythomane, et la Montagne se révèle n’être que son complice, son accompagnateur dont la supposée force physique n’a d’égale que sa naïveté envers les dires de son acolyte. En effet, en parlant du Vaillant, celui-ci déclare :
J’avois creu toutesfois qu’un homme genereux
Se pouvoit empescher d’estre fort amoureux64.
Ce à quoi le fanfaron rétorque :
La Montagne, l’amour est un petit vipere
Qui déchire en naissant le ventre de sa mere,
Et qui dessous des fleurs cache secretement,
Lors qu’on les veut cueillir blesse mortellement,
Tout cede à sa puissance, & font parler des fables,
Il rend d’un seul clein d’œil les plus rudes affables65.
La vantardise du personnage est donc double : il justifie sa soi-disant détermination au combat et certitude de vaincre par l’amour qu’il porte à la Bourgeoise.
Le comique, chez Rayssiguier, est un comique classique : un personnage ridicule intervient dans des situations à première vue tragiques pour mieux tourner ces dernières en dérision. Mais il a le mérite de faire voir une chose : La Bourgeoise voulait faire rire. Bien qu’elle corresponde au critère de la « tragédie qui se termine bien », des éléments comme le Vaillant repoussent les limites du genres. Néanmoins, si l’on continue de s’en tenir à la proposition de Lancaster, la « comédie de mœurs » doit aussi impliquer la représentation d’un certain mode de vie, de pratiques, voire des coutumes. Aussi, le personnage de la Bourgeoise, caricaturé, ne suffit pas à justifier à lui seul cette appellation. Car, encore une fois, Rayssiguier a vu plus loin que le caractère : il propose de recréer sur la scène du théâtre l’univers fréquenté par ses personnages.
b) La représentation de Paris, de sa périphérie et de ses travailleurs : La Bourgeoise comme peinture des « mœurs » §
Un des éléments permettant à La Bourgeoise de se distinguer des autres créations de la scène française de la première moitié du XVIIe siècle tient en sa scénographie devant représenter un cadre qui n’est pas antique, sans être tout à fait pastoral ou totalement urbain66. Il faut tout de suite préciser que La Bourgeoise ne cherche pas à représenter Paris, mais ses environs. Toutefois, si une comédie comme La Galerie du Palais ou l’Amie rivale de Corneille (1632) donne à voir, elle, un endroit de Paris bien particulier, à savoir le Palais de Justice, son objectif ne diffère pas de celui de Rayssiguier, comme le rappelle Georges Couton :
Pour un écrivain dramatique, désireux de composer une comédie très parisienne, aucun endroit ne se prêtait mieux à se faire rencontrer les gens du bel air. C’est un cadre très naturel dans lequel on pouvait les peindre et, avec le réalisme pittoresque parisien, La Galerie du Palais s’oriente parfois vers la comédie de mœurs67.
À peu de choses près, on croirait presque lire une notice de La Bourgeoise. Comme Corneille, Rayssiguier utilise « un cadre naturel » pour faire évoluer des personnages de la bourgeoisie urbaine, et profite de ce cadre pour dépeindre cette société dans des conditions plus ou moins réalistes. Et si Corneille utilise des boutiquiers pour accéder à ce semblant de réalisme, Rayssiguier, lui, emploie les personnages du Batelier et de son Compère. Ces deux compagnons peuvent, à la lecture de la pièce, nous apparaître complètement anecdotiques. Il est vrai que, du point de vue de l’intrigue, leur place est plus que mineure : ils n’apportent aucun retentissement à l’histoire, et semblent davantage faire partie du décor que de l’action dramatique. En réalité, le Batelier et son Compère ne sont que des exemples de cette abondance de personnages secondaires dont faisaient preuve les dramaturges préclassiques. Ils jouent le rôle des « domestiques », au sens où ils sont au service des bourgeois parisiens pour leur faire traverser la Seine.
Au-delà de l’anecdotique, on peut noter a minima que Rayssiguier se sert d’eux pour situer spatialement l’action de la pièce : plusieurs fois, dans leur unique dialogue en I, 3, ils mentionnent divers lieux de l’Ouest parisien comme le « faubourg Saint Germain », ou le monastère des « Bonshommes » à « Chaillot ». De plus, leur brève discussion, avant l’arrivée de la Sœur de la Bourgeoise et de Climant à la scène suivante68, s’articule autour des difficultés quotidiennes du commerce, de la désertion de la clientèle bourgeoise, et même de « l’espoir d’un lendemain meilleur »69. En substance, ces quelques vers presque hors-sujet n’ont d’autre but que de faire reposer l’intrigue sur un socle réaliste, voire pragmatique.
D’un point de vue dramaturgique, Rayssiguier compose les personnages du Batelier et de son Compère selon l’une des deux règles émises par Jacques Scherer : au lieu de les faire revenir régulièrement dans la pièce mais avec très peu de vers, Rayssiguier choisit de ne les « montrer que dans un très petit nombre de scènes, puis [de] les faire retomber dans l’oubli »70. Ils sont introduits « par hasard »71, et quittent la scène comme ils y sont venus, en n’ayant pris part à la pièce que par le symbole du « bon sens populaire »72.
L’appellation de « tragi-comédie » doit-elle être définitivement oubliée, au vu de cette étude des mœurs ? Pour Couton, Corneille (et probablement Rayssiguier) répondait à un effet de mode :
Corneille semble avoir obéi à une mode. Plusieurs pièces, à cette époque, ont de telles évocations. […] Ainsi une pastorale anonyme, Le Mercier inventif, montre un colporteur offrant sa marchandise, mercerie, coutellerie ; La Lysimène de G. de Coste fait paraître aussi un mercier ; Lisandre et Caliste de Du Ryer fait dialoguer un boucher et une bouchère devant leur boutique. La Célinde de Baro évoquait la vie quotidienne : « On entend déjà force bruit par les rues ; les paysans vont au travail ; tous les marchands ouvrent leurs boutiques73.
Si nous n’évoquons ici que la pièce de Corneille, nous n’insinuons pas qu’elle ait participé à l’inspiration de Rayssiguier, sous prétexte de son antériorité. Au contraire, nous pensons que La Bourgeoise peut également être rapprochée, en ce sens, d’une tragi-comédie comme Les Vendanges de Suresnes de Du Ryer, que nous avons déjà évoquée pour ses similitudes scénographiques, et que Lancaster décrit comme « une comédie de mœurs »74, à l’instar de ce qu’il suggérait pour La Bourgeoise. Toutes les pièces dites « parisiennes » auraient-elles donc attrait à ce genre spécifique ? Il semble que, pour un dramaturge des années 1630, il soit inenvisageable de situer autre chose que de la comédie dans un cadre urbain ou, à plus forte raison, français, comme si le fait de représenter le monde que connaissaient les spectateurs ne pouvait être qu’un geste essentiellement comique.
L’appellation de « tragi-comédie », on le voit, ne demeure plus qu’une désignation arbitraire. Pour écrire comme Hélène Baby, nous nous bornerons à constater qu’indubitablement, « les tragi-comédies de Rayssiguier sont des comédies que la mode a baptisé tragi-comédies ».75
2) Une crypto-pastorale ? §
Nous ne traiterons pas l’hypothèse d’une pastorale sous-jacente à La Bourgeoise de la même manière que nous l’avons fait pour la question de la comédie, pour une simple raison : lorsque l’on pouvait émettre le doute quant à la possibilité d’entrevoir une comédie dans la tragi-comédie, il nous apparaît plus clairement qu’il serait malencontreux de la concevoir comme une pastorale. Toutefois, certains éléments pastoraux, probablement hérités des deux précédentes œuvres de Rayssiguier, subsistent au sein de la tragi-comédie de 1633.
Tout d’abord, le cadre : bien que le titre esquisse le faubourg de « Saint Cloud », la notion de « promenade » nous paraît plus prégnante pour qualifier l’organisation de la pièce. La « Rivière de Seine » (I, 3), le bois (I, 6), l’ombre d’un buisson (III, 3)… Toute la scénographie rejette l’urbanité pour favoriser le bucolique, et les personnages évoluent dans un cadre bocager qui n’est pas sans rappeler les prairies et les vallons du Forez de L’Astrée76.
Au reste, ces derniers ne semblent avoir d’autre occupation que leurs affaires galantes, à l’image des bergers urféens. Certains vers résonnent d’ailleurs avec les maximes amoureuses que l’on retrouve au gré des pastorales du début du XVIIe siècle :
La Sœur.L’Amour est un enfant qui fuit la tromperie,La Bourgeoise.Au contraire l’amour n’est que supercherie77
Si nous proposons le terme « crypto-pastoral », c’est pour mieux cerner l’ambivalence de La Bourgeoise : certes, elle n’entretient pas de rapports aussi étroits avec ce dernier genre qu’avec la comédie, mais elle en laisse voir des traits essentiels, comme des réminiscences des précédentes créations (et premiers succès) de Rayssiguier.
***
Attribuer définitivement un genre à La Bourgeoise dépend, en fin de compte, du degré de lecture que l’on adopte. Si l’on s’attache à y trouver du comique, alors il est aisé de constater que la pièce répond à bien des tournures de la comédie. Si l’on veut rattacher la pièce aux canons de la tragi-comédie des années 1628 à 1634, on obtient une Bourgeoise parfaitement inscrite dans son époque. A terme, on comprend que la volonté de Rayssiguier de ne suivre aucune règle préétablie pour composer ses pièces amène à un résultat à la croisée des chemins entre les genres et qui, bien qu’il suive les usages du moment, ne saurait être réduit à une classification exclusive.
QUATRIÈME PARTIE : Étude des personnages §
ACRISE ET CLORIS, ATIS ET FLORISE : LES UNIONS IMPOSSIBLES §
La superposition de deux couples §
La bipolarisation des couples crée autant de strates dans l’intrigue de La Bourgeoise, chacun étant complémentaire de l’autre. Au commencement, ce sont évidemment les amours contrariées qui forment la dynamique de l’action entre ces quatre personnages : Acrise veut épouser Cloris mais doit épouser Florise, tandis qu’Atis veut épouser Florise quand il doit épouser Cloris. Acrise et Cloris, anciennement Camille et Silvie, se sont manifestement retrouvés tous les deux à Saint-Cloud par un concours de circonstances, et le destin fait intercéder leur passion dans celle d’Atis et de Florise. Les manigances de la Bourgeoise pour s’emparer de l’amour d’Acrise n’arrange rien à une situation que les jeux d’onomastiques et d’anagrammes entre les noms des amants avaient déjà rendue sibylline.
En effet, les fortes ressemblances entre les noms « Acrise / Atis » et « Cloris / Florise » peuvent rendre ardue la bonne compréhension de La Bourgeoise, et n’aident pas forcément le lecteur à s’y retrouver au milieu de la densité des personnages. Les Frères Parfaict furent les premiers à exprimer cet embarras :
Cette Piece est très-embrouillée par des suppositions de noms, & des reconnoissances78.
« Reconnoissances », car aux amalgames entre les patronymes se rajoute la double identité des nobles florentins que sont Acrise et Cloris, révélée à l’acte V. Tout au long de la pièce, l’un croit l’autre mort et se refuse à pleinement l’aimer par fidélité à un amour de jeunesse qui avance masqué.
Le lecteur serait alors en droit de se demander pourquoi Rayssiguier a entremêlé deux couples de la sorte, plutôt que de concentrer l’action sur la découverte des identités d’Acrise et de Cloris. Certes, introduire le personnage d’Atis, ami d’Acrise, permettait à la Bourgeoise de monter une rivalité entre ces deux derniers et, par extension, de renforcer le versant tragique de la tragi-comédie. Toutefois, nous adapterons ici une remarque formulée par Jacques Scherer79 : à l’image de la multiplication des personnages secondaires au début du XVIIe siècle, Rayssiguier ne semble pas se soucier de l’économie des personnages principaux, comme de la simplification de son intrigue en général.
Le statut héroïque des hommes §
Autre conséquence de la profusion des personnages : la valeur héroïque des caractères principaux est multipliée par deux. Acrise et Atis les endossent telles qu’elles sont définies par Scherer80 :
- Ils sont jeunes. A aucun moment nous ne sommes informés de l’âge exact d’Acrise et d’Atis, mais on pourra deviner, par leur apparente forme physique, qu’ils sont à peine sortis de l’adolescence, et que leurs pérégrinations à travers l’Europe les ont peu affectés ;
- Ils sont nobles. Acrise/Camille est, nous dit l’argument, « le fils d’un gentilhomme florentin ». Atis semble lui être issu de bonne famille, son père Clerandre ayant de l’influence sur l’ensemble des personnages de la pièce, et disposant même d’un secrétaire en la personne de Climant ;
- Ils sont courageux. Atis intercède face au Vaillant fanfaron et à la Montagne pour empêcher le rapt de son ami, avant que les deux n’éprouvent aucune couardise à devoir s’affronter en duel, à la suite du malentendu fomenté par la Bourgeoise ;
- Ils sont malheureux. Les monologues (voire les tunnels) tragiques s’enchaînent, jusqu’à constituer parfois la seule et unique façon de s’exprimer pour les deux « héros ». Au deuxième acte, Acrise est victime d’un malaise causé par son désespoir sentimental.
Enfin, Atis et Acrise sont vertueux au sens aristotélicien81 : non-contents d’être courageux, ils savent faire preuve de justice et de douceur.
Si les traits de caractères présentés par les hommes sont finalement très classiques (puisqu’ils peuvent être reliés à une typologie), Rayssiguier se montre innovant par deux aspects : d’une part, on l’a vu, en dédoublant les couples au centre de l’action narrative ; d’autre part, en diluant la place du héros au personnage de la Bourgeoise.
LA BOURGEOISE : FONCTION ET USAGE DE L’INTRIGANTE ÉPONYME §
Un personnage d’inspiration urféenne ? §
La Bourgeoise aime Acrise, et est prête à tout pour parvenir à s’unir avec lui. Elle emploie les services du Vaillant et de la Montagne, qu’elle charge de l’enlever. A la suite de la déconvenue de cette opération, elle intercède auprès d’Atis pour le convaincre que son ami s’est finalement résigné à épouser Florise82. Voyant cette manœuvre échouer elle aussi, et les amants se réconcilier à la fin de la pièce, elle consent à prendre Climant pour époux, tout en ne s’interdisant pas un « prudent favori » (V, 6), et se réjouissant que ses plans n’aient pas été exposés au grand jour.
De prime abord, donc, la Bourgeoise a tout de la femme manipulatrice et jalouse conventionnelle. On retrouve déjà cette typologie dans L’Astrée à travers le personnage de Lériane, qui a pu inspirer Rayssiguier quand on sait l’attachement que le dramaturge éprouvait quant à l’œuvre d’Urfé.
Lériane apparaît dans « L’histoire de Damon et de Madonthe », l’une des « histoires enchâssées » racontée par un personnage (en l’occurrence, ici, la bergère Madonthe) et revenant à plusieurs reprises au sein du roman-fleuve. La description qu’en donne la narratrice n’est pas sans rappeler une esquisse de la Bourgeoise : elle est dépeinte comme « la plus fine et rusée qui fut jamais »83. Par la suite, les adjectifs péjoratifs qui affluent sous la plume d’Urfé pour qualifier Lériane ne manquent pas : « meschante »84, « perfide »85, « cauteleuse »86, ou encore « malicieuse »87. Le personnage urféen est par conséquent lié à la Bourgeoise par une opposition aux valeurs héroïques d’Acrise et d’Atis, telle que l’entend Aristote88. Elles se distinguent par le contraire de la vertu, faisant d’elles des personnages du vice. En considérant que l’amour peut justifier toutes les actions, y compris les plus blâmables, la Bourgeoise veut se montrer digne, et permet à Rayssiguier d’amplifier le caractère incriminable de son personnage :
Il n’est crime en aymant, qui ne nous soit permis,
Pour obtenir le bien, ou nostre flamme aspire89,
Le Bourgeoise est-elle donc un personnage intrinsèquement mauvais et uniquement déterminée par ses sombres desseins ? Les Frères Parfaict, dans leur notice consacrée à la tragi-comédie de 1633, la qualifient de « coquette »90, un terme pouvant à la fois être interprété comme un synonyme de « plaisante » et de « frivole ». Cette dénomination fait écho au traitement du personnage de Célimène dans Le Misanthrope de Molière : une jeune femme légère en proie aux manigances amoureuses. De plus, le geste dédaigneux de Rayssiguier consistant à ne qualifier son intrigante par un autre nom que celui de sa condition sociale91 permet de rapprocher ces deux caractères mondains, sans pour autant les confondre. Loin de nous l’idée d’insinuer que Rayssiguier anticipe, entre autres exemples, sur le comique du ridicule du Bourgeois gentilhomme. Car la dénomination donnée à la Bourgeoise par les frères Parfaict nous semble quelque peu exagérée. Certes, nous avons affaire à une femme qui prétend s’engager auprès d’un autre homme, ce qui la distingue de la galante qui, par son raffinement, représente une forme supérieure de civilité qui l’écarte de cette pratique. Pour autant, pouvons-nous affirmer que la Bourgeoise veut plaire à tous les hommes, quitte à ruser pour faire croire à certains que son cœur leur est acquis ? La tragi-comédie ne laisse croire à aucune de ces suppositions, tous les gestes de la Bourgeoise étant exclusivement orientés vers la conquête d’Acrise et l’élimination de ses rivaux.
La Bourgeoise nous apparaît, du point de vue dramaturgique, comme une « couche supplémentaire » rajoutée par Rayssiguier aux intrigues amoureuses et à la confusion des identités qui, à elles seules, auraient pu faire fonctionner la pièce. En élevant ce personnage jusqu’au titre de la tragi-comédie, le dramaturge ambitionnait-il de dépasser ce que le roman d’Eusthathios lui offrait, c’est-à-dire une veuve envieuse cachée derrière des amours impossibles ? Contrairement à Rodope, son alter-ego dans le roman byzantin, le nom de la Bourgeoise n’est jamais mentionné, et on ignore si elle est veuve. Au vu de la complexité de l’intrigue et de la profusion des personnages, il serait paradoxal que Rayssiguier ait décidé de ne pas s’encombrer de ces informations par simple souci d’efficacité dramaturgique. En effet, l’absence d’identité pour la Bourgeoise, au milieu de la crise d’identités des deux couples principaux, renforce le mystère et la crainte qui entourent ce personnage. En agissant dans l’ombre et en tendant à s’élever au rang de personnage principal de la tragi-comédie, elle diversifie l’action et permet aux autres personnages d’interagir encore davantage.
La prétention héroïque de la Bourgeoise §
Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’œuvre de Rayssiguier, Albert Azeyeh cerne les rapports de la Bourgeoise aux autres personnages en évoquant sa position d’héroïne de l’ombre :
la Bourgeoise, admirable intrigante à qui tout réussit dans la dissimulation, rendue à la lumière se trouve sans ressort, et perd tous ses moyens face à l’homme qu’elle aime92.
Si la Bourgeoise paraît effectivement bien moins assurée lorsqu’elle est confrontée à Acrise93, c’est avant tout parce qu’elle et lui n’appartiennent pas à la même classe sociale. En qualifiant son personnage, puis sa pièce entière, par son rang, Rayssiguier ne fait que renforcer : 1/ la disparité sociale entre la Bourgeoise et le noble Acrise ; 2/ la tendance de cette dernière à se hisser comme héroïne masquée.
En outre, le lecteur remarquera à quel point toute l’activité de la Bourgeoise se déploie dans l’ombre, à l’insu des autres protagonistes. Toute l’action dramatique, en dehors de la confusion des identités, est manœuvrée par elle. Sa position par rapport au titre de la pièce n’en est que plus paradoxale : Rayssiguier la met d’entrée de jeu en exergue, alors que toutes ses actions sont cachées des autres personnages.
Peu à peu se dessine le processus de composition de la pièce autour du personnage. En toile de fond, les identités confuses du couple Acrise-Cloris, qui forme le point de départ et le dénouement de la tragi-comédie. Entre les deux, cette question est souvent oubliée par Rayssiguier, au profit des intrigues fomentées par la Bourgeoise. Si les amours des deux couples sont contrariées, c’est en partie à cause du refus des pères. Mais tout ceci, vu à l’aune des manœuvres de l’intrigante, n’apparaît que comme un postulat qui offre à cette dernière un terreau fertile pour développer ses plans.
Les derniers instants de La Bourgeoise apparaissent dès lors comme des répercutions des reconnaissances identitaires. Pour reprendre les termes d’Azeyeh, la relation entre la Bourgeoise et Climant s’établit de manière « oblique », et intervient comme un « ricochet »94 de la liaison de Camille et Silvie.
En somme, si une partie des autres personnages que l’on peut considérer comme « principaux » dissimulent leur véritable identité, la Bourgeoise éclipse, elle, ses intentions et ses véritables sentiments. Si nous parlons, avec Azeyeh, de « prétention héroïque », ce n’est pas pour souligner la vertu du personnage – laquelle demeure, de toute manière, inexistante. Cette « prétention » se traduit indépendamment de l’orientation que Rayssiguier donne à son personnage. Sans qu’elle le veuille explicitement, la Bourgeoise se retrouve l’élément pivot entre tous les personnages, et distribue les cartes de l’action.
III. LES CONFIDENTS : ENTRE RELATIONS VERTICALES ET ÉMANCIPATION §
La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud comporte trois personnages « secondaires » dont le statut peut être assimilé à celui du confident :
- La Sœur de la Bourgeoise, qui s’entretient régulièrement avec cette dernière, et qui n’hésite pas à la contredire sur ses manœuvres dès le premier acte ;
- Climant, le secrétaire de Clerandre, à qui la Sœur de la Bourgeoise colporte partiellement les intentions du personnage éponyme ;
- Ardillan, le gentilhomme de Periandre, qui devance à plusieurs reprise l’arrivée de son maître face à son fils Acrise.
D’entrée de jeu, on comprend que ces trois personnages ne sont pas réduits au rôle d’ombre des héros. Leur fonction n’est pas de souligner ou d’acquiescer aux propos du personnage qu’ils suivent. Jacques Scherer, dans La Dramaturgie classique en France, considère en effet que « ce que le héros dit à son confident, il pourrait aussi bien le dire seul »95, ce qui n’est pas le cas dans La Bourgeoise.
Premier constat : deux personnages pouvant être considérés comme des « héros », à savoir Acrise et Atis, n’ont pas de confident attitré. Ils ne sont de facto coupés à aucun moment durant leurs monologues, tout comme ils ne précèdent aucun suivant attestant leurs dires. Rayssiguier se place à la charnière entre la disparition du chœur qui, dans le théâtre du XVIe siècle, appuyait les vers des personnages, et l’introduction de confidents qui n’existent que parce que le dramaturge a besoin d’eux pour entourer le héros, pour montrer son importance hiérarchique. Néanmoins, Albert Azeyeh considère que la fonction de Climant et d’Ardillan est d’attester, ou de rendre plus manifeste l’importance des protagonistes96. Certes, les deux entretiennent une relation verticale qui avec Clerandre, qui avec Périandre. Le premier est secrétaire, l’autre est gentilhomme. Mais ils possèdent leur autonomie, leur indépendance. La Sœur peut paraître sans la Bourgeoise (I, 4), et Climant n’apparaît avec Clerandre que dans les deux dernières scènes de la pièce97. On est encore loin du cas de figure d’Andromaque, où Racine ne laisse pas Hermione paraître face à Oreste ou Pyrrhus sans sa « confidente » Cléone.
Rayssiguier va d’ailleurs plus loin : les confidents peuvent chez lui s’émanciper au point d’échanger entre eux. En I, 4, Climant se retrouve à traverser la Seine avec la Sœur de la Bourgeoise, et les deux échangent à bord du bac à propos des ruses du personnage éponyme. De plus, en dépit de ce rapport vertical qu’ils entretiennent, on peut noter une certaine familiarité entre Ardillan et Periandre, puisque lorsqu’il est question d’Acrise, Ardillan se permet de nuancer les propos de son maître : « Estes vous donc de ceux, qui fuient la coustume ! », assène-t-il en effet à ce dernier lorsque celui-ci désespère de voir son fils se conformer à ses souhaits de mariage (I, 5).
En tout état de cause, les confidents de La Bourgeoise ne sont pas des faire-valoirs ou des ombres de leurs confesseurs. Ils possèdent leur autonomie et s’élèvent presque au statut de personnage à part entière. La place qui leur est réservée dans la tragi-comédie de Rayssiguier n’est pas due à une nouvelle aubaine dramaturgique : la Sœur, Climant et Ardillan ont tout trois leur importance dans le déroulement de l’intrigue et participent chacun du dénouement de la pièce.
LA FIGURE DU PÈRE : PRÉSENCE PHYSIQUE, PRÉSENCE MORALE §
Non contente de lier La Bourgeoise au genre tragi-comique98, la figure paternelle comme point de départ de l’action dramatique se distingue ici par sa tripolarisation. Au singulier dans la plupart des pièces, tel Roger dans Bradamante, Rayssiguier donne trois têtes à l’autorité : celle de Clerandre (le père d’Atis), de Périandre (le père d’Acrise) et de Fabrice (le père de Cloris).
Tous se retrouvent à l’origine dans un acte de refus : celui de laisser leur enfant se marier librement. La mésentente entre Fabrice et Périandre, les pères florentins, donne un socle à La Bourgeoise, puisque c’est elle qui permet le déplacement de l’intrigue à Saint-Cloud. Mais ce sont les desseins du troisième père, Clerandre, qui organisent l’action, en contrariant les projets des deux couples et en permettant, d’une certaine façon, au couple « français » d’interférer dans le couple « florentin », et inversement.
À travers le rôle conféré aux pères, Rayssiguier se montre relativement original. L’amour que contrarie Clerandre en contrarie en réalité deux. Tout tend à se multiplier, les actes et décisions de chacun entraînant des conséquences sur des personnages qui auraient pu ne pas être touchés. Les trois pères vont de pair avec les amours contrariées des jeunes gens : ils représentent le point de départ et le point d’arrivée de la pièce. C’est d’ailleurs par eux que Rayssiguier rapproche sa Bourgeoise des canons du genre de la tragi-comédie. En outre, l’élément intervenant ex-nihilo afin de donner une fin heureuse à la pièce n’est autre qu’une lettre de Fabrice, lue par Périandre aux autres personnages tous rassemblés, affirmant achevée la rivalité entre les deux familles florentines, et permettant par conséquent l’union de Camille et de Silvie. Ainsi, si Fabrice n’est pas présent sur scène et n’est incarné par aucun acteur, il demeure autant le quinzième personnage de La Bourgeoise, grâce auquel Rayssiguier peut résoudre son intrigue.
Le père n’est donc pas, à proprement parler, conçu ici comme un obstacle, de façon « analogue au roi »99. Il est l’obstacle au début de l’intrigue, et l’élément de résolution à la fin de l’œuvre. Rayssiguier facilite cette stratégie en augmentant, une nouvelle fois, le nombre de personnages du même type. De plus, les pères sont présents sans agir : dans le corps de la pièce, leurs actions sont transférées entre les mains de la Bourgeoise, pour réarranger les amours entre les jeunes gens.
VERS UN DÉSÉQUILIBRE ? §
En arrivant au terme de cette étude, une question demeure en suspens : celle du « héros » de la Bourgeoise. Nous avons évoqué le caractère noble d’Atis et d’Acrise, tout comme la volonté du personnage éponyme de se hisser au rang de moteur de l’action. Il n’empêche pourtant que ces trois personnages entrent en concurrence au moment de déterminer lequel d’entre eux prend le pas sur les autres.
D’un point de vue purement statistique, le calcul du pourcentage de vers prononcés par personnages, dont nous proposons une projection en annexe 3, révèle qu’Atis prononce à lui seul plus du quart des vers qui forment La Bourgeoise (environ 26%), tandis que la Bourgeoise en détient 19%, et Acrise 17%. Tous les autres personnages prononcent un taux de vers inférieur à 6%. Quand on connaît l’abondance de personnages dans la pièce, on est forcé de constater un quasi-monopole de la parole : en dépit de deux couples principaux, une intrigante dont le rôle façonne l’action de la tragi-comédie, trois pères dont un qui n’intervient que par le biais d’une lettre lue, trois confidents, d’un soldat fanfaron, d’un batelier et de leurs compères respectifs, ce sont trois personnages qui détiennent près des deux-tiers des vers, alors même qu’Atis, personnage majoritaire numériquement parlant, n’apparaît qu’au deuxième acte.
Toutefois, si ces considérations statistiques permettent de constater une déséquilibre dans la répartition des vers, elles ne sauraient être tenues comme une conclusion définitive. Si le nombre de personnages y est moindre, Andromaque de Racine ou Rodogune de Corneille (pour ne citer qu’elles) présentent elles aussi des personnages éponymes numériquement en retrait par rapport à d’autres personnages en termes de vers prononcés. La répartition des personnages de La Bourgeoise suit finalement un schéma classique : le personnage féminin éponyme laisse place à deux hommes incarnant les valeurs du héros.
CINQUIÈME PARTIE : Une dramaturgie du placere §
DU DIVERTISSEMENT ET DE LA CONCUPISCENCE §
Il est certain que la vraie fin de la Poésie est l’utilité, […] mais qui ne s’obtient que par le seul plaisir, comme par un passage forcé ; de façon que sans plaisir, il n’y a point de Poésie.
Jean Chapelain, préface à L’Adone de Marino (1623)
« Une pièce de théâtre assez divertissante »100 : là est le seul jugement de Rayssiguier que nous n’aurons probablement jamais sur sa Bourgeoise. Pourtant, elle semble résumer à elle seule toute son intention esthétique et tout son projet dramatique.
La notion de divertissement est en effet fondamentale dans l’œuvre de Rayssiguier, et La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud n’échappe pas à ce principe. Aux antipodes de la réflexion sur la vraisemblance qui va parsemer le XVIIe siècle littéraire, notre dramaturge, lui, se concentre sur le plaisir du public, selon une conception de la poésie plus ou moins similaire à celle de Chapelain que nous donnons en exergue.
L’absence de règle §
Dans son texte le plus cité, l’avis « Au lecteur » de L’Aminte de Tasse, Rayssiguier affirme que
ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre, & que le grand nombre des accidens & adventures extraordinaires leurs ostent la cognoissance su sujet, ainsi ceux qui veulent faire le proffit et l’advantage des messieurs qui recitent leurs vers sont obligez d’escrire sans observer aucune regle101.
Comme souvent chez notre dramaturge, il y a ambivalence : il semble d’abord dédaigneux face aux attentes du public pour finalement s’y conformer. Cette attitude vis-à-vis de son œuvre peut nous paraître opportuniste : Rayssiguier ne cherchait-il avant tout qu’à avoir du succès, quitte à compromettre l’idée qu’il se faisait de son art ? Étant donné le contexte, on répondra par la négative. Dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault102, Hélène Baby rappelle que les dramaturges du début du siècle favorisaient davantage le delectare, plus que le docere. Dans sa préface au Tyr et Sidon de Schélandre, Ogier ne disait pas autre chose que Rayssiguier, qui lui s’était refusé à développer son propos pour ne pas prolonger la glose qu’il estimait déjà suffisante103 :
La poësie, & particulierement celle qui est composee pour le theatre, n’est faite que pour le plaisir & le divertissement, & ce plaisir ne peut proceder que de la varieté des évenements qui s’y representent, lesquels ne pouvant pas se rencontrer facilement dans le cours d’une journée, les Poëtes ont esté contraints de quitter peu à peu la practique des premiers qui estoient resserez dans des bornes trop étroites104.
Notre dramaturge ne possède donc pas le monopole de ce goût pour la « prééminence du principe du plaisir », pour écrire comme Georges Forestier105. Il répond à ce que Jacques Scherer a nommé « la passion du spectacle106 » : avant que la tragédie ne recentre l’intrigue sur une action unique, un lieu unique et un temps unique, la tragi-comédie n’a pas hésité à sacrifier la simplicité de la pièce au profit des changements. De fait, on a assisté à des créations dramatiques cherchant le « plaisir des yeux107 », plutôt que la sobriété.
La Bourgeoise : une dramaturgie hétéroclite §
La Bourgeoise est l’une de ces créations, bien qu’elle ne représente pas un cas isolé. Scherer évoque, à ce propos, une tragi-comédie de Scudéry contemporaine de celle de Rayssiguier, Le Prince déguisé, en affirmant que « le succès considérable de cette pièce est dû en grande partie au “superbe appareil de la scène” que vante l’avis Au lecteur »108. Or, La Bourgeoise devait pareillement disposer, on l’a vu, d’une scénographie plurielle, avec plusieurs chambres et un fond mi-urbain, mi-pastoral109, qui ne devait pas laisser le public sans enthousiasme, comme chez Scudéry.
Partant de ce constat, et avec à l’esprit les considérations précédentes relatives au divertissement, nous proposons l’hypothèse suivante quant à la dramaturgie de La Bourgeoise. Les personnages de la tragi-comédie de Rayssiguier sont déterminés, non pas en vue d’une fin, mais en fonction d’un moyen – celui que nous nommons le placere, pour souligner la volonté de l’auteur de « plaire », d’être « agréable » envers le spectateur ou le lecteur. La recherche du plaisir esthétique, pour notre dramaturge, passe avant tout par la composition de péripéties distrayantes. Le dénouement importe en tant qu’il doit être heureux pour convenir aux attentes du public, mais le développement de l’intrigue ne lui est pas systématiquement corrélé. L’histoire passerait presque au second plan derrière la recherche du plaisir du public à voir des décors variés, des situations alternativement comiques ou tragiques, une représentation de la vie quotidienne, même si tout tend à disparaître au cinquième acte au profit de l’ultime péripétie, le retournement final qui va permettre au dramaturge de faire éviter in extremis une fin tragique à ses personnages. En cela, l’abondance des personnages est un atout pour les différents nouements de la pièce, chacun possédant ses intérêts propres et constituant à eux seul, de fait, une péripétie supplémentaire. En fin de compte, ce n’est pas tant une pièce de théâtre qu’un spectacle que le dramaturge aurait cherché à créer, même si la présente tragi-comédie n’a pas attrait au pompeux ou au merveilleux. Si le plaisir est une règle classique absolue, il devient, chez Rayssiguier, un précepte dramaturgique essentiel.
Dès lors, ce principe engendre un certain nombre de conséquences sur le cours de l’intrigue
L’IMPOSSIBLE UNITÉ DE LIEU §
Satisfaire la vue du spectateur par de multiples changements « à la face du théâtre » pose un problème lorsqu’on connaît les restrictions qu’impose l’unité de lieu. Assurément, au moment de la composition de La Bourgeoise, au début des années 1630, la règle d’unité de lieu ne jouissait pas de la rigidité qu’elle a connue durant la seconde moitié du siècle. Il serait commode de considérer que, à la manière des dramaturges préclassiques comme Hardy ou Schélandre, Rayssiguier n’imaginait pas la mise en scène de sa pièce pour se concentrer sur la partie narrative. Ce serait sans compter sur les moyens mis en œuvre à l’Hôtel de Bourgogne pour faciliter les changements de décors.
Rayssiguier n’use pas de subterfuge dramaturgique pour cacher les changements de décors de sa pièce, aussi l’on peut diviser les lieux de La Bourgeoise en deux catégories.
Les lieux hors du théâtre §
Les lieux mentionnés dans l’argument et plus tard évoqués dans le cours de la tragi-comédie ne donnent pas simplement à l’intrigue un arrière-plan : ils jouent un rôle actif dans les rapports entre les caractères et participent de la mise en place de l’action.
En outre, l’action ne pourrait se dérouler à Saint-Cloud si elle n’était pas passée au préalable par l’Italie et par la Hollande. La confusion des identités d’Acrise et de Cloris tient en partie de ce changement de lieu, et l’amitié entre Acrise et Atis nait de leur rencontre ou ce dernier s’était rendu pour « laisser des marques de son courage », pour reprendre les termes de l’argument. Les voyages et les déplacements sont donc le vecteur des relations entre les personnages de La Bourgeoise. Tous se rendent à Saint-Cloud pour préparer les potentiels mariages, et c’est à ce moment précis que l’action de la pièce, à proprement dite, démarre. Albert Azeyeh ne manque d’ailleurs pas de souligner la prépondérance du voyage dans l’œuvre de Rayssiguier :
il faudrait voir dans l’ensemble des déplacements le dessin d’un même projet de contact et de communication avec le partenaire amoureux. Le voyage comporte en effet chez Rayssiguier une fonction conative indéniable110.
Sans nous référer pareillement à des concepts linguistiques, cette analyse nous démontre à quel point l’unité de lieu pouvait être chimérique aux yeux de notre dramaturge. L’histoire dépend tout entière de ces déplacements, au point que l’on pourrait tracer l’itinéraire des pérégrinations des personnages à travers l’Europe. Les événements ayant lieu sur la scène sont déterminés par des composantes hors-scène, comme si Saint-Cloud devenait le centre névralgique d’une histoire se déroulant sur plusieurs pays.
Les lieux dans le théâtre §
L’Ouest parisien n’est donc qu’un prétexte pour le dramaturge, le lieu qui lui permet de faire converger tous ses personnages pour donner à voir au public le dénouement d’une intrigue dont les origines prennent source dans l’enfance des héros florentins. Ce décor, que l’on pourrait qualifier de « faubourg à volonté111 » tant la localisation précise de l’action demeure abstraite, est le premier moyen pour Rayssiguier de se conformer à la volonté du public en lui montrant un cadre auquel il est accoutumé, en y insérant une action qui trouve sa source ailleurs en Europe. Saint-Cloud et Boulogne sont autant de motifs pour insérer les personnages annexes que sont le Batelier et son Compère.
Afin de situer le passé nomade de ses personnages principaux, Rayssiguier use du procédé ordinaire de l’action rapportée au travers du discours des acteurs. Néanmoins, il n’abat pas toutes ses cartes dès le premier acte, aussi le spectateur devra attendre la troisième scène de l’acte III pour en savoir davantage sur le passé de Cloris :
Je nacquis à Florence, & la mesme journee
On devoit voir ma vie, en naissant terminee
[…]
J’avois desja sept ans quand une paix commune
Remit chacun chez soy pour suivre sa fortune.112
Le fait que ces informations relatives au passé voyageur des héros soient données au compte-goutte montre que la question des lieux est intimement liée à une autre problématique inhérente à la dramaturgie de La Bourgeoise : celle du changement d’identités.
MULTIPLICITÉ ET CONFUSION DES IDENTITÉS §
La métamorphose de Camille en Acrise et de Silvie en Cloris qui engendre la non-reconnaissance des amants une fois parvenus à Saint-Cloud est l’un des fondements de la tragi-comédie, sans pour autant en être le thème principal.
La position de Rayssiguier par rapport au déguisement de ses héros florentins semble similaire à celle de Corneille par rapport aux personnages de Don Sanche d’Aragon. Cette « Comédie héroïque » de 1649 donne à voir le personnage éponyme se faisant appeler « Carlos » pour cacher ses origines modestes, et ainsi obtenir des faveurs de la Cour en racontant ses aventures. Et, selon Georges Forestier :
La finalité dramatique d’un tel déguisement est indéniable, quoiqu’elle ne ressortisse à aucun des buts dans lesquels se distribuent le plus grand nombre des déguisements : elle s’appuie sur les ressorts de la vraisemblance et de la psychologie113.
Cette analyse s’applique aussi bien à La Bourgeoise. Certes, la finalité dramatique de ces changements de patronymes est évidente : elle engendre des quiproquos, des regrets, des sentiments frustrés et, par extension, des passions. Mais, d’un point de vue dramaturgique, ce changement d’identité demeure complètement injustifié – du moins par Rayssiguier lui-même, qui se contente d’annoncer, dans l’argument, que Camille a pris le nom d’Acrise en Hollande, et que Silvie s’est vue attribuée le nom de Cloris par Clerandre, mais là encore, sans raison apparente.
Ce déguisement patronymique représentait-il une solution de facilité pour Rayssiguier ? Il ne pousse pas, en tout état de cause, le procédé jusqu’à faire changer de condition aux personnages concernés114. Mais ce choix ne paraît orienté que vers un but : renforcer le socle des péripéties que le dramaturge donne à voir au public. De plus, le déguisement n’engendre pas de travestissement, car la non-reconnaissance de Camille et de Silvie provient avant tout de la vieillesse de chacun.
LE PATHÉTIQUE : VOLONTÉ TRAGIQUE, EFFET COMIQUE §
Si La Bourgeoise peut avoir attrait à la comédie, la forme qui lui donne Rayssiguier, au-delà de la composition des actes, lui donne un ton qui, à première vue, peut sonner résolument tragique. Les monologues que prononcent majoritairement Atis et Acrise (leur permettant, in fine, de détenir respectivement près de 26 % et 17 % des vers prononcés115) sont autant de « tunnels » pouvant occuper des scènes entières. En cela, les caractères se rapprochent du pathétique en tant que leurs paroles prononcées apparaissent comme tragiques et désespérées, bien qu’elles puissent être interprétées par le public sur un mode ironique, en particulier lors des complaintes d’Acrise (en II, 2) et d’Atis (en IV, 4).
L’usage des stances par Rayssiguier au sein de sa pièce contribue à ce souffle tragique destiné à émouvoir le public. Elles ne sont pas insérées artificiellement dans la pièce : elles interviennent toujours durant un monologue, en ouverture ou au milieu de celui-ci, comme si, de l’alexandrin, la parole du personnage se transformait naturellement en octosyllabe. En cela, deux moments dans la pièce sont à relever : le monologue d’Acrise en II, 2, et celui d’Atis en IV, 4. Tous les deux sont construits sur le même modèle : seul, le jeune héros fait état de sa situation. Pour reprendre les analyses de Jacques Scherer116, les stances occupent ici la fonction du chœur dans le théâtre du XVIe siècle, ou du coryphée dans le théâtre antique. Y recourir permet au dramaturge de suspendre le déroulement de l’intrigue pour insister sur la détresse morale d’un personnage. Atis et Acrise y analysent leurs sentiments, pour revenir à une forme un alexandrin et y tirer des conclusions – pour Acrise, la mort (qui se solde par un évanouissement), pour Atis, le désespoir d’avoir trahi, sans le vouloir, la confiance de son ami. Notons que, si la résolution des stances amènent, dans La Bourgeoise, à des décisions tragiques, elles sont immédiatement contrecarrées par un deus ex machina, à savoir l’arrivée de Cloris au chevet d’Acrise à l’acte II, ou l’intervention de la Bourgeoise auprès d’Atis à la fin de l’acte IV, menant ce dernier au duel avec Acrise. Du point de vue dramaturgique, les stances représentent donc un moyen, pour Rayssiguier, d’opérer un va-et-vient entre les passions, entre le tragique et le comique, et entre les émotions du public.
Car le pathos émit par la tragi-comédie ne saurait se tenir qu’à la compassion pour des héros malheureux. Il provient aussi de la violence physique, d’un malheur haineux. Bien entendu, cette violence est éludée dans La Bourgeoise, grâce aux faits rapportés par la Sœur de la Bourgeoise pour la mort du Vaillant fanfaron (III, 1), et par l’intervention in extremis du Périandre pour contrer le duel entre Atis et Acrise (V, 4). Pourtant, le duel en question demeure original parce qu’il entend faire s’affronter deux amis dont la rivalité a été inventée par la Bourgeoise plus tôt dans la pièce, sous le regard du lecteur ou du spectateur, ce qui ne fait qu’ajouter à la tension de la scène, contrariée au dernier moment pour amener au dénouement heureux, rejoignant là le projet dramaturgique de Rayssiguier : tout en maintenant une interaction avec le public, le dramaturge oriente son œuvre vers un fin satisfaisante envers les attentes des spectateurs.
CONCLUSION §
Contente toy donc en sa lecture si elle te plaist, sinon laisse la comme une chose qui n’a jamais esté, & tu ne feras que ce que je fais tous les jours en pareille rencontre.
Rayssiguier, Avis au lecteur de La Bourgeoise (1633)
Si à nous, lecteurs au fait des plus grandes œuvres théâtrales du XVIIe siècle, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud peut paraître étonnante, voire déroutante, par sa dramaturgie, la profusion de ses personnages, ou encore ses péripéties emmêlées, elle fut une pièce parfaitement ancrée dans son époque. En 1633, La Bourgeoise de Rayssiguier correspond aux critères que l’on attend d’une telle tragi-comédie : décors à la limite du spectaculaire, intrigue plurielle, dramaturgie composite pour se conformer aux attentes d’un public en quête de multiples changements « à la face du théâtre ». En dépit des libertés qu’elle prend par rapport aux canons de la tragi-comédie régulière, notamment sur la question du genre, elle demeure un exemple typique de la production théâtrale des années 1628-1637, soit l’âge d’or de la tragi-comédie.
Après Corneille et la révolution du Cid en 1637, une pièce telle que La Bourgeoise apparaît tout simplement impossible, avant tout par la mise en question des unités et le recentrement de l’intrigue, mais aussi, plus tard, par le retour progressif de la tragédie. Lorsque Rayssiguier donne, en 1636, son œuvre la plus proche de La Bourgeoise, sa tragi-comédie Les Thuilleries, il semble aux antipodes des débats qui, lors de la querelle du Cid, vont agiter les lettres françaises. Lui qui s’était insurgé, pratiquement dès le début de sa carrière littéraire, contre les règles au nom de la liberté de l’écrivain, le voilà face à des controverses convoquant Aristote et Horace comme modèles à suivre. Dénué de volonté ou incapable de simplifier et de renforcer l’intrigue de ses pièces, Rayssiguier a donc vraisemblablement arrêté d’écrire.
Entre autres œuvres, il nous reste de ce dramaturge cette Bourgeoise, témoin discret d’une époque méconnue du théâtre français, une tragi-comédie urbaine, ironique, à la fois complexe et légère – en un mot, « divertissante », continuant de démontrer que Rayssiguier a bien atteint l’objectif dramaturgique qu’il s’était fixé.
Note sur la présente édition §
Édition utilisée §
La présente édition reproduit l’édition originale de La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, imprimée à Paris chez Pierre Billaine, en 1633, avec un privilège pour une durée de six ans, daté du 17 août de la même année. La date exacte d’achevé d’imprimer n’est pas mentionnée dans les éditions que nous avons pu consulter. L’imprimeur est Jacques Bessin, ayant exercé de 1610 à 1641 dans son atelier situé au Cour d’Albret. L’exemplaire prend la forme d’un in-8º (« in-octavo ») : les feuilles ont été plié en quatre, un feuillet équivalant donc à seize pages. L’exemplaire de cette édition est disponible à la Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac, sous la cote Z-ROTHSCHILD-4142. Une microfiche de cette édition est conservée dans la même bibliothèque, sous la cote YF-6792.
Autres exemplaires consultés §
Deux autres exemplaires de La Bourgeoise sont disponibles à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. Il s’agit de deux « collectifs factices » (assemblage par collages de plusieurs pièces d’un ou de plusieurs auteurs, sans aucun autre avis liminaire expliquant l’entreprise que les privilèges originaux) du théâtre de Rayssiguier, présentant la même édition de La Bourgeoise et contenant les mêmes manquements que l’édition sur laquelle nous avons fondé notre travail.
Le premier de ces « collectifs factices », disponible sous la cote GD-1686, se veut le deuxième volume du « Théâtre de Rayssiguier », contenant d’abord La Bourgeoise, puis une tragicomédie pastorale inspirée de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, intitulée Palinice, Circeine et Florise. Un mot des différences formelles entre ces deux pièces : La Bourgeoise comporte un « Extraict du Privilege du Roy », pas Palinice. Les libraires sont différents : pour La Bourgeoise, Pierre Billaine ; pour Palinice, Antoine de Sommaville.
Le second « collectif factice » que nous avons consulté se trouve également être le deuxième volume du « Théâtre de Rayssiguier », présentant en premier lieu L’Aminte du Tasse, tragi-comédie pastorale et traduction « libre et partielle » d’une pastorale de Torquato Tasso, puis La Bourgeoise. La facticité de ce recueil se révèle dans le fait que L’Aminte soit imprimée directement sur le papier, l’encre étant bien séchée à même la feuille, tandis que pour La Bourgeoise, il s’agit tantôt d’une reproduction de l’édition du GD-1686 (elle-même semblable à l’exemplaire sur lequel nous avons établi notre édition) collée sur des feuillets vierges qui suivent L’Aminte, tantôt des feuillets de cette même édition « incrustés » dans les pages de l’in-8º. Et de nouveau, les libraires diffèrent, avec Augustin Courbé pour L’Aminte, et toujours Pierre Billaine pour La Bourgeoise.
Exemplaires non consultés §
Deux exemplaires que nous n’avons pas consultés sont conservés hors de France : l’un en Grande-Bretagne, à la British Library de Londres (cote 242.h.16.[3.]), l’autre en Irlande, au Trinity College de Dublin (cote OLS B-6-700 no.1 – Early Printed Books).
A notre connaissance, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud n’a pas été éditée de nouveau depuis 1633.
Description de l’édition originale de 1633 §
La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, tragi-comédie, In-8º, 9 feuillets dont 1 non-paginé, 159 pages [XXVIII-131p.]. Privilège du 17 août 1633 ; achevé d’imprimé à une date inconnue.
[I] LA / BOURGEOISE / OU, / LA PROMENADE / DE S. CLOUD / TRAGI-COMEDIE / Par le Sr de Rayssiguier / [fleuron du libraire] / A PARIS. / Chez Pierre Billaine, ruë S. Jacques / à la Bonne-Foy, devant S. Yves / [filet] / M. DC. XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] Verso blanc
[III-X] [bandeau] / A / MONSIEUR / BRIOTS CONSEILLERS / Secretaire du Roy, Maison & / Couronne de France, Seigneur / de Bagnolet. / [Épître dédicatoire]
[XI] [bandeau] / AU LECTEUR / [Avertissement au lecteur]
[XII-XVII] [bandeau] / ARGUMENT / [Argument]
[XVIII] Verso blanc
[XIX-XXVI] [bandeau] / STANCES, / A MONSIEUR LE / Marquis d’Ambres, Che– / valier des Ordres du Roy, / & son Lieutenant au gou –/ vernement du haut Lan– / guedoc. / [Stances]
[XXVII] [filet] / Extraict du Privilege du Roy. / [Texte de l’extrait du privilège] / Signé, BORACE.
[XXVIII] [filet] / ACTEURS. / [liste des acteurs]
1-131 : Texte de la pièce.
Établissement du texte §
Même lorsqu’elles pouvaient heurter le lecteur moderne, nous avons pris le parti de conserver la graphie et l’orthographe de l’édition originale, sauf quand celle-ci paraissait fautive. Toutefois, nous avons opéré quelques changements :
- Conformément à l’usage moderne, nous avons distingué les « u » des « v », et les « i » des « j ».
- Les « ß » ont été changés en « ss », et les « ſ » en « s ».
- Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde (« ~ ») en voyelle + consonne, pour marquer la nasalisation.
Rappelons bien qu’au XVIIe siècle, les participes présents sont toujours variables : le lecteur ne s’étonnera donc pas de trouver des formes en « –ants », tout comme des pluriels en « –ez » ou des deuxièmes personnes du pluriel en « –és ». De plus, Rayssiguier omet pratiquement systématiquement le « d » de « Saint-Cloud » au sein du texte de la pièce : toujours dans cette perspective de respecter le plus possible l’édition original, nous avons décidé de ne pas le rétablir lorsqu’il était manquant.
Nous avons choisi de conserver les esperluettes « & », employées systématiquement, sauf en début de vers. Le doublement des consonnes, aléatoire au XVIIe siècle, n’a pas été corrigé lorsqu’il était fautif par rapport à l’orthographe moderne (on trouvera, par exemple, autant de « flame » que de « flamme »).
En ce qui concerne les accents diacritiques, nous les avons rétablis là où, aujourd’hui, leur absence induirait une faute de sens. La majorité des pronoms « où » comportaient déjà un accent dans notre édition, nous les avons ainsi rajoutés lorsque les simples conjonctions « ou » présentaient un faux sens, aux vers suivants : 7 ; 81 ; 89 ; 199 ; 285 ; 313 ; 334 ; 602 ; 1228 ; 1425 ; 1677. Nous renvoyons à la liste des coquilles ci-infra pour les autres rétablissements ou suppressions d’accents diacritiques.
Si nous avons pris la liberté de corriger la ponctuation lorsqu’elle semblait réellement erronée, nous avons choisi de la conserver telle quelle, à l’instar de l’orthographe de l’édition originale.
Afin de respecter l’usage typographique moderne, les vers, imprimés en italiques dans l’édition de 1633, ont été reproduits en caractères romains. A l’inverse, les didascalies, imprimées en caractères romains, ont été reproduites en italique dans la présente édition. Aussi, ces didascalies, insérées aléatoirement dans l’édition originale dans un souci d’économiser le papier dont le coût était fort élevé au XVIIe siècle, ont été uniformisée dans la présente édition : on les trouvera ici avant le vers indiqué, en retrait de la marge, et entre parenthèses.
Enfin, concernant la pagination, nous avons reproduit la numérotation des cahiers de l’in-octavo au sein de notre édition. Les pages du premier cahier, non indiquées sur l’édition d’origine, ont été signalées ici en chiffres romains et entre crochets, jusqu’au début du texte de la pièce – là où débute la numérotation en chiffres arabes, également signalée entre crochets parallèlement au décompte des vers.
Interventions sur le texte §
Comme le présente le tableau suivant, nous avons corrigé, après vérification des orthographes dans les dictionnaires du français classique, les coquilles présentes dans l’édition de 1633, résultant probablement d’erreurs d’inattention de la part l’imprimeur :
Vers Erreur/coquille Correction apportée
[Épître] « qne » « n » changé en « u » : « que »
Stances, v. 74 « seauroient » « sauroit »
[Liste des acteurs] « CLIMAND » « CLIMANT »
[Liste des acteurs] « PERIANDRE frere d’Acrise » « PERIANDRE pere d’Acrise »
[Liste des acteurs] « ADRILLAN » « ARDILLAN »
24 « à » « a »
112 « un homme à plus de grâce » « a » (verbe)
122 « accomoder » « accommoder »
130 « tu fera » (sans « s ») « feras »
149 « attante » « attente »
150 « la sœur » « ta sœur »
152 « subjiet » « subjet »
160 « la » « là »
179 « à » « a »
199 « Holande » « Hollande »
[I, 6] « La Montaigne » Uniformisé en « La Montagne »
210 « ce siecles » Singulier : « ce siècle »
228 « desaminez » Inversion « n » et « m » : « desanimez »
241 « à » « a »
268 « vid » « vis »
281 « font » « fait »
282 « clein d’œil » « clin » (sans e)
287 « accoustumee » « accoustumé »
292 « ost » « tost »
294 « peut » « peust » (subjonctif)
345 « se sera » « se » changé en « ce »
356 « [elle] à veu » « à » « a » (verbe)
351 « se seroit » « ce seroit »
401 « entretient » « entretien »
454 « desreiglement » « desreglement »
547 « & » (remplacé par une virgule pour que le vers soit juste)
467 « melancholie » « melancolie »
471 « de » « des »
476 « des » « de »
472 « martire » « martyre »
489 « où » « ou »
490 « où » « ou »
493 « où » (sur les deux occurrences) « ou » (sur les deux occurrences)
555 « à » « a »
570 « où » « ou »
649 « de » « des »
677 « affaillir » « affaiblir »
[IV, 2, p. 79, titre courant] ACTE TROISIESME [Au lieu d’« ACTE QUATRIESME », titre courant non reproduit dans notre édition]
707 « à » « a »
731 « n’acquis » « nacquis »
734 « peut » « peust » (subjonctif)
811 « assurez » « assuree »
819 « où » « ou »
833 « qu’elle » « quelle »
836 « où » « ou »
854 « où » « ou »
874 « de » « des »
955 « la » « le »
996 à 1002 [omission de la rubrique « Atis. », rétablie]
1021 « mesprise » « mesprises »
1062 « traversoit » « traversoient »
1088 « tire » « tiré »
1109 « son conte. » « son compte. »
1138 « avec » « avecque »
1199 « regnez » « regnés » (2e personne sing.)
1207 « de discours » « des discours »
1250 « Mr » « Monsieur »
1473 « frire » « frère »
1479 « m’à » « m’a »
1497 « de » « des »
1538 « mesconterés » « mescontenterés »
1540 « poin » « poing »
1546 « vanger » « venger »
1618 « est » « et »
1630 « Mr » « Monsieur »
1656 « vos » « vous »
Précisons également que notre pièce comportait plusieurs vers ne présentant pas les douze syllabes attendues dans un alexandrins. Cinq en comportaient onze, nous avons pris le parti de leur rajouter une syllabe, signalée à chaque fois entre crochets :
- Vers 86 : nous lui rajoutons le possessif « ma » ;
- Vers 859 : nous ajoutons l’adverbe « là » pour renforcer l’adjectif final du vers ;
- Vers 1082 : nous renforçons la négation en introduisant l’adverbe « pas ».
- Vers 1118 : nous transformons le présent « est » en imparfait « estoit » ;
- Vers 1138 : nous l’introduisons par la conjonction « si » ;
- Vers 1323 : nous l’introduisons par la conjonction « car ».
Après correction de la coquille qu’il contenait, le vers 1538 présente, lui, une treizième syllabe : nous le laissons inchangé (voir la note sur ce vers).
Corrections de ponctuation §
Les erreurs de ponctuations que présentait notre exemplaire ont été corrigées comme le présente le tableau ci-après :
Vers Erreur/coquille Correction apportée
[Argument] « , » à la fin du paragraphe « . » en fin de vers
[Liste des acteurs] « fils de Périandre, » « fils de Périandre. » (point)
10 (rien) « . » en fin de vers
40 « maimera » « m’aimera » (rajout apostrophe)
109 « amant » sans point « amant. »
140 (rien) « . » en fin de vers
221 (rien) « , » à l’hémistiche
290 « les fers les plombs : » « les fers, les plombs, »
330 « : » « . »
343 (rien) « ? » en fin de vers
347 « par quel chemin, » « par quel chemin ? »
514 « . » « , »
521 (rien) « , » à l’hémistiche
546 « ? » « . »
570 « , » « ? »
646 (rien) « , » à l’hémistiche
747 « : » « . »
748 « : » ?
838 « loix, » « loix. »
940 « . » en fin de vers « , »
941 « , » en fin de vers « . »
1008 (rien) « . » en fin de vers
1046 (rien) « . » en fin de vers
1054 (rien) « , » en fin de vers
1084 (rien) « . » en fin de vers
1326 « . » en fin de vers « , »
1327 « , » en fin de vers « . »
1399 (rien) « . »
1424 (rien) « . » en fin de vers
1469 (rien) « . » en fin de vers
1485 « , » « : »
1486 « : » « , »
1505 « , » « . »
1511 « , » « . »
1519 (rien) « , » en fin de vers
1589 (rien) « . » en fin de vers
1593 (rien) « . »
1652 (rien) « . » en fin de vers
1664 « , » en fin de vers « . »
Renvois §
Les astérisques « * » renvoient au lexique situé après le texte de la pièce où figurent la définition des termes auxquels ils succèdent. A quelques exceptions près, ces définitions proviennent du dictionnaire de Furetière (1690), selon l’indication (F).
Concernant les notes de bas de page, les renvois lexicographiques sont faits aux dictionnaires suivants :
- (Académie) : Académie française, Dictionnaire, 1694 (sauf mention contraire : édition de 1835).
- (Furetière) : Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, 1690.
- (Godefroy) : Godefroy, Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, F. Vieweg, 1880-1895.
- (Huguet) : Huguet, Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, 1925.
- (Richelet) : Richelet, César-Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, 1680.
A MONSIEUR §
BRIOYS117 CONSEILLER §
Secretaire du Roy, Maison & Couronne de France, Seigneur de Bagnolet.
Monsieur,
Dans les habitudes118 & les conversations que j’ai eu à la Cour depuis que j’y suis, & dans la [IV] lecture des livres, qui nous ont laissé la vie des plus grands hommes des siecles passez ; j’ay remarqué que les vertus Eminentes119 comme celles qui sont en vous, ont d’ordinaire donné de l’admiration aux honnestes* gens, & de l’envie aux autres. Cette consideration m’a fait estudier toutes les actions de vostre vie, non pas avec le dessein de ces mauvais esprits qui ne peuvent manier les belles choses sans les gaster : mais avec dessein de faire voir que la Fortune* n’est pas toujours injuste, & qu’elle sait quelquesfois assembler les biens avec le mérite. Après la particuliere cognoissance que j’ay eu de tout ce que vous avez fait, j’ay cru que je serois coupable des fautes [V] que l’ignorance faict faire à la plus part de ceux qui parlent de vous sans vous cognoistre, & qui donnent à vos actions le premier nom que leur passion* ou leur interest leur met à la bouche, si je ne faisois voir qu’elles ont pour fondement des vertus si solides, & des liaisons si necessaires pour le bien public, qu’il est impossible d’y trouver à redire sans passer pour le plus stupide ou le plus malicieux120 homme de la terre. Et je m’estonne* que l’on puisse trouver des hommes si deraisonnables que de les desaprouver, veu que nostre Prince121, qui est le plus Juste & le plus Judicieux Roy de la terre, les a trouvées si advantageuses pour son service*, & pour le bien122 de ses subjets, qu’il ne les a [VI] pas seulement approuvées, mais vous en a loüé de la propre bouche. Et ce grand homme, à qui la France doit le repos* qu’elle avait si long temps perdu123, & dont elle jouït aujourd’huy pas son moyen, a tesmoigné cent fois que jamais homme n’avait conduit les actions avec plus de prudence que vous, qui dans les moindres choses avez faict voir que l’esprit & le jugement estoient en vous des qualitez beaucoup plus excellentes qu’elles ne sont aux autres hommes. Mais sans m’amuser à parler particulièrement de cette judicieuse conduite avec laquelle vous maniez la plus chatoüilleuse124 & la plus importante necessité de toute la police125 : que pourront [VII] dire les plus envieux, quand ils verront que vous ne faites point estat des biens dont la Fortune* vous a faict part, que comme s’ils vous avoient esté baillez en depost126, & pour exercer vostre liberalité127 sans autre dessein que de satisfaire à cette genereuse inclination que vous avez de faire du bien. Et ceux qui d’ordinaire sans consideration, & sans jugement blasment ou loüent toutes choses, auront-ils plus de voix que pour vous loüer, ny de mouvements* que pour vous benir, s’ils considerent le grand nombre d’honnestes* gents, qui soubs vostre adveu & dans vos emplois, trouvent dequoy passer une vie [VIII] lee128, & dequoy se tirer des incommoditez qu’ils ont eu, ou de leur naissance ou de leur mauvaise fortune*. Si cela ne les touche qu’ils aillent à vos maisons : & ils verront qu’un nombre infini de pauvres y trouve tous les jours un revenu assuré & capable de les nourrir : sans toucher aux secretes & grandes liberalitez129 qui obligent* la plus part des bons religieux à prier Dieu pour la longueur de vostre vie & de vostre prosperité. Je suis fasché que le ressentiment que j’ay eu contre l’ingratitude de quelques hommes en vostre endroit, m’ait obligé* à particulariser des choses que vostre discretion voudroit pouvoir tenir se– [IX]– cretes. Mais la crainte que j’ay eu de n’attirer sur moy le blasme que ces gens là meritent, & le delir que j’avois de faire voir à tout le monde les excellentes qualitez qui sont en vous, m’ont fait escarter du principal dessein de ceste Epistre, qui ne tend qu’à vous supplier, d’avoir agreable que sous vostre nom je face voir au public, Ma Bourgoise, ou, Ma Promenade de Sainct Clou, qui est une piece de theatre assez divertissante, comme vous le jugerez si vous daignez luy donner demi heure, & vous delasser130 en sa lecture du travail que vous donnent continuellement vos occupations les plus importantes. Vous avez le natu– [X]– rel trop bon, & l’esprit trop doux, pour n’agreer pas le present que je vous fais de ce Poëme & de son Auteur, qui est entierement
MONSIEUR,
Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur,
De Rayssiguier.
[XI]
AU LECTEUR. §
Je t’aurois laissé voir cette derniere piece de moy sans t’en donner l’argument131 : mais parce que le tiltre que je luy donne de la Bourgoise ou de la Promenade de Sainct Clou, pourroit arrester ton imaginatation à des choses vaines132, je te le donne assez ample133, & te prie de croire que je ne luy ay point donné ce tiltre sans sujet. Contente toy donc en sa lecture si elle te plaist, sinon laisse la comme une chose qui n’a jamais esté, & tu ne feras que ce que je fais tous les jours en pareille rencontre134.
Adieu.
[XII]
ARGUMENT. §
Fabrice Gentilhomme Florentin, durant les divisions de l’Italie135, eut une fille nommee Silvie, d’une beauté si excellente, que dès l’aage de huit à dix ans elle estoit l’admiration de tout le monde, & particulierement d’un jeune Gentilhomme, son voisin apellé Camille, à qui le voisinage, & l’egalité de l’aage donnoient la liberté de l’entretenir, quoy que fils de Periandre, ennemy de Fabrice & de party contraire. Cet innocent entretien136 en deux ans fit naistre en leurs jeunes cœurs une amour reciproque & si grande, que le père de Silvie s’en apperçeut : & craignant que cette affection croissant avec l’aage ne fust un sujet pour renouveler leurs vieilles dissentions, se resolut d’emmener Silvie aux champs, & de là, la faire conduire secrettement en France chez son amy Clerandre, avec une lettre qui luy faisoit sçavoir la raison pour laquelle il la luy envoyait, & le [XIII] dessein qu’il avoit de passer luy-mesme les monts, & de renouveler leur ancienne amitié, par le mariage d’Atis fils unique de Clerandre, & de Silvie la fille, qu’il desiroit estre desormais appellée Cloris.
Cependant il fait courir le bruit que sa fille est malade, & quatre ou cinq jours apres qu’elle estoit morte : & pour mieux faire passer sa feinte137, il fait porter à Florence un fantosme dans une biere, & le fait enterrer avec tant de ceremonies & de témoignages d’un vray desplaisir, que chacun creut la mort de sa fille. Camille qui veritablement aymoit Silvie, & qui la croyoit morte, en fust tellement affligé*, qu’apres avoir mouillé de ses larmes le funeste138 tombeau où il la croyoit enfermee, quitta Florence, au desçeu139* mesme de son père, & fult long temps en Hollande, où sous le nom d’Acrise, il acquit par sa valeur l’amitié des plus honnestes* gens, & particulièrement celle d’un jeune seigneur François qui estoit allé en Hollande pour trouver les occasions* d’y laisser les marques de son courage*. Mais son père l’ayant mande140, il fut contraint de songer à son depart, & ne pouvant quitter son amy, filt tant envers luy, qu’il l’emmena en France, où Clerandre père d’Atis le receut avec autant de tesmoignages d’affection que son fils propre.
[XIV] Dans le mesme logis vivoit Cloris, qui estoit destinee femme d’Atis. En leur voisinage y avoit une jeune Damoiselle nommee Florise qui estoit fort belle, & une jeune bourgeoise qui n’avoit pas moins d’apas que l’une & l’autre, elle vivoit si familierement avec Florise, qu’elle l’appelloit sa maistresse* & l’autre son serviteur : les visites qu’elles faisoient souvent chez Cloris, firent qu’Atis jetta les yeux sur Florise, & l’ayma si fort qu’il ne se soucioit plus de Cloris, ny du dessein que son père avoit de le marier avec elle, mais il en estoit receu fort froidement141.
Acrise qui voyoit tous les jours Cloris avec les mesmes traits qu’il avoit autrefois adorez en Silvie, sans considerer ny ce qu’il devoit à son ami, ny les serments qu’il avoit faits de n’aimer jamais que Silvie, l’adoroit en se taisant. Cloris pour les mesmes raisons, sentoit en soy des mouvements* puissants à l’aimer, ne se pouvait pourtant imaginer qu’Acrise fut son Camille tant pour la distance des lieux que pour le long temps qu’elle avoit esté sans le voir. Ces deux Amants* tenoient leur passion* si secrette, qu’ils n’osoient pas mesme la decouvrir l’un à l’autre : Mais La Bourgeoise qui aimoit passionnément Acrise, y prit bien tost garde, & se resolut d’y mettre tel empeschement qu’elle peust seule posse– [XV]– der Acrise, comme sa vanité le luy faisoit esperer : elle commença donc de presser Clerandre d’achever le mariage de son fils avec Cloris pour des raisons pressantes qu’elle luy dit. A quoy le père se resolut : & à cet effet emmena Cloris, Acrise & son fils, en une belle maison qu’il avoit à Sainct Clou, pour mettre la derniere main à leur mariage.
La Bourgeoise qui ne pouvoit vivre loin de son cher objet, les y suivit bien tost avec Florise, qu’elle avoit resolu de perdre, ayant apris de Climant que Clerandre la vouloit marier avec Acrise, & pour venir about de son dessein, fit advertir un certain fanfaron qui aimoit Florise, & le fit resoudre à l’enlever lors qu’elles passeroient par le bois de Boulongne. Ce qui eut esté fait si Atis qui avoit sceu la venuë de Florise, ne luy fust allé au devant*, & ne feust arrivé dans le bois, sur le point que le fanfaron l’enlevoit sans resistance. La presence & le danger de sa Dame luy firent mettre l’espee à la main contre le ravisseur qu’il mit à mort, & emmena à Sainct Clou sa maistresse* : Et La Bourgeoise, qui fachee d’avoir failli* son coup*, cherche d’autres moyens pour venir à bout de son dessein. Elle presse derechef142 le père, & fait qu’il commande absolument à son fils de n’aimer que Cloris.
[XVI] Cependant elle met une telle aversion pour Acrise dans l’esprit de Florise, & tant d’amour pour Atis, qu’elle la faict resoudre de se rendre religieuse si elle n’espousoit point Atis, q’uelle aymoit veritablement, quoy qu’il ne le creut pas, parce que La Bourgeoise qui s’estoit chargee de le luy faire sçavoir, au lieu de luy dire cette verité, faisoit son possible à luy persuader d’espouser Cloris, luy representant l’ingratitude de Florise, qui sans considerer les obligations qu’elle luy avoit, avoit agreé la proposition que Cleradre luy avoit faite de se marier avec Acrise. Atis touché de ses discours*, creut que son amy estoit coupable du mauvais tratement qu’il recevoit de Florise, & sur cette opinion le fit advertir qu’il le vouloit voir l’espee à la main : Acrise faché de se voir cotraint de se battre contre son amy s’y resoult pourtant, jugeant qu’Atis avoit raison de se vouloir vanger de luy, puis qu’il avoit esté si ingrat en son endroit & si mauvais amy, que d’aymer Cloris qui devoit estre la femme.
A peine furent-ils sur le lieu, que commençants à se mesurer ils furent separés par deux Estrangers, qui se firent bien-tost cognoistre par leurs exclamations de joye, l’un pour le père d’Acrise, & l’autre pour un sien amy qui avoit accompagné le père. Atis estonné* de ceste rencontre le fust davantage quand [XVII] il sceut qu’Acrise estoit Camille, & qu’il aimoit Clorise, & les emmene tous chez luy. Où d’abord* il fait sçavoir à son père qu’Acrise est Camille & fils de Periandre. A ces mots, son père se resouvenant de la lettre de Fabrice, pour contenter tout à faict Camille la luy donne à lire. Ainsi Camille recongnoit sa Silvie, & Silvie son Camille. Et Florise fait voir à son Atis que ses rigueurs143 passees luy feront des aiguillons pour les douceurs qu’elle luy prepare. Et la Bourgoise qui voit toutes ses esperances ruinees, se resout à cherir l’affection de Climant secretaire de Clerandre qui l’amoit avec passion*, s’estimant encore trop heureuse de voir que ses malices n’estoient cognues que d’elle.
[XIX]
STANCES, §
A Monsieur Le Marquis d’Ambres144, Chevalier des Ordres du Roy, & son Lieutenant au gouvernement du haut Languedoc
Grand Marquis, qui portez la gloire, 1
Partout où le soleil reluit,
De qui les faits ont plus de bruit
Que les exploits de ceux qui vivent dans l’histoire :
Pour satisfaire à mon debvoir, 5 [XX]
J’ay voulu souvent faire voir,
Les effets de vostre courage*,
Mais le nombre m’ayant surpris,
J’ay laissé mon ouvrage,
Et blasmé le dessein que j’avois desja pris. 10
Non pas que mon ingratitude
M’ait fait taire si longuement :
C’est que pour parler dignement
De vos hautes vertus il faut un long estude145 :
Et les esprit sles plus puissants, 15
Apres le travail de dix ans,
Confesseront que vos loüages
Sont beaucoup pardessus l’humain
Et qu’il faut que les Anges
Pour bien parler de vous prennent la plume en main 20
Et dans les vers que je vous donne [XXI]
J’aurois trop de temerité,
Si je prenois la vanité
D’avoir l’art de vous faire une digne couronne.
Non non, ce n’est pas mon dessein, 25
Le feu* qui m’eschaffe le sein*,
A des visees moins hautaines.
Je veux faire voir seulement,
Que nos monts, & nos plaines,
Ont de vostre valeur leur embelissement. 30
Sans vous nostre belle Province,
Eust esté le cruel* butin,
Des efforts d’un demon mutin
Qui rendoit les sujets rebelles à leur Prince146.
Tout alloit estre deserté, 35
Quand vos armes ont arresté
Cette excessive violence : [XXII]
Et fait porter le repentir* ;
De leur folle insolence,
Et des maux qu’ils tachoient de nous faire sentir. 40
Vostre bras qui portoit la foudre,
Où les rebelles persistoient,
Fit de ceux qui luy resistoient,
Et de leurs bastions, une masse de poudre.
Tout fit place à vostre vertu, 45
Leur courage* fust abatu ;
Et lors qu’ils vous rendoient les armes,
Pleins de joye, & d’estonnement*
Ils montroient en leurs larmes
Que par vostre douceur, vous vainquiés doublement. 50
Parmi les graces qu’ils vous rendent [XXIII]
Sans crainte ils recueillent leurs fruicts,
Et dans l’oubly de leurs ennuis*,
Le Ciel leur donne plus cent fois qu’ils ne demandent.
Les prez y sont de fleurs couverts 55
Et les ombrages toujours verds,
Dans nostre AGOUST se glorifie,
Attirent Nimphes, & Bergers,
Dont le repos* desfie,
Vous ayant pour suport, la guerre, & ses dangers. 60
Chacun sans haine, & sans enuie*,
Vous met au rang des demi-dieux
Et fait aller jusques aux Cieux
Les vœux* advantageux qu’on fait pour vostre vie. [XXIV]
Les uns souhaitent que vos jours, 65
Sans que rien en trouvle le cours
Soient toujours glorieux, & calmes ;
Les autres que sa Majesté
Vous couronne de palmes,
Et donne à vos hauts faits ce qu’ils ont mérité. 70
Pour moy dans ces souhaits publiques147,
Satisfait de vous admirer,
Je ne sçay que vous desirer,
Car mes vœux* ne scauroient estre assez magnifiques.
Le Ciel qui peut tant seulement 75
Recompenser parfaitement,
Prendra le soin de recognoistre,
Ce que vous avez fait pour nous, [XXV]
Puis qu’il vous a fait naistre
Avecques des vertus qu’on ne trouve qu’en vous, 80
Cependant que toute la terre,
Admire vos exploits guerriers,
Qu’on vous couronne de lauriers,
Que l’on doibt justement aux foudres de la guerre.
Je me croiray trop satisfaict, 85
Lors que vous dirés que j’ay fait,
Quelque chose qui vous contente,
C’est là mon souverain bon-heur
Et toute mon attente,
Si le Ciel m’aime encor’ est d’avoir cet honneur. 90
Agreez doncq que je publie,
Dans les vers que je vous escris, [XXVI]
Que le travail de mes esprits
A vostre seul service* entierement se lie
Et que si vous me recevez 95
Les qualitez que vous avez
Esleveront si haut ma plume,
Que sans orgueil je me promets
De tracer un volume,
Où vos faicts glorieux se liront à jamais. 100
MONSIEUR,
Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur.
De Rayssiguier.
[XXVII]
Extraict du Privilege du Roy. §
Par grace & Privilege du Roy, scelé le dixseptiesme d’Aoust 1633, il est permis à Pierre Billaine148 Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une Tragicomedie intitulee La Bourgeoise ou, la Promenade de Sainct Clou, composé par le Sieur de Rayssiguier, pendant le temps de dix ans, & deffenses sont faictes à tous autres Imprimeurs & Libraires, d’imprimer ladite Tragicomedie ny d’en vendre d’autre impression que celle dudit Billaine, sur peine de confiscation desdits exemplaires, & de mil livres d’amande149, comme plus au long est contenu audit Privilege.
Signé, BORACE.
[XXVIII]
ACTEURS §
- LA BOURGEOISE.
- LA SŒUR de la Bourgeoise.
- FLORISE.
- LE BASTELIER.
- LE COMPERE du Bastelier.
- CLIMANT
- Secretaire de Clerandre.
- PERIANDRE
- pere d’Acrise.
- ARDILLAN
- gentilhomme de Periandre.
- LE VAILLANT FANFARON.
- LA MONTAGNE
- compagnon du Fanfaron.
- ATIS
- fils de Clerandre.
- ACRISE
- fils de Periandre.
- CLORIS.
- CLERANDRE.
LA
BOURGEOISE
OU
LA PROMENADE
DE S. CLOUD
ACTE I. §
SCENE PREMIERE.[A, 1] §
La Bourgeoise.
La Sœur.
La Bourgeoise.
La Sœur.
La Bourgeoise.
La Sœur.
La Bourgeoise.
La Sœur.
La Bourgeoise.
La Sœur.
La Bourgeoise. [6]
SCENE DEUXIESME. §
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
SCENE TROISIESME. §
Le Batellier.
Le Compere.
Le Batellier. [12]
Le Compere.
SCENE QUATRIESME. §
Climant.
Le Batellier.
Le Compere.
Climant. [13]
Le Batellier.
Le Compere.
Climant.
Climant.
La Sœur.
Climant.
Climant.
La Sœur.
Climant.
La Sœur. [15]
Climant.
La Sœur.
Climant.
SCENE CINQUIESME. §
Periandre.
Ardillan.
Periandre.
Ardillan. [18]
Periandre.
Ardillan.
Periandre.
Ardillan.
Periandre.
Ardillan.
Periandre.
SCENE SIXIESME. §
Le Vaillant.
La Montagne.
Le Vaillant. [23]
La Montagne.
Le Vaillant.
La Montagne.
Le Vaillant.
La Montagne.
Le Vaillant.
La Montagne.
Le Vaillant.
La Montagne.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
Atis.
Climant.
Atis.
Climant.
Atis.
Climant.
Atis.
Climant.
Atis.
Climant.
Atis.
Climant.
Atis.
SCENE DEUXIESME. §
Acrise
SCENE TROISIESME. §
Cloris.
Acrise.
Acrise. [38]
Cloris.
Cloris.
Acrise.
Cloris.
Acrise.
O merveille adorableCloris.
Acrise.
Cloris.
Acrise.
Cloris.
Acrise. [40]
Cloris.
Acrise.
Cloris.
Acrise.
Cloris.
Acrise.
Cloris.
SCENE QUATRIESME. §
Clerandre.
Climant.
Clerandre. [43]
Climant.
Clerandre.
Climant.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
Climant.
La Sœur.
Climant. [46]
La Sœur. [47]
Climant.
La Sœur.
Climant. [48]
La Sœur.
SCENE DEUXIEME. §
SCENE TROISIESME. §
Cloris seule.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise. [57]
Cloris.
La Bourgeoise.
Cloris.
La Bourgeoise.
SCENE QUATRIESME. §
Florise.
Atis.
Florise.
Atis.
SCENE CINQUIESME. §
La Bourgeoise seule.
Acrise.
La Bourgeoise.
Acrise.
La Bourgeoise.
Acrise.
La Bourgeoise.
Acrise.
Acrise seul. [E, 65]
SCENE SIXIESME. §
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise dit ce vers tout bas.
Atis.
Acrise. [69]
Atis.
Acrise dit ces trois premiers vers tout bas.
Atis.
Acrise tout bas.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise.
Atis.
Acrise tout bas. [73]
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
Florise.
Atis.
Florise.
Atis.
Florise seule se montrant.
SCENE DEUXIESME. §
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
SCENE TROISIESME. §
Climant.
La Bourgeoise.
Climant.
La Bourgeoise.
Climant.
La Bourgeoise. [84]
Climant.
La Bourgeoise.
La Bourgeoise seule.
SCENE QUATRIESME. §
Atisseul.
SCENE CINQUIESME. §
Clerandre.
Atis.
Clerandre.
Atis seul.
SCENE SIXIESME. §
La Bourgeoise.
Atis.
La Bourgeoise.
Atis.
La Bourgeoise.
Atis.
La Bourgeoise.
Atis.
La Bourgeoise.
Atis.
(Il dit ce vers tout bas.)
La Bourgeoise seule.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
La Bourgeoise Seule.
SCENE DEUXIESME. §
Florise.
La Bourgeoise. [100]
Florise.
La Bourgeoise.
Florise.
Florise.
La Bourgeoise.
Florise voyant Cloris qui faict semblant de se retirer.
Cloris.
Florise.
Cloris.
SCENE TROISIESME.
Atis seul.
Acrise, sans voir Atis qui l’attend.
Atis, voyant Acrise.
Acrise. [107]
Atis.
Acrise.
SCENE QUATRIESME. §
Atis, Acrise.
Ardillan.
Atis.
Ardillan.
Periandre.
Acrise.
Periandre.
Ardillan.
Acrise.
Acrise desormais Camille. [110]
Atis.
Ardillan.
Camille.
Atis.
Atis.
Periandre.
Atis.
Camille.
Atis.
Periandre.
SCENE CINQUIESME.[H, 113] §
Cloris, Florise,
Clerandre seul.
(Il parle à La Bourgeoise, à Florise & à Cloris.)
La Bourgeoise.
Climant survenant. [115]
Clerandre.
Cloris.
Clerandre.
Cloris.
Clerandre,
Cloris.
Clerandre.
Climant.
SCENE SIXIESME. §
Cloris, Camille, Florise,
Adrillan, La Bourgeoise, Climant.
Atis.
Clerandre.
Atis.
Clerandre. [119]
Cloris.
Camille.
Cloris.
Florise.
Clerandre.
Camille.
Camille.
Clerandre.
Vous vous trompés, Silvie est encore vivante,
Et de ce que je dis Cloris est tres sçavante.
Camille.
Helas j’ay veu son père accablé soubs le dueil,
Pleurer dessus la fille enfermee au cerceuil.
Clerandre.
Et moy je viens de voir vostre Silvie en France.
Camille.
Vous me voulés donner une fausse esperance.
Clerandre.
Non, non, lisés cela.
La Bourgeoise. [122]
Tout se va renverser,
Silvie a son Camille, il n’y faut plus penser,
En tout cas je sçay bien qu’ils ignorent mes ruses,
Et que mon amoureux recevra mes excuses.
CAMILLE lisant la lettre [123]
de Fabrice à Clerandre.
Fabrice à son amy Clerandre.
Cher amy quoy que la distance de nostre demeure soit grande, je croy que nostre amitié se maintient aussi forte qu’elle estoit lors que nous nous voyons tous les jours : & pour vous tesmoigner que je n’en doute point, je vous envoye ce que j’ay de plus cher : elle est encore fort jeune, & son age ne permet pas de passer si tost à l’execution de mon dessein, que je vous prie d’avoir agreable, puisqu’il ne tend qu’à reconfirmer nostre amitié par le mariage de vostre fils avec elle. Vous vous estonnerés* d’abord* de cette procédure, mais quand vous sçaurés qu’en l’age mesme qu’elle est, elle a conceu une violente affection pour Camille fils de Periande mon ennemy mortel, & que Camille a conceu pour elle une pareille passion* dans les entretiens que le voisignage & l’innocence de leur age leur a permis : vous approuverés la cruelle* feinte dont je me suis servi pour ruiner leur amour. Je vous ay secrettement envoyé Sylvie, que desormais je vous prie de nommer Cloris, soubs pretexte de l’emmener aux champs ; & quatre ou cinq jours apres j’ay faict courir le bruit de sa mort & fait porter à Florence dans une biere un fantosme enfermé, au lieu de son corps que l’on a enterré en presence de Camille, qui a accompagné mes feintes larmes de pleurs, & de souspirs* si veritables qu’il m’a esmeu à pitié. Mais ne voulant point faire alliance avec le sang de mon ennemy j’ay mieux aymé me priver de la presence de ma fille que de voir à son subjet renouveller nos dissentions. Prenés en donc le mesme soing que si elle estoit vostre, attendant que mes affaires me permettent de passer moy-mesme les monts pour aller passer le reste de mes jours avec mon cher Clerandre.
FABRICE.
Periandre.
Clerandre. [126]
Florise.
Clerandre.
Ardillan.
La Bourgeoise dit ce vers tout bas.
Camille.
Atis.
Monsieur c’est maintenant que vous me faites naistre,
Puis que vous permettés à ma fidelles ardeur
De chercher les moyens de vaindre sa froideur.
La Bourgeoise.
(Dit ces quatre premiers vers tout bas.)
Voulant tromper autruy je me suis bien trompee,
Il faut icy pourtant faire mon cooup d’espee :
En tout cas j’ay tousjours mon fidelle amoureux,
Qui de me posseder se croira trop heureux,
Florise ne dit mot & demeure confuse,
Ne sçachant plus comment vous faire quelque excuse.
Je sçay bien toutesfois sans la faire parler, [128]
Clerandre.
Periandre.
Camille.
Cloris, ou Silvie.
Atis.
Florise.
Climant.
La Bourgeoise. [130]
Climant.
La Bourgeoise.
Climant.
La Bourgeoise.
Climant. [131]
La Bourgeoise.
F I N
Lexique §
Pour une lecture plus aisée, nous avons adopté les abréviations suivantes (par ordre chronologique de publication) :
- (R) : Richelet, Dictionnaire françois, Genève, Jean-Herman Widerhold, 1680
- (F) : Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690.
- (A) : Académie française, Dictionnaire, Paris, Veuve de Jean-Baptiste Coignard, 1694
- (H) : Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Edouard Champion, 1925
***
ANNEXE 1 : SCHÉMA DES RELATIONS ENTRE LES PERSONNAGES §
ANNEXE 2 : RECONSTITUTION DE LA SCÉNOGRAPHIE DE LA PIÈCE §
2.1. Les illustrations de Mahelot
Fig. A : Décoration des Folies de Cardénio de Pichou (1630)
Fig. B : Décoration des Vendanges de Suresnes de Du Ryer (1633-1634)
2.2. Tentative de reconstitution de la scénographie de La Bourgeoise
ANNEXE 3 : POURCENTAGE DE VERS PRONONCÉS PAR PERSONNAGES §
*Autres : la Montagne, le Batelier et le Compère du Batelier.
ANNEXE 4 : L’AVIS « AU LECTEUR » DE L’AMINTE DE TASSE §
C’est estre bien hardy que d’entreprendre de te faire voir l’Aminte du Tasse en nostre langue, & de vouloir faire monter ce Pasteur estranger sur nostre Theatre, ceux qui cosnoissent l’excellence de son Autheur n’y trouveront pas peut-estre toutes ses graces, & les autres sans chercher des raisons ailleurs me blasmeront de ceste entreprise. Prens la peine de lire mes vers, & attens d’en dire ton advis que tu aye tout leu. Je te donne ceste punition, cependant que j’attendray sans beaucoup m’esmouvoir tout ce qui m’en peut arriver, Si je doits croire pourtant ceux qui l’ont veu, qui ont l’oreille & le goust aussi delicats que tu sçaurois avoir, tu y trouveras des choses qui te contenteront. Je n’ay pas entierement suivi mon Autheur, pour vouloir faire paroistre les effets dont il ne fait que la description, outre que l’on sçait bien qu’il est difficile de suivre ou d’imiter cet Italien. Je ne m’amuseray point à te parler de la nature de ce poëme, ny de la rigueur de ses reigles, les Prefaces de quelques-uns de nos escrivains sont assez amples pour t’en instruire sans que je t’en parle, & me suffit que je les aye suivi exacterment & que je fasse voir que nostre Theatre peut estre aussi agreable en observant les regles où ceste sorte de poëme nous engage que dans la liberté que nous avons prise. Je ne blasme personne, & disant mon advis hardiment je croy que l’un & l’autre façon d’écrire doit estre souferte sans blasme. La premiere parce que tous les anciens se sont attachez à ceste rigeur, & qu’il est presque impossible en la suivant de faire paroistre aucune action contre le sens commun, ou contre le jugement. Et l’autre parce que la plus grande part de ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité & changement de la face du Theatre, & que le grand nombre des accidens & adventures extraordinaires leurs ostent la cognoissance du sujet, ainsi ceux qui veulent faire le proffit et l’advantage des messieurs qui recitent leurs vers sont obligez d’escrire sans observer aucune regle. Les plus fins de l’un & de l’autre parti, sont bien empeschez de faire quelque chose où il ny ait rien à redire pour moy je faits estat de ce qui est bon, où je le trouve & croy que les plus raisonnables font de mesme que moy, chacun est libre pourtant de dire son advis de toutes choses. Je me range avec douceur au jugement des honestes gens, & ris de celuy des autres, aussi escri-je avec ceste resolution de ne me soucier pas beaucoup du blasme que possible quelques-uns me donneront, & de ne m’eslever pas des loüanges que je pourrois recevoir des autres, en un mot. Lecteur, je ne crains point qu’il m’en arrive rien qui me fâche.
Adieu.
Bibliographie §
I. Sources §
1. Corpus §
Rayssiguier, Sieur de, La Bourgeoise ou, la promenade de S. Cloud, Paris, Pierre Billaine, 1633.
2. Œuvres de Rayssiguier §
Rayssiguier, Sieur de, L’Aminte de Tasse, Paris, Augustin Courbé, 1631.
Rayssiguier, Sieur de, Palinice, Circeine et Florice [deux éditions consultées] :
– Édition critique établie par Fallom Tay dans le cadre d’un mémoire de master I sous la direction de Georges Forestier, Université Paris-IV Sorbonne, 2011-2012, disponible en ligne sur la Bibliothèque dramatique du CELLF : http://bibdramatique.huma-num.fr/pdf/rayssiguier_palinice.pdf.
– Paris, Antoine de Sommaville, 1634.
Rayssiguier, Sieur de, Tragicomédie pastoralle, ou Les Amours d’Astrée et de Céladon, Paris, Nicolas Bessin, 1630.
3. Sources antiques §
Aristote, La Poétique, éd. Michel Magnien, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques », 1990.
Aristote, La Rhétorique, éd. Pierre Chiron, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2007.
4. Sources imprimées antérieures à 1800 §
Aubais, Charles de Baschi, Marquis d’, Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France avec des notes historiques & géographiques, Tome second, Paris, Hugues-Daniel Chaubert et Claude Herissant, 1759.
Corneille, Pierre, Œuvres complètes. t. I, édition de Georges Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980.
Du Ryer, Pierre, Alcimédon, Tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1636.
Du Ryer, Pierre, Les Vendanges de Suresnes, Paris, Antoine de Sommaville, 1636.
Eustathios, Les Amours d’Ismènes et d’Isménie, Paris, Toussaint du Bray, 1625.
Garnier, Robert, Bradamante, dans Bradamante – Les Juifves, éd. Marcel Hervier, Paris, Classiques Garnier, 1991 [1582].
Lebeuf, Jean, Histoire de la ville et de tout le diocese de Paris, tome 6, Paris, Peault Père, 1657.
Parfaict, Claude et François (dit « Frères »), Histoire du théâtre françois, Paris, Le Mercier et Saillant, 1745.
Pichou, Sieur, Les Folies de Cardénio, Tragi-comédie dédiée à Monsieur de Saint-Simon, Paris, François Targa, 1630.
Urfé, Honoré d’, L’Astrée, éd. Jean Lafond, Gallimard, coll. « Folio », 1984 [1607-1627].
II. Instruments de travail §
1. Dictionnaires §
Académie française, Dictionnaire, Paris, Veuve de Jean-Baptiste Coignard, 1694.
Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que moderne, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690.
Gaffiot, Félix, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 2000.
Godefroy, Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, F. Vieweg, 1880-1895
Huguet, Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Edouard Champion, 1925.
Richelet, Pierre, Dictionnaire françois, Genève, Jean-Herman Widerhold, 1680.
2. Grammaire, ponctuation et versification §
Bellanger, Léon, Études historiques et philologiques sur la rime française, Angers, Tandron et Dalloux, 1876.
Forestier, Georges, « Lire Racine », dans Racine, Jean, Œuvres complètes, Théâtre – poésie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999.
Forestier, Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2017 [1ère édition : 1993].
Fournier, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, coll. « Lettres sup », 2002.
Riffaud, Alain, La Ponctuation du théâtre imprimé au XVIIe siècle, Genève, Droz, coll. « Travaux du Grand Siècle », 2007.
Sancier-Château, Anne, Introduction à la langue du XVIIe siècle, t.1 Vocabulaire et t. 2 Syntaxe, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1993.
Tobler, Adolphe, Le Vers français ancien et moderne, trad. Karl Breul et Léopold Sudre, Paris, F. Wieveg, 1885.
III. Études et travaux critiques §
1. Ouvrages historiques ou généraux §
Meyer, Jean, Histoire de France. t. 3 : La France moderne, 1515-1789, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », 1985.
Milza, Pierre, Histoire de l’Italie, des origines à nos jours, Paris, Hachette, coll. « Grand pluriel », 2013.
2. Histoire du théâtre du XVIIe siècle §
Baby, Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque de l’Âge classique », 2001.
Barbillon, Chrystelle, Mode narratif, mode dramatique : l’adaptation théâtrale de fiction narrative au XVIIe siècle en France, Thèse de doctorat sous la direction de Georges Forestier, Université Paris-Sorbonne (Paris-IV), 2012.
Forestier, Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2004.
Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, coll. « Histoire des Idées et Critique Littéraire », 1988.
Forestier, Georges, La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques, Paris, Armand Colin, coll. U, 2010.
Guichemerre, Roger, La Tragi-comédie, Paris, Presse universitaire de France, 1981.
Howe, Alan, Écrivains de théâtre, 1600-1649, Paris, Centre historique des archives nationales, 2005.
Lancaster, Henry Carrington, A History of French dramatic literature in the seventeenth century. Part 1: the preclassical period, 1610-1634, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, Les Presses Universitaires de France, 1929.
Pasquier, Pierre (éditeur), Le Mémoire de Mahelot, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources classiques », 2005.
Pasquier, Pierre et Surgers, Anne (dir.), La Représentation théâtrale en France au XVIIe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Lettres sup », 2011.
Riffaud, Alain, Répertoire du théâtre français imprimé, 1630-1660, Genève, Droz, coll. « Travaux du Grand Siècle », 2009.
Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France. Nouvelle édition revue et mise à jour par Colette Scherer, Paris, Nizet, 2001 [1ère édition : 1950].
3. Études sur Rayssiguier §
– Thèse §
Azeyeh, Albert, Distances et convergence : les conditions, les moyens et le mode d’existence du théâtre de Rayssiguier, Thèse de doctorat sous la direction de Jacques Morel, Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris-III), 1977.
– Articles §
Andrian, Gustave W., « Early Use of the Lyric Monologue in French Drama of the Seventeenth Century », dans Modern Language Notes, The John Hopkins University Press, Vol. 68, Nº2, pp. 101-105, 1953.
Lancaster, Henry Carrington, « De Rayssiguier », dans Revue d’Histoire littéraire de la France, Presses Universitaires de France, 29e année, Nº3, pp. 257-267, 1922.
Lancaster, Henry Carrington, « Gaillard’s Criticism of Corneille, Rotrou, Du Ryer, Marie de Gournay, and Other Writers », dans PMLA, Modern Language Association, Vol. 30, Nº3, pp. 500-508, 1915.
Lida de Malkiel, Maria Rosa, « De Centurio al Mariscal de Turena : Fortuna de una frase de La Celestina », dans Hispanic Review, University of Pennsylvania Press, Vol. 27, Nº2, Part. II, pp. 162-163, 1959.
IV. Sitographie §
Bibliographie de la littérature française [en ligne]. Classiques Garnier, 2020. Disponible sur : https://classiques-garnier-com.janus.bis-sorbonne.fr/
Grand Corpus des Dictionnaires [9e-20e s.] [en ligne]. Classiques Garnier, 2020. Disponible sur : https://www-classiques-garnier-com.accesdistant.sorbonne-universite.fr
Klapp Online [en ligne]. Vittorio E. Klostermann, 2020. Disponible sur : https://www-klapp-online-de.janus.bis-sorbonne.fr
Théâtre Classique [en ligne]. Paul Fièvre, 2007-2019. Disponible sur : https://www.theatre-classique.fr
REMERCIEMENTS
Je souhaite exprimer ici ma gratitude envers M. Georges Forestier pour ses précieux conseils et directives, ainsi que pour son suivi attentif durant cette riche année, y compris lorsqu’un virus venu d’Orient nous a malheureusement contraints à travailler à distance.
Je tenais également à remercier Albane, Alix, Cécile, Ismaïl, Julia et Joanna, pour leur gentillesse, leur prévenance et leur amitié.