ENNEMIE
DE
MONSIEUR SALLEBRAY
Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE, en la Ga-
lerie des Merciers, à l'Escu de France,
&
AUGUSTIN COURBE, en la mesme Ga-
lerie, à la Palme.
M. DC. XXXXII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2017-2018).
Introduction §
Le temps aura obscurci la vie de cet auteur et fait passer aux oubliettes l’ensemble de son œuvre. Sallebray, pourtant connu au xviie siècle, n’évoque désormais plus rien à personne. Le mystère qui plane autour de lui reste difficile à réduire. Il en est de même pour sa pièce : l’obscurité règne encore sur sa représentation et sa réception. La pièce a souvent été critiquée par des lecteurs un peu trop scrupuleux du respect des règles classiques, ne permettant pas d’apporter un jugement représentatif de l’intérêt et des qualités de cette pièce. C’est en effet son caractère « déréglé » qui aura sûrement choqué plusieurs adeptes de la fameuse règle des unités et des autres règles classiques. Nous allons tenter de rétablir un peu de lumière sur la vie obscure de cet auteur et présenter les principaux intérêts qui caractérisent L’Amante ennemie de façon plus juste que ne l’ont fait les lecteurs des xviiie et xixe siècles.
Incertitudes et contradictions : un inconnu qui fait débat §
Les mystères autour de son œuvre §
L’œuvre de Sallebray semble poser problème auprès de plusieurs historiens : il est en effet difficile de savoir quels textes en font partie ou non. La première publication qui nous soit parvenue serait une ode pour le Roi intitulée Description de la belle chapelle de la maison royale de Fontainebleau1, que Roméo Arbour date de 16352. Viennent ensuite ses pièces de théâtre : Le Jugement de Pâris ou Le Ravissement d’Hélène, tragi-comédie publiée le 5 mai 1639 ; La Troade, tragédie publiée le 30 mai 1640 et qui fait suite au Jugement de Pâris ; La Belle Égyptienne et L’Amante Ennemie, deux tragi-comédies publiées toutes les deux le 2 mai 1642. Ces publications sont celles dont l’attribution ne pose pas de problèmes, car nous en avons encore la trace de nos jours. C’est d’ailleurs sûrement pour cette raison que Roméo Arbour ne garde que ces quatre pièces et cette ode.
En revanche, trois pièces divisent les chercheurs : L’Enfer divertissant, datée de 16393, Le Mariage mal assorti (sans date et attribué également à Sainville), et enfin Andromaque datée de 16494. Dans la chronologie des auteurs présente dans le Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres d’Antoine de Léris5, sept pièces sont attribuées à Sallebray. Or, si l’on en revient à la liste qui précède, nous comptons pour le moment quatre pièces dont l’attribution ne pose pas de problèmes. Léris prend donc en compte les autres pièces, même s’il attribue lui aussi Le Mariage mal assorti à Sainville et qu’il se montre prudent à propos d’Andromaque. Dans d’autres cas, certaines des quatre pièces évoquées ci-dessus n’apparaissent pas, contrairement à celles qu’il est difficile d’associer à Sallebray. C’est le cas notamment dans Le Théâtre François de Samuel Chappuzeau6, où nous ne trouvons que trois pièces associées à son nom : L’Enfer divertissant, La Belle Égyptienne et Andromaque « piece de machines7 ». Difficile d’expliquer l’absence de ses pièces les plus connues, à commencer par Le Jugement de Pâris, qui a tout de même eu un grand succès lors de sa remise en scène de 16578… Les sept pièces sont attribuées à Sallebray (Le Mariage mal assorti est aussi attribué à Sainville) dans deux ouvrages : Le Dictionnaire dramatique9 et les Anecdotes dramatiques10.
Selon Gustave van Roosbroeck, Le Mariage mal assorti n’aurait pas été publié, tout comme Andromaque et L’Enfer divertissant11. Néanmoins, Léris affirme que L’Enfer divertissant est une comédie « imprimée en 163912 ». Pour ce qui est de la pièce Le Mariage mal assorti, elle est à la fois attribuée à Sallebray et à Sainville et aucun auteur ne se risque à trancher pour l’un ou l’autre. Dans la Bibliothèque des théâtres de l’avocat Maupoint, si l’on cherche directement le nom de la pièce, voici ce que l’on y trouve : « Le Mariage mal assorti, C. en trois Actes de M. Sainville, cette piece n’a pas été représentée. » Or, les pièces de Sainville n’ont jamais été représentées. Quant à la publication de cette pièce, voici ce que nous dit Antoine de Léris : » Le MARIAGE MAL ASSORTI, Com. en 3 Ac. par Sallebray, ou par Sainville. Cette piece parut vraisemblablement dans le siecle dernier, car elle est indiquée sans date13 ». La date exacte semble donc être introuvable.
Henry Carrington Lancaster ne parle pas du Mariage mal assorti mais revient cependant sur L’Enfer divertissant et Andromaque. Il remet notamment en question l’existence de L’Enfer divertissant14. Il est en effet assez difficile de savoir si cette pièce a bien existé, malgré le fait que Léris affirme qu’elle a été imprimée en 1639, puisqu’il ne nous en reste aucune trace. Lancaster ajoute dans une note située sur la même page : « La. Bib. Du th. Fr., III, 14, dit de cette pièce qu’il s’agit d’une comédie imprimée en 1639, mais l’auteur de la Bibliothèque ne semble apparemment jamais l’avoir vue15. » D’où proviendrait alors cette pièce si elle n’a effectivement jamais existé ? À ce niveau-là, difficile d’apporter une réponse.
Pour ce qui est d’Andromaque, Lancaster estime qu’il y a eu une confusion avec La Troade : « Andromaque, mentionnée dans ce même ouvrage, renvoie probablement à La Troade de Sallebray, dans laquelle Andromaque apparaît16. » Néanmoins, Georges Monval a, de son côté, réussi à dater cette pièce et la date ne correspond à aucune autre édition de La Troade. Il est possible que le titre de La Troade ait été changé pour celui d’Andromaque lorsqu’elle a été transformée en pièce à machine en 1649, exactement comme Les Sosies de Rotrou (1637) devenus une pièce à machine intitulée La Naissance d’Hercule, ou L’Amphitryon17 en 1649. Enfin, Charles de Mouhy réduit les pièces de Sallebray aux quatre pièces que nous avons mentionnées plus haut. Dans son Abrégé de l’histoire du théâtre, il écrit à propos de Sainville et du Mariage mal assorti18 :
On ne trouve aucune date à ces Comédies ; tout ce que m’en a appris feu M. de Bombarde, c’est qu’elles sont toutes manuscrites, en différents cabinets d’Amateurs, & que le même Sainville est aussi l’Auteur du Mariage mal assorti, Comédie en trois Actes, en vers, imprimée sans date, & que c’est mal-à-propos que cette Piece a été attribuée à Sallebray.
En ce qui concerne L’Enfer divertissant et Andromaque, voici ce qu’il écrit : « Je supprime ici l’Enfer divertissant, & Andromaque, Tragédies, que quelques Ecrivains du Théâtre attribuent mal-à-propos à ce Poëte19. » Les auteurs semblent donc divisés, mais on peut penser, compte tenu du manque de preuves, que seules les quatre pièces mentionnées plus haut peuvent être attribuées à Sallebray.
En dehors des pièces de théâtre, Sallebray a écrit un madrigal publié dans La Lyre du Jeune Apollon ou La Muse naissante du Petit de Beauchasteau20 et une épigramme du Songe du Resveur21. On trouve également deux poèmes liminaires en son nom à Marie Stuart reyne d’Ecosse22 de Regnault (1639) et à La Belle Quixaire23 de Gillet de la Tessonnerie (1640). Beaucoup plus tard, Sallebray propose une traduction en 1673 au Miroir noble de Hasbaye, écrit par le chroniqueur liégeois du xive siècle Jacques de Hemricourt. L’épître est dédiée à Jean-Gaspard Ferdinand de Marchin, époux de Marie de Balzac de Clermont d’Entragues. Celle-ci devait sûrement être la protectrice de Sallebray, puisque deux épîtres lui sont dédiées dans l’édition de la pièce Le Jugement de Pâris24, et dans la réédition de 1671 de la pièce La Belle Égyptienne à Bruxelles, sous le nom de « Madame la comtesse de Marchin ». À la suite du mariage de Marie de Balzac de Clermont-d’Entragues et Jean-Gaspard-Ferdinand de Marchin, le 28 mai 165125, les deux hommes ont pu établir un contact. Dans l’épître à l’édition de sa traduction, Sallebray écrit :
MONSEIGNEUR,
Je suis infiniment obligé à Vostre Excellence du choix qu’elle a daigné faire de ma personne pour l’Education, & la conduitte de Monsieur son Fils, luy qui doit soutenir cette grande reputation qu’elle a acquise dans les premiers Emplois de la guerre, & qui en donne déjà de si belles esperances par les rares qualitez qu’il possede en un âge si peu avancé.
Il aurait donc été choisi pour être le précepteur de leur enfant, Ferdinand de Marchin, et pour remercier le comte de Marchin, Sallebray a décidé de traduire cette œuvre qui témoigne des origines nobles de la famille de Marchin. En tout cas, cette traduction semble être le dernier ouvrage qui lui soit associé. L’œuvre de Sallebray s’étale donc entre la supposée année 1635 et l’année 1671, avec une production plus dense dans les années 1639-1642, et se compose principalement de poèmes et de pièces de théâtre. Néanmoins, sa vie ne saurait se résumer à celle d’un homme de Lettres.
Un fidèle serviteur du Roi §
Pour ce qui est des autres métiers qu’il a pu exercer après sa période théâtrale, les travaux de Nicolas Besongne nous sont d’une grande aide. En analysant les différentes éditions du premier tome de L’État de France26, où il registre l’ensemble des hommes ayant été au service du Roi en fonction des années, on remarquera tout d’abord qu’un manque est à déplorer dans la toute première édition de 166127 : Sallebray n’y apparaît pas, alors qu’un madrigal écrit par « Monsieur de Salbray », servant de poème liminaire à La Lyre du Jeune Apollon ou La Muse naissante du Petit de Beauchasteu28, montre qu’il était déjà valet de chambre du Roi avant cette période. En effet, l’édition de ce texte est datée du 23 avril 1657, et Sallebray s’y présente comme « Valet de chambre du Roi ». Selon Mathieu Da Vinha29, Sallebray a commencé à être valet de chambre en 1648 et a remplacé Jehan Edouin (il n’a donc pas acquis son titre par survivance), mais aucune date proche de l’année 1657 n’apparaît dans ses années de charge. La prochaine date associée à Sallebray dans le texte de Mathieu Da Vinha est celle de 1664. Or, l’édition de 1663 rajoutait dans la liste des Valets de chambre du Roi, à la date de 1663, un « M. Salebret30 ». Difficile de savoir donc à quelle date Sallebray a commencé à travailler et surtout quelles étaient l’ensemble de ses années de charge. Néanmoins, jusqu’à l’édition de 167431, Sallebray est systématiquement classé dans la colonne « En Juillet » parmi les Valets de chambre, ce qui nous permet d’affirmer qu’il faisait partie des Valets de chambre qui travaillaient durant le quartier de Juillet32.
À partir de l’édition de 1677, toujours dans la liste des valets de chambre du Roi, une information supplémentaire est ajoutée : « Le Sieur de Salbray, Concierge de la Chancellerie de France à Fontainebleau33. » Mathieu Da Vinha note que Sallebray est devenu « concierge garde-meuble de la Chancellerie de Fontainebleau » le 24 avril 1672. Dans les Comptes des Bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, à l’entrée « Années 1680 » et à la date du 15 septembre, un certain « Louis Sallebray » a été payé pour son travail à la Chancellerie de Fontainebleau34. Toutes ces informations nous conduisent à penser qu’il aurait vécu à Fontainebleau. L’ode qu’il a pu écrire sur la chapelle de la maison royale de Fontainebleau35 était déjà une preuve importante, mais l’on trouve une information plus précise dans les Extraits d’actes et notes concernant des artistes de Fontainebleau, regroupés par Félix Herbet36. Le 25 octobre 1654, un certain « Etienne de Salbray, maître chirurgien » est évoqué37. Un peu plus loin dans l’ouvrage, il est question du contrat de mariage de « Jean Canto, maître apothicaire, veuf de Marie de Salbray », daté du 12 septembre 169438.
Si l’on se repenche sur L’État de France de Nicolas Besongne, dans l’édition de 1692, on trouve dans la liste des Valets de chambre du Roi : « Le Sieur Loüis de Salbray […] & en survivance Etienne de Sallebray son neveu39 ». Il est fort probable que le maître-chirurgien habitant à Fontainebleau soit bien le neveu de Sallebray dont il est question chez Nicolas Besongne. On peut penser que la famille de Sallebray se soit installée à Fontainebleau, et plus particulièrement ses neveux, puisqu’il les choisit en survivance, sûrement car il n’a pas eu de garçons qui puissent garder son statut de Valet de chambre du Roi et de Concierge de la Chancellerie. Néanmoins, Mathieu Da Vinha donne cette autre information :
En 1696, quiconque voulait continuer à porter ses armoiries devait se faire enregistrer à raison de 20 livres par personne. Ces armes ne prouvaient absolument pas la noblesse […] mais l’armorial indiquait l’endroit où habitaient ordinairement les possesseurs de ces armes. Ainsi Joseph Guillaume Prieur de Blainville, Pierre Faure de Montmarlet, […] et Louis de Sallebray figuraient tous dans l’Armorial général de Paris dressé par d’Hozier.
Sallebray aurait donc également vécu à Paris. On peut penser qu’il s’est installé à Paris après être devenu valet de chambre ou alors pour devenir valet de chambre du Roi.
Mais qu’en est-il du prénom de Sallebray ? On peut voir, dans cette édition de 1692, qu’il s’appelerait « Loüis ». Ce nom est également celui d’un autre de ses neveux, qui n’est d’abord pas nommé dans les éditions de 1678 et 1682 de L’État de France, mais qui apparaît dans l’édition de 1683. On y trouve en effet cette information : « Le Concierge de la Chancellerie, le Sieur de Salbray, aussi Valet de Chambre du Roy, & son neveu Loüis de Salbray en survivance de la Conciergerie40. » Elle ne change pas jusque dans la fameuse édition de 1692, et très peu de différences sont à constater entre l’édition de 1692 et celle de 1698. Dans l’édition de 1699 de Louis Trabouillet41, qui a repris la suite des travaux de Nicolas Besongne, le prénom de Sallebray devient « Le Sieur Loüis-Etienne de Salbray42 » mais il s’agit sûrement d’une erreur, puisque son nom est rétabli dans la suite de l’ouvrage, où il est écrit : « Le Concierge Garde-meuble de la Chancellerie, le Sieur Loüis de Salbray, aussi Valet de Chambre du Roy, & son neveu Loüis de Salbray en survivance de la Conciergerie43. » C’est d’ailleurs le nom « Louis de Sallebray » qui est gardé par Mathieu Da Vinha, et ceux de « Louis Sallebray » (non désigné comme étant son neveu dans le texte) et « Etienne de Sallebray ».
Si l’on étudie plus spécifiquement les années où Sallebray a travaillé pour le Roi, on constate que presque 60 ans séparent la publication de sa première pièce et la dernière édition de L’État de France où il est encore présent. Dans le même texte, Mathieu Da Vinha note que Sallebray est mort en 1698. Louis Sallebray l’a remplacé, en survivance, en 1695, tandis que son neveu Etienne de Sallebray l’aurait remplacé « dès le 21 décembre 1689 selon la Cour des aides44 ». Il donne également la date de 1697 pour Etienne. Selon Mathieu Da Vinha, ce serait Sallebray lui-même qui était Garde du Corps du Roi et son neveu Etienne ne le serait devenu qu’en 1702 : il n’a donc hérité que de sa charge de Valet de chambre.
Si le mystère autour de son nom et de la fin de sa vie semble s’estomper petit à petit, celui autour de sa famille et de sa naissance persiste. Quant à sa descendance, il est difficile de dire s’il en a eu une ou non. On peut supposer qu’il n’a pas eu de garçons, compte tenu du fait que ses neveux ont hérité de sa charge en survivance. En tout cas, la vie de Sallebray se révèle particulièrement longue et il semblerait qu’il ait terminé sa vie au service du Roi, tandis qu’il la commençait avec la poésie et le théâtre.
Présentation de L’Amante ennemie §
Réception et représentation §
Il est assez difficile de trouver des informations sur la pièce de Sallebray, étant donné le peu d’intérêt qu’elle semble avoir suscité en comparaison avec d’autres pièces, autant en ce qui concerne la réception de la pièce que le lieu où elle a été représentée. Là encore, nous ne pouvons que formuler des hypothèses à partir des informations que nous avons. En ce qui concerne la pièce en elle-même, les seuls avis que nous avons pu trouver sont soit sans dates, soit tardifs. Parmi ces avis se trouve celui des Frères Parfaict et celui de deux lecteurs, qui ont écrit un commentaire sur la pièce dans leurs exemplaires.
Dans l’Histoire du théâtre françois, les Frères Parfaict critiquent la pièce de la sorte : « Le sujet de cette Piece, est de la vieille intrigue, & des plus romanesque45. ». Une autre critique, cette fois-ci non datée mais présente dans l’exemplaire coté 4-BL-3499 (4) de la Bibliothèque de l’Arsenal, revient également sur l’intrigue et le caractère romanesque de la pièce. On peut en effet lire dans le sommaire écrit à la main, à propos de la pièce de Sallebray : « La dernière pièce est tres romanesque, tres intriguee, et peu interessante. » Les commentaires sont assez proches et semblent tous les deux mettre en avant le problème de l’intrigue et le fait que la pièce se rapproche davantage du roman que du théâtre (pas si étonnant quand on sait que la source est un roman). Le dernier commentaire qui est fait se trouve dans l’exemple RRA 483 in-8 de la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne : à la page 16, on trouve la critique suivante au v. 234 : « trait sublime dans une si mauvais pièce ». Il se veut donc à la fois positif et négatif, mais ce qui en ressort malgré tout, c’est qu’il s’agit d’une « mauvais pièce ». Si les critiques des lecteurs sur les exemplaires de la pièce sont difficiles à dater, et s’il est assez compliqué de savoir s’il s’agit de l’avis d’un lecteur du xviie siècle ou du siècle suivant, l’avis des Frères Parfaict reste celui du xviiie siècle, ce qui fait que les règles classiques constituent leur critère d’interprétation.
Dans tous les cas, un autre problème se pose : tous ces avis se basent sur la pièce écrite, et non pas sur la représentation de celle-ci. Il est donc assez difficile de savoir quel était l’avis du public en ce qui concerne la représentation de la pièce, et il serait compliqué d’adapter les critiques qui précèdent sur ce que le public a pensé de la représentation, étant donné les différences qui existent entre lire une pièce et la voir en représentation. Pour ce qui est de l’avis du public, Lancaster écrit : « L’auteur, voire le public, semble avoir été très satisfait de la pièce, puisqu’il fait dire à l’un des personnages, à propos des aventures de l’héroïne (V, 11) : Vous sçaurez des sujets dont un jour à venir / Les Theatres fameux pourront s’entretenir46. » S’il ne s’agit que d’une hypothèse formulée par Lancaster, que ce soit du côté de l’auteur ou du public, il n’en reste pas moins que Lancaster se montre optimiste vis-à-vis de la réception du public face à la représentation de la pièce.
Si peu d’informations sont données sur la réception, très peu sont également données sur la représentation de cette dernière, que ce soit la date ou le lieu de cette représentation. Néanmoins, plusieurs informations nous conduisent à penser que la pièce a été représentée à l’Hôtel de Bourgogne. Tout d’abord, une limite géographique, à savoir Paris, nous est imposée par Michel de Marolles, qui a fait une liste des pièces qu’il a pu voir représentées dans Paris, et qui intègre « les quatres [pièces] des Messieurs Boyer, Sallebray et Magnon47 ». Ensuite, nous savons que les deux premières pièces de Sallebray, Le Jugement de Pâris ou Le Ravissement d’Hélène et La Troade, ont été jouées à l’Hôtel de Bourgogne. Dans l’édition de La Troade, la mention « représentée par la Troupe Royale » est présente dans l’extrait du Privilège du Roi, ce qui ne laisse aucun doute quant au lieu de sa représentation. Pour Le Jugement de Pâris, la pièce a aussi certainement été jouée pour la première fois dans ce théâtre, puisqu’Alan Howe affirme que « parmi les auteurs dont les œuvres ont été jouées à l’Hôtel de Bourgogne entre 1635 et 1641 figurent Rotrou, Benserad, Sallebray […] et probablement aussi Mairet, Durval et d’Aubignac48 ». Pour ce qui est de ses deux dernières pièces, à savoir La Belle Égyptienne et L’Amante Ennemie, aucune information n’est donnée. Néanmoins, étant donné que les deux pièces ont été imprimées en même temps, à savoir le 2 mai 1642, elles ont nécessairement été jouées avant. Compte tenu du temps qu’il fallait laisser s’écouler avant de faire imprimer une pièce à l’époque, il est probable que L’Amante Ennemie ait été jouée en 1640-1641, ce qui correspond à la période donnée par Alan Howe et justifierait le fait qu’elle a effectivement été jouée à l’Hôtel de Bourgogne.
Résumé analytique de la pièce §
Acte I. §
Scène première : Claironde et Lucine se sont travesties en hommes afin d’approcher Tersandre, responsable de la mort du frère et du père de Claironde. Lucine tente de convaincre une dernière fois Claironde de ne pas aller tuer Tersandre, sans succès, ce qui la contraint à faire semblant de l’aider à réaliser sa vengeance. Scène 2 : Tersandre fait part à Méliarque de ce qui le préoccupe : ayant tué le père et le frère de Claironde, il est poursuivi par les prétendants de Claironde. Claironde et Lucine, cachées derrière un arbre, espionnent leur conversation. En cherchant un moyen de le détourner de ces préoccupations, Méliarque tombe sur la guitare de Claironde. Méliarque et Tersandre se cachent afin d’écouter le chant de Claironde. Charmé, Tersandre demande aux deux femmes travesties, qui font semblant de chercher un endroit où se reposer, de venir se reposer chez lui.
Acte II §
Scènes 1-2 : Floridan (Claironde), seule dans une chambre, est tombée amoureuse de Tersandre et se retrouve confrontée à un dilemme : se venger ou l’aimer. Elle choisit finalement l’amour. Dorimon (Lucine) rentre dans la chambre et lui annonce qu’elle a tué Tersandre, ce que Floridan ne voulait pas. Elle demande alors à Dorimon de la tuer, mais Dorimon lui avoue que Tersandre est encore en vie et qu’il s’agissait d’une feinte. Scènes 3-4 : Afin de ne pas être entendue, Dorimon et Floridan sortent du château. Un jeune homme, Alcinor, est attaqué par des voleurs et elles décident de lui porter secours. Les voleurs s’enfuient et Alcinor leur avoue qu’il veut tuer Tersandre. Floridan lui propose d’apporter le cartel à Tersandre à sa place et lui demande de revenir en cet endroit dans une heure, ce qu’Alcinor accepte avant de partir. Floridan veut en réalité empêcher Tersandre de se battre. Scène 5 : Méliarque et Tersandre se dirigent en direction de la chambre de Floridan. Méliarque soupçonne Floridan et Dorimon d’être des femmes. Une fois arrivés, ils ne trouvent personne dans la chambre et partent donc à la recherche de Floridan. Scène 6 : Flaviane avoue à Clymène, sa confidente, qu’elle est amoureuse de Floridan. Clymène lui avoue qu’elle ressent la même chose, ce qui fait que Flaviane pense qu’elle aime également Floridan, mais elle est rassurée quand elle apprend que Clymène aime Dorimon. Scène 7 : Tersandre ayant réussi à retrouver Floridan, il la ramène au château où se trouve Flaviane et Clymène. Tersandre veut présenter à sa sœur, Flaviane, les talents de Floridan, ce qui la conduit à chanter à nouveau. Après cela, il l’invite à retourner se reposer.
Acte III §
Scènes 1-2 : Floridan lutte contre le sommeil pour aller combattre à la place de Tersandre. Elle se déguise en utilisant le casque et la casaque de celui-ci, puis se dirige à l’endroit où se trouve Alcinor. Ce dernier pense avoir affaire à Tersandre. Le duel se termine au premier coup de Floridan, qui laisse la vie sauve à Alcinor et l’invite au château. Scènes 3-4 : Dorimon est à la recherche de Floridan, qui se dirige vers elle et lui explique qu’elle vient de remporter le duel. Alors que Tersandre paraît, Floridan se cache et Dorimon fait semblant de chercher également Floridan. À la vue d’un autre cavalier, Dorimon montre le cartel à Tersandre qui part se préparer à affronter ce nouveau prétendant. Scènes 5-6 : Alcinor se repent de son erreur et se promet de servir Tersandre. C’est alors qu’il l’aperçoit : Tersandre est à la recherche de l’homme venu le défier, mais il apprend que c’était Alcinor qui avait écrit ce cartel et que le duel a déjà eu lieu. Tersandre pense qu’Alcinor se moque de lui et les deux hommes finissent par partir à la recherche du responsable de cette ruse.
Acte IV §
Scènes 1-2 : Floridan a réussi à déposer son costume avant l’arrivée de Tersandre et Dorimon lui explique sa feinte. Ensuite, Dorimon lui suggère de feindre d’aimer Flaviane, mais Floridan refuse. C’est alors que Clymène et Flaviane arrivent. Flaviane est inquiète car elle suspecte l’homme qui est avec Tersandre d’être un nouveau prétendant de Claironde. Pendant que Dorimon et Clymène sortent de scène, Flaviane témoigne de toute la haine qu’elle ressent pour Claironde en face de Floridan. Scènes 3-4 : Alcinor reconnaît Floridan, mais Tersandre lui dit que le cartel ne vient pas de lui. Ils interrogent Floridan qui finit par avouer qu’elle a pris la place de Tersandre lors de ce duel. Flaviane et Tersandre l’en remercient. Alcinor tombe amoureux de Flaviane. Floridan et Tersandre s’en vont pour les laisser discuter seuls. Alcinor avoue à Flaviane qu’il est amoureux d’elle et s’excuse d’avoir essayé de tuer Tersandre. Scènes 5-6 : Dorimon se montre très entreprenante avec Clymène. Méliarque les arrête car Flaviane souhaite revoir Clymène. Il les ramène toutes deux au château.
Acte V §
Scènes 1-2-3 : Diomède, à la recherche de Claironde, supplie une dernière fois les dieux de l’aider. Il tombe alors sur Tersandre et Méliarque qui lui disent qu’ils savent où elle se trouve. Heureux, il remercie les dieux avant de s’endormir sur scène. Scènes 4-5-6 : Flaviane se plaint de son amour malheureux, mais elle est interrompue par Alcinor qui souhaite savoir quels sont ses sentiments. Flaviane lui dit alors qu’elle aime quelqu’un et Alcinor pense qu’elle parle de lui, mais il finit par comprendre qu’elle aime Floridan. Malheureux, il se plaint lui aussi de son amour non réciproque. Scènes 7-8 : Dorimon continue de tromper Clymène, qui ne se doute de rien malgré les sous-entendus. C’est alors que Floridan arrive et Clymène s’en va pour les laisser seules. Floridan s’inquiète de la réaction de leurs amis si jamais leur identité était révélée, mais Dorimon la rassure. Diomède se réveille pendant leur dialogue et reconnaît les deux jeunes femmes. Il leur demande de rentrer car l’oncle de Claironde souhaite la revoir. Scènes 9-10-11 : Tersandre parvient à retrouver Floridan. Elle lui avoue qu’elle est Claironde et Tersandre, heureux, lui demande d’assouvir sa vengeance, chose qu’elle refuse au profit d’une promesse de mariage. Méliarque les rejoint et apprend la vérité. Il demande la main de Lucine, ce qu’elle accepte sur ordre de Claironde. Viennent ensuite Flaviane et Alcinor qui apprennent également la vérité. Face à cette révélation, Flaviane accepte, à la demande de Claironde, de se marier avec Alcinor. Scène 11 : Clymène se promet de ne plus être victime des ruses d’une femme travestie et souhaite se marier avant qu’il ne soit trop tard.
Des machines aux compartiments §
L’Amante Ennemie présente principalement deux particularités qui nous donnent des indices sur la mise en scène. La première particularité est que la pièce comporte deux scènes où Claironde (ou Floridan) joue de la guitare et chante une chanson. Les deux chansons sont les suivantes :
Acte I, scène 2, v. 299-302 :Prens congé de la vie,Et ne te promets pasD’éviter le trépas,Puis qu’à ce juste coup la fureur me convie.Acte II, scène 7, v. 713-716 :Tiens toy seur de la vie,Et n’apprehende pasD’encourir le trépas,Puis qu’à te conserver mon Amour me convie.
Les deux chansons suivent le même schéma, ce qui fait qu’il est probable qu’elles aient la même partition, que nous n’avons pas réussi à retrouver. La seconde particularité est que cette pièce ne comporte pas un seul lieu qui est représenté sur scène, mais plusieurs. Pour analyser l’ensemble des lieux présents sur scène et ceux qui ne sont pas présents sur scène, nous reprendrons la seconde définition que donne Anne Ubersfeld de la notion d’espace dramatique :
Elle désigne tout l’espace imaginaire construit à partir du texte, évoqué par lui, qu’il soit ou ne soit pas figuré sur la scène : le hors-scène en fait partie tout autant que le scénique, et il est parfaitement possible à une représentation de jouer sur cette opposition en rendant scénique le hors-scène49.
On repère ainsi deux espaces qui sont pris en compte dans l’ensemble de l’espace dramatique : le scénique (celui qui va nous intéresser ici) et le hors-scène. Dans la première catégorie, on trouve le parc, le château de Tersandre, une chambre du château, la prairie et l’entrée d’un bois. Dans le hors-scène, on trouve le port, la ville et le cabinet de Tersandre. Etant donné que cinq espaces devaient être représentés sur scène, et qu’il était parfois nécessaire de pouvoir passer d’un espace à l’autre au sein d’une même scène, la pièce devait nécessairement être une pièce à compartiments. S’il nous est impossible de savoir quels ont été les acteurs de cette pièce et la date exacte de la représentation, nous pouvons tout du moins réfléchir au décor, aux accessoires et aux effets.
Grâce au Mémoire de Mahelot50, nous pouvons essayer de reconstituer le décor de la scène, à partir du peu d’informations que nous possédons, ainsi que les effets et les accessoires nécessaires à la mise en scène. En ce qui concerne l’emplacement du décor, seule une information nous est donnée dans la pièce à propos du château de Tersandre (V, 7) : « Alcinor rentre dans le Chasteau qui est au milieu du Theatre ». L’emplacement du château nous est donc donné : il est situé au troisième plan de la scène et doit sûrement contenir une porte permettant aux acteurs d’y entrer et d’en sortir. Mais il reste à trouver les emplacements des autres lieux, à savoir la prairie, le parc, l’entrée du bois et l’une des chambres du château.
Commençons tout d’abord par les espaces présents à l’acte I. Grâce aux répliques de Claironde et Lucine, on sait que les deux jeunes femmes arrivent déjà travesties et se cachent derrière un arbre, « au bord de la Prairie » (v. 105). Lucine fait pendre la guitare à l’une des branches de l’arbre, de sorte qu’elle soit visible de Tersandre et Méliarque. Un peu plus tard, dans la scène 2 de l’acte I, Lucine dit à Claironde : « Hâtons-nous je vous prie, et passons par ce bois. » (v. 304). Deux espaces sont donc indiqués : la prairie et le bois. Dans les schémas présents dans Le Mémoire de Mahelot, et notamment ceux où un bois est présent dans le décor, on peut voir que le bois se situe généralement du côté jardin, au premier plan. Compte tenu du fait que les deux femmes se cachent tout en pouvant voir arriver les deux hommes, on peut penser que la prairie se situait sur le même plan, mais côté cour, avec un arbre situé entre le bois et la prairie. Pour ce qui est des costumes, nous savons que les deux femmes sont « en habits d’homme », mais nous n’avons pas d’indications concernant celui de Méliarque et de Tersandre. Quant aux accessoires, le seul qui nous soit ouvertement présenté est la guitare de Claironde.
Au second acte, nous trouvons Floridan (c’est-à-dire Claironde) « seule dans une chambre ». À la scène 2, d’autres détails nous sont donnés :
Acte II, scène 2, v. 468-474 :FLORIDANC’est donc avec raison, Lucine, que je l’aime.DORIMONIl est vray : mais sortons de ces lieux enchantez,Où nostre œil ébloüy ne voit que raretez ;(Ce sont des tableaux)Et quoy que ces Amants ayent le don de se taire,Cherchons dedans ce Parc quelque lieu solitaire ;C’est là que sans témoins nous pourrons librementDiscourir des appas d’un objet si charmant.
Les deux derniers lieux sont donc mentionnés, et on apprend également que la chambre est décorée avec des tableaux. Plus loin, à la scène 1 de l’acte III, Floridan est à nouveau seule dans une chambre et dans cette même scène, une autre didascalie nous annonce qu’elle « sort vers le Parc ». Les deux espaces sont donc liés et il est probable que le Parc se situé de l’autre coté de la chambre. La chambre serait donc un espace où l’on peut sortir en direction du parc, sans avoir à passer par la porte du château. Ce sont les deux espaces qui marquent le second plan. On peut également penser que l’intérieur de la chambre pouvait être caché à l’aide d’un rideau, puisqu’on peut voir, à la scène 6 de l’acte II, que les didascalies annoncent que Clymène sort et rentre pour ramener la guitare qui se trouve dans la chambre, au pied du lit. Ainsi, le compartiment de la chambre était-il caché lorsqu’aucune scène ne s’y passait, ou lorsqu’on en sortait. Néanmoins, les deux espaces semblent pouvoir se situer de n’importe quel côté, mais il était sûrement face à face. Un des vers de Tersandre, présent dans le même acte à la scène 5, peut néanmoins nous aider à savoir de quel côté se situait le parc. En s’adressant à Méliarque, il dit : « Je vay voir dans le Parc, va battre la Campagne. » (II, 5, v. 615) La campagne renvoie sûrement ici à la prairie, qui est située côté cour. De ce fait, on peut penser que Tersandre indique deux lieux opposés : si la prairie est située côté cour, alors le parc se trouve côté jardin au second plan. On peut ainsi supposer que la chambre se situait côté cour au second plan.
Du côté des effets, seul le contraste nuit/jour devait être présent. On sait que le premier acte se déroule de nuit, puisque Claironde dit aux v. 311-312 : « Nous estant égarez sur le déclin du jour, / Nous cherchons un logis attendant son retour. » À l’acte II, la première scène s’est déroulée tôt le matin, puisque Tersandre dit à Floridan aux v. 723-724 : « Mais je ne songe pas que levé dés l’Aurore, / Il vous seroit besoin de reposer encore ». Le reste de la pièce semble donc se passer en journée. Pour ce qui est des accessoires que nous n’avons pas encore nommés, il y a le casque et la casaque de Tersandre, ainsi que l’épée utilisée par Floridan lors de son duel. Le casque et la casaque sont d’abord mentionnés aux v. 751-752, puis à la scène 4 de l’acte III, où une didascalie précise que Tersandre est « armé comme l’estoit Floridan et la visiere abaissée ». De même, à la scène 3 de l’acte II, les voleurs devaient également posséder des épées, avec lesquelles ils menaçaient Alcinor, lui aussi armé (comme le précise le v. 477 : « Ce fer auparavant, que vous allez sentir »). Alcinor possède également une armure lors du duel avec Floridan (III, 2), puisqu’il dit au v. 540 : « Je vay prendre à la ville une armure ordinaire ». L’épée était donc souvent présente, mais Alcinor, Tersandre et Floridan ne portaient une armure que lorsqu’ils devaient se battre en duel. En dehors de ce détail, nous n’avons que très peu d’informations concernant les costumes des personnages, notamment en ce qui concerne ceux de Flaviane, Clymène et Diomède, où aucune information n’est donnée. Néanmoins, les quelques informations présentes dans la pièce et dans Le Mémoire de Mahelot nous permettent déjà de mieux nous représenter la scène et une partie des tenues et des accessoires.
Du roman au théâtre §
Un roman mis en scène §
Si plusieurs critiques que nous avons pu trouver décrivaient L’Amante ennemie comme une pièce « romanesque », c’est peut-être parce que la pièce a pour source principale un roman du Sieur du Périer, intitulé La Hayne et l’Amour d’Arnoul, et de Clairemonde, publié pour la première fois en 1600. Néanmoins, Sallebray s’éloigne quelque peu de ce roman pour écrire sa pièce. Gustave Leopold van Roosbroeck réduit énormément les différences entre les deux œuvres dans son article « The Source of De Sallebray’s Amante Ennemie » et considère que Sallebray « a suivi de très près » le roman du Sieur du Périer51. Il conclut son article en résumant les différences :
Il a simplement changé les noms des personnages : Arnoul devient Tersandre, Clairemonde est rebaptisée Claironde, etc. Les changements les plus importants consistent dans l’introduction d’un confident pour Tersandre (Arnoul), et d’un domestique de l’oncle de Claironde (Clairemonde), qui la reconnaît dans son costume d’homme et c’est ce qui permet à de Sallebray de terminer sa pièce sur un traditionnel coup de théâtre52.
Mais, comme le fait remarquer Lancaster, les changements que présentent van Roosbroeck sont insuffisants pour démontrer quelles sont les différences entre la pièce et le roman. Dans son ouvrage A History of French Dramatic Literature, il fait une liste des changements qui ont été omis dans l’article de van Roosbroeck :
Tout d’abord, Sallebray néglige tout le dernier tiers du roman […]. Sallebray néglige également toutes les allusions à la naissance de l’enfant illégitime du héros et de l’héroïne, tout comme les efforts de l’oncle de l’héroïne […] pour se venger. Il réduit le temps à vingt-quatre heures, le lieu à un château et ses alentours près de Ferrare. Il change la manière dont les amants se rencontrent, ajoute, sûrement sous l’influence du Cid, l’astuce qui permet à la confidente de l’héroïne de la forcer à confesser son amour pour le héros, ajoute également une attaque par des voleurs et un sauvetage, substitue l’héroïne au héros comme adversaire au prétendant dans le duel, ajoute l’amour comique de Clymène pour Lucine, et l’amour du prétendant pour la cousine du héros. […] La moitié de la pièce peut être considérée comme originale, même si le thème principal et les personnages principaux sont les mêmes que dans la source53.
Un autre changement manquant réside dans le fait que Bérénice, cousine d’Arnoul, est remplacée dans la pièce par Flaviane, qui est cette fois-ci la sœur de Tersandre. Sallebray donne également une confidente à Flaviane, à savoir Clymène, ce qui lui permet de créer cet amour comique entre Clymène et Lucine.
Pour Lancaster, il y a principalement deux raisons à ces changements : « Les changements sont réalisés en partie dans l’intérêt de l’unité et de la bienséance dramatiques, et en partie dans le but de renforcer l’atmosphère romantique de l’histoire54. » Les contraintes imposées par le théâtre obligent en quelque sorte Sallebray à réduire en grande partie le roman, afin que la pièce puisse être adaptée au théâtre. Le roman ne répondant pas aux mêmes règles que le théâtre, il est normal d’y voir de nombreux changements. Une autre raison peut être convoquée pour ce qui est de l’introduction de Diomède : comme le faisait remarquer van Roosbroeck, Diomède est celui qui permet le coup de théâtre. Il est le personnage révélateur permettant de terminer la pièce sur la reconnaissance de Claironde. Dans le roman, aucun personnage révélateur n’est introduit. Dans ce dernier, c’est d’abord Arnoul qui reconnaît Herman (nom de garçon de Clairemonde, lorsqu’elle se déguise) en voyant Clairemonde évanouie, et ce n’est qu’un peu plus tard qu’elle avoue qui elle est réellement. Au départ, elle essaie encore de le cacher à Arnoul qui ne reste cependant pas dupe. La reconnaissance, chez Sallebray, se fait donc selon les règles traditionnelles du théâtre, et passe par le personnage révélateur que constitue Diomède. Enfin, le mariage de Clairemonde et d’Arnoul est conclu et réalisé sans l’avis de l’oncle de Clairemonde, qui ne sait rien de ce qu’il se passe. Lorsqu’il apprend tout cela, il enferme Clairemonde et cherche à se venger. Pour Sallebray, étant donné que la pièce est une tragi-comédie, il lui était nécessaire de la terminer sur la reconnaissance des personnages et sur un mariage (en l’occurrence, un triple mariage).
On constate également une autre différence concernant la place du déguisement. Pour illustrer cela, nous comparerons deux choses : la rencontre entre les deux amants dans le roman et dans la pièce et les personnages d’Allonne et de Lucine. Revenons tout d’abord sur la rencontre. Dans le roman, Clairemonde (surnommée Herman) et Allonne (surnommée Fourbin), déguisées en cavaliers dans le but d’approcher Arnoul, rencontrent le maître d’hôtel de ce dernier (sans Arnoul), qui les amène jusqu’au château d’Arnoul, où elles rencontrent leur victime. Dans la pièce, Sallebray profite du décor qu’il installe dans l’acte I pour créer un jeu de cache-cache : Claironde et Lucine installent leur piège à la fin de la scène I, puis se cachent derrière un arbre à partir duquel elles peuvent entendre et voir Méliarque et Tersandre arriver. Quand ils découvrent la guitare accrochée, ils se cachent et les deux femmes commencent alors à jouer leur faux rôle. Dans le roman, les deux femmes rentrent directement dans leur rôle au moment de la rencontre, ce qui fait que le côté comique de la situation disparaît, contrairement à la pièce où les deux hommes pensent être ceux qui se cachent, alors qu’ils sont en réalité victimes du jeu de rôle de Claironde et Lucine. Le jeu de rôle est aussi ce qui différencie Lucine et Allonne. Dans le roman, Allonne n’envisage pas une seule seconde de tromper Clairemonde et souhaite réellement l’aider. Dans la pièce, Lucine est là pour jouer un double jeu : même si elle dit vouloir aider Claironde, elle cherche en réalité à la trahir : « Ainsi la trahison surprendra l’innocence. » (I, 1, v. 114). Le traitement du déguisement va donc plus loin que dans le roman, la scène permettant à Sallebray de jouer davantage avec le jeu de rôle que ne peut le faire le roman.
Malgré ces différences, les deux textes présentent tout de même des similitudes. La première repose dans le fait qu’Allonne et Lucine, au début du roman et de la pièce, tentent toutes deux de dissuader Clairemonde et Claironde. Allonne tente de dissuader Clairemonde en lui donnant « mil inconveniens qui en pouvoient arriver tous à sa confusion55 », tandis que Lucine tente d’abord de convaincre Claironde d’abandonner ce projet en la prévenant du danger : « Vous mettez vostre honneur en extréme danger, / Et peut-estre la vie. » (I, 1, v. 19-20). Face à l’entêtement de Claironde, elle change d’argument et se met à défendre Tersandre en expliquant qu’il ne mérite pas de mourir : « Je vous diray, Madame, et c’est la vérité, / Qu’on lui prepare un mal qu’il n’a point mérité. » (I, 1, v. 39-40). Dans les deux cas, les arguments sont insuffisants face à la colère de Claironde et de Clairemonde, et Lucine et Allonne finissent toutes les deux par accepter de les aider dans ce projet de vengeance. De la même manière, Sallebray reprend l’argumentaire d’Arnoul, qui estime que les qualités d’Herman sont davantage celles d’une fille que celles d’un garçon. Il prête ces paroles à Méliarque, confident de Tersandre, qui affirme la même chose : « […] cette douce et charmante façon, / Est le droit d’une fille, et non pas d’un garçon. » (II, 5, v. 569-570) Enfin, même si le roman continue par la suite, le mariage de Claironde et de Tersandre est conclu sans l’accord de l’oncle de Claironde, comme celui de Clairemonde et d’Arnoul.
Le Cid : source d’inspiration et oppositions §
Même si les liens entre le roman et la pièce sont très étroits, on ne peut exclure l’apport du Cid de Corneille. Le thème traité dans les deux pièces est celui de l’amante ennemie, ce qui suppose de revenir sur le dilemme cornélien, à savoir le choix entre l’amour et l’honneur, ou l’amour et la vengeance. Sallebray reprend ce dilemme dans les stances de Floridan (surnom de Claironde) dans la toute première scène de l’acte II, là où les stances de Rodrigue venaient fermer l’acte I du Cid. Les stances de Sallebray ne suivent pas nécessairement le même modèle ni le même schéma que celui du Cid, mais on constate que Floridan cède d’abord à l’amour, puis essaie de se tourner vers la vengeance, tout comme Rodrigue. Cependant, les huit vers qui suivent les stances de Floridan montrent que le choix s’est finalement tourné vers l’amour, là où Rodrigue continue son chemin vers l’honneur. L’inversion va d’ailleurs plus loin : du côté du Cid, les deux amants s’aiment au début, mais Rodrigue choisissant l’honneur plutôt que l’amour va alors contraindre Chimène à réfléchir au même dilemme que lui, jusqu’à ce que le Roi décide finalement de les marier. Chez Sallebray, Claironde hait Tersandre et cherche à se venger, mais c’est finalement l’amour qui va l’emporter dès le début de l’acte II, et les deux amants vont finalement se marier après la reconnaissance de Claironde. C’est d’ailleurs la critique que formule Lancaster envers la pièce de Sallebray vis-à-vis du traitement du thème de l’amante ennemie :
Même s’il est indubitablement vrai qu’une telle ressemblance existe entre les deux pièces françaises, leur esprit est complètement différent, puisque le problème qui domine dans le Cid est ici submergé dans un flot d’aventures romanesques. Dans le premier acte, l’héroïne, contrairement à Chimène, n’est pas amoureuse. Dans la première scène du second acte, elle est tombée amoureuse de son ennemi et elle est brièvement tiraillée entre son amour et son devoir envers la mémoire de son père, mais, après cela, son père est oublié, ce qui fait que le dilemme cornélien est réduit à une seule scène56.
Du point de vue de l’écriture, on constate que Sallebray s’est beaucoup inspiré des stances de Rodrigue, dont le schéma repose sur la rime « peine / Chimène » répétée à la fin de chaque stance (I, 7). Sallebray se contente simplement de reprendre le côté répétitif dans l’écriture, d’abord dans les stances de Floridan (II, 1), puis lors du dialogue entre Tersandre et Floridan, où l’identité de Claironde est révélée à Tersandre (V, IX), mais il ne se limite pas à la rime. Dans le premier cas, la répétition est là pour marquer le fait que l’amour naissant de Floridan pour Tersandre l’empêche d’exécuter sa vengeance. On trouve ainsi, à la fin de chaque strophe, la répétition des seconds hémistiches « puis qu’un Dieu le défent, » et « bien qu’il ne soit qu’Enfant » pour les deux premières strophes, puis dans les trois dernières celle des vers :
Toutefois demeurez, un Dieu me le défent,Et l’Amour est plus fort bien qu’il ne soit qu’Enfant.
Dans le second cas, lorsque Floridan révèle son identité à Tersandre, c’est le premier hémistiche qui est répété, tandis que le second change pour permettre une rime masculine ou féminine. Pour Tersandre, on retrouve le schéma suivant :
C’est moy, c’est moy plustost qui suis ce criminel,Qui devroit endurer un supplice éternel.
Pour Floridan, ce sont les vers suivants qui sont prononcés :
C’est moy, c’est moy plustost qui suis la criminelle,Qui devroit endurer une peine éternelle.
Sallebray profite ici de cette répétition, et surtout de cette transformation du second hémistiche, pour créer une sorte d’écho qui lie les deux amants. L’écriture vient ici favoriser le tragique de la scène, dans la continuité de la demande de Tersandre qui veut laisser Claironde la tuer (à la manière de Rodrigue). La fin de la scène met néanmoins de côté la possibilité de la mort, laissant ainsi place à l’amour.
Une différence importante reste à noter entre les deux pièces : chez Corneille, le traitement du thème de l’amante ennemie se fait à visages découverts, tandis que Sallebray passe par le déguisement, suivant ainsi le modèle de sa source. De ce fait, chez Sallebray, Claironde approche Tersandre déguisée en Floridan dans le but de le tuer ; tandis que chez Corneille, c’est Rodrigue qui vient voir Chimène, sans se déguiser, afin de la laisser le tuer. Le déguisement rend la pièce de Sallebray moins tragique que ne peut l’être celle de Corneille. En effet, chez Sallebray, Claironde et Tersandre sont ennemis, ce qui justifie l’envie de Claironde de se venger. Elle tombe néanmoins amoureuse de lui en découvrant sa bonté, et se retrouve confrontée à un dilemme : vouloir se venger serait injuste envers la bonté de Tersandre, tandis que l’aimer serait injuste envers l’honneur de sa famille. Mais Claironde abandonne finalement sa vengeance, ce qui fait que, tant qu’elle reste déguisée, ce problème reste en suspens. Du côté de Corneille, le fait que les deux amants s’aiment dès le début, et finissent par devenir ennemis rend la pièce beaucoup plus tragique, puisque la crainte de voir les deux amants se séparer est maintenue tout au long de la pièce et l’objectif pour Chimène est de renoncer à son amour pour pouvoir se venger, ce qu’elle n’arrive pas à faire et c’est pourquoi elle n’arrive pas à agir.
Une tragi-comédie « déréglée » §
Dérèglement ou respect des règles ? §
Il n’est pas necessaire de t’avertir icy que cette Piece est déreglée, puisque j’ay marqué les changemens de Scene devant les Actes, & que le Titre méme le fait assés conétre. Ne croy pas pour cela que j’ignore les regles de cette sorte d’ouvrages, & que je ne les puisse observer comme un autre ; J’espere que je ne seray pas long temps sans donner des preuves du contraire dans la suite de ce sujet.
Voilà ce par quoi Sallebray commençait l’adresse au lecteur de sa toute première pièce, Le Jugement de Pâris ou Le Ravissement d’Hélène. Mais que faut-il entendre par « déréglée » ? Selon le Dictionnaire universel de Furetière, le terme signifie « agir contre la règle, contre l’ordre établi ». Autrement dit, Sallebray prend la décision d’aller à l’encontre des règles qui sont imposées au théâtre durant son siècle, tout en démontrant qu’il les connaît bien. En ce sens, L’Amante ennemie se veut elle aussi déréglée, puisque Sallebray semble nous dire de façon plutôt subtile qu’il connaît très bien les règles, mais s’amuse à ne pas les respecter. Il se place donc dans la suite de Corneille qui, comme le montrait Hélène Baby, « démontre sa maîtrise des règles dans le genre qui justement les réfute57 ». Mais Sallebray va plus loin, puisqu’il ne cherche pas justement à appliquer les règles à la lettre : il joue avec les limites imposées.
Prenons l’exemple de la scène du duel entre Floridan (Claironde), déguisée en Tersandre, et Alcinor (III, 4). Selon les règles de bienséance, un duel ne doit pas être représenté sur scène. Or, dans cette scène, Floridan porte un coup à Alcinor, comme le signale la didascalie après le v. 774 : « Alcinor tombe par hasard au premier coup qu’il porte ». Alcinor n’est cependant pas tué sur scène, puisque Floridan lui laisse la vie sauve. Néanmoins, une question se pose : peut-on réellement dire qu’il y a un duel sur scène, en sachant qu’il ne dure qu’un seul coup, et qu’il n’y a pas de blessure ? La scène se trouve à la limite du respect des règles, puisque le duel se termine à peine débuté. En soi, il serait assez difficile de considérer cela comme une véritable entorse, mais on pourrait néanmoins y voir une forme de provocation de la part de Sallebray. La représentation de ce « duel » se veut en effet presque comique, dans la mesure où Alcinor perd son duel dès le commencement de celui-ci, ce qui fait qu’il ne dure pas. L’expression « par hasard » présent dans la didascalie, que l’on peut lier au vœu de Floridan qui termine la scène précédente, est parfaitement ironique de la part de Sallebray, puisque c’est lui qui décide de terminer le duel au premier coup. Le fait de ne pas donner un échange de coup renforce le côté provocant de cette scène, et prouve que Sallebray cherche à jouer avec les limites.
Un autre exemple, plus parlant, concerne l’unité de temps. Tout d’abord, à la scène 9 de l’acte V, on trouve deux indications temporelles, l’une étant donnée par Floridan et l’autre par Tersandre :
Acte V, scène 9, v. 1537-1542 :
FLORIDAN[…] Je suis cette Claironde à qui vostre valeurCausa le plus sensible et le plus grand mal-heur,[…] Et qui mesme aujourd’huy venoit mal à proposPar un sanglant moyen troubler vostre repos
Acte II, scène 7, v. 1547-1550 :
TERSANDREDe moment en moment voyant quelque merveille,Depuis hier au soir je croy que je sommeille ;Vous Claironde, Madame, ha ! bon-heur sans pareil.O le plus heureux jour qu’ait produit le Soleil !
Les indications temporelles « aujourd’huy » (v. 1541) et « hier au soir » (v. 1548) laissent sous-entendre que la pièce se déroule bien en vingt-quatre heures. Mais si Floridan estime que tout se passe le jour-même (y compris le moment où elle rencontre Tersandre), à quoi correspondrait le « hier au soir » de Tersandre ? L’acte I se déroule la veille, durant la nuit, comme l’indique Floridan (Claironde) elle-même : « Nous estant égarez sur le déclin du jour, / Nous cherchons un logis attendant son retour. » (I, 2, v. 311-312) ; tandis que l’acte II commence tôt le matin – Floridan s’étant « levé dès l’Aurore » (II, 7, v. 723). Il y a donc bien deux jours différents : la pièce commence la veille au soir, puis les autres actes se déroulent le lendemain, dans la journée. Mais pour que la pièce dure vingt-quatre heures, il faudrait qu’elle se termine le lendemain soir.
Analysons alors la temporalité des autres actes. Pour l’acte III, étant donné que Floridan a donné rendez-vous à Alcinor 1 heure après (II, 3, v. 541), on peut supposer que l’acte commence 1 heure après le départ d’Alcinor à la ville, soit un peu après le début de la matinée. Mais une ellipse a lieu entre la scène 3 et la scène 4 de l’acte III, au cours de laquelle Dorimon (Lucine) est chargée de retenir Tersandre, pendant que Floridan va déposer son déguisement au château. Pendant le court monologue d’Alcinor, à la fin duquel Alcinor aperçoit Tersandre, Floridan a eu le temps de déposer son déguisement et Tersandre de s’en revêtir et de revenir, puisqu’une didascalie nous dit que Tersandre est « armé comme l’estoit Floridan » (V, 5), et Floridan nous prouve bien qu’elle a eu le temps de faire tout cela (IV, 1, v. 932-935) :
FLORIDANJ’ay remis tout mon fait sans qu’il m’ait apperçuë ;Apres, d’un Cabinet à propos rencontréPar quelques aix mal joints j’ay vû qu’il est entré ;Et comme il s’est vestu de la mesme cazaque.
Impossible de dire combien de temps s’est écoulé entre les deux scènes. On peut par la suite supposer que peu de temps s’écoule entre l’acte III et l’acte IV. L’acte III se termine au moment où Tersandre et Alcinor partent à la recherche de Floridan, à qui Alcinor a confié le cartel, et ils parviennent à le retrouver dès la scène 3 de l’acte IV : « Enfin nostre bon-heur nous le fait rencontrer » (v. 1065) dit Alcinor. Ou bien les recherches ont duré longtemps, ou bien peu de temps s’est écoulé. Pour ce qui est de l’acte V, seule l’indication « hier au soir » que nous avons vue précédemment nous indique que l’acte se déroule toujours dans la même journée. Dans tous les cas, on peut penser que l’acte V se déroule un peu avant qu’il ne fasse nuit.
Si l’on reprend ce que constatait Aristote, à savoir que la tragédie « s’efforce de s’enfermer autant que possible, dans le temps d’une seule révolution du soleil, ou de ne le dépasser que de peu58 », il faudrait que la pièce commence le matin pour se terminer le soir. On voit donc bien que Sallebray est conscient de cette règle de l’unité de temps mais ne se soucie pas de la respecter totalement. S’il respecte la durée qui est imposée par certains théoriciens de son temps, à savoir le temps d’une journée (autrement dit, vingt-quatre heures), il prend le parti de décaler la temporalité en commençant sa pièce la veille au soir et en la terminant le lendemain, avant la tombée de la nuit, tout comme Le Cid qui se déroule de midi à midi.
Enfin, la même question se pose à propos de l’exposition. Georges Forestier rappelle ce que les classiques demandaient pour faire une bonne exposition :
L’obsession normative des classiques les a conduits à établir des règles pour l’exposition : concentration dans le premier acte et même dans toutes les premières scènes, évocation de tout ce qui est susceptible de se produire durant le déroulement de l’action proprement dite. Ainsi, c’est une faute de faire intervenir plus tard un personnage, même indispensable, dont l’existence et les intérêts n’ont pas été mentionnés dans l’exposition59.
Si Sallebray expose bien tous les événements nécessaires à la compréhension de l’intrigue, il ne respecte pas forcément toutes les règles. Durant le premier acte, on apprend dans la première scène que Claironde est motivée par la vengeance. Mais comme aucun de ses prétendants n’a réussi à tuer Tersandre, elle décide de s’en occuper d’elle-même, c’est pourquoi elle s’est déguisée afin de pouvoir l’approcher. Dans la seconde scène, c’est Tersandre qui expose les faits dans une longue tirade, permettant de mieux expliquer d’où vient le conflit entre les deux familles et quelle est la situation actuelle. Il introduit par la même occasion sa sœur, venue avec elle. On retrouve donc tout ce qui était demandé dans une exposition, à savoir « évocation du conflit, présentation des acteurs du drame, état de la situation60 ». Cet exposé des faits sera réexposé par Alcinor à l’acte II, puis par Flaviane à l’acte III. Mais le personnage de Diomède pose problème. Ce personnage n’a pas été introduit dans l’exposition – et ne le sera pas durant toute la pièce –, tout comme un autre détail qui aurait dû y figurer : comment Claironde et Lucine s’y sont pris pour arriver jusque chez Tersandre sans que l’oncle de Claironde ne le sache ? C’est tout juste avant le dénouement que la réponse apparaît (V, 8, v. 1494-1500) :
DOMEDESurpris, desesperé,Cherchant pour vous trouver un moyen assuré,Et s’enquestant à tous de ce mal-heur estrange ;Cinq ou six jours apres il rencontra Phalange,Qui luy dit le sujet, et de quelle façonIl avoit fait pour vous des habits de garçon,Si je m’en souviens bien.FLORIDANLa ruse estoit hardie.DIOMEDEOn luy dit que c’estoit pour une Comedie.
L’acte I aurait pourtant très bien pu contenir cette information dans une scène supplémentaire. L’exposition des faits est donc découpée en deux parties, dont l’une se situe bien dans le premier acte comme on le demande, mais l’autre n’apparaît qu’à la toute fin de la pièce. On peut donc dire que Sallebray cherche délibérément à « dérégler » sa pièce, tout en respectant en partie les règles classiques.
Les entorses aux règles classiques §
Si Sallebray crée parfois le doute vis-à-vis du respect ou du non-respect de certaines règles, dans d’autres cas, l’entorse aux règles est très claire. C’est notamment le cas des règles qui touchent à la bienséance et à la vraisemblance. Comme le faisait remarquer Georges Forestier dans son Essai de génétique théâtrale à propos de L’Amante ennemie : « On ne sache pas que Scudéry ait dénoncé l’immoralité de l’héroïne, pourtant infiniment plus coupable que Chimène61 ». Les reproches qui ont en effet été formulés envers Le Cid auraient pu tout autant l’être envers la pièce de Sallebray. Georges Forestier, dans son Introduction à l’analyse des textes classiques62, rappelle très justement les deux reproches principaux qui ont été faits au Cid en ce qui concerne la vraisemblance et la bienséance : il est invraisemblable qu’une fille épouse le meurtrier de son père et le comportement de Chimène est contraire à la bienséance car elle n’agit pas en tant que fille mais en tant qu’amante. Mais pourquoi Claironde se révèle-t-elle encore plus coupable que Chimène ?
Tout d’abord, là où Chimène ne doit venger que son père, Claironde se doit de venger son père et son frère. En effet, Claironde désigne Tersandre au moyen d’une périphrase qui révèle les meurtres qu’il a commis dans les vers suivants (I, 1, v. 41-44) :
Perfide, que dis-tu ? Le meurtrier de mon frère,
De tant de braves Gens, et mesme de mon Pere,
N’aura pas merité que je l’aille égorger :
Justes Dieux, souffrez vous ce tort sans me vanger ?
On peut même dire que Tersandre est aussi responsable de la mort de la mère de Claironde, puisqu’il dit à la scène suivante (I, 2, v. 207-208):
Depuis j’ai sçû qu’Elise estoit morte de dueil,
Ayant vû son espoux, et son fils au Cercueil :
Claironde doit donc aussi, en quelque sorte, venger sa mère, morte de deuil à cause de Tersandre. Or, à la fin de la pièce, les deux amants se promettent de se marier. Mais, là où la promesse de mariage entre Chimène et Rodrigue est voulue par le Roi, suivant les règles du duel qui stipulaient que le gagnant épouserait Chimène, celle entre Claironde et Tersandre est réalisé sans l’avis de l’oncle de Claironde. Autrement dit : le mariage est prévu sans l’accord de la famille de Claironde, qui ne sait rien de ce qu’il se passe. Leur relation apparaît donc illégitime, puisque personne n’a autorisé Claironde à se marier, si ce n’est elle-même.
Autre point important : le comportement de Claironde. Comme le faisait remarquer Georges Forestier dans son Essai de génétique théâtrale : « le sujet du Cid, c’est d’abord l’histoire d’une fille qui épouse le meurtrier de son père, après avoir fait tous ses efforts pour obtenir vengeance et sans pour autant se renier63 ». Ce n’est pas le cas de Claironde qui, dès la première scène de l’acte II, renonce à se venger, comme en témoigne les huit vers qui suivent ses stances (II, 1, v. 391-398) :
Pourrois-je assassiner un homme que j’adore :Mais puis-je conserver celuy qui seigne encore.Arreste ma fureur, ouy, Tersandre me plaist,Tout fier, tout criminel, et tout sanglant qu’il est :Ouy, Tersandre me plaist, et la perfide lameQui perceroit son corps, iroit jusqu’à mon ame ;Ouy, Tersandre me plaist, et par le mesme effortQui le feroit mourir je recevrois la mort.
Claironde va d’ailleurs encore plus loin en allant combattre l’un de ses prétendants à la place de Tersandre (III, 2), afin de l’empêcher de courir ce péril. Elle dit en effet à Dorimon (II, 4, v. 547-550) :
C’est par là que le Sort pretend m’oster la vie :Mais de peur qu’à Tersandre elle ne soit ravie,Sans nous entretenir de ses charmants appas,Empeschons bien plustost qu’il ne se batte pas.
Là où Chimène laisse le duel entre Don Sanche et Rodrigue avoir lieu, Claironde empêche Tersandre d’aller se battre, alors qu’elle devrait justement le laisser courir ce risque et espérer qu’il meure dans ce duel.
On ne peut donc pas dire que Sallebray cherche à corriger les entorses qui ont été évoquées lors de la Querelle du Cid, bien au contraire. Sallebray préfère accentuer les entorses à la vraisemblance et à la bienséance en choisissant de faire agir Claironde en tant qu’amante dès l’acte II et en concluant sa pièce par un mariage illégitime. Mais l’entorse à la bienséance ne se limite pas uniquement à cela. La relation entre Dorimon et Clymène, notamment, dépasse largement le cadre de la bienséance, puisque Dorimon se montre parfois très entreprenante envers Clymène, notamment à la scène 5 de l’acte IV. À deux reprises, on voit apparaître la didascalie « Elle la baise », puis ensuite « Elle veut encore la baiser ». Si Clymène résiste, comme le dit Dorimon (v. 1243), il n’en reste pas moins que Méliarque les surprend « au milieu des plaisirs » (v. 1245). La scène se veut principalement comique, puisque Clymène ne sait pas que Dorimon est une fille, mais il n’en reste pas moins que le public sait qu’il a affaire à deux femmes, dont l’une se plaît à jouer l’amant.
Une autre entorse concerne le dénouement. Dans La Dramaturgie classique en France, Jacques Scherer donne les caractéristiques de celui-ci : « le dénouement doit être, dans la dramaturgie classique, nécessaire, complet et rapide64 ». En ce qui concerne les deux premières caractéristiques, il faut entendre par nécessaire que « le hasard doit être banni de cette dernière partie de la pièce65 » ; par complet que « le sort de tous les personnages importants soit fixé et qu’aucun des problèmes posés par la pièce ne reste sans solution66 ». Or, deux caractéristiques sont intentionnellement rompues par Sallebray : le caractère nécessaire et rapide du dénouement. Si l’on regarde bien ce que nous dit Floridan, la rencontre avec Diomède s’est réalisée par hasard (V, 9, v. 1525-1526) :
Cét homme en ce païs rencontré par hazard,M’apporte le sujet qui presse mon départ,
Sallebray avoue donc que cet événement est lié au hasard. Ce personnage serait donc apparu « par hasard » dans l’unique but de permettre le dénouement. Ce terme est d’autant plus renforcé qu’il n’a jamais été mentionné durant toute la pièce, y compris dans l’exposition, alors qu’il aurait dû y être mentionné. Mais, s’il est là pour assurer le dénouement, pourquoi Sallebray décide-t-il de le laisser endormi sur scène, si ce n’est justement pour le retarder ? Surtout que le dernier acte est le plus long de la pièce avec plus de 400 vers. Diomède s’endort à la fin de la scène 3 du dernier acte, comme nous l’indique la didascalie : « Il va reposer à l’un des bouts du Theatre. » Il ne se réveillera qu’à la scène 8 de ce dernier acte. Le dénouement aurait donc pu arriver plus vite, mais Sallebray préfère créer davantage de suspens en rallongeant le dernier acte. En laissant Diomède sur scène, il renforce davantage l’attente du public, puisqu’il peut se réveiller à tout moment.
La multiplication des intrigues amoureuses §
Le dénouement nous conduit à nous intéresser également à l’intrigue de la pièce, ou plutôt aux différentes intrigues de la pièce, puisque ce dénouement met fin à plusieurs d’entre elles à la suite de la révélation de l’identité de Floridan et de Dorimon. Mais avant de nous intéresser aux différentes intrigues présentes dans la pièce, il faut revenir sur ce qui définit l’unité d’action. Jacques Scherer en donne une définition assez complète dans La Dramaturgie classique en France :
On dit, à partir de 1640 environ, que l’action d’une pièce de théâtre est unifiée lorsque l’intrigue principale est dans un rapport tel avec les intrigues accessoires que l’on puisse constater à la fois : 1º qu’on ne peut supprimer aucune des intrigues accessoires sans rendre partiellement inexplicable l’intrigue principale ; 2º que toutes les intrigues accessoires prennent naissance dès le début de la pièce et se poursuivent jusqu’au dénouement ; 3º que le développement de l’intrigue principale aussi bien que des intrigues accessoires dépend exclusivement des données de l’exposition, sans introduction tardive d’événements dus au hasard pur ; 4º que chaque intrigue accessoire exerce une influence sur le déroulement de l’intrigue principale67.
Analysons de plus près chacun des critères définis par Jacques Scherer. Si l’on cherche à vérifier le premier de ces critères, à savoir qu’il est impossible de supprimer une intrigue accessoire sans altérer la compréhension de l’intrigue principale, on se rend finalement compte qu’une intrigue est introduite sans qu’elle ne soit forcément nécessaire : l’intrigue qui présente l’amour comique de Clymène pour Dorimon. Si cette intrigue n’altère pas la compréhension de la pièce, c’est tout simplement parce qu’elle n’exerce aucune influence sur le déroulement de l’intrigue principale : le fait que Clymène aime Dorimon n’influence pas forcément les décisions de Floridan ou de Flaviane, tout comme cet amour ne constitue pas un obstacle à l’intrigue principale ou un moyen de mettre fin au dilemme de Floridan. De ce fait, le quatrième critère défini par Jacques Scherer est lui aussi non respecté.
Pour ce qui est du deuxième critère, on se rend vite compte qu’il n’est également pas respecté, puisqu’une autre intrigue est introduite lorsqu’Alcinor fait la rencontre de Flaviane, à savoir à la scène 3 de l’acte IV, où une didascalie précise qu’il est « devenu amoureux de Flaviane ». Par la suite, le triangle amoureux Alcinor – Flaviane – Floridan apparaît, ce qui crée un nouveau nœud et donc une nouvelle intrigue qui n’apparaissait pas au début de la pièce et qui n’était par ailleurs pas prévue. Cette intrigue se limite même à un seul acte, puisqu’elle est dénouée à l’acte suivant avec la révélation de la véritable identité de Floridan. Enfin, pour ce qui est du troisième critère, Sallebray semble s’en amuser, puisque la notion de « hasard » apparaît à trois reprises dans sa pièce. Tout d’abord, nous la trouvons à deux reprises lors du duel entre Floridan et Alcinor (III, 2, v. 778-784) :
Alcinor tombe par hasard au premier coup qu’il porte, et Floridan le désarme.[…]ALCINORDe l’erreur où j’estois je me treuve sorty ;Je la soustiens, pourtant, non comme vangeresse,Le Ciel me le défend, mais comme ma Maistresse ;Et quoy que le hazard, plustost que vostre effort,Ait mis tout mon espoir à deux doigts de la mort ;Je seray trop heureux, si vous m’ostez la vie,Que pour un tel sujet elle me soit ravie.
La défaite d’Alcinor est donc due à un coup du sort. Un peu plus tard, le hasard revient pour parler cette fois-ci de la venue de Diomède (V, 9, v. 1524-1528) :
FLORIDAN[…] Cét homme en ce païs rencontré par hazard,M’apporte le sujet qui presse mon départ,Et dans l’éloignement où mon devoir m’oblige,Me separer de vous est le point qui m’afflige.
Diomède serait donc introduit totalement par hasard dans l’acte V, malgré le fait qu’il explique qu’il est parti à la recherche de Claironde à la demande de son oncle, qui aimerait la revoir. Les événements qui ont lieu dans l’intrigue principale sont donc principalement liés au hasard, et non au vraisemblable et au nécessaire comme le souhaitait Aristote.
On a l’impression de ne voir que des intrigues qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, et qu’il n’y a donc pas d’intrigue secondaire. Pourtant, si l’on s’intéresse à l’intrigue principale, on remarque qu’elle répond parfaitement aux critères des intrigues secondaires, puisque c’est bien la seule qui exerce une influence sur les autres intrigues. En allant se battre à la place de Tersandre, Floridan détourne l’amour d’Alcinor pour elle, et permet la rencontre avec Flaviane en lui donnant rendez-vous au château. De même, lorsque Floridan dévoile sa véritable identité à Tersandre, Flaviane et Alcinor, elle permet le dénouement de son intrigue et de l’intrigue amoureuse entre Flaviane et Alcinor (V, 11, v. 1649-1657) :
ALCINOR, à FlavianeDans ce rare accident,Qui sera l’héritier du bien de Floridan ?FLORIDANM’abandonnant pour vous, aimable Flaviane,Vous devez l’accepter, et je vous y condamne.FLAVIANEIl vous succedera, puisque vous le voulez.ALCINORAgreable discours, que vous me consolez !
De la même manière, l’intrigue principale veut également que l’identité de Dorimon soit révélée, ce qui entraîne le bonheur de Méliarque (« O bon-heur sans egal ! », v. 1623) et le désespoir de Clymène (« O mal-heur de mon sort ! », v. 1649).
La pièce met donc bien en scène trois intrigues amoureuses différentes, qui se résolvent à la fin par la révélation de l’identité de Claironde et de Dorimon. La première, la principale, concerne le couple Claironde – Tersandre, qui a pour obstacle d’abord le père et le frère de Claironde, puis Alcinor, représentant le rival, et qui définit l’intrigue d’un amour impossible au dénouement heureux. Vient ensuite le trio Méliarque – Dorimon – Clymène, qui se veut essentiellement comique, et qui se termine sur un dénouement heureux pour Méliarque et tragique pour Clymène. Enfin, le dernier trio est celui articulé autour d’Alcinor, de Flaviane et de Floridan, qui correspond à celui d’un double amour à sens unique (celui d’Alcinor pour Flaviane et de Flaviane pour Floridan), qui se termine sur une fin heureuse, et qui est également l’intrigue la plus courte des trois. Sallebray termine ainsi sa pièce sur un triple mariage, mais également sur une note pseudo-tragique avec Clymène, qui est la seule à ne pas avoir de dénouement heureux. Il donne l’impression que toutes ces intrigues sont liées entre elles, dans la mesure où le dénouement de l’intrigue principale dénoue les autres intrigues amoureuses, mais en réalité, chaque intrigue existe pour elle-même et seule l’intrigue principale influence les deux autres intrigues. On rejoint alors les deux caractéristiques qu’Hélène Baby donne à la tragi-comédie, à savoir la contingence et la réversibilité :
Contingence de l’événement qui peut ne pas survenir, et réversibilité d’une situation qui passe, d’un tour de roue, du bonheur au malheur, et du chagrin à la joie. La tragi-comédie déroule une action essentiellement gratuite, et la plupart de ses développements […] sont inutiles68.
C’est aussi pour cette raison que nous avons la sensation que l’intrigue principale est délaissée au profit des autres intrigues, étant donné qu’elles n’apportent rien de concret à la pièce, si l’on en suit les règles qui concernent l’unité d’action évoquées au début de notre analyse.
Les thèmes §
Le thème de l’amante ennemie §
Titre de la pièce, ce thème est naturellement le premier auquel on pense avant même de commencer à lire la pièce. Déjà traité par le passé à plusieurs reprises, le public s’attend donc à retrouver certains aspects propres à ce thème. Lorsqu’on évoque le thème, on pense tout de suite au motif qui conduit à la haine entre les deux familles. Généralement, les deux familles se détestent ou sont en guerre, ce qui crée un conflit qui conduit généralement à la mort du père de l’amante, tué par son futur amant. Par la suite, la mère de l’amante, réclamant vengeance, la promet en mariage à celui qui parviendra à tuer le meurtrier de son époux. C’est le cas dans Le Prince déguisé de Scudéry, Timocrate de Thomas Corneille, ou encore Le Cid de Pierre Corneille. C’est également le cas dans L’Amante ennemie, où le père et le frère de Claironde ont été tués lors du duel les opposant à Tersandre et son père. La situation est d’ailleurs entièrement exposée par Tersandre dans la scène 2 de l’acte I, dans une longue tirade (v. 179-230).
Si le motif de haine est introduit dès le premier acte, le dénouement respecte lui aussi des codes, et principalement lorsqu’il s’agit d’une tragi-comédie. Dans le cas d’une tragi-comédie, le dénouement se conclut par un mariage ou une promesse de mariage, qui est permis par un membre de la famille de l’amante (la mère dans Le Prince déguisé et Timocrate, le père dans Armetzar ou Les amis ennemis de Chappuzeau), ou alors par une figure politique (un Roi, comme dans Le Cid). Dans la pièce de Sallebray, si un mariage est bien prévu entre les deux amants, il se fait sans l’accord de l’oncle de Claironde ou d’une quelconque figure politique. L’avant-dernière scène du dernier acte se conclut par Tersandre de la sorte :
TERSANDREAttendant le recit d’une si belle histoire,Dont le succés heureux fait ma joye et ma gloire ;Allons de ce bon-heur loüer les Immortels,Et perdre nostre haine aux pieds de leurs Autels.
Les deux amants sont donc prêts à se marier. Les pièces qui traitent du thème de l’amante ennemie ont souvent un dénouement qui est perçu comme invraisemblable. C’est le reproche qui a été fait à Timocrate de Thomas Corneille, comme il le dit lui-même dans son adresse au lecteur : « La première [objection] est qu’il pêche contre le vraisemblable. ». Le même reproche a été fait au Cid comme nous l’avons vu précédemment. Dans la pièce de Sallebray, le dénouement est encore plus invraisemblable. En effet, Sallebray retire la figure censée rendre légitime le mariage entre les deux amants, et a préalablement agravé le motif de haine entre les deux familles en ajoutant aux victimes de Tersandre le frère de Claironde (Philandre), et en quelque sorte sa mère (Elise) qui est morte de deuil par la faute de Tersandre. Si l’on regarde également la liste des personnages, on remarquera qu’aucun membre de la famille de Claironde n’en fait partie. Or, dans toutes les pièces que nous avons évoquées précédemment, au moins un des membres de la famille de l’amante est présent dans la liste des personnages. Il n’y a que dans Le Cid où la figure paternelle disparaît dès l’acte I, mais elle est remplacée par la figure politique du Roi qui permet le mariage. Dans le cas de la pièce de Sallebray, la figure paternelle n’est ni présente, ni remplacée, ce qui fait que la pièce se termine sur un mariage qui se veut illégitime, et donc encore plus invraisemblable pour l’époque.
Une autre caractéristique du thème concerne le déguisement. En dehors du Cid, Georges Forestier met en avant un des aspects les plus présents dans les tragi-comédies basées sur le thème de l’amante ennemie :
La décennie qui a vu paraître Le Cid de Corneille est aussi celle qui voit le triomphe d’une esthétique liée au déguisement que nous appelons « l’esthétique de l’action médiatisée ». […] Dans toutes les tragi-comédies qui mettent en œuvre le thème de l’amante ennemie, c’est sur ce principe esthétique que repose toute l’action69.
Ce déguisement peut être un déguisement d’apparence (c’est le cas dans Le Prince déguisé) comme un déguisement d’identité (Timocrate). De ce côté-là, Sallebray n’y fait pas défaut, contrairement au Cid, puisqu’il y a travestissement de Claironde et de Lucine : Claironde devient Floridan et Lucine devient Dorimon. Mais, là où ces prédécesseurs ne changeaient pas le nom du héros tout au long de la pièce, Sallebray décide quant à lui de garder le nouveau nom de Claironde jusqu’à la fin de la pièce : autrement dit, elle ne s’appelle Claironde qu’à l’acte I. Même après avoir révélé son identité, elle reste Floridan. L’apport de Sallebray ne se limite pas à cela. Généralement, le déguisement était principalement utilisé par le héros pour pouvoir approcher son amante, comme le décrit Georges Forestier :
Ainsi le héros cherche-t-il à tourner la haine dont il est l’objet en se déguisant (en jardinier dans Le Prince déguisé de Scudéry, par exemple), et en approchant sous cette identité d’emprunt la princesse qui veut (ou dont la mère veut) le détruire et que lui-même veut séduire en dépit (et au travers) de son déguisement70.
Sallebray décide quant à lui de travestir la jeune fille au lieu du héros, et de faire en sorte que le déguisement serve cette fois-ci à approcher l’amant dans le but de le tuer, et non pas dans le but de le séduire. L’objectif final de l’approche n’est donc pas le même, mais le but du déguisement reste le même. En faisant cela, il rajoute une raison supplémentaire de condamner le comportement de Claironde, et renforce son entorse à la bienséance. Dans les pièces présentant le thème de l’amante ennemie avec le héros déguisé, la fille tombe amoureuse d’un double du héros, dont elle ignore la véritable identité. Ainsi, elle n’est pour le moment pas consciente de qui se cache derrière le déguisement. Dans le cas du Cid, Chimène était déjà amoureuse de Rodrigue avant que le motif de haine n’apparaisse, ce qui explique pourquoi elle a autant de mal à haïr Rodrigue. En choisissant de déguiser Claironde, il fait en sorte qu’elle tombe amoureuse de Tersandre tel qu’il est, et non pas d’un double déguisé de ce dernier, comme elle l’avoue dans ces vers (II, 1, v. 393-394) :
Arreste ma fureur, ouy, Tersandre me plaist,Tout fier, tout criminel, et tout sanglant qu’il est :
Il devient ainsi quasiment impossible de défendre Claironde, contrairement aux autres amantes qu’il était possible d’excuser, soit parce qu’elles ne tombent pas amoureuses de l’amant mais de son double déguisé, soit parce que c’est une autorité supérieure qui les « condamne » à l’épouser plutôt que de le tuer. Ici, Claironde se résout d’elle-même à aimer Tersandre et à ne plus se venger durant toute la pièce. Elle fera même tout pour le sauver, alors même que les héros des autres pièces n’échappaient pas au péril de mort en acceptant un duel, en allant combattre à sa place face à Alcinor. Le rapprochement entre l’amante et l’amant est donc beaucoup plus important, dans la mesure où l’amante devient le double de son amant et le remplace dans le duel.
Le déguisement suppose également la révélation de la véritable identité de la personne déguisée. Lors de la révélation, le désir de vengeance, jusqu’alors mis en suspens à cause du déguisement, refait surface et contraint les amants à devoir à nouveau choisir entre l’amour et la vengeance. C’est d’ailleurs ce que l’on attend pour permettre un retournement de situation : on s’attend à une fin tragique où l’un des deux amants meure, mais la mort est évitée et remplacée par un mariage, ou une promesse de mariage. Dans la pièce de Sallebray, juste avant de révéler son identité à Tersandre, Floridan craint que celui-ci change et cherche à les tuer pour se venger, mais Dorimon pense au contraire que cette révélation ne peut que leur être favorable (V, 8, v. 1467-1476). C’est finalement l’hypothèse de Dorimon qui se révèle vraie, puisque Tersandre se réjouit à la scène suivante d’apprendre une telle nouvelle (V, 9, v. 1547-1550) :
TERSANDRE
De moment en moment voyant quelque merveille,
Depuis hier au soir je croy que je sommeille ;
Vous Claironde, Madame, ha ! bon-heur sans pareil.
O le plus heureux jour qu’ait produit le Soleil !
Sallebray semble supprimer l’ironie tragique de la situation : la réaction dépeinte par Floridan paraissait la plus crédible malgré les arguments avancés par Dorimon, et c’était également celle que nous attendions compte tenu des événements. Mais, au final, c’est la prédiction heureuse qui l’emporte. Néanmoins, la crainte de la mort n’est pas pour autant éliminée : même si Tersandre est heureux de cette nouvelle, il n’en reste pas moins qu’il demande tout de même à Claironde d’assouvir sa vengeance, chose qu’elle refuse, et chacun souhaite mourir à la place de l’autre. C’est Claironde elle-même qui met fin à ce dénouement tragique en lui demandant de choisir le dénouement heureux. Il n’y a donc pas d’interventions extérieures pour mettre fin au dénouement tragique, et c’est Claironde qui choisit d’elle-même de se tourner vers le dénouement heureux, alors même que Tersandre lui offre la possibilité de se venger.
Mais plus qu’une amante, Claironde, sous les traits de Floridan, ne semble finalement pas si différente de tous ces amants déguisés pour séduire celle qu’ils aiment. Car Floridan cherche bien elle aussi à conquérir celui qu’elle aime, et quoi de mieux que l’apparition d’un rival pour démontrer sa valeur ! Tout comme pour les autres amants, vaincre le rival revient à gagner le cœur de la personne que l’on aime, et c’est bien le prix que lui fait voir Dorimon après son duel (III, 3, v.816-824) :
DORIMONPour bien recompenser cét acte genereux,Il faut joindre aux Lauriers les Myrthes amoureux ;Et que deux Deïtez secondent vôtre attente,Par le prix d’un Vainqueur, et celuy d’une Amante.FLORIDANTersandre mon espoir, je ne veux que ton cœur,Qu’il soit le prix d’Amante, et celuy de Vainqueur ;Je croy que c’est un bien auquel je puis pretendre :Est-il mieux dû qu’à moy qui viens de le deffendre ?
Derrière l’amour de l’amante se cache la valeur d’un vainqueur. Son rôle va donc plus loin que celui de la simple amante : elle se permet également d’agir en tant qu’homme. Le déguisement de Claironde ne se limite donc pas au simple changement de sexe et de nom : on peut aller jusqu’à dire qu’il va jusqu’au changement de rôle. Au lieu d’agir comme une amante, Floridan agit comme les autres amants présents dans les pièces qui mettent en scène le thème de l’amante ennemie.
L’usage du déguisement §
L’intérêt du déguisement dans la pièce ne se limite cependant pas au seul thème de l’amante ennemie. Revenons tout d’abord sur les différents déguisements présents dans cette pièce. Au début, nous savons que Lucine et Claironde sont « toutes les deux en habits d’homme » comme nous l’indique la didascalie. À ce déguisement d’apparence succède ensuite un déguisement d’identité (I, 1, v. 93-96). Puis, plus tard, Floridan (Claironde) décide de se déguiser en Tersandre pour aller combattre à sa place. Il y a donc deux déguisements successifs : d’abord, elle se déguise en Floridan, puis ensuite, elle se déguise en Tersandre avant de redevenir Floridan. Dans tous les cas, ces déguisements sont conscients, puisque les personnages savent qu’ils se déguisent dans le but de tromper l’autre. Néanmoins, ce n’est pas le même type de déguisement qui est utilisé dans ces deux cas. Georges Forestier définit trois formes de déguisements conscients dans l’Esthétique de l’identité dans le théâtre français, 1550-1680 :
Les trois formes de rôle conscient que nous avons définies, le simple déguisement verbal de l’identité, que par commodité nous désignerons par les termes de déguisement verbal ou d’affirmation, le déguisement d’apparence (ou de costume) et le déguisement ostensible ne sont pas, on s’en doute, interchangeables71.
Dans la pièce de Sallebray, les trois formes de déguisement sont présentes. On trouve le déguisement verbal, puisque Claironde et Lucine se font passés pour deux frères « égarez sur le déclin du jour » (v. 311) et « errans au gré du Sort » (v. 315). Le déguisement d’apparence également, puisqu’on a d’abord un travestissement, puis le déguisement successif de Floridan en Tersandre (III, 1, v. 751-752) :
Avec ce casque en teste, et sous cette cazaque,Je sembleray Tersandre, à celuy qui l’attaque
Et enfin déguisement ostensible, en raison du casque, qui permet à Floridan de cacher son visage et ainsi se faire passer pour Tersandre. Le fonctionnement du déguisement ostensible est ici inversé, puisque » ce déguisement ostensible sert à cacher que l’on cache72 ». Alcinor ayant déjà vu Floridan, et Floridan lui ayant promis de rapporter le cartel à Tersandre pour que le duel ait lieu, Floridan doit trouver un moyen de cacher son visage pour pouvoir prendre la place de Tersandre. De son côté, Alcinor n’a pas besoin de lui demander de retirer son casque étant donné qu’il a donné rendez-vous à Tersandre, mais il ne s’attend pas à ce que soit Floridan qui se trouve en face de lui. Le casque permet ainsi à Floridan de cacher le fait qu’il remplace Tersandre.
Qu’en est-il du travestissement ? Dans son étude sur la « Théâtralité du travestissement au xviie siècle73 », Marie-France Hilgar se centre exclusivement sur les motivations du travestissement, que Georges Forestier résume dans une note :
la poursuite d’un amant infidèle ; échapper à un mariage ou se soustraire à des brutalités ; se rapprocher de ses parents sans en être reconnue ; obtenir un héritage ; s’évader de prison ; défendre quelqu’un ; enfin, pour le héros masculin, la conquête amoureuse74.
Dans le cas de la pièce de Sallebray, il n’y a pas de réelle motivation qui puisse convenir. Claironde envisage initialement le travestissement comme un moyen d’approcher Tersandre dans le but de le tuer, comme nous l’avons vu précédemment. C’est ce que Georges Forestier désigne comme « l’approche75 ». Mais il y a un autre cas qui doit être pris en compte : le déguisement de Dorimon. Lucine s’est elle aussi travestie, mais elle profite de son déguisement pour « séduire » Clymène. Ce cas pourrait correspondre aux deux dernières finalités des déguisements conscients décrites par Georges Forestier, à savoir « la tromperie et le tour76 ». Il définit la tromperie comme « une motivation qui sert à réaliser autre chose77 », tandis que « le tour représente un niveau supérieur dans la gratuité puisqu’il est dépourvu de toute autre motivation que le jeu78 ». Il est difficile de savoir si une motivation quelconque conduit Lucine à tromper Clymène. Néanmoins, le dialogue entre Floridan (Claironde) et Dorimon (Lucine) laissent sous-entendre qu’elle ne ferait pas ça sans raison (IV, 1, v. 948-967) : Dorimon serait préoccupée par l’état de Flaviane, mais aussi de Clymène, c’est pourquoi elle cherche à répondre correctement aux avances de Clymène, et demande à Floridan d’en faire de même. On serait donc davantage dans la tromperie, puisqu’il y a une motivation autre.
Mais on peut douter de ses paroles étant donné qu’elle se montre très entreprenante envers Clymène dans la suite de la pièce. Dans le même acte, à la scène 5, elle baise Clymène par deux fois, comme en témoigne les didascalies, et essaie une troisième fois, mais Clymène résiste. Ensuite, à l’acte V, elle lui tient un double discours (V, 7, v. 1419-1427) :
DORIMONC’est que pour en juger avec plus d’assurance,Je desirois t’oüir confirmer ma creance :Mais apres ce discours, loin du moindre soubçon,Je douterois plustost que je fusse Garçon.Aussi ne pense pas que mon cœur dissimule,Lors que je t’entretiens du beau feu qui me brule,Ce seroit faire tort à tes charmans appas,Qu’à moins que d’estre Fille on ne peut n’aimer pas.CLYMENEHa ! trop heureuse Amante.DORIMON, bas.
O trop aveugle Fille !
Ce double discours nous conduit à douter davantage sur ses nobles intentions, surtout qu’elle va même jusqu’à une proposition en mariage, que Clymène accepte, et termine en affirmant très clairement au spectateur qu’elle va la tromper : « Ouy, je vous le promets… (Bas.) de vous manquer de foy. » (v. 1446) Tout ceci nous amène à penser que Dorimon se joue simplement de Clymène. On pourrait néanmoins se dire que « le plaisir de tromper [l’a emporté] sur la nécessité de se déguiser79 », ce qui signifie que la tromperie s’est transformée en tour. Et c’est peut-être là tout l’apport comique du déguisement, qui ne sert plus seulement à tromper, mais à jouer un mauvais tour à la personne qui se fait avoir.
Un dernier aspect du déguisement concerne le caractère invraisemblable de celui-ci. Dans La Dramaturgie classique, Jacques Scherer revient sur l’invraisemblance qui concerne le déguisement : « Il semble que le déguisement suffise à empêcher de reconnaître même le visage et la voix de la personne déguisée. […] Or, la tragi-comédie use et abuse des déguisements80. » Georges Forestier reprend également la critique de Charles Sorel qui décrit assez bien les problèmes posés par le déguisement. Il écrit à propos de cette critique :
Condamnation sans appel, et à laquelle [Sorel] nous force à acquiescer : avec la vraisemblance comme pierre de touche, tous les déguisements – et les plus en vogue, comme les travestissements de sexe ou les déguisements inconscients de héros autrefois abandonnés ou perdus – se heurtent à des « difficultés ou impossibilités sans remède ». La critique de Sorel a beau ne concerner que le roman : les déguisements qu’il cite valent aussi bien pour le théâtre81.
Le déguisement est donc source d’invraisemblance. Dans la pièce, pourtant, l’invraisemblance paraît justifiée, voire corrigée par Sallebray.
Tout d’abord, Tersandre et Méliarque ne se font pas avoir par le déguisement des deux jeunes femmes. Tersandre dit notamment la première fois qu’il les voit (I, 2, v. 317-318) :
Sous quelques vestements qu’on cache sa naissance,Tousjours l’air du visage en donne connoissance ;
Ensuite, dès l’acte II, Méliarque discute avec Tersandre et se met à penser qu’ils seraient en réalité des filles (II, V, v. 567-570) :
N’aurions-nous pas raison de blâmer l’un et l’autreD’avoir mis en tous deux un sexe égal au nostre ;Car en fin cette douce et charmante façon,Est le droit d’une fille et non pas d’un garçon.
Les deux hommes ne se laissent donc pas totalement avoir, ce qui n’est pas le cas de Flaviane, Alcinor et Clymène. C’est ce qui permet à Sallebray de créer les deux autres intrigues amoureuses : d’abord, celle comique de Clymène et de Dorimon, puis l’intrigue amoureuse de Flaviane et Alcinor. Tersandre et Méliarque ne savent cependant pas à quoi ressemble Lucine et Claironde, ce qui fait que leur doute peut subsister sans être invraisemblable. Tersandre arrive même à reconnaître le frère de Claironde dans les traits de Floridan – ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il s’est lui-même battu contre Philandre lors du duel qui opposa les deux familles –, et il n’est pas très loin de la vérité (II, V, v. 577-578) :
TERSANDREHélas ! il me souvient quand je le voy de prés,Du frere de Claironde, il en a tous les traits ;
On peut néanmoins s’interroger sur le fait que Tersandre ne se méfie pas plus de Floridan, étant donné qu’il reconnaît tout de même un membre de la famille de Claironde, qui, rappelons-le, souhaite la mort de Tersandre.
Cette reconnaissance de Tersandre nous amène à la fâcheuse question de la famille ou des proches de la personne déguisée qui connaissent son visage et sa voix. C’est le cas de Lucine et de Diomède qui connaissent Claironde. On constate cependant que Sallebray ne se laisse pas avoir par cette invraisemblance. Dorimon (Lucine) arrive à reconnaître facilement Floridan à partir du moment où il lève simplement sa visière (III, 3, v. 810-812). Il en est de même pour Diomède face à Floridan, qui, comme le disent les Frères Parfaict, « la reconnoit malgré son déguisement82 ». La reconnaissance ou la non-reconnaissance du personnage s’explique donc assez facilement. Sallebray cherche ainsi à limiter l’aspect invraisemblable du déguisement.
Donner du plaisir au spectateur §
Le rapport entre tragique et comique §
Quand on parle de tragi-comédie, plusieurs critères nous viennent à l’esprit. Hélène Baby rappelle notamment « quatre des critères connus du genre : son invention romanesque, le mélange de la matière comique et tragique, une fin heureuse, un personnel dramatique noble83 ». De son côté, Roger Guichemerre rappelle dans son introduction les quatre caractères qu’ils jugent essentiels de la tragi-comédie : l’irrégularité, les sujets sérieux et la fin heureuse, des protagonistes d’un rang élevé et une intrigue romanesque. À cela, il ajoute également le mélange du tragique et du comique84. C’est à ce mélange, si l’on peut dire, que l’on pense en premier lieu quand on parle de tragi-comédie, et c’est ce qui va nous intéresser ici. Plus que de savoir si la pièce présente bien du tragique et du comique, ou bien d’essayer de voir si la pièce s’oriente davantage vers le tragique ou le comique, il nous semble plus intéressant de voir comment ces deux matières s’articulent entre elles dans la pièce.
Une des premières articulations entre le comique et le tragique se situe dans le passage de l’un à l’autre au niveau de l’intrigue. Ce qui caractérise la tragi-comédie, c’est sa fin heureuse, qui est toujours un mariage. Or, le mariage est la fin réservée à la comédie : le dénouement d’une tragi-comédie est donc généralement emprunté à la comédie. Dans le même temps, le sujet se veut sérieux, c’est-à-dire qu’il se rapproche davantage de la tragédie. Dans la pièce, on trouve ainsi le dilemme entre le devoir et l’amour qui constitue le nœud de la pièce, ou encore l’amour à sens unique d’Alcinor pour Flaviane. Dans ces deux cas, on passe d’un sujet sérieux à un dénouement heureux. Néanmoins, la pièce contient un cas bien particulier : l’amour comique entre Dorimon et Clymène, qui se termine par un dénouement malheureux, comme elle le rappelle dès le début de ses stances (V, 12, v. 1671-1676) :
Cesse, mon cœur, de regretterL’apparence d’un bien offerte,Puisque tu ne peux la quitterSans profiter de cette perte ;A quoy te serviroit d’estre encor amoureux,Ayant connu l’erreur d’un choix si mal-heureux.
C’est sur cette note pseudo-tragique que Sallebray décide de finir sa pièce, ce qui ne contrarie pas vraiment le fait que la tragi-comédie a pour habitude de se terminer sur une note joyeuse. Cette intrigue suit par ailleurs un chemin tout à fait contraire aux autres intrigues amoureuses : ici, l’amour est traité sur un ton comique tout au long de la pièce, puisque Dorimon s’amuse à tromper Clymène. Dans les autres cas, il l’est de façon tragique : soit le personnage doit confronter son amour à son devoir (Claironde), soit le personnage aime sans être aimé en retour (Flaviane et Alcinor).
Néanmoins, si l’on se penche sur l’amour non réciproque, on constate qu’une autre articulation existe entre comique et tragique. Le spectateur sait très bien que derrière Floridan se cache en réalité Claironde, ce qui fait que l’amour de Flaviane pour Floridan en devient comique. Flaviane déteste Claironde car elle menace la vie de son frère, mais elle ignore totalement que celui qu’elle aime n’est autre que celle qu’elle déteste. C’est là que repose toute l’ironie dramatique de la situation, qui rend cet amour non réciproque comique plus que tragique. De la même manière, la seconde rencontre entre Alcinor et Flaviane se transforme finalement, non pas en scène tragique, mais en véritable scène comique en raison du quiproquo qui fait qu’Alcinor pense que Flaviane a des sentiments réciproques pour lui (V, 5, v. 1355-1357) :
FLAVIANEOuy, j’adore Alcinor, puisqu’il faut vous le dire.ALCINORMoy, bons Dieux ! que dit-elle ?FLAVIANEEt mon cœur en soupire.ALCINORDoy-je croire à sa voix ?FLAVIANEOuy, j’adore Alcinor.
Les stichomythies rendent la scène plus comique par l’entrecroisement des répliques des personnages. Les paroles de Flaviane sont ainsi encore plus mal comprises par Alcinor, ce qui donne lieu à une opposition très nette entre la joie d’Alcinor qui pense être aimé, et le désespoir de Flaviane. Le comique de la scène est renforcé par le fait que le spectateur sait qu’Alcinor se trompe. Ce n’est qu’à la fin qu’Alcinor remarque son erreur (V, 5, v. 1363-1364) :
ALCINORO Ciel !FLAVIANEUn cœur de glace.ALCINORElle parle d’un autre.
Enfin, une dernière articulation est à constater : dans certains passages, on s’attend à avoir quelque chose de tragique mais un événement fait que l’événement tragique n’arrive pas. Deux cas peuvent être pris comme exemple. Le premier se trouve à l’acte II : Floridan se retrouve face à un dilemme qui l’oblige à devoir choisir entre son devoir envers sa famille et son amour pour Tersandre. Le court monologue qui suit ses stances témoignent du fait qu’elle a choisi l’amour (II, 1). Néanmoins, Dorimon arrive et annonce une nouvelle qui ne manque pas de choquer Floridan : « Tersandre ne vit plus, ma main vous a vangée. » (v. 400). Cet événement marque un tournant pseudo-tragique, étant donné qu’il s’agit d’une fausse mort. La crainte de cette mort est en effet détournée lorsque Dorimon avoue à Floridan qu’il ne s’agissait que d’une ruse (II, 2, v. 449-452) :
Doutant que vous eussiez le mesme sentiment,J’ay voulu m’éclaircir de vostre changement,Que par mon faux rapport j’ay connu veritable.Pardon de cette peur.
C’est là que l’on remarque toute la subtilité du lien entre tragique et comique et l’utilisation qu’en fait Sallebray. Si le spectateur avait connu la ruse de Dorimon avant cette annonce, tout le tragique de la scène aurait disparu. Et c’est là-dessus que Sallebray souhaite jouer : dans certains cas, il préfère mettre l’accent sur le comique plus que sur le tragique. Mais, dans d’autres cas, il fait passer le spectateur de la peur au soulagement. Le même procédé se retrouve à l’acte III : Floridan annonce, dans un monologue précédent le duel, que la seule issue pouvant mettre fin à celui-ci serait la mort de son adversaire ou sa propre mort (III, 1, v. 727-734) :
Puissant Dieu du Sommeil, en vain tu veux m’abattre,Je ne sçaurois dormir lors que je doy combattre ;Mars me donne un employ meilleur que ton repos,Et j’estime un Laurier plus que tous mes Pavots ;Il faut vaincre ou mourir où ce Dieu nous appelle,Nostre mort en ce lieu ne peut estre que belle ;Et si mon bras terrace un Barbare amoureux,On parlera par tout de ce coup genereux.
Le duel se veut donc sanglant. À la scène d’après, Alcinor perd son duel en tombant au premier coup et est désarmé. Cet événement du au hasard met fin à l’événement tragique attendu et offre une autre possibilité qui n’est pas tragique et soulage le spectateur. Apporter un ton « léger » sur un sujet sérieux permet à Sallebray de créer des retournements auxquels le spectateur ne s’attend pas forcément, ce qui renforce le plaisir de celui-ci.
Donner du plaisir au spectateur §
Le ton comique de la pièce est notamment permis par les ruses mises en place par les personnages. Floridan et Dorimon jouent un autre rôle, mais ces rôles ne se limitent pas seulement à celui qu’elles se sont données. Entre elles, elles ne sont parfois pas au courant des ruses que l’autre met en place et se font surprendre lorsque ces ruses sont révélées. C’est le cas lorsque Dorimon feint d’avoir tué Tersandre, comme nous l’avons vu précédemment, mais également lorsque Floridan, déguisée en Tersandre, va se battre en duel sans en prévenir sa confidente (III, 3, v. 807-812) :
DORIMON[…] Mais que fait ce guerrier dans cette solitude,Seroit-ce point l’autheur de mon inquietude,Et de qui le Carte me cause tant d’ennuy ?Approchons hardiment, et sçachons si c’est luy.Mon brave.FLORIDAN, levant la visiere.Que veux-tu ?DORIMONDieux ! Je parle à Claironde :O courage incroyable ! Ô Fille sans seconde !
Mais l’une des premières ruses reste le jeu de rôle des deux jeunes femmes au premier acte. Avant que Méliarque et Tersandre n’arrivent sur scène, elles préparent toutes deux la mise en scène de leur ruse. Claironde attribue les rôles : elle sera Floridan et Lucine s’appellera Dorimon. Lucine doit endosser le rôle du « frere d’Amitié » (v. 96). Une fois cela fait, Claironde précise le jeu d’acteur qu’elles doivent adopter : « Feignons d’estre égarez, et de chercher un giste » (v. 101). Il ne reste plus qu’à préparer l’appât. Pour ce faire, elles se placent sur la scène de telle sorte à ne pas pouvoir être vues, mais laissent une guitare accrochée à un arbre (I, 1, v. 104-110) :
CLAIRONDE[…] Mais, Lcine, attendant que quelqu’un vienne icy,Allons nous reposer au bord de la Prairie,Qui parest à nos yeux sibelle et si fleurie ;Ces arbres écartez nous donnent le moyenDe voir si quelqu’un sort.LUCINEAllons, je le veux bien.CLAIRONDEVa pendre auparavant ta guiterre au plus proche,Nous aurons du plaisir si quelqu’un en approche.
La ruse est fin prête. Leur cible arrive à la scène 2. Dans un premier temps, elles écoutent furtivement ce que Méliarque et Tersandre se disent, jusqu’à ce que ces derniers remarquent la guitare. Au moment où ils s’approchent pour voir de plus près, elles commencent à jouer leur rôle en feignant d’être endormies et de se lever. De leur côté, les deux hommes se sont également cachés afin d’écouter le chant de Floridan. Les « spectateurs » ont donc été inversés, mais seules Claironde et Lucine sont ici pour jouer un rôle. Ces dernières sont ainsi parfaitement conscientes du fait qu’elles sont espionnées, ce qui n’était pas le cas de Méliarque et Tersandre qui pensaient être seuls.
Si l’on peut parler de simple espionnage lorsque les deux femmes écoutent furtivement les deux hommes, on peut se demander dans le cas inverse s’il s’agit d’un simple jeu de rôle ou de théâtre dans le théâtre. Georges Forestier donne une définition assez claire des caractéristiques du théâtre dans le théâtre :
Il y a théâtre dans le théâtre à partir du moment où au moins un des acteurs de la pièce-cadre se transforme en spectateur. Dès lors un quelconque divertissement intercalé dans une pièce ne peut être considéré comme un spectacle intérieur que s’il constitue un spectacle pour les acteurs de la pièce-cadre85.
La distinction se joue donc principalement par la présence ou non d’un spectateur qui est aussi un des acteurs de la pièce. En ce sens, le reste de la pièce ne peut être considéré comme du théâtre dans le théâtre, dans la mesure où les acteurs de la pièce ne se transforment jamais en spectateur. On parlera donc davantage de jeu de rôle que de théâtre dans le théâtre. En revanche, dans le cas de cette scène, Méliarque et Tersandre se transforment en spectateurs de la scène jouée par Claironde et Dorimon, mais ils n’ont pas conscience qu’il s’agit d’un jeu de rôle : ce n’est qu’après qu’ils envisageront la possibilité que deux filles se cachent derrière ces déguisements. Durant cette scène et de leur point de vue, ils espionnent simplement les deux « frères » et pensent que ces derniers n’ont pas remarqué leur présence. De ce fait, ils n’y voient pas une forme de spectacle. Il faudra donc également parler de jeu de rôle dans ce cas-là.
La présence du jeu de rôle n’empêche cependant pas d’y voir une référence au théâtre. Georges Forestier reprenait notamment une remarque de Bernard Magné à ce sujet :
En outre, comme l’a fort justement fait remarquer B. Magné, scènes enchâssées et scènes de déguisement sont très proches sur le plan symbolique. Dans les unes comme dans les autres, la fonction métalinguistique est à l’œuvre, doublant la fonction référentielle, de sorte que ces scènes « se donnent à lire comme image symbolique de l’activité théâtrale » puisqu’elles mettent à jour les rapports entre la réalité et l’illusion que le théâtre met en jeu86.
Mais cette référence ne se limite pas simplement au jeu de rôle : le texte lui-même est rempli de références au théâtre. À l’acte II, lors de l’attaque des voleurs, l’un d’entre eux dit aux autres : « Rentrons, il luy vient du secours » (v. 481). L’utilisation de verbe « rentrer » n’est pas anodine : ce verbe est une référence explicite à l’expression « rentrer dans les coulisses », employée au xviie siècle pour dire « sortir de scène ». De la même manière, à la toute fin de la pièce, Floridan considère ses aventures comme « des sujets dont un jour à venir / Les Theatres fameux pourront s’entretenir » (v. 1665-1666). Ces vers font clairement référence à la pièce elle-même : toute la pièce n’est là que pour faire réfléchir le spectateur. Sallebray semble donc aller au-delà du principe qui veut que la représentation donne l’illusion de la réalité : il préfère rappeler à ses spectateurs qu’il ne s’agit que d’une représentation et qu’elle a donc pour but de les instruire tout en leur donnant du plaisir.
Ce plaisir passe notamment dans la complicité que Sallebray instaure entre ses personnages et les spectateurs. De nombreuses répliques sont ainsi prononcées à part, ce qui fait que le spectateur est le seul qui soit conscient des véritables pensées des personnages. Au total, on compte 29 didascalies qui annoncent que les répliques ou une partie des répliques sont prononcés à voix basse, dont 3 sont également prononcées « à l’écart », et 8 qui indiquent qu’elles sont prononcées « à part ». Toutes ces didascalies n’apportent cependant pas toujours le même rapport spectateur-personnage. Un des premiers rapports consiste dans le plaisir de la ruse. Au tout début de la pièce, on sait notamment que Lucine envisage de tromper Claironde, ce que Claironde ne sait pas (I, 1, v. 113-144) :
CLAIRONDEAinsi je surprendray l’objet de ma vangeance.LUCINE(Bas.) Ainsi la trahison surprendra l’innocence.
En sachant cela, le spectateur prendre plaisir à connaître la ruse que Lucine envisage. De la même manière, lors du sauvetage d’Alcinor par Floridan et Dorimon, le spectateur est le seul à savoir ce que pense réellement Floridan de la situation qu’il décrit, ce qui rend la scène beaucoup plus comique puisqu’il sait qu’Alcinor se trompe doublement en pensant avoir affaire à un rival (II, 3, v. 505-510) :
ALCINOR[…] D’où vient qu’à ce discours vous changez de couleur ?FLORIDAN, se retirant à l’écartCe n’est pas ce discours qui cause ma douleur.(Bas.) Soustiens moy Dorimon. Il en veut à Tersandre.Et ce cruel m’attaque en venant me deffendre.ALCINOR, à part.Si le mesme dessein les amenoit icy :Mais ces jeunes Cadets n’ont pas un tel soucy.
Un autre rapport de complicité se fait lorsque le spectateur partage les mêmes pensées que le personnage. C’est le cas lorsque Flaviane pense que Clymène aime également Floridan, et qu’elle se demande : « M’est-elle Confidente, ou si c’est ma Rivale ? » (II, 6, v. 651). Ces paroles sont en quelque sorte destinées aux spectateurs, qui se posent la même question : à ce moment-là, c’est la première fois que Flaviane et Clymène sont introduites sur scène. Le spectateur ne connaît donc pas encore les sentiments de Clymène envers Dorimon et se trouve dans la même position que Flaviane. Cet aparté ne fait donc que dire tout haut ce que le spectateur et le personnage pensent tout bas, renforçant ainsi la proximité entre spectateur et personnage. Tout se passe comme si Sallebray cherchait à intégrer le spectateur dans la représentation en le rendant complice de ce qui se passe sur scène.
Lucine, ou Dorimon : confiance et raison, trahison et mensonge §
Le personnage de Lucine nous apparaît comme celui qui présente le plus de liens avec le spectateur et celui qui ajoute la touche comique nécessaire à la tragi-comédie, et donc au plaisir du spectateur. Son rôle de confidente semble en premier lieu ne pas lui correspondre. Le personnage du confident inspire généralement la confiance, mais Lucine se tourne très souvent vers la ruse et la trahison. Dès le début de la pièce, malgré le fait qu’elle accepte d’aider Claironde, on sait très vite quelles sont ses véritables intentions grâce aux apartés. Elle commence tout d’abord par prier les dieux de sauver Tersandre : « Dieux ! destournez de luy cette horrible tempeste. » (v. 89), puis elle parle ensuite clairement de trahison : « Ainsi la trahison surprendra l’innocence. » (v. 114). Le spectateur s’attend pourtant à ce que Lucine cherche à aider Claironde dans son entreprise, et non pas à défendre son ennemi. À l’acte II, Lucine met sa ruse en place, qui consistait en un « faux rapport » (v. 451) où elle affirmait avoir tué Tersandre. Lors de cette première ruse, on voit très vite ce qui oppose Claironde et Lucine : la première se laisse souvent aller à ses passions, tandis que la seconde fait preuve de raison. En ce sens, elles se complètent assez bien, puisque Lucine est là pour redonner la raison à Claironde lorsqu’elle est sujette à ses passions.
Néanmoins, Claironde n’est pas la seule à être trompée par Lucine. À l’acte III, Dorimon (Lucine) prend la décision de « faire un tour » (v. 829) à Tersandre dans le but d’aider Floridan (Claironde). En tant que spectateur, nous ne savions pas tout de la ruse réalisée par Dorimon pour retenir Tersandre. Ce n’est qu’au tout début de l’acte IV que nous en savons plus (IV, 1, v. 940-948) :
DORIMONJe commence mon jeu par un triste visage ;Apres, pour feindre mieux, d’un esprit irritéJ’accuse vôtre humeur d’extréme cruauté ;Et voulant contre vous tesmoigner plus de rage,J’offris pour le servir mon bras et mon courage.FLORIDANEt s’il t’eust prise au mot ?DORIMONMon esprit combattu,De ce coup necessaire eust fait une vertu.FLORIDANOuy, car dans ce duel tu n’avois rien à craindre.DORIMONN’estoit-ce pas assez puisque j’avois à feindre ?
Ce n’est pas la première fois que Lucine nous présente son jeu d’actrice, puisqu’elle feignait de se réveiller à l’acte I. Dans cette même scène, on apprend également que Dorimon fait semblant d’aimer Clymène, ce que le spectateur, bien que conscient des ruses dont fait preuve Dorimon, ignorait jusqu’à présent. Il ignorait également le moyen utilisé par Dorimon pour retarder Tersandre à l’acte III, entre la scène 3 et la scène 4, tout comme il ne savait pas comment Lucine avait prévu de trahir Claironde. Le spectateur n’est donc pas totalement complice des ruses de Lucine. En nous démontrant par deux fois son jeu d’actrice, Sallebray prépare le spectateur à voir toute l’étendue de son talent dans un jeu de rôle digne d’une comédie.
Lucine n’en reste pas moins une personne de raison et même si elle trahit les autres, et en particulier Clymène, elle reste tout de même un personnage de confiance à qui Claironde confie ses sentiments et à qui elle demande conseil si nécessaire. Lucine finit systématiquement par avoir raison lorsqu’elle essaie de donner conseil à Claironde ou de la rassurer. Lorsqu’elle défend Tersandre au début de la pièce, elle fait déjà preuve d’un raisonnement qui condamne le spectateur à s’interroger sur la nécessité de la vengeance (I, 1, v. 51-56) :
Madame, il parest bien que Tersandre a failly:Mais qui ne se deffend quand il est assailly ?Et si de vos parens la trame fut coupée,Par le funeste coup de sa fatale espée,Son Pere auparavant par un semblable effortReçût-il pas du vostre une pareille mort ?
Les différentes questions posées à Claironde s’adressent également au spectateur. Celles-ci l’encouragent à faire preuve de raison et de jugement, là où la vengeance reste une passion qui ne conduit pas forcément à agir de manière raisonnable et juste.
On constate par ailleurs que Sallebray veut dépeindre Tersandre comme un homme galant et non pas comme un guerrier sanguinaire, ce qui fait que le spectateur est d’autant plus amené à réfléchir sur la vengeance : même si Claironde doit venger son père et son frère, Tersandre mérite-t-il vraiment de mourir, alors qu’il se présente comme un homme tout à fait respectable ? Lucine est là pour nous encourager, dès le début de la pièce, à réfléchir à cette question, et Alcinor y réfléchira par la suite après son duel, ce qui l’amènera à penser que la justice se trouve en réalité du côté de Tersandre. Lucine n’est donc pas simplement là pour donner du plaisir au spectateur : elle l’invite également à réfléchir sur la notion de vengeance.
Note sur la présente édition §
La présente édition reproduit le texte original de L’Amante Ennemie de Monsieur Sallebray, dont le Privilège du Roi est daté du 8 avril 1642 et l’achevé d’imprimer du 2 mai 1642. L’exemplaire qui a servi de référence se trouve à la BNF sous la cote RES-YF-581.
Différents exemplaires du texte §
Le texte n’a pas eu de réédition. La seule édition existante que nous possédons a été publiée chez Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, sous un format in-4° de 128 pages. On compte à ce jour 15 exemplaires de la pièce en France. Ils sont consultables dans les bibliothèques suivantes :
– BNF Bibliothèque François Mitterand : 3 exemplaires cotés RES-YF-581, RES-YF-1728 et RES-YF-570.
– BNF Bibliothèque de l’Arsenal : 5 exemplaires cotés 4-BL-3498 (4), 4-BL-3499 (4)87, GD-40246, THN-9670 et THN-144.
– BNF Bibliothèque Richelieu : 1 exemplaire coté 8-RF-7114.
– Bibliothèque Mazarine : 1 exemplaire coté 4° 10918-25/4.
– Bibliothèque intra-universitaire de la Sorbonne : 1 exemplaire coté RRA 483 in-8.
– Bibliothèque Sainte-Geneviève : 1 exemplaire coté DELTA 15225 FA (P.4).
– Bibliothèque municipale d’Angers : 2 exemplaires cotés BL 2225 I (5) et BL 2225 VI (3).
– Bibliothèque Condé du Château de Chantilly : 1 exemplaire coté VII-A-023-(4).
A ce jour, seuls les exemplaires des bibliothèques Richelieu, Mazarine, Sainte-Geneviève et Condé (Chantilly) n’ont pas été consultés. Les 5 exemplaires suivants figurent dans des recueils factices :
– Bibliothèque de l’Arsenal : 4-BL-3498 (4), 4-BL-3499 (4) et THN-9670.
– Bibliothèque d’Angers : BL 2225 I (5)88 et BL 2225 VI (3).
Dans l’exemplaire coté THN-9670 de la bibliothèque de l’Arsenal, le premier feuillet de la pièce est mal relié. On trouve les pages ainsi reliées : [pages 3 à 6] / [Privilège du Roy et liste des personnages] / [pages 1 et 2] / [pages 7 et 8]. Ce détail mis à part, tous les exemplaires consultés, en dehors du nôtre, ont apporté une correction à la page 82. On peut donc penser que notre exemplaire est l’un des premiers exemplaires imprimés de la pièce. Cependant, toutes les autres erreurs relevées n’ont pas été corrigées dans les exemplaires consultés.
Description matérielle de l’édition de référence §
Le texte qui a été adopté comme référence se présente sous la forme d’un in-4° de IV-128. En voici la description :
[I] - Page de titre : L’AMANTE / ENNEMIE. / TRAGI-COMEDIE. / DE / MONSIEUR SALLEBRAY. / [Fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez { ANTOINE DE SOMMAVILLE, en la Ga-/lerie des Merciers, à l’Escu de France, / & / AUGUSTIN COURBE, en la mesme Ga-/lerie, à la Palme. } Au Palais. / [Filet] / M.DC.XXXII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY
[II] - Page blanche.
[III] - Extrait du privilège du Roi.
[IV] – Liste des personnages
[1 – 128] - Texte de la pièce.
Établissement du texte §
En règle générale, nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, exception faite de quelques modernisations et corrections :
– nous avons modernisé les « ∫ » en « s »,
– nous avons modernisé les « ß » en « ss »,
– nous avons distingués les « u » des « v » et les « i » des « j », conformément à l’usage moderne.
– nous avons remplacé la ligature « & » par la conjonction « et ».
– nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en un groupe voyelle-consonne. En voici la seule occurrence :
v. 842 : prétendāt → prétendant
– nous avons rajouté l’accent diacritique permettant de distinguer le relatif « où » de la conjonction au v. 1244.
– nous avons corrigé quelques erreurs manifestes, consultables ci-dessous.
Corrections apportées §
Erreurs de ponctuation : §
v. 22 : crime, → crime ?
v. 25 : transporte ? → transporte,
v. 32 : differer, → differer ?
v. 154 : envie. → envie ?
v. 158 : durables. → durables,
v. 177 : nuisible. → nuisible ?
v. 216 : soûpirs. → soûpirs,
v. 230 : histoires. → histoires ?
v. 275 : pourvûs. → pourvûs ?
v. 363 : mal-heureuse ? → mal-heureuse,
v. 364 : d’Enfer. → d’Enfer ?
v. 454 : Passez vous → Passez-vous
v. 515 : Tersandre, → Tersandre.
v. 516 : pretendre. → pretendre,
v. 567 : N’aurions nous → N’aurions-nous
v. 578 : Claironde : → Claironde,
v. 649 : appas. → appas ?
v. 669 : treuvé. → treuvé ?
v. 725 : repas. → repas ?
v. 739 : aimé, → aimée
v. 776 : Approuvez vous → Approuvez-vous
v. 813 : déguisement. → déguisement ?
v. 833 ; faites vous → faites-vous
v. 910 : serions nous → serions-nous
v. 931 : aurons nous → aurons-nous
v. 959 : sorte, → sorte ?
v. 975 : Taisons nous → Taisons-nous
v. 979 : extraordinaire. → extraordinaire ?
v. 1023 : nommez vous → nommez-vous
v. 1073 : Appel. → Appel ?
v. 1089 : L’avez-vous → L’avez-vous
v. 1090 : autheur. → autheur ?
p. 79 de l’original, personnages présents sur scène : Flaviane, → Flaviane.
v. 1098, 1449 : Craignez vous → Craignez-vous
v. 1112 : Aviez vous → Aviez-vous
v. 1113 : Craigniez vous → Craigniez-vous
p. 86 de l’original, personnages présents sur scène : Alcinor, → Alcinor.
v. 1216 : Croyez vous → Croyez-vous
v. 1224 : touche ? → touche.
v. 1230 : cher. → cher ?
v. 1294 : trouver : → trouver,
v. 1297 : m’assurez vous → m’assurez-vous
v. 1353 : remede. → remede ?
v. 1354 : confus ? → confus.
v. 1362 : ne sçavez vous → ne sçavez-vous
v. 1456 : avons nous → avons-nous
v. 1509 ; plaisir. → plaisir
v. 1511 : Tersandre. → Tersandre ?
v. 1654 : consolez ? → consolez !
Coquilles dans les vers : §
v. 95, 574, 1650 : Floridant → Floridan
v. 129 : Eortune → Fortune
v. 227 : tiltre → titre
v. 332, 594 : traitement → traittement
v. 354 : alegement → allegement
v. 395 : lance → lame
v. 415 : felonie → felonnie
v. 425 : tarde-tu → tardes-tu
v. 448 : effect → effet
v. 781, 1525 : hazart → hazard
v. 840 : qu’appercevez-vous → qu’apercevez-vous
v. 890 : ataquer → attaquer
v. 903 : à croire → accroire
v. 936 : sortit → serait
v. 955 : indiference → indifference
v. 971 : carresses → caresses
v. 1083 : j’en connessance → j’en ai connessance
v. 1105 : eschaper → eschapper
v. 1289 : c’est-elle → c’est elle
v. 1298 : la doute → le doute
v. 1319 : Reserve-tu → Reserves-tu
v. 1393 : és tu → es tu
v. 1469 : n’és-tu → n’es-tu
v. 1627 : Dequoy → De quoy
v. 1628 : m’anonce → m’annonce
v. 1632 : qu’aprenant → qu’apprenant
Coquilles dans les didascalies et la pagination : §
Sous-titre, p. 1 de l’original : COMEDIE → TRAGI-COMEDIE
Didascalie du v. 481, p. 34 de l’original : Le VOLEUR. / Fuyons, → LE VOLEUR, fuyant
Numéro de page, p. 38 de l’original : 83 → 38
p. 63 de l’original, didascalie : FLORIDAN, à Doriman. → FLORIDAN, à Dorimon.
p. 82 de l’original, numéro de page : 88 → 82
p. 111 de l’original, personnages scène VIII : DIOMEDE endormy. DORIMON, FLORIDAN. → DIOMEDE endormy, DORIMON, FLORIDAN.
Dans notre texte, les astérisques renvoient le lecteur au lexique ; les lettres et chiffres inscrits entre […] indiquent les cahiers et pages de l’original. Dans les notes de bas de page, les lettres entre (…) indiquent le dictionnaire d’où est tiré la définition du mot qui est traité à cet endroit car il n’a que peu d’occurrences dans le texte. La correspondance entre les lettres et le dictionnaire est notée dans le lexique.
Extrait du Privilege du Roy. §
PAR Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 8. jour d’Avril 1642, Signé par le Roy en son Conseil, le BRUN, il est permis à Augustin Courbé Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une piece de Theatre, intitulée l’Amante Ennemie, durant cinq ans : Et deffences sont faites à tous autres d’en vendre d’autre impression que de celle qu’aura fait faire ledit Courbé, ou ses ayans cause, à peine de trois mil livres d’amende, et de tous ses despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par ledit Privilege.
Et ledit Courbé a associé audit Privilege Antoine de Sommaville, aussi Marchand Libraire à Paris, suivant l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer le deuxiesme jour de May 1642 .
LES PERSONNAGES §
- TERSANDRE,
- Heros de la Piece.
- MELIARQUE,
- Amy de Tersandre.
- CLAIRONDE,
- ou Floridan, ennemie de Tersandre.
- LUCINE,
- ou Dorimon, Confidente de Claironde.
- ALCINOR,
- Amant de Claironde, et en suitte de Flaviane.
- FLAVIANE,
- sœur de Tersandre, amoureuse de Floridan.
- CLYMENE,
- Confidente de Flaviane, amoureuse de Dorimon.
- DIOMEDE,
- domestique de l’Oncle de Claironde.
- TROIS VOLEURS.
L’AMANTE [A,1]
ENNEMIE.
TRAGI-COMÉDIE.
ACTE PREMIER. §
Scène PREMIÈRE. §
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE, bas.
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE
CLAIRONDE
LUCINE {p. 8}
CLAIRONDE
LUCINE.
CLAIRONDE
LUCINE
Scène II. §
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE {p. 10}
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE {p. 12}
CLAIRONDE, à l’escart avec Lucine.
LUCINE, bas.
CLAIRONDE, bas.
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE {p. 14}
TERSANDRE
MELIARQUE
CLAIRONDE, bas.
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE {p. C, 17}
CLAIRONDE, bas
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE {p. 18}
CLAIRONDE, bas.
TERSANDRE
CLAIRONDE, bas.
MELIARQUE
CLAIRONDE, bas.
TERSANDRE
MELIARQUE
CLAIRONDE, bas.
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
CLAIRONDE, poussant Lucine.
TERSANDRE, bas, et à l’écart. {p. 21}
MELIARQUE, bas.
LUCINE, feignant de se réveiller.
CLAIRONDE
LUCINE, feignant de se vouloir lever.
CLAIRONDE
TERSANDRE, bas.
LUCINE
CLAIRONDE, bas.
TERSANDRE
CLAIRONDE
TERSANDRE {p. 23}
CLAIRONDE
TERSANDRE
LUCINE
TERSANDRE
LUCINE, bas à l’escart. {p. 24}
CLAIRONDE
TERSANDRE
CLAIRONDE
TERSANDRE
CLAIRONDE
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
{p. D, 25}Scène première. §
FLORIDAN123, seule dans une chambre.
Scène II. §
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN {p. 29}
DORIMON
FLORIDAN
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
Scène III. §
[E, 33]UN VOLEUR
ALCINOR
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON {p. 34}
LE VOLEUR, fuyant.
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN, se retirant à l’écart.
ALCINOR, à part.
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN {p. 37}
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR, à part.
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR, sortant.
Scène IV. §
{p. 39}FLORIDAN, bas.
DORIMON
FLORIDAN
Scène V. §
{p. 40}TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE {p. 42}
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
Scène VI. §
{p. 44}FLAVIANE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE, à part.
CLYMENE {p. 47}
FLAVIANE, à part.
CLYMENE
FLAVIANE, bas.
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
Scène VII. §
{p. 48}FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLAVIANE, les surprenant.
FLORIDAN
FLAVIANE
TERSANDRE
FLORIDAN
FLAVIANE, à part.
TERSANDRE, à Floridan.
FLAVIANE
TERSANDRE
FLAVIANE
FLORIDAN
TERSANDRE, à Clymene.
CLYMENE, sortant.
FLAVIANE {p. 51}
TERSANDRE
FLAVIANE, à part.
FLORIDAN, la prenant.
FLAVIANE
FLORIDAN
CLYMENE
FLAVIANE
FLORIDAN
FLAVIANE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
Fin du second Acte.
ACTE III. §
{p. 54}Scène première. §
FLORIDAN, seule dans une chambre, sortant de dessus un lit.
Scène II. §
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR
FLORIDAN
ALCINOR, sortant
FLORIDAN, seule.
Scène III. §
DORIMON
FLORIDAN, levant la visiere.
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
Scène IV. §
{p. 61}DORIMON
TERSANDRE
DORIMON
Je le cherchois aussi.
TERSANDRE
DORIMON
TERSANDRE {p. 62}
DORIMON
TERSANDRE
DORIMON
TERSANDRE
DORIMON
TERSANDRE
DORIMON, l’arrestant. {p. 63}
TERSANDRE, lit ce Cartel qui suit.
TERSANDRE, sortant.
FLORIDAN, à Dorimon.
Scène V. §
{p. 64}Alcinor
Scène VI. §
ALCINOR
TERSANDRE, croyant parler à Meliarque.
ALCINOR
TERSANDRE, levant la visiere.
ALCINOR
TERSANDRE.
ALCINOR
TERSANDRE
ALCINOR
TERSANDRE, luy donne à lire.
ALCINOR
TERSANDRE
ALCINOR {p. 68}
TERSANDRE
Fin du troisiesme Acte.
ACTE IV. §
Scène première. §
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON {p. 71}
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
Scène II. §
[K,73]CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
FLAVIANE
CLYMENE
CLYMENE
FLORIDAN
DORIMON, bas.
FLORIDAN
CLYMENE
FLORIDAN
FLORIDAN
FLAVIANE
FLORIDAN
FLAVIANE {p. 76}
FLORIDAN
FLAVIANE
FLORIDAN
FLAVIANE {p. 77}
FLORIDAN, bas à l’écart.
FLAVIANE
Scène III. §
{p. 79}ALCINOR, reconnessant Floridan.
TERSANDRE
ALCINOR
TERSANDRE
ALCINOR
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
FLAVIANE
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
ALCINOR
TERSANDRE
FLAVIANE
TERSANDRE
ALCINOR
FLORIDAN
TERSANDRE
FLAVIANE
FLORIDAN
FLAVIANE {p. 85}
ALCINOR, devenu amoureux de Flaviane.
FLAVIANE
ALCINOR
FLORIDAN, bas à l’écart. {p. 86}
Scène IV. §
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
Scène V. §
{p. M, 89}DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
Scène VI. §
{p. 92}MELIARQUE, les voyant se baiser.
DORIMON
CLYMENE
MELIARQUE
CLYMENE
ACTE V. §
{p. 94}Scène première. §
DIOMEDE, seul.
Scène II. §
TERSANDRE
MELIARQUE
DIOMEDE
TERSANDRE {p. 96}
DIOMEDE
TERSANDRE
DIOMEDE
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
DIOMEDE[N, 97]
TERSANDRE
MELIARQUE
TERSANDRE
MELIARQUE
DIOMEDE
TERSANDRE
DIOMEDE {p. 98}
TERSANDRE
MELIARQUE
DIOMEDE
Scène III. §
DIOMEDE, seul.
Scène IV. §
FLAVIANE
Scène V. §
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE[102]
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE[103]
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR {p. 104}
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
ALCINOR
FLAVIANE
Scène VI. §
{p. 106}ALCINOR
Scène VII. §
{p. 108}DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON, bas.
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE
DORIMON
CLYMENE {p. 110}
DORIMON
CLYMENE
DORIMON, bas.
CLYMENE
DORIMON
Scène VIII. §
{p. 111}DORIMON
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DORIMON [P, 113]
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
DIOMEDE, se réveillant. Il prend Floridan et Dorimon pour Tersandre et Meliarque.
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN {p. 114}
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
DORIMON
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
DIOMEDE
FLORIDAN
Scène IX. §
{p. 117}TERSANDRE, à part.
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE {p. 119}
FLORIDAN
TERSANDRE {p. 120}
FLORIDAN
TERSANDRE
FLORIDAN
TERSANDRE
Scène X. §
MELIARQUE, à part.
TERSANDRE
MELIARQUE
FLORIDAN
DORIMON
FLORIDAN
MELIARQUE {p. 123}
TERSANDRE
FLORIDAN
Scène XI. §
{p. 124}ALCINOR
FLAVIANE
FLORIDAN, la surprenant.
FLAVIANE
FLORIDAN
FLAVIANE {p. 125}
FLORIDAN
ALCINOR
FLAVIANE
TERSANDRE
FLAVIANE
FLORIDAN
CLYMENE
FLORIDAN
FLAVIANE
ALCINOR
FLORIDAN
FLAVIANE
FLORIDAN[127]
TERSANDRE
Scène Dernière. §
CLYMENE, seule.
FIN.
Lexique §
ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Loignard, 1694. (A)
FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier LEERS, 1690, 3 vol. [réed.], réimpr. Paris, SNL-Le Robert, 1978. (F)
CAYROU Gaston, Le Français classique. Lexique de la langue du dix-septième siècle, Paris, chez Henri Didier, 1924. (C)
RICHELET Pierre, Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680, 2 vol. (R)
SANCIER-CHÂTEAU Anne, Introduction à la langue du XVIIè siècle. I. Vocabulaire, Paris, Nathan, 1993. (S)
Bibliographie §
I ) Sources §
Dictionnaires §
DE LA PORTE Joseph et DE CHAMFORT Sébastien-Roch-Nicolas, Dictionnaire dramatique, contenant l’histoire des théâtres, les règles du genre dramatique, les observations des maîtres les plus célèbres et des réflexions nouvelles sur les spectacles, Tome 3, Paris, chez Lacombe, 1776.
DE LÉRIS Antoine, Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres, contenant l’origine des différens théâtres de Paris, Paris, chez C. A. Jombert, 1763.
LA VALLIÈRE Louis-César de la Baume Le Blanc, CAPPERONNIER Jean et BOUDOT Pierre-Jean, Bibliothèque du théâtre françois depuis son origine, contenant un extrait de tous les ouvrages composés pour ce théâtre, III, Dresde, chez M. Groell, 1768.
MAUPOINT (avocat), Bibliothèque des théâtres contenant le catalogue alphabétique des pièces dramatiques et opéra, le nom des auteurs et le temps de la représentation de ces pièces, avec des anecdotes sur les auteurs et sur la plupart des pièces contenues en ce recueil, Paris, chez Laurent-François Prault, 1733.
MORVAL Georges, Lettres au Mercure sur Molière, sa vie, ses œuvres et les comédiens de son temps, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1887.
Sur le théâtre du XVIIe siècle §
CHAPPUZEAU Samuel, Le Théâtre François, divisé en trois livres, où il est traité : I. de l’Usage de la comédie ; II. Des Auteurs qui soutiennent le théâtre ; III. De la Conduite des comédiens, Lyon, chez M. Mayer, 1674.
CLÉMENT Jean Marie Bernard et DE LA PORTE Joseph, Anecdotes dramatiques, Tome 3, Paris, chez la Veuve Duchesne, 1775.
HOWE Alan, Le Théâtre professionnel à Paris, 1600-1649, Paris, Centre historique des archives nationales, p. 147.
LANCASTER Henry Carrington éd., Le Mémoire de Mahelot, Laurent et d’autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne et de la Comédie-Française au XVIIe siècle, Paris, Champion, 1920.
PARFAICT Claude et François, Histoire du théatre françois, depuis son origine jusqu’à présent, VI, Paris, chez P. G. Le Mercier et Saillant, 1745.
Autour de Sallebray §
BESONGNE Nicolas, L’État de France, où l’on voit tous les princes, ducs et pairs, maréchaux de France et autres officiers de la couronne : les évêques, les cours qui jugent en dernier ressort, les gouverneurs des Provinces, les Chevaliers des trois Ordres du Roi, etc, Tome 1, Paris, 1661-1698.
DA VINHA Mathieu, Les Valets de chambre de Louis XIV, Paris, Perrin, Coll. « tempus », 2009.
DE LA CHESNAYE-DESBOIS François Alexandre Aubert, Dictionnaire de la noblesse, contenant les Généalogies, l’Histoire & la Chronologie des Familles Nobles de France, Tome 1, A Paris, chez la Veuve Duchesne et l’Auteur, 1770.
GUIFFREY Jules, Comptes des bâtiments sous le règne de Louis XIV, Paris, Imprimerie Nationale, 1881-1901.
HERBET Félix, Extrait d’actes et notes concernant des artistes de Fontainebleau, Fontainebleau, Imprimerie de Maurice Bourges, 1901.
TRABOUILLET Louis, L’État de France, où l’on voit tous les princes, ducs et pairs, maréchaux de France et autres officiers de la couronne : les évêques, les cours qui jugent en dernier ressort, les gouverneurs des Provinces, les Chevaliers des trois Ordres du Roi, etc, Tome 1, Paris, 1699 et 1702.
Autres œuvres §
Sallebray, Le Jugement de Pâris et le ravissement d’Hélène, Paris, chez Toussainct Quinet, Paris, 1639.
Sallebray, La Troade, Paris, chez Toussainct Quinet, 1640.
Sallebray, La Belle Egyptienne, Paris, chez Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1642.
Sallebray, La Belle Egyptienne, Bruxelles, chez François Foppens, 1671.
VAN ROOSBROECK Gustave L., « The Source of De Sallebray’s Amante Ennemie », dans Modern Language Notes, Vol. 36, n°2, pp. 92-95.
II ) Études générales sur la littérature et le théâtre §
Klapp Otto, Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann, depuis 1960.
Sur la littérature §
Arbour Roméo, L'ère baroque en France : répertoire chronologique des éditions de textes littéraires, t. III, 1629-1643, Genève, Droz, 1980.
Arbour Roméo, L'ère baroque en France : répertoire chronologique des éditions de textes littéraires, t. IV, 1585-1643, Genève, Droz, 1985.
Sur le théâtre §
Forestier Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre , Genève, Droz, 2004,
Forestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français, 1550-1680 : le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
FORESTIER Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Armand Colin, 2017 (5e édition).
FORESTIER Georges, Le Théâtre dans le théâtre, Genève, Droz, 1996.
MASTROIANNI Michele, Lungo i sentieri del tragico. La rielaborazione teatrale in Francia dal Rinascimento al Barocco, « Studi umanistici », Mercurio, 2009.
SCHERER Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, Paris, 1950 ; rééd. Armand Colin, 2014.
UBERSFELD Anne, Lire le théâtre (I et II), Belin, Lettres Sup, 1996.
Sur la tragi-comédie §
Baby Hélène,La Tragi-comédie de Corneille à Quinault , Klincksieck, 2001.
GUICHEMERRE Roger, La Tragi-comédie, PUF, 1981.
III ) Sur la langue du XVIIe siècle §
Dictionnaires §
ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Loignard, 1694.
FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier LEERS, 1690, 3 vol. [réed.], réimpr. Paris, SNL-Le Robert, 1978.
CAYROU Gaston, Le Français classique. Lexique de la langue du dix-septième siècle, Paris, chez Henri Didier, 1924.
RICHELET Pierre, Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680, 2 vol.
SANCIER-CHÂTEAU Anne, Introduction à la langue du XVIIe siècle. I. Vocabulaire, Paris, Nathan, 1993.
Grammaires §
Fournier Nathalie, Grammaire du français classique , Belin, 1998
HAASE A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1935, traduction de M. OBERT.