Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. Deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. Cette espèce de prestige alloit même jusqu’à faire trouver beaux des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots.
C’est par un commentaire aussi paradoxal que Les Anecdotes dramatiquesClément J.M.B. et Laporte J. de, Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris, Veuve Duchesne, 1775.Eurimédon ou l’illustre pirate. Comment expliquer que sans talent, Desfontaines ait obtenu des « succès marqués » ? Sans doute les commentateurs du XVIIIe siècle ont-ils lu cette tragi-comédie avec un regard « classique ». Sans doute l’œuvre de Desfontaines n’eut-elle pas un fort retentissement dans les siècles qui suivirent. Mais elle participe à la richesse théâtrale du début du XVIIe siècle. Desfontaines, ayant été favorisé du public, comme contribuent à le prouver la dizaine de pièces qu’il a publiées et la traduction de celle-ci en hollandaisLancaster Henry Carrington, dans The french Tragi-comedy. Its Origin and Development from 1552 to 1628, J.H. Furst Company, Baltimore, 1907, p. 78, et par Bauwens Johannès, La Tragédie française et le théâtre hollandais au XVIIe siècle, Amsterdam, A. H. Kruyt, 1921, p. 263. Bauwens précise qu’elle a été traduite en 1668, mais ne mentionne pas les références complètes de la traduction.Desmarets de Saint-Sorlin, Ariane, 2 volumes, Paris, Veuve Mathiteu Guillemot et Mathieu Guillemot, 1632.
C’est vers l’imaginaire littéraire des corsaires qu’Eurimédon ou l’illustre pirate nous mène, mais nous y retrouvons aussi des situations communes aux tragi-comédies des années 1630. Le héros éponyme, pirate avide de réintégrer la civilisation, sauve Pasithée, fille du roi de la Troade, des mains d’un prince qui tentait de l’enlever. Le roi manifeste sa reconnaissance en promettant le pouvoir à ce jeune inconnu. Mais il ne tient pas parole, et s’oppose à la relation amoureuse qui se tissait entre sa fille et le pirate. Eurimédon est chassé, puis revient travesti en amazone, pour approcher la princesse, et sauver le pays. Le roi lui est de nouveau redevable, mais n’accepte le mariage qu’une fois l’illustre identité du corsaire révélée.
Les informations concernant la vie de Nicolas Mary, dit Desfontaines, sont assez restreintes et nous viennent surtout des actes notariés et de ses publications.
D’après Chardon, il y aurait eu deux comédiens de ce nom. Les orthographes de « Marie » varient mais l’étude d’Alan HoweHowe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Archives nationales, Documents du minutier central des notaires de Paris, Paris, 2000, p. 184.Bourqui et Simone de Reyff dans leur édition des Tragédies hagiographiques de Desfontaines, puisque c’est celle qui est le plus souvent adoptée par les actes notariés.
Sa date de naissance est inconnue, mais Alan Howe la situe vers 1610 car en 1627 sa signature au bas d’un acte d’obligation le déclare « écolier, étudiant en université ». Il vivait alors à Paris, rue Saint-Martin, dans la paroisse de Saint-Laurent où il logeait son frère, Jean Mary, cordonnier. En 1636, il était « avocat en parlement ». Il faisait donc partie du « groupe important de dramaturges du XVIIe siècle formés à la robe »Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Archives nationales, Documents du minutier central des notaires de Paris, Paris, 2000Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Archives nationales, Documents du minutier central des notaires de Paris, Paris, 2000Eurimédon ou l’Illustre Pirate.
Desfontaines écrivit quinze pièces de théâtre et quelques textes en prose, dont une traduction. C’est l’année suivant son mariage, en 1637, qu’il commença à publier ces pièces. Eurimédon ou l’illustre pirate amorça cette période. Desfontaines était auteur d’un sonnetTragédies Hagiographiques établie par Claude Bourqui et Simone de Reyff.Les Heureuses Infortunes de Celiante et Marilinde veuves pucelles, par le sieur D. F., Paris, Trabouillet, 1636 », roman mentionné dans l’édition critique des Tragédies Hagiographiques établie par Claude Bourqui et Simone de Reyff.Eurimédon ou l’illustre pirate a été traduite en hollandais, cf Introduction générale.La vraie suite du Cid fut publiée en 1638, tout comme Orphise ou la beauté persécutée, puis Hermogène en 1639. En février 1640, Desfontaines joua avec Dufresne à Lyon. Puis Bélisaire fut représentée en 1640 à Paris et publiée en 1641. Les frères Parfait lui attribuent aussi Les Galantes vertueuses, histoire véritable et arrivée pendant le siège de Turin jouée en 1641 et publiée en 1642, l’année ou Alcidiane, ou les quatre rivaux fut jouée. En 1642, sa Perside ou la suite d’Ibrahim Bassa et Eustache ou le martyre de Saint Eustache furent représentés. Le Panégyrique à M. le cardinal de Richelieu (1642), dont nous n’avons retrouvé aucun exemplaire, date de 1642, comme la Paraphrase sur le Memento homo. En février 1643, Desfontaines se trouvait de nouveau à Lyon avec DufresneLe Moliériste, revue mensuelle par Georges Monval, Paris, 1880-1889, II, 266
D’après Lancaster, il aurait également écrit L’Illustre Amalazonte (1643) dont l’auteur est l’abbé de Ceriziers, ce qui serait son pseudonymeTragédies Hagiographiques de Desfontaines, édition établie par Claude Bourqui et Simone de Reyff.Le Vagabond, ou l’histoire et le caractère de la malice et des fourberies de ceux qui courent le monde aux despens d’autruy, (1644) qui connut une réédition en 1867. 1644 fut une année riche en publication avec Perside, Saint Eustache, L’illustre Olympe ou le Saint Alexis. Cette dernière pièce, jouée en 1643, connut deux rééditions, l’une en 1648 et l’autre en 1721. L’Entretien des bonnes compagnies, publié en 1644, dut connaître aussi un certain succès puisqu’il a été réédité sous un autre titre, et avec ajout de commentaires, en 1736. 1644, c’est aussi l’année de l’Illustre Théâtre dans lequel il joua de juin à décembreSoulierRecherches, p. 175.L’Illustre comédien ou le martyre de Saint Genest, pièce écrite alors que Desfontaines accompagnait à Bourbon « son Altesse Royale » Gaston d’Orléans.Chardon Henri, Nouveaux Documents sur la vie de Molière. M. de Modène, ses deux femmes et Madeleine Béjart, Paris, Picard, 1886, p. 155-156. Hommes illustres grecs et romains de PlutarquePlutarque, Hommes illustres grecs et romains, Paris, Antoine Robinot, 1645
Pourtant, l’année suivante, Desfontaines est endetté de 400 livres. En effet, le 18 décembre 1646, deux actes montrent ses difficultés financières. Le marchand libraire, Cardin Besongne, consentait à la mainlevée de la saisie qu’il avait fait faire sur deux de ses coffres pleins de hardes. Jean Mathée, dit Philandre, comédien du Marais, s’était constitué caution de la moitié de la dette. En outre, au paiement de la somme dont il était redevable et « des 25 livres de frais, le comédien affectait le prix que Besongne devait lui verser pour Semiramis » et « le privilège qu’il espérait obtenir avant la fête des Rois 1647 pour imprimer et débiter seul cet ouvrage »Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Archives nationales, Documents du minutier central des notaires de Paris, Paris, 2000La Véritable Sémiramis, crée en 1646 au théâtre du MaraisBellissante, ou la fidelité reconnue. Il écrivit plus tard un texte dont nous n’avons pas trouvé d’exemplaire, Le poète chrestien passant du Parnasse au Calvaire (1648).
Seules l’attribution de l’Illustre Comédien et de Bélissante ne sont pas sûres. En effet, elles lui sont attribuées seulement par les frères ParfaictParfaict, Histoire du théâtre français de puis son origine jusqu’à présent, Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1735, pour les tomes 1 et 2 ; P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, pour les tomes 3, 4 et 5, t. 5, p. 338.
Desfontaines fut membre de sa propre troupe, la « Troupe de Desfontaines » de 1649 à 1651, et qui ne survécut pas au départ de son fondateur.Chardon Henri, Nouveaux Documents sur la vie de Molière. M. de Modène, ses deux femmes et Madeleine Béjart, Paris, Picard, 1886.Bellefourest ou Belleforest, Nicolas Lion dit de Beaupré, Etienne Munier, embauché le 15 novembre 1649, en même temps que son épouse Françoise Segui, Charles Perredoulz embauché aussi en novembre 1649. Le Mongrédien et Robert mentionne la présence de la femme de Charles Perredoulz dans la troupe.Le Moliériste n° XXI, 1er décembre 1880, p. 266.
Nicolas Marie Desfontaines mourut le 4 février 1652 à Angers, et y fut inhumé le 7. Roman Comique de Scarron, comme l’affirme Antoine Adam dans les notes de son édition « Ce poète Roquebrune serait, à en croire la clef de l’Arsenal, M. de Moutières, bailli de Touvoy. Cette allégation est d’une évidente absurdité. Si l’on tient à mettre un nom sur Roquebrune, on se laissera persuader par les arguments d’H. ChardonChardon Henri, Scarron inconnu et les types de personnages du « Roman Comique », Genève, Slatkine, 1970Romanciers du XVII e siècle, éd. Antoine Adam, Pléiade, NRF, 1968, n. 2 p. 1423
La représentation d’Eurimédon ou l’illustre pirate a vraisemblablement eu lieu en 1635 à Paris. Nous n’avons pas de documents à ce sujet. Nous supposons avec H. C. Lancaster qu’elle a été jouée en 1635 ou 1636 à Paris.Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hoplins press, 1929-1942, volume 1, partie 2, p. 79.
En l’absence d’informations précises sur le lieu de représentation, nous en serons réduits à des suppositions en ce qui concerne les conditions matérielles de la représentation. Il est néanmoins possible, compte tenu des indications de lieu, d’affirmer qu’Eurimédon ou l’illustre pirate a bénéficié d’un décor à compartiments. En effet, le relevé des lieuxMémoire de MahelotMahelot, Le mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne et de la Comédie-Française au XVIIe siècle, éd. établie par Henry Carrington Lancaster, Paris, Honoré Champion, 1920.Eurimédon ou l’illustre pirate a dû se dérouler de cette façon.
Concernant la réception de la pièce, nous n’avons aucun document contemporain. Nous pensons qu’elle a du connaître un certain succès puisqu’elle a été imprimée et traduiteJ. Bauwens, La Tragédie française et le théâtre hollandais au dix-septuème siècle, Amsterdam, AH Kruyt, 1921. Il y donc eu une demande plusieurs années après sa représentation.Le Baron de la CrassePoisson Raymond, Le Baron de la Crasse, comédie, Paris, Guillaume de Lvyne, 1662 ; réed. établie par Charles Mazouer, Paris, STFM, 1987.Eurimédon montre que cette pièce était assez connue pour pouvoir être située chronologiquement par les spectateurs. Cependant, nous n’avons pas de texte critique contemporain, nous nous intéresserons donc à la lecture qui en a été faite au siècle suivant. Nous disposons des courtes remarques qui ont pu être faites sur Eurimédon dans les histoires du théâtre écrites au XVIIIe siècle. Le plus souvent, seul le titre est mentionné, mais la pièce génère des développements un peu plus importants chez les frères Parfait ou chez Clément et Laporte.Histoire du théâtre français de puis son origine jusqu’à présent, Parfait, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, pour les tomes 3, 4 et 5. Tome 5 p. 338 ; Clément J.M.B. et Laporte J. de, Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris, Veuve Duchesne, 1775.
Ces commentaires, courts et acerbes, montrent que la pièce a été lue à l’aune des critères classiques, sans souvenir des caractéristiques de l’esthétique tragi-comique. Ainsi, les frères Parfait parlent-ils d’une pièce « pleine d’inutilités, et d’une invention peu noble. ». Les « inutilités » renvoient sans doute aux digressions, qui entrent pourtant parfaitement dans l’esthétique de la tragi-comédie. Une « invention peu noble » se souvient sans doute du roi tombant amoureux d’un homme déguisé en femme, ou de Tygrane, prétendant à la main de la princesse, qui se cache lâchement en attendant la sentence du roi, parce qu’il croit avoir tué Eurimédon. Ces éléments comiques portent préjudice à la noblesse des personnages. Mais ils amènent un contraste de tonalités caractéristique de ces pièces. Ces procédés sont d’ailleurs analysés par Hélène Baby dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, au chapitre 3. L’alliance d’un personnage noble et d’un langage familier ou d’un personnage familier et d’un langage noble est courante. « Ces deux procédés introduisent une forme de comique bien particulière à la tragi-comédie, faite d’emphase et de dérision. »Baby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002, p. 68.La Jalousie du Barbouillé, ou Le Médecin volant.La Jalousie du Barbouillé, Le Médecin volant, Les Précieuses, Sganarelle.Le Médecin volant, en dresse à son valet le portrait suivant : « Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu lui parles d’Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté. »Anecdotes dramatiques, on peut lire que le prestige des acteurs était tel qu’il « alloit même jusqu’à faire trouver beaux, des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots. ». Les images basses peuvent nous faire penser au geste « déplacé » d’Eurimédon, qui embrasse le sein de Pasithée. Pourtant, un tel baiser était courant pour les amants dans les pièces de ce deuxième quart de siècle. Scherer nous apprend qu’« au théâtre comme dans le roman de la première moitié du siècle, il est assez fréquemment question d[’] embrasser ou de […] caresser »Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s. d. [1950], p. 405.
La conclusion de la pièce est dite mal amenée par les frères Parfait : « Mais le mariage racommode tout, et c’est par là que finit la Piéce, qui est assez mal conduite ». Or, le mariage succède à la reconnaissance, ce qui, même si la reconnaissance fait appel à un deux ex machina, est courant pour une tragi-comédie. Une fin un peu forcée ou qui se prolonge à loisir montre la réversibilité des choses, à laquelle les tragi-comédies de la première moitié du XVIIe siècle sont particulièrement sensibles.
Ainsi, les histoires du théâtre du XVIIe siècle dressent un tableau fortement critique, ou effacent simplement de l’histoire littéraire les pièces de Desfontaines, en ne se contentant que de les nommer. D’après les Anecdotes dramatiques, « Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. ». Ce paradoxe n’a pas d’explication dramaturgique ou esthétique, puisque des critères anachroniques sont appliqués. L’explication qu’aborde les Anecdotes dramatiques explique le succès par le seul jeu des acteurs, disant que « deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. ». Le succès de toutes ces pièces viendrait donc d’un contexte général et les bonnes comme les mauvaises œuvres auraient eu la faveur du public. Mais pour mieux comprendre les causes de cette réussite, il faudrait étudier les raisons de l’essor de la tragi-comédie en ce début de siècle. Eurimédon ou l’illustre pirate a de nombreux points communs avec les créations de cette époque. Etudier cette pièce permettrait de voir en quoi elle a pû profiter du succès de la tragi-comédie, ou développer des caractéristiques spécifiques. Aborder une explication esthétique ou dramaturgique du succès de Desfontaines suppose donc une étude qui ne suivra pas les règles du théâtre classique.
La tragi-comédie est un genre en plein essor dans les années 1630, mais les attaques des théoriciens, la recherche de vraisemblance, et certaines créations – comme Cinna, sous-titrée tragédie, alors que la fin en est heureuse – vont progressivement la mettre à mal, et orienter l’écriture de dramaturges comme Desfontaines vers la tragédie. Lorsqu’Eurimédon est publiée, les premières critiques contre la « liberté » s’élèvent, mais elles étaient vraisemblablement moins retentissantes lorsque le jeune avocat prit la plume. Nous allons donc concentrer notre étude sur la place de cette pièce dans l’essor de la tragi-comédie, non en fonction de sa « liberté » par rapport au classicisme, mais sous un angle plus précis, celui de « l’illustre pirate ». Eurimédon s’inscrit dans le thème littéraire de la piraterie. Le goût pour ce sujet est sans doute dû à la part de fantasmagorie et de fascination que recèle ce qui était d’abord une pratique contemporaine. Mais très vite, les récits de voyage, ou les récits de flibustiers ont attisé l’imagination des romanciers, puis des auteurs de tragi-comédies. Le choix de ce thème s’explique chez Desfontaines par la source, Ariane de Desmarets. Vraisemblablement, c’est le roman qui a amené ce sujet. Nous étudierons le rapport qu’a pu entretenir la première pièce de Desfontaines avec L’illustre corsaire de Mairet et Le Prince Corsaire de Scarron. En effet, ces deux pièces montrent par leur existence même qu’Eurimédon appartient à un courant thématique du début du XVIIe siècle. Sans prétendre qu’il ait lui-même engendré ce courant, il est intéressant de noter, une fois de plus, combien Desfontaines fut sensible aux goûts et lectures de son temps. Cette pièce par le choix du genre et par le thème des corsaires suit les mouvements littéraires qui lui sont contemporains.
La pièce de Desfontaines est antérieure aux créations de Mairet (1640), Scudéry (1644) et de Scarron (1658). Son action suit un cours différent et on ne saurait dire qu’Eurimédon constitue une source pour ces pièces. Mais c’est une des premières tragi-comédies, voire une des premières pièces de théâtreL’illustre corsaire de Mairet (1640), Axiane de G. de Scudéry (1644), Le Prince corsaire de Scarron (1663) ; comédies : La Belle Alphrède de Rotrou (1639), L’Avare (1668) et Les Fourberies de Scapin (1671) de Molière. Dans l’absence de relevé exhaustif, il nous est impossible de mesurer avec exactitude la part d’innovation qu’a peut-être apportée Desfontaines avec ce nouveau sujet théâtral.Eurimédon et les autres créations dramaturgiques permettra d’examiner quels sont les thèmes communs, quels sont les aspects de la piraterie qui intéressaient les dramaturges de l’époque, et dans quelle mesure Desfontaines se trouve en accord avec ce courant.
La vision littéraire du pirate est très éloignée de sa réalité historique. L’imaginaire littéraire pense que la société pirate adopte un modèle aristocratique. Or il s’agissait au XVIIe siècle d’une société relativement démocratique et très peu hiérarchisée, comme le souligne Sylvie RequemoraRequemora Sylvie, L’imagerie littéraire du tyran de la Mer au XVIIe siècle : des récits de voyage et des histoires de flibustiers aux traitements romanesques et dramaturgiques, extrait du colloque international "L'aventure maritime : pirates, corsaires et flibustiers", du Centre de Recherche sur la Littérature des VoyagesEurimédon, la hiérarchie est assez fortement soulignée, et les pirates respectent le héros d’autant plus qu’ils le croient de sang royal. Eurimédon raconte ainsi son sacre :
Comme à leur souverain ils me firent hommage ; Glorieux (disoient-ils) d’obeyr desormais Au Prince le plus grand que le ciel vit jamais :
De ce point de vue, cette pièce ne s’écarte pas de la tradition littéraire. En revanche il est assez surprenant de lire le terme pirate pour un personnage comme Eurimédon. S. Requemora remarque que dans l’imaginaire tragi-comique le corsaire était civilisé, gentilhomme, à la différence du pirate, barbare et sanguinaire. Le titre de la pièce serait donc paradoxal et irait à l’encontre de la terminologie usuelle. Cela peut s’expliquer par le fait que Desfontaines est sans doute un des premiers à porter ce thème à la scène. Il utilise indifféremment les deux termes dans le cours de la pièce, sans que cela appelle des nuances différentes. Dans les définitions qu’en donnent les dictionnaires, ces distinctions ne sont pas très rigoureuses, puisque Furetière écrit que le corsaire « court les mers sans aucune commission pour voler les Marchands. ». Desfontaines ne dégrade pas son personnage par le titre de pirate, il exploite ce personnage alors que les désignations ne sont pas encore établies, et c’est par la suite que la tragicomédie va établir la dichotomie entre « affreux pirate » et « gentilhomme corsaire »Requemora Sylvie, L’imagerie littéraire du tyran de la Mer au XVIIe siècle : des récits de voyage et des histoires de flibustiers aux traitements romanesques et dramaturgiques, dans Les tyrans de la mer. Pirates, corsaires et flibustiers, textes réunis par Linon-Chipon Sophie et Requemora Sylvie, Celat, Presses de l’université Paris-Sorbonne, Imago Mundi n°4, Paris, 2002, p. 311.Œxmelin, Histoire des Aventuriers qui se sont signalez dans les Indes, contenant ce qu’ils ont fia de plus remarquable depuis vingt années, cité par Requemora Sylvie dans L’imagerie littéraire du tyran de la Mer au XVIIe siècle : des récits de voyage et des histoires de flibustiers aux traitements romanesques et dramaturgiques, dans Les tyrans de la mer. Pirates, corsaires et flibustiers, textes réunis par Linon-Chipon Sophie et Requemora Sylvie, Celat, Presses de l’université Paris-Sorbonne, Imago Mundi n°4, Paris, 2002, p. 299.Axiane de Scudéry, Leontidas dit qu’il aurait préféré la mort de sa fille à la trahison qu’elle lui a faite en partant avec son esclave Hermocrate. Nous reconnaissons avec Sylvie Requemora que l’importance de la fidélité correspond à une réalité historique dont Desfontaines comme d’autres auteurs ont pu avoir connaissance. Néanmoins il nous semble important de souligner que la fidélité est avant tout une qualité exigée par le code aristocratique ; nous n’avons donc pas la preuve que Desfontaines connaissait la réalité corsaire. Autre fait historique, les pirates avaient des îles pour repère. Que Desfontaines conserve ce trait réaliste lorsqu’Eurimédon mentionne le lieu de son repère :
Je devois faire esclave, et mener en Corcyre Corcyre ou Corfou : « isle de la mer Ionienne » écrit Moreri. C’est le repère des pirates qui ont élevé Eurimédon. Celle qui doit un jour regner en ton empire ;
ne prouve pas qu’il cherche à être réaliste. Il s’agit en fait d’un lieu commun concernant les pirates.
Ainsi, les éléments réalistes ne sont pas à porter au compte d’une connaissance précise des mœurs des pirates. Ils peuvent s’expliquer par les lieux communs véhiculés sur les corsaires ou par le code aristocratique qui coïncide parfois avec celui des pirates, c’est le cas en ce qui concerne la trahison. Desfontaines transforme la réalité en faisant du corsaire un gentilhomme. Eurimédon est, par sa vision des pirates, conforme à l’imaginaire tragi-comique de son époque.
Ce n’est pas seulement dans sa vision du pirate que le jeune dramaturge se rapproche des créations contemporaines. D’un point de vue structurel nous pouvons constater qu’il y a des schémas récurrents dans les pièces exploitant ce thème. Les pirates de Desfontaines et de Mairet ont tous deux une audace amoureuse ou une faute à se faire pardonner. Eurimédon a embrassé le sein de la princesse, et Lepante a embrassé Ismenie, et c’est pour cela qu’elle l’a chassé en lui demandant de ne plus reparaître devant elle. Le récit que fait Lepante de cette scène renforce la ressemblance avec la situation d’Eurimédon.
C’est qu’estant sur le point de me separer d’elle (Helas ! voicy le bien d’où mon mal est venu)
Ce passage rappelle qu’Eurimédon embrasse le sein Pasithée en guise d’adieu.
Cet Esprit jusqu’alors toujours si retenu, Oubliant la froideur qu’il nous avoit montrée Nous permit dans sa chambre une secrette entrée, Où seul sur le minuit je fus luy dire adieu Malgré tous les soupçons, et de l’heure, et du lieu ; C’est là que toute chose augmentant mon audace En cherchant un baiser, je treuve ma disgrace,
De la même manière Eurimédon embrasse le sein de Pasithée lorsque le roi les surprend.
Ses yeux auparavant si calmes et si clairs Me lancent des regards qui semblent des éclairs, Et sa bouche offencée aux injures ouverte, Me foudroye en ces mots, qui causerent ma perte : Indiscret, me dit-elle, apres cet accident, Ne me montre jamais ton visage impudent, Meurs, et soüille la mer de tes flames impures. […] Pleure, soupire, plaint, appelle sa Nourrice, Et luy commande enfin de me mettre dehors : Mairet,L’illustre corsaire, tragi-comédie, Paris, Augustin Courbe, 1640
Ce passage serait à rapprocher de la scène 5 de l’acte IV où Pasithée, furieuse qu’Eurimédon ait tenté de dormir avec elle, pousse des cris qui font venir sa suivante, Alerine. Un tel parallèle montre que ces dramaturges s’intéressent aux mêmes motifs : piraterie, honneur féminin en danger, condamnation de l’homme n’ayant pas su maîtriser son élan amoureux. Dans ces deux pièces l’homme élevé par les pirates, ou qui va se mêler à eux, manifeste ses sentiments avec trop d’audace.
La jeune fille amoureuse du faux corsaire fait, chez Desfontaines comme chez Mairet, preuve d’un instinct infaillible. Elle accorde plus de confiance à la vertu qu’elle voit qu’à la naissance, ou au royaume. Ainsi, dans L’Illustre Corsaire, Ismene affirme à Lepante qu’elle l’aime sans son royaumeMairet,L’illustre corsaire, tragi-comédie, Paris, Augustin Courbe, 1640, p. 97
N’importe, il me suffit que vous estes né Prince, Vostre moindre vertu vaut mieux qu’une Province, Et sans gloire, et sans bien, l’amour que j’ay pour vous Me rendra tout aysé vous ayant pour Espoux
Dans ce discours le fait d’être « né Prince » revient à parler de la « vertu » de l’homme aimé. Dans Eurimédon, le héros ignorant sa naissance, ce sont ses actes qui deviennent le signe de sa vertu. Ainsi, ces pièces qui jouent avec l’identité défendent la valeur intérieure aux dépens des signes extérieurs de vertu. La thématique du pirate noble se double d’un discours sur la noblesse intérieure. Ce ne sont ni les royaumes ni le nom qui font l’homme honnête, ce sont ses actions. Néanmoins, la réplique d’Ismene « il me suffit que vous estes né Prince, » et la réelle identité de ces deux pirates nous prouvent que les dramaturges ne montrent pas d’homme vertueux qui ne soit pas noble. La jeune fille sait reconnaître la noblesse, une jeune fille vertueuse peut reconnaître un homme d’honneur indépendamment de son nom ou de son titre. C’est ce thème qui est repris dans ces deux pièces, plus que l’idée que les actes honorables font l’homme honnête.
Un aspect assez étonnant est mis en scène chez Desmarets comme chez Mairet. La jeune fille consent à être enlevée par le pseudo corsaire. Elle se fie totalement au sens de l’honneur du corsaire. Ce comportement s’explique puisqu’elle reconnaît la noblesse de l’inconnu, mais il demeure peu convenable. Ces scènes sont comme des suggestions de transgressions, mais les personnages, comme les spectateurs, devinent d’emblée que l’honneur est sauf. Introduire un pirate ou un corsaire, c’est amener une figure audacieuse, qui perturbe quelque peu les convenancesJ. Scherer citant Marmontel, dans Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s. d. [1950], p. 383 : « Marmontel distingue les « convenances », qui sont relatives aux personnages, des bienséances, qui « sont plus particulièrement relatives aux spectateurs » ».
Le pirate se caractérise aussi par sa bravoure. La comparaison à AlcideEurimédon, I, 2.
Alcide avant sa mort estoit ce que nous sommes, Ce Heros comme vous nasquit entre les hommes,
se retrouve pour désigner LepanteL’Illustre Corsaire, p. 125.Le Prince Corsaire de Scarron, Alcandre était reconnu pour sa vaillance, même sous l’identité usurpée d’Orosmane. La valeur guerrière du corsaire permet d’introduire un autre thème cher aux dramaturges. Le pirate défend ou a défendu le pays. Le roi lui est donc redevable, sa bravoure est exceptionnelle au point qu’elle lui permet d’atteindre le niveau militaire d’un Prince. Mais le héros des pièces de théâtre n’est pas nécessairement pirate pour voir sa valeur guerrière célébrée de la sorte. Alcionée de Du RyerDu Ryer, Alcionée, tragédie, Paris, Anthoine de Sommaville, 1640.In fine, le pirate n’en est pas un, que ce soit chez Scarron, Mairet, ou Desfontaines. La noblesse que l’on peut observer dans les actions s’explique par la haute noblesse de fait. Eurimédon est frère de Melinte, Lepante est prince de Sicile, et Orosmane-Alcandre est fils de Nicamore. La bravoure du pirate est dans plusieurs pièces le signe d’un sang royal.
Le thème de la piraterie engendre des situations qui se ressemblent. L’esprit pirate appelle l’audace, la séduction, l’aventure ou la fuite, et la bravoure, qui, elle, demande la noblesse. Partant des mêmes caractéristiques, il est logique que les structures se répondent. Nous ne pouvons pas déterminer ici ce qui, de l’intertextualité ou des données thématiques, a été déterminant dans l’écriture des dramaturges qui ont choisi ce thème à la suite de Desfontaines. Néanmoins, ce thème et les structures qu’il appelle ont été appréciés car repris dans la première moitié du siècle. Desfontaines se trouve donc en accord avec, voire à l’origine des créations littéraires de son époque.
Eurimédon ou l’illustre pirate est la première pièce de Desfontaines. Il débute par la tragi-comédie avant de s’orienter vers la tragédie après 1642. Tenter de situer une première pièce, c’est voir si les prémices d’une esthétique s’y ébauchent. L’œuvre de Desfontaines paraît suivre les évolutions des productions littéraires de son époque, car il opte pour la tragi-comédie à ses débuts, s’oriente par la suite vers la tragédie et participe au mouvement des tragédies hagiographiques. Nous allons comparer sa première pièce avec les quatre tragi-comédies qui suivront, La suite du Cid, création de 1637, Orphise ou la Beauté persécutée, qui date de la même année, Hermogène, créée en 1638 et Bélisaire en 1640. Nous pouvons nous demander si l’écriture de Desfontaines témoigne du débat sur les règles. En effet, les pièces suivantes satisfont toutes à la règle de l’unité de temps, mais elles s’éloignent plus ou moins de l’esthétique mise en œuvre avec Eurimédon. Ce qui est paradoxal, c’est que la pièce qui semble la plus régulière, La suite du Cid, n’est pas la plus tardive. Avec Orphise et Bélisaire, les événements venant de l’extérieur et s’enchaînant linéairement se retrouvent, le dramaturge conserve le même mode de construction de l’intrigue. Dans une certaine mesure, Hermogène utilise le même procédé. Dans Orphise, le prince multiplie les machinations et les obstacles pour s’attacher Orphise. Dans Bélisaire, c’est la reine Théodore qui cherche tous les moyens de tuer Bélisaire. Nous retrouvons dans ces deux pièces un cas de figure décrit par H. Baby, celui de « l’opposant unique » qui devient une « source permanente et continue d’oppositions ». Les multiples obstacles viennent tous d’un même personnage, la contingence devient donc flagrante dans le dénouement, où étonnamment l’opposant change d’avis. Ainsi Théodore affirme :
Ouy, mais auparavant que je t’oste la vie, Je veux sçavoir, ingrat, en quoy tu m’as servie.
Puis, ayant laissé parlé Bélisaire, elle consent à l’épargner dans la réplique suivante :
Vis heureux, j’y consens, triomphe Belisaire, Triomphe, ta vertu qui te rend mon vainqueur, M'oste le fer des mains & la haine du coeur. Ostons luy les liens. Acte V, scène 11.
Le hasard s’incarne dans la figure de l’opposant. Nous retrouvons donc dans ces deux pièces une structure qui revient aux mêmes principes que ceux que nous observerons dans Eurimédon ou l’illustre pirate, en ce que le hasard, la contingence et la linéarité sont des moteurs de l’organisation dramaturgique. Néanmoins, faire venir les événements d’une seule et même personne, c’est tenter de rendre moins extraordinaire le déroulement tragi-comique. L’intrigue s’épure d’une certaine façon par rapport à sa première pièce où il y a plusieurs sources d’obstacles. Ainsi, ces deux pièces constituent une avancée vers la régularité, tout en se souvenant des principes dramaturgiques adoptés pour sa première tragi-comédie. Dans une certaine mesure, Hermogène suit ce modèle. La construction des quatre premiers actes voit le roi Poliante tendre une ruse pour prouver l’infidélité de son épouse Oriane. La machination échoue à la fin de l’acte IV devant l’honnêteté de la reine, Poliante regrette ses actes, tout pourrait s’achever là, mais il monte un deuxième stratagème dans l’acte V. Ainsi la structure de l’opposant, ici du jaloux, qui multiplie les intrigues se retrouve mais elle est moins systématique que dans Orphise et Bélisaire. La conclusion d’Hermogène demeure arbitraire : Poliante change d’avis en mourant, promettant la main de sa femme à Hermogène. En revanche, La suite du Cid se démarque de ce type d’écriture où les actes semblent gratuits, mais ceci peut s’expliquer par la source de cette pièce. Corneille donnait en effet des éléments qui ont pu appeler une écriture moins régie par l’arbitraire. Les événements ont lieu à cause des caractères des personnages, ils découlent donc des données initiales.
Ainsi, l’écriture d’Eurimédon ou l’illustre pirate montre que Desfontaines utilise des principes qu’il a conservé pour ses créations suivantes – gratuité des événements, extériorité, conscience de l’arbitraire – mais qu’il a tenté d’assagir, et ceci est net en ce qui concerne la question temporelle. Cela correspond aux analyses H. BabyBaby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002, p. 101.
La pièce se passe sur l’île de Lesbos.
La rencontre des deux héros, Eurimédon et Pasithée, est antérieure au début de la pièce. Pasithée est la fille du roi de la Troade, Archelas. Eurimédon a sauvé la princesse des mains de son ravisseur Araxés et la ramène à son père. Mais il a épargné le traître, ce que Pasithée peine à comprendre (Scène 1). Le roi Archelas retrouve sa fille avec joie ; il remercie chaleureusement Eurimédon mais lui reproche sa clémence puis l’interroge sur ses origines. Eurimédon avoue les ignorer et raconte qu’abandonné dès son enfance, il a été recueilli par des corsaires qui lui ont affirmé qu’il était prince, tout en lui cachant son nom. Le roi lui offre de « Commande[r] en [sa] cour », en guise de remerciement (Scène 2). Tygrane, qui courtise Pasithée, apparaît (Scène 3). Il ignore que cette dernière est sauvée et déplore sa propre lâcheté car il n’a pas cherché à la secourir. En outre, il trompe une certaine Céliane. Dans la dernière scène de l’acte, (Scène 4) Tygrane apprend le retour de Pasithée et craint de rencontrer un solide rival en Eurimédon.
Eurimédon et Pasithée parlent seul à seule. Araxés reste introuvable. Eurimédon, pressé par la princesse, lui explique pourquoi il a laissé la vie sauve à un homme aussi ignoble. Il avait déjà rencontré et sauvé Araxés autrefois. Les pirates avec lesquels il vivait retenaient cet homme en prison, et c’est là qu’Araxés lui avait confié son amour pour une femme merveilleuse, Pasithée. Eurimédon l’avait libéré par compassion, ému par son histoire. En échange ce prince avait promis d’aider Eurimédon à rejoindre le monde civilisé. À la fin de la scène, les deux héros s’avouent leur amour (Scène 1) avant de se trouver confrontés au rival Tygrane qui laisse paraître ses soupçons (Scène 2), comprend les sentiments de Pasithée et veut tuer Eurimédon (Scène 3). C’est alors que Céliane, la jeune fille délaissée par Tygrane, s’approche de la ville, déguisée en cavalier, pour retrouver l’amour de Tygrane (Scène 4). Elle se fait passer pour Eurimédon auprès d’un page, afin d’obtenir des renseignements, et elle accepte le duel avec Tygrane, espérant que ce dernier la reconnaîtra (Scène 5), mais Tygrane la tue. Il l’a prise pour Eurimédon et croit avoir perdu toute chance de succès auprès de Pasithée. Il décide donc de se cacher en attendant le jugement du roi (Scène 6). Tygrane parti, Céliane revient de ce qui n’était qu’un évanouissement (Scène 7).
Eurimédon doit quitter Pasithée car le roi lui a conseillé de reprendre la route pour chercher d’autres aventures dignes de lui. Pasithée soupçonne une machination de Tygrane et veut en parler à son père. Eurimédon lui baise le sein en guise d’adieu (Scène 1) lorsque le père entre dans la pièce, et les surprend. L’illustre pirate doit fuir pour éviter sa colère tandis que Pasithée cherche à calmer sa fureur (Scène 2). Eurimédon s’éloigne en se lamentant et en couvrant le roi de reproches (Scène 3). Il croise la route de Céliane qui le reconnaît aux propos qu’il tient et décide de l’aider. Toujours travestie, elle l’encourage à poursuivre la lutte et lui révèle que Tygrane avait promis sa foi à une jeune femme, Céliane (Scène 4). Lysanor, écuyer d’Eurimédon, apporte alors de tristes nouvelles de Mitylène. Pasithée est en prison. Araxés attaque le pays, et Archelas promet sa fille en récompense à qui sauvera le royaume. Eurimédon va se déguiser en amazone pour lutter sans être reconnu du roi (Scène 5) tandis que Pasithée se lamente en prison (Scène 6).
Falante, écuyer du roi, fait le compte-rendu de la situation militaire auprès de ce dernier. Une amazone, « Hermionne », sauve le pays. L’écuyer a noté une ressemblance avec Eurimédon, mais cela ne suscite pas d’interrogations chez le roi (Scène 1). « Hermionne » apporte la tête d’Araxés. Pour la récompenser, Archelas lui propose de l’épouser, ce qu’« Hermionne » paraît accepter, en formulant des propos qui sont en fait à double sens. Tygrane demande la libération et le mariage de Pasithée, espérant obtenir sa main. Mais Céliane est présente, elle se démasque et révèle la perfidie de Tygrane qui est forcé de reconnaître sa faute (Scène 2). Archelas a remarqué l’émotion d’« Hermionne », lorsque Tygrane parlait de Pasithée, il l’interroge à ce sujet mais l’amazone se justifie en prétextant qu’elle ignorait l’existence de Pasithée, et découvre donc que le roi était marié. Archelas explique pourquoi sa fille est en prison, ce qui permet à « Hermionne » de lui reprocher sa rigueur et de le pousser à plus de clémence (Scène 3). « Hermionne » annonce à Pasithée sa libération prochaine. Elle se fait passer pour la sœur d’Eurimédon et promet de refuser d’épouser le roi tant que Pasithée ne sera pas mariée à Eurimédon (Scène 4). Puisque le roi l’autorise, « Hermionne » passera la nuit auprès de Pasithée. Mais Eurimédon est si troublé de voir Pasithée qu’il est contraint de révéler le subterfuge. Pasithée se fâche car son honneur a été mis en danger (Scène 5) et ses cris attirent Alerine, sa suivante. Pasithée va passer la nuit auprès d’elle (Scène 6).
Tygrane est encore attiré par Pasithée mais va rendre hommage à Céliane (Scène 1) qui lui promet d’être moins dure s’il se montre à nouveau constant. La jeune fille, seule, avoue lui pardonner dans son cœur (Scène 2). Archelas reçoit Melinte, roi de Thessalie, qui cherche Eurimédon, son frère (Scène 3). Pendant ce temps, l’évasion se prépare : Pasithée consent à fuir avec le héros (Scène 4) mais Melinte reconnaît Eurimédon en « Hermionne ». Archelas, de colère, veut tuer le jeune pirate, mais, raisonné par le roi de Thessalie, il accepte le mariage, tandis que Tygrane est pardonné par Céliane (Cinquième et dernière scène).
Les sources de Desfontaines se trouvent souvent dans les pièces et romans contemporainsLe Cid de Corneille. Ainsi, Perside, ou la suite d’Ibrahim Bassa invente une suite à Ibrahim ou l’illustre Bassa, de Georges de Scudéry. Eustache ou le martyre de Saint Eustache reprend le thème du Saint Eustache de Balthazar Baro, créé en 1639. Enfin, la source d’inspiration de la Sainte Catherine que lui prêtent Leris, Maupoint ainsi que Clément et Laporte reprend le thème de la Sainte Catherine de Saint Germain, qui date de 1644. L’autre source privilégiée de Desfontaines, le roman, se retrouve dans la tragédie Alcidiane, ou les quatre rivaux et dans la tragi-comédie Eurimédon ou l’Illustre Pirate. Le sujet d’Alcidiane provient d’un extrait des Harangues ou discours académiques du Manzini, auteur italien traduit par Georges de Scudéry. Quant à Eurimédon, il s’inspire d’un des récits enchâssés de l’Ariane de DesmaretsDesmarets de Saint-Sorlin, Ariane, 2 volumes, Paris, Veuve Mathiteu Guillemot et Mathieu Guillemot, 1632. [BIU Sorbonne : R6=1308-1 et R6=1308-2.].
Que la source d’une tragi-comédie soit un roman est chose courante. Nous tenterons de voir dans quelle mesure une telle inspiration amène une structure narrative, des rebondissements et modes d’enchaînements baroques. Comment l’écriture romanesque mène-t-elle à l’irrégularité dramaturgique, à la tragi-comédie ? Ariane de Desmarets adopte la structure d’un roman d’aventures, dans lequel s’insèrent de nombreux récits enchâssés, procédé caractéristique des romans baroques. L’histoire d’Eurimédon vient d’un de ces récits.Eurimédon a des traits communs avec l’Alcionée de Du Ryer, mais cette pièce ne peut constituer une source puisqu’elle a été publiée bien après Eurimédon, en 1640. L’écriture est donc vraisemblablement postérieure. L’Alcionée développe en fait un épisode à peine esquissé du Roland furieux de l’Arioste. L’essentiel du chant 34 est centré sur une fille de roi, Lydie. Alceste, un chevalier, lui rend par sa valeur guerrière de multiples services ainsi qu’à son père. Une seule phrase mentionne l’ingratitude du roi : « Sa demande fut repoussée par le roi, qui avait résolu de marier sa fille à un grand prince, et non à un simple chevalier comme celui-ci, qui ne possédait rien autre chose que son courage. Mon père, trop porté à l’amour du gain et à l’avarice, école de tous les vices, faisait aussi peu cas des belles manières et du courage, qu’un âne des accords de la lyre. », tome 2, p. 203, traduction de Francisque Reynard, Folio classique, Gallimard, Paris, 2003.de Boyer d’Argens, dans ses Lettres juives (1736), à la lettre XXXV : « Autrefois les romans n’étaient qu’un ramas d’aventures tragiques qui enlevaient l’imagination et déchiraient le cœur. ». Et il cite en exemples « Le Polexandre de Gomberville, l’Ariane de Desmarets, etc. ». Quels aspects Desfontaines a-t-il privilégiés dans cette transposition, quelles influences le roman a-t-il pu exercer sur les structures dramaturgiques ?
Le héros du roman, Melinte, veut rejoindre à Corinthe la jeune fille qu’il aime, Ariane. Mais une fois en mer (tome 2), il rencontre des pirates et décide de les attaquer, pour les empêcher de s’en prendre à d’autres bateaux. Surpris, ceux-ci perdent la bataille lorsque Melinte est « arresté par la valeur d’un jeune Corsaire extremément beau [… ayant] de la fierté et de la grace », qui se révèle être Eurimédon, le chef des pirates. Vaincu, ce dernier se soumet à Melinte, et c’est la première fois qu’il se voit contraint de cesser un combat. À la demande de Melinte, Eurimédon narre son aventure amoureuse avec Pasithée, fille du roi de la Troade. Melinte décide de l’aider et les personnages d’Eurimédon et de Pasithée seront suivis jusqu’à la fin du roman, où l’on découvre que Melinte et Eurimédon sont frères.
Nous présenterons ici les différences de diégèse entre la pièce et le roman, car les éléments communs sont nombreux. Malgré une grande fidélité au roman, les variations peuvent nous indiquer quels thèmes et structures intéressaient Desfontaines à ses débuts de dramaturge. En outre, cette comparaison montrera comment l’inspiration romanesque peut mener à l’esthétique tragi-comique. Nous suivrons le cours de la narration ou de l’action pour analyser les variations amenées par Desfontaines car les modes d’adaptations – développement, suppression, création et synthèse, appellent peu de commentaires. Ils se déduisent des exigences naturelles de la scène et s’expliquent aussi par le goût du public de l’époque, notamment en ce qui concerne la chaîne amoureuse. Nous réunirons les procédés de modifications tant que cela ne nuira pas à l’entente de l’intrigue d’Ariane.
Le roman développe les débuts d’Eurimédon plus longuement qu’il ne le fait lui-même dans le récit de sa propre vie sur la scène. Cela se comprend aisément dans la mesure où tous les événements de sa formation ne sont pas indispensables à la compréhension de l’action, centrée sur la relation amoureuse, et risqueraient de rendre trop long le temps de récit.
Dans le roman comme dans la pièce, le premier trait de bravoure du héros se manifeste lorsque, encore enfant, il prit la défense d’un pirate qui luttait seul contre deux autres. Mais le roman laisse à Eurimédon le temps de renouveler ses exploits, et ne le fait roi qu’à la mort du précédent, tandis que sur scène il affirme que c’est ce premier exploit de jeunesse qui lui valut son titre de roi des pirates.
Des lors tous estonnez de ce trait de courage, Comme à leur souverain ils me firent hommage. I, 2, v. 156 et 157.
Toutes les manifestations de sa vaillance sont résumées en une seule, mais la plus magistrale. Cette présentation semble avoir été adoptée pour gagner du temps sans nuire aux qualités exceptionnelles du héros, qualités essentielles en ce qu’elles constituent, pour Pasithée comme pour le spectateur, un signe de sa haute noblesse. Dans Ariane, son sens des valeurs ne se forge pas naturellement. Il dut faire un séjour de six mois en Grèce, et c’est là qu’il apprit les mœurs civilisées. Néanmoins, le désir de découvrir cette civilisation était spontané chez le jeune pirate, et ceci met plus son instinct du bien au compte de sa naissance que de son éducation. Ces détails, s’ils trouvent légitimement leur place dans le roman, Desfontaines les a sans doute jugés trop longs à porter à la scène, d’autant qu’ils auraient été redondants avec les manifestations de vertu d’Eurimédon. Le thème de la formation a une faible importance dans la valeur d’Eurimédon, et l’évoquer compliquerait un des débats soulevés par sa pièce. Desfontaines insiste en effet sur la question de l’origine de la vertu. Sont-ce les actions ou la naissance d’un homme qui la révèle ? La notion d’éducation viendrait complexifier ce débat. Enfin, ne serait-ce pas toucher à la magnificence du héros que de laisser à l’éducation ce qui pourrait venir de lui seul ? Ainsi, l’enfance et l’éducation d’Eurimédon sont résumées pour satisfaire à des exigences de durée et peut-être pour clarifier le débat sur la vertu.
Eurimédon déclare vouloir se rendre sur terre, rejoindre le monde civilisé. Toute la « conversion » d’Eurimédon au « bien » est fortement développée dans Ariane. Le roman insiste aussi sur la relation d’Eurimédon et d’Araxés. Nous y apprenons que, si Eurimédon rendit les pirates très riches, il changea d’opinion sur le bon comportement à tenir car « il [lui] sembloit plus glorieux de pardonner aux vaincus, que de les tuer cruellement ». Un jour, Eurimédon laissa la vie sauve au chef d’un bateau, « Prince Armenien, lequel s’en alloit Ambassadeur à Rome, de la part de Vologese, roi des Parthes, et de Tyridate, roi d’Armenie. ». C’était Araxés. Eurimédon procéda à un marché des plus honnêtes. Il libéra Araxés, lui demandant en échange de l’aider à rejoindre le monde civilisé. Dans le roman, Eurimédon apprit son projet à quelques-uns de ces hommes et les détails des préparatifs et du départ sont exposés. Ici, la version romanesque et la version théâtrale correspondent en tous points. Mais la pièce résume cela en quelques vers seulement, v. 381 à 388. Le roman cultive davantage le personnage de l’homme repentant que la pièce, qui favorise l’histoire amoureuse. Desfontaines ne peut se résoudre à montrer tous les éléments antérieurs à la rencontre des amants. Centrant son action sur la possibilité d’une relation amoureuse entre les deux héros, détailler à l’infini tous les événements antérieurs exigerait un trop long récit. Si Desfontaines ne rejette pas totalement la technique du récit, on voit ici qu’il ne le prolonge pas à loisir, et que son esthétique se tourne vers l’action. Comme précédemment, il a conscience que cette intrigue est d’une moindre importance et qu’elle apporte peu à son action.
Les détails de l’enlèvement donnés par Ariane lèvent certaines ambiguïtés de la pièce. Les pirates approchaient de Lesbos, dans la Troade quand ils virent un vaisseau qui s’en éloignait et entendirent ces cris « sauvez la Princesse, mes amis, sauvez la Princesse ». Les différences s’amorcent par la suite. Dans le roman, après avoir sauvé Pasithée, les corsaires apprennent qu’un deuxième bateau s’approche, ayant à son bord l’organisateur de l’enlèvement. Celui-ci projetait de faire croire à la fille du roi qu’il venait la secourir pour se la rendre redevable.Orphise ou la Beauté persécutée. Le Prince fait enlever Orphise pour apparaître comme un sauveur, et pour l’emmener chez lui. Dans l’imaginaire desfontainien, cette technique ne marche que lorsque les intentions sont pures. Orphise ou la beauté persécutée, Antoine de Sommaville, Paris, 1638.
En effet, Pasithée et Eurimédon parlent entre eux sincèrement du véritable auteur de l’enlèvement, Araxés. Mais ils cachent son identité au roi, afin « Que sans crainte Araxés retourne à Mitylène », comme l’accepte Pasithée, à la demande d’Eurimédon. Le mensonge n’est pas expliqué aux spectateurs, aussi l’identité du ravisseur est-elle confuse. Est-il Prince, est-il pirate, est-ce Araxés ? Pour Eurimédon, parlant à Pasithée v. 5 à 10, c’est un prince :
Et vostre ravisseur a fleschy sous mes armes, Qui n’ont pû consentir qu’une divinité Servist de recompense à l’infidelité. Mais que cette bonté qui vous rend adorable Espargne à mon sujet un Prince miserable,Nous soulignons.
Puis, lorsque Pasithée parle à son père, c’est un pirate cruel :
Je serois maintenant pour comble de misere Peut estre le joüet d’un horrible Corsaire;Nous soulignons.
Eurimédon et Pasithée parlent d’Araxés en disant qu’il est vivant mais Eurimédon prétend devant le roi, vers 113 à 116, que les ravisseurs sont morts.
Enfin de ces brigands la deffaite est entiere, La mer fut leur refuge, elle est leur cimetiere, Et l’onde a tellement prèvenu mes efforts Qu’ils ont esté plustot ensevelis que morts.
Cette dissimulation permet d’accentuer les différences de cœur entre le roi et Eurimédon, car, alors que ce dernier a laissé la vie sauve au ravisseur, le roi juge que la mort est encore un châtiment trop doux et lui reproche sa clémence. Il aurait fallu les soumettre à la torture publique. Ainsi, la confusion vient d’une ellipse narrative et non d’une synthèse. Il n’est pas explicitement dit que les deux héros mentent au roi. Le spectateur ignore qu’il y a deux ravisseurs. De même, dans le roman, Araxés, blessé, est laissé dans son bateau et on lui demande de rejoindre la côte. Eurimédon envoie donc ses gens pour avertir Araxés que personne ne le soupçonne et pour qu’il ne revienne pas blessé à la Cour. Dans la pièce, la raison pour laquelle Eurimédon cherche Araxés n’est pas clairement expliquée, et rien ne dit ce qu’il advient effectivement de lui au début de la pièce.
Dans le roman, les courtisans de Pasithée sont très nombreux, car tout homme l’ayant rencontrée ne parvient plus à s’éloigner d’elle. C’est ainsi qu’une foule de prétendants est présente à la Cour. Tygrane est le plus susceptible d’obtenir sa main. Mais il est présenté comme un homme très lâche, au comportement peu noble. Ce trait de caractère correspond à ce qui est montré dans la pièce dans la mesure où Tygrane est un perfide qui délaisse Céliane. Cette trahison est créée par Desfontaines pour décrédibiliser Tygrane par ses actions, qui n’ont pas la noblesse que dégagent celles d’Eurimédon. La dramaturge n’a pas à créer l’histoire parallèle qui le fait mourir dans le roman, et peut ainsi amener une chaîne amoureuse. Dans Ariane, le mystère de ce caractère inattendu chez un prince s’éclaircit rapidement au cours d’un tournoi. Eurimédon avait disparu un moment, mais était revenu et avait brillamment remporté le tournoi. Cet épisode qui accroît sa gloire n’est pas représenté dans la pièce. À l’issue de cette joute, Tygrane est tué par deux Arméniens, et les lamentations d’un vieillard font apprendre que Tygrane n’était pas de sang royal. Dans la pièce de théâtre, si Tygrane montre sa perfidie en trahissant Céliane, il est néanmoins de sang royal et ne meurt pas. Au contraire, Desfontaines synthétise les multiples amants en Tygrane, qui à lui seul représente un obstacle. Cette concentration permet à Desfontaines de créer la chaîne amoureuse. Il invente complètement le personnage de Céliane, jeune fille d’Arménie délaissée par Tygrane. Ainsi, on trouve le schéma « Céliane aime Tygrane qui aime Pasithée qui aime et est aimée par Eurimédon ». Ce type de relation actancielle révèle que Desfontaines travaille sous l’influence de l’esthétique de la pastorale. Il s’inspire des créations romanesques ou théâtrales récentes, et cette réécriture d’Ariane tend à le confirmer. La création de la chaîne amoureuse relèverait d’un goût pour l’esthétique théâtrale contemporaine. Pourtant, une autre explication est possible. Pour qu’Eurimédon et Pasithée soient mariés, il faut que tous les obstacles créés au début de la pièce soient levés. Dans le cours de la pièce le roi s’oppose à ce mariage, d’autant qu’Eurimédon n’est pas d’origine royale. L’autre obstacle est Tygrane, qui était le plus proche d’obtenir la main de Pasithée car il plaisait au roi. Faire mourir Tygrane appellerait la création d’une intrigue parallèle complexe car il ne peut pas être tué par Eurimédon, qui perdrait son statut de héros généreux, à moins qu’il ne s’agisse d’une méprise. Mais créer une méprise demanderait également la création d’une seconde intrigue parallèle complexe. La création du personnage de Céliane se serait donc présentée comme la solution la plus économique. Annoncée dès le premier acte, il suffit qu’elle se dévoile pour anéantir les espoirs du volage Tygrane. Cette dernière solution, en ce qu’elle évite les rebondissements excessifs ou la multiplication des récits, contribue en outre à la vraisemblance de l’intrigue, d’autant plus qu’elle correspond à un schéma souvent représenté au théâtre, donc peu déroutant pour le spectateur. Le souci de vraisemblance, doublé d’un contexte théâtral apprécié, a sans doute conduit Desfontaines à créer ce schéma. Étonnamment, dans la construction de sa première tragi-comédie, Desfontaines paraît privilégier la synthèse et la vraisemblance, il ne veut pas accentuer à l’extrême le foisonnement de son intrigue.
Le roman développe les insolences d’Araxés vis-à-vis de Pasithée, par son entêtement, ou à l’égard de Tygrane, par son mépris affiché. Ces comportements incitent le héros à renoncer à cette amitié qui le dégrade. Mais ce portrait qui accentue les défauts d’Araxés serait redondant dans la pièce où l’enlèvement et la guerre suffisent à caractériser le personnage. Si pour la crédibilité du roman, Eurimédon ne peut renoncer aussi rapidement à une amitié, sous peine d’être trop semblable à un traître (et à un inconstant), cette rapidité est admise au théâtre où la nécessaire concentration des événements rend le changement d’amitié tolérable.
Eurimédon reste plusieurs jours à la cour, il assiste au lever du Roy, est fort bien accueilli, le roi le conduit au lever de la Princesse, qu’ils surprennent à moitié nue. Une double correspondance thématique peut donc s’établir avec la pièce. D’abord, ce sont bien les suggestions du roi qui encouragent Eurimédon à s’autoriser cette intimité avec la princesse « Le Roy me laissa avec elle, luy ordonnant de m’entretenir ». Ensuite, c’est dans ce passage que l’on trouve l’allusion à la gorge : « elle avoit toute la gorge descouverte », transposée en un audacieux baiser dans la pièce. Ainsi l’amitié que le roi manifeste pour Eurimédon est plus longuement développée dans le roman, mais elle correspond bien aux promesses du roi à la scène 2 de l’acte I. Dans le roman comme dans la pièce, les revirements du roi semblent être dus à son caractère fantasque. Après avoir placé Eurimédon à un haut degré d’intimité, Archelas n’apprécie pas dans Ariane que Pasithée lui montre un peu trop son affection. Il aimerait qu’Eurimédon parte, car il ne voit pas en lui un homme digne de sa fille. Mais c’est notre héros qui retarde son départ.
La colère d’Archelas est mieux préparée chez Desmarets, et encore une fois, le théâtre précipite les événements. Pourtant, dans le dialogue des deux amants, il aurait pu être question de la demande réitérée de ce départ par le roi. Or ce n’est pas ce qui a été choisi pour la version théâtrale où la requête du roi paraît étonnante, à tel point que Pasithée soupçonne une perfidie de Tygrane. Dans le roman l’incident s’accentue lorsque le roi surprend Eurimédon en train d’embrasser simplement la main de Pasithée, et ceci alimentant sa colère, Eurimédon doit s’enfuir en pleine mer. En rendant plus subite la colère du roi, Desfontaines paraît aussi vouloir faire de ce personnage un barbon qui ne tient pas ses promesses, est fantasque, incapable de faire preuve de générosité ni de reconnaissance, et surtout, veut quelqu’un de haut rang pour sa fille. Ce dernier point ne rend pas le personnage comique, car il est impensable que l’infante n’épouse pas un prince ou un roi. Mais pour le spectateur, comme pour Pasithée, tous les indices tendent à prouver que le pirate est noble, et Archelas devrait manifester autant d’estime envers le pirate qu’il en montre au début, et soupçonner chez Eurimédon des origines royales. En outre, même quand il connaîtra ces origines, il persistera dans son désir de le tuer à la fin de la pièce. Desfontaines crée bien un roi-barbon. Reste le problème du baiser sur le sein, et non sur la main comme dans le récit, qui pourrait être porté à la décharge d’Eurimédon. Le dramaturge aurait-il cherché à atténuer le ridicule du roi ? Ce geste peut être compris comme une réminiscence de l’intimité dans laquelle Archelas avait institué Eurimédon. Ainsi nous pouvons conclure que si la colère d’Archelas est moins justifiée dans la pièce, c’est parce qu’elle correspond au désir du dramaturge d’exploiter la dimension comique du roi-barbon.
Autre constante, la place du débat sur la vertu, déjà importante dans le roman :
Au début du récit des aventures des deux amants, Eurimédon annonce que sa vie est un objet de réflexion sur le thème suivant : « combien la rencontre que l’on fait pour estre nourry et eslevé, est importante à la vie des hommes ». Le roman insiste davantage sur le rôle de l’éducation pour former un individu vertueux. Pasithée, après que le roi a exprimé son désaccord sur cette union, promet à demi-mot une union à Eurimédon, parce qu’elle place ses actions au-dessus de ses origines. Le thème de la vertu recoupe donc, dans le roman, comme dans la pièce, celui de l’être et du paraître. Faut-il se fier au nom ou aux actes pour s’assurer de la vertu d’Eurimédon ? Cette réflexion ne saurait donc être attribuée uniquement à Desfontaines.
Dans la version romanesque, lorsqu’Eurimédon est chassé de la Cour, il y envoie un de ses hommes en observateur. Celui-ci lui apprend que Pasithée est enfermée dans un château, uniquement entourée de femmes, les murs étant gardés par des barbares. Ces derniers ne doivent pas la voir, car Archelas craint qu’ils n’en tombent amoureux et ne la fassent évader. Tous les Princes amoureux de Pasithée sont partis avec le projet de revenir armés pour la délivrer. Araxés est mort auparavant. Eurimédon décide alors de faire appel aux pirates. Un épisode annexe se développe alors sans être repris par la pièce, car il n’influe pas sur la suite de l’action. Eurimédon rejoint Melinte qui lui promet son aide pour délivrer Pasithée et explique la similitude de sa propre situation puisqu’Ariane est retenue à Corinthe. Eurimédon reste avec Melinte pour l’assister, et ce dernier l’aidera à son tour. Tous les Corsaires se réjouissent du retour d’Eurimédon et s’empressent de l’aider. Ils abordent Lesbos, non au port mais sur les côtes, le lieu semble désert. Ils apprennent que des Scythes attaquent l’île. Comment Eurimédon peut-il se retrouver dans la bataille sans être reconnu du roi ? Il se fait passer pour « Hermionne », fille du « Roy de Colchos ». Se faire passer pour une femme lui permettra en outre d’être autorisé à approcher Pasithée, enfermée dans une prison où seules les femmes ont accèsAgésilan de Colchos, écrite par Rotrou et publiée en 1635. Desfontaines n’en a sans doute pas conscience puisqu’il ne reprend pas le nom « Colchos ». Il est difficile d’affirmer que Rotrou se soit inspiré du roman de Desmarets puisque ce dernier fait une très rapide allusion au nom de Colchos. Pourtant, la diégèse et les thèmes, que Desfontaines a repris, sont similaires. Nous les analyserons dans le développement de « III. Réflexivité » consacré aux déguisements. « Colchos » est en fait associé à un schéma narratif qui vient de la source même de la pièce de Rotrou, c’est-à-dire du roman Amadis de Gaule. Desmarets reprend le passage du chapitre XV du livre XI qui aussi inspiré Gougenot pour La fidèle tromperie (cf. éd. critique de Magali Rabot sur www.crht.org).
Dans le roman, le roi est sur le point de perdre la bataille lorsqu’Eurimédon et ses amis, tous déguisés en femmes, arrivent et le sauvent. Ce dernier prend « Hermionne » pour Pallas
Les retrouvailles d’Eurimédon et de Pasithée suivent à peu près le même déroulement au théâtre et dans le roman, à une différence près. Eurimédon se rend au château-prison avec ses « femmes » qui sont en fait les pirates travestis. La scène du baiser déposé sur le sein de la princesse se trouve à cet endroit du roman, et les seuls témoins de ce baiser sont les femmes de Pasithée. La promesse d’« Hermionne », « Mais je ne luy accorderay jamais ce qu’il souhaitte que vous ne soyez mariée à Eurimedon. », a un sens différent pour la prisonnière et pour le messager. Cette duplicité de paroles est reprise dans la pièce. Desfontaines était donc intéressé par cette figure du dédoublement de la parole qu’il a rencontrée dans Ariane. Le texte de théâtre reprend en effet le propos romanesque :
Mais qu’il n’espere pas la faveur qu’il souhaitte Qu’Hermionne ne soit de tout poinct satisfaite, 1410 Qu’il ne m’ayt de mon frere accordé le pardon, Et que vous ne soyez femme d’Eurimedon.
Enfin, les femmes mettent Pasithée et Eurimédon au lit, avant d’entendre des cris. Eurimédon est également contraint dans le roman d’avouer sa véritable identité. Pourtant, Pasithée n’a pas révélé devant ses femmes la véritable identité d’« Hermionne », et là c’est le narrateur qui rassure Eurimédon en lui affirmant que si elle avait été fâchée, elle l’aurait trahi. Le texte de la pièce suit encore de très près le roman. Le lendemain, Pasithée accepte toutes les excuses et se dit prête à l’enlèvement, mais ne veut pas qu’il tente quoi que ce soit sur elle « qu’ils ne fussent mariez ensemble sur le consentement de son pere ». Le roman pousse plus loin l’audace des actes d’Eurimédon, qui n’hésite pas à s’introduire dans le lit de la jeune fille, ce qui rendrait non crédible le mariage dans le temps réduit de la représentation. Mais il est remarquable que dans ce passage, le détail des actions est sensiblement le même dans les deux versions.
Puis, le jeune couple a des nouvelles des héros, Melinte et Ariane, qui demandent de l’aide. Pasithée accepte qu’Eurimédon l’enlève pour les rejoindre en Thessalie. Le passage à la scène de cette action pose quelques problèmes. Comment comprendre cette scène qui évoque l’enlèvement de Pasithée sans le faire aboutir ? Cette scène ne débouche sur rien, puisque l’enlèvement est aussitôt avorté. Dès lors, on peut se demander pourquoi Desfontaines prend la peine de créer une scène qui ne s’insère pas dans son action. Est-ce pour suivre le roman au plus près ? Ou bien Desfontaines recherche-t-il un effet de surprise ou de suspension ?
Dans la version de Desmarets, Eurimédon, après l’enlèvement consenti de la princesse, va porter secours à ses amis, ce qui permet la rencontre d’Ariane et de Pasithée. Le narrateur rétablit la hiérarchie des personnages en expliquant que Pasithée est bien inférieure à Ariane en beauté. Si Pasithée a plus de succès, c’est grâce à sa façon d’allumer « aussitost tous les desirs, faisant naistre l’espoir par cette complaisance generale », tandis qu’Ariane, majestueuse, appelle l’admiration. L’ascendance royale de Melinte, qui devient roi de Thessalie est découverte. Un Corsaire explique ensuite l’identité d’Eurimédon, qui descend de « Pyrrhe et d’Achille ». Le récit de l’Aigle et du laurier est conforme à celui de la pièce. Ces symboles sont placés au début de la pièce, vraisemblablement pour que le public comprenne d’emblée l’identité du pirate inconnu, et la possibilité d’une histoire d’amour entre lui et la princesse. Les pirates auraient dû tuer Eurimédon. Melinte, héros de l’histoire d’Ariane, est donc le frère d’Eurimédon. C’est bien Melinte qui apprend au roi Archelas les origines d’Eurimédon, et le monarque se résout à tout accepter « considerant que s’il tesmoignoit encore de la colere, cela ne tourneroit qu’à sa confusion ». Le livre s’achève donc sur deux mariages et sur le couronnement de Melinte et d’Ariane. La phrase qui conclut le livre, « comme si les Dieux eussent destiné aux plus belles, et aux plus vertueuses personnes du monde, les plus agreables lieux de la Terre », rappelle le dénouement heureux de la pièce.
Allons doncq mes Amis celebrer ce beau jour Qui vous doit couronner des Myrthes de l’amour, Et donner quelque jour à ces belles Provinces Par vos embrassemens des Reynes, et des Princes.
Cette dernière partie est totalement supprimée, ce qui est logique puisqu’elle correspond à l’action principale du roman. Desfontaines conserve la résolution des obstacles par la reconnaissance, et la fin heureuse.
La reprise prend une autre forme dans Eurimédon, celle de la citation. Des phrases sont précisément issues du roman de Desmarets. Ce calque était-il remarqué du public, constituait-il une forme de renvoi respectueux à la source romanesque ? Comme le signalent C. Bourqui et S. de ReyffTragédies Hagiographiques de Desfontaines, STFM, Paris, 2004, p. 558.e siècle s’avère difficile à évaluer, en l’absence d’études spécifiques. » Nous ne pourrons donc pas déterminer l’originalité de Desfontaines en la matière, mais nous étudierons les formes de reprise textuelle que nous pouvons établir entre le texte-source et la pièce. Certains vers emploient un vocabulaire ou des formules fortement similaires au roman. C. Bourqui et S. de Reyff Ibid., p. 559.retractatio, ou « reprise de vers et de passages provenant des œuvres antérieures de Desfontaines », l’excerptio minor, ou « reprise de vers ou de distiques isolés d’œuvres allogènes », et l’excerptio major, ou « reprise de passages volumineux provenant d’œuvres allogènes ». Dans sa première pièce, Desfontaines pratique l’excerptio minor sans pour autant conserver in extenso les citations. L’exigence de la versification amène des modifications, mais le parallèle demeure évident dans la plupart des cas. Desfontaines cherche à recréer en vers des phrases qui correspondent souvent à des moments clefs du roman. Il est difficile de déterminer si ces reprises à peine modifiées (cf. tableau en annexe) illustrent la déférence au romancier, sont une constante dans les reprises de l’époque, ou constituent sa propre technique d’écriture.
Desfontaines suit de très près l’action établie par Desmarets, allant jusqu’à calquer ses vers sur ses phrases. Les modifications semblent au prime abord dictées uniquement par les impératifs de la scène de théâtre, qui imposent une restriction du temps et de l’espace. Il semblait donc logique que, ces quelques modifications apportées, l’esthétique de la pièce soit dans la lignée de l’esthétique romanesque. D’ailleurs, l’enchaînement même des rebondissements et revirements vient du roman source. Autrement dit, la source romanesque amènerait l’irrégularité dramaturgique, qui serait recherchée par cet auteur qui s’est d’abord illustré dans le genre tragi-comique. Pourtant, quelques points viennent nuancer cette observation.
Tout d’abord, la question de la durée. Les notions de temps sont vagues, réduites ou effacées, sauf en ce qui concerne la nuit qu’Eurimédon aurait pu passer aux côtés de Pasithée. Cette scène n’a pas été supprimée, elle a pu sembler utile au dramaturge à plusieurs titres. Elle met en péril l’honneur de la princesse, elle constitue l’aboutissement de toute l’entreprise déguisée d’Eurimédon, et peut-être est-ce aussi par respect envers l’intrigue romanesque que Desfontaines n’a pas opté pour sa suppression. Mis à part cette scène, les longs développements du roman sur le départ d’Eurimédon qui va préparer le tournoi, ou sur l’enlèvement de Pasithée par Eurimédon, sont supprimés, de même que le délai de cinq jours que le roi fixe avant de libérer sa fille. Desfontaines a donc porté une certaine attention à diminuer la durée fictive de la pièce. Il aurait pu procéder autrement et souligner ces périodes temporelles. L’esthétique que l’on appellera plus tard « irrégulière » ne correspondait sans doute pas à une revendication du dramaturge, qui a pu ainsi réduire la durée fictive de la pièce. Autre point étonnant de l’adaptation, la concentration des personnages. Hélène BabyBaby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002, p. 105.Ariane. Le personnage de Céliane permet de revenir au schéma de la pastorale, bien connu du spectateur. Tygrane résume la succession des prétendants, quelque peu outrée dans le roman. Mais la scène de la reconnaissance fait appel à un deus ex machina « laïcisé »La Dramaturgie classique, p. 100.
Ainsi, les modifications que Desfontaines amène ne sont pas unidirectionnelles. Des détails de l’adaptation – effacement de la durée, concentration des personnages – montrent que Desfontaines n’a pas choisi d’accentuer l’irrégularité de l’intrigue. Mais d’autres points, comme la scène de reconnaissance, créent des effets de surprise. L’adaptation épure sans effacer les rebondissements. Desfontaines paraît adopter une attitude relativement neutre, ou indifférente envers cette esthétique spectaculaire et irrégulière que lui offre la source romanesque. Vraisemblablement, c’est une histoire, un sujet, ou les jeux sur l’ambiguïté du langage qui l’intéressent. Il n’accentue ni n’efface l’irrégularité du roman. L’adaptation s’attache à restituer assez fidèlement une œuvre tout en l’infléchissant en fonction des goûts du public. Le choix du roman ne signifierait pas ici une revendication de l’irrégularité. Pourtant, les structures dramatiques, qui se caractérisent par l’extériorité et la réversibilité des événements, sont conditionnées par l’écriture du roman. Si le romanesque est en grande partie responsable de l’enchaînement et du choix des événements, appelant une esthétique spectaculaire et riche en rebondissements, il semble que la fidélité à la source et l’attention aux goûts du siècle, visible par le schéma de la pastorale, soient les principes ayant guidé le dramaturge dans cette création.
L’étude Eurimédon ou l’illustre pirate se mènera au travers des notions d’extériorité et de réflexivité mises en évidence par H. BabyBaby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002.Passions tragiques et Règles classiques, essai sur la tragédie françaiseForestier Georges, Passions tragiques et Règles classiques, essai sur la tragédie française, Perspectives littéraires, Puf, 2003, p. 208-209.
G. Forestier cite la description que fait Guarini dans Pastor fido de la tragi-comédie :
Celui qui compose les tragi-comédies emprunte à l’une [la tragédie] ses illustres personnages, et non pas son action, une fable vraisemblable et non pas vraie, les émotions violentes mais retenues [dominées], la plaisir et non la tristesse, le péril et non la mort ; à l’autre [la comédie], le rire et non la vulgarité, les plaisanteries modestes, le faux obstacle, le dénouement heureux et surtout l’ordre comique.
Eurimédon correspond assez bien à cette définition qui constitue presque une justification du sous-titre. Cependant, la tragi-comédie de Desfontaines diffère de cette description en ce qui concerne « le rire et non la vulgarité, les plaisanteries modestes ». Certains passages de la pièce ont une tonalité farcesque qui a été d’ailleurs critiquée par les commentateurs du XVIIIe siècleAmphitryon. « Car faire d’un bout à l’autre une comédie d’un pièce où paraissent des rois et des dieux, c’est chose, à mon avis malséante. Alors, que faire ? puisqu’un esclave y tient aussi son rôle, j’en ferai, comme je viens de le dire, une tragi-comédie. »Comédies, éd. Albert Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1932, rééd. 1976, p. 13. ab ovo. Quand commence l’action d’une comédie italienne, tout reste à faire »Forestier Georges, Passions tragiques et Règles classiques, essai sur la tragédie française, Perspectives littéraires, Puf, 2003, p. 209.
Eurimédon doit sans doute sa dénomination de tragi-comédie aux caractéristiques mentionnées ci-dessus, mais il est d’autres principes dramaturgiques et esthétiques, l’extériorité et la réflexivité, qui rendent bien compte de la construction de la première pièce de Desfontaines comme du genre tragi-comique dans son ensemble.
Le principe d’extériorité peut-il être considéré comme régisseur de l’action de cette pièce ? L’action d’Eurimédon s’organise-t-elle linéairement sans découler de la situation initiale ni des caractères des personnages ? Ce sont les termes employés par Hélène Baby dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault que nous reprendrons ici. Le chapitre 2 de la partie intitulée « Principes dramaturgiques » s’intitule en effet « Une dramaturgie de l’extériorité ». La typologie dressée par J. Morel, qui distingue tragi-comédie « de palais » et « de la route » correspond en fait, d’après Hélène Baby, à une même structure linéaire. Le palais revient à superposer dans un même lieu les événements qui se présentent successivement dans la tragi-comédie de route. H. Baby souligne l’importance des notions d’extériorité et de linéarité dans la construction. En effet, l’action tragi-comique a une structure linéaire ou contingente, les événements sont souvent extérieurs, gratuits, et ne viennent pas de l’intériorité des personnages. H. Baby distingue trois types de tragi-comédies. La tragi-comédie qui s’organise linéairement, ou tragi-comédie de route, la tragi-comédie d’intrigue, rare, qui combine les obstacles, et la tragi-comédie « à volonté ». Cette dernière catégorie, majoritaire, mêle les principes structurels de la route à l’unité spatiale. Eurimédon semble ressortir à ce dernier type, mais plusieurs scènes se passent sur une route : suivre un classement absolu est donc impossible. L’étude des principes dramaturgiques régissant l’organisation de la pièce nous montrera néanmoins de nombreux aspects de la tragi-comédie « à volonté », telle qu’elle est présentée par H. Baby. L’avancée de l’action est-elle due à la succession des événements ou à des enchaînements nécessaires ?
Sur les vingt-huit scènes, dix-neuf ont lieu à l’intérieur. Cette tragi-comédie serait donc plus de palais que de route. Une telle distinction est-elle pertinente lorsque les deux lieux sont représentés ? Des critères structurels ne seraient-ils pas plus judicieux pour rendre compte d’Eurimédon ? Pour cela, nous allons voir si l’organisation des actions diffère selon le lieu, si le palais favorise les enchaînements logiques des événements.
L’espace extérieur présenté dans la pièce ressemble bien à la route décrite par J. Morel. Elle permet une succession de rencontres et événements. Des scènes 3 à 5 de l’acte III, la pièce suit en effet le chemin d’Eurimédon. Il va découvrir Céliane dans cet espace indéfini, et tous deux y verront l’arrivée de Lysanor. H. Baby analyse ce lieu comme un espace neutre qui se substitue à la route. Il n’est pas explicitement dit que l’on se situe sur la route car les mentions géographiques restent floues. Ainsi, Céliane ne parvient pas à deviner d’où vient Lysanor : « D’où vient cet homme que je voy ? ». D’après H. Baby, « le lieu de la rencontre n’est pas précisé, il s’agit bien de cet espace neutre où convergent miraculeusement les chemins de tous les personnages. »Baby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002, p. 144.
He bien cruel Amour que fera Celiane ? Porteray-je l’enferdans lecielde Tygrane ?II, 4. Nous soulignons.
L’opposition route / palais se trace dans cette pièce du point de vue du signifiant. La route, c’est la liberté, l’espace où se retrouvent les victimes des injustices, tandis que la Cour correspond à l’autorité despotique du roi, à l’injustice. Ainsi la Cour est-elle « le ciel » de Tygrane, en d’autres termes, d’un traître. Pourtant, la liberté que procure ce lieu en dehors des murs de Mitylène permet aussi le duel et la mort, la route est donc ambivalente. Si ceci est vraisemblable et correspond à la situation contemporaine des spectateurs
Il semble que le palais appelle une même structure dramaturgique. Les actions se succèdent, et les rares enchaînements logiques sont en fait des successions temporelles. Ainsi, l’arrivée de Tygrane à la scène 2 de l’acte II est certes une conséquence de l’acte I, où il a appris que Pasithée était sauvée. Son entrée vient interrompre la conversation des héros, mais rien n’indique que cela soit intentionnel. Il cherche avant tout à se faire pardonner son retard, et vient après avoir appris la libération de la princesse. L’arrivée de Falante, à la première scène de l’acte IV, est comparable. Elle est assez logique puisqu’il doit faire le compte-rendu de la bataille au roi, mais l’enchaînement est strictement temporel. La scène suivante, dans laquelle « Hermionne » amène la tête d’Araxés, suit ce même ordre chronologique. Ces enchaînements sont temporels. Trois rencontres sont surprenantes au Palais parce qu’elles relèvent de la coïncidence ou paraissent purement arbitraires. En cela, elles sont comparables aux rencontres qui se produisent sur la route. Un événement s’ajoute à l’action en cours, il n’en découle pas. Ainsi l’arrivée du roi se superpose au baiser des héros (III, 3), Céliane entre sur scène au moment où Tygrane en sortait (V, 2) et l’arrivée de Melinte (V, 3) amène un nouvel élément à l’action. La coïncidence ou le deus ex machina montrent combien les avancées de l’action sont dues à des éléments arbitraires, que ce soit dans le Palais ou sur la scène.
De la route au palais, les événements se succèdent sans être plus liés en un lieu que dans l’autre. L’usage de cette classification paraît rendre difficilement compte de la spécificité de cette pièce, d’autant que les deux lieux sont bien représentés.
Les événements qui structurent la pièce sont-ils combinés ou ont-ils lieu successivement ? Se déduisent-ils les uns des autres ou sont-ils inattendus ? L’esthétique de cette tragi-comédie se détache radicalement des critères qui s’établissent dans la deuxième partie du siècle. Aristote, dans la Poétique écrit qu’« il y a une grosse différence entre le fait que ceci ait lieu à cause de cela et le fait que ceci ait lieu à la suite de cela. »Poétique, Classiques de Poche, Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, 1990, 1452 a 20.
Nous allons utiliser les termes d’événement extérieur et d’événement intérieur pour comprendre comment les péripéties se positionnent les unes par rapport aux autres. Nous comprendrons par événement intérieur tout ce qui peut découler de la situation initiale et des caractères des personnages, l’événement extérieur désignant tout élément s’ajoutant à cette situation. Cette première définition de l’événement extérieur est assez restreinte et nous pourrons l’élargir à tout ce qui est simplement annoncé dans la situation initiale sans que cela prête nécessairement à conséquence. À quoi sont dus les péripéties et revirements ? S’ils ont lieu à cause d’un événement extérieur, doit-on en déduire qu’ils sont combinés ? Il conviendrait d’observer avant cela si les événements extérieurs ont lieu à la suite d’un événement intérieur ou à cause de celui-ci. L’intervention d’un élément inattendu constitue en soi un élément d’extériorité qui, même s’il permet une suite logique d’actions, demeure arbitraire.
Si l’on prend la notion d’événement extérieur au sens strict, c’est-à-dire « tout élément s’ajoutant à la situation initiale », ce type d’action se trouve en nombre assez réduit. En effet, nous pouvons placer la limite finale de l’exposition à la fin de l’acte I car c’est à ce moment que l’identité de tous les personnages principaux est connue et que le schéma de la chaîne amoureuse est élaboré. Considérant que tout l’acte I donne la situation initiale, les péripéties surprenantes et inattendues se trouvent être l’attaque d’Araxés et l’arrivée de Melinte. Araxés revenant pour enlever Pasithée par les armes, voici un épisode qui constitue bien une péripétie. Pour l’illustre pirate, cette action constitue un passage du malheur de la séparation au bonheur du rapprochement. Pour le roi, c’est le mouvement inverse qui se produit. L’annonce que fait Lysanor montre combien cette péripétie arrive ex abrupto. Le roi et Pasithée retournent à une situation identique à ce qui a précédé le début de la pièce puisque la fille du roi est menacée et Eurimédon hors course. Ce revirement qui ramène au début est fortement souligné par les termes de Lysanor.
Sçachez que d’Archelas les malheurs redoublez Ont rendu le cahos à ses Estats troublez : Depuis vostre depart l’Infante est prisonniere, Araxés animé de sa flame premiere, Avec mille Guerriers dans l’Isle descendu Eurimédon ou l’illustre pirate, v. 947 à 951. Nous soulignons.
Concernant Araxés, il est vrai que l’existence de ce personnage est connue, de même que sa malveillance. Mais rien ne laissait prévoir qu’il serait suffisamment armé pour pouvoir attaquer l’île de Lesbos, ni même qu’il projetterait d’attaquer le royaume. Ce rebondissement entraîne à sa suite, logiquement, un certain nombre d’actions, mais s’il est intégré a posteriori dans l’action, il ne l’est pas auparavant, et constitue en cela un remarquable élément d’extériorité. L’arrivée de Melinte est certainement le revirement le plus surprenant de la pièce. Il évite la mésalliance, favorise une conclusion heureuse, est partiellement responsable du passage au bonheur final.deus ex machina « laïcisé » selon la formule de J. SchererScherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s. d. [1950], p. 100.
Le sens strict de la notion d’événement extérieur nous empêcherait d’y inclure l’arrivée de Céliane. En effet, le spectateur connaît son existence dès la fin du premier acte. Devinant que le schéma de la pastorale va s’établir, la venue de Céliane ne constitue pas pour lui une surprise proprement dite. Mais cette apparition est bien un renversement de situation dans la mesure où la présence de Céliane va à terme anéantir l’obstacle que constitue Tygrane, et, dans un premier temps, éviter un duel à Eurimédon. C’est cet événement qui nous incite à considérer plus largement la notion d’extériorité. Si Céliane est annoncée, son arrivée ne s’explique pas à cause de l’action de la pièce. Sa venue est due à l’abandon de Tygrane, donc elle se produit à cause d’un élément antérieur à l’action. La cause de sa venue ne s’insère donc pas dans l’action dans la pièce : Céliane vient donc de l’extérieur si l’on se réfère à la situation d’Eurimédon. En outre, son arrivée se place à la suite du monologue de Tygrane et non à cause de ses propos. La notion d’extériorité caractérise la plupart des revirements de cette pièce dans la mesure où les causes des renversements de situation viennent de personnages inconnus comme Melinte ou inattendus comme Céliane et Araxés.
Une autre cause des renversements de situation est le hasard qui se manifeste à plusieurs reprises dans cette pièce sous la forme de la coïncidence. Le hasard constitue un agent qui ne dépend ni des actions précédentes ni des caractères des personnages. Il contribue à faire de cette écriture une dramaturgie de l’extériorité et de la gratuité. Premiers faits relevant du hasard et non de la coïncidence, les deux victoires d’Eurimédon sur Araxés. Elles lui permettent d’obtenir la confiance de Pasithée et du roi, l’action se retourne par deux fois en la faveur d’Eurimédon en vertu du hasard. Néanmoins cette affirmation est à nuancer car le statut de héros ne lui permet pas de perdre une bataille. Une multitude de faits plus ou moins importants sont dus au hasard. L’action rebondit et démarre par des coïncidences. La plus dramatique a lieu à la scène 3 de l’acte III, lorsque le roi surprend le baiser qu’Eurimédon déposait sur le sein de Pasithée. Ici, la coïncidence amène un renversement durable de l’action, puisque le roi va bannir Eurimédon et enfermer Pasithée. Mais toutes les rencontres sont le fait de coïncidences. Ainsi, Eurimédon s’approche de la côte au moment où Pasithée est enlevée, le roi s’achemine vers le rivage au moment où sa fille débarque, Céliane se trouve sur le chemin d’Eurimédon, tous deux rencontrent Lysanor sans qu’un rendez-vous ait été fixé, Céliane rencontre le page qui cherche Eurimédon avant que celui-ci ne le trouve, et elle a la chance de ressembler à Eurimédon, Tygrane sort d’une salle au moment où Céliane y entre, ce qui fait croire à celle-ci qu’il la fuit. Les coïncidences sont donc multiples et sont des vecteurs de l’avancée de l’action. Desfontaines souligne le caractère inexplicable de l’arrivée du roi sur le rivage par ces vers que le roi prononce lui-même :
Falante : je ne sçay quelle secrette joye Avecque ce vaisseau la fortune m’envoye ; Mais je me sens forcé malgré mon desespoir De l’aller dans le port moy-mesme recevoir. Acte I, scène 2, vers 45 et sq.
Ces vers qui mettent ce déplacement au compte d’une joie mystérieuse l’expliquent-ils ou en soulignent-ils le caractère incongru ? Les autres rencontres ne sont pas justifiées, si ce n’est celle de Lysanor à la scène 5 de l’acte III. Eurimédon explique cette arrivée en disant qu’elle était prévue :
C’est mon cher Lysanor qui vient de Mitylene Où je l’avois laissé pour sçavoir de ma Reyne Ce que de mon amour je devois esperer, Et s’il m’estoit permis de vivre, ou d’expirer. V. 933-936.
Cette précision pourrait laisser penser que déjà dans la première scène, Desfontaines justifiait l’incongruité de la rencontre. Néanmoins, en l’absence d’un nombre d’exemples important, il est difficile de l’affirmer. La surprise de Céliane et l’étonnement du roi face à son propre comportement nous permettent même, au contraire, de renforcer l’idée que l’extraordinaire et le hasard, agissent ici sur les personnages et l’action.
L’action évolue donc au gré d’éléments extérieurs, qu’il s’agisse de personnes ou plus abstraitement du hasard. L’esthétique de Desfontaines suit en cela l’esthétique de la tragi-comédie de la première moitié du siècle. Les événements de la pièce semblent adopter la structure suivante : un événement extérieur à l’action suit chronologiquement un événement de l’action – ou événement intérieur – et l’événement extérieur permet ensuite pendant quelque temps des enchaînements logiques de cause à conséquence. C’est bien une dramaturgie de l’extériorité qui se déploie dans Eurimédon.
Dans la partie précédente, nous avons cherché à établir de quelle manière les actions étaient coordonnées. Il en résultait le schéma suivant : Événement intérieur → succession temporelle → Événement extérieur → relation de cause à conséquence → Événements suivants, intérieurs. Des enchaînements logiques ont ainsi parfois lieu, mais ils restent assez rares. Nous allons restreindre notre étude aux changements de scènes, puisque une scène correspond la plupart du temps à une unité d’action, et nous tâcherons de mesurer la part de logique dans ces enchaînements.
Lorsque le lieu ne change pas, les enchaînements paraissent logiques. Les scènes sont alors justifiées par les entrées et personnages. Avant cela, il convient d’observer que le changement de lieu entre deux scènes se produit à six reprisesà cause de la précédente.
Donc la logique n’est pas absente, mais elle n’est pas nécessaire. Les scènes peuvent se succéder sans aucune logique, changer de lieu, de personnages, et peut-être même de temps. En effet, sommes-nous sûrs que l’arrivée de Céliane se produit après la rencontre de Tygrane et d’Eurimédon ? Pouvons-nous affirmer que Pasithée accepte l’enlèvement après que Melinte a rencontré le roi ? Le dramaturge n’est pas soucieux de justifier les ruptures de scènes
Eurimédon utilise donc une structure linéaire dans laquelle l’enchaînement des actions est temporel, arbitraire. Cette pièce relève d’une dramaturgie qui exploite l’événement extérieur. Est-ce une façon de mettre en scène l’arbitraire même ?
Les nombreuses invraisemblances sont-elles à mettre au compte d’une esthétique qui célébrait l’arbitraire et le spectaculaire ? L’invraisemblance la plus magistrale a lieu lorsque les personnages ne reconnaissent pas Eurimédon sous l’apparence d’Hermionne. Ils remarquent une légère ressemblance avec Eurimédon mais les explications de ce dernier suffisent à effacer leurs doutes. Ainsi, Falante prévient le roi de la ressemblance frappante de l’amazone avec Eurimédon, mais cela n’inquiète pas le roi, puisque « Hermionne » prétend n’avoir jamais entendu parler d’Eurimédon. Même Pasithée est mystifiée parce que « Hermionne » affirme être la sœur d’Eurimédon. C’est précisément ce type d’invraisemblance que La Mesnardière va critiquer dans sa PoétiquePoétique, Jules de La Mesnardière, chez Anthoine de Sommaville, 1640.Esthétique de l’identitéForestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Paris, Droz, 1988, p. 234.
Autre point sujet à caution, Pasithée accepte d’être enlevée par Eurimédon qui n’est officiellement qu’un pirate. Cette pratique est courante dans le roman de Desmarets puisqu’Ariane procède de même avec Melinte. Si l’on se tenait du point de vue des bienséances, un tel comportement serait très surprenant de la part d’une fille honnête et de sang royal. Du point de vue de la logique même, cette décision amène une fuite et non une résolution de l’obstacle. Et la princesse en a conscience puisqu’elle déclare :
Mon honneur ne sçauroit se sauver en ma fuitte, Et quand bien je serois hors des terres du Roy J’aurois tousjours en suitte et l’horreur et l’effroy. V. 1734 à 1736.
L’argument d’Eurimédon, « le temps adoucira la colère de votre père », paraît ici un peu faible. Dans cette pièce, on voit à quel point les invraisemblances de la tragi-comédie viennent des schémas romanesques en vigueur, puisque c’est effectivement du roman que vient l’idée de l’enlèvement.
La pièce multiplie les invraisemblances, et relève d’une esthétique du spectaculaire. Nous n’en avons analysé que deux, mais nous aurions aussi pu observer les victoires aisées du pirate, le deus ex machina, Tygrane abandonnant aisément Pasithée… La part d’arbitraire que comportent ces incohérences ne saurait être inconsciente, puisqu’elle découle du choix du sujet et de la source. Choisir un roman et écrire une tragi-comédie, c’est accepter l’invraisemblance et l’arbitraire.
Un seul personnage décide du devenir des héros. L’obstacle qui s’oppose à leur bonheur est double. D’une part, Pasithée a déjà un prétendant en la personne de Tygrane, et en outre la naissance d’Eurimédon empêche au roi de lui accorder sa main. Pourtant, ces deux obstacles levés, le roi étant engagé par deux promesses envers Eurimédon, il refusera toujours d’autoriser le mariage. Le bonheur des héros ne dépend donc ni des conventions sociales ni de l’absence de rival, mais du bon vouloir d’un seul personnage, le roi Archelas. Le roi étant ridiculisé dans la pièce, il n’y incarne pas la Raison ou la Justice. Le sort des amoureux dépend d’une volonté arbitraire. C’est donc l’aspect hasardeux du devenir, du destin et du bonheur qui est mise en scène ici. En suivant le cours de la pièce, il est remarquable que le bonheur ou le malheur des amants est tributaire de ce personnage.
Nous allons relever tous les changements de l’équilibre des adjuvants et opposants, qui mettront en évidence que, quels que soit les faits et personnes jouant en faveur des héros, ces derniers sont tributaires de la volonté du roi.
Acte I scène 5 : situation initiale, pas d’obstacle, la tension s’élève à la fin de l’acte avec l’apparition de Tygrane, mais la situation reste favorable aux héros.
Acte III Scène 2 : le baiser surpris par le roi est un prétexte à sa colère. Ce soudain revirement sépare les amoureux.
Acte IV Scène 2 : le renversement possible – Eurimédon ayant gagné la main de Pasithée par sa bravoure – est anéanti par le déguisement d’Eurimédon car le roi ignore son exploit, et, s’il est favorable à Hermionne, il ne l’est pas à Eurimédon.
Acte IV Scène 2 : l’obstacle « Tygrane » est évincé car il se révèle avoir été parjure et être déjà engagé auprès de Céliane. Un obstacle est levé, mais Archelas s’oppose toujours au bonheur des héros.
Acte V Scène 5 : Archelas hésite, et l’issue heureuse est suspendue à sa décision. Le déguisement a été dévoilé, ce qui est à double tranchant : le roi sait qu’il est une deuxième fois redevable à Eurimédon, mais celui-ci l’a trompé et ridiculisé par ce travestissement. L’illustre extraction d’Eurimédon lui ôte tout argument, mais sa volonté hésite encore quelque peu.
L’obstacle de la naissance levé, rien ne devrait laisser Archelas s’opposer au mariage. En effet, si les audaces du jeune pirate peuvent encore justifier sa colère, d’autant qu’il est risible qu’un roi soit tombé amoureux d’un homme travesti, le roi ne peut néanmoins pas compter pour portion négligeable le fait que le jeune pirate – maintenant roi – lui a par deux fois rendu service. La générosité d’un roi ne devrait pas permettre un refus, qu’Archelas se permet sur quelques vers. Comment expliquer cette obstination ? Desfontaines a pu vouloir ridiculiser davantage le roi, faisant de lui un barbon têtu. Ce personnage contribue à développer la dimension comique de la pièce, présente dans cette tragi-comédie à la différence d’Orphise ou de La suite du Cid. Mais ce choix dramaturgique renforce encore le sentiment que les actions sont arbitraires, ou dues au hasard. Cette volonté vacillante et fantasque, détachée de la réalité des faits, contribue largement à faire de la dramaturgie de cette pièce un sensible exemple d’une écriture consciente de son caractère arbitraire.
Le dénouement renforce encore la gratuité des événements de cette tragi-comédie. L’invraisemblance de la reconnaissance finale, le deus ex machina à peine voilé, et les deux issues suggérées sont autant de signes de l’artificialité des actions et des rebondissements.
La reconnaissance finale est manifestement invraisemblable. En effet, comment Melinte peut-il reconnaître, sous un déguisement de femme, son frère qu’il n’a jamais vu ? Pourquoi Eurimédon ne renouvelle-t-il pas son discours qui contribuait si bien à le dissimuler ? On pourra objecter que la lecture d’Ariane lève ces invraisemblances. Pourtant, Desfontaines n’a pas choisi de faire figurer sur la scène les informations qui rendraient ce dénouement vraisemblable. Nous ne pouvons trancher et affirmer s’il s’agit d’une négligence ou d’une volonté expresse du dramaturge. Nous soulignons simplement le fait qu’effacer ces explications revient à utiliser la technique du deux ex machina « laïcisé »La Dramaturgie classique en France, Nizet, s. d. [1950], p. 100.
Car ce n’est pas un dénouement, mais bien deux issues que Desfontaines offre à son public. La scène de l’enlèvement de Pasithée, seulement projeté sans être réalisé, propose une autre conclusion. Mais à quoi attribuer cette digression ? Est-ce une volonté de « coller » le plus possible au roman ou est-ce pour créer un effet de surprise ? En effet, l’arrivée du frère est antérieure à ce passage, donc on devine que la reconnaissance va avoir lieu, d’autant qu’une fin de ce type est courante. Placer cette scène dans le déroulement du vrai dénouement, ce peut être une manière de rappeler, de citer et de rendre hommage au roman. Pourtant, la conclusion de la pièce n’est pas l’enlèvement mais la reconnaissance de l’identité illustre d’Eurimédon, ce qui crée, dans une certaine mesure, de la surprise. Et l’analyse des dénouements établie par H. Baby, dans La Tragi-comédie de Corneille à QuinaultBaby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002.
Le dénouement, par son effet de suspension, par le deus ex machina, et par son invraisemblance démontre donc à quel point cette dramaturgie se présente comme une mise en scène de l’arbitraire.
Eurimédon ou l’illustre pirate célèbre donc l’arbitraire de la création artistique, le met en scène et en joue avec dérision. Ainsi, cette pièce exploite le thème de la réversibilité des choses.
Les revirements de l’action sont-ils dus aux pensées intérieures des personnages ? Nous avons décrit cette dramaturgie comme une dramaturgie de l’extériorité, mais il convient, pour affirmer et poser ce propos, de considérer les sentiments des personnages et de mesurer leur portée sur les péripéties.
Les héros, par leur constance et leur fidélité, ne semblent pas susceptibles de provoquer des bouleversements de l’action. Tendant toujours vers le même but, leur attitude est constante et leurs actions contribuent à l’avancée, à la réalisation de leur projet. Du moins en ce qui concerne Eurimédon, car la figure féminine de Pasithée ne lui permet pas d’être active. C’est donc la valeur seule d’Eurimédon qui provoque des avancées. En effet, gagnant les deux batailles qui lui sont proposées, il se rapproche de la princesse. Ce n’est pas son intériorité qui provoque ces rebondissements. Ces décisions, ses réflexions sont univoques et n’influent sur le cours de l’action qu’en ce qu’il est d’une détermination sans faille pour se rapprocher de la princesse. Il est donc possible d’affirmer que l’intériorité des héros est indépendante des rebondissements de l’action parce que les rebondissements, passage du malheur au bonheur ou réciproquement, ne peuvent être causés par des être constants. Ce sont les actions des autres personnages qui peuvent influer négativement. En outre, le fait qu’Eurimédon, par ses actions, favorise son amour, est plus à porter au compte de ses qualités – courage, force – que de son intériorité. Les pensées d’Eurimédon ne varient pas. Un passage s’accorde moins à cette description, celui où Céliane exhorte le pirate à reprendre courage et à persister pour obtenir la main de Pasithée (III, 4).
Au contraire cherchez le chemin de la gloire Plustost que d’offencer vostre illustre memoire, Et ne permettez pas que les traicts du malheur Demeurent triomphans d’une insigne valeur, V. 861 à 864.
Mais il s’agit là d’un lieu commun romanesque, le héros désespère et souhaite mourir plutôt que d’être séparé de son amante. Il n’a pas changé de sentiments, son intériorité n’est pas atteinte, il correspond toujours à la définition de l’amoureux. Qu’une femme pousse l’homme au courage et à la bataille ajoute une dimension comique au passage, et fait d’Eurimédon une sorte d’anti-héros sur quelques vers. Ce n’est pas un revirement des sentiments mais un revirement dans l’ardeur belliqueuse qui est mis en scène, et on voit bien, par la présence même du personnage de Céliane, que les changements de décisions – fuir ou revenir – sont dus à des personnages extérieurs, le roi ou Céliane. Les pseudo conversions sont en fait mues par des forces extérieures, par des personnages extérieurs, ce qui prouve encore que l’intériorité des personnages n’est pas une source de rebondissements. Les pensées des héros ne semblent pas être indépendantes de l’action, au contraire, elles semblent être poreuses. Elles n’ont pas une consistance assez solide pour constituer à elles seules le socle de l’action, elles se laissent moduler par elle, mais les sentiments, eux restent fermes et ne peuvent pas, non plus, être source de rebondissements pour l’action. Aussi l’intériorité des héros ne peut-elle constituer l’action de la pièce. Dès lors, le dramaturge doit faire appel à des mobiles d’action indépendants.
Tygrane, le rival, a des sentiments qui varient. Il passe de l’opposition à la neutralité. Son attitude de rival était celle d’un opposant passif puisque rien ne spécifiait qu’il était favori auprès du roi. La seule démarche active qui faisait effectivement de lui un opposant était le projet de duel, qui échoua puisqu’il se trompa de cible. Son revirement sentimental provoque une péripétie mais elle est due à un élément extérieur, la venue de l’amante délaissée, Céliane. Il est forcé de reconnaître sa faute et d’abandonner Pasithée. Il devient donc neutre, ou, pour reprendre l’analyse d’H. Baby, il passe d’« un schéma actanciel à un autre : il devient sujet dans une autre relation amoureuse. ». Nous retrouvons un schéma fort utilisé dans lequel « le change dépend de la rencontre avec autrui, c’est-à-dire encore une fois d’un élément extérieur ».La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002, p. 135.
Aussi, force est de conclure, avec H. Baby, que les revirements qui paraissent intérieurs incombent en fait à des événements extérieurs, aux actions des autres personnages ou aux faits. L’intériorité des personnages ne gouverne donc pas l’action.
Si les sentiments des personnages ne servent pas l’action, leur valeur est peut-être à chercher dans l’émotion esthétique qu’ils visaient à susciter dans le public. Les stances et monologues sont les lieux privilégiés de l’expression des sentiments, c’est pourquoi nous nous appuierons sur ces passages pour comprendre quelle peut être la place des sentiments dans cette tragi-comédie. En observant les monologues et les passages de stances, nous remarquons que les stances seules n’ont pas de rôle dans l’action. En effet, les monologues ont souvent une valeur explicative, ou servent à révéler les intentions cachées ou les caractères réels des personnages, ou servent, pour le monologue de Céliane (II, 5), à la délibération et à rendre crédible la venue d’un autre personnage. Ainsi, le premier monologue de Tygrane (II, 3) a pour but de lui faire formuler le projet de tuer Eurimédon et ce passage montre également son orgueil extrême, le spectateur se rend compte que le rival est plus blessé dans son amour-propre que dans son amour. Les propos que Céliane se tient avant d’arriver à Mitylène (II, 4) permettent d’expliquer qu’une femme se cache sous cet habit masculin, le monologue s’attarde un peu sur ses sentiments pour Tygrane, mais ce n’est pas la seule fonction de ce discours, qui par sa valeur explicative, permet d’annoncer l’action. En revanche, les stances ne font que reprendre des éléments de l’action déjà mentionnés et constituent dans cette pièce le lieu privilégié de la déploration. Les stances d’Eurimédon (III, 3) en sont un exemple, elles lui permettent d’exprimer sa colère contre l’injustice et l’ingratitude, incarnées ici par le roi. Eurimédon s’illustre dans le maniement de l’ironie et du double sens si bien qu’il abandonne les stances au profit d’un monologue ironique contre le sens des valeurs du roi.
Que Tygrane a bien faict ! que sa valeur est rare ! Qu’il a bien merité l’honneur qu’on luy prepare ! Qu’il a diligemment suivy le ravisseur De l’objet dont on veut le rendre possesseur !
Ce passage des stances à l’alexandrin montre que les stances ne peuvent recevoir de critiques aussi mordantes et que Desfontaines les réservaient à l’expression de la tristesse. Eurimédon fait état de sa lassitude de voir que le sort s’acharne sur lui. Son propos est assez général des vers 789 à 800, c’est-à-dire sur trois des cinq strophes. Puis il fait allusion à l’injustice au vers 802, et se fait plus précis dans les vers suivant. Dans la dernière strophe, sa déploration rappelle avec plus de précision le rôle de la rigueur d’un père dans son malheur, et son amour pour Pasithée. C’est ce souvenir qui alimente une colère qui l’amène à parler avec ironie du roi en dehors des stances. Ainsi, la colère l’amène à abandonner les stances. La déploration de Pasithée (III, 6) fait plus précisément le compte-rendu des faits, et les détaille, ce qui est de nature à appeler l’émotion et la pitié. Ses stances pourraient avoir quelque lien avec l’action dans les deux dernières strophes où Pasithée se résout à mourir, mais retarde sa mort en espérant un miracle. Le lien à l’action est donc annulé par cette précaution, puisque le spectateur sait qu’Eurimédon est « de la partie », et gagnera donc la bataille. Ainsi les deux passages de stances sont réservés au héros, les autres personnages n’ayant que des monologues. Ces discours ne sont indépendants de l’action que dans les stances, où l’aspect lyrique de la déploration domine. Les sentiments exprimés dans les stances ne servent pas à faire progresser l’action, ils n’apportent aucune nouvelle information. Les stances sont un passage attendu du public, en ce qu’elles sont le lieu de l’expression pure des sentiments malheureux. Ces derniers sont exploités pour leur lyrisme et non pour leur capacité à faire avancer l’action, ce qui est assez logique, puisque, comme nous l’avons vu, les sentiments des héros sont constants.
L’autre lieu d’expression des sentiments, c’est le dialogue amoureux. Il est ici univoque, et indépendant de l’action, ce qui montre que Desfontaines a choisi d’exploiter l’aspect poétique des sentiments. Une scène constitue réellement un dialogue amoureux, celle de la déclaration, (II, 1). Cette scène est liée à l’action, puisque sans l’amour de Pasithée, Eurimédon ne peut chercher à poursuivre son but. Ce passage insiste sur l’émotion d’Eurimédon qui met par contraste en relief la litote de Pasithée « Esperez ». En effet, le vers se fragmente, les vers 401 à 404 se divisent en 9 répliques qui sont le vecteur des paroles hésitantes d’un héros troublé. La venue de Tygrane (II, 2) contrarie ensuite ce duo d’amoureux. Eurimédon a une réplique étrange. Après que Pasithée ait affirmé qu’elle sait ses défauts, Tygrane en profite pour glisser un compliment,
Si c’est par le miroir apprenez qu’il est faux, Et qu’inutilement vous consultez sa glace S’il ne vous y fait pas remarquer votre grace. V. 440 à 443.
Ce à quoi Eurimédon répond :
Il a pour ses attraits trop de fidelité.
Ce vers est bivalent. Il peut parler de la beauté de Pasithée en signifiant que le miroir est trop fidèle pour ne pas lui laisser voir sa beauté, ou, par le biais de l’adjectif « trop » montrer que la princesse est quelque peu fière de son physique. C’est ce dernier sens que Pasithée comprend, et elle s’en étonne avec ironie :
Et vous pour me flatter trop de civilité :
Puis avec animosité :
Quoy donc apres la paix, vous me donnez la guerre ? Vous me sauvez en mer, et m’attaquez en terre ? Desirez-vous encore un triomphe nouveau ?
Nous pouvons nous interroger sur le sens des propos d’Eurimédon. Pourquoi Desfontaines lui fait-il prononcer une phrase si ambiguë ? Peut-être est-ce un moyen de montrer qu’il lui reste de son éducation des fragments de maladresse et de naïveté. Ce héros n’est pas rompu aux règles de la courtoisie ni aux jeux d’esprits d’une cour qui est plus contemporaine de l’auteur que des personnages. L’illustre pirate demeure quelque peu sauvage. Cette réplique pourrait être comprise comme un trait d’ironie du dramaturge qui porte un regard amusé sur le héros parfait malgré son absence d’éducation. La méprise et les jeux sur l’ambiguïté se poursuivent avec la réponse du corsaire :
Non je veux ma deffaite en un combat si beau.
Là encore, deux sens en un vers. Eurimédon veut être blessé par l’amour de Pasithée tandis que celle-ci lui reproche :
Vous ne prendrez donc pas le soin de vous défendre.
La princesse exprime sa déception à voir Eurimédon peu soucieux de remporter son cœur. Ainsi, l’irruption du rival amène l’ironie, les pointes, la stichomythie, de la vivacité d’esprit là où l’émotion était présente à son état naturel. Ces deux scènes, séduction dans l’intimité et le naturel, séduction en public et par l’esprit, donne deux versions de l’intelligence amoureuse et de l’expression des sentiments. Cependant, elles ne sont pas coupées de l’action puisque la déclaration d’amour, comme la révélation de l’amour aux yeux du rival lui sont nécessaires. L’expression des sentiments par des scènes dialoguées a un rôle dans l’action dans la mesure où elle permet de poser la situation initiale. Ces scènes expriment et posent le sentiment amoureux en visant à faire ressentir l’émotion ou l’admiration face aux jeux d’esprit. Ainsi l’intériorité des personnages est un plus un objet esthétique qu’un outil dramaturgique.
Les événements étant mus par des forces extérieures, leur indépendance ou leur autonomie amène à présenter le destin sous un jour arbitraire. Les personnages sont malmenés par des forces sur lesquelles ils ont peu d’emprise. Ce théâtre a donc conscience de son aspect arbitraire. Les actions sont voulues par un démiurge – le dramaturge. Ayant conscience de l’artificialité des enchaînements, des décisions, des révélations, cette dramaturgie l’exhibe, la met en scène, et la tourne en dérision. L’extériorité des actions se rit d’elle-même, le théâtre est réflexif et se regarde, c’est précisément un des points capitaux de la tragi-comédie d’après H. Baby.
Plusieurs personnages divergent de ce que devrait être leur attitude d’après les normes sociales de l’époque de la création ou d’après la convention des caractères. Certes la convention des caractères a été formulée plus tard. Ainsi, La Mesnardière décrit-il les caractères dans sa Poétique en 1639, mais cette rédaction résulte d’une conscience et de goûts que Desfontaines ne pouvait ignorer lorsqu’il écrivait son Eurimédon. Pouvait-il en effet ignorer qu’un roi ne tenant pas ses promesses ne respecte pas son propre honneur, et que si la scène se produit deux fois, il ne risque pas de passer pour un tyran, mais pour un fantasque risible ? Ainsi les personnages contraires à la convention sérieuse attirent-ils les rires. Et rire des conventions, n’est-ce pas les mettre en scène pour s’en jouer, n’est-ce pas regarder le théâtre qui se fait, pour parfois mieux le déconstruire ?
Le roi refuse de marier sa fille, il est dur avec elle et il tombe amoureux. Le personnage du roi est celui qui tourne le plus la convention en dérision. Comme nous l’avons évoqué plus haut, il ne tient pas ses promesses, et en outre il refuse de marier sa fille à un roi, adoptant ainsi le comportement du barbon de la farce, d’autant plus ridicule que lui-même tombe amoureux, et amoureux d’un homme déguisé en femme.
Voyons tout d’abord les passages concernant les promesses. La première promesse (I, 2) sied à la grandeur royale, le rythme, parfaitement binaire appuie la parole en lui donnant la solennité et la majesté qui s’accordent au statut royal.
Je vous offre le bien / que vous nous avez faict, Partagez nos plaisirs, / regnez dans mes provinces, Faites vous (s’il vous plaist) / des sujets de mes Princes, Je feray tout pour vous, / ayant tout faict pourmoy,Vous m’avez rendu pere/ et je vous ferayRoy.V. 72 à 76, nous soulignons. Les termes soulignés sont accentués car en fin d’hémistiche ou de vers, et ils mettent en relief un chiasme qui place Eurimédon et le roi sur le même plan. Le phrasé du vers fait porter l’accent sur les interlocuteurs : vous, moi, et sur les fonctions de père et de roi.
Ce passage ayant été repris par Desfontaines dans Le Saint Alexis en 1644règne dans ses Provinces, / Fais-toi, si tu le veux, des sujets de mes Princes, / Partage mes grandeurs, prens le titre de Roi, / Ayant tout fait pour nous, je ferai tout pour toi. » (I, 1). Sans que les termes soient exactement identiques, puisque ce passage n’utilise pas les mêmes personnes et inverse une fois les propositions, les reprises soulignées par nous, se reconnaissent nettement, et dépassent le simple degré du parallèle thématique.a fortiori royale, a une valeur performative, qui n’est pas niée ici. Mais le propos, légèrement elliptique, pourrait pousser à contester cette appréciation. Par exemple, le roi utilise simplement le terme « bien », qui peut désigner Pasithée rendue à la Cour ou le bonheur créé par ce retour. Rien n’affirmerait alors que le roi accorde la main de Pasithée à Eurimédon. Ces formules sont-elles simples politesses ? La structure laisse penser que se produit ici un acte solennel, certes sans témoins, puisque le roi est venu avec peu de pompe, mais qui, étant formulé par un roi, ne perd pas sa dimension performative. Ce passage est tout à fait crédible, et le roi est ici conforme à la tradition. Cette promesse, qu’elle soit effective ou source de malentendu, est un premier point qui permet de déconstruire le personnage du roi. En effet, il ne la respectera pas, au mépris de l’honneur, et hâtera le départ d’Eurimédon, ce que la princesse juge par avance contre l’honneur « Et vous devez penser qu’il ayme assez l’honneur / Pour ne vous pas oster un si foible bon-heur. ». La promesse non tenue, c’est une manière de faire de ce roi un personnage antinomique, et de déconstruire le personnage : ainsi la promesse pose le roi à la scène II de l’acte 1, puis elle le défera par la suite, avant même de devenir source de comique à l’acte IV. La scène 2 de l’acte IV voit le roi renouveler sa promesse, mais envers « Hermionne ». Mais cette scène a une autre utilité, elle ridiculise le roi au profit du héros qui se permet les plus vives critiques sans qu’Archelas ne saisisse la portée des propos qu’il croit désigner un autre. Aussi, les termes d’« inconstant »
L’autre point qui fait d’Archelas un anti-roi est proche du premier. Ce roi n’est pas généreux. À la différence d’Eurimédon qui pardonne aux vaincus, Archelas ne semble pas connaître le pardon. Dès la scène 2 du premier acte, leur antagonisme est exposé. Le roi condamne la clémence du pirate : « La mort que le bourreau pouvoit rendre execrable / La gloire de vos coups l’a renduë honnorable, / Et vous avez donné par des trespas si beaux / À des infames corps des illustres tombeaux. ». Cette figure du roi moins généreux que celui qui le sert, et est dit n’être même pas noble, peut faire songer à l’Alcionée de Du Ryer. Alcionée tient un rôle comparable à celui d’Eurimédon, et des propos similaires, comme à la scène 3 de l’acte I, où il proclame « Quoy, n’aimerois-je pas, où l’on me l’a permis ? / Quoy n’aymerois-je pas où le Roy m’a promis ? ». Ce parallèle ne permet pourtant pas d’établir une des deux œuvres comme une source de l’autre, puisque les histoires sont très nettement différentes, voir à ce sujet la quatrième note du chapitre « du roman à la tragi-comédie », et puisqu’elles ont deux sources distinctes. Alcionée s’inspire en effet d’un épisode du Roland furieux de l’Arioste. Le roi qui ne tient pas ces promesses, et qui ne connaît pas le pardon, voilà qui est contraire aux valeurs attendues d’un roi.
Enfin, dernier aspect surprenant chez Archelas, il tombe amoureux. Il s’éprend d’« Hermionne ». Le fait de voir un roi amoureux, qui plus est d’un homme, plus jeune que lui, et qu’il a renvoyé avec violence, dégrade le personnage et annihile presque sa valeur royale. Un roi ne respectant pas ses promesses pourrait être un tyran, mais amoureux dans de telles circonstances, c’est un personnage de comédie. En effet, le roi amoureux n’est ici plus tyran, il paraît pitoyable et accède à toutes les demandes de son « amazone ». Il est plus homme, plus père que roi. La façon dont se manifeste ses sentiments montre une passion qui fait fréquemment sourire au théâtre chez un homme mûrL’École des femmes de Molière.
Ah Dieux quelle merveille ! Cette grave douceur et cette Majesté, Sont les visibles traits d’une Divinité.
Puis, voulant hâter leur union :
Je vous ayme (Madame) et ce delay me tuë.
Aussi cette figure qui devrait inspirer le respect devient-elle cocasse, et nous avons montré que les modifications apportées au roman favorisaient cette figure. Le roi ressortit à l’esthétique comique de la pièce, c’est le personnage théâtral du roi qui est tourné en dérision. Cette tragi-comédie tourne en dérision un rôle traditionnel et joue avec les conventions.
Il est étonnant de voir une jeune fille honnête, ayant le sens de l’honneur et une certaine pudeur, accepter que l’homme qu’elle aime l’enlève. Cette scène 4 de l’acte V pourrait mettre en scène une princesse déchirée entre son sens de l’honneur et son amour. C’est ce qui est fait ici mais nous pouvons nous demander si le débat n’est pas quelque peu abrégé, de sorte que les hésitations de Pasithée paraissent être de pure forme. Nous observerons tout particulièrement sa dernière réplique :
Hé bien, puis qu’il le faut, j’y consens: mais bons Dieux !Qu’un extreme malheur m’arrache de ces lieux ! Puisque pour un Amant qui cause mon martyre Il faut que j’abandonne et mon pere, et l’Empire ; Mais (cher Eurimedon) Je ne conteste plus, Aussi bien les regrets sont icy superflus, Je suy tes volontez, ma raison rend les armes.Nous soulignons.
La puissance des arguments évoqués dans les caractères romains est évacuée aisément dès que la princesse décide d’abandonner sa raison. L’argument d’Eurimédon qui est censé convaincre Pasithée est faible : le temps devrait apaiser la colère du père qui risque d’être violente lorsqu’il découvrira qu’il a été trompé. Ce ne sont donc pas les arguments mais les sentiments qui décident Pasithée. Ce revirement en une suite de sept vers pour des sujets aussi graves semble rendre risible la réflexion et les débats argumentés. Passer du oui au non puis de nouveau au oui en quelques vers montre le peu de profondeur d’un tel débat. Pasithée est en cela semblable aux héroïnes tragi-comiques qui finissent toujours par se rendre. Cette attitude nous permet de mieux comprendre quelle fut la révolution apportée par ChimèneCorneille Pierre, Le Cid, tragi-comédie, Augustin Courbé, 1637.
Les personnages du roi et de la jeune fille sont construits sur le patron habituel de ces personnages de tragi-comédies. Le roi se présente rarement comme un roi et la fille agit en amoureuse. Par exemple, dans Laure persécutée de Rotrou, le roi est aussi ridiculisé, par ses propos qui signalent un caractère capricieux et colérique, en témoigne la réplique « Je veux ce que je veux parce que je le veux. »Rotrou, Laure persécutée, tragi-comédie, 1637, in Œuvres de Jean Rotrou, t. III, Paris, Th. Desoer, 1820, Acte I, Scène 10.
Eurimédon ou l’illustre pirate met-il en scène le vocabulaire et les formules propres au théâtre ? Nous allons nous attacher aux méprises d’identité dans lesquels un personnage prend l’autre pour une divinité. Cette scène se produit trois fois. Par deux fois, Archelas prend celui qui vient lui rendre service – Eurimédon ou « Hermionne » – pour un émissaire divin, voire pour un dieu. Nous remarquons que ce roi ne prend pas même les armes comme dans le roman, et qu’il semble se caractériser par sa couardise. Dès lors, il remercie chaleureusement qui vient lui porter secours, en établissant systématiquement une comparaison avec une divinité, appelant son sauveur « Alcide » ou l’amazone « déesse ». Ces comparaisons montrent aussi combien le roi se croit estimé des dieux, ce qui peut porter à sourire au vu de ses actes. Mais Eurimédon lui-même croit voir en Céliane une image divine venue lui porter chance. La divinité volant au secours des héros rappelle les deus ex machina. Ainsi, ces interventions divines ne sont peut-être pas uniquement le rappel des interventions divines de la mythologie. Il est possible d’y voir le souvenir des conventions théâtrales qui autorisent la matérialisation du divin. Les personnages paraissent être empreints des conventions théâtrales et les attendent. Les protestations d’Eurimédon, ou de Céliane « Non, non, je ne suis pas du rang des immortels, » exploitent l’aspect risible de ces propos. Autre exemple, dans la scène de confrontation, entre l’illustre pirate, Pasithée et Tygrane (II, 2), le langage de cour semble mis en scène et ses subtilités paraissent mener le héros à commettre quelques erreurs que nous avons analysées dans la partie « Valeur lyrique des sentiments ? » dans le chapitre sur l’extériorité.
C’est bien une mise en scène, discrète et quelque peu ironique et critique, du théâtre lui-même qui s’opère dans un mouvement réflexif.
Desfontaines paraît employer le terme de tragi-comédie pour signifier que les personnages sont des rois, mais que le sujet, sentimental, mène au mariage. Nous avons vu dans la partie « tragique et comique » que la part de « tragique », au sens de péril, restait faible. Cette borne de la tragi-comédie semble peu exploitée. Au contraire, elle est même tournée en dérision. Le péril de mort devient source de rire. L’objet tragique est au centre d’un mouvement réflexif du théâtre.
Comment comprendre, en effet, que Céliane meure à la scène 6 de l’acte II et réssuscite à la scène suivante ? En effet, elle se croit morte : « Je meurs contente (ingrat.) », dit-elle, tandis que Tygrane affirme « S’en est faict il est mort. », puis, au début de la scène 7, les didascalies affirment qu’elle revient « de son esvanoüissement ». Cette mort et cette renaissance subite comportent une certaine ironie vis-à-vis de la fatalité. Les personnages sont manipulés par une instance supérieure et arbitraire, et Céliane en a conscience. Le vers
Me reffuse-t’on place en l’empire des ombres ? V. 626.
emploie un impersonnel pour désigner ce que Céliane a déjà nommé : « Astre », « Demon » et ce qu’elle appellera « Dieux ». Or le Dieu responsable de ce revirement, c’est bien le créateur de la pièce, et l’impersonnel comme les multiples dénominations de cette instance supérieure montrent qu’il y a une conscience de l’arbitraire, mais peu de soupçon de l’origine de ce pouvoir. Deux discours se croisent donc ici. Celui qui veut que le sort des hommes dépende des Dieux ou de Dieu, et celui qui se sert du prétexte de la vie dirigée par des instances arbitraires pour rappeler le principe même de la construction dramatique. Il est difficile de déterminer laquelle des deux réflexions – arbitraire de la vie ou du théâtre – domine ce discours, sans doute parce que l’arbitraire du théâtre prétend reproduire l’arbitraire de la vie. Ainsi, le péril de mort est évoqué sans être traité, puisque la mort survient et disparaît très rapidement. De même, tous les périls concernant le héros sont évacués : le rival veut le tuer, mais se trompe de personne, et le pirate remporte toute les batailles. Jamais on ne craint que sa valeur défaille. Ainsi, Pasithée ne doute pas que si Eurimédon pouvait lutter contre Araxés, il emporterait la bataille devant tous les nobles de ce royaume. Le héros se trouve plusieurs fois en danger de mort mais ce risque est totalement déconstruit par sa valeur, par les erreurs de l’adversaire ou par la fuite, quand le roi le menace de son épée. Jamais nous ne pouvons craindre sa mort. Dernier exemple, lorsque Pasithée envisage le suicide (III, 6), c’est pour repousser ce projet dans la strophe suivante. Cette idée dure si peu de temps que la menace qu’elle aurait pu constituer est défaite, d’autant plus que le public sait qu’Eurimédon va participer à la bataille, donc très certainement en remporter l’enjeu, c’est-à-dire Pasithée.
Il y a bien allusion à la possibilité de la mort, mais sur un mode assez léger car les apparitions sont tout à fait ponctuelles. Pas de péril proprement dit, mais des allusions à cette possibilité, tout autant dans la réalité de la fiction que dans sa création. La source tragique est ainsi dédramatisée et mise à distance.
Le déguisement est une figure fort employée au XVIIe siècle, c’est même un « thème majeur de la littérature de l’époque de Louis XIIIForestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français, (1550-1680), Le déguisement et ses avatars, Paris, Droz, 1988. Introduction, p. 14.Eurimédon, un inconscient – le jeune pirate ignore qu’il est prince – et deux travestissements qui constituent des moyens d’approche amoureuse. L’emploi du déguisement amène nécessairement à faire jouer un personnage, et appelle dans une certaine mesure à mettre en abyme le processus théâtral lui-même, il participe de ce mouvement réflexif qui s’opère dans la première pièce du dramaturge. Les deux déguisements concernant Eurimédon ont été inspirés par le roman de Desmarets. Desfontaines souhaitait-il ne pas trahir Ariane, ou bien a-t-il apprécié ce schéma ? Il est difficile de trancher en l’absence de documents sur ce sujet, mais il a suivi ce moyen de faire avancer l’action en créant le personnage de Céliane, elle aussi travestie. Nous nous baserons pour cette étude sur les analyses de Georges Forestier, reprises dans L’Esthétique de l’identité dans le théâtre français, (1550-1680), Le déguisement et ses avatars
Le déguisement qui occupe le plus grand espace temporel est le déguisement inconscient puisqu’il n’est révélé qu’à la dernière scène de la pièce. Le personnage principal, Eurimédon, est un pirate. L’apparition de son frère au dernier acte permet la révélation de son illustre « identité ». Il y a donc un déguisement inconscient du héros qui s’accompagne d’un mouvement social descendant.
Ce type de déguisement inconscient est assez courant, car il présente l’utilité de créer un obstacle artificiel, celui de la mésalliance. G. Forestier cite les différents modes de création du mystère d’identité : « pour les disparitions, l’arbitraire du dramaturge se dissimule-t-il derrière les coups de la fortune, qui revêtent principalement deux formes : enlèvement de l’enfant (tribut de guerre, pirates, bohémiens) […] ou disparition de l’enfant de la famille à laquelle, pour une raison plus ou moins claire, il avait été confié. »Ibid., p. 109.
Ce déguisement est-il bien opaque ? De nombreux faits viennent troubler l’image du pirate sauvage et cruel que le héros pourrait avoir s’il était véritablement ce qu’il pense. Tout d’abord, le récit qu’il fait de sa vie constitue un premier signe de son extraction royale. Les pirates lui ont caché son nom, mais pas son origine. Ensuite, son attirance pour le « bien », son désir de « conversion », sa générosité, sa valeur et son courage sont autant de caractéristiques attendues chez un roi. Le déguisement n’est donc opaque ni pour les spectateurs ni pour les personnages. Ils sont plongés dans un système qui repose souvent sur les mêmes chaînes actancielles et les personnages devinent la noblesse du héros. Reste que le père, en tant que père et aussi parce qu’il s’approche du vieillard de comédie, ne veut pas se fonder sur des suppositions. Mais nous avons vu qu’une fois ce motif levé, il persiste dans son refus, et qu’il s’agit plus d’un personnage fantasque que d’un roi soucieux des mœurs. Les spectateurs devinent quelle est l’identité réelle du pirate. Aussi, suivrons-nous H. Baby en disant « que la reconnaissance n’intervient pas « in extremis » mais d’emblée, relativement aux spectateurs. »Baby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2002, p. 191.
Ce déguisement contribue moins au mouvement réflexif d’Eurimédon que les deux autres.
Le héros se travestit sur les deux derniers actes pour s’approcher de la princesse. Le déguisement lui permet de combattre sans être reconnu du roi, de s’attirer son amour, effet imprévu, et de s’approcher de Pasithée qui est en prison. Le travestissement se justifie surtout en référence au roman dans lequel la fille du roi ne pouvait être approchée que par des femmes lorsqu’elle était en prison. Ceci n’est pas mentionné dans la pièce, le travestissement se présente comme un déguisement quelconque qui a en outre le mérite de donner au héros l’espoir de dormir aux côtés de son amante.
Quels sont les instruments concrets de cette métamorphose ? La féminisation du personnage a été préparée pour les spectateurs par le dialogue avec Céliane et par le compte-rendu militaire du conseiller du roi. Les personnages semblent aisément trompés par le déguisement grâce au costume car les didascalies précisent que le pirate apparaît « en amazone »PoétiquePoétique, Paris, Anthoine de Sommaville, 1639.
Ce costume permet au héros de tenir au roi et à la princesse un discours à double sens dans lequel il se plaît à manier l’ironie et à formuler des griefs. Desfontaines reprend ce thème esquissé par Desmarets. Dans Ariane, Eurimédon dit qu’« il souhaittoit l’honneur de son alliance autant ou plus que luy-mesme. Dequoy le Roy le remerciait, n’entendant pas le sens des paroles d’Eurimédon, qui vouloit parler de l’alliance qu’il desiroit faire avec luy en espousant sa fille. ». Ce type de dialogue est exploité par Desfontaines qui permet même à son héros d’appeler le roi « inconstant » ou « traistre
La fonction principale d’un tel costume est de créer une « action médiatisée », c’est-à-dire, en l’occurrence, de permettre d’approcher la femme aimée. Le déguisement d’un rôle principal masculin a cette fonction dans « 35% » des cas. Le déguisement est un moyen de l’approche et de la conquête amoureuse. L’emploi d’un travestissement dans une telle intention vient de l’influence de L’Astrée d’Honoré d’Urfé. G. Forestier dénombre six travestissements de ce type de 1629 à 1640, tous d’origine romanesque, où le prince se travestit, et il mentionne « l’influence considérable sur la génération de Corneille de L’Astrée, dans laquelle le travestissement de Céladon en « Alexis » tient une place énorme. ». Ainsi l’écriture de Desmarets se souvient de cet héritage, et Desfontaines le porte à la scène. Ce thème est également présent dans Agésilan de Colchos, pièce de Rotrou publiée en 1635Ariane de Desmarets » que Desfontaines n’a pas cherché à faire référence à la pièce de Rotrou.Amadis de Gaule.
L’autre fonction de ce costume est de créer des scènes jouant sur les ambiguïtés sexuelles. Le roi tombant amoureux d’un homme déguisé en femme, Pasithée se laissant entretenir par les douces paroles d’« Hermionne », ces scènes laissent penser que le choix de l’île de Lesbos est peut-être motivé. Le jeu sur les allusions sexuelles renforce l’aspect comique de la pièce et confine le roi dans son rôle de vieux barbon. Les paroles de compliment qu’« Hermionne » prononce envers Pasithée sont un peu trop poussées, elle lui parle de ses yeux comme des « plus beaux yeux du monde », aussi celle-ci répond-elle « Icy vostre vertu m’impose le silence ». Plus loin, l’enthousiasme de la fausse amazone grandit encore, frôlant l’indécence :
Ah que sur ce beau sein je voy de belles choses ! Son teint ressemble aux lys, et vostre bouche aux roses,
Nous pouvons nous demander quelle est la part de plaisir et la part de stratégie dans l’emploi du déguisement auprès du roi.
Le travestissement d’Eurimédon ne se limite pas à un rôle dans l’intrigue, il permet au dramaturge de jouer sur les ambiguïtés du discours et sur les ambiguïtés sexuelles. Desfontaines développe une esthétique de la transgression qui paraît justifier seule les scènes où Eurimédon feint d’accepter les déclarations d’amour du roi. Mais il est vrai que cette scène peut aussi se justifier dans la mesure où il cherche à rester en faveur auprès du roi pour tenter d’influencer ses décisions et pour voir Pasithée. Ce déguisement amène l’acteur à jouer un double rôle particulièrement exploité dans la scène où il se trouve seul avec la princesse, car alors il est tiraillé d’une part par son rôle qui l’oblige à une certaine distance, à parler au féminin et d’autre part par ses sentiments, dont il lui faut contrôler l’ardeur afin de ne pas se trahir. C’est bien le rôle de l’acteur qui est mis en abyme par ce déguisement, et tout particulièrement dans cette scène où le voile tombe parce que l’acteur s’est montré.
Céliane a opté pour le même mode de déguisement que celui d’Eurimédon. C’est travestie qu’elle va tenter de poursuivre son infidèle amant. En ce qui concerne les seconds rôles féminins, G. Forestier remarque le « passage de la reconquête au premier rang (25, 3 %), très nettement devant la fuite (16, 4 %), et surtout devant l’approche » qui totalise 9 % des cas. Ce schéma est donc assez courant. Ce schéma actanciel, dans lequel le rival est éliminé par la présence d’une ancienne maîtresse, qui conduit à un double mariage est assez employé à l’époque. Le costume est encore le mode de signalisation employé. Mais, comme Céliane fait sa première apparition « en habit de Cavallier », il faut que le déguisement soit signalé au public, et c’est ce qu’elle fait dans son premier monologue. Pour la compréhension du costume, il faut que la parole double le physique, tant pour les spectateurs que pour Tygrane. Car Céliane ôte son casque et se nomme au moment de la reconnaissance. La fonction de ce déguisement est encore de médiatiser l’action. Un autre personnage, cavalier fictif, entre dans la ville, cachant sous ses vêtements Céliane, ainsi le déguisement est un moyen de reconquête amoureuse. Céliane tente d’abord de favoriser les amours d’Eurimédon et de Pasithée, puis elle se démasque devant Tygrane et le roi, ce qui force celui-ci à reconnaître qu’il ne peut pas légitimement prétendre à la main de Pasithée. Ce déguisement met aussi en scène le rôle même de l’acteur puisque Céliane est contrainte à jouer un rôle pour lequel elle n’est pas faite. C’est ainsi qu’elle se bat en duel contre Tygrane et perd au premier assaut. La rapidité de ce duel dédramatise une scène qui pourrait être tragique, tourne en dérision un homme qui ne s’étonne pas d’un triomphe aussi aisé, et fait sourire des difficultés que son costume occasionne à Céliane.
Le déguisement est une convention attendue qui contribue ici à mettre en abyme le rôle de l’acteur et ses difficultés. Ce théâtre a pleinement conscience de son caractère conventionnel, il l’observe, et en joue.
Cette tragi-comédie met en scène, illustre et symbolise la réversibilité des choses. Tout et son contraire peuvent se produire. La tragi-comédie effectue sans cesse des rappels de la réversibilité des événements, se souvenant ainsi de leur caractère fictif. Elle s’inscrit en cela dans une esthétique baroque.
Ainsi, la pièce s’ouvre apparemment sur une conclusion. Une aventure, celle de Pasithée enlevée, s’achève lorsque débute la pièce. Construire ainsi l’entrée en scène, n’est-ce pas un moyen de rappeler la circularité des choses, et l’absence de fin strictement conclusive ? D’ailleurs, l’arrivée au port constitue à elle seule un symbole du « va-et-vient du malheur au bonheur »Eurimédon, l’arbitraire est fantasque, ces décisions sont révocables. Plusieurs schémas se reproduisent deux fois dans l’ensemble de la pièce. Le roi remercie Eurimédon sous deux costumes différents. Il menace de le tuer à deux reprises. Deux personnes projettent l’enlèvement de Pasithée, à savoir Araxés et Eurimédon, et elle veut ou ne veut pas être enlevée. Les personnages même semblent ressentir le caractère fluctuant des choses, en témoignent ces deux vers prononcés par Céliane « Qui m’a faict r’encontrer dans l’oragele port ; / Et m’a donné la vie, où je cherchois la mort. »
Les événements sont réversibles, on passe du malheur au bonheur, et réciproquement, les actions se dédoublent et se multiplient, les événements sont prolifiques. C’est la gratuité de l’événement qui s’exprime dans ces multiples figures de réversibilité. L’orchestration des faits dans cette pièce correspond bien à celle des tragi-comédies du début du siècle. Les actions sont gratuites, spontanées, orchestrées par le hasard et les rencontres. Elles peuvent se faire et se défaire. Cette dramaturgie signale en cela le caractère arbitraire des événements, elle a conscience de leur caractère fictif et le souligne. L’écriture d’Eurimédon ou l’illustre pirate se regarde elle-même, en se faisant.
Tu sçay comme à Lesbos j’ay rendu Pasithee, Que je l’ay comme Reyne avec respect traittee ; Tu me chasses pourtant, et tu souffres chez toy Ceux qui t’ont tesmoigné moins d’amour que d’effroy, Lors que par Araxés leur Princesse ravie Devoit estre sauvee aussi-tost que suivie. Acte III, scène 4.
C’est en ces termes que le héros s’adresse fictivement au roi, lui reprochant d’oublier ce qu’il lui doit. Archelas le chasse pour un baiser, et oublie les œuvres passées du jeune homme. Ce roi est ingrat, sans générosité, et ne sait pas pardonner. C’est ce point qui oppose radicalement le jeune pirate et le père de Pasithée. Eurimédon, lui, fait preuve d’une clémence qui est incompréhensible pour Archelas. Desfontaines se sert-il de l’antagonisme de ces personnages pour développer ce qu’est un « bon » roi ?
Desfontaines a exploité le thème du pardon pour en faire un point de divergence entre le héros et le père. Leurs opinions contraires se manifestent à des moments clefs de la pièce : leur rencontre, puis lorsque Eurimédon est chassé par le roi, enfin lorsque ce dernier apprend le subterfuge du costume. Lors de leur première entrevue, le roi reproche déjà à Eurimédon sa trop grande clémence, croyant que celui-ci a tué les ravisseurs de sa fille. Il aurait fallu, selon lui, leur réserver une torture exemplaire. Or, leurs points de vue sont encore plus opposés que ne le croit le roi, puisque Eurimédon n’a même pas tué Araxés. Il s’en explique en disant que « La grandeur des illustres courages / Se remarque bien mieux dans l’oubly des outrages », et en affirmant qu’ayant perdu tout espoir de s’attacher la princesse, le prince est déjà puni. Eurimédon croit et pratique le pardon en roi généreux, aussi le thème est-il révélateur de sa noblesse. Lorsque le roi chasse le corsaire, Eurimédon rappelle qu’il oublie ses bienfaiteurs, ce qui est contraire aux qualités royales :
Prince dont l’ame ingrate autant que desloyale, Represente si mal la qualité Royale,
Le roi devrait se souvenir des bienfaits passés, ce qui devrait favoriser son pardon. Eurimédon revient sur ce sujet lorsqu’il est déguisé en amazone et se trouve devant un Araxés amoureux :
Excusez doncq Seigneur ces Innocentes flames,
Le roi cède, mais c’est ici pour plaire à « Hermionne » et non par conviction. Lorsqu’il devra pardonner à la dernière scène, à la fois le déguisement et le baiser, il parlera de la vengeance comme d’un devoir :
Plustost à me vanger je suis un peu trop lent ;
À trois moments clefs de la pièce, l’opposition du roi et du pirate sur le thème du pardon se manifeste. Ce qui renforce la justesse de l’entreprise du pirate, ce sont les propos de Pasithée qui abonde dans son sens. Elle demande en effet à Archelas « la clemence d’un Juge, et la bonté d’un pere ». Le roi paraît donc indigne lorsqu’il proclame « Comme Juge je dois chastier son offence ». Les valeurs sont inversées, et le plus cruel, le plus prompt à faire couler le sang n’est pas celui que nous pourrions attendre. Cette inversion contribue à mettre en valeur le héros et à légitimer son entreprise.
Nous retrouvons ce thème dans l’Alcionée de Du RyerDu Ryer, Alcionée, tragédie, Paris, Anthoine de Sommaville, 1640.
Ce thème qui est fortement souligné dans cette pièce, montre, en parallèle avec une pièce contemporaine, que le thème du pardon est lié à celui de la noblesse et de la valeur. Quel pardon y aurait-il pour un vrai pirate ? La réponse diverge selon son auteur, Eurimédon étant une figure de clémence aux côtés de l’impitoyable Archelas.
Y a-t-il dans cette pièce un débat sur l’importance de la noblesse intérieure ? Pasithée accorde plus de mérites aux actes qu’au nom. Elle considère que les faits renseignent plus sûrement sur la valeur d’un être que son nom. Elle fait donc confiance au pirate, quoiqu’elle ignore tout de sa naissance. Les actes lui font augurer de sa noblesse. Ainsi le fait montre l’homme. La question de la vertu rejoint la dialectique de l’être et du paraître, qui est d’ailleurs développée dans le roman de Desmarets. Le personnage de Tygrane occasionne dans le roman un débat sur la vertu. Son nom ne garantit pas sa valeur. Ses actions semblent dénoter un manque de noblesse, ce qui sera confirmé par la suite. Eurimédon raconte sa rencontre avec celui-ci « Je remarquay à son port et à ses discours, que c’estoit un homme comme Araxés me l’avois dépeint, qui paroissoit plustost né pour servir que pour commander ». Nous pourrions penser que le paraître est ici en adéquation avec l’être, or les personnages de Desmarets, comme ceux de Desfontaines, font la distinction entre les actes et le nom. Ceux qui se laissent abuser par le nom ne parviennent pas à bien juger les personnes qu’ils ont en face d’eux. En revanche, ceux qui se fient aux actes devinent l’essence de leurs interlocuteurs. C’est donc le nom qui relève du paraître, tandis que les actes sont en corrélation avec l’être. Pasithée se fie à l’être d’Eurimédon dont son père ne voit que le paraître. Bien évaluer la vertu c’est donc se fier aux actes, et le thème de la vertu recoupe la dialectique de l’être et du paraître.
Le thème de la vertu engendre d’autres questions. Qu’est-ce qui, de la naissance ou de l’éducation est plus responsable de la vertu d’un être ? La naissance primerait sur l’éducation pour constituer la valeur d’un homme, puisqu’Eurimédon critique ceux qui l’ont éduqué. Chez Desmarets, la part accordée à l’éducation est plus importante. C’est en effet au cours d’un séjour en Grèce que le jeune pirate a pu apprendre les moeurs civilisées. Mais Tygrane qui a été placé dans la haute noblesse ne parvient pas à atteindre sa grandeur. Eurimédon, mal éduqué, a néanmoins le sens des valeurs du monde civilisé. C’est bien la naissance qui détermine la vertu de l’être dans cette pièce.
Ainsi, Desfontaines ne développe pas ce thème de façon révolutionnaire. L’attention portée aux actes plus qu’au nom pourrait faire penser que la vertu peut se retrouver en tout homme. Mais puisqu’elle s’accorde à une naissance, nous rejoignons donc une idée assez classique.
La première pièce de Desfontaines témoigne d’une forte sensibilité à son époque, par son inspiration, qu’il puise dans Ariane de Desmarets, et par le choix du genre tragi-comique. Son intérêt pour les pièces et romans contemporains sera confirmé par les sources de ses autres œuvres. Eurimédon ou l’illustre pirate développe les caractéristiques propres à la tragi-comédie telle qu’elle se présentait au début du siècle. Elle n’est pas réduite à l’association de personnages nobles avec une intrigue sentimentale et une fin heureuse. La pièce reprend les principes dramaturgiques et esthétiques qui constituent l’essence de ce genre. Les actions ont des causes extérieures, elles sont enchaînées linéairement, font se succéder les rebondissements, et paraissent quelque peu arbitraires. Une telle gratuité événementielle, associée à des schémas dramaturgiques récurrents à l’époque, révèle le caractère particulièrement conventionnel de ce théâtre. Ceci n’est pas à porter au titre du conformisme ou de l’innocence de l’auteur puisque nous avons vu que cette écriture se regarde avec ironie et va jusqu’à se mettre en scène. Desfontaines, par ce premier essai, a en outre fait preuve d’originalité en apportant le thème des « illustres pirates » au théâtre. Il est difficile d’affirmer qu’il a engendré lui-même ce courant qui s’attache à mettre en scène les histoires sentimentales de ces aventuriers, mais il semble avoir participé à l’association de ce thème avec des scènes et structures particulières. Etablir une édition critique de cette pièce permet donc de comprendre par l’exemple ce que fut la création tragi-comique à son apogée et de saisir cette esthétique qui exploite l’arbitraire et la gratuité de la construction dramaturgique.
Il n’existe qu’une seule édition d’Eurimédon ou l’Illustre Pirate, réalisée en 1637 par Antoine de Sommaville. Quelques recueils factices ont été réalisés à partir de cette édition. Voici la description de cette édition :
[8] -103-[1] p. ; in-4°.
(I) : EURIMEDON / OU / L’ILLUSTRE PIRATE, / Par le Sieur DESFONTAINES. / vignette représentant un écusson sur lequel se trouvent trois fleurs de lys / Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, / dans la petite Sale, à l’Escu de France. / filet / M. DC. XXXVII. / Avec Privilège du Roy.
(II) : Page blanche.
(III-V) : Epitre à Madamoiselle de Vertus signé Desfontaines.
(VI-VII) : Sonnet à Madamoiselle de Vertus signé Desfontaines et liste d’erreurs « AU LECTEUR ».
(VIII) : « LES ACTEURS » : liste des personnages.
103 pages : le texte de la pièce, précédé d’un bandeau et d’un rappel du titre en haut de la première page.
(I) Extraict du Privilege du Roy.
L’exemplaire utilisé pour établir la version de ce texte est l’exemplaire Res-Yf-384 de la BNF, numérisé sous la côte NUMM-72636.
Res-Yf-384 : Exemplaire ayant servi à l’établissement du texte.
Res-Yf-1382 : Cet exemplaire est identique à celui choisi pour l’établissement du texte.
Res-Yf-676 : Tampon « Bibliothèque Impériale ». La reliure est marquée d’un G, elle indique le titre des trois pièces et « trag ». Recueil factice contenant :
Eurimédon, avec une mention manuscrite qui ajoute dix ans à la date de publication.
Josaphat, tragicomédie, de M. Magnon, Paris, Anthoine de Sommaville, 1647, coupée juste pour entrer dans la reliure. Incohérence : seul le grand titre porte la mention « tragédie ». Le titre interne, le titre filant, bandeau porte la mention de tragi-comédie.
Seianus, tragédie, de M. Magnon, Paris, Antoine de Sommaville, 1647.
Res-Yf-219 : Volume contenant les cotes 215 à 221. Reliure « Théâtre de div. auteurs, Tome III » Les livres sont de différentes tailles, mais ceci est dû à des découpages artificiels. Ce recueil contient :
La Clarimonde, de Baro dediee à la Reyne, Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1648.
Le Capitan, ou le milles gloriosus, comedie de Plaute. Dediée à Monsieur d’Emanville, Paris, Augustin Courbé, 1639.
Les pescheurs illustres, Paris, Guillaume Sassier, 1648.
Les innocens coupables, comedie, Paris, Augustin Courbé, sans date car le privilège n’est pas daté, sans page de garde.
Eurimédon ou l’Illustre Pirate, tragicomédie, par le sieur Desfontaines, Anthoine de Sommaville, 1637
La Balance d’estat, tragicomedie, sans page de garde.
Le Martyre de Saint Eustache, tragédie, Paris, Toussaint Quint et Nicolas de Sercy, 1644.
L’exemplaire d’Eurimédon a été découpé indépendamment de la reliure, et les bas de page (contenant notamment les numéros de cahiers et les côtés contenant les didascalies) sont parfois coupés. Exemplaire incomplet, ne va que jusqu’à la page 102, mais identique aux autres.
Yf-572 : Cet exemplaire est hors d’usage et non communiquable.
8-RF-5988 : Cet exemplaire est une édition séparée identique à la version utilisée pour l’établissement du texte.
4-BL-3492 (1) Pièce n°1, recueil factice « Théatr de Desfont. tom 1. », contenant : Eurimédon ou l’illustre pirate, même édition que précédemment, exemplaire identique à l’exemplaire utilisé pour établir le texte ; La vraye suitte de Cid, tragi-comédie, représentée par la Troupe Royale, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638 ; Orphise ou la beauté persécutée, tragi-comédie, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638.
Côte RRA8=424. Cet exemplaire était identique à l’exemplaire utilisé pour l’établissement du texte. Il a fait l’objet de corrections manuscrites non datées mais assez anciennes (plume). En voici la liste :
p.2 « Et ma direction ne rendra pas suspect » discretion
p.6 : « Mesla leur sang brutal à mes prodigues pleurs. » prodigieux
p.32 : « Commandent à mes maux » mains
p.67 : « Perfide, osez-vous bien paroistre en cette lice ? » devient « Perfide, oses-tu bien paroistre en cette lice ? »
p. 81 : « Car c’est d’elle qu’on peut dire avec* raison » *avecque v. 1499
Le premier, 4 Y (2) INV (P.4) ex. 2, est un recueil factice comprenant :
Au dos de la couverture, une feuille découpée et collée sur la couverture, portant des armoiries et le nom de Jean Nicolas de Fralage. Puis nous avons une page de blanc et les pièces suivantes, toutes paginées individuellement :
Panthée, tragédie, par Durval (cette mention est portée à la main), chez Gardin Besongne, Paris, 1639.
Iphis et Iante, comédie, par Bensserade, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.
L’Innocente Fidelité, tragi-comédie, de Rotrou, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.
Eurimédon ou l’illustre pirate, tragi-comédie, de Desfontaines, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.
Le railleur ou la satyre du temps, comédie, par A. Mareschal, chez Toussainct Quinet, Paris, 1638.
Alcimedon, tragi-comédie, par P. du Ryer, Secrétaire de Monseigneur le Duc de Vendosme, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1635.
Les Vendanges de Suresne, comédie, par P. du Ryer, Secrétaire de Monseigneur le Duc de Vendosme, Anthoine de Sommaville, Paris, 1636.
Anaxandre, trage-comédie, de P. du Ryer, Anthoine de Sommaville, Paris, 1655.
Hermenigilde, tragédie, par Gaspar Olivier, docteur en Théologie, d’après une mention manuscrite, Nicolas Billiard, Auxerre, imprimeur du Roy, avec permission, 1650.
Les Illustres fous, comédie, de Beys, Olivier de Varennes, Paris, 1653.
L’exemplaire d’Eurimédon est identique à celui qui a été utilisé pour l’établissement du texte.
Deuxième exemplaire :
Delta 15220 (1) FA (P.3), ex. 1.
C’est un recueil factice car chaque pièce a sa propre pagination. L’exemplaire est identique à celui utilisé pour l’établissement du texte. Le titre du recueil factice est « Théâtre complet de Desfontaines, t. 1 », mais son nom n’est pas porté sur toutes les pièces.
Mention manuscrite sur la première feuille (blanche) : « il y a dans cet ouvrage quelques transpositions. mais il est bien complet. » Tampon de la Bibliothèque du roi, Compiègne sur la page de couverture de La Vraye Suite du Cid. Ce recueil contient :
La vraye suite du Cid, tragi-comédie, représentée par la Troupe Royale, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638. Le haut de la pièce est parfois coupé, ceci est dû au découpage réalisé pour faire entrer la pièce dans la reliure ; Hermogene, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1639 ; Eurimédon ou l’illustre pirate, tragi-comédie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Anthoine de Sommaville, 1637. Mention manuscrite dans le titre : en/er Suelas/Quelasr aulneus/r ; Orphise ou la beauté persécutée, tragi-comédie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638 ; L’Illustre Olympe ou le St-Alexis, tragedie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Pierre Lamy, 1645 ; La véritable Semiramis, tragédie, par le Sieur Desfontaines, paris, Pierre Lamy, 1647. Cette pièce a des feuilles plus petites que les autres, mais la dimension de la presse semble être la même.
La pièce Eurimédon est identique à la version choisie pour l’établissement du texte. À la fin de la pièce, sur l’achevé d’imprimer, est portée une mention manuscrite illisible (aquesard, aquetard ou aulnou).
Ces précisions nous permettent de conclure que, d’après les exemplaires présents à Paris, l’unique édition d’Eurimédon n’a pas fait l’objet de correction sous presse. L’auteur a pourtant relu la version imprimée, comme le montre l’avis au lecteur, mais la presse n’a pas été refaite.
Nous avons effectué quelques corrections nécessaires à une bonne compréhension du texte.
L’imprimeur utilisait encore l’italique, nous avons changé la typographie et transcrit le texte en romain. Nous avons ainsi appliqué les modifications typographiques d’usage pouvant gêner le lecteur contemporain. Ainsi, nous avons distingué i voyelle de j consonne et u voyelle de v consonne. La ligature & a été systématiquement déliée en et. Nous avons remplacé les voyelles nasales surmontées d’un tilde par la voyelle et la nasale correspondante. D’autres signes typographiques, comme pour ss, 9 pour us (vers 126) et aa pour â ont été actualisés. De même, les accents diacritiques ont été rétablis pour distinguer la conjonction ou du pronom relatif où, ainsi que la préposition à du verbe avoir a. Ces modifications ont également été effectuées sur les citations des textes de l’époque.
Avis au lecteur : ou tu verras / v. 51 Ou sont-ils ? / v. 194 Où bien ce grand esprit / v. 231 Ou courez-vous Tygrane ? / v. 562 Mais aveugle fureur ou portes-tu […] / v. 1140 la Thrace à reveré les loix / v. 1243 Où bien pour avoir faict ce genereux duël / v. 1244 où plustost si cruel / v. 1256 Punissent tost où tard / v. 1528 Où que vostre pitié / v. 1585 Ou va Tygrane / v. 1723 crime, où bien-faict / v. 1744 Où que comme un ingrat / v. 1780 Je possede le trosne ou regnoient / / v. 108, 124, 194, 375, 462, 494, 548, 580, 645, 762, 789, 849, 868, 1089, 1212, 1226, 1320, 1629, 1838 et entre v. 534 et 535, didascalie « Cartel a Tygrane » : A / v. 547 ce page a mon habit / v. 742 Te va faire servir a mon bras / v. 756 a vostre Majesté / v. 773 Qu’à faict ce Chevalier
Sonnet : A MADAMOISELLE DE VERTU. On a unifié l’orthographe de ce nom écrit « Vertu » ou « Vertus ». Le dictionnaire de Moreri orthographie Vertus le nom d’une famille de Bretagne, à laquelle Mademoiselle de Vertu semble appartenir (cf. introduction). / v. 7 du sonnet : Ont doit à tes attraits les plus beaux mouvemens / v. 10 du sonnet : Si j ose descouvrir à la posterité / v. 23 Et ma direction / v. 78 a faict ma recompense / v. 106 la renduë honnorable, / v. 131 Eurimedon / v. 170 n’ay / v. 207 l’ascheté / v. 278 commence a me desplaire, / v. 328 pour vostre repos / v. 352 tant / v. 357 Pasitée / v. 358 leus / v. 374 Qu’a regret / v. 426 Qui ma mis à propos / v. 527 que cherche-tu ? / v. 582 à mes maux / v. 591 ton dessein / v. 607 S’en / v. 615 Alors quelle sçaura / v. 616 Celuy quelle / v. 712 D’ont vous avez / v. 740 de se voir consommé / v. 815 Celuy d’ont / v. 845 Eurimedon, / v. 937 Dymoy / qu’à t’on faict / v. 1010 Ny qu’elle occasion / v. 1016 coup de ma mort. / v. 1096 vous vangè / v. 1128 Et contraint / v. 1148 d’éployer / v. 1246 essez proche / v. 1249 t’a rage / v. 1262 l’a malheureuse / v. 1265 m’a peine / v. 1298 ma surprise / v. 1335 Et s’est mal / v. 1363 Alors quelle commande / v. 1364 Et ce quelle cherit, / v. 1371 a pareil / v. 1508 Qu’il alors qu’il / v. 1515 Les graces / v. 1535 S’en / v. 1553 a d’estruit de delices / v. 1557 t’on audace / v. 1569 cette impor-ne Idee (- correspond au retour à la ligne) / v. 1577 d’y moy que Celiane, / v. 1800 m’est entrè / v. 1810 Vous sçavez quelle fut / v. 1851 mon devoir. / p. 51 et 54 : erreur de numérotation des scènes, les deux dernières scènes de l’acte III portaient les numéros : « SCENE QUATRIEME » et « SCENE CINQUIESME ». / Dans les noms de personnages acte V scène 2 : l’exemplaire que j’ai consulté nommait TYGRANE le premier personnage prenant la parole, au lieu de CELIANE.
NB : Nous avons conservé l’orthographe en fin, que Furetière écrit enfin, car elle était unifiée dans ce texte, et correspond à la formation du mot.
Desfontaines, dans l’avis au lecteur, signale que l’imprimeur a fait des coquilles telles que doncque pour doncq, ou encore pour encor, ou avec au lieu d’avecque :
v. 1257 Ne demande doncque pas un salaire Prophane : / v. 1345 Excusez doncque Seigneur ces Innocentes flames, / v. 1499 Car c’est d’elle qu’on peut dire avec raison / v. 1741 Quoy donque, aymez-vous mieux que la rigueur d’un pere
Nous avons conservé la ponctuation de l’époque, qui servait de repère pour la prononciation. Nous avons néanmoins modifié le vers 401 qui s’achevait par « crainte. ». En effet, Dolet, dans La punctuation de la langue Francoise, Paris, Dolet, 1540, désigne le point comme marque de fin de sentence et rappelle qu’il n’est « jamais […] en aultre lieu ». Furetière, en 1690, signale que le point s’inscrit lorsque le « sens [est] complet », la « période achevée ». De plus, ce point en milieu de phrase ne peut désigner une pause longue puisqu’il y a enjambement.
MADAMOISELLE,
Voicy des Estrangers qui viennent des extremitez de la Grece, et qui attirez par la reputation de vos merites, souhaittent de s’acquitter des hommages qu’on doit à vostre vertu. Si vous daignez prester l’oreille au recit de leurs advantures, vous ne les estimerez pas indignes de vostre entretien ; et je m’asseure que vous leur ferez un favorable accueil quand vous sçaurez qu’ils sont Princes, et que par des actions qui ne degenerent point de leur naissance, ils vous auront faict voir dans le Tableau de leur vie, les Images de tant de Heros que vostre Illustre Maison a donnez à la France. Je parlerois de vos augustes devanciers, François
MADAMOISELLE,
De vostre Grandeur.
Le tres-humble et tres–obeïssant serviteur
DESFONTAINES.
Lecteur je croirois offencer ton jugement si je ne le croyois capable de discerner les fautes qui se sont glissees en l’Impression de cét ouvrage, et je ferois tort à ta courtoisie si je ne croyois que tu les excuseras ; c’est pourquoy sans m’arrester à t’en faire le denombrement, je te supplieray seulement de remarquer qu’en deux ou trois endroits où tu verras que les vers manqueront en leur mesures, la faute vient de ce que l’Imprimeur a escrit doncque pour doncq, encore au lieu d’encor, et une fois avec, au lieu d’avecque pour le reste je le laisse à ta discretion.
CARTEL DE TYGRANE À EURIMEDON.
Le parallèle avec scène 2 de l’acte I : « Je vous offre le bien que vous nous avez faict, / Partagez nos plaisirs, regnez dans mes provinces, / Faites vous (s’il vous plaist) des sujets de mes Princes, / Je feray tout pour vous, ayant tout faict pour moy, / Vous m’avez rendu pere et je vous feray Roy. », est vecteur d’ironie envers le roi qui ne tient pas ses promesses, mais les renouvelle.
FIN.
Par grace et Privilege du Roy donné à Paris le 30 jour de may 1637. Signé par le Roy, en son Conseil de Monsseaux il est permis àAntoine de Sommaville, Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer où faire Imprimer, vendre et distribuer en tel Volume et caractere que bon luy semblera une tragi-comedie intitulee Eurimedon ou l’Illustre Pirate du Sieur Desfontaines, durant le temps de sept ans finis et accomplis à commencer du jour que ladite Tragi-comedie sera achevee d’Imprimer : Et deffences sont faictes à tous autres de l’Imprimer où faire Imprimer, vendre ny distribuer sans le consentement dudit Sommaville, ou de ceux ayant droit à luy, à peine aux contrevenans de trois mille livres d’amendes, et de tous ses despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par les lettres cy-dessus dattees.
Achevé d’imprimer le 6 juin 1637.
Nous avons intégré dans ce glossaire tous les termes dont le sens s’écarte de l’usage actuel.
F. : Dictionnaire de Furetière ; A. : Dictionnaire de l’Académie ; R. : Dictionnaire historique de la langue française Le Robert.
Académie française, Dictionnaire, Paris, J-B Coignard, 1649 (2 vol.)
Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les Termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, 1690, rééd. SNL-Le Robert, Paris, 1978 (3 vol.)
REY (Alain), TOMI (Marianne), HORÉ (Tristan), TANET Chantal, Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’Alain Rey, édition enrichie par Alain Rey et Tristan Hordé, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1992-1998, 3 tomes, 4304 p.
Total : 9 2 16 7 5 1 12 10 5 1
Avertissement : ne sont mentionnées ici que les dates de première édition.
Les dates de représentations sont celles données par le site www.cesar.org.uk.
Légende : en italique, les pièces de théâtre ; en caractères romains, les autres textes
*textes ayant connu plusieurs publications.
Ce tableau dresse une liste non exhaustive des reprises que Desfontaines a effectuées à partir du texte de Desmarets. Les citations mentionnées ci-dessous sont celles qui reprennent au plus près le roman.
Eurymédon ou l’illustre pirate, tragi-come’die, de M. Desfontaines.
Eurymedon, célèbre pirate, délivre Pasithée, fille d’Archelas, Roy de la Troade, des mains d’un ravisseur appelé Araxés, et la remet entre les mains de son pere. Ce Prince lui fait tout l’accueil possible, mais comme il le surprend baisant la main de Pasithée, il le chasse de la Cour. Cependant Araxés, à la tête d’une armée considerable, entre dans les Etats du Roy Archelas, et est prête de s’en emparer. Eurymedon apprend cette nouvelle, et en même tems que le Roy de la Troade a fait publier
Que quiconque pourroit empêcher sa défaite, En portant d’Araxés l’abominable tête, Pour prix de sa valeur, et de son action, Il auroit Pasithée, et son affection.
Une promesse si flatteuse engage Eurymedon : il se deguise en Amazone, combat Araxé, lui coupe la tête et la présente au Roy. Archélas devient subitement amoureux de cette prétendue Amazone, et lui propose de l’épouser. Sur ces entrefaites, Mélinthe, Roy de Thessalie, aborde à Lesbos pour y trouver un frere qui avoit été enlevé par des Pirates, dès sa plus tendre enfance. Ce frere est Eurymedon. La reconnoissance des deux freres fache un peu le Roy, parce qu’Eurymedon profitant de son travestissement, a passé la nuit avec Pasithée. Mais le mariage racommode tout, et c’est par là que finit la Piéce, qui est assez mal conduite, pleine d’inutilités, et d’une invention peu noble. Les Vers y repondent assez. Par exemple, le Roy parle à sa fille Pasithée dans des termes qui ne dépareroient pas un Gorgibus, en lui reprochant le peu de bienséance qu’elle garde avec Eurymedon.
Vous souffrez toutesfois que seul il vous cajolle, Contre un Pere, pour lui, vous prenez la parole, Il baise librement et la bouche et le sein, Et tout cela chez vous passe pour bon dessein : Sa conversation est la même innocence, En parler seulement, c’est commettre une offense. ………………………………………………….. Malgré ce beau mignon, qui cause tout ceci, Vos discours changeront dans peu de temps d’ici.
« Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. Deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. Cette espèce de prestige alloit même jusqu’à faire trouver beaux, des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots. »
Ce relevé a pour but de mettre en évidence le fait que les soucis d’unité de lieu et de temps étaient alors indifférents à Desfontaines.
Acte II, scène 2
Tygrane :
Depuis vostre retour (divine Pasithee)
Si je ne vous ay pas aussi-tost visitee,
Acte II, scène 5
ARGAMOR s’en allant.
Seigneur dans peu de temps vous y verrez Tygrane.
Acte II, scène 7
TYGRANE.
Chevalier excusez, Je vous ay faict attendre.
(…)
Mettons nous pour un temps à couvert de l’orage,
Et fuyant les abords de l’Infante et du Roy,
Sçachons ce qu’ils auront deliberé de moy.
Acte III, scène 4
Rapport fait à Eurimedon par Lysanor :
Sçachez que d’Archelas les malheurs redoublez
Ont rendu le cahos à ses Estats troublez :
Depuis vostre departsoulignons.
Araxés animé de sa flame premiere,
Avec mille Guerriers dans l’Isle descendu
Rend d’horreur et d’effroy tout ce peuple esperdu :
Acte IV, scène 1
Compte-rendu de la bataille au roi, Hermionne progresse donc le temps s’est écoulé pendant l’entracte.
Acte IV, scène 2
Eurimedon retarde le moment de son union avec le roi.
Acte IV, scène 3
Archelas à Eurimedon :
Ma Reyne j’y consens, et promets à cette heure
De la tirer demain de sa triste demeure,
Archelas :
Naguere
A si soudainement son esprit captivé,
Acte IV, scène 4
Eurimedon à Pasithée :
Qu’aupres de vous cette nuict je repose,
Si je ne vous suis pas importune ;
Acte IV, scène 6
Pasithée à Alerine :
Alerine de peur d’incommoder la Reyne,
Je vay passer la nuict dans vostre appartement.
Acte V, dernière scène
Archelas à Celiane :
Puis qu’une heureuse nuict doit suivre un si beau jour
Vous devez ce bon-heur à son fidele amour.
Didascalies initiales
La Scène est en l’Isle de Lesbos.
De ce point de vue, l’unité de lieu est respectée.
Acte I, 1
Arrivée au port de Mitylene
EURIMEDON sortant d’un navire et mettant PASITHEE au port.
Pasithée dit plus bas « Que sans crainte Araxés retourne à Mitylène »
Acte I, scène 3
TYGRANE.
Lieu non spécifié, mais nécessairement différent de celui de la scène précédente.
Acte I, scène 4
Falante à Tygrane :
Il vous plaist seulement d’entrer à Mitylene
La scène précédente se passait donc sur le rivage, ou dans un autre lieu extérieur à la ville.
Acte II, scène 1
Mentions du lieu à diverses reprises, scène vraisemblablement dans le Palais :
Je croy qu’il n’oseroit se monstrer à la Cour,
[…]
Mes gens pour le trouver ont tourné toute l’Isle
Que les Dieux pour jamais l’exilent de Lesbos
Acte II, scène 4
CELIANE en habit de Cavallier.
He bien cruel Amour que fera Celiane ?
On a ici un changement de lieu qui s’opère vers un lieu anonyme, espace neutre comme le caractérise Hélène Baby. Elle se trouve certainement près de Mitylène, puisqu’elle va devoir agir, et rencontre les habitants de la ville : Agramor, Tygrane, Eurimedon.
Ouy Page il peut me voir ; s’il veut prendre la peine
De sortir promptement des murs de Mitylene,
Nous avons là un deuxième ou troisième lieu extérieur, que nous conservons jusqu’à la fin de l’acte II.
Acte III
Retour au palais.
Acte III, scène 3
Eurimedon « s’en allant » donc on va vers un espace hors de la ville mais proche, un espace indéfini, une route où il rencontre Céliane. On rejoint donc un espace qui a déjà reçu l’action.
Acte III, scène 4
Celiane dit à Eurimedon :
A peine je fus mise au port de Mitylene
Donc cet espace indéfini est vraisemblablement proche du port.
Acte III, scène 6
Pas de transition, on passe « en prison », avec Pasithée et Alerine.
Acte IV, scène 1
Dans le palais, mais pas en prison, auprès du roi. L’action demeure en ce lieu jusqu’à la scène 4.
Acte IV, scène 4
Eurimedon va voir Pasithée en prison :
Et que de la prison vous veniez au Palais,
Acte V
L’acte débute avec Tygrane qui est au Palais et va voir Céliane. On a donc un changement de lieu, à l’intérieur du palais même entre l’acte IV et l’acte V.
Tout pourrait se passer dans le palais, pourtant, plus loin, Archelas dit :
Cependant s’il vous plaist d’entrer dans le Palais,
Acte V, scène 4
Scène dans le Palais car discussion entre Céliane, Eurimedon et Pasithée. Puis arrivée du roi et d’Archelas, donc scène finale dans le Palais sans changement de lieu.
Sonnet servant de dédicace à Louis de Bourbon Duc d’Engvien, pour l’édition suivante : Les hommes illustres grecs et romains, de Plutarque de Cherone’e, Paris, Antoine Robinot, 1645.
Desfontaines.
Il n’existe qu’une seule édition, réalisée en 1637 par Anthoine de Sommaville. Eurimédon ou l’Illustre Pirate, tragicomédie, par le sieur Desfontaines, Anthoine de Sommaville, 1637, in 4° VIII-103p. Les exemplaires sont parfois insérés dans des recueils factices. Dix exemplaires sont présents à Paris :
Bibliothèque Nationale de France, site Tolbiac : Yf 572 non accessible, Rés Yf 384, Rés Yf 676, recueil factice, Rés Yf 1382, ainsi qu’un exemplaire incomplet : Rés Yf 219, recueil factice ; site Richelieu : 8-RF-5988 ; site de l’Arsenal : 4-BL-3492 (1), recueil factice.
Bibliothèque Sainte-Geneviève : la pièce est insérée dans deux recueils factices : 4 Y (2) INV (P.4) ex. 2, delta 15220 (1) FA (P.3), ex. 1.
Bibliothèque InterUniversitaire de la Sorbonne : RRA8=424.
Cartographie : http://grenier2clio.free.fr/grec/carte/b.htm
Nous avons mentionné entre crochets la localisation des livres en utilisant les abréviations suivantes : BIU Sorb : Bibliothèque inter-universitaire de la Sorbonne ; Tolbiac : site Tolbiac de la Bibliothèque Nationale de France ; Ars : site de l’Arsenal de la Bibliothèque Nationale de France ; BSG : Bibliothèque Sainte-Geneviève ; Paris 3, GB : Bibliothèque Gaston Baty de l’université Paris III ; NUM Gallica : version numérisée en ligne sur le site Gallica de la BNF.